L’habitat dispersé dans les îles du Ponant. Genèse, typologie et évolution du Moyen Âge au XXe siècle
p. 313-320
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Texte intégral
1Une idée communément rencontrée est que dans les îles, espaces par nature restreints et finis, l’habitat se concentre pour économiser la place et mieux se protéger des dangers venus de la mer. Dans la réalité, comme le montre l’histoire du peuplement des seize îles de l’Ouest français, la géographie de l’habitat dans les îles est assez rarement cantonnée aux centres paroissiaux ou à un port éventuel. C’est seulement dans les plus petites des îles, à Sein ou Houat en particulier, voire à Aix plus tardivement, que le stéréotype se vérifie, comme l’illustrent les descriptions laissées depuis le xviiie siècle. L’historien et le géographe se rejoignent alors dans le schéma d’analyse1 : « ...Plus l’île est petite, plus la concentration est forte », pour tenir compte de la topographie locale et économiser l’espace, mais aussi et d’autant plus parce qu’il s’agit de sociétés composées de pêcheurs dès l’origine du peuplement, au moins à Sein. Inversement donc, « plus l’île est grande plus la dispersion est notable », avec une hiérarchisation, au moins fonctionnelle, entre le bourg et les « villages », c’est à dire les hameaux2.
La présence quasi-générale d’un habitat dispersé dans les îles du Ponant
2À partir du moment où les sources le permettent, au xie siècle, on s’aperçoit que, le plus souvent, les noyaux de peuplement se sont fixés autour des prieurés installés dans les îles par les grandes abbayes continentales, eux-mêmes parfois localisés sur le site d’églises préexistantes témoignant de l’existence de petites communautés sans doute antérieures au xie siècle. À Noirmoutier, c’est l’abbaye de La Blanche elle-même qui installe un prieuré, une « grange » au xiiie siècle à Barbâtre. Un très grand nombre de ces prieurés sont des prieurés-cures avec la charge du service religieux des populations – avant que la desserte de la paroisse ne passe ensuite des moines aux mains d’un séculier, d’un vicaire perpétuel – et donnent naissance, à l’issue des xie-xiie siècles, aux futurs centres paroissiaux qui deviennent alors, s’ils ne le sont déjà, le lieu de fixation du bourg. Si les petites îles et les îles moyennes (Ouessant, Groix, île d’Yeu) correspondent à une seule paroisse, dans les grandes îles, aux superficies supérieures à celle de l’île d’Yeu (23 km2) et aux prieurés multiples compte-tenu des densités de populations plus fortes et de la dispersion, le territoire est partagé en plusieurs paroisses dune superficie équivalente, d’une vingtaine de km2 : Noirmoutier et Saint-Nicolas-de Barbâtre, les quatre paroisses belliloises, les trois paroisses initiales de Ré (Saint-Martin, Sainte-Marie, Ars) et celles d’Oléron (Saint-Denis, Saint-Georges, Saint- Pierre, Dolus, Le Château et Saint-Trojan). Ces superficies initiales incluent les îles dans le domaine aux terres médiocres des grandes et moyennes paroisses françaises (plus de 10 à 20 km2), au sud de la ligne Saint-Malo-Bourgogne3.
3En dehors des centres paroissiaux, parfois guère distincts des plus gros hameaux, la dispersion de l’habitat est donc la règle, bien visible au gré des documents antérieurs à la Révolution et des cartes des xviie et xviiie siècles4. Cent trente hameaux ou fermes isolées sont identifiables dans l’île d’Oléron vers 1630 ; environ 120 villages sont attestés sans discontinuité depuis le xviie siècle au moins à Belle-Île, regroupant encore la moitié de la population en 1968, et presque une centaine de « hameaux et villages » existent à Ouessant à la fin de l’Ancien Régime, à l’origine des 92 lieux-dits de une à douze maisons recensés en 1844. Une trentaine de hameaux d’importance variable sont repérables à Groix, dix-huit à l’île d’Yen. Dans les campagnes de Noirmoutier, si les fermes isolées sont peu nombreuses, 15 gros hameaux structurent le peuplement et hébergent 3 863 habitants en 18115. Même dans l’île de Ré, pourtant présentée aujourd’hui comme une île à population concentrée en raison des fortes densités et d’une superficie « utile » réduite par les marais salants, la carte de Cassini permet de localiser une quarantaine d’écarts vers 1780. Enfin dans des îles beaucoup plus petites, l’habitat dispersé est non négligeable. À Batz, où l’on trouve environ 150 maisons et chefs de famille au xviiie siècle et au début du xixe siècle (Cambry), les textes parlent alors de trois villages abritant l’essentiel de la population recensée en 1703, Porsenoc ou Porz en Eog (54 %), Carn (13 %) et Goualen ou Gwalez au centre des terres agricoles (20 %), mais des fermes et des maisons plus ou moins isolées sont présentes sur la majeure partie de l’île, la plus abritée surtout : 9 familles à Gouled Batz (6 %), 4 (2,5 %) à Porz Mellok, 3 (2 % à Morsevez)6. À Arz (3 km2 !), au-delà des maisons construites autour de l’église, le bourg est composé en fait comme les deux bas villages (Pénéro et le Lan) de plusieurs petits hameaux. Même dans « l’île des capitaines », la géographie de la population (environ 280 chefs de familles au milieu du xviiie siècle) est en partie celle d’une île agricole, avec un habitat dispersé sur les terres cultivées, par exemple au gré des quatre « métairies » crées par les seigneurs- abbés, des autres fermes et des micropropriétés7. Il en va de même dans l’Ile-aux-Moines. À la fin du xviiie siècle, les 730 habitants se répartissent dans plus d’une dizaine de hameaux qui ont tous leur identité, sur la pente orientale abritée des vents de suroît qui descend vers le golfe. Un « bourg » n’est mentionné dans les registres paroissiaux qu’en 1764, mais il n’y a pas là non plus d’agglomération ordonnée. Les deux plus gros villages au cœur de la croix que forme l’île, celui de Locmiquel, dont « Ile-aux-Moines » est parfois synonyme à la fin du xviie siècle, et celui de Kergantellec, ne totalisent qu’un tiers des habitants8 Lorsque l’île d’Aix (de la même taille que Sein) se repeuple au xviie siècle sous l’autorité des Oratoriens qui entreprennent de restaurer son économie après 1613-1614, la dizaine de familles se partage entre trois maisons accolées au prieuré, le moulin, mais aussi trois autres maisons dispersées, sans doute des fermes.
4Le village est donc bien une unité de peuplement fondamentale et structurante dans la très longue durée de l’habitat insulaire. La raison en est que toutes les îles, à l’exception de Sein, ont été avant tout – et même uniquement pendant longtemps – des îles salicoles et/ou rurales, l’exploitation s’installant au cœur du finage villageois ou entre marais et terres agricoles. Cependant d’une part l’origine et l’évolution de ces habitats dispersés est loin d’être identique pour chaque île, d’autre part les gros hameaux sont parfois analysés eux-mêmes – et avec raison comme leur évolution dans les îles va le montrer – comme une variante du groupement des hommes9, obligeant à considérer l’habitat dispersé dans une relation dialectique et dynamique à l’habitat groupé.
Aux origines de la dispersion
5La genèse de l’habitat dispersé, pour autant qu’on puisse la connaître, montre d’abord des processus de peuplement et de dispersion différents selon les îles, processus que l’on peut en partie modéliser.
Colonisation et dispersion planifiées : un modèle bellilois à adapter à d’autres îles ?
6Nous ne ferons que reprendre ici les grandes lignes de cet exemple que nous avons déjà eu l’occasion de développer ailleurs10. Le semis régulier de villages sur toute l’île, à 400 m de la côte, en tête de tous les vallons, près des fontaines, évitant le sommet venté du plateau et l’humidité des fonds, est le produit d’une véritable planification menée lors de la colonisation de l’île par les Bénédictins de Redon puis de Quimperlé à partir du xie siècle, et dont les formes ont été pérennisées sans grandes modifications jusqu’en 1766, voire après, puisque aucune terre n’échappait au seigneur. Pour preuve la géographie de la taille des hameaux et son explication. Le territoire insulaire était en effet découpé en cent vingt finages à la répartition homogène des terroirs : en moyenne 70 % de terres labourables, 29 % de landes et pâturages, 1 % de prés, pour permettre l’autonomie voire l’autarcie des paysans installés au centre dans le hameau. La taille de celui-ci variait selon la taille du finage et l’écartement des vallons perpendiculaires à la côte qui leur servaient de limites. À petit finage de moins de 50 ha, village d’une seule maison d’habitation en général, à finage moyen de 50 ha, deux exploitations, à grands finages grands villages pouvant regrouper jusqu’à six exploitations. Le caractère systématique de la géographie et de l’adaptation de la taille des hameaux ainsi que l’homogénéité de la toponymie en Bor- et Ker- liée à la rareté des toponymes connotant des habitats intercalaires (Ty-Neüe, Marradenen...) laissent supposer une mise en place assez rapide et une relative stabilité du système à partir du xiie siècle et jusqu’en 1766, date de la fin du régime foncier seigneurial et de l’afféagement
7Sur l’île de Groix, semble s’être développé un schéma de peuplement un peu identique, avec une population dispersée dans une trentaine de hameaux d’importance variable, aux noms souvent en Ker- comme à Belle-Île, également souvent en têtes de vallons, à la recherche d’une position d’abri, de proximité de l’eau douce, et d’une centralité par rapport aux terroirs des vallons, landes et champs. Un hameau est devenu un site portuaire, Locmaria. L’abbaye de Quimperlé y a peut-être développé une planification initiale du même ordre, mais celle-ci n’est alors pas restée aussi lisible qu’à Belle-Île parce que l’abbaye n’était ni le seul seigneur ni le seul acteur dans le peuplement d’une île plus petite et plus près du continent. Même si les vallons n’ont pas la même importance qu’à Belle-Île voire Groix, une explication du même ordre vaut sans doute pour les « hameaux et villages » d’Ouessant. La géographie de l’habitat à l’île d’Yeu ressemble beaucoup également à celle de Groix, en plus concentrée : à côté du bourg paroissial de Saint- Sauveur (16 % de la population au xiiie siècle), deux hameaux sont devenus des centres portuaires notables, au port de La Meule (17 %), à Port-Breton (39 %), les hameaux dispersés abritant alors le quart restant de la population. La géographie du peuplement dans les petites îles les moins défavorisées (Morbihan, Batz...) semble reposer sur des principes identiques à ceux des grandes îles, en particulier bretonnes, évoquées ci-dessus, mais elle varie cependant selon la nature de l’île, et non sa taille. Une mise en valeur agricole, sous la férule des seigneurs ecclésiastiques le plus souvent, et un habitat dispersé initial y ont également été la règle.
8Certes le modèle bellilois est un cas rare, non peut-être comme processus historique de fixation de l’habitat mais parce que l’organisation initiale a pu rester lisible pendant des siècles à cause de l’absence de propriété foncière privée dans les campagnes. Seule une étude très fine, pour autant que les sources existent, montrerait alors les différences avec Belle-Ile dans la chronologie et les modalités de la création des hameaux dans les autres îles ainsi que l’éventuelle multiplication des écarts intercalaires – très rares à Belle-Île – permis par le caractère privé de la propriété lors des périodes d’accroissement démographique. Malgré tout, l’habitat rural semble avoir été relativement stable dans ses formes jusqu’au milieu du xxe siècle, une fois les structures mises en place au Moyen Âge, même si pour certaines îles la maritimisation des activités à l’époque moderne a induit la transformation d’un hameau (à Yeu, Groix) – ou de plusieurs hameaux comme à Batz – en bourg portuaire pouvant concentrer 30 à 50 % de la population.
Les îles du sud : des peuplements plus évolutifs
9La dispersion de l’habitat dans les îles du sud, si elle est également le produit d’un processus de colonisation menée souvent par les seigneurs, ne permet pas de lire les formes d’éventuelles planifications, sans doute justement parce que le peuplement s’est poursuivi sur des périodes plus longues, avec des phases successives d’accroissement démographique densifiant la géographie antérieure et permises par le développement d’activités spéculatives (vignes et sel), en partie fondées sur la conquête de nouveaux territoires sur la mer et de nouveaux marchés.
10À Ré, une première dispersion est d’abord liée à la géographie même de l’île et à sa formation11. L’évolution du peuplement de l’île ne doit pas en effet être dissociée de son évolution géologique puisque l’île actuelle a été formée par la réunion progressive de plusieurs îlots due à l’ensablement des passages nord sud qui les séparaient puis du golfe de Loix. Les îlots d’Ars et des Portes, occupés dès la Préhistoire, sont soudés dès le premier millénaire par un cordon. Les petites sociétés des deux îlots encore imparfaitement scellés sont alors longtemps réunies dans la même communauté, les salines des Portes étant encore comprises avec celles d’Ars dans l’enquête de 1640-1660. « Les seigneuries », en fait la seigneurie unique « d’Ars et Loix », englobent également cette dernière île où aucune occupation humaine n’est attestée apparemment avant le haut Moyen Âge. Ensuite l’île de Ré proprement dite et Ars se rattachent progressivement et sont rarement séparées à partir du xve siècle. La structure de l’habitat depuis cinq siècles ne doit donc pas masquer la dispersion initiale des hommes sur plusieurs îles ou îlots. En dehors des trois bourgs initiaux (Ars, Saint-Martin et Sainte-Marie), centres paroissiaux probablement dès le xiie siècle, voire avant, plusieurs hameaux deviennent importants au cours du Moyen Âge et de l’époque moderne (La Flotte, Le Bois, La Couarde), et l’habitat prend par ailleurs la forme d’une quarantaine de hameaux (c’est tout au moins le nombre connu au xviiie siècle), nés là aussi du choix des sauniers et viticulteurs de s’installer au plus près des lieux d’exploitation qui leur sont concédés par les propriétaires fonciers. La plus ancienne maison médiévale connue dans un hameau est celle fouillée en 1980 au Bois et occupée peut-être au xiie siècle, à tout le moins aux xiiie et xive siècles12.
11À Noirmoutier, qui est une île plus petite que Ré et qui n’a pas connu un essor aussi rapide et important, le schéma de peuplement est assez proche avec un habitat à gros noyaux dispersés. On peut y lire les rôles respectifs des entrepreneurs ecclésiastiques et laïques, l’extension progressive du peuplement en rapport avec la conquête agricole et salicole, qui amène la création de nouvelles paroisses13. Dans les fiefs qui se partagent toute l’île, est réalisée progressivement la conquête agricole en contrepoint de la construction des salines. Aux xie et xiie siècles, cela prend la forme de « clos », de deux à quarante hectares, et de concessions faites aux agriculteurs par les seigneurs. L’essor économique et démographique amène alors la multiplication de noyaux de peuplements le long de l’axe l’Herbaudière-Barbâtre, et vers 1100 la création d’une nouvelle paroisse, Saint-Nicolas de Barbâtre. À la fin du xive siècle, dans un domaine entre le bourg de Barbâtre et la Frandière que concède Ysabeau de Craon à l’abbaye de La Blanche, des lots furent arpentés et attribués pour la construction de maisons jusqu’à la fin du xvie siècle. Un nouveau développement de l’habitat se produit après le retour de la paix et se multiplient les métairies des gros propriétaires et les borderies de l’abbaye à Barbâtre. Deux petits villages correspondant à deux sites portuaires liés au commerce du sel, les Coex et Champoiroux, se sont également développés un temps avant de disparaître. Tout cela, suivi de nombreuses concessions de terrains à bâtir jusqu’à la fin du xviie siècle, a donc développé un habitat intercalaire entre les villages plus importants, donnant 15 villages à la fin du xviiie siècle, de plus de 150 habitants en moyenne14.
12À Oléron le processus de peuplement est moins connu, voire quasiment inconnu au cours du haut Moyen Âge, mais il semble proche de celui de Ré et de Noirmoutier. La trame du peuplement s’articule autour des gros bourgs fixés comme centres paroissiaux au milieu du xie siècle, que nous avons vu coïncider avec les prieurés, et de la dispersion sur le territoire agricole de nombreux écarts, les fermes isolées étant par contre extrêmement rares15 Le plus souvent situés sur l’épine dorsale de l’île, entre sables et marais là où le sol est le moins épais et l’extraction de calcaire la plus facile, les quelques 130 hameaux connus au début du xviie siècle portent de nombreux toponymes attribuables au xiiie siècle (en -ière et -erie) mais les implantations se poursuivent à partir de la seconde moitié du xvie siècle, et jusqu’à la fin du xviiie siècle16.
13On a donc dans ces îles du sud un schéma de peuplement qui semble beaucoup plus évolutif, dans le temps et l’espace, que celui des îles bretonnes et de l’île d’Yeu. Dans les îles picto-charentaises s’est produit un processus progressif, précoce et fort, d’habitat intercalaire se poursuivant par à-coups au Moyen Âge et à l’époque moderne au rythme de la densification démographique17.
Recul de l’habitat dispersé et concentration : le modèle rétais
14Non seulement donc le processus de dispersion de l’habitat est selon les cas inégalement évolutif, mais il n’est pas irréversible. D’une part, dans quelques îles, les sources de l’époque moderne révèlent parfois des villages disparus : deux ou trois villages sont abandonnés à Belle-Île dans des zones de landes répulsives, faute de réussite économique, et plusieurs hameaux disparaissent sous les sables qui avancent à Noirmoutier et Oléron. Mais surtout d’autre part s’opèrent, à Ré en particulier, en raison du développement des activités agricoles et saunières et de la croissance démographique qui y est liée, des phénomènes de développement ou de regroupement de hameaux devenant alors nouveaux bourgs puis centres paroissiaux et communes à la Révolution ou au xixe siècle.
15Un mouvement à deux facettes se fait alors jour : la transformation progressive de hameaux en bourgs et nouveaux centres paroissiaux, ou bien la constitution de paroisses puis communes par le regroupement de plusieurs hameaux. D’un côté en effet, l’essor des salines et des vignes favorise la croissance démographique du xiie au xviie siècle, croissance brisée il est vrai par la guerre de Cent Ans et les Guerres de Religions. La densification de l’île se traduit, outre le renforcement des bourgs et développement des ports de Saint-Martin et de La Flotte, par l’accroissement de la population des hameaux dont certains vont alors devenir le centre de nouvelles paroisses. Ce sont d’abord les communautés des îlots, dont les églises sont les « fillettes » de la paroisse d’Ars, qui prennent leur autonomie : Loix devient paroisse en 1379, Les Portes en 1548 (l’assemblée d’habitants étant distincte seulement dans les années 1660-1686). Les paroisses primitives de Saint-Martin et Sainte-Marie sont elles-mêmes démembrées. En 1598 est créée la paroisse de La Flotte au détriment de celle de Sainte-Marie à la suite du développement du port, puis celle du Bois au détriment de Saint-Martin en 1638. La Couarde, annexe de Saint-Martin, ne formera paroisse et commune qu’à la Révolution. Les anciens hameaux de La Flotte, Le Bois, La Couarde sont devenus de véritables bourgs.
16Dans le même temps les centres paroissiaux s’étoffent ou se créent par l’annexion ou le regroupement de différents hameaux. La Flotte, village-rue développé à partir des églises de Sainte Catherine et Saint Eulalie le long de l’anse qui voit se développer le nouveau port, englobe des hameaux proches : Puylizet, la Touche des Sables. Un nouveau centre paroissial comme Loix est par contre constitué par la réunion de quatre hameaux (la Dérammée, le Peux, Lavaud, l’Oisellière) et il en ira de même lors de la réunion en une commune des cinq hameaux d’Ars. Dans les trois paroisses initiales puis communes, qui ont vu leurs principaux hameaux devenir des paroisses autonomes, la population devient alors de fait très concentrée, y compris encore aujourd’hui. Malgré tout, en dehors des bourgs, même si le maillage n’est pas régulier, l’île reste marquée par la dispersion d’une quarantaine de hameaux : la Rivière, le Roc, le Fief ou Fier, la Prise aux Portes, Morinant et Roulant au Bois, les Noues et Rivedoux à Sainte-Marie...
17Il faut donc se méfier de la vision statistique actuelle qui constate que 81 % de la population rétaise est agglomérée, seulement une centaine d’habitants sur environ 1 020 (9 %) vivant hors du bourg à Ars dans les années 1980, et 108 sur 1737 (6 %) à La Flotte. En effet on peut estimer que, sous l’Ancien Régime, environ 4 000 personnes habitaient les villes de La Flotte et Saint-Martin (la Couarde exclue), soit presque le quart de la population insulaire, auquel il faut ajouter les populations des bourgs de Sainte-Marie, Ars, le Bois, la Couarde, dont on ne connaît pas bien la population au xviiie siècle. On avoisinerait sans doute 50 à 60 %. La concentration de la population actuelle est ici pour partie le produit d’une évolution et non un donné systématique d’emblée. L’essor démographique gonflant la population des bourgs et transformant surtout de gros hameaux réunis en véritables bourgs, puis le développement des villes-ports ne doivent pas masquer que, dans l’île de Ré également, où l’espace était compté, une certaine dispersion a pu être la règle après (ou en parallèle à) la fixation des trois premiers centres.
18Noirmoutier a connu un phénomène du même ordre mais plus limité, avec la première scission de Barbâtre au milieu du Moyen Âge, puis celle de l’Épine à partir de la fin du xviie siècle. Loin de la ville, les habitants de l’Épine et des villages, Bressuire et la Bosse, font construire une chapelle dès 1684, demandent la création d’une petite (9 km2) paroisse distincte de Noirmoutier, l’évêque accordant un chapelain en 1717, mais celle-ci ne devient pas commune à la Révolution18.
19Ces exemples illustrent alors bien la manière dont la trame paroissiale a évolué ici dans les îles du sud et le lien entre accroissement démographique et scissiparité des cellules paroissiales, plus tardif qu’ailleurs en France, jusqu’au xxe siècle, lorsque le tourisme prend le relais des activités traditionnelles en crise pour densifier encore plus le territoire. La partition des trois premières paroisses rétaises des xiie-xiiie siècles a abouti à sept paroisses et bourgs aux xviie-xviiie siècles puis huit communes en 1790, qui n’ont plus que des superficies d’environ 12 km2, et enfin dix communes au début du xxe siècle. En effet les villages d’Ars (La Tricherie, Le Griveau, Le Gilleux, le Chabot), sont regroupés en commune en 1874 sous le nom de Saint-Clément-des-Baleines, et Rivedoux, dont la seigneurie est créée en 1480 et dont le village s’est développé autour du port, se sépare de Sainte-Marie en 192819 Paroisses ou communes créées par démembrement d’une autre et autour d’un ancien hameau devenant bourg existent également dans d’autres îles et se forment encore au xxe siècle. En 1921, Noirmoutier et Barbâtre sont délestées des communes nouvelles de l’Épine et La Guérinière. Dans l’île d’Oléron, en 1949 Le Grand-Village-Plage se détache de Saint-Trojan-les-Bains et en 1951 c’est le cas de La Brée-les-Pins à partir de Saint-Georges20.
*
20Au-delà des contraintes du milieu et des modalités diverses de peuplement, la mise en valeur rurale de la quasi-totalité des îles depuis le Moyen Age a donc eu pour corollaire la dispersion de l’habitat au cœur des finages villageois. La croissance démographique et les modifications économiques ont ensuite pu amener, en particulier dans les îles du sud, une modification de la géographie initiale. Que ce soit à Groix ou Yeu, avec le développement d’un site portuaire, ou dans les îles picto-charentaises, certains villages y sont alors devenus aussi importants que le bourg, se transformant parfois même dans ces dernières îles en nouveaux centres paroissiaux puis communaux jusqu’au milieu du xxe siècle, mais sans toutefois que le schéma initial et médiéval d’organisation de l’espace soit véritablement remis en question. L’évolution actuelle est cependant, comme partout, celle d’une urbanisation croissante, au-delà des seuls bourgs, et celle-ci s’accompagne à Belle-Ile ou ailleurs d’une extension spatiale des hameaux, parfois de corridors bâtis les joignant les aux autres et toujours du mitage progressif des espaces végétaux entre les hameaux21. Dans le sud il y a certes une certaine continuité avec les phases de densification antérieure de l’habitat qui ont fait régresser l’habitat dispersé, mais le risque aujourd’hui est celui d’une disparition générale de celui-ci dans les îles les plus touristiques. Cet habitat dispersé des îles du Ponant était un héritage millénaire, un patrimoine légué par quelques dizaines de milliers de paysans et attestant de l’Histoire rurale des lies. Alors que le tourisme est devenu une monoactivité, les Plans paysage et autres classements en Zones de Protection du Patrimoine Architectural Urbain et Paysager (zppaup) réussiront-ils à préserver ce qui reste encore de la géographie traditionnelle de l’habitat insulaire ? On peut en douter.
Notes de bas de page
1 Louis Brigand, Les îles du Ponant. Histoires et géographie des îles et archipels de la Manche et de l’Atlantique, Plomelin, éd. Palantines, 2002, p. 380-385. Dominique Guillemet, Les îles du Ponant, de Bréhat à Oléron. du Moyen Age à la Révolution, La Crèche, Gestes Éditions, 2000, p. 41-49.
2 Pour la distinction bourg / village-hameau, on se reportera aux analyses déjà anciennes de R. Flatrés, « Les structures rurales du Sud-Finistère d’après les cadastres anciens », Norois, 1957, p. 353-367 et 425-453, mais surtout aux mises au points récentes de Daniel Pichot : « L’individu et la communauté dans les villages de l’Ouest français (XIe-XIIIe siècles) », dans : Campagnes de l’Ouest. Stratigraphie et relations sodales dans l’histoire, Annie Antoine, dir., Rennes, PUR, 1999, p. 201-220.
3 André Meynier et alii, « La carte, instrument de recherche : les communes de France », Annales, Économie, Sociétés, Civilisations, 1958, n° 3.
4 Pour ne pas alourdir cet article, nous renvoyons aux cartes de synthèse publiées dans notre ouvrage : Noirmoutier p. 40, Belle-Île p. 44, Groix p. 46, île d’Yeu p. 47, Batz p. 49, Ré p. 53 et Oléron p. 57.
5 Arch. dép. de Vendée 7 M 5, cité par Bernard Pénisson, « Quelques aspects de la population de l’île de Noirmoutier (1801 -1815) », DES Poitiers, 1963, p. 24.
6 Christian Cam, Batz au xviiie siècle. Aspects démographiques, sociaux et économiques d’une île bretonne de 1700 à 1789, mémoire de maîtrise, Université de Bretagne occidentale, 1985, 2 t., 87 et 431 p.
7 Jean Bulot, L’île des capitaines, Chronique maritime et sociale d’une île du Ponant du xviie au xxe siècle, Auray, 1988, p. 23 et 36.
8 Pierre. Dalido, « L’île aux Moines pendant la guerre de Sept ans, étude socio-démographique», 107e Congrès nat. des Soc. sav., Brest, 1982, t. Il, p. 259.
9 C’est la position du géographe Jean Renard dans son analyse des campagnes de Loire-Atlantique : cité par Daniel Pichot, art. cité, p. 205.
10 Dominique Guillemet, Insularité et archaïsme. Paysans et seigneurs à Belle-île-en-Mer, vers 1660-1760, thèse de l’Université de Poitiers, 1987, 3 volumes, 726 pages, la partie concernant la genèse de l’habitat étant synthétisée dans « Aux origines des paysages et de l’organisation traditionnelle de l’espace bellilois », Penn ar Bed (Société pour l’étude et la protection de la nature en Bretagne), n° 176-177 spécial Belle-île-en-Mer, mars-juin 2000, p. 25-36 et Les îles du Ponant... op. cit., p. 45.
11 Le tableau et la chronologie des mutations de l’habitat sont tirés des synthèses communales présentées dans l’Inventaire général des monuments : cantons de l’île de Ré, Paris, Imprimerie nationale, 1979, 695 p. et des travaux de Pierre Tardy (par exemple Cahiers de la Mémoire, n° 69).
12 Pierr-Philippe Robert, Jacques Boucard et al., « Un habitat médiéval, Le Bois-en-Ré », Cahiers de la Mémoire, n°3,1981, 24 p.
13 Claude Bouhier, Noirmoutier à travers les siècles, Beauvoir-sur-mer, Ed de l’Etrave, 1998, 98 p.
14 Arch. dép. de Vendée, 7 M 5, cité par B. Pénisson, p. 24.
15 André Debord, La société laïque dans les pays de la Charente, XP-xiiie siècles, 1984, 585 p. ; Luc Laporte et al., « Inventaire archéologique de l’île Oléron premiers résultats », AMARAI, n° 8,1995, p. 5-19.
16 L’île d’Oléron, Image du patrimoine, p 11; Yves Rebouleau, « L’architecture rurale de l’île d’Oléron », Les Cahiers d’Oléron, n° 15,1993.
17 Les données démographiques connues à partir de la fin du xviie siècle montrent pour les îles du sud une croissance continue jusqu’au début du xixe siècle, avec des densités égales ou supérieures à 100 voire 200 hab./km2, seulement permises ailleurs – et encore pas à Belle-Île – par la maritimisation de l’époque moderne génératrice de cycles démographiques.
18 . Francis Ganachaud, « La naisssance d’une paroisse, L’Épine », Lettre aux Amis de Noirmoutier, n° 14, p. 4-8 ; Commard De Puylorson, Histoire de Noirmoutier, 1767, Noirmoutier, Les Amis de l’Île de Noirmoutier, 1994, p. 27.
19 Philippe Hercule, Paroisses et communes de France. Dictionnaire d’histoire administrative et démographique, Charente-Maritime, Paris, CNRS, 1985,628 p.
20 Sur quatorze communes créées par démembrements de plus grandes en Charente-Maritime et Vendée aux XIXe et xxe siècles, dix sont en zone littorale dont six dans les îles. C’est la marque d’un monde plein, issue de la poursuite d’un processus multiséculaire de croissance d’un certain nombre de hameaux.
21 Louis Brigand, Les Îles du Ponant.... op. cit., p. 394-397.
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Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008