Introduction
p. 15-53
Texte intégral
1Benoît Jeanjean et Bertrand Lançon1
2Le lecteur s’étonnera peut-être de ne trouver ici que la Chronique de Jérôme qui couvre les années 326-378, alors que celle-ci constitue la continuation de la Chronique d’Eusèbe de Césarée traduite et complétée par Jérôme et couvrant l’histoire du monde depuis la naissance d’Abraham jusqu’à la vingtième année de règne de Constantin. Le choix de nous limiter à cette seule continuation résulte d’un double constat : en premier lieu, la décision de Jérôme de prolonger de sa propre main la chronique grecque qu’il venait de traduire a donné l’impulsion à la tradition des chroniques latines qui s’est au moins maintenue jusqu’au cœur du Moyen Âge et qui repose sur le principe même de continuation2. En second lieu, la Chronique proprement hiéronymienne possède une unité certaine, voire une intensité dramatique savamment ménagée, à travers les lignes de force qui s’en dégagent – notamment la présentation des péripéties de la crise arienne –, même si son style est tributaire de celui adopté par Eusèbe dans son propre ouvrage. Forts de ce double constat, nous avons choisi de ne présenter ici que la continuation hiéronymienne de la Chronique d’Eusèbe, comme témoignage de la première pierre apportée par un écrivain latin à l’édification d’une Histoire continue et universelle3.
3Toutefois, le souci de replacer cette continuation dans son contexte nous a amenés à la faire précéder des deux préfaces qui exposent les projets respectifs de Jérôme et d’Eusèbe. On trouvera donc successivement la préface de Jérôme à sa traduction et à sa continuation de la Chronique d’Eusèbe, puis la préface d’Eusèbe à sa propre Chronique, dans la traduction qu’en a donnée Jérôme. La préface de Jérôme est le lieu d’une riche réflexion sur l’art et la difficulté de traduire, d’autant plus précieuse qu’elle émane d’un homme « trilingue » (homo trilinguis) selon sa propre expression4. À cette réflexion s’ajoute une présentation de sa méthode de travail et de la part personnelle (ajouts et continuation) qu’il a apportée au texte d’Eusèbe5. La préface d’Eusèbe, quant à elle, manifeste pleinement l’importance que celui-ci accordait à l’établissement de synchronismes précis entre l’histoire sacrée et celle des différentes nations païennes. On y suit pas à pas la démonstration par laquelle Eusèbe fixe le début de sa chronique à la naissance d’Abraham qu’il situe sous le règne des Assyriens Ninus et Sémiramis, du Sicyonien Europs et sous la 16e dynastie thébaine en Égypte. Cette démonstration qui repose sur un décompte scrupuleux des années depuis la 15e année de l’empereur Tibère, année du début de la prédication du Christ, n’en revêt pas moins un caractère apologétique, puisqu’elle vise à prouver l’antériorité de Moïse et du monothéisme sur les principaux cultes païens6.
Le genre des Chroniques
Les œuvres chronographiques avant les Chroniques d’Eusèbe
4La Chronique d’Eusèbe n’est cependant pas la première œuvre chronographique chrétienne en langue grecque et il convient de rappeler quelles furent les premières tentatives pour inscrire l’histoire chrétienne dans l’histoire du monde. C’est vers 180 que l’évêque Théophile d’Antioche composa un ouvrage apologétique adressé au païen Autolycus, l’Ad Autolycum, dans lequel on trouve une démonstration de l’antiquité de la religion chrétienne et de son fondement, la Bible7. Pour cela, il établit une chronologie de l’histoire du monde depuis Adam jusqu’à la mort de Marc Aurèle (180 apr. J.-C.). Au siècle suivant, Sextus Julius Africanus, dit Jules Africain, écrivit les cinq livres de ses Chronographies dans lesquelles il met en parallèle l’histoire juive et l’histoire grecque depuis la création jusqu’à l’an 221, 4e année du règne d’Élagabal. Il se place dans une perspective millénariste en considérant que le monde doit durer six mille ans avant le retour du Christ pour un règne terrestre de mille ans. Son ouvrage est perdu, mais il a pu servir de source à Hippolyte pour la composition des cinq livres de ses Chroniques qui vont de la création du monde jusqu’à la fin du règne de Septime Sévère (235 apr. J.-C.). Il ne nous reste que quelques fragments du texte grec, mais l’œuvre est parvenue jusqu’à nous dans ses versions latines et arméniennes.
5Ces différentes entreprises chronographiques apparaissent comme de simples ébauches au regard de l’œuvre dans laquelle Eusèbe de Césarée reprend l’histoire de l’ensemble des différentes nations connues avant de présenter, sous la forme de tables synchroniques, disposées en colonnes parallèles, les principaux événements d’une histoire devenue universelle. Il rejette la conception millénariste de ses prédécesseurs et adopte une attitude nettement plus historique en prenant comme point de départ non pas Adam, pour lequel n’existe aucun moyen de datation comparée avec l’histoire des différentes nations, mais Abraham et les rois contemporains des nations assyrienne, sicyonienne et égyptienne. Il faut nettement distinguer dans ce qu’on a coutume d’appeler globalement la Chronique d’Eusèbe, la Chronographie, qui reprend séparément l’histoire et le système chronologique de chaque nation, et les Canons chronologiques, qualifiés indifféremment de Canons ou de Chroniques, selon les auteurs. Ces Canons ou Chroniques, consistant dans la présentation synchronique des principaux événements de l’histoire du monde, sont la seule partie de la Chronique d’Eusèbe à avoir été traduite par Jérôme qui a laissé de côté la Chrono graphie. Aussi présente-t-on souvent la traduction et la continuation de Jérôme sous le nom de Chronique d’Eusèbe-Jérôme. Ce choix de ne pas traduire la Chrono graphie explique pourquoi c’est plus la démarche idéologique, voire théologique, d’Eusèbe que sa démarche historique qui s’est transmise à l’Occident8.
Harmonisation des computs et système de datation dans la Chronique d’Eusèbe-Jérôme
6La grande richesse et la grande innovation d’Eusèbe consistent dans l’harmonisation des différents types de computs dont s’étaient servi les historiens antérieurs. Ainsi, les Chroniques présentent conjointement trois types de computs : un décompte des années depuis la naissance d’Abraham située en 2016 av. J.-C. (années signalées par décades et aboutissant à 2390 années en 374 apr. J.-C., ce qui donne un total de 2394 années de la naissance d’Abraham à la mort de Valens9) ; un décompte par olympiades (signalées tous les quatre ans à partir de 776 av. J.-C., année de la première olympiade, ce qui place la fin de la Chronique dans la seconde année de la 289e olympiade) ; un décompte par année de règne du prince régnant sur chaque nation. On retrouve ces trois types de computs dans la continuation de Jérôme. Comme celle-ci couvre une période où l’Empire romain englobe toutes les nations, seule l’année de règne de l’empereur apparaît en plus des années d’Abraham et des olympiades. Selon une pratique calquée sur la désignation des consuls sous la République romaine, Jérôme ne compte la première année de règne d’un empereur qu’à partir du 1er janvier qui suit sa nomination comme Auguste, ce qui crée un léger flottement dans la datation des événements survenus entre le décès d’un empereur et le 1er janvier suivant, début de la première année de règne de son successeur10. De plus, Jérôme considère comme un seul et même règne celui des empereurs d’Occident et d’Orient et poursuit le décompte des années de ce règne jusqu’à la mort 8du dernier des empereurs. Ainsi le règne des fils de Constantin ne s’achève qu’à la mort de Constance II, et celui de Valentinien et Valens se prolonge jusqu’à la mort de ce dernier, trois ans après celle de Valentinien. Les éditeurs modernes ont jugé utile de compléter ce système de datation en lui ajoutant le décompte des années selon l’ère chrétienne qui ne se généralisa en Occident qu’à partir du viie siècle11, nous les avons bien sûr suivis en faisant figurer l’année du Seigneur » (a.D. = anno Domini) en marge de notre traduction.
Jérôme jusqu’à la Chronique
7Jérôme est né vers 347 à Stridon, aux confins de la Dalmatie et de la Pannonie. Vers l’âge de 12 ans, il est envoyé à Rome pour poursuivre ses études auprès des meilleurs professeurs du moment. C’est là qu’il suit les cours du célèbre grammairien Donat et qu’il reçoit également le baptême.
8Vers 367, au terme du cycle complet des études libérales, il part pour Trèves, dans le but probable de faire carrière dans l’administration impériale. Il y découvre, en compagnie de son ami d’enfance Bonose, l’idéal de vie ascétique que l’évêque Athanase d’Alexandrie avait contribué à diffuser lors de son premier exil sous l’empereur Constantin et que sa Vie d’Antoine, traduite en latin, avait largement popularisé. Converti à cet idéal, Jérôme regagne la Haute Italie où il fait une première expérience de vie monastique en relation avec des clercs d’Aquilée et leur évêque Valérien. Vers 373, il quitte ce « choeur des bienheureux » pour gagner l’Orient et Antioche où il bénéficie de la protection d’Évagre, un aristocrate antiochien, familier de l’empereur Valentinien. Quittant cette ville pour le désert de Chalcis tout proche, il tente d’y vivre la vie des ascètes du désert. Son expérience ne dure cependant que deux ans (375-377), car elle ne résiste pas aux querelles doctrinales qui agitent les chrétiens d’Antioche, alors partagés entre quatre communautés dont trois se réclament du parti catholique. Les moines orientaux soupçonnent en effet leur nouveau compagnon de dissimuler des tendances monarchianistes derrière son refus de confesser trois hypostases divines. Comme Jérôme tient le terme d’hypostasis pour synonyme d’ousia (substance), il refuse de se plier aux instances de ces derniers qu’il considère comme des ariens, puisqu’ils professent trois hypostases divines là où lui ne confesse qu’une seule et unique substance divine12. Querelle de termes, certes, mais aussi querelle linguistique qui résume toute la difficulté du dialogue entre orientaux grecs et occidentaux latins tout au long de la crise arienne du IVe siècle. Dépité par ces interminables disputes qui transforment sa retraite en enfer, Jérôme regagne Antioche où il approfondit ses connaissances exégétiques en se mettant à l’école d’Apollinaire de Laodicée. C’est au cours de ce second séjour antiochien qu’il est ordonné prêtre par Paulin, l’évêque du parti ultra-nicéen, reconnu comme évêque légitime d’Antioche par l’évêque de Rome Damase. Ces expériences, liées à ce qu’on appellerait volontiers « les années de formation » de Jérôme, trouvent pour la plupart un écho dans la continuation de la Chronique dont les harmoniques sont souvent biographiques.
9Dans le courant de l’année 379, Jérôme quitte la Syrie pour se rendre à Constantinople où il est introduit dans l’entourage du nouvel évêque, Grégoire de Nazianze. Celui-ci complète sa formation exégétique en lui faisant découvrir l’œuvre d’Origène. Mais il est aussi un ardent défenseur de la foi de Nicée et c’est vraisemblablement sous son impulsion que Jérôme traduit et prolonge la Chronique d’Eusèbe. Celle-ci répond en effet à une double nécessité. Nécessité exégétique, d’abord, puisqu’elle permet de situer dans le temps les événements de l’histoire sacrée, telle qu’on la trouve dans la Bible ; nécessité théologique, ensuite, puisqu’elle met en relief l’antériorité de la vraie foi sur l’erreur et la déviance que constituent le paganisme et l’hérésie. La continuation de la Chronique contient même une véritable épopée de la foi de Nicée dont les héros, persécutés par l’empereur arien Constance II, triomphent finalement de leurs épreuves pour restaurer la foi authentique.
Proposition de datation de la Chronique
10On considère généralement que Jérôme traduisit la Chronique d’Eusèbe, la compléta et la publia dans les années 380-381, au cours de son séjour constantinopolitain13. Cette datation a été mise en cause par Albert Grisart dans un article paru en 196214. Dans celui-ci, Grisart survalorise le fameux songe de Jérôme en estimant qu’il ne pouvait faillir à son serment de ne plus fréquenter la littérature profane15. Il commet en outre un malencontreux contre sens en estimant que les chroniques d’Eusèbe et de Jérôme seraient des œuvres profanes. Qui songerait en effet à nier que ces livres ressortissent à l’Histoire ecclésiastique, tant le projet chrétien y transparaît ? Selon Grisart, Jérôme aurait, dans un premier temps, hâtivement dicté sa Chronique, soit lors de son séjour à Trèves dans les années 368-371, soit à Aquilée entre 371 et 374; puis, il l’aurait publiée vers 380 à Constantinople.
11Mais il n’avance aucune preuve convaincante ni sérieuse. Il est clair que si Rufin n’a pas cité la Chronique comme preuve à charge pour confondre Jérôme16, c’est qu’il ne considérait pas l’ouvrage comme profane. On voit mal, en outre, pourquoi il y aurait eu un tel hiatus entre rédaction et publication.
12Il y eut ensuite d’autres propositions de datation. Dans le désert de Chalcis vers 374-376 pour J. Ziegler et W. Sontheimer, auteurs de la notice sur Jérôme dans le Kleine Pauly publié en 196417.
13En dépit d’arguments parfois plausibles, voire séduisants, ces hypothèses ne résistent pas au crible de l’examen complet des indices disséminés dans l’œuvre.
Première certitude : la Chronique fut rédigée après le 9 août 378
14L’indication décisive est bien sûr le terminus a quo de la Chronique : l’année du sixième consulat de Valens et du deuxième de Valentinien II, qui est 37818. La notice par laquelle Jérôme choisit19 de clore son ouvrage est consacrée à la bataille d’Andrinople et à la disparition de l’empereur Valens, brûlé dans une petite maison alors qu’il fuyait le combat (9 août 378).
Deuxième certitude : elle fut rédigée après le 19 janvier 379 et avant le 25 août 383
15La fin de la préface de Jérôme est explicite : alors qu’il écrit ce texte et publie sa Chronique, les empereurs Gratien et Théodose sont vivants20. Une autre preuve s’y ajoute dans la notice consacrée à l’année 359 (f) : Jérôme y mentionne la naissance de Gratien, « qui nunc imperator est ». L’adverbe nunc fait évidemment référence au moment où Jérôme dicte sa Chronique.
16Il est curieux que Grisart n’ait pas relevé ce passage pour étayer sa thèse. En effet, Gratien fut nommé Auguste par son père, le 24 août 367, aussitôt après que celui-ci se fut relevé d’une grave maladie21. Cependant, dans cette notice, Jérôme ne fait pas allusion à une proclamation récente, mais se contente de mentionner l’année de la naissance de l’imperator régnant. De plus, Gratien ne devint pas premier Auguste à la mort de son père, le 17 novembre 375, mais à la mort de son oncle Valens le 9 août 378. Son jeune demi-frère, Valentinien II, lui fut adjoint avec le même titre.
17La préface mentionne aussi Théodose. Celui-ci fut nommé Auguste par Gratien le 19 janvier 37922, à Sirmium. Cette mention place donc obligatoirement la rédaction de la Chronique de Jérôme après cette date. Gratien, quant à lui, fut assassiné à Lyon par Andragath, magister equitum de l’usurpateur Maxime, le 25 août 38323. Comme il régnait au moment de la rédaction, celle-ci est forcément antérieure à cette date.
18Ceci étant, la dernière phrase de la préface apporte encore une précision d’importance. Jérôme y dit en effet implicitement qu’il aurait pu continuer sa chronique par le début du règne conjoint de Gratien et Théodose, mais qu’il a délibérément choisi de réserver à celui-ci un livre ultérieur (quo fine contentus reliquum temporis Gratiani et Theodosii latioris historiae stilo reseruaui). Il annonçait là un livre qu’il n’écrivit jamais24. Ce passage prouve que Jérôme n’écrivit pas sa Chronique immédiatement après le début du règne conjoint des deux empereurs, mais qu’il passa un peu de temps avant de le faire. Un peu, mais pas assez encore pour alimenter le livre annoncé.
19Sur ce point, le raisonnement de Donalson est juste, mais s’appuie sur une traduction imparfaite de reliquum temporis Gratiani et Theodosii dans cette phrase25. Il le traduit en effet par « remainder of the time of Gratian and Theodosius », qui signifie « le reste du temps de Gratien et Théodose ». Cela n’a pas de sens pour deux raisons. La première est que, comme on le sait, Gratien et Théodose étaient vivants lorsque Jérôme écrivit sa Chronique : il ignorait donc le terme du règne conjoint des deux princes (i. e. 383). La seconde est que, ce règne ayant commencé en janvier 379, et la Chronique s’achevant en 378, l’expression « reste du temps… » est absurde, car elle impliquerait que Jérôme ait rendu compte du début du règne dans sa Chronique pour en réserver le « reste » à un livre plus ample. De toute évidence il faut traduire reliquum temporis Gratiani et Theodosii par « le reste qui est constitué par l’époque de Gratien et Théodose26 ».
Une rédaction avant le 3 octobre 382? avant le 10 janvier 381? avant l’été 380?
20Une autre précision nous est fournie implicitement par Jérôme dans la dernière phrase de sa préface. Venant de dire qu’il publiait son livre sous le règne de Gratien et Théodose, il ajoute que « parce que les barbares donnent encore libre cours à leur rage dans nos contrées tout demeure incertain (incerta sunt omnia)27 ». Il s’agit bien entendu des suites de la bataille d’Andrinople. L’expression « nos contrées » (terra nostra) indique sans ambiguïté le diocèse thrace, où la situation était très troublée du fait des Goths, en 380-381, époque du séjour de Jérôme à Constantinople28.
21Comme le soulignait Emilienne Demougeot, on connaît malheureusement assez mal les événements des années 378-382 dans les Balkans29. On sait que trois événements contribuèrent à apaiser la situation. D’abord une trêve conclue entre Gratien et les Goths durant l’été 380; ensuite la visite à Constantinople d’Athanaric que Théodose reçut en janvier 381 avec des honneurs dignes d’un roi30. Enfin, un foedus fut conclu entre Théodose et les Goths le 3 octobre 38231. Pour quelle hypothèse pencher ? La dernière date rejoindrait une hypothèse récemment émise par Stéphane Ratti qui pense que la Chronique aurait été achevée à Rome à la fin de l’année 382 en se fondant sur le fait que, dans sa traduction d’Eusèbe, Jérôme semble apporter un soin tout particulier à mentionner les châtiments de Vestales corrompues, soin qui serait à mettre en relation avec les mesures contre les païens prises à l’automne 382 par l’empereur Gratien – mesures comprenant la suppression des immunités dont bénéficiaient les Vestales32 –. L’insistance de Jérôme à souligner les manquements de plusieurs Vestales à la règle de chasteté serait ainsi une forme de soutien indirect et d’approbation de la politique religieuse de l’empereur. Mais elle peut fort bien être disjointe de l’édit contre les Vestales33.
22Cependant, différents éléments viennent contredire cette hypothèse et incitent à resserrer davantage la fourchette dans laquelle Jérôme a pu composer la Chronique.
23Un premier élément permet de penser que la Chronique fut rédigée par Jérôme avant le concile de Constantinople, qui se tint entre mai et début juillet 381. Il se trouve dans la notice de 342 (h), où Jérôme évoque l’accession de Macedonius au siège épiscopal de Constantinople : on y lit en effet que l’hérésie macédonienne sévit « aujourd’hui (nunc) ». Cela signifie, avec une forte probabilité, que Jérôme rédigea ces lignes à un moment où les macédoniens n’avaient pas encore été officiellement condamnés ; or on sait que cette condamnation constitua une bonne part des travaux du concile.
24La notice de 337 (a) évoquant le baptême arien de Constantin « extremo uitae suae tempore » nous apporte un autre élément de réponse. Jérôme y précise que ce baptême constitua « l’origine de l’occupation des églises et de la discorde universelle que l’on constate encore à présent » (usque in praesens tempus). Il paraît clair que l’occupation des églises est celle des églises de Constantinople par les ariens. Et ce passage indique que, au moment où Jérôme écrivait sa chronique, ces églises étaient encore tenues par les ariens : ce qu’il a sans doute constaté lui-même au début de son séjour constantinopolitain. Or, nous savons par Marcellin que ces églises furent rendues aux catholiques par Théodose lors de son arrivée à Constantinople34. Marcellin indique qu’il le fit après avoir vaincu les Scythes, c’est-à-dire les Goths. On sait que Théodose était tombé gravement malade au début de l’automne 380, et que les Goths en avaient profité pour s’agiter en Épire sous la conduite de Fritigern, un des vainqueurs d’Andrinople, et en Illyricum, sous celle d’Alatheus et Saphrax. Théodose fut de retour à Constantinople en novembre 380, le 15 ou le 24 selon les sources35. La restitution des églises eut lieu le 26 novembre selon Socrate, au mois de décembre d’après Marcellin36. Théodose remit alors l’église des Saints-Apôtres à Grégoire de Nazianze. L’édit du 10 janvier 381 ordonna ensuite que toutes les églises fussent remises aux catholiques37. La notice hiéronymienne de 337 semble donc indiquer que la rédaction de la Chronique fut antérieure à la restitution des églises donc antérieure, sinon à novembre 380, du moins au 10 janvier 381. Ce qui correspond bien à une période d’agitation gothique en Thrace.
25Un indice extérieur à la Chronique vient confirmer cette fourchette. On le trouve dans la Lettre 18A où Jérôme, commentant une vision du prophète Isaïe, renvoie son lecteur à la Chronique pour situer Isaïe dans l’histoire universelle38. Or, F. Cavallera date cette lettre de 38039. C’est donc avant la fin 380, et vraisemblablement avant novembre, qu’il faut placer la rédaction de la Chronique.
26Il est possible d’affiner encore cette hypothèse de datation. Jérôme en effet pouvait difficilement ignorer l’accord conclu par Gratien et les Goths à la fin de l’été 380, accord qui leur permit de s’installer en Mésie. Il est donc permis d’envisager une rédaction de la Chronique antérieure à l’été 380. On ajoutera que, dans la notice consacrée au baptême arien de Constantin, Jérôme déplore la « discorde universelle » qui s’en est suivi, et qui dure encore. La tentation est grande d’y voir un texte rédigé avant l’édit de Thessalonique du 28 février 380, par lequel les empereurs demandèrent à l’ensemble des populations de l’Empire d’embrasser la religion de Damase de Rome et de Pierre d’Alexandrie40 et dénièrent le nom d’églises aux réunions des hérétiques41. La discordia évoquée par Jérôme pourrait en effet renvoyer à un temps antérieur à cette mise en ordre impériale. D’ailleurs, dans l’ultime phrase de sa préface, Jérôme laisse entendre qu’il ne craindrait pas d’adresser des critiques aux empereurs régnants (non quo de uiuentibus timuerim libere et uere scribere). Si donc il se montre quelque peu réservé vis-à-vis des princes régnants, il est permis de supposer que c’est parce qu’au moment où il publiait sa Chronique, ceux-ci n’avaient pas encore témoigné de manière éclatante de leur engagement en faveur de l’orthodoxie nicéenne. La première proscription de l’hérésie par Gratien date du 3 août 37942. Quant à Théodose, il ne fut baptisé qu’au cours de sa maladie, à Thessalonique, par l’évêque nicéen Acholius, en février 380 selon Sozomène43.
27Enfin, la période du règne où Jérôme aurait pu se montrer critique s’achève entre les édits du 3 août 379 et du 28 février 380, ce dernier étant prononcé peu après le baptême orthodoxe de Théodose. C’est en effet pendant une période d’incertitude militaire mais aussi religieuse que Jérôme, de toute évidence, publia son livre.
Une rédaction après le 21 avril 379?
28Jérôme a pu constater personnellement à Constantinople les manifestations de la « discorde universelle » dont fait état la notice consacrée au baptême arien de Constantin (337). Ainsi l’oratoire de l’Anastasis, où Grégoire de Nazianze avait l’habitude de prêcher depuis son arrivée au siège épiscopal de la ville, fut envahi par les ariens le 21 avril 379, alors que l’évêque y célébrait la Vigile de Pâques. Or Jérôme, qui est arrivé à Constantinople dans le courant de l’année 37944, ne devait pas se trouver dans la capitale lorsque ce coup de force eut lieu. On sait en effet que pendant son séjour, il fréquenta assidûment Grégoire et prit des leçons auprès de lui.
29S’il s’était alors trouvé à Constantinople, il aurait immanquablement été témoin de l’événement et en aurait été suffisamment marqué pour le mentionner par la suite ; or, il n’y fait allusion dans aucune de ses œuvres ultérieures où il ne se prive pourtant pas de rappeler à l’occasion ses relations avec Grégoire45.
Bilan
30Compte tenu des différents indices dont nous disposons, la date la plus vraisemblable de la rédaction de la Chronique serait entre le printemps de l’année 379 et novembre 380, date de la restitution de l’église des Saints-Apôtres à Grégoire de Nazianze, corroborée par le renvoi à la Chronique dans la Lettre 18A de Jérôme. Mais il n’est pas interdit de penser qu’elle a pu être achevée avant l’édit de Thessalonique du 28 février 380 qui marque clairement la volonté des deux empereurs de mettre un terme à la « discorde universelle » déplorée par Jérôme.
Unité et diversité de la Chronique de Jérôme
31Au premier regard, la continuation de la Chronique d’Eusèbe par Jérôme apparaît comme le règne de la diversité. Les notices qui s’y succèdent portent sur des faits et des événements de natures fort diverses, sans rapports directs les uns avec les autres, en un mélange pour le moins éclectique.
32Prenons, à titre d’exemple les notices des années 327-328 sur lesquelles commence la Chronique proprement hiéronymienne. Pour 327, on trouve successivement une notice « littéraire » avec la présentation du rhéteur Arnobe de Sicca, deux notices « architecturales » avec l’évocation des travaux de reconstruction de la ville de Drépane et le début de la construction de l’église « dorée » à Antioche. Si l’on poursuit avec l’année 328, on trouve une intrigue de palais, avec le meurtre de Fausta, sur ordre de son mari, l’empereur Constantin, et une notice hérésiologique avec la mention succincte de Donat et des donatistes. La succession de ces notices est bien disparate et laisse sur sa faim l’historien désireux de trouver une interprétation des événements. On pourrait ajouter encore les guerres récurrentes contre les Perses ou les Goths, les tremblements de terre, épidémies et autres éclipses pour ajouter à l’impression de confusion générale ; mais ce serait aller bien vite en besogne et manquer de recul, car il faut sortir du détail des notices particulières pour voir se dessiner, à l’échelle des décades, voire des règnes des empereurs, des lignes de force qui permettent de saisir la vision du chronographe sur les événements qu’il rapporte.
33Il n’est pas forcément aisé de répartir sous des rubriques distinctes les 147 notices que comprend la Chronique de Jérôme, car nombre d’entre elles ressortissent conjointement à plusieurs thématiques. Prenons, par exemple, la notice qui présente l’exil des nicéens au lendemain du concile de Milan en 355 :
« Eusèbe, évêque de Verceil, Lucifer et Denys, évêques des églises de Cagliari et de Milan, ainsi que le prêtre romain Pancrace et le diacre Hilaire sont condamnés à l’exil dans des lieux éloignés les uns des autres par les ariens et Constance46. »
34Elle présente des informations touchant à l’action de l’empereur Constance, à la biographie de trois évêques et de deux membres du petit clergé, à l’action des ariens et l’expansion de leur hérésie, ainsi qu’à la persécution de représentants de l’orthodoxie nicéenne47. Mais à trop vouloir distinguer, on en arrive à s’égarer dans les détails et à perdre de vue l’objet principal de la notice qui porte avant tout sur l’une des péripéties de la crise arienne. De plus, à multiplier à l’extrême les angles de vue, on gauchit aussi la vision d’ensemble de la Chronique et on gonfle l’importance de certaines thématiques48. Aussi convient-il de proposer des rubriques thématiques assez larges, qui puissent rendre compte de « la structure polyphonique » de « la réalité historique », pour reprendre une expression d’Henri-Irénée Marrou à propos des péripéties de la crise arienne49.
35Nous avons ainsi défini les six rubriques suivantes qui permettent d’englober l’ensemble des notices de la Chronique en évitant, autant que possible, de compter une même notice dans plusieurs rubriques :
- Histoire ecclésiastique (67 notices mentionnant les hérésies, la politique religieuse des empereurs, les conciles, les successions épiscopales, l’émergence du fait monastique, les dédicaces d’églises, les œuvres des écrivains ecclésiastiques) ;
- Politique intérieure (39 notices mentionnant le règne des empereurs, leur accession à l’Augustat, leur mort, la nomination des Césars, des hauts fonctionnaires – préfets du prétoire des Gaules, préfets de la ville de Constantinople, consuls –, les complots pour la succession à l’Empire, la mise au pas de l’aristocratie, les tentatives d’usurpation, le gouvernement des provinces) ;
- Politique extérieure et guerres (22 notices mentionnant les relations avec les Perses, les Goths, les Sarmates, les Francs, les Alamans, les Saxons, les Burgondes, les Saracènes, les Huns) ;
- Vie intellectuelle (20 notices mentionnant les écrivains et leurs œuvres, les rhéteurs, grammairiens, philosophes et orateurs célèbres) ;
- Phénomènes naturels (11 notices mentionnant six tremblements de terre, deux famines, dont une assortie d’une épidémie, une éclipse de soleil, une averse de grêle et une mystérieuse pluie de laine) ;
- Constructions (9 notices mentionnant la construction de deux villes, de cinq églises, d’un port et d’un acqueduc).
36Cette répartition des notices n’empêche pas quelques chevauchements50.
37Ainsi, les œuvres de certains écrivains ecclésiastiques sont indissociables des querelles doctrinales et ressortissent à l’histoire ecclésiastique autant qu’à la vie intellectuelle ; de même, les dédicaces d’églises ou de sanctuaires sont à la fois moments de la vie ecclésiastique et attestation de constructions ; les morts d’empereurs survenues à la veille ou au cours d’opérations militaires constituent des événements de politique intérieure comme de politique extérieure. Il n’en demeure pas moins que l’histoire qu’offre la Chronique de Jérôme est à dominante ecclésiastique. Le dossier de l’arianisme y est de loin le plus fourni, puisqu’il concerne, à des degrés divers, 33 notices. On notera également le nombre et l’importance des notices consacrées aux successions d’évêques sur les principaux sièges apostoliques – Antioche, Alexandrie, Rome, Jérusalem – et sur le siège nouveau, mais capital, de Constantinople (14 notices). Cette attention portée aux sièges apostoliques trouve son origine dans la Chronique d’Eusèbe pour qui elle constituait un argument en faveur à la fois de la tradition de la prédication apostolique et de l’antériorité de l’Église sur les hérésies.
38L’histoire politique intérieure et extérieure, avec un total de 61 notices, constitue le second thème majeur de la Chronique, dont elle fournit également le cadre chronologique. Les règnes sont en effet clairement balisés par les notices concernant les circonstances du décès d’un empereur et les conditions de nomination de son successeur ; la durée de chaque règne est alors évaluée en années et en mois et constitue, pour ainsi dire, une tête de chapitre.
39La politique extérieure est dominée par deux questions majeures : les relations avec les Perses et avec les Goths. Mais en marge de ces ennemis récurrents, on voit apparaître d’autres peuples qui annoncent déjà – mais à l’insu de Jérôme – le prochain écroulement de l’Empire sous les coups des envahisseurs barbares : les victoires militaires sur les Francs, les Alamans et les Saxons ne sont en fait qu’un répit. Et quelle menace que ces 80 000 Burgondes massés sur la frontière rhénane en 373 ! Même les Huns viennent pointer le bout de leurs lances dans les coulisses de la Chronique, puisqu’ils sont cause de l’entrée des Goths sur le territoire de l’Empire.
40Les 20 notices portant sur la vie intellectuelle constituent un thème secondaire de la Chronique, puisqu’elles recoupent souvent l’histoire ecclésiastique ou la politique intérieure. Elles n’en portent pas moins les germes de l’histoire de la littérature chrétienne que Jérôme réalisera une dizaine d’années plus tard en composant son De uiris illustribus. Quant aux 11 notices mentionnant des phénomènes naturels, elles peuvent sembler incongrues à des lecteurs modernes, peu sensibles à l’interprétation religieuse que les anciens donnaient aux manifestations inexplicables, qu’elles soient étonnantes ou terrifiantes. La briéveté de rigueur dans une chronique explique que Jérôme laisse à son lecteur le soin d’établir lui-même les liens de causalité entre ces manifestations et l’attitude des hommes – en particulier des empereurs – rapportées dans les notices avoisinantes51, mais il laisse parfois entrevoir de tels liens au détour d’une notice particulière.
41C’est le cas pour celle qui mentionne la destruction de Néocésarée, dans le Pont, en 344, dans laquelle il précise que seule l’église échappa à la destruction, épargnant ainsi la vie de l’évêque et des fidèles qui y avaient trouvé refuge52. De là à comprendre que c’est la foi de ces chrétiens qui leur a sauvé la vie, il n’y a qu’un pas qu’il faut s’empresser de franchir.
42Aussi précieuse que soit l’approche thématique de la Chronique pour en dégager les lignes de force, elle n’en interdit pas pour autant d’autres approches. L’une des plus éclairantes pour faire apparaître des éléments d’unité dans cette matière disparate est sans doute l’approche géographique qui permet de mesurer la part faite par Jérôme aux diverses provinces et aux différentes cités. La Chronique traite de façon sensiblement égale les deux parties de l’Empire, puisque 59 notices concernent explicitement l’Occident, quand 72 se rapportent à l’Orient53. Mais cet équilibre apparent masque la part plus importante accordée aux cités orientales. De fait, si Rome est bien représentée avec 15 notices, elle est la seule cité d’Occident à apparaître régulièrement : Milan, Aquilée, Trèves ne sont chacune mentionnées que 2 fois. Les cités d’Orient ont en revanche la part belle : Constantinople apparaît 17 fois, Antioche 10 fois, Alexandrie 5 fois et Jérusalem 3. Ce déséquilibre s’explique en grande partie par la rédaction de la Chronique à Constantinople et par les liens personnels de Jérôme avec la ville et l’église d’Antioche. Outre ces cités, certaines régions jouissent d’un traitement de faveur du fait des événements politiques. Ainsi, les Gaules sont le théâtre de 16 notices qui touchent à trois domaines distincts : les usurpations (de Magnence et de Silvanus), l’exil des évêques nicéens de Trèves, Toulouse et Poitiers, les combats aux frontières contre les incursions barbares. La Mésopotamie, enfin, revient à sept reprises à l’occasion des conflits répétés avec la Perse.
43La récurrence des principales thématiques et de plusieurs aires géographiques invite ainsi le lecteur à s’adapter aux spécificités de la Chronique et à se livrer à une succession de lectures croisées plutôt qu’à une simple lecture suivie. Il doit cependant ne pas négliger l’ordre de présentation des différentes notices dont la proximité est souvent signifiante, comme c’est le cas notamment avec celles qui rapportent des phénomènes naturels.
La question de l’arianisme
44Les rebondissements de la crise arienne constituent, comme nous venons de le voir, la principale thématique de la Chronique, aussi convient-il d’apporter quelques éléments d’éclaircissement qui aideront le lecteur peu familiarisé avec les subtilités de la terminologie trinitaire, à suivre les méandres des polémiques doctrinales et le cours souvent tortueux de leurs répercussions politiques, auxquels font écho de nombreuses notices de Jérôme.
Comment peut-on être arien?
45Le terme d’« arien », pourtant commode d’usage, est un terme piégé. Il trouve, bien sûr, son origine dans la personne d’Arius, prêtre d’Alexandrie, qui, dans le premier tiers du ive siècle, professait l’infériorité ontologique du Logos divin (la personne du Fils) par rapport au Père, seul vrai Dieu.
46Mais il est surtout une création des adversaires d’Arius pour rejeter dans le camp de l’erreur tous ceux qui ne partageaient pas leurs propres positions doctrinales. Un tel recours au nom de l’hérésiarque pour qualifier ses sectateurs réels ou supposés fait partie de l’arsenal hérésiologique traditionnel, mais conduit inévitablement à des identifications abusives et à des condamnations péremptoires. Aussi M. Meslin faisait-il déjà remarquer que le terme était « historiquement erroné » parce il ne pouvait servir qu’à « désigner les opposants à la doctrine nicéenne comme au personnage d’Athanase, sans qu’ils aient été, pour autant, des partisans d’Arius54 ». Ainsi, nombre de ceux que Jérôme qualifie d’« ariens » n’ont jamais souscrit aux thèses les plus radicales de l’hérésiarque. Il suffit de parcourir la notice consacrée aux évêques prétendument « ariens » qui occupèrent le siège d’Antioche à la suite de la déposition d’Eustathe (a. 329, c), ou celle qui rapporte le synode d’Antioche en 364 (notice d), pour juger du parti pris ultra-nicéen de Jérôme. En effet, pour ne prendre qu’un exemple, l’évêque Mélèce d’Antioche, mis en place il est vrai par l’« arien » d’Acace de Césarée, y est systématiquement désigné comme un « arien » puis comme un « macédonien », c’est-à-dire toujours comme un hérétique, alors qu’il se rallia finalement à la formule de foi de Nicée. La charge polémique du terme nous invite donc à nous méfier de son emploi sous la plume de Jérôme et à préciser toute la subtile palette de couleurs doctrinales qu’il recouvre.
47Historiquement, l’arianisme est bien né à Alexandrie, entre 318 et 323, avec la prédication d’Arius qui, dans sa théologie trinitaire, subordonnait la divinité du Fils à celle du Père. La prédication de cette doctrine subordinatianiste suscita rapidement la réaction de l’évêque Alexandre d’Alexandrie qui fit condamner et excommunier Arius et ses partisans – parmi lesquels figuraient deux évêques – par un concile local réunissant des évêques d’Égypte et de Libye. Arius fit cependant appel de cette décision auprès des évêques Eusèbe de Césarée et Eusèbe de Nicomédie qui, comme lui, avaient été élèves du célèbre Lucien d’Antioche. Ceux-ci réunirent à leur tour des synodes qui réhabilitèrent Arius. Ces décisions contradictoires, et les accusations réciproques d’hérésie qui les accompagnaient, suscitèrent en Orient des débats et des polémiques assez vives pour que l’empereur Constantin, soucieux de préserver la paix de l’Église, décide de réunir à Nicée, en 325, un concile oecuménique afin de régler définitivement la question trinitaire et le sort d’Arius. Ce dernier fut condamné à l’exil avec les deux évêques qui avaient déjà été excommuniés par le concile d’Alexandrie. Ces condamnations furent suivies, trois mois plus tard, par celle de trois évêques signataires de la formule de Nicée, Eusèbe de Nicomédie, Théognis de Nicée et Maris de Chalcédoine, qui avaient voulu revenir sur leur signature. Il est vraisemblable que c’est moins la solidarité envers Arius que le souci de ne pas souscrire à une formule de foi qu’ils jugèrent a posteriori hérétique, qui poussa ces trois évêques à se rétracter. En effet, la formule de foi de Nicée – couramment appelée « Credo de Nicée » –, introduit un terme nouveau et non scripturaire pour définir la Trinité divine : selon la formule adoptée par le concile, le Fils est « homoousios » (consubstantiel) au Père.
48C’est sur ce mot – du grec homos (même) et ousia (substance) – bien plus que sur la personne d’Arius, que viennent se cristalliser toutes les passions et toutes les polémiques qui divisent l’Église entre 325 et 381. Ses détracteurs, au premier rang desquels on retrouve Eusèbe de Nicomédie et Eusèbe de Césarée, lui reprochent de renouveler l’hérésie de Sabellius qui, au iiie siècle, professait que le Fils n’était pas une personne distincte du Père, mais n’en était qu’un mode particulier de manifestation55. Comme ces évêques, souvent qualifiés d’« évêques de cour », ont l’oreille de Constantin, ils parviennent à faire déposer ceux de leurs homologues orientaux qui défendent trop ouvertement l’homoousios nicéen. Ainsi Marcel d’Ancyre, condamné pour ses positions jugées sabelliennes, ainsi Eustathe d’Antioche.
49Le cas d’Athanase d’Alexandrie, déposé lors du concile de Tyr en 335, est plus délicat, parce que plus politique ; nous y reviendrons. Pour écarter le terme d’« homoousios », les évêques orientaux groupés autour des positions d’Eusèbe de Nicomédie – d’où l’appellation commode d’« eusébiens » utilisée par leurs adversaires56 et reprise par les historiens – proposent successivement une série de formules de foi où apparaît le terme plus vague d’« homoios » (semblable)57. Ce terme est à l’origine de l’appellation d’« homéens » qui remplace avantageusement celle, plus politique, d’« eusébiens ». Cependant son sens flottant laisse la porte ouverte à une interprétation subordinatianiste – donc arienne –, qui ne fait pas l’unanimité parmi les évêques orientaux.
50Le « front commun anti-sabellien58 » qui s’était formé en Orient aux lendemains du concile de Nicée autour des deux Eusèbes ne résiste pas à ces désaccords internes et l’on voit se dessiner, à partir de 355-356, de nouvelles orientations doctrinales. L’homéisme, toujours très actif et soutenu en Orient par Acace de Césarée et en Occident par les évêques Ursace de Singidunum et Valens de Mursa, conseillers de Constance II en matière religieuse, triomphe momentanément grâce à l’appui de l’empereur, lors du double concile de Rimini et de Séleucie d’Isaurie en 359. Mais il est concurrencé par une tendance radicale de l’arianisme professée par Aétius d’Antioche, puis par son disciple Eunome de Cyzique qui considèrent que le Fils est anomoios (an-homoios = dissemblable) au Père. Ceux qui adhèrent à leurs positions ouvertement subordinatianistes sont qualifiés d’« anoméens » ou d’« eunomiens », selon qu’on considère la doctrine ou son plus illustre promoteur. Une troisième tendance, très nettement hostile au subordinatianisme, mais refusant d’adopter l’homoousios nicéen, se fait jour derrière Basile d’Ancyre. Le synode qu’il réunit à Ancyre à l’occasion de la fête de Pâques 358 forge une nouvelle définition qui présente le Fils comme homoiousios au Père (homoios + ousia = de nature semblable) : seul un iota les distingue de l’orthodoxie nicéenne ! Ce terme d’homoiousios leur vaut l’appellation d’« homéousiens ». C’est à cette dernière tendance que se rattache Macédonius (ou Makédonios), évêque de Constantinople de 341 à 360. Comme son élection s’est faite aux dépens du nicéen Paul, il n’y a pas à s’étonner de voir Jérôme le présenter comme un hérésiarque, promoteur d’une nouvelle forme d’arianisme. La Chronique peut même être tenue pour le premier témoignage d’une telle présentation59. Toutefois, l’identification des positions doctrinales de Macédonius avec l’hérésie des « pneumatomaques » – de pneuma, esprit, et makein, combattre –, qui refusaient de reconnaître la pleine divinité de l’Esprit saint, est une reconstruction hérésiologique à laquelle Jérôme sacrifie également quelques années après la Chronique60.
51Plus encore que les homéousiens, ce sont les homéens qui rejoignent finalement l’orthodoxie nicéenne en reconnaissant le Fils « semblable au Père en toutes choses » (kata panta homoios), selon une formule déjà proposée par le « Credo daté » du 22 mai 359. Ce ralliement à l’orthodoxie d’anciens homéens, parmi lesquels on retrouve Mélèce d’Antioche, suscite cependant une grande méfiance de la part des occidentaux et des alexandrins les plus radicaux. C’est dans leur sillage que se situe Jérôme : son origine occidentale et son attachement à la stricte orthodoxie nicéenne incarnée par Athanase d’Alexandrie et les évêques occidentaux exilés sous Constance II, le poussent à désigner systématiquement sous le nom d’« ariens » tous ceux qui, à quelque degré que ce soit, ont manifesté la moindre réticence à l’égard de l’homoousios ou de son porte-enseigne, Athanase. De tous ceux qu’il qualifie d’« ariens » dans sa Chronique, seuls les anoméens, qui reprennent à leur compte le subordinatianisme explicite d’Arius, méritent réellement le titre. Certes, un certain nombre d’homéens adhèrent plus ou moins à un subordinatianisme latent, mais en souscrivant aux nombreux anathèmes condamnant Arius, ils affichent clairement la distance qu’ils ont prise à l’égard de l’hérésiarque et de ses positions.
Position doctrinale des différents acteurs de la crise arienne cités par la Chronique
52Le cadre de la crise arienne et de ses rebondissements étant posé, il nous semble utile de résumer sous forme de tableau les positions doctrinales des différents acteurs mentionnés par la Chronique. Comme ces positions ont pu varier chez certains, nous avons tenté d’introduire dans notre tableau une dimension dynamique grâce à un système de flèches. Dans la mesure du possible, nous avons privilégié dans notre présentation la tendance à laquelle se rattachent les différents acteurs au moment où ils sont mentionnés par la Chronique. Les noms entre parenthèses sont ceux des évêques dont le rattachement est incertain, faute d’informations plus précises61.
La persécution « arienne » et le cas d’Athanase d’Alexandrie
53Si l’on suit le fil thématique de la crise arienne tout au long de la Chronique, on peut lire celle-ci comme une « histoire de la persécution arienne ». Cette histoire suit une trame chronologique continue, qui tolère cependant quelques anticipations. C’est le cas, en particulier, des trois premières mentions de l’arianisme qui constituent en quelque sorte le programme général des événements dont on trouve le détail dans les notices suivantes. Ainsi la première mention des ariens figure dans la notice de l’année 329 consacrée à la succession d’Eustathe sur le siège d’Antioche62. Elle présente d’emblée la permanence de l’arianisme en Orient en parcourant, depuis « le départ en exil » d’Eustathe « jusqu’à ce jour », plus de cinquante ans d’occupation arienne du siège antiochien. Il en va de même pour la seconde mention des ariens, à l’occasion du baptême de Constantin par Eusèbe de Nicomédie en 337 : Jérôme y présente l’événement comme « l’origine de l’occupation des églises et de la discorde universelle que l’on constate encore à présent63 ». La troisième apparition des ariens est liée à l’entrée en scène de Constance II. La notice de l’année 339 qui stigmatise sa politique pro-arienne apparaît comme le sommaire des exils qui émaillent ensuite son règne, depuis l’exil d’Athanase en 339 jusqu’à celui de Libère en 356.
54Après Athanase, le second à faire les frais de la mise au pas des évêques nicéens orchestrée par le monarque et les ariens est Paul de Constantinople.
55Les trois notices successives qui lui sont consacrées nous apprennent sa destitution par le magister militum Hermogène64, son remplacement par Macédonius65 et son exécution par le praefectus Philippe66. Après une notice consacrée au soutien qu’Athanase, exilé en Occident, trouve auprès de l’évêque Maximin de Trèves67, une autre mentionnant son retour d’exil en 34668 et une troisième signalant l’activité littéraire de l’arien Eusèbe d’Émèse69, deux notices successives abordent la situation de Jérusalem et de Rome. Toutes deux soulignent les intrigues des ariens pour y installer des évêques à leur solde : Cyrille est placé par Acace de Césarée sur le siège de Jérusalem en reniant sa fidélité à l’égard de son prédécesseur Maxime70 ; à Rome, Libère, envoyé en exil par les ariens, est remplacé par Félix qui entraîne dans l’hérésie toute une partie du clergé romain71. Comme déjà dans le cas de la succession antiochienne, ces notices anticipent sur la suite, puisque celle portant sur Jérusalem mentionne le quatrième épiscopat de Cyrille qui ne commença qu’après la mort de Valens, en 378, c’est-à-dire après la fin de la Chronique ; quant à celle qui présente la succession romaine, elle anticipe de près de sept ans sur l’exil de Libère et de près de huit sur son rétablissement. Paradoxalement, l’exil de Libère, qui marque l’achèvement de la mise au pas du clergé occidental par Constance II, est annoncé avant ceux, pourtant antérieurs, des autres évêques indéfectiblement fidèles à Athanase et au credo de Nicée. Mais le rôle de cette notice romaine est également de servir de toile de fond aux dépositions des années 354 à 356 et de montrer l’ampleur de la déroute romaine puisque, contrairement à d’autres, que Jérôme signale par la suite, Libère finit par gagner, sous la pression, le camp arien.
56C’est donc sur fond de désastre annoncé que s’enchaînent ensuite les notices présentant les exils de Paulin de Trèves et Rodanius de Toulouse72, puis d’Eusèbe de Verceil, Lucifer de Cagliari, Denys de Milan, et des clercs romains Hilaire et Pancrace73, et enfin celui d’Hilaire de Poitiers74 ; l’exil de Libère peut alors venir couronner le tout75. L’acmé de la « contagion » arienne est atteinte en 359, avec le double concile de Rimini et Séleucie qui marque l’abandon de la foi de Nicée, qualifiée d’« antique foi des Pères », par tous les évêques. Les conséquences de cette désertion ne se font pas attendre, puisque presque aussitôt après la « trahison » des légats de Rimini et de Séleucie, une notice qui anticipe sur le concile de Constantinople de janvier 360, signale que « presque toutes les églises dans le monde entier sont souillées au nom de la paix et du monarque du fait de la collusion des ariens76 ».
57Toutefois, au cœur même de la débâcle, Jérôme signale les prémices de la reconquête : Hilaire de Poitiers, exilé trois ans plus tôt, rentre en Gaule77 où, dès l’année suivante, il dénonce la « tromperie » dont ont été victimes les évêques de Rimini78. Dans le même temps, on entrevoit l’éclatement du parti « arien », derrière les dépositions successives de Macédonius79 et de Mélèce d’Antioche80. Le mouvement s’accélère avec la mort de Constance II et l’avènement de Julien : les sentences d’exil sont levées et les confesseurs de l’orthodoxie qui ont survécu – Paulin de Trèves meurt en 35881 – retrouvent leurs sièges. Ainsi, Athanase rentre à Alexandrie à la faveur d’une émeute qui entraîne la mort de l’évêque arien Georges82 ; Eusèbe de Verceil regagne l’Italie et Lucifer la Sardaigne, non sans avoir fait halte à Antioche où il ordonne évêque Paulin, un nicéen « qui ne s’était jamais laissé souiller par la communion avec les hérétiques83 ». Face à la légitimité de ce nouvel évêque, Jérôme ne peut que dénigrer Mélèce, son concurrent issu de l’arianisme ; c’est pourquoi il présente le concile qui se tient sous la présidence de ce dernier à Antioche en 363 comme un nouveau mensonge des ariens84. La victoire de l’orthodoxie en Occident se manifeste ensuite par la mention des décès successifs d’Hilaire de Poitiers85, d’Eusèbe de Verceil86 et de Lucifer de Cagliari87. Le fait que ces trois évêques aient pu terminer leur vie dans leurs églises respectives donne la mesure du rétablissement opéré depuis les jours noirs du règne de Constance II. Mais le succès n’est complet qu’en 374 avec la disparition d’Auxence de Milan et son remplacement par Ambroise, champion incontestable de la foi de Nicée88. Ces dernières notices consacrées à la reconquête de l’Occident par l’orthodoxie sonnent comme un cri de triomphe.
58D’une part, la mort de Lucifer s’accompagne d’un éloge de sa constance et de sa fermeté dans la foi, qui fait écho à celle de Paulin d’Antioche, puisque l’évêque de Cagliari « n’avait jamais composé avec la foi dévoyée des ariens89 ». Dans cette même notice, Lucifer est également associé à deux autres nicéens intraitables, Grégoire d’Elvire et Philon de Libye, sans que Jérôme émette la moindre réserve sur leur intransigeance, alors qu’on sait que le premier prit la tête du schisme luciférien à la fin du ive siècle90. Un tel silence n’est pas neutre, d’autant que Jérôme n’ignore rien de ce schisme contre lequel il a sans doute déjà composé son Altercatio Luciferiani et Orthodoxi ; mais comme, dans la Chronique, son but n’est pas de réfuter les incohérences et les excès de l’un de ses héros, mais bien de mettre en lumière la victoire pleine et entière de l’orthodoxie en Occident, il aurait été mal inspiré de souligner des dissensions – passagères au regard de l’histoire universelle! – parmi les vainqueurs91. D’autre part, la notice qui présente l’arrivée d’Ambroise à Milan souligne, avec une pointe d’ironie doublée d’un soupir de soulagement, que la mort d’Auxence a été bien « tardive » et que l’élection d’Ambroise correspond au retour de toute l’Italie à « la vraie foi ».
59La victoire, éclatante certes, se limite pourtant à une seule moitié de l’Empire et Jérôme a beau faire, il ne peut passer totalement sous silence la persécution arienne qui reprend en Orient après le baptême de Valens par Eudoxe, l’évêque homéen de Constantinople92. Outre ce baptême et ses conséquences, Jérôme glisse également une allusion à l’exil de Pierre d’Alexandrie, successeur et propre frère d’Athanase ; mais c’est à l’occasion d’une notice où il dénonce les compromissions supposées du nouvel évêque93. Une petite indication temporelle, lourde de sens et de silence nous permet de comprendre que Pierre a subi la persécution, puisqu’il n’est soupçonné de corruption qu’« après la mort de Valens », c’est-à-dire uniquement après son retour d’exil : il est difficile d’être plus évasif ! Deux notices signalent enfin les mesures prises contre les moines de Nitrie, défenseurs s’il en est de la foi de Nicée94, sans qu’il soit fait référence à une quelconque cause doctrinale95. On a signalé la grande discrétion de la Chronique sur les épisodes de la persécution sous Valens96, mais Jérôme ne pouvait s’y arrêter sous peine de minimiser la victoire nicéenne en Occident, dont il se veut le chantre. L’avant dernière notice de la Chronique est d’ailleurs significative à cet égard, puisqu’elle présente le repentir de Valens qui lève in extremis – il est alors à la veille de sa campagne fatale contre les Goths – les sentences d’exil contre les nicéens. Ainsi, même si la Chronique ne peut clamer le rétablissement de la « vraie foi » sur tout l’Empire, elle marque l’arrêt définitif des persécutions menées par les empereurs pro-ariens. L’insistance avec laquelle elle souligne les différentes étapes de la reconquête de l’Occident par les champions de l’homoousios et la discrétion avec laquelle elle passe sur la politique religieuse de Valens prouvent bien que Jérôme a voulu y écrire l’histoire d’une époque révolue ou en passe de l’être : celle de la persécution arienne. Il ne continue pas sa Chronique au-delà du règne de Valens à la fois pour sacrifier au topos qui veut qu’un historien n’aborde pas le règne des empereurs vivants97, mais aussi parce que, pour reprendre une conclusion d’A. Canellis, « symboliquement, la crise arienne est close avec Théodose, qui marque le début d’une autre ère, d’une autre histoire98 » ; et si tant est que Jérôme ait pu avoir le moindre doute sur les orientations doctrinales du nouvel empereur, sa Chronique apparaît en dernier lieu comme un manifeste pour que, à la suite de l’Occident purifié de toute contamination arienne, l’Orient retrouve enfin, grâce au nouvel empereur, l’orthodoxie dont il a trop longtemps été privé.
60Il nous faut brièvement revenir sur le cas d’Athanase99 qui, au cœur de toute cette geste héroïque, fait figure de symbole. Jérôme signale bien son accession au siège d’Alexandrie en 328, son exil sous Constance II en 339, l’accueil que lui fit Maximin de Trèves lors de cet exil en 343, son retour à Alexandrie en 346, un second retour après le lynchage de l’évêque Georges en 362, et laisse entendre qu’il est mort en 373, date à laquelle il signale l’élection de son successeur Pierre ; mais il commet sur sa biographie une erreur et des omissions qui ont fait couler déjà beaucoup d’encre100. Le point le plus surprenant concerne la datation de l’exil d’Athanase à Trèves. On sait que le premier exil d’Athanase eut lieu sous Constantin qui entérina les décisions du concile de Tyr de 335 et envoya l’évêque d’Alexandrie en Gaule. À la mort de Constantin en 337, Athanase put revenir à Alexandrie, d’où il fut chassé en 339 par le préfet Philagrios, qui eut recours à la force publique pour installer l’évêque Grégoire de Cappadoce sur le siège de la ville. Athanase trouva alors refuge à Rome, auprès du pape Jules. Or ce n’est qu’en 339, sous Constance II, que Jérôme mentionne le fait que l’évêque d’Alexandrie a été la première victime des « exils, des emprisonnements et des tourments de toutes sortes » suscités par « l’impiété arienne » avec la « protection du monarque ». Quant à la nature précise de ces tourments dans le cas d’Athanase, nous ne l’apprenons que dans la notice de 343 consacrée à Maximin de Trèves, auprès duquel Athanase trouva refuge, alors qu’il était « poursuivi par Constance qui voulait lui infliger un châtiment ».
61Jérôme, remarquons-le, ne parle pas directement de sentence d’exil à propos d’Athanase, mais évoque la menace d’un châtiment qui l’a poussé à prendre la fuite et qui pourrait être une menace de mort.
62Faut-il dès lors conclure que Jérôme confond le premier exil d’Athanase avec le second? Ce serait, nous semble-t-il, aller trop vite en besogne et ne tenir compte ni du genre de la chronique qui, par définition, n’est pas exhaustive, ni des choix du chroniqueur. Or Jérôme, nous l’avons vu, met l’accent sur la victoire des nicéens occidentaux face à la persécution orchestrée par les ariens et par Constance. Il est donc normal qu’il privilégie les sentences d’exil prononcées sous cet empereur. La mention, en 339, des mesures prises contre Athanase d’abord, puis contre tous les évêques nicéens, est conforme à cette logique, sans que Jérôme éprouve le besoin de préciser s’il s’agit, pour Athanase, d’un premier ou d’un second, voire d’un troisième exil ! On déduit généralement de la notice de 343 l’idée que Jérôme amalgamerait les deux exils en un seul, parce que cette notice présente l’accueil que l’évêque Maximin réserva, à Trèves, à l’exilé. Il est vrai que c’est entre 335 et 337, lors de son premier exil, qu’Athanase séjourna à Trèves, mais tout permet de penser qu’il y est repassé, ne fût-ce que brièvement, entre 339 et 346, au cours de son second exil. On voit mal, en effet, Athanase rester sagement à Rome pendant ces sept années, alors qu’il a noué des relations en Gaule lors de son premier exil et qu’il a tout intérêt à mobiliser le maximum d’évêques occidentaux en sa faveur. Ses déplacements au cours de son second exil nous sont d’ailleurs confirmés par son propre témoignage. En effet lorsque, dans son Apologie à Constance, il se défend d’avoir tenté de retourner l’empereur Constant contre son frère Constance, il rappelle ses différentes rencontres avec Constant et précise les endroits où elles se déroulèrent. Voici le résumé qu’il donne de ses déplacements : chassé d’Alexandrie, il se rend d’abord à Rome où il demeure trois ans ; il reçoit alors une convocation de Constant qui l’invite à venir le trouver à Milan. Après un séjour dans cette ville, il est invité à se rendre en Gaule afin d’y rejoindre l’empereur ainsi que l’évêque Ossius de Cordoue, qui se prépare à participer au synode de Sardique. À la suite du synode, il demeure quelque temps à Naïssus, puis gagne Aquilée. Une nouvelle convocation de Constant le rappelle en Gaule où il obtient très certainement la lettre dont parle Jérôme et qui l’autorise à rentrer en Orient pour y rencontrer Constance101. Athanase, on le voit, s’est rendu deux fois en Gaule au cours de son deuxième exil et il y a tout lieu de penser qu’il est passé au moins une fois à Trèves, résidence impériale, où l’évêque Maximin l’a alors accueilli « avec les honneurs », ainsi qu’il l’avait déjà fait lors du premier exil. Comme la notice rapportant cet accueil figure en 343, on peut fixer le séjour signalé par Jérôme entre 342 et 343, avant qu’Athanase ne se rende au synode de Sardique en compagnie d’Ossius et de Maximin. Jérôme ne confond donc pas les deux exils ; il donne même une précision supplémentaire et inédite sur le passage d’Athanase à Trèves à la veille de Sardique, à une époque ou il était bien « poursuivi par Constance qui voulait lui infliger un châtiment102 ». Il est fort probable qu’il tienne cette information d’un témoignage direct recueilli à Trèves même où il séjourna lui-même après 367, au lendemain de ses années de formation romaines.
63Une question reste cependant en suspens : si la Chronique vise bien à raconter la geste des nicéens en proie à la persécution arienne, pourquoi Jérôme ne dit-il rien du premier exil d’Athanase entre 335 et 337 ? Il est peu vraisemblable que Jérôme ignore ce premier exil, même s’il n’en touche jamais mot, car il est bien informé sur la personne de l’évêque d’Alexandrie dont il a lu certains écrits. Il a en particulier utilisé l’Epistula de synodis, pour composer son Altercatio Luciferiani et Orthodoxi. Athanase y présente cet exil comme consécutif au synode de Jérusalem du 17 septembre 335 qui confirma la condamnation déjà formulée contre lui par le synode de Tyr et réhabilita Arius103. De plus, Jérôme n’a aucune raison de ménager la personne de Constantin dont il dénonce clairement la dérive arienne dans la notice de 337 qui signale son baptême par Eusèbe de Nicomédie104.
64La « geste » des nicéens n’aurait en effet rien perdu de sa force à commencer dès le règne de Constantin. La raison du silence de Jérôme nous paraît venir davantage de la façon dont Athanase parle lui-même de ce premier exil dans son Apologie contre les ariens. Revenant sur sa relégation en Gaule, il y déclare que le motif n’en était pas directement doctrinal, mais politique : ses adversaires l’accusèrent en effet d’avoir menacé de bloquer depuis l’Égypte l’approvisionnement en blé de Constantinople105. Cependant, la même Apologie cite encore la lettre que Constantin II adressa à l’église d’Égypte au moment où il leva la sentence d’exil qui frappait Athanase.
65Celle-ci laisse clairement entendre que Constantin avait envoyé l’évêque d’Alexandrie en Gaule pour le soustraire aux menaces que ses adversaires faisaient peser sur sa vie106. Cette interprétation, qui ménage le souvenir de Constantin, n’est sans doute pas la plus conforme à la réalité des faits, mais elle est accréditée par Athanase, qui y trouve aussi son avantage107. Il n’est certes pas possible de prouver que Jérôme a lu son Apologie contre les ariens, mais, outre que cela est très probable, il a tout aussi bien pu connaître cette version par des témoignages oraux. Toujours est-il que son silence s’explique parfaitement si l’on envisage qu’il la connaît : pour lui, Athanase a été relégué en Gaule en 335 parce que Constantin voulait le protéger contre les manœuvres des ariens et l’empereur n’a lui-même sombré dans la doctrine des ariens qu’en 337, en recevant le baptême, pour ainsi dire in articulo mortis, de la main d’Eusèbe de Nicomédie. Athanase n’a donc été victime d’aucune collusion du pouvoir impérial avec les hérétiques sous Constantin et cela suffit pour que la Chronique ne mentionne pas sa « mise au vert » d’alors à Trèves. En revanche, elle ne pouvait faire l’impasse sur le second exil qui constitue la première manifestation de l’alliance de Constance avec les ariens et qui prélude à l’exil de tous les partisans d’Athanase.
Procédé d’indexation et style de la Chronique
66Nous venons de suivre, avec la question de la persécution arienne, l’un des fils directeurs de la Chronique. Nous avons également suivi à la trace les tribulations d’Athanase que Jérôme a jugé bon d’y mettre en scène. Une telle lecture, partielle et sélective, est favorisée par le style même dans lequel est rédigée la Chronique. On est en effet frappé par la constance avec laquelle Jérôme place en tête de notice le lieu ou le personnage concerné par l’événement qu’il rapporte. L’incipit des dix premières notices en fournit une bonne illustration :
67À deux exceptions près, le nom du personnage ou du lieu figure en première position. Si la première notice ne se plie pas à cette mise en forme, c’est tout simplement parce qu’elle constitue une intervention d’auteur indépendante du cours des événements consignés : Jérôme y revendique le statut d’auteur après avoir assumé celui de traducteur. Quant à la quatrième notice, elle mentionne la ville d’Antioche, cadre de l’événement, en seconde position en raison de la préposition in qui introduit Antiocha comme complément de lieu. On constate également, dans le cadre des notices biographiques consacrées au rhéteur Arnobe ou au prêtre Juvencus, que le nom du personnage, placé en première position, est immédiatement suivi des informations touchant à sa condition sociale et à sa nationalité.
68Le procédé, déjà présent dans la partie eusébienne de la Chronique, se retrouve tout au long de la continuation hiéronymienne. Si le nom de la personne, du peuple ou du lieu concernés n’apparaît pas en tête de phrase, il se présente presque toujours en seconde position, après un verbe, un nom, un adverbe, une préposition ou un adjectif. On rencontre ainsi les incipit suivants : « Dedicatur Constantinopolis » (a. 330, g), « Edicto Constantini » (a. 331, b), « Rursum Sapor » (a. 346, h), « Magnae Alamanorum copiae » (a. 356, g), « Synhodus aput Ariminum et Seleuciam Isauriae » (a. 359, d).
69Ce principe s’étend même au cas où l’événement concerne une catégorie de personnes qu’il n’est pas possible de préciser davantage comme les nobles (« Nonnulli nobilium Antiochae », a. 352, g) ou les moines (« Multi monachorum Nitrae », a. 375, a). Dans une notice enfin, c’est un adjectif, placé en seconde position, qui donne le cadre géo-politique de l’événement : « Bellum Persicum » (a. 348, l).
70Une telle constance, on s’en doute, n’est pas fortuite. Elle répond à la volonté des auteurs de faciliter l’utilisation de leur ouvrage et constitue un véritable procédé d’indexation qui laisse apparaître au premier coup d’oeil le personnage ou le lieu traité dans les diverses notices. On peut ainsi suivre du doigt l’incipit de chaque notice et sélectionner celles que l’on souhaite consulter sans passer par la lecture intégrale de l’ensemble. Cette mise en avant de l’identité de l’acteur ou du lieu de l’action a des conséquences directes sur le style des notices qui, subordonné à l’information, prend souvent une tournure sèche et lapidaire, pour ne pas dire « télégraphique ».
71Nous nous sommes efforcés, dans notre traduction, de conserver au mieux ce procédé d’indexation avec ses conséquences, dans la mesure où il était compatible avec la syntaxe du français.
Défaillance du procédé d’indexation ou ostracisme ?
72Quelques notices cependant ne suivent pas ce procédé d’indexation.
73C’est notamment le cas pour celles qui mentionnent une catastrophe naturelle dont l’ampleur est trop vaste pour être rapportée à une seule ville.
74Jérôme commence alors sa notice par l’énoncé de l’événement : « Fame et pestilentia… » (a. 333, d), « Solis facta defectio » (a. 347, k), « Terrae motu per totum orbem… » (a. 366, c) ou encore « Magna fames in Frygia » (a. 370, m).
75Deux notices concernant l’expansion de l’arianisme sous Constance II échappent également au système d’indexation :
« Ex hoc loco impietas Arriana Constantii regis fulta praesidio…» (a. 339, g).
« Omnes paene toto orbe ecclesiae sub nomine pacis et regis Arrianorum consortio polluuntur » (a. 359, i).
76Cette défaillance s’explique aisément par la nature même de l’information qu’elles fournissent. Celle-ci, en effet, concerne moins un événement particulier, que l’ensemble de la politique religieuse pro-arienne de Constance II d’abord en Orient, puis dans tout l’Empire. Ces deux notices présentent donc un caractère général qui s’applique soit à une période, soit à l’ensemble de l’Empire.
77Un dernier fait mérite d’être signalé. Le système d’indexation, résultant d’un choix délibéré de mettre en avant un personnage, un peuple ou un lieu, a pour corollaire la mise au second plan des autres personnages, peuples ou lieux concernés par une même notice. La façon dont sont traités les différents acteurs d’un événement peut donc constituer un indice de la considération que leur accorde Jérôme. On peut en juger en observant le traitement réservé aux noms des différents empereurs, tels qu’ils apparaissent dans le tableau suivant :
78Si l’on tient pour indexés les seuls noms situés à l’incipit ou en seconde position d’une notice, on constate que c’est le cas pour plus de la moitié des occurrences (30 pour 59). Ainsi, pour ne parler que des empereurs les plus fréquemment cités, Constantin est indexé 6 fois pour 10 occurrences et Valens 3 fois pour 7 ; mais force est de reconnaître que Constance II, quasiment privé d’incipit, est littéralement frappé d’ostracisme par la Chronique, alors qu’il est, avec 11 occurrences, l’empereur le plus souvent nommé109 ! Il n’est indexé qu’à trois reprises : lors de son aduentus à Rome, en 357 (notice i), lors de sa mort en 361 (notice b) et, de façon moins significative, lors de l’accession de son cousin Gallus au Césarat en 351 (notice e). Sur ces trois indexations, la seconde au moins est imposée par le style même de la Chronique qui, dans les notices présentant le décès d’un empereur mort de mort naturelle, place systématiquement à l’incipit le nom du défunt110. Quant à l’indexation en seconde position dans la notice consacrée à Gallus, elle ne sert qu’à préciser l’identité de ce dernier.
79On peut donc affirmer que la Chronique occulte, autant que possible, le nom de Constance II qui semble subordonné à d’autres personnages dans les notices où il figure : s’il est responsable des assassinats de Dalmatius et de Gallus, il n’apparaît que comme l’agent de leurs morts111. S’il est donné pour complice des ariens dans leurs menées contre les évêques nicéens, il n’est, une fois encore, que l’agent des exils qui font d’Athanase d’Alexandrie, Eusèbe de Verceil, Lucifer de Cagliari et Denys de Milan des « confesseurs » de la foi catholique112. Le retour d’exil d’Hilaire de Poitiers en 359 (notice g) semble moins le fruit de son impériale décision que celui de l’apologie rédigée par l’évêque gaulois. Enfin, l’effacement de son nom trouve son illustration la plus éloquente lorsque Jérôme, rapportant la bataille de Mursa, centre la notice sur la personne de Magnence et mentionne la défaite de ce dernier (uictus), sans même préciser le nom du vainqueur113 ! Une telle damnatio memoriae s’explique aisément par le soutien actif apporté par Constance II aux homéens dans leur croisade contre l’homoousios nicéen et Athanase d’Alexandrie.
Style formulaire
80En plus du procédé d’indexation qui a de grandes incidences sur le style de la Chronique, on remarque encore la présence de formules récurrentes et stéréotypées dans certaines notices qui présentent des informations de même nature. C’est le cas notamment dans celles qui signalent l’élévation des empereurs au Césarat ou à l’Augustat ; on y constate le recours quasi mécanique aux expressions suivantes :
« Tricennalibus Constantini Dalmatius Caesar appellatur » (a. 335, d).
« Iulianus frater Galli Mediolanii Caesar appellatur » (a. 355, a).
«… Post quem tres liberi eius ex Caesaribus Augusti appellantur » (a. 337, b).
«… Post quem Valentinianus, … Augustus appellatus » (a. 364, e).
« Gallus, Constantii patruelis, Caesar factus » (a. 351, e).
« Gratianus Valentiniani filius Ambianis imperator factus » (a. 367, b).
«… quam ob rem …VetranioMursae, Nepotianus Romae imperatores facti » (a. 350, c).
«… Post quem … Iouianus … imperator factus est » (a. 363, b).
81La constance avec laquelle ces expressions reviennent permet de qualifier de « formulaire » le style de la Chronique. On pourrait multiplier à l’envi les formules qui se retrouvent tout au long du texte, mais il suffit de signaler ici les domaines dans lesquels ce style formulaire se déploie, sans prendre pour autant un caractère systématique.
82La mort des empereurs, quand elle est naturelle, est indiquée par le verbe « moritur » suivi, à une exception près114, de l’expression « anno aetatis » précisant l’âge du défunt. Le même schéma se retrouve pour la mort violente de Constant, mais avec le verbe « interficitur ». La renommée d’un homme célèbre, qu’il soit rhéteur, avocat, évêque, moine, voire hérésiarque, passe par les formules, « clarus ou insignis habetur115 » et l’enseignement d’un professeur réputé par un élogieux « florentissime ou gloriosissime docet116 ». Les tremblements de terre, enfin, présentent eux aussi des formules stéréotypées qui rendent compte, à travers leurs variations, de l’ampleur de la catastrophe et constituent, avant la lettre, une sorte d’« échelle de Richter » : lorsque les villes sont endommagées, elles ont droit au participe parfait passif « uexatus, a, um117 », celles qui sont plus lourdement touchées le sont par l’intermédiaire du verbe « corru118 », quant aux destructions totales qui correspondent souvent à l’épicentre du séisme, elles passent par la formule « funditus euersa119 » ou « subuersa120 ». L’illustration la plus convaincante de cette spécialisation des verbes désignant l’ampleur des destructions lors des tremblements de terre nous est fournie par une notice qui concerne la destruction de Nicée et qui revient sur les séismes qui avaient déjà frappé cette cité :
« Nicaea, quae saepe ante corruerat, terrae motu funditus euersa » (a. 368, f ).
83Après avoir subi à plusieurs reprises des destructions importantes (saepe corruerat), mais partielles, Nicée est totalement rayée de la carte (funditus euersa) lors du tremblement de terre de 368.
84Le style formulaire, on le voit, ne présente donc pas que des raideurs, mais possède aussi quelques finesses et nous avons cherché à en rendre à la fois les nuances et le caractère stéréotypé en veillant scrupuleusement à toujours donner une même traduction française aux formules identiques du latin.
Les sources de la Chronique
85Sous les dehors stéréotypés que lui confère son style, la Chronique n’en demeure pas moins une œuvre incontestablement personnelle, comme le montrent notamment la présentation de la politique pro-arienne de Constance II et l’exploitation du système d’indexation des notices pour éclipser son nom. Cela n’empêche pas Jérôme d’avoir puisé une bonne partie de son information dans diverses sources historiques dont il pouvait disposer à Constantinople. Le repérage de ces sources, dont certaines sont perdues, mobilise aujourd’hui encore l’énergie d’un grand nombre de chercheurs et suscite des débats passionnés. Nous nous contenterons de présenter ici, pour la continuation hiéronymienne, les différentes hypothèses qui ont été proposées. Il importe cependant, en abordant les conjectures issues de la Quellenforschung, de garder présent à l’esprit que Jérôme ne dépend pas d’une source unique, mais qu’il tisse le plus souvent ensemble les fils qu’il tire de plusieurs sources, comme il le fera plus tard dans ses commentaires bibliques. Il ne faut pas non plus négliger le fait que certaines notices sont entièrement de Jérôme et ne doivent rien à personne121.
86Aussi doit-on rester modeste et prudent lorsqu’on affirme qu’une œuvre constitue la source de la Chronique de Jérôme, car elle n’en constitue jamais qu’une source parmi d’autres.
87Les sources possibles de la Chronique sont majoritairement latines. Il s’agit par ordre chronologique de l’énigmatique Kaisergeschichte (source supposée des abréviateurs latins du ive siècle et des auteurs de l’Histoire Auguste), du De Caesaribus d’Aurelius Victor (vers 360), d’une première version supposée des Annales de Nicomaque Flavien (vers 370 ; seule une édition aux environs de 382-383 est attestée), du Breuiarium d’Eutrope (370-371) et du Breuiarium de Festus (371). À ces sources latines, il faut en ajouter une grecque, perdue, que l’on a tenté d’établir et de reconstituer à partir des convergences étroites qui existent entre la Chronique de Jérôme et d’œuvres postérieures issues des traditions grecque, syriaque et arabe. Il s’agirait d’une continuation de la Chronique d’Eusèbe couvrant les années 327-350 et rédigée à Antioche dans la deuxième moitié du ive siècle122.
88En ce qui concerne les sources latines, on a depuis longtemps relevé les similitudes qui existent jusque dans l’expression entre le Breuiarium d’Eutrope, celui de Festus et la Chronique. L’exemple de la présentation de la mort de Constantin suffira pour en convaincre le lecteur123 :
89Si l’on excepte le silence notable d’Eutrope et de Festus sur le baptême arien de Constantin et ses implications religieuses, les informations qu’ils fournissent sont parallèles à celles que l’on trouve chez Jérôme : à la fin de sa vie, Constantin préparait une expédition contre les Perses. On constate que la notice de la Chronique présente encore d’autres points communs avec le seul Eutrope qui indique, comme elle, l’âge de l’empereur et le lieu de sa mort. Ces deux informations font d’ailleurs l’objet d’un strict parallèle textuel, à l’exception de la plus grande précision de Jérôme sur le nom du lieu : Constantin meurt à Acyron, résidence impériale située dans les faubourgs de Nicomédie, quand Eutrope se contente de situer cette mort à Nicomédie.
90Mais on remarque aussi que Jérôme reprend des expressions entières de Festus pour les combiner avec sa propre mise en œuvre de la matière historique.
91Ainsi, l’expression « extremo uitae suae tempore » sert à dater, dans la première notice de Jérôme, le baptême de l’empereur et non, comme chez Festus, les préparatifs de l’expédition contre les Perses, mais cette dernière réapparaît, dans l’expression de Festus combinée avec le bellum d’Eutrope, dans la seconde notice de Jérôme : « cum bellum pararet in Persas ».
92Deux hypothèses divergentes ont été avancées pour expliquer ces similitudes.
93Pour les uns, Jérôme dépend directement d’Eutrope auquel il emprunte la plupart de ses informations concernant la politique intérieure et extérieure des empereurs entre 337 et 364, et n’utilise Festus que pour compléter Eutrope124. Mais on voit, à travers l’exemple précédent, que Jérôme se livre à un véritable travail de recomposition de ces deux sources et que leur équilibre est plus subtil qu’on a bien voulu le dire : Festus doit être considéré comme une source à part entière auquel Jérôme emprunte moins souvent qu’à Eutrope certes, mais qui lui fournit à l’occasion la trame entière d’une notice125. Pour les autres, les similitudes entre Jérôme, Eutrope et Festus s’expliquent par le fait que ces trois auteurs ont puisé à une source commune : la Kaisergeschichte126. Sans nier l’intérêt réel que représente cette dernière, en tant qu’hypothèse de travail, dans la recherche des sources de l’Histoire Auguste, il ne nous paraît pas indispensable de recourir à elle pour expliquer les ressemblances qui existent entre la Chronique et les deux Breuiaria. S. Ratti a en effet montré de façon convaincante la dépendance directe de Jérôme à l’égard d’Eutrope et l’observation des parallèles textuels ne peut conduire qu’à la même conclusion vis-à-vis de Festus. M. Drew Donalson fait d’ailleurs fort justement remarquer que les parallèles supposés entre la Chronique et la Kaisergeschichte ne peuvent porter que sur la période commune aux deux ouvrages, à savoir du début du règne d’Auguste jusqu’à la mort de Constantin en 337 – ou la victoire de Julien sur les Alamans à la bataille de Strasbourg127 – ; or en considérant l’ensemble de la Chronique comprenant la traduction et la continuation de la Chronique d’Eusèbe, il constate des parallèles entre Eutrope et Jérôme pour la période républicaine comme pour le règne des successeurs de Constantin, périodes que la Kaisergeschichte n’est pas censée avoir couvertes128. Il ne voit donc pas la nécessité de passer par elle pour expliquer des similitudes qui trouvent une explication tout à fait cohérente dans le recours direct de Jérôme à Eutrope. Cette dépendance directe n’interdit en rien la présence dans la Chronique d’éléments issus de la Kaisergeschichte puisqu’on admet généralement qu’elle constitue la source principale d’Eutrope pour la période impériale.
94La dépendance directe de Jérôme à l’égard des Annales de Nicomaque Flavien n’est ni plus assurée, ni plus nécessaire. Si S. Ratti, après avoir analysé cinq passages de la Chronique depuis la mort de Constance II jusqu’à celle de Jovien, démontre que Jérôme et Eutrope disposent, au-delà de la période couverte par la Kaisergeschichte, « d’une source commune, détaillée, bien informée » qu’il propose d’identifier avec les Annales perdues de Nicomaque Flavien129, rien ne permet d’affirmer que Jérôme a lu cette œuvre dont il a pu aussi bien subir l’influence par l’intermédiaire d’Eutrope.
95Cependant l’hypothèse d’une telle influence se heurte à une difficulté de datation, puisque l’œuvre de Nicomaque Flavien n’est attestée qu’à partir des années 382-383. Il faut donc supposer, comme le propose S. Ratti, une première édition antérieure au Breuiarium d’Eutrope et par conséquent à 370, pour compter Nicomaque Flavien parmi les sources, même indirectes, de la Chronique130. L’hypothèse d’une dépendance des historiens de la fin du ive siècle à l’égard de Nicomaque Flavien a toutefois été contestée par R. W. Burgess qui semble y voir, à tort, une remise en cause de la Kaisergeschichte dont il soutient l’influence directe sur Jérôme et les historiens de sa génération. Pour lui, une telle reconstruction est le pire dévoiement des méthodes de la Quellenforschung, pourtant si fructueuses lorsqu’elles sont appliquées avec mesure et prudence131. La vigueur cinglante de sa critique est cependant loin d’être dénuée de tout parti pris ! On compte souvent le De Caesaribus d’Aurelius Victor parmi les sources de la Chronique en arguant du fait que dans la Lettre 10, qu’il adresse à Paul de Concordia, Jérôme demande à son correspondant de bien vouloir lui faire parvenir, entre autres manuscrits, une copie de l’Histoire d’Aurelius Victor132. Mais cet argument est fragile en raison de la datation incertaine de cette lettre133. Cependant, il nous semble léger d’écarter totalement l’utilisation du De Caesaribus par Jérôme dans sa Chronique pour cette seule raison134, car la Lettre 10 a toutes les chances d’avoir été écrite sinon au désert entre 375 et 377, du moins lors du second séjour à Antioche, entre 377 et 379. Ce qui est certain, c’est qu’elle mentionne la Vie de Paul ermite à laquelle la Chronique fait également allusion135. Or, il semble que cette Vie soit l’un des tout premiers écrits de Jérôme, puisqu’elle figure en tête du catalogue des œuvres de ce dernier dans la notice 135 du De uiris illustribus136. La probabilité que Jérôme ait eu le De Caesaribus entre les mains lors de la rédaction de la Chronique est donc assez élevée. Mais la question est bien moins celle de la date de rédaction de la Lettre 10 que celle des marques objectives d’une quelconque influence d’Aurelius Victor sur Jérôme et force est de reconnaître que de telles marques sont rares et bien discutables. Il y a bien des convergences entre les deux œuvres, mais elles ne sont jamais aussi étroites que celles qui existent entre la Chronique et les Breuiaria d’Eutrope et de Festus. De plus, la plupart de ces convergences recoupent celles que l’on peut également relever avec ces deux dernières œuvres. À six reprises cependant, la Chronique fournit des informations qui figurent dans le De Caesaribus, et qu’on ne retouve ni chez Eutrope ni chez Festus. En voici le détail :
96Note137
97Comme on peut le constater, les six rapprochements précédents sont beaucoup trop lointains pour qu’il soit permis de parler d’inspiration de Jérôme par Aurelius Victor. Les mêmes événements sont évoqués en des termes trop différents par les deux auteurs et l’ordre de présentation des faits n’est pas le même dans le cas de l’usurpation de Calocaerus à Chypre. Jérôme place en effet celle-ci en 334, après la fondation de Constantinople, la victoire sur les Goths et l’élévation de Constant au Césarat datées respectivement de 330, 332 et 333, alors qu’Aurelius Victor la mentionne en 41, 11, sans précision de date, avant ces trois événements (respectivement 41, 12 et 41, 13) et signale même l’exécution de l’usurpateur, sous la forme de l’ablative absolue « Quo excruciato », en préambule à la fondation de Constantinople.
98Il reste cependant deux notices pour lesquelles on est en droit de supposer une influence particulière du De Caesaribus sur la Chronique. Lorsqu’il évoque la mort de Constantin, Jérôme précise, comme nous l’avons vu plus haut, que celle-ci eut lieu à Acyron, détail que ne fournissent ni Eutrope, ni Festus. Or on trouve ce détail chez Aurelius Victor qui signale lui aussi que Constantin rendit l’âme « rure proximo Nicomediae, Achyrone uocant138 ». La seconde notice où les deux auteurs se rencontrent à nouveau sur un détail, porte sur l’usurpation de Silvanus en Gaule au lendemain de la victoire de Constance II sur Magnence. Jérôme signale en effet que le nouvel usurpateur « trouva la mort au bout de 28 jours » (XXVIII die extinctus est)139, ce qui concorde avec les « vingt-huit jours environ » (octauum circa et uicesimum diem trucidatus est) donnés par Aurelius Victor, alors qu’Eutrope, pour le même événement, donne une durée légèrement plus longue avec ses « moins de trente jours après » (ante diem tricesimum extinctus est)140. Toutefois, ces deux convergences ne suffisent pas à prouver de façon certaine l’influence d’Aurelius Victor sur Jérôme. Celui-ci a bien pu tirer ces deux détails du De Caesaribus, mais il peut aussi les avoir trouvés dans une source qu’il partagerait avec Aurelius Victor et que d’aucuns identifient volontiers avec la Kaisergeschichte.
99La dernière source sur laquelle il nous faut revenir est la possible continuation grecque de la Chronique d’Eusèbe réalisée à Antioche. Celle-ci a été soupçonnée par P. Battifol141, reprise par J. Bidez142 puis par M. Drew Donalson143 et a fait récemment l’objet d’une tentative de reconstitution par R. W. Burgess à partir du recoupement des différents témoins identifiés dans les traditions grecques, syriaques, arabes et latines144. Selon Battifol, l’auteur de cette continuation dont Jérôme aurait utilisé la trame serait un arien, mais Burgess penche pour un orthodoxe modéré, sans que son argumentation soit très convaincante145. Toujours est-il que l’origine antiochienne de cette continuation expliquerait que Jérôme y ait eu accès et qu’il s’en soit servi notamment pour ce qui concerne la succession épiscopale de la métropole syrienne et d’autres informations portant sur l’histoire ecclésiastique orientale. S. Ratti demeure cependant très circonspect sur l’utilisation d’une telle source par Jérôme146. Il fait remarquer que la période 325-350 sur laquelle porterait la continuation antiochienne, selon R. W. Burgess, est assez arbitraire et ne repose sur aucune argumentation convaincant147. Il ajoute également que les différences chronologiques importantes entre la Chronique de Théophane et celle de Jérôme, qui sont supposées refléter toutes deux la même source grecque, laissent planer un doute sérieux sur l’utilisation d’une telle source par Jérôme. Pour lui, seule une source latine permet d’expliquer les différences du traitement des mêmes événements par Théophane et par Jérôme.
100On le voit, la discussion sur les sources de la Chronique, dans sa seule continuation hiéronymienne, est loin d’être close ! Mais, quoi qu’il en soit des diverses hypothèses qui se complètent ou s’excluent, nous tenons pour assuré que Jérôme a bien eu entre les mains au moins le Breuiarium d’Eutrope et celui de Festus, auxquels il emprunte trop pour ne pas y puiser directement. Il est d’autre part indéniable que ces deux sources, païennes et exclusivement profanes, sont bien insuffisantes pour expliquer la genèse d’une chronique dont la tonalité est avant tout ecclésiastique. Jérôme a donc eu recours à d’autres sources latines et, peut-être aussi, grecques, sources qu’il est possible de conjecturer, mais non d’identifier avec certitud148.
Notes de bas de page
1 B. Lançon a rédigé les pages consacrées à la datation de la Chronique, B. Jeanjean le reste de l’introduction.
2 Cf. infra l’étude de B. Jeanjean : « Jérôme patron des chroniqueurs en langue latine ».
3 Ce parti rejoint d’ailleurs celui de beaucoup d’éditeurs de chroniques qui « limitent » – si l’on peut oser ce mot devant l’ampleur de la tâche – leur matière à la seule partie propre à l’auteur qu’ils éditent. Ainsi en est-il de la Chronique d’Hydace (éd. Tranoy, SC 218-219), qui prolonge pourtant celle de Jérôme, de celle de Frédégaire le Scholastique (éd. O. Devillers et J. Meyers, Turnhout, Brepols, 2001) continuateur d’Eusèbe, Jérôme, Hydace et Grégoire de Tours.
4 Jérôme utilise à deux reprises l’adjectif trilinguis dans son Apologie contre Rufin. Il s’agit alors pour lui d’opposer ironiquement le bilinguisme de son adversaire à sa propre maîtrise de l’hébreu, du grec et du latin et de défendre Epiphane de Salamine, qu’il qualifie de « pentaglotte », contre les attaques de Rufin (cf. Apol., 2, 22 et 3, 6). Saint Augustin, de son côté, n’utilise pas l’adjectif trilinguis, mais salue la maîtrise linguistique de Jérôme en le qualifiant tantôt de « homo doctissimus et omnium trium linguarum peritus » (Ciuit. Dei, 18, 48, repris en partie par Isidore de Séville, Etym., 6, 4, 5), tantôt de « graeco et latino insuper et hebraeo eruditus eloquio » (Contra Iulian., 1, PL, 44, col. 665).
5 Sur ces ajouts de Jérôme à la Chronique d’Eusèbe, on se reportera utilement à H. Inglebert, Les Romains chrétiens…, p. 217-276.
6 On trouvera, après le texte de la préface d’Eusèbe, une analyse succincte de sa démarche sous forme de tableaux qui en permettent une meilleure compréhension.
7 Ad. Autol., 2, 24-28.
8 Cf. H. Inglebert, Les Romains chrétiens…, p. 153-175.
9 La préface d’Eusèbe, complétée sur ce point par Jérôme, donne 2395 années, parce qu’elle reprend la 15e année de Tibère dans le décompte des années jusqu’à la 14e année de Valens, ce qui donne 351 années et non les 350 qu’on obtient si l’on n’inclut pas l’année de départ. Sur le système chronologique de Jérôme qui inclut dans ses décomptes les années de départ et d’arrivée, cf. P. Nautin, « Études de chronologie hiéronymienne (393-397) », REAug., 18 (1972), p. 216-217.
10 Cf. P. Nautin, « Études de chronologie hiéronymienne (393-397) », REAug., 20 (1974), p. 281-284.
11 Le décompte des années à partir de la naissance de Jésus-Christ fut mis au point par Denys le Petit dans la première partie du vie siècle. Jérôme ne pouvait donc pas s’en servir, et encore moins Eusèbe !
12 Sur les démêlés de Jérôme avec les autres ermites du désert de Chalcis, cf. Lettres 15-17, ainsi que B. Jeanjean, Saint Jérôme et l’hérésie…, p. 16-21.
13 « Around 380 or 381 » : c’est le choix, brièvement étayé, de Malcolm Drew Donalson dans l’édition anglaise qu’il a donnée de la Chronique de Jérôme (A translation of Jerome’s Chronicon with historical commentary, Mellen University Press, 1996).
14 « La chronique de saint Jérôme : le lieu et la date de sa composition », Helikon, 1962, II, p. 248-258. Cet article fait aujourd’hui peine à voir tant il est dépassé. Il convenait cependant d’en rappeler l’existence en tant que production rationnelle d’une hypothèse. Même si, comme l’indique à juste titre Hervé Inglebert, « personne ne l’a suivi » (Inglebert, Les Romains chrétiens…, p. 217, n. 86).
15 Serment prononcé lors du fameux « songe » rapporté dans la Lettre 22, à Eustochium, 30 (CUF 1, p. 144, l. 16 – 146, l. 7). Lors de la querelle origéniste, Rufin, mis en cause par Jérôme, aura beau jeu de lui reprocher de ne pas avoir respecté la promesse de ne plus lire d’auteurs profanes. Jérôme lui rétorquera qu’un serment prêté en songe n’a pas la valeur d’un acte conscient et que, s’il est possible de ne plus lire les auteurs classiques, il est impossible d’oublier les vers et les phrases qui se sont gravés dans la mémoire durant les années d’apprentissage (cf. Jérôme, Apol., I, 30, SC, 303, p. 80-84, l. 14-53).
16 Rufin, Apol. in Hieron., II, 6-8.
17 Lexikon der Antique auf der Grundlage von Paulys Realencyclopaedie der classischen Wissenschaft, Stuttgart, 1964, t. 2, col. 460 et 1138.
18 Chron., Préface de Jérôme (p. 7, l. 1-3) : « … usque ad consulatum Augustorum Valentis sexies et Valentiniani iterum totum meum est ».
19 Il s’agit bien d’un choix délibéré, que Jérôme expose de façon très concise à la fin de sa préface (p. 7, l. 3-9). Notons que ce choix est également celui d’Ammien Marcellin pour clore le livre XXXI de ses Res gestae.
20 Chron., Préface de Jérôme (p. 7, l. 5-6) : « … non quo de uiuentibus timuerim libere et uere scribere… ».
21 Gratien était né le 18 avril 359 de Marina Severa, première épouse de Valentinien Ier (Socrate, 4, 31, 13 et Epitome de Caes., 45, 4). Il avait donc un peu plus de huit ans lors de son accession à l’Augustat.
22 La décision avait été prise trois jours auparavant selon Socrate, 5, 2.
23 Marcellin, Chron., a. 383, 3. Voir PLRE, I, Gratianus 2, p. 401.
24 Cf. Y.-M. Duval, « Jérôme et l’histoire de l’Église du ive siècle », L’historiographie de l’Église des premiers siècles, Paris, Beauchesne, 2001, p. 381-408, en particulier p. 381 et 397-406.
25 Cf. supra, n. 12.
26 D’où notre traduction par « l’époque suivante, à savoir celle de Gratien et Théodose ».
27 Chron., Préface de Jérôme (p. 7, l. 8-9) : « … sed quoniam dibacchantibus adhuc in terra nostra barbaris incerta sunt omnia ».
28 Jérôme accompagnait Paulin d’Antioche, qui l’avait ordonné prêtre peu de temps auparavant, au concile de Constantinople, qui se tint du mois de mai au 9 juillet 381.
29 E. Demougeot, La formation de l’Europe et les invasions barbares, 2 *, Paris, Aubier-Montaigne, 1979, p. 145 sq.
30 Athanaric mourut à la fin de la seconde semaine de son séjour. Théodose lui donna des funérailles solennelles qui achevèrent de convaincre les chefs goths de s’allier à lui.
31 Cons. Const., a. 382, 2.
32 S. Ratti, « Les sources de la Chronique de Jérôme pour les années 357-364 : nouveaux éléments », L’historiographie de l’Église des premiers siècles, Paris, Beauchesne, 2001, p. 425-450, en part. p. 447-449.
33 On sait en effet que Jérôme tient en très haute considération la virginité chrétienne. Considère-t-il pour autant la virginité des prêtresses païennes comme une pure vanité, puisqu’elle n’est pas illuminée par la foi chrétienne ? C’est ce qu’on peut être tenté de croire à la lecture de la Lettre 49, 6, citée par S. Ratti (p. 448, n. 9) : « nihil enim prode est et absque operibus caelibatus […] ; et hac lege uirgines quoque Vestae et Iunonis uniuirae in sanctarum queant ordine numerari ». Toutefois, avant de prononcer tout jugement, il importe de voir que cette dépréciation apparente de la virginité et du mariage unique païens est une citation directe de l’Aduersus Iouinianum (I, 41). Or, dans la polémique qui l’oppose à Jovinien, Jérôme ne cherche pas à dénigrer la virginité des païens ; bien au contraire, il cherche à montrer que la virginité n’est pas une invention récente et contre nature des chrétiens, mais qu’elle était déjà tenue en haute estime par les païens. Le même chapitre 41 du premier livre de l’Aduersus Iouinianum cite ainsi en exemple les vierges célèbres de la mythologie (les sibylles, Iphigénie, Cassandre et Chryséis), avant de rappeler l’estime accordée aux prêtresses vierges de Vesta auxquelles mêmes les généraux triomphateurs cédaient le pas. L’exemple d’accusation de fornication donné alors par Jérôme est celui de la vestale Claudia faussement accusée et disculpée par un fait merveilleux. La formule reprise dans la Lettre 49 doit donc être replacée dans ce contexte et les uirgines Vestae tenues pour des modèles de continence qui pourraient même prétendre à la sainteté si elles avaient la foi !
34 Chron., a. 380. Marcellin précise que cette occupation durait depuis quarante ans, autrement dit depuis 340, troisième année du règne de Constance II.
35 Le 15 selon la Descriptio consulum, le 24 selon Socrate, 5, 6 ; c’est cette dernière date que retient Seeck, Regesten…, p. 255.
36 Socrate, 5, 7 ; Marcellin, Chron., a. 380.
37 CTh, XVI, V, 6.
38 Cf. infra l’étude de B. Jeanjean, « Jérôme patron des chroniqueurs en langue latine », notes 8 et 9.
39 F. Cavallera, Saint Jérôme, sa vie…, Louvain-Paris, 1922, t. 2, p. 20.
40 L’évêque d’Alexandrie qui succéda à Athanase en 373 (cf. Chron., a. 373, c).
41 CTh, XVI, I, 2 (= CJ, I, I, 1).
42 CTh, XVI, V, 5 (Milan) interdit aux hérétiques de tenir des assemblées et de prêcher leur dogme.
43 HE, 7, 4.
44 Cf. Le Nain de Tillemont, Mém., XII, p. 52 ainsi que F. Cavallera, op. cit., p. 59.
45 Jérôme mentionne en effet Grégoire à huit reprises en insistant surtout sur ses qualités d’orateurs (cf. P. Jay, L’exégèse de saint Jérôme, Paris, Études augustiniennes, 1985, p. 31-35). Il est par ailleurs certain qu’il a entendu l’évêque de Constantinople prêcher de vive voix dans l’église de l’Anastasis lors de son séjour dans cette ville, comme le prouve la reprise dans la Lettre 55 d’une exégèse figurant dans le Discours 30 de Grégoire (cf. B. Jeanjean, « une exégèse antiarienne de Grégoire de Nazianze dans la Lettre 55 de Jérôme », Les chrétiens face à leurs adversaires dans l’Occident latin au IVe siècle, Rouen, Presses universitaires, 2001, p. 195-210, en particulier p. 201-202).
46 Cf. a. 355, i.
47 C’est ainsi que l’analyse M. D. Donalson, A translation of Jerome’s Chronicon…, p. 121-129. La notice (donnée selon la référence de l’édition Helm, 239 i) figure dans les cinq rubriques suivantes : The Emperor’s Character/Deeds – Bishops and Church Order – Heresy – Persecution – Famous Minor Clergy.
48 C’est le reproche que l’on peut faire à M. D. Donalson (op. cit. note précédente) qui classe ses rubriques thématiques par ordre décroissant d’occurrences : The Emperor’s Character/Deeds (48 notices) – Bishops and Church Order (36 notices) – Heresy (26 notices) – Persecution (20 notices) – War/Barbarian Peoples (15 notices) – Famous officials (14 notices) – Famous Rhetors/Orators (11 notices) – True Faith (11 notices) – Natural Phenomena (11 notices) – Authors and Their Works (10 notices) – Usurpers of the Throne (10 notices) – Emperor’s Deaths (9 notices) – Buildings (10 notices) réparties en Secular (4 notices) et Church (6 notices) – Martyrs/Relics (9 notices) – Famous Minor Clergy (8 notices) – Monastics/Monks (8 notices) – Relations with Persia (7 notices) – Philosophers (3 notices). Outre que ces notices sont parfois hétéroclites (la rubrique Martyrs/Relics mélange quelque peu les genres en identifiant la cause et son effet, et apparaît assez disparate) ou présentent des distinctions excessives (pourquoi séparer les rubriques War/Barbarian Peoples et Relations with Persia, alors que toutes deux traitent de politique extérieure ?), elles laissent croire que la Chronique offre avant tout des informations sur l’histoire politique et l’action des empereurs, alors qu’elle fait porter davantage l’accent sur l’histoire ecclésiastique.
49 H.-I. Marrou, L’Église de l’Antiquité tardive, Paris, Seuil, 1985 (repris de J. Daniélou et H.-I. Marrou, Nouvelle histoire de l’Église, t. 1, Paris, 1963), p. 41.
50 22 notices seulement sont comptées sous deux ou trois rubriques différentes.
51 Cf. infra l’étude de S. Ratti : « Signes divins et histoire politique dans la Chronique de Jérôme ».
52 Cf. a. 344, c.
53 Certaines notices ne portent aucune indication géographique, nous ne les avons donc pas comptabilisées. Il est à noter que les notices présentant le départ ou le retour d’exil des évêques occidentaux concernent à la fois les deux parties de l’Empire. De même pour la promotion des fonctionnaires qui peuvent passer d’Occident en Orient et vice versa.
54 M. Meslin, Les Ariens d’Occident (335-430), Paris, Seuil, 1967, p. 31.
55 D’où l’appellation commune de « modalisme » pour désigner cette hérésie. On la qualifie également de « monarchisme » ou « monarchianisme » en raison de son souci de préserver le monothéisme contre la tentation de voir trois divinités distinctes dans les trois personnes de la Trinité. Ce souci conduit certains à affirmer que c’est le Père qui a souffert la Passion sous les apparences humaines du Fils, d’où l’appellation de « patripassiens » qu’on leur donne parfois. Par un phénomène d’amalgame hérité de l’hérésiologie, on rattache aussi au monarchianisme le courant « adoptianiste » qui, par un même souci de préserver l’unité divine, ne voit dans le Fils qu’un homme remarquable, adopté par le Père.
56 L’appellation « hoi peri Eusebion » se trouve déjà dans les écrits anti-ariens d’Athanase d’Alexandrie (cf. par exemple, Apol. ad Const., 4 et 5 ou Epist. De Synodis, passim).
57 L’expression apparaît en 345 dans la formule de foi détaillée (d’où son nom d’« Ecthèse macrostiche ») élaborée par les eusébiens au concile d’Antioche.
58 Selon l’expression d’H.-I. Marrou, L’Église de l’Antiquité tardive…, p. 45-46.
59 C’est ce que suggère G. Dagron, Naissance…, p. 441-442 : « Alors que le problème de la “création” de l’Esprit… est abordé en marge de l’arianisme vers 360, que les “pneumatomaques” ont droit à une notice du Panarion en 377 et sont dénoncés dans divers écrits de Grégoire de Nysse, Basile de Césarée, Grégoire de Nazianze, il faut sans doute attendre la Chronique de Jérôme pour que Makédonios soit considéré comme l’initiateur de l’“hérésie macédonienne”, et probablement la fin du siècle pour que cette hérésie soit identifiée à l’hérésie macédonienne. »
60 Dans le Tractatus de Psalmo 147, 18 (CCL 78, l. 191-194), qu’on situe entre 197 et 402. Sur l’assimilation de Macédonius aux ariens, cf. B. Jeanjean, Saint Jérôme et l’hérésie…, p. 150-151.
61 Nous n’avons pas entré le nom de Photin de Sirmium, condamné par les nicéens occidentaux au concile de Sirmium de 351 pour partager le modalisme de son maître Marcel d’Ancyre.
62 A. 329, c.
63 A. 337, a.
64 A. 342, f.
65 A. 342, h.
66 A. 342, i.
67 A. 343, a.
68 A. 346, e.
69 A. 347, i.
70 A. 348, a.
71 A. 349, b.
72 A. 354, f.
73 A. 355, i.
74 A. 356, c.
75 A. 356, f.
76 A. 359, i ; on remarque ici l’amplification « quasi cosmique » de l’événement qui fait écho à la formule de l’Altercatio qui tire les conséquences du concile de Rimini (Alterc., 19, 2) : « Ingemuit totus orbis et arianum se esse miratus est », comme le signale A. Canellis, « Saint Jérôme et les ariens », Les chrétiens face à leurs adversaires…, p. 185.
77 A. 359, g.
78 A. 360, a.
79 A. 359, h.
80 A. 360, l.
81 A. 358, b.
82 A. 362, d.
83 A. 362, e : « qui se numquam haereticorum communione polluerat ».
84 A. 364, d. L’erreur dans la date est due au changement de règne : Julien étant mort le 27 juin 363, Jérôme fait commencer le règne de Jovien au 1er janvier 364 et reporte à sa première (et unique) année de règne tous les événements survenus entre la mort de Julien et le début de l’année suivante.
85 A. 367, e.
86 A. 369, k.
87 A. 370, a.
88 A. 374, e.
89 A. 370, a : « qui numquam se arianae miscuit prauitati ».
90 L’intransigeance de Lucifer à l’égard des évêques signataires de la formule de foi homéenne de Rimini, l’amène en effet à exiger leur destitution après le rétablissement de l’orthodoxie nicéenne en Occident. Leur maintien en place après un repentir et une profession de foi publics pousse Lucifer à se séparer de l’Église et à revendiquer une Église pure de toute souillure passée avec l’arianisme.
91 Jérôme consacre toute son Altercatio Luciferiani et Orthodoxi à réfuter la position luciférienne, non sans paraître parfois en contradiction avec la Chronique où il apparaît très favorable à Lucifer (cf. sur ce point A. Canellis, « Saint Jérôme et les ariens », p. 173-182).
92 A. 366, a.
93 A. 373, c.
94 C’est en effet auprès des moines d’Égypte qu’Athanase se cacha lors de son troisième exil, entre 356 et 362.
95 A. 375, a et b.
96 A. Canellis, « Saint Jérôme et les ariens », p. 178 : « Très peu de choses aussi sur les persécutions de Valens contre les Nicéens dont Jérôme fut témoin (et victime) d’après les Lettres de cette époque. »
97 Cf. Y.-M. Duval, « Jérôme et l’histoire de l’église du ive siècle », p. 390, note 1.
98 A. Canellis, « Saint Jérôme et les ariens », p. 193.
99 Pour tout ce qui concerne Athanase d’Alexandrie, on consultera l’ouvrage de référence d’A. Martin, Athanase d’Alexandrie et l’église d’Égypte au IVe siècle, École française de Rome, 1996.
100 Cf. notamment Y.-M. Duval, « Sur quelques sources latines de l’Histoire de l’Église de Rufin d’Aquilée », Cassiodorus, 3 (1997), p. 131-151 et A. Canellis, « Saint Jérôme et les ariens », p. 178-180. Y.-M. Duval montre en particulier comment l’erreur de datation du premier exil d’Athanase que, dès le ve siècle, l’historien Socrate (2, 1) reproche à l’Histoire Ecclessiastique de Rufin vient directement de la Chronique de Jérôme où Rufin trouve le cadre chronologique de plusieurs développements.
101 Cf. Apol. ad Const., 4.
102 Cf. A. Martin, Athanase d’Alexandrie…, p. 422-423 et la note 156.
103 Pour le De synodis d’Athanase comme source de l’Altercatio, cf. l’édition d’A. Canellis (SC 473) qui renvoie aux études de P. Battifol (« Les sources de l’Altercatio Luciferiani et Orthodoxi », Miscellanea Geronimiana, Rome, 1920, p. 97-113) et Y.-M. Duval (« Saint Jérôme devant le baptême des hérétiques, d’autres sources de l’Altercatio Luciferiani et Orthodoxi », REAug, 14, 1968, p. 145-180). La mention du premier exil d’Athanase figure au chap. 21 du De synodis (PL, 26, col. 720 B).
104 A. 337, a.
105 Apol. contra arianos, 9 et 87 (PG, 25, col. 264-265 et 405).
106 Ibid., 87-88.
107 Sur la version d’Athanase qui charge les eusébiens et ménage le souvenir de Constantin, cf. A. Martin, Athanase…, p. 383-384 et 393-394.
108 Ce tableau ne tient pas compte des mentions des empereurs figurant dans le décompte des années qui inaugure chaque nouveau de règne et qui répond à une formulation stéréotypée sans incidence sur le système d’indexation.
109 Sans compter les deux notices où il est directement désigné par son titre de rex, mais où son nom n’apparaît pas (a. 342, f : « Hermogenes… ob episcopum Paulum quem regis imperio et Arrianorum factione pellebat » et a. 359, i : « Omnes paene toto orbe ecclesiae sub nomine pacis et regis Arrianorum consortio polluuntur »).
110 Cf. les morts de Constantin (a. 337, b), Jovien (a. 364, e) et Valentinien (a. 375, h). Pour les Augustes morts de mort violente, la tendance est de ne donner leur nom qu’au cœur de la notice comme on peut le voir avec Constant (a. 350, c), Julien (a. 363, b) et Valens (a. 378, c) ; seul Constantin II échappe à cet effacement dans l’unique notice où il apparaît pour mourir (a. 340, a). Les Césars éliminés pour raisons politiques ainsi que les usurpateurs successifs voient, quant à eux, leurs noms en tête des notices qui signalent leur mort : Calocaerus en 334 (notice g), le César Dalmatius en 338 (notice e), Népotien en 350 (notice b), Magnence en 353 (notice h), le César Gallus en 354 (notice c), Silvanus en 354 (notice d), Procope en 366 (notice d).
111 A. 338, a : « Dalmatius Caesar… factione Constantii patruelis et tumultu militari interimitur » ; a. 354, c : « Gallus Caesar sollicitatus a Constantio patrueli… occiditur. »
112 Cf. successivement a. 339, g ; 343, a ; 355, i.
113 A. 351, d : « Magnentius Mursae uictus, in quo proelio Romanae uires conciderunt. »
114 L’âge de Valentinien n’est pas précisé (cf. a. 375, h).
115 Quatre occurrences de « clarus » (le rhéteur Arnobe de Sicca, l’hérésiarque Audeus, les évêques Maximin de Trèves et Basile de Césarée) ; cinq de « insignis » (les rhéteurs Libanios et Victorinus – associé au grammairien Donat –, l’avocat Gennadius, les trois moines disciples d’Antoine, ainsi que les trois moines latins Florentinus, Bonose et Rufin).
116 Deux occurrences de « florentissime » (le rhéteur Minervius et ses deux confrères et compatriotes aquitains Alcimus et Delfidius), une de « gloriosissime » (le rhéteur Pater).
117 Deux occurrences (des villes de Campanie en 346 et des villes voisines de Nicomédie en 358).
118 Deux occurrences (Dyrrachium en 346 et Nicée dont les destructions partielles sont rappelées lors de sa destruction totale en 368).
119 Deux occurrences (Nicomédie en 358 et Nicée en 368).
120 Une seule occurrence, mais le participe repose sur la même racine que « euersa » et la nuance ne tient qu’à peu de chose, puisque seule l’église de Néocésarée échappe à la destruction lors du tremblement de terre de 344 !
121 On peut affirmer sans l’ombre d’un doute que les notices concernant Mélanie l’ancienne (a. 374, d), les clercs d’Aquilée (a. 374, f ) et les moines Florentinus, Bonose et Rufin (a. 377, g) sont une pure création de Jérôme. D’autres sont vraisemblablement de son seul cru, comme la pluie de laine chez les Atrébates (a. 367, d), la mort de Lucifer de Cagliari (a. 370, a), la notice biographique sur Didyme l’aveugle (a. 372, e) ou encore l’élection d’Ambroise sur le siège de Milan (a. 374, e).
122 R.W. Burgess, Studies in Eusebian and Post-Eusebian Chronography, Stuttgart, 1999. L’auteur propose, dans sa deuxième étude, une reconstitution de cette continuation grecque de la Chronique d’Eusèbe.
123 Je souligne les similitudes entre Jérôme et Eutrope par des majuscules et par des italiques celles entre Jérôme et Festus.
124 Sur la dépendance directe de Jérôme à l’égard d’Eutrope, cf. A. Schoene, édition des Eusebi Chronicorum libri duo, Berlin, Wiedmann, 1866 et 1875, ainsi que Die Chronik des Eusebius in ihrer Bearbeitung durch Hieronymus, Berlin, 1900; Th.Mommsen, « Uber die Quellen der Chronik des Hieronymus », Gesammelte Schriften, Band 7 (1909), p. 606-632; Schanz, Geschichte des römische Litteratur bis zum Gesetzgebungswerke des Kaisers Justinian, 4, Litteratur von Constantinus bis zum Gesetzgebungswerke Justinians, Munich, 1914-1935 ; A. Momigliano (éd.), The conflict between Paganism and Christianity in the Fourth Century A. D., Oxford, 1963, p. 86; S. Ratti, « La lecture chrétienne du Bréviaire d’Eutrope (9, 2-5) par Jérôme et Orose », Latomus, 56 (2), 1997, p. 264-278 et « La Chronique de Jérôme : opus tumultuarium? », Latomus, 58 (4), 1999, p. 861-871.
125 Le cas le plus parlant est celui de la présentation de la mort de Julien (a. 363, b) où Jérôme suit davantage Festus (28, 3) qu’Eutrope (10, 16, 1-2).
126 Les fondements de cette position ont été jetés par R. Helm, « Hieronymus und Eutrop », Rheinisches Museum für Philologie, 76 (2), 1927, p. 138-170 et 76 (3), 1927, p. 254-306; mais la démonstration a été systématisée par R.W. Burgess, « Jerome and the Kaisergeschichte », Historia, 44 (3), 1995, p. 349-369 et Studies in Eusebian…, p. 115.
127 Selon S. Ratti (« D’Eutrope et Nicomaque Flavien à l’Histoire Auguste : bilans et propositions », Dialogues d’Histoire ancienne, 25/2, Besançon, 1999, p. 247-260), il faut placer « le butoir final » de la Kaisergeschichte en 357 et non en 337 (p. 252).
128 M. Drew Donalson, A translation of Jerome’s Chronicon…, p. 22-25 et 31-33.
129 « Jérôme et Nicomaque Flavien : sur les sources de la Chronique pour les années 357-364 », Historia, 4, 1997, p. 479-508. S. Ratti a prolongé son étude et résumé ses positions dans « Les sources de la Chronique… ».
130 Cf. « Jérôme et Nicomaque Flavien… » ; « D’Eutrope et Nicomaque Flavien à l’Histoire Auguste… », p. 255-256 ; « Les sources de la Chronique… », p. 427.
131 R. W. Burgess, Studies in Eusebian and Post-Eusebian Chronography, p. 115, n. 8 : « The worst modern example of Quellenforschung are to found amongst the recent French and German scholars who have claimed the history of Nichomachus Flavianus as the source for virtually every secular history of the second half of the fourth century in both latin and greek… ».
132 Epist. 10, 3 (CUF, p. 29, l. 12-13) : « … et propter notitiam persecutorum Aurelii Victoris historiam… ».
133 La datation oscille entre 374 (M. Drew Donalson, A translation of Jerome’s Chronicon…, p. 28, d’après W. Fremantle, The principal Works of St. Jerome, Grand Rapids, 1954, p. 12) et 380-381 (F. Cavallera, Saint Jérôme…, t. 2, p. 16-17). Cependant, Cavallera n’est pas péremptoire et propose une fourchette assez large ; pour lui, la lettre « peut dater du second séjour à Antioche et aussi de Constantinople, un peu avant le temps où Jérôme traduit la Chronique d’Eusèbe qui mentionne déjà la Vita Pauli » que Jérôme mentionne également dans la lettre.
134 C’est ce que fait un peu rapidement S. Ratti (compte rendu de G. Brugnoli, Curiosissimus excerptor. Gli « Addimenti » di Girolamo ai « Chronica » di Eusebio, Pise, 1995, in Latomus, 58 (1), 1999, p. 185-187, ainsi que « La lecture chrétienne du Bréviaire d’Eutrope… », p. 271).
135 Epist., 10, 3 (CUF, p. 29, l. 18) : « Misimus interim tibi, id est Paulo seni, Paulum seniorem, in quo propter simpliciores quosque multum in deiciendo sermone laborauimus » ; et Chron., a. 356, b, à l’occasion de la notice mentionnant la mort d’Antoine.
136 De viris, 135 : «… haec scripsi : Vitam Pauli monachi, Epistularum ad diuersos librum unum, Ad Heliodorum exhortatoriam, Altercationem Luciferiani et Orthodoxi, Chronicon omnimodae historiae ».
137 Il s’agit de l’usurpateur Calocaerus (Kalokairos).
138 De Caes., 41, 16.
139 A. 354, d.
140 Eutrope, Breu., 10, 13.
141 « Un historiographe anonyme arien du ive siècle », Römische Quartalschrift, 9, 1895, p. 57-97.
142 J. Bidez et F.Winkelmann (éd.), Philostorge, Kirchengeschichte, GCS 21, Berlin, 19813, p. CLICLII.
143 A translation of Jerome’s Chronicon…, p. 33-38.
144 Studies in Eusebian and Post-Eusebian Chronography…
145 Ibid., p. 126. Burgess s’appuie sur le fait que l’auteur de la continuation grecque loue l’orthodoxie de Constantin et accepte sans les dénoncer les successions d’évêques ariens sur les sièges épiscopaux d’Antioche et Alexandrie ; mais les mêmes remarques militent tout autant, sinon plus, pour un auteur arien!
146 « Les sources de la Chronique… », p. 431-434.
147 P. Battifol supposait une extension de cette source grecque jusqu’en 361, P. Bidez, jusqu’en 378. S. Ratti signale à la fois des convergences entre la Chronique de Théophane et celle de Jérôme (la comparaison entre les deux est une des bases de l’hypothèse de la continuation grecque d’Eusèbe) au-delà de 350 et des divergences importantes entre 325 et 350.
148 Ce qui n’empêche pas, bien au contraire, de poursuivre la recherche de ces sources et d’affiner encore la connaissance que l’on a de l’influence des historiographes successifs les uns sur les autres.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008