La reliure chez Mame : techniques de fabrication et esthétique (1840-1880)
p. 427-435
Texte intégral
1On découvre dans les catalogues de vente de livres de la fin du XIXe siècle des descriptions pour le moins différentes. Ainsi on peut lire pour La Touraine de l’abbé Bourassé daté de 1855 : « in folio, en maroquin vert, dos à 5 nerfs, tranches dorées finement ciselées et guillochées, plats ornés d’un semis d’hermines héraldiques dorées à l’intersection de doubles filets à froid en diagonale formant des losanges ». Par contre L’Orpheline de Moscou de Mme Woillez, datée de 1851, est décrite plus sobrement : « couverture en papier gaufré vert et orné d’un médaillon sur le plat recto ». Que peuvent donc avoir en commun ces deux ouvrages de la même période ?
2Ce sont tous les deux des reliures, tous les deux sont des best-sellers, et tous les deux sortent des ateliers de la maison Mame. La comparaison s’arrête là. En effet, le premier est à la haute couture ce que le deuxième est au prêt-à-porter ; le premier est réservé aux bibliophiles, le deuxième destiné à une consommation de masse ; le premier est réalisé par un relieur, le deuxième est exécuté dans un atelier de reliure industrielle : « de ce genre de reliure où la machine-outil joue le rôle principal », écrira Marius Michel en 1892.
3Depuis son installation en 1853, Mame a réuni dans ses locaux tous les métiers permettant la production d’ouvrages de prestige et ceux de reliure industrielle. La Bible illustrée par G. Doré, Jeanne d’Arc, L’Histoire de Paris, La Vie de Notre Seigneur Jésus Christ, etc., figurent parmi les livres de prestige. Les ouvrages ont été reliés avec un grand soin. Chaque reliure a d’abord fait l’objet d’une maquette aux dimensions du livre à relier, qui prévoit bien entendu le décor à réaliser, la peau à utiliser, la couleur dont dépend également celle de la tranchefile. Il faut compter pas moins de quarante manipulations avant le passage entre les mains du doreur pour la touche finale. De chaque opération, exécutée au millimètre près, dépendra l’équilibre, la réussite de la reliure et donc sa beauté. Toutes les étapes réalisées à la main sont importantes : la couture, l’arrondissure, la coupe des cartons, la passure en carton, la dorure sur tranche, la pose de la tranchefile, la pose des nerfs, la revêture et son décor mosaïqué. Le travail pour ces ouvrages se fait sur des peaux de luxe comme le maroquin ou le veau. Les pièces admirablement réalisées sont des pièces uniques encore prisées et recherchées aujourd’hui tant pour le texte et l’illustration que la reliure.
4Pour L’Orpheline de Moscou, on change complètement de registre, on entre dans le domaine de fabrication appelé reliure industrielle propre au XIXe siècle. Si on veut comprendre la formidable réussite d’Alfred Mame il faut prendre en compte non seulement tout le réseau qu’il a tissé autour de lui par des unions, des alliances, des achats d’entreprise, des rachats de brevets, etc., mais aussi cette révolution autour de la reliure qu’est le développement de la reliure industrielle sans laquelle Mame n’aurait pas pu faire face à la demande croissante de livres émanant de l’Église et de l’institution scolaire. Comme Béraldi l’écrira à son époque : « On reliera maintenant les livres par mille, puis par dix mille, par cent mille, par millions. »
5Les bibliophiles ont de suite méprisé ce style de reliure, et dès 1851 on peut lire que « leur réputation est telle que toute bibliothèque sérieuse […] leur est impitoyablement fermée ». Plus de 150 ans plus tard, les mentalités ont bien du mal à évoluer puisque certains libraires qualifient encore aujourd’hui les cartonnages de « couverture de boîtes de dragées »…
6On sait peu de choses en fait sur le fonctionnement des ateliers de reliure. Quand on observe les gravures qui représentent les ateliers Mame, et que l’on voit ces longues tables, il n’est pas difficile d’imaginer ce qu’on appelle aujourd’hui le travail à la chaîne. Désormais le travail est divisé, chaque ouvrier va répéter inlassablement les mêmes mouvements pour une même opération, acquérant de cette façon une certaine rapidité d’exécution contribuant ainsi à une fabrication à prix modéré. Les machines font leur apparition : machine à coudre, à endosser, massicots, presses… Ces machines subiront des améliorations tout au long du siècle et ont contribué à accélérer la fabrication si particulière de tous les cartonnages. Ce sont les étapes de cette fabrication que nous allons approfondir.
Fabrication
7La fabrication des cartonnages est différente de celle décrite plus haut et se fait en trois étapes. D’un côté on travaille sur le bloc livre, de l’autre sur la couverture, puis bloc et couverture sont réunis au final. Les grandes étapes sont les suivantes :
8Le livre arrive en feuilles, qui sont ensuite pliées en cahiers avant d’être cousues. La couture est la grande particularité de cette sorte de reliure, elle est dite « à cahier sauté ». Alors que pour la reliure traditionnelle chaque cahier est cousu sur toute sa longueur et rattaché à l’autre cahier (voir ci-dessous), pour les cartonnages on va travailler sur trois cahiers en même temps. Le principal avantage de cette technique est une plus grande rapidité d’exécution. Par contre son inconvénient est de déséquilibrer l’ouvrage, la tension du fil ne s’exerçant pas de la même façon sur tous les cahiers (voir ci-dessous).

Couture classique.

Couture à cahier sauté.
9La couture terminée on colle une garde au recto et au verso du bloc. C’est tout simplement une feuille de papier pliée en deux, de basse qualité (cf. pl. XI, no 24). On verra plus loin le grand rôle que ces gardes vont jouer.
10Le dos est ensuite encollé, le livre massicoté. Arrondissure et endossure sont réalisées et le livre est mis en quelque sorte en attente. Alors que ces deux opérations sont très minutieuses pour la reliure traditionnelle car elles sont capitales pour la suite de la reliure, ici elles sont faites par le passage sous le rouleau à endosser qui au lieu d’arrondir le dos va écraser les cahiers, ce qui donne au final un dos presque plat. Il n’y a jamais de tranchefile, ni de mousseline collée sur le dos des cartonnages papier.
11Pour que la reliure soit terminée, le bloc livre doit recevoir sa couverture. Elle est réalisée non pas sur le livre comme pour une reliure traditionnelle mais à part. Elle comprend deux parties :
- la couverture papier (cf. pl. XII, no 25) réalisée en un seul morceau comprenant les deux plats et le dos ;
- les plats en carton.
12Pour les obtenir, on va couper deux morceaux de carton aux dimensions du livre augmentées d’une chasse. Ces deux cartons sont reliés par une bande de carton de même qualité que celle des plats mais plus mince, posée à cheval sur les deux cartons sur près de 2 cm et dont la largeur est égale à celle du dos du livre à recouvrir (cf. pl. XII, no 26). Ces cartons sont ensuite collés sur la couverture en papier, les coins coupés et les remplis faits (cf. pl. XII, no 27). Si la couverture comporte un médaillon, celui-ci est collé sous la couverture.
13La dernière étape est très simple. On encolle la garde recto et verso, on introduit le bloc livre dans l’enveloppe et on exerce une pression en veillant à ne pas écraser le décor gaufré. En fait, il s’agit tout simplement d’un emboîtage. Le livre ne tient à la couverture que par les gardes et non par la passure en carton habituelle.
Dégradations, malfaçons
14Il reste aujourd’hui très peu d’ouvrages en très bon état et c’est le résultat de ce genre de fabrication.
15La première cause est bien entendu liée à l’utilisation du papier, matériau très fragile. Le cas typique est le livre qu’on retrouve en deux morceaux car les gardes n’ont pas tenu (cf. pl. XIII, no 28).
16D’autres dégradations apparaissent : très souvent le papier de la couverture craque au niveau du mors à cause surtout de la colle utilisée, colle d’os qui est très cassante et qui fait perdre au papier sa flexibilité. La « coiffe » n’a pas résisté et se déchire quand on sort le livre du rayonnage. Les frottements sont fatals au papier. Ils laissent apparaître la couleur claire du papier atténuant fortement l’éclat des décors. La décoloration est aussi l’inconvénient majeur du papier. Elle apparaît sur le dos mais aussi sur le plat recto. C’est d’ailleurs un des moyens de reconnaître lequel est un livre de présent et lequel est un livre de prix : le livre de présent, livre objet, est destiné à être vu. Il est donc déposé sur un meuble, le plat recto est exposé à la lumière, et la couleur passe très vite. Quant au livre de prix, il est posé sur un rayonnage et seul le papier du dos est décoloré.
17En plus de ces dégradations liées au type de reliure on constate également un grand nombre de malfaçons qui sont dues au mode de fabrication. Il faut fabriquer vite et cela se voit : couverture mal centrée, posée de travers, couverture trop petite ou trop grande, médaillon mal disposé, chasses inégales, bloc livre posé à l’envers dans la couverture mettant le médaillon sur le plat verso, gardes plissées, etc. En réalité seuls 10 % environ des livres n’ont aucun défaut.
Décor et lithographie
18Mais revenons à la couverture papier (cf. pl. XII, no 25). Quand on l’observe, on voit que les plats, le dos et les remplis sont d’un seul tenant. Pour être posée sur le livre, il lui faut être décorée, titrée et gaufrée en une seule fois et ce avant la couvrure.
19Le décor est obtenu par procédé lithographique, qui est une technique qui utilise la pierre comme support. La lithographie est le procédé de reproduction de prédilection du XIXe siècle, qui permet de reproduire une image à plusieurs milliers d’exemplaires. Ce sera une révolution par rapport au tirage de quelques centaines d’exemplaires réalisées avec le bois gravé ou les plaques de cuivre. C’est un procédé mis au point par un Allemand, Aloys Senefelder ; la date communément retenue pour son invention est 1796. Senefelder définit lui-même la lithographie comme le fait de « produire sur une pierre convenablement polie une tache grasse, isolée par un acide et susceptible de retenir seule un encrage gras ».
20Dans le cas des cartonnages, le décor est très souvent multicolore. Si dès 1810, Senefelder effectue les premières lithographies en couleurs, c’est à Engelmann que l’on doit en 1837 l’introduction du terme de chromolithographie quand il dépose son brevet pour la mise au point de sa méthode d’impression lithographique en couleurs. Toutes les couvertures papier utilisées chez Mame, pour les cartonnages lithographiés, gaufrés et gaufrés à médaillon sont obtenues par chromolithographie. Il n’y a pas d’atelier de lithographie chez Mame, qui fait donc appel à deux imprimeurs lithographes : Engelmann (cf. pl. XIV, no 29) et Lemercier.
21Les premiers cartonnages en papier apparaissent chez Mame assez tôt, vers 1837. Il s’agit de papier uni clair ou foncé, légèrement estampé de motifs géométriques ou floraux, ou imitant tout simplement la toile. Ils apparaissent très ternes en comparaison de la production qui suivra. On est loin, très loin des almanachs chatoyants des années 1810, de Janet, Marcilly… On en voit peu.
22Les cartonnages vendus ensuite sont réunis en trois catégories.
23On voit d’abord apparaître les cartonnages lithographiés. Fond clair ou très foncé, ils ont dessus un décor or et/ou argent. Ils peuvent faire l’objet d’un décor très élaboré, voire très chargé, aux couleurs très chatoyantes. Parfois le plat recto est illustré en rapport avec le contenu du livre et porte outre le titre de l’ouvrage, le nom du lithographe, en l’occurrence Engelmann sur Ludovic le tricheur par C.G. en 1852 (cf. pl. XIV, no 29).
24Ces ouvrages apparaissent un peu avant 1840, leur production s’estompe avec l’apparition des cartonnages gaufrés. Ils refont leur apparition dans les années 1860 et on en fait jusque dans les années 1890, cette fois avec un médaillon.
25À peu près à la même époque apparaissent les cartonnages en papier gaufré. On observe les mêmes couleurs que pour les papiers lithographiés : clair ou sombre avec un décor parfois très lourd d’or ou d’argent. Dans cette catégorie on trouve pendant un très petit laps de temps des cartonnages offrant sur le plat recto, et parfois aussi verso, un médaillon lui-même gaufré, représentant personnages mis en scène, fleurs, oiseaux, comme sur Histoire du Grand Condé par M. A. Lemercier, 1849 (cf. pl. XIV, no 30). Les couvertures en papier gaufré ne portent aucune signature chez Mame.
26Enfin une troisième vague lance sur le marché une série de cartonnages appelés cartonnages à médaillon. Ils arrivent au début des années 1840 et ils sont présents bien au-delà des années 1880. Ce sont les plus nombreux. Il s’agit de livres recouverts de papier gaufré, parfois identique à celui des cartonnages de la série précédente, mais au centre du plat recto, le décor fait place à un espace qui est évidé à l’emporte-pièce et qui permet la pose, sous le papier, d’une image qu’on appelle médaillon. C’est le cas pour Trois mois de vacances de Nanine Souvestre en 1847 (cf. pl. XIV, no 31) ou encore Pierre le Grand de J. N. Dubois en 1847 (cf. pl. XIV, no 32). On n’a pas encore trouvé chez Mame de cartonnage à double médaillon lithographié sur le recto et le verso alors qu’on en voit chez d’autres éditeurs comme Lehuby.
27Les plus beaux cartonnages à médaillon se situent entre les années 1845 et 1855. Les décors sont riches et somptueux. On assiste ensuite à une lente disparition de la présence de l’or au profit de la couleur, puis à une composition du décor beaucoup plus légère, enfin à un décor géométrique.
28La production des ateliers Mame était immense. À côté des livres de prestige et des cartonnages papier il faut mentionner la production de nombreux livres de religion et missels, en grande majorité recouverts de basane pour la production courante, mais aussi cette immense cohorte de livres destinés à la jeunesse recouverts de percaline ; leur fabrication présente quelques différences notoires par rapport aux cartonnages recouverts de papier, mais la base est la même.
Médaillon
29Chez Mame, la grande majorité des cartonnages papier se fait dans le format in-12. La grandeur des médaillons est bien proportionnée par rapport aux dimensions du livre. De tous les éditeurs fabriquant ce genre de cartonnages, il est le moins fantaisiste. Si dans ses débuts il se permet quelques ouvertures ovales (cf. pl. XIV, no 31), alvéolées (cf. pl. XIV, no 32), on ne les trouve que dans les premières années de production, quand les cartonnages sont les plus beaux. Les deux formes les plus couramment utilisées par Mame figurent sur l’illustration pl. XV, no 33.
Chromolithographie et repères
30Toutes les couvertures ainsi que les médaillons sont lithographiés. La lithographie est une technique complexe, et la chromolithographie encore plus puisque, pour obtenir un dessin en plusieurs couleurs, il faut autant de pierres que de couleurs et de passages successifs de la même couverture sur ces pierres différentes. Chez Mame on trouve très souvent deux couleurs (or sur fond blanc, pastel ou foncé), ou encore trois couleurs (fond blanc et décor vert et or), mais le nombre de couleurs peut parfois être supérieur à cinq pour les décors à motifs floraux ou à damiers.
31La difficulté se présente au moment du tirage quand on utilise plusieurs pierres. Pour que le dessin soit respecté, que les couleurs restent à la place qui leur est destinée sur le dessin initial, qu’il n’y ait ni chevauchement ni décalage des couleurs, le seul moyen est le repérage. Ch. Lorilleux dit en 1889 dans son traité de lithographie : « Sans repérage, la chromolithographie ne saurait exister. » On trouve des points de repères très différents sur tous les cartonnages de Mame, ils apparaissent sur les remplis (cf. pl. XII, no 25, croix dans les cercles).
32Ces points de repère sur la couverture papier se retrouvent exactement aux mêmes endroits sur la pierre lithographique. Il suffit alors, à l’aide d’aiguilles montées sur un manche, de perforer le papier, de positionner les aiguilles sur les repères de la pierre et de faire descendre la feuille sur la pierre le long de l’aiguille : manipulations délicates et longues. On utilisera plus tard un châssis à repérer mis au point par Engelmann, avec lequel on obtient un repérage plus sûr et plus rapide.
Gaufrage
33Pour les cartonnages gaufrés, le papier lithographié de la couverture doit subir une nouvelle opération qui est le gaufrage.
34Le gaufrage est décrit comme suit par E. Herscher en 1930 :
« La feuille de papier à gaufrer étendue à plat avant sa fixation au volume était prise, sous la presse, entre deux plaques, une plaque négative en acier, gravée en creux, et une contrepartie en carton (positif) qui avait, préalablement assouplie, détrempée, reçu l’empreinte en relief. »
35La plaque qui sert au gaufrage est gravée en creux. Le papier doit être assez fort pour supporter à la fois les manipulations liées à la chromolithographie, au gaufrage et à celles de la reliure elle-même. Il faut bien entendu veiller à faire coïncider le décor lithographié auparavant avec le même décor gravé sur la plaque à gaufrer au moment de la manipulation.
36Comme on l’a dit précédemment, la couverture se présente en un seul morceau comprenant plat recto, dos, plat verso. La plaque à gaufrer, qui a le même décor que le papier lithographié, est en principe d’un seul morceau, mais on peut y concevoir des parties mobiles reliées par des goujons. Une même plaque peut donc servir à plusieurs séries d’ouvrages. En changeant certaines parties, au niveau du titre par exemple, ou encore des éléments de décor, une même plaque, donc un même décor, pouvait servir sur plusieurs années. On donnait simplement l’illusion de la nouveauté en jouant avec la couleur de fond du papier, les couleurs du décor, le médaillon, etc. Ainsi entre 1852 et 1860, à partir d’une même plaque, on a répertorié neuf effets différents.
Couleur et type de décor
37Les couleurs des couvertures des cartonnages papier sont très variées, allant du pastel aux couleurs les plus foncées. Mais laissons E. Brin s’exprimer sur le sujet :
« [Ces cartonnages,] exécutés entre 1840 et 1886, offrent un choix étonnant de coloris, allant des roses les plus délicats aux bleus les plus vifs, en passant par les verts et les mauves les plus tendres, sans oublier les blancs brillants et les noirs profonds. »
38Les décors sont aussi très variés. Ceux appartenant à la reliure traditionnelle du XIXe siècle ne sont pas innovants, excepté le fameux décor à la cathédrale. À la demande des bibliophiles eux-mêmes, les relieurs vont s’inspirer des décors anciens, et ce sera le règne du pastiche. Par contre, s’il n’y a pas d’innovation dans le décor on observe une perfection dans l’exécution. Les décors sur papier n’échappent pas à ce mouvement. Tous les styles des siècles précédents sont représentés : décor floral, à arabesques, à entrelacs, à semis, à compartiments, le décor « d’inspiration égyptienne », à motifs répétés et géométriques, et le décor rocaille qui est un motif très visible chez Mame surtout dans les premières années. Bizarrement le motif à écoinçons est absent alors qu’on le trouve chez Barbou et, encore plus bizarre, le décor à la cathédrale qui est utilisé par Lefort ne fait que très rarement partie des décors de Mame. À toute cette diversité, il faut rajouter toute une série de cartonnages qui ne se rattachent à aucun de ces courants.
Titrage
39Chez Mame, on trouve sur le dos de tous les cartonnages deux « pièces » le plus souvent rectangulaires : l’une, en haut, réservée au titre du livre, l’autre, en bas, réservée au nom de l’éditeur. On ne trouve jamais le nom de l’auteur sur le dos du livre. Les titres sont gaufrés or. Pour le nom de l’éditeur, il est soit gaufré or, soit lithographié or ou couleur, et ce dès 1850. La couleur correspond alors à la couleur dominante du décor.
40L’intitulé concernant l’éditeur varie. On trouve ainsi en 1851 : A MAME // Et Cie // TOURS ; ou en 1863 : A MAME // & Fils // TOURS ; etc.
Filet et remplis
41Tout autour de la couverture, on aperçoit sur la majorité des cartonnages de Mame un filet or (cf. pl. XII, no 25, flèches rouges). Quand la reliure est bien faite, il vient se poser sur le chant des plats, en tête, queue, gouttière, imitant en cela ce qui se pratiquait déjà sur les reliures en cuir au XVIIe siècle. À cette époque il s’agissait bien sûr d’une roulette passée sur une feuille d’or. Pour les cartonnages, l’idée est la même sauf que tout est prévu, conçu et réalisé sur le papier par lithographie en même temps que le décor.
42À côté de ce filet, on voit un petit décor, le décor du rempli qui apparaît sur les plats après rempliage, donc à l’intérieur du livre (cf. pl. XIII, no 27). Chez Mame, plus de 85 décors différents ont été répertoriés à ce jour (quelques exemples pl. XV, no 34).
Médaillon
43Dans les catalogues de vente ou d’exposition, on utilise des expressions différentes pour qualifier les médaillons : médaillons en couleurs, litho couleurs, litho coloriée, lithochromie, litho en couleurs, chromolitho, chromolithographie. Tous ces termes signifient qu’il s’agit de chromolithographie, qui reste le terme général. On peut en réalité classer les médaillons en trois catégories :
- les lithographies coloriées à la main. Dans ce cas quelques éléments de la lithographie sont repris en couleurs, soit au pochoir soit au pinceau, et la différence est visible à la loupe. On en trouve peu chez Mame, et dans ce cas, c’est entre les années 1840 et 1850, ce qui s’explique quand on réalise le nombre de livres qui sortent par jour des ateliers. Il paraît difficile de faire reprendre à la main les planches de médaillon pour des raisons de rapidité ;
- les lithochromies, qui se caractérisent par une impression de fondu avec une large place accordée aux gris et aux blancs, et trois ou quatre couleurs, mais seulement juxtaposées. On les trouve en masse chez Mame entre 1850 et 1870 (cf. pl. XVI, no 35, où on aperçoit en bas la signature placée sous le papier gaufré) ;
- les chromolithographies, qui sont des images obtenues par superposition de couleurs. Ici toute l’image est en couleurs et l’aspect est très lourd, foncé, et les couleurs difficiles à définir. Les médaillons seront chromolithographiés chez Mame dans les années 1870 et 1880 (cf. pl. XVI, no 36).
44La découverte d’une signature sur un médaillon est fortuite, rendue possible par la détérioration du papier qui entoure ce médaillon. À ce jour, on a pu répertorier sept signatures : A.B. ; AD pour Alexandre David ; J. Alexandre Duruy ; Jules Champagne ; Émile Lasalle ; F. Sorrieu ; H. Walter.
45Des millions de cartonnages vont sortir des ateliers de Tours entre 1840 et 1885. À côté des livres relevant de la reliure traditionnelle, la fabrication en série des cartonnages recouverts de papier ou de percaline est une avancée pour leur diffusion. En 1895, Henri Béraldi tient à leur sujet les propos suivants :
« C’est une production immense, que nous ne regardons pas, parce que nous vivons au milieu d’elle. Ou plutôt nous la regardons sans la voir, négligemment, à l’époque des étrennes, un peu fatigués de son abondance, et oubliant que c’est nous qui devrions avoir l’œil assez artiste et assez critique pour rechercher aujourd’hui avec plaisir, au milieu du médiocre, les morceaux intéressants et qui sûrement seront remarqués par nos successeurs, lorsque le temps aura passé dans un alambic cette incalculable production pour en distiller la quintessence. »
46Il avait vu juste puisqu’il a fallu attendre des décennies pour qu’on daigne regarder la production de Mame mais aussi celle de ses concurrents (Mégard, Lefort, Barbou, Ardant, etc.) et les voir enfin comme des témoins du XIXe siècle, tant sur le plan de la littérature que des techniques de reproduction et de fabrication. C’est ce regard qui aboutira à leur donner la place qu’ils méritent pour figurer, enfin, sur les rayonnages de toutes les grandes bibliothèques.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008