Chapitre V. Une approche des fortunes bourgeoises
p. 107-153
Texte intégral
1Il faut enfin tenter de mesurer le niveau et l'ampleur des fortunes bourgeoises. La capitation apporte une indication concrète des revenus des individus mais elle ne renseigne que très imparfaitement sur la fortune réelle. Il est évident que les fluctuations courtes de la capitation répercutent des modifications de richesse mais le rapport effectif avec le patrimoine total n'est ni constant, ni régulier.
2On dispose de plusieurs indicateurs pour mesurer les fortunes et les patrimoines bourgeois. L'observation des apports des conjoints dans les contrats de mariage est le plus intéressant et révélateur. Elle apporte plusieurs types de renseignements. Elle permet de retrouver les stratégies d'endo/exogamie sociale ou professionnelle dont on a parlé précédemment et de les confronter avec une hiérarchie des niveaux de richesse. Elle donne aussi des indications sur deux générations d'individus. D'une part, elle permet d'estimer indirectement la fortune des parents par l'intermédiaire des dots et des donations faits aux jeunes époux, c'est-à-dire qu'elle livre des indications sur des individus dont la vie professionnelle ou active approche de son terme. D'autre part, elle nous montre précisément de quelle richesse disposent les nouveaux couples qui, bien souvent, commencent leur vie professionnelle.
La hiérarchie des contrats de mariage
Présentation de l'échantillon
3L'enregistrement des actes permet de retrouver plusieurs centaines de contrats de mariage entre 1758 et 17891. Nous y trouvons l'ensemble des mariages célébrés à Rennes et dans son bureau d'enregistrement2 et ayant donné lieu à un contrat de mariage devant notaire avec l'indication des apports des époux3. Nos relevés ne portent que sur une partie réduite des mariages car de nombreuses alliances ne donnent pas lieu à un contrat de mariage4. Ils écartent également une partie des Rennais, des hommes surtout, qui se marient ailleurs, dans la paroisse de leur femme mais, à l'inverse, ils intègrent le mariage à Rennes de certains hommes venant de l'extérieur5.
4Ces restrictions établies, il nous reste un total de 759 mariages répartis de façon assez équilibrée sur les 25 dernières années de l'Ancien Régime6. Pendant ce quart de siècle, la valeur globale des apports au mariage n'évolue pas de façon significative. Les valeurs moyennes dépendent beaucoup trop de quelques grands mariages nobles pour qu'on puisse en tirer le moindre indice. Les valeurs médianes sont plus intéressantes. Établies sur les seuls mariages roturiers (689 cas), elles montrent une tendance nette à la hausse des apports (en valeur nominale) à partir des années 70, hausse plus réduite dans les années 80. Établis sur un corpus annuel assez modeste, ces chiffres n'ont qu'une valeur très indicative ; ils attestent de la réalité de la hausse des prix et de la dépréciation monétaire mais ne permettent pas de préciser le décalage éventuel entre hausse des prix et hausse des apports au mariage. Il semble que les deux mouvements soient assez comparables, indiquant une relative stabilité de la richesse et des revenus réels des Rennais dans leur ensemble. Mais toute vision d'ensemble reste peu opératoire et il faut distinguer les conjoints en fonction de leurs origines socio-professionnelles pour obtenir des renseignements plus précis.
La domination nobilaire
5L'extraordinaire richesse de la noblesse apparaît immédiatement. 55 % des époux nobles ont un apport initial de plus de 30 000 livres, 22 % d'entre eux dépassent les 100 000 livres. Parmi les roturiers, un seul couple dépasse 100 000 livres et ceux qui atteignent 30 000 livres ne représentent que 3,2 % du total.
6Dans la noblesse, deux groupes se distinguent. Les parlementaires et toute la très haute noblesse provinciale séjournant plus ou moins régulièrement à Rennes se situent systématiquement au-delà de 20 à 30 000 livres d'apport au mariage. Mais, à l'opposé, il existe une noblesse moyenne qui dote ses enfants de sommes plus modestes, entre 3 000 et 20 000 livres, c'est-à-dire au niveau de la bourgeoisie locale. Il s'agit d'une petite noblesse des campagnes voisines, d'écuyers des diocèses de Rennes ou de Saint-Malo et, plus fréquemment encore, d'une noblesse purement rennaise, se distinguant mal dans ses activités, ses modes de vie et ses comportements, de la bourgeoisie. Nous trouvons là toute une noblesse travailleuse, occupant des fonctions d'officier, de procureur, d'avocat, ou exerçant des professions libérales et dont les fortunes sont très éloignées de celles de la haute noblesse provinciale7.
7Autre élément caractéristique des mariages nobiliaires, c'est généralement l'homme qui apporte la somme la plus importante. Il contribue pour 56 % à la constitution des biens du couple et sa primauté est réelle, quelle que soit la catégorie de richesse considérée. La femme n'apporte une somme plus importante que dans 39 % des mariages. Beaucoup de nobles n'hésitent pas à épouser des filles de familles moins prestigieuses et moins fortunées, à condition toutefois de rester dans le cadre de la noblesse. Les déséquilibres très grands des apports ne sont pas rares puisque dans 31 mariages, l'un des deux époux apporte plus du double de son conjoint.
8La noblesse peut apparaître divisée en deux catégories selon ses apports aux mariages mais, face au Tiers État, elle est incontestablement très homogène. Parmi les roturiers, les différences sont beaucoup plus fortes entre le petit peuple de la ville et la haute bourgeoisie.
Un petit peuple miséreux
9Les catégories les plus populaires sont peu représentées dans notre échantillon. La faiblesse des apports des conjoints fait que les contrats sont plus rares qu'ailleurs. Nous n'avons relevé que 15 cas de journaliers, 12 de domestiques, 15 de paysans des environs immédiats et 65 de compagnons et ouvriers divers, soit 14 % de l'ensemble.
10Journaliers et manœuvres sont les plus défavorisés. Dans les 2/3 des cas, leurs apports au mariage n'atteignent même pas 500 livres et les moins misérables ne dépassent pas 1 300 livres, soit la valeur moyenne des apports des compagnons. Dans tous les cas, le journalier qui se marie ne possède rien d'autre que quelques outils, quelques meubles et ses hardes. De plus, il n'y a pas d'évolution sensible au cours des 25 années considérées et les époux manouvriers ou portefaix de 1789 sont probablement encore plus pauvres que ne l'étaient leurs parents vers 1760-1765. Enfin, si ces pauvres prennent soin d'établir un contrat de mariage, c'est qu'ils ont cependant quelques biens à mettre en commun et ce n'est certes pas une situation générale chez les journaliers. Nous ne saisissons probablement que les moins misérables.
11À côté de ces très pauvres, les trois autres catégories paraissent presque privilégiées puisque leurs apports moyens sont équivalents aux apports maximum des journaliers. Les plus pauvres sont encore au niveau des journaliers (apport minimal : 245 livres pour les compagnons, 99 pour les paysans, 400 pour les domestiques) mais ils ne constituent plus la majorité du groupe. Un quart des mariages de domestiques, un dixième de ceux de compagnons restent en dessous de 500 livres. Mais, en revanche, 40 % des paysans, 46 % des compagnons et 50 % des domestiques rassemblent entre 1 000 et 5 000 livres lors de leur mariage. Dans les trois groupes, quelques individus plus favorisés se dégagent. Pour les domestiques, il s'agit de personnes au service de nobles qui leur donnent un pécule assez important ; les paysans apportent quelques terres alors que pour les compagnons, les mariages les plus « heureux » sont ceux qui les associent à des veuves nettement plus riches. Les sommes apportées dépassent alors très souvent 2 000 livres et atteignent même 7 320 livres dans le cas d'un ouvrier corroyeur qui épouse une veuve apportant 7 000 livres en 1786. Ainsi trouve-t-on parfois dans cette catégorie, un début de constitution de patrimoine ou de fortune. La majorité cependant reste bien incapable de réunir plus de 500 livres.
Les maîtres artisans
12Avec les maîtres artisans, on grimpe encore un échelon dans la hiérarchie des fortunes. La valeur moyenne des apports s'élève à 2 648 livres, soit plus du double de celle des compagnons. À nouveau, la valeur moyenne correspond à peu près aux valeurs moyennes les plus fortes de la catégorie précédente.
13Les maîtres très pauvres (moins de 500 livres d'apport total) ne représentent même pas 10 % de l'ensemble et la catégorie la plus nombreuse se situe entre 1 000 et 3 000 livres (51 %). Au-dessus de 10 000 livres, on trouve encore 10 % des couples et le plus riche des mariages d'artisans unit en 1784, Julien Tinard et une Demoiselle Trottoux, deux membres de « dynasties » de boulangers aisés qui se constituent un pécule de 17 599 livres. Nous avons là un exemple de ces artisans riches qui, par leurs revenus et leur patrimoine, s'intègrent incontestablement à la bourgeoisie. Au regard des apports au mariage, on peut estimer que 10 % des artisans sont manifestement riches et peuvent s'assimiler à la bourgeoisie alors que 10 à 15 %, qui apportent de 3 à 5 000 livres lors de leur mariage, peuvent espérer y accéder ou s'en approcher.
14Mais ce monde de l'artisanat n'est pas uniformément aisé et toutes les professions n'offrent pas les mêmes opportunités. Des quatre mariages d'orfèvres, le moins riche ne compte que 3 000 livres d'apport mais le maximum atteint 15 000 ; chez les horlogers la barre ne descend qu'à 2 700 livres (5 cas) ; 10 des 11 mariages de teinturiers dépassent 2 000 livres. Les pâtissiers, traiteurs, tanneurs ou vitriers sont dans la même situation. Ce sont des métiers qui apportent fréquemment une certaine aisance. Les métiers de l'alimentation offrent des situations contrastées. Chez les boulangers, les apports descendent jusqu'à 200 livres et 56 % sont en dessous de 2 000 livres. Même chose pour les bouchers où quelques familles aisées se distinguent d'une majorité très pauvre. Les métiers des métaux sont généralement au-dessus de la moyenne alors que ceux du textile sont très nettement au-dessous. Métiers du bâtiment et menuisiers sont aussi pauvres et parmi les professions les plus courantes, les cordonniers se distinguent par leur peu de bien ; dans 70 % de leurs mariages, les apports des deux époux ne dépassent pas 1 000 livres et se situent donc au niveau de beaucoup de compagnons.
15Cette hiérarchie des professions artisanales se retrouve de façon assez semblable chez les compagnons et elle correspond aussi aux hiérarchies qu'on peut établir par la capitation. Des recoupements par individus montrent assez nettement les corrélations. Ceux qui apportent plus de 3 000 livres lors de leur mariage paient presque systématiquement plus de 20 livres de capitation ; en dessous de 1 000 livres d'apport au mariage, on n'apparaît jamais à plus de 15 livres dans la capitation.
16Par ses mariages, le monde de l'artisanat apparaît donc doublement hiérarchisé. Le maître est incontestablement plus riche que ses compagnons mais, selon les métiers, sa richesse est très variable.
17Cette richesse relative des maîtres artisans est aussi sans doute le résultat d'alliances matrimoniales bien spécifiques. Trois cas de figure se présentent. Dans les professions traditionnelles et aisées, les époux sont majoritairement de même origine. Boulangers, tanneurs, teinturiers... se marient entre eux. Les autres métiers recherchent l'alliance des filles de ces maîtres reconnus ou, à défaut, celles de veuves qui apportent des sommes assez importantes. Ainsi se constituent et se perpétuent des dynasties artisanales très solides et respectables.
Une petite bourgeoisie composite
18Au-dessus de l'artisanat, s'intercale une catégorie composite de petite et moyenne bourgeoisie. Elle est constituée d'aubergistes, d'entrepreneurs (maçons enrichis), des professions des transports et de tout le personnel administratif subalterne. Commis, secrétaires, employés de toute sorte sont nombreux à Rennes. Le Parlement, les États, l'Intendance, les multiples bureaux d'imposition et de ferme en emploient plusieurs dizaines. Personnel qualifié, prototype de l'administration des xixe et xxe siècles, ces hommes disposent parfois de revenus assez élevés. On repère ainsi 4 mariages de secrétaires de l'Intendance en 1773, 1780, 1781 et 1784 où les apports s'échelonnent entre 10 500 et 31 000 livres. Dans la plupart des cas pourtant, c'est la femme qui apporte la somme la plus forte. L'homme dispose d'un métier rassurant mais ne permettant pas de constituer de vraie fortune. Entrepreneurs et métiers des transports sont dans une situation opposée. L'homme peut gagner beaucoup d'argent et c'est lui qui apporte le plus. Cela permet de jeter un regard critique sur la respectabilité des différents métiers. Les employés administratifs jouissent d'un prestige social qui compense la modestie relative de leur revenu et attire des familles aisées d'artisans ou de commerçants qui entrent ainsi dans un monde incontestablement bourgeois par ses occupations et son mode de vie. Les entrepreneurs, cochers ou messagers sont, en revanche, des travailleurs manuels et, à ce titre, probablement considérés comme des artisans. Même s'ils gagnent des sommes importantes, ils ne constituent pas un « beau parti » et leurs femmes viennent de milieux modestes de l'artisanat. Ce n'est qu'à la génération suivante, quand le fils du cocher devient fermier des messageries, le fils de l'entrepreneur architecte, qu'ils s'intègrent à des milieux sociaux plus élevés.
19Malgré une proximité des apports au mariage, cette catégorie intermédiaire de moyenne bourgeoisie présente des types sociaux très différents. Petits officiers et employés sont perçus positivement et leur alliance est recherchée même si leurs revenus sont modestes. À l'inverse, les autres catégories dont le métier apporte pourtant des revenus plus solides, s'imposent plus difficilement. La nature du travail, intellectuel ou manuel, dans un bureau ou dans la rue, est probablement à l'origine de ces différences de perception.
La bourgeoisie
1-Une vision d'ensemble
20Au-delà de 5 000 livres d'apport, on entre dans un monde presque exclusivement bourgeois. Parmi eux, on peut définir six groupes professionnels : avocats, procureurs, officiers, négociants, marchands et professions libérales. Les autres groupes (rentiers, militaires...) sont trop peu représentés pour que les chiffres soient significatifs.
21Les apports moyens sont à nouveau bien différenciés. Professions libérales, procureurs et marchands se situent entre 7 500 et 8 500 livres. Les avocats s'en distinguent nettement avec des apports moyens de 11 891 livres. Au sommet des hiérarchies bourgeoises, deux catégories se détachent : les officiers royaux rassemblent en moyenne 21 376 livres lors de leurs mariages ; les négociants 25 694 livres.
22Quelle que soit la catégorie considérée, les mariages très modestes disparaissent. Au-dessous de 1 000 livres, on ne compte que deux procureurs et un marchand. En revanche, les contrats de mariage portant sur plus de 10 000 livres sont toujours supérieurs à 20 % et atteignent 47 % chez les avocats, 69 % chez les officiers et 87 % des négociants. Pour ces trois catégories, commencer sa vie familiale avec un patrimoine supérieur à 10 000 livres est donc quelque chose d'habituel. Dans ces milieux, tout le monde dispose d'un patrimoine permettant d'être à l'abri des risques professionnels. Mais, là encore, les apports masculins et féminins sont souvent très déséquilibrés. Pour les procureurs, les avocats ou les professions libérales, l'apport de l'épouse est supérieur de 50 % en moyenne. Chez les marchands ou les officiers, c'est l'homme qui apporte une somme plus importante de l'ordre de 50 % alors que chez les négociants, la part de l'homme est le double de celle de la femme.
23Cette répartition particulière des apports masculins et féminins est à nouveau significative d'une échelle des respectabilités et des valeurs sociales reconnues à Rennes. L'homme de loi ou le praticien constituent un « beau parti » et de riches familles marchandes et négociantes (Dervo, Élias, Mondehair) leur donnent leurs filles avec des dots parfois considérables. À l'inverse, rares sont les négociants qui épousent des filles d'avocats. Plus vite et plus récemment enrichis, les négociants et les marchands restent plus confinés dans leur milieu d'origine. Chez les officiers, les différences des apports masculins et féminins sont surtout marquées dans les catégories intermédiaires. Au sommet, les plus riches officiers n'épousent que des filles apportant des dots équivalentes à leurs propres biens. C'est parmi eux qu'on trouve les quelques mariages avec les nobles alors que les négociants sont ceux qui paraissent avoir le plus de contacts extérieurs (6 des 24 négociants ne sont pas rennais mais épousent des filles de commerçants rennais).
2-Les hiérarchies internes
24Au-dessus du monde de l'artisanat, toute une gamme de situations intermédiaires se dégagent avant d'atteindre vraiment la bourgeoisie riche. Petits marchands, artisans enrichis, officiers subalternes, procureurs ou avocats pauvres forment un groupe compact dont les apports au mariage se situent autour de 5 000 livres. Catégorie hétéroclite où on retrouve des situations individuelles diversifiées. Pour certains, ce n'est qu'une étape dans un processus d'ascension sociale ; pour d'autres ce positionnement médian les place au sommet de leur profession (les artisans) ou, au contraire, à la base (les procureurs). Selon le type de profession, cette situation révèle une réussite économique qui ne permet pas encore de trouver une épouse de condition sociale plus élevée ou, à l'inverse, malgré un relatif insuccès professionnel, le prestige et la respectabilité d'un métier qui continue d'attirer des familles commerçantes ou artisanales riches (c'est le cas des procureurs et des avocats). L'argent de l'échoppe ou de l'atelier est bien venu pour renflouer les finances de ces hommes de loi pauvres, alors qu'à l'inverse, les artisans enrichis n'intéressent guère les filles des milieux de robe qui verraient sans doute dans de telles alliances une forme de déclassement social même si on se situe à des niveaux de fortune tout à fait respectables.
25Ce n'est qu'un peu plus loin qu'on aborde la bourgeoisie riche. La majorité des marchands, des avocats, des procureurs et des membres des professions libérales réunit de 7 000 à 15 000 livres lors de ses mariages. Le patrimoine des jeunes couples correspond alors à 4 à 6 fois le patrimoine moyen des maîtres artisans et près du double de la moyenne bourgeoisie. Ici, les déséquilibres entre apports masculins et féminins sont souvent moins forts. Le problème n'est plus de s'enrichir par un mariage heureux mais plutôt de conforter, d'équilibrer des fortunes déjà établies. Dans cette catégorie, avocats et procureurs sont beaucoup plus nombreux que les métiers du commerce (et parfois plus riches), confirmant encore la prédominance des robins dans la ville. Plus riches que la moyenne, appartenant à des familles établies de longue date, leur alliance est recherchée. Les apports féminins, de provenance très diverse, sont volontiers importants. Marchands et riches négociants rennais ne peuvent rêver de meilleur gendre qu'un avocat bien établi et respecté !
26Quelques-uns de ces avocats et procureurs se hissent également au niveau de la très grande bourgeoisie. En effet, au-dessus de la masse bourgeoise, deux catégories apportent lors du mariage de leurs enfants des sommes considérables, témoignant ainsi de leur puissance économique ; les officiers et les négociants dépassent nettement 20 000 livres d'apport au mariage. Dans ces deux groupes, l'apport masculin est le plus fort. Fortunes du négoce ou revenus provenant de la manipulation des deniers de l'état permettent de construire des patrimoines remarquables et de se libérer quelque peu de la recherche d'alliances matrimoniales financièrement intéressées. Ainsi les négociants les plus riches se contentent-ils parfois d'alliances assez modestes. Indice d'une éventuelle réticence rennaise à intégrer véritablement les fortunes du négoce au sommet de la hiérarchie des valeurs ? Ce n'est pas impossible mais d'autres facteurs peuvent jouer aussi. Les riches négociants sont très peu nombreux à Rennes (tout au plus une quinzaine de familles) et la tendance à l'endogamie est assez nette chez eux, sans doute pour conforter encore leurs affaires. On recherche plus volontiers des mariages commerçants qu'on n'hésite pas, si besoin est, à aller chercher dans d'autres villes, diminuant d'autant l'impact local de ces mariages.
27C'est au niveau des négociants et des officiers qu'apparaissent les mariages nobles. Mais il ne s'agit encore que de la noblesse la moins riche car l'apport moyen lors des mariages nobles est de 78 967 livres. Mais ce chiffre est déformé et tiré vers le haut par 4 très grands mariages portant chacun sur plus de 200 000 livres. Si on les écarte, la moyenne se réduit à 47 869 livres et on peut alors estimer que lors de leur mariage les nobles ont un patrimoine double de celui de la très grande bourgeoisie locale. La hiérarchie, la distance, sont donc évidentes dans la plupart des cas. Les plus riches bourgeois ne peuvent se comparer qu'à une minorité inférieure de la noblesse. Mais les 40 % de nobles qui comptent plus de 50 000 livres d'apports au mariage sont indiscutablement au-dessus de tous les roturiers. Pour cette noblesse riche, les mariages mixtes ne sont jamais envisagés et, à l'échelle de la province, la puissance des grandes familles, parlementaires ou autres, ne peut guère être égalée que par quelques grandes familles du négoce nantais.
Les inventaires après décès
28Les inventaires après décès confirment globalement cette hiérarchie des fortunes8. Mais ils ne concernent que la fortune mobilière. Restriction considérable qui ne permet qu'exceptionnellement d'estimer l'importance des revenus et des biens immobiliers. Les inventaires mentionnent pourtant le contenu des papiers et titres conservés par le défunt ; ils signalent la présence de quittances d'impôt ou de loyer, de reconnaissances de dettes, d'obligations ou de rentes constituées ; ils indiquent aussi l'existence d'actes d'achats ou de ventes immobilières, de baux ruraux ou urbains. Mais, par ce biais, on peut simplement savoir si le défunt possède des biens immobiliers car ces documents sont très rarement chiffrés, empêchant ainsi de mesurer précisément la part du patrimoine immobilier dans la fortune totale9.
Une image concordante des hiérarchies sociales
29Comme les apports au mariage, les inventaires montrent la concentration des richesses entre les mains de quelques-uns.
30À la base, 55 % des inventaires regroupent 5 % des biens tandis qu'à l'autre extrémité, 5,5 % des plus riches individus possèdent plus de 60 % des richesses. Le parallélisme est particulièrement frappant et on peut le comparer aux estimations des contrats de mariages (56 % à moins de 3 000 livres, 7 % à plus de 30 000). Dans les deux cas, la hiérarchie des fortunes est clairement établie. Une petite minorité de 5 à 6 % de la population possède plus de 60 % des biens. La différence est même sans aucun doute plus large car il faut ajouter aux patrimoines détaillés dans les inventaires, les biens immobiliers et fonciers. Or, ces biens concernent surtout les catégories supérieures.
31Au cours du siècle, la valeur des inventaires évolue notablement. Les aléas de la documentation ne permettent pas de tirer des conclusions définitives mais quelques lignes de force apparaissent nettement. La valeur moyenne des inventaires augmente de 76,6 % entre 1710-1720 et 1785-1788. Tenant compte du hasard des morts et de leurs qualités professionnelles, il faut relativiser la donnée brute.
32Les petits inventaires qui portent sur moins de 1 000 livres représentent 57 % au début du siècle et tombent à 50 % à la fin. Ils constituent toujours la plus grande part des inventaires mais leur part de la valeur diminue nettement, de 9,1 % des biens au début du siècle à 2,6. % à la fin. Le petit peuple reste aussi nombreux mais sa situation matérielle semble bien se dégrader. L'inflation de la seconde moitié du siècle atténue d'autant la valeur d'un inventaire de 700 à 800 livres. En 1710-1720, on trouvait assez fréquemment dans cette catégorie des petits marchands, voire des avocats ou des procureurs. Dans les années 80, ce sont des artisans qui forment la majeure partie de ces inventaires pauvres. Si on observait précisément les biens possédés, on verrait la stabilité apparente se convertir en dépréciation matérielle réelle. Les prix du mobilier, des ustensiles de cuisine, du linge, des vêtements ont augmenté et les 700 à 800 livres de 1715 qui pouvaient parfois correspondre à un « intérieur » moyen se réduisent, à la veille de la Révolution, au mobilier souvent très médiocre d'un artisan peu aisé.
33La catégorie moyenne (de 1 000 à 10 000 livres) conserve une part assez stable, de 33,7 à 36,3 % du nombre des inventaires. Mais sa part du patrimoine diminue sensiblement, passant de 26,7 à 20,8. Il y a donc, là aussi, une modeste dépréciation de la valeur des biens mobiliers et, à tout le moins, une stagnation des conditions matérielles d'existence. Cependant, le phénomène peut être contrarié, à ce niveau, par une évolution divergente des patrimoines immobiliers qui ne nous est pas connue. En tout état de cause, les revenus immobiliers éventuels n'ont pas été convertis en biens matériels, présents dans les inventaires.
34Au-dessus de 10 000 livres, on trouve 9,4 % des inventaires au début du siècle et 13,6 % à la fin. La croissance du nombre des inventaires riches devient beaucoup plus nette encore quand on observe leur valeur : 64,0 % en 1710-1720 ; 75,5 % en 1785-1788. La fortune des plus riches s'est encore accrue alors qu'elle stagne ou régresse pour les autres catégories.
La grande richesse rennaise : origine sociale et diversité des comportements
35Au-delà de ces données globales, il faut chercher à voir à quels milieux sociaux correspondent ces inventaires.
36La grande richesse ne surprend guère. Parmi les 15 inventaires dépassant 20 000 livres, se trouvent 6 nobles et 4 anoblis. Les nobles viennent des meilleures familles de Haute-Bretagne implantées dans le Parlement. Seul, M. De Kergariou fait exception. Venant du Trégor, la majeure partie de ses biens, 40 817.12 livres est inventoriée dans son hôtel particulier de Lannion et son appartement rennais ne contient que 3 604.11 livres10. Mais pour ces gens, les biens mobiliers n'occupent qu'une place modeste. Les appartements rennais, les hôtels particuliers, les châteaux et plus encore les terres et les seigneuries les placeraient bien au-dessus de tous les autres, nobles ou roturiers.
37Ici pourtant, ils côtoient quelques anoblis dont les fortunes sont, elles aussi, considérables. L'origine de ces anoblis richissimes est, en elle-même, significative. Deux d'entre eux (Gardin et Léon) sont de familles d'office anciennes ; Pinot de la Gaudinais a cumulé les offices et la grande banque alors que Bigot du Chesnay vient du monde de la justice. Ils sont donc très représentatifs de la très grande bourgeoisie rennaise, travaillant avec le roi ou le Parlement. La structure de leur fortune est cependant bien différente. Mme Pinot de la Gaudinais a soldé la plupart des créances et des intérêts de son époux et a replié sa fortune sur des acquisitions de luxe (bijoux, argenterie) et des meubles et effets personnels. Mais, parallèlement, cette fortune mobilière est très secondaire par rapport aux biens immobiliers, ruraux ou urbains11. Félix Bigot du Chesnay a choisi lui aussi des placements assez sûrs puisque des rentes (sur les hôtels de ville de Paris et Lyon) représentent les 3/4 de ces biens mobiliers. Là aussi, les biens immobiliers forment probablement une part prépondérante de la fortune12. À l'inverse, les fortunes de Gilles Gardin de la Bretonnière et de Joseph Léon paraissent beaucoup plus spéculatives. Gardin a certes une argenterie et un mobilier d'une valeur considérable mais on peut s'étonner des 34 495 livres d'argent liquide que possède le général provincial des Monnaies. Cela est peut-être lié à son office mais c'est aussi probablement un passage transitoire en vue d'un quelconque investissement13. Joseph Léon détient plus de la moitié de sa fortune mobilière en créances... à l'île Bourbon. Créances peut-être parfois aventureuses mais aussi d'un rendement éventuel exceptionnel. D'ailleurs, il est fortement impliqué dans l'économie tropicale puisqu'il y possède aussi une plantation et « 44 neigres tant jeunes que vieux14 ». Dans les deux cas, on notera l'originalité relative des investissements financiers. On devine derrière ces fortunes des liens nombreux avec les grands trafics de l'époque, qu'il s'agisse de l'économie coloniale ou des grandes affaires de la monarchie.
38Parallèlement, la plus riche bourgeoisie rennaise sort aussi du monde du commerce. Cela confirme les données des contrats de mariages où officiers et négociants se situaient nettement au-dessus des autres catégories. Mais les fortunes des plus riches marchands présentent des caractéristiques bien particulières. Celle de Mathurin Biez, Sieur du Rocher en 171915 ou celle de Joseph Roullin en 178516 sont étonnamment proches dans leurs structures même si le premier est qualifié de marchand et le second de négociant17. Pour les deux hommes, les créances commerciales occupent une place prépondérante (plus de la moitié des biens). Cette position peut éventuellement paraître fragile si les créances ne sont pas sûres et si parallèlement les dettes passives sont aussi élevées. Pourtant, dans les deux cas, l'importance du stock de marchandises atténue la possible fragilité. Il ressort toutefois que la fortune de ces hommes est intimement liée à leur activité. La situation de René Sarzeau est assez semblable mais plus difficile à analyser précisément car on ne connaît pas le montant total de ses créances18. Mais ce qui est chez lui plus significatif est l'intervention dans le commerce maritime. Les parts de navire qu'il possède le montrent lié au trafic fluvial (la moitié de 4 bateaux navigant de Messac à Rennes) mais aussi au commerce nantais local (1/2 chasse-marée) et lointain (1/8 et 1/12 de deux autres navires).
39La grande fortune marchande est totalement liée et dépendante de la réussite commerciale. En ce sens, elle est incontestablement plus dangereuse et incertaine. Nos grands marchands n'ont presque pas immobilisé leurs capitaux dans des investissements plus prudents et plus prestigieux (terres, offices, rentes). De même, alors que leurs fortunes mobilières sont au même niveau que celles des anoblis, leur cadre de vie ne semble pas aussi somptueux. Les effets personnels, les meubles, l'argenterie s'élèvent à 6 500 livres pour René Sarzeau mais seulement à 4 600 chez Joseph Roullin. Chez les anoblis, le mobilier quotidien, le cadre de la vie matérielle, les vêtements immobilisent des sommes nettement plus importantes. Nos commerçants riches se contentent apparemment d'un luxe bien moindre et consacrent avant tout leurs revenus à leurs affaires commerciales. C'est sans doute une des raisons qui rend moins respectable et prestigieuse leur position. Paraître est pour eux secondaire et l'on mobilise toutes les ressources pour les affaires. Mais, quand on se retire du commerce actif, les préoccupations changent. Marguerite Roullin, sœur de Joseph, est veuve d'un autre négociant depuis une dizaine d'années quand elle meurt en 1785. Peut-être continue-t-elle quelques affaires avec son frère puisqu'elle a gardé près de 2 000 livres de créances et d'obligations19. Mais la plus grande partie de sa fortune a été reconvertie en rentes constituées, investissement beaucoup plus prudent et traditionnel. Si elle vit toujours dans le milieu du négoce, Marguerite Roullin est avant tout une rentière.
40Parmi la très grande bourgeoisie rennaise, on doit donc distinguer deux sources et deux types d'attitude face à l'argent. Les uns (probablement majoritaires), issus de la robe et de l'office, ont misé sur une diversité de placement combinant des intérêts fonciers évidents et des investissements beaucoup plus spéculatifs (voire dangereux). Leur volonté d'insertion, souvent réussie, au sommet de la hiérarchie sociale les pousse aussi à adopter un mode de vie et des dépenses de luxe. Effets, vêtements, mobilier, bijoux, argenterie, voire même type de logement (hôtels particuliers ou appartements dans les meilleurs quartiers) les distinguent de la bourgeoisie et les rapprochent de la noblesse à laquelle ils s'agrègent peu à peu par les offices.
41À leur côté, les élites commerçantes ont un mode de vie plus modeste et consacrent délibérément tout leur revenu au négoce. Cela les rend sans doute plus fragiles, moins considérées socialement, mais leur permet aussi d'amasser des fortunes tout aussi importantes que les premiers. Cependant, quand on quitte le milieu du commerce, on se tourne très vite vers des placements traditionnels et plus sûrs. C'est le cas de Marguerite Roullin ; c'est aussi probablement celui du Sieur Dacosta, un des plus riches négociants rennais au tournant du siècle. En 1760, il achète une charge de conseiller-secrétaire du roi et se retire totalement des affaires, tandis que son fils continue avec beaucoup de réussite le commerce de la famille20. Les attitudes divergentes des deux catégories ne sont donc pas systématiques.
La masse de la bourgeoisie
42Quand on descend dans la hiérarchie des richesses, l'origine sociale des défunts évolue sensiblement. C'est entre 5 000 et 20 000 livres que se trouve le cœur de la bourgeoisie. Certes, on trouve encore à ce niveau 14 % de nobles, membres du Parlement en général. Mais, comme précédemment, leurs inventaires ne détaillent qu'une petite partie de leurs biens puisque ceux-ci sont majoritairement situés ailleurs qu'à Rennes et sont surtout des biens fonciers.
43Parmi les inventaires bourgeois, on atteint à ce niveau un quasi-équilibre entre robins et commerçants. Mais la structure interne des biens varie profondément. Marchands et négociants sont toujours massivement tournés vers les affaires. Jacques Gérard, dont l'inventaire monte à 8 134.14 livres, a 19 % de sa fortune en créances, 20 % en marchandises et 32 % en argent liquide21. Pour René Couarde, autre gros négociant, le stock représente 58 % et les créances 18 %22. Dans tous les cas de commerçants, les effets et meubles ne dépassent pas le quart des biens immobiliers et la spécificité des fortunes marchandes se confirme donc. Elle n'exclut pas pourtant des investissements et des centres d'intérêts variés. Jacques Gérard possède une métairie à Saint-Cyr dans la paroisse Saint-Étienne. La famille Le Breton de Ranzégat est plus intéressante encore. Elle a été déboutée de la noblesse au xviie siècle et se maintient depuis lors parmi les négociants et marchands de draps de soie. En 1785, on retrouve un de ses membres laissant dans son inventaire 12 230 livres de biens mobiliers et plusieurs milliers de livres de créances (non entièrement détaillées)23. Notre homme possède une maison rue Saint-Louis qui sera vendue 8 000 livres en 1786. Il a également des biens fonciers assez importants autour de Saint-Malo-de-Beignon où il a affermé à l'évêque de Saint-Malo la levée des dîmes de plusieurs paroisses. Dans cette même région, il donne à blanchir aux paysans plusieurs centaines de livres de fil qui font l'objet de son commerce. L'un de ses fils poursuit le négoce, un autre est devenu avocat et a été nommé subdélégué de l'intendant à Guémené. La famille possède en outre un certain nombre de biens fonciers autour de Rennes où on la voit souvent intervenir au cours du siècle.
44L'éclectisme des activités, la diversité des sources de revenus n'est pas exceptionnelle et le monde de la robe et de la justice ne dédaigne pas parfois de s'intéresser aussi à des activités liées au commerce et au crédit. Ainsi, François Girard, procureur au présidial, échevin, mort en 1718, laisse-t-il 15 % de sa fortune mobilière en créances diverses et 13 % en argent liquide25.
45En général cependant, les fortunes des robins comportent une part plus importante de biens non directement productifs. Meubles et effets personnels dépassent très fréquemment 30, voire 40 % de l'ensemble, l'argenterie et les bijoux atteignent souvent 10 %. Il s'agit beaucoup plus de fortunes établies, presque définitives, qui s'associent avec quelques rentes constituées et (mais les inventaires ne le disent pas) des biens fonciers plus étendus. Particularité des fortunes d'avocats et d'hommes de loi, l'importance considérable des bibliothèques. Celle de Louis Abeille, avocat et procureur du roi à la Maréchaussée, évaluée 3 134 livres, représente 24 % de son patrimoine ; celle de Charles Richard de la Bourdelière, avocat et docteur en droit est estimée à 46 % de ses biens mobiliers26. Ce sont là des cas extrêmes, révélant des professionnels érudits et des hommes des Lumières mais la tendance est très nette chez tous les robins (et les parlementaires), à la différence des marchands et négociants chez qui les bibliothèques sont souvent inexistantes.
46Parmi ces inventaires riches, on trouve également un certain nombre d'individus dont l'appartenance à la bourgeoisie pose problème. Deux aubergistes dont les caves regorgent de vin sont à la limite inférieure de la catégorie (5 474 et 5 948 livres). Les plus riches artisans apparaissent aussi. Ce sont souvent des hommes pratiquant des métiers où la matière première coûte cher (2 tapissiers, 1 horloger, 1 sellier). Mais aussi, et c'est plus inattendu, un meunier et un cordonnier. Le premier possède entre autres plus de 2 000 livres de grain, 1 000 livres de créances et 720 d'obligations. Meunier au moulin de Trublé, il est sans doute aussi marchand de grain et prêteur d'argent dans les campagnes. Quant au cordonnier, sa fortune est pour une grande part conservée en argent liquide. Sans doute prête-t-il aussi de l'argent mais il est aussi propriétaire de 3 baraques en ville et d'une ferme à Bréteil.
47Quelqu'incomplet que puisse être le sondage opéré27, on reconnaît dans cette catégorie de 5 000 à 20 000 livres de biens, l'ensemble des groupes sociaux repérés par la capitation et les apports au mariage et ce, avec une hiérarchie assez semblable. Les officiers et quelques gros négociants disposent de fortunes considérables. Avocats et hommes de loi sont un peu en retrait mais compensent probablement ce décalage par des domaines fonciers plus étendus et plus généralisés. Enfin, certains artisans réussissent à intégrer cette catégorie soit parce qu'à l'image des commerçants, ils tournent tous leurs revenus vers leur activité professionnelle28, soit parce qu'ils pratiquent le prêt à intérêt.
Aux marges inférieures de la bourgeoisie
48Entre 3 000 et 5 000 livres, les situations sont souvent semblables. On retrouve cette fois une majorité d'hommes de loi. C'est là que sont regroupés la plus grande partie des procureurs qui complètent très souvent leur patrimoine mobilier par des biens fonciers étendus. Marchands, rentiers, professions libérales et nobles sont toujours présents mais on note aussi l'apparition des gros métayers des environs de Rennes. Leur fortune est systématiquement inventoriée à leur mort puisqu'il faut distinguer alors les biens du propriétaire de ceux du métayer et elle consiste bien évidemment en grain, en matériel aratoire et en bétail. Rares sont ceux qui possèdent des sommes d'argent importantes ou des effets dépassant 500 livres. C'est dire qu'ils sont en réalité comptabilisés avec des citadins généralement beaucoup plus aisés (car ils ont aussi des biens immobiliers) et au cadre de vie totalement différent. Mais il est intéressant de constater que les inventaires des gros métayers du pays de Rennes sont assez semblables à ceux des artisans riches de la ville29.
49Au-dessous de 3 000 livres, les inventaires concernent généralement le monde de l'artisanat, les marchands détaillants, les commis et officiers subalternes. Dès lors, deux caractéristiques nouvelles apparaissent. Les placements financiers (créances de toutes sortes, rentes, obligations...) se raréfient très vite et, à l'inverse, ce sont très souvent les défunts qui reconnaissent des dettes importantes. Les mentions indirectes de biens fonciers, ruraux ou urbains, suivent la même évolution. Dans ces catégories inférieures, le montant total de l'inventaire des biens mobiliers se rapproche souvent de la réalité du patrimoine. Tout juste peut-on sans doute cacher quelque argent liquide qu'on se partage discrètement avant l'inventaire. Entre 2 000 et 3 000 livres, il y a bien une rupture séparant d'un côté ceux dont les revenus permettent des placements, des choix, et ceux pour qui ils ne permettent qu'une gestion à très court terme, sujette aux éventuelles difficultés économiques.
50Dans ces petits inventaires, la bourgeoisie reste présente mais elle devient très secondaire. On trouve encore quelques procureurs ou avocats, des veuves ou des chirurgiens. Dans la plupart des cas, ce sont des individus que la mort surprend dans des conditions particulières, les veuves ou les vieillards recueillis par leurs enfants sont nombreux. Dans bien des cas, il semble que le défunt ait déjà donné la majorité de ses biens mobiliers à ses héritiers et qu'il finisse ses jours dans un mobilier plus que modeste.
51Plus bas, beaucoup plus bas, l'inventaire touche à la misère et dévoile les difficultés de vivre dans la ville du xviiie siècle. Face à Joseph Léon et ses 100 000 livres, face au négociant Roullin et ses centaines de créances, que valent les misérables hardes de Jeanne Crambert, veuve et mendiante vivant dans une petite chambre de la rue Nantaise et qu'on estime à 12.16 livres quand on aura ouvert l'unique petit coffre qu'elle possédait ? Que valent les 19 livres que laisse Jean Hamel, maître serrurier ruiné qui meurt à l'hôpital général en 1759 ? Que valent l'amour et les regrets de ce cordonnier qui, pour justifier sa petite dette chez le boucher, explique que le jour de la mort de sa femme et bien que n'ayant pas le sou, il a voulu une dernière fois lui offrir un bouillon avec un morceau de viande ? Quatre mois plus tard, il n'a toujours pas pu rembourser le boucher. Pendant ce temps, à quelques centaines de mètres, chez Joseph Léon, l'inventaire détaille, entre autres bijoux, des diamants de 500 livres.
La propriété immobilière urbaine : une vision complémentaire
52Apports au mariage et inventaires permettent d'établir une hiérarchie des fortunes. Ils montrent tous deux un décalage très nettement favorable à la noblesse30. Face à face, se trouvent la plus grande noblesse de la province et une bourgeoisie qui s'impose plus par ses activités et ses rôles administratifs que par ses revenus. De ce point de vue, même si elle manie souvent les deniers publics, la bourgeoisie locale cède le premier rang au négoce des ports.
53Les mêmes sources montrent aussi le fossé séparant les plus riches roturiers du peuple de la ville. La coupure n'est pas toujours aussi nette qu'avec la noblesse. D'une part, parce qu'il y a identité de la situation juridique ; d'autre part, parce qu'il existe toute une gamme de situations intermédiaires entre les plus riches avocats ou négociants et les pauvres rennais. Aux limites inférieures de la bourgeoisie, coexistent des procureurs, des marchands, tout un monde de commis, des maîtres artisans, des rentiers... dont les patrimoines semblent assez équivalents et qui rendent moins sensible la rupture entre riches et pauvres.
54Si, dans l'ensemble, les patrimoines familiaux ne permettent pas de confusion entre niveaux de vie des nobles et des roturiers riches, il faut néanmoins s'interroger sur la masse qu'ils représentent respectivement dans la cité. Les nobles sont plus riches mais aussi moins nombreux et leur fortune n'est pas essentiellement citadine et encore moins rennaise. Localement, la puissance nobiliaire et parlementaire se fait sentir par le faste du quotidien et l'arrogance hautaine de certains mais les 800 à 1 000 familles bourgeoises pèsent aussi d'un poids considérable sur le fonctionnement économique de la ville, sur les fluctuations de ses activités et de ses marchés.
55Pour illustrer cette réalité nous avons observé la propriété immobilière dans la ville. C'est un aspect qui nous échappe largement dans les inventaires après décès puisqu'on n'y détaille que les biens mobiliers et qu'on ne fait que mentionner parfois les biens immobiliers du défunt (biens urbains ou ruraux) sans jamais les estimer totalement.
56Pour cela, nous avons utilisé quatre sources différentes. Les deux premières sont articulées autour de l'incendie de 1720. Il s'agit du plan de la partie incendiée de la ville dressé par Robelin en 1722 et portant la mention des propriétaires des parcelles avant 1720, et du relevé des ventes et mutations de parcelles réorganisées après l'incendie, entre 1721 et 173031. On peut ensuite se faire une idée de la répartition de la propriété immobilière urbaine grâce aux rôles de capitation des années 30 qui mentionnent les propriétaires des maisons. Enfin, à la fin du siècle, c'est par le contrôle des actes et l'observation du marché immobilier qu'on peut atteindre les propriétaires. L'ensemble permet de définir des types généraux de propriétaires immobiliers, de mesurer leur importance et d'estimer l'évolution de la participation de chaque catégorie socio-professionnelle au marché.
Avant l'incendie de 1720
57Le plan Robelin, établi en août 1722, s'efforce de reconstituer le plus soigneusement possible le parcellaire de la partie incendiée de la ville. La ville ancienne y est divisée en 19 îlots et 699 parcelles. Dans chacune d'elles est indiqué le nom des propriétaires et « les toiséz des Emplacements ou estoient les maisons incendiées de chaque Particulier ». Malgré les reproches qu'on lui a adressé à l'époque32 et les quelques erreurs qu'il recèle sans doute, c'est un document de tout premier ordre pour observer la propriété immobilière dans la ville à la veille de la catastrophe. Nous avons examiné dans le détail 9 îlots situés au nord de la partie incendiée, depuis l'Hôtel des Monnaies et l'Intendance jusqu'au Parlement33. Il s'agit, à priori, d'une des parties les plus aisées de la ville.
58Les propriétaires se répartissent de la façon suivante :
59La noblesse est assez peu nombreuse mais ses biens sont étendus. Parmi les 11 parcelles qui dépassent 100 toises, deux seulement reviennent à des roturiers. Les plus grandes, et de loin, sont celles de l'Hôtel d'Argentré et du président au Parlement, de Cornulier. La noblesse possède ainsi plus du cinquième de la surface observée. Dans le reste de la ville, la majorité des grandes parcelles lui appartient également et la noblesse est encore plus présente autour des rues de la Charbonnerie, de la Fannerie et à proximité du Parlement (pour s'en tenir à la partie incendiée). Clergé et bâtiments publics occupent quelque 15 % de l'espace mais la bourgeoisie reste, dans l'ensemble, légèrement majoritaire. Toutefois, cela n'exclut pas l'existence d'une propriété moyenne, autour de la Cohue et de la rue de la Ferronnerie surtout ; des petits marchands, des officiers subalternes, des artisans sont aussi propriétaires. Mais ils possèdent très souvent de petits emplacements et ce sont eux qui pâtiront le plus de la réorganisation du marché.
La décennie de la reconstruction et les bouleversements du marché
60Après l'incendie, en effet, les mesures de reconstruction transforment les 699 parcelles préexistantes en 183 unités nouvelles, poussant au regroupement des propriétaires. Au cours de la décennie suivante, de 1721 à 1730, ces emplacements nouveaux seront l'objet d'adjudications officielles et de nombreuses ventes. En 1721, la noblesse contrôle 29,5 % des îlots, la bourgeoisie 51,9 %35. En 1730, à l'issue de l'ensemble de ces mouvements et alors que la reconstruction entre dans sa phase terminale, la situation immobilière se clarifie. La noblesse, essentiellement parlementaire, représente alors 39,5 % des propriétaires. La bourgeoisie compte pour 48,9 % et elle est partagée assez équitablement entre robins et commerçants.
61À l'issue de tous ces bouleversements liés à l'incendie, on peut tirer trois conclusions quant à la répartition de la propriété dans le centre de la ville. Le nombre de propriétaires est beaucoup plus réduit qu'il ne l'était 15 ans auparavant. La reconstruction a donné lieu à une concentration de la propriété. Les artisans et la petite et moyenne bourgeoisie sont les grands perdants. Assez fortement présents en 1719 mais disposant de biens modestes, ils n'ont pu se regrouper pour acquérir les nouveaux emplacements et surtout pour y construire. D'autant plus qu'ils ont été probablement plus touchés matériellement par l'incendie. La perte de l'atelier, des outils ou des matières premières, la destruction du stock pour un marchand modeste sont de véritables catastrophes dont on met longtemps à se relever.
62Inversement, la noblesse est moins touchée par les pertes matérielles puisque les sources de sa fortune n'ont pas disparu. Elle semble la principale bénéficiaire de la reconstruction. Sa part de la propriété est beaucoup plus forte en 1730 qu'en 1719. La bourgeoisie, quant à elle, a maintenu à peu près ses positions dans la ville incendiée. Elle fait face à l'avance nobiliaire mais n'a pas accru sa part des biens. Ainsi, la ville neuve se trouve inéluctablement partagée entre ces deux catégories ; la petite bourgeoisie, le peuple et même le clergé en sont presque totalement écartés, au moins momentanément.
63Cela ne signifie pas pour autant qu'ils aient totalement disparu de l'éventail des propriétaires urbains car la ville incendiée puis reconstruite n'est qu'une partie de l'ensemble et il faut élargir notre vision à la totalité de la ville. On peut le faire quelques années plus tard grâce aux rôles de capitation.
Un état des lieux en 1734
64Celui de 1734 permet d'obtenir une très bonne image, quinze ans après l'incendie, et donne un instantané de la situation immobilière. En effet, il détaille dans chaque rue les maisons et leurs habitants (imposables ou non) et en indique le propriétaire37.
1-Une image de la ville
65Rennes compte alors 2 194 maisons d'habitations, sans compter les bâtiments religieux (églises, chapelles, hôpitaux, couvents, monastères) et les édifices publics (Parlement, Hôtel des Monnaies, prisons, portes...). Les marques de l'incendie ne sont pas encore complètement effacées puisque la ville a perdu une centaine de maisons38. Mais plus que le chiffre global, c'est la répartition entre les quartiers de la ville qui est intéressante :
66On a reconstruit plus de 800 maisons dans l'ensemble de la ville mais un quart de ces constructions nouvelles est situé dans la ville basse et les faubourgs, et la ville haute ne représente plus que 40 % de l'ensemble des bâtiments alors qu'elle en comptait plus de la moitié avant l'incendie.
2-Les « baraques »
67Une grande partie de ces constructions nouvelles est constituée de baraques39. Faites de murs de terre, parfois à pans de bois, voire même en maçonnerie, leur avantage essentiel est la rapidité de construction et la modicité des prix. Leurs constructeurs sont des gens modestes ne disposant pas des moyens de reconstruire en suivant les règlements imposés. Tolérées dans un premier temps, un grand nombre d'entre elles vont subsister très longtemps40.
68En 1734, elles sont 323 et représentent près de 15 % des maisons de Rennes. Elles sont groupées près de la ville haute, dans la rue Nantaise, l'îlot de la Tour d'Argent et les Lices (102 baraques), la rue des Fossés et la rue du Point du Jour (55 baraques). Au sud, on les retrouve à l'entrée de la rue Saint-Hélier (42 baraques) et au Pré Perché (34 baraques). La ville basse n'a pas échappé au phénomène puisqu'on en dénombre aussi au Pré Botté et rue de Toussaint alors que dans la ville haute le Vau Saint-Germain et la Poissonnerie en sont en partie couverts.
69Les propriétaires de ces baraques sont surtout des gens du peuple.
70Dans certains cas, la pauvreté des propriétaires est évidente. À l'île Beaumont, plus de la moitié d'entre eux paie moins de 4 livres de capitation. Ce sont des portefaix, des terrasseurs, des carreleurs, des journaliers et même des « pauvres » exemptés de capitation. 11 en va de même dans la rue des Fossés alors que sur les Lices, on rencontre déjà quelques artisans plus aisés (serruriers, cordonniers ou ébénistes payant de 5 à 10 livres de capitation). Dans ces ensembles homogènes, la quasi-totalité des propriétaires résident dans leur baraque (100 % au bas des Lices, 90 % rue des Fossés) mais ailleurs, quand elles sont mêlées à des maisons, les baraques s'intègrent plus facilement au marché immobilier. Les propriétaires les louent souvent, en possèdent parfois plusieurs. On peut ainsi distinguer des ensembles exclusivement populaires et artisanaux où les baraques se maintiennent sans difficultés et gardent leur spécificité architecturale et sociale et, d'autre part, des baraques éparpillées, isolées au milieu de constructions traditionnelles et qui se perdent dans le paysage général de la ville.
71Le caractère populaire et artisanal des baraques est encore renforcé quand on observe les professions des propriétaires « bourgeois ». On ne compte parmi eux que 4 procureurs, 1 huissier, 1 greffier et 4 marchands importants mais, en revanche, les artisans enrichis sont nombreux. Teinturiers, terrasseurs et surtout charpentiers, couvreurs ou entrepreneurs provisoirement enrichis par l'abondance des travaux liés à la reconstruction possèdent parfois plusieurs baraques qu'ils louent et préfèrent résider dans des quartiers différents. La reconstruction semble avoir permis à quelques artisans du bâtiment de se hisser au niveau de la bourgeoisie et la location de baraques a été un moyen subsidiaire d'enrichissement. Mais les exemples inverses d'appauvrissement ou de faillites son peut-être plus nombreux encore, du moins pour ceux qui ont travaillé dans les chantiers publics41.
72Nous connaissons en 1734 les propriétaires de 1 829 maisons, soit 83,3 % de l'ensemble42. Parmi les bâtiments au propriétaire inconnu, on trouve 127 baraques (39 % du total) et 214 maisons (11 %). La forte proportion des baraques est due à la désaffection qui atteint alors ce type d'habitat ; l'avance de la reconstruction est suffisante pour qu'on n'ait plus besoin d'elles et les baraques isolées ou en petit groupe sont souvent vides. On les a indiquées sur le rôle mais, n'y trouvant pas d'occupants, on n'a pu, non plus, retrouver rapidement le propriétaire. C'est le cas rue Feydeau, rue Saint-Sauveur, rue Haute ou à la Poissonnerie. Dans les faubourgs, on compte aussi un certain nombre de maisons vides car on assiste alors à un reflux vers la ville des derniers habitants qui avaient fui l'incendie quinze ans plus tôt43. Au total, maisons et baraques au propriétaire inconnu se répartissent à peu près également dans toute la ville et ne doivent pas modifier sensiblement les données obtenues.
4-Les propriétaires privilégiés : noblesse et clergé
73Les deux ordres privilégiés possèdent moins du quart des immeubles de Rennes. C'est à première vue une constatation surprenante. Les nobles ne possèdent que 153 maisons alors que plus de 300 familles vivent à Rennes, c'est dire que la majorité d'entre elles ne font que louer des appartements ou des maisons et réservent probablement leurs disponibilités financières pour des dépenses somptuaires ou, plus encore, des investissements ruraux. Cependant, la noblesse participe bel et bien au marché immobilier rennais et sa part de la propriété n'est pas aussi réduite que pourrait le laisser penser le chiffre de 153 maisons. En effet, les biens nobiliaires ne sont pas de modestes maisons, des baraques ou de pauvres bâtisses de la ville basse mais de grandes maisons modernes ou des hôtels particuliers près des Lices ou de la rue des Dames.
74Quelle comparaison peut-on faire entre les somptueux hôtels de quelques parlementaires et les baraques toutes proches du Vau Saint-Germain ou de la rue des Fossés ? La capitation ne permet pas d'évaluer la valeur précise des propriétés nobles en ville mais elle dépasse de beaucoup celle des classes populaires et peut-être n'est-elle pas très éloignée de celle de la bourgeoisie.
75La propriété nobiliaire est fortement concentrée dans la ville. Elle représente moins de 5 % des immeubles de la ville basse et moins de 3 % dans les faubourgs mais elle atteint 13 % dans la ville haute. À l'intérieur de la ville haute, elle est encore plus importante autour de la rue Saint-Georges et du Parlement ainsi que dans les vieux quartiers enserrant la cathédrale et dans la rue Saint-Louis. À l'opposé, les nobles sont rarement propriétaires autour de la place Sainte-Anne ou de la rue Reverdiais, quartiers très commerçants ou dans le bas des Lices, plus artisanal. Dans le centre reconstruit, leur participation varie, selon les rues, de 20 à 50 %.
76Il n'y a pas de gros propriétaires immobiliers parmi la noblesse. Presque toutes les familles ne possèdent qu'une maison, le plus souvent celle où on vit, parfois aussi un immeuble qu'on loue alors que l'on réside ailleurs dans une rue plus riche ou plus proche de ses occupations (pour les parlementaires surtout). 80 % des familles nobles propriétaires n'ont qu'une ou deux maisons et seules quatre familles possèdent plus de quatre immeubles. Les parlementaires figurent plus volontiers parmi les propriétaires d'une seule maison, les anoblis parmi les gros propriétaires. M. Aubert du Lou, par exemple, conseiller au présidial et secrétaire du roi possède 11 maisons : celles où son fils et lui vivent au Champ Jacquet et 9 autres qu'il loue, par appartements, dans des quartiers populaires, rues Saint-Benoît, Saint-Hélier, Poulaillère et Hue.
77La propriété ecclésiastique pose d'autres problèmes. L'Église possède 264 maisons (14 % du total) mais sa part du bâti urbain est bien plus importante car il faut compter en plus les bâtiments propres des divers établissements religieux. Les couvents sont peu nombreux dans la ville haute, plus présents dans la ville basse (carmes, ursulines, jésuites) mais c'est surtout dans les faubourgs que s'étend l'emprise religieuse. Une grande partie du nord de la ville est occupée par les grands établissements religieux, depuis l'abbaye Saint-Georges jusqu'au couvent des augustins, en passant par les bénédictins, les visitandines, les carmes Déchaussés, les carmélites, les capucins et les jacobins. Ces couvents, souvent établis aux xvie et xviie siècles (à l'exception des grandes abbayes médiévales, Saint-Georges et Saint-Melaine), se sont installés sur des terrains alors inoccupés à proximité immédiate de la ville. L'accroissement des faubourgs a fait qu'ils se trouvent, au xviiie siècle, totalement insérés dans le tissu urbain et la valeur des terrains et des bâtiments est considérable, étant donnée leur situation. Outre ces terrains et bâtiments parfois très étendus (ceux des jacobins par exemple), les couvents et abbayes possèdent 150 maisons dans la ville, certains sont même parmi les plus gros propriétaires. Visitandines, ursulines, carmes, jacobins ou augustins possèdent chacun plus de 15 maisons, presque toutes groupées et proches de leur couvent. En revanche, les grandes abbayes (Saint-Georges et Saint-Melaine) sont peu représentées ; leur richesse vient plutôt de dîmes ou de rentes rurales ou urbaines44. À côté des divers ordres religieux, hôpitaux et séminaires apparaissent modérément mais deux autres institutions sont très riches en biens immobiliers : le Collège des jésuites qui possède 13 maisons dans ses alentours immédiats et surtout le chapitre cathédral qui en a 29. Tout le vieux quartier de la cité, autour de la cathédrale est encore très largement la propriété des chanoines et le chapitre dans son ensemble reste le plus gros propriétaire de la ville. Il est vrai cependant que ses possessions sont parfois à l'écart du marché immobilier proprement dit car un certain nombre de maisons sont attachées à des prébendes et, à ce titre, occupées traditionnellement par des chanoines. Enfin, une cinquantaine de maisons appartiennent aux diverses paroisses rennaises.
5-La propriété bourgeoise
78La bourgeoisie est le plus gros propriétaire immobilier de la ville puisqu'elle possède 567 maisons (796 si on lui ajoute la petite et moyenne bourgeoisie), ce qui représente 31 % des propriétaires connus (43 % avec la petite bourgeoisie). Les propriétaires bourgeois sont 375, soit la moitié de l'ensemble des Rennais payant plus de 20 livres de capitation. La moitié des bourgeois n'est donc pas propriétaire et il est intéressant de comparer les structures internes de ces deux populations : la bourgeoisie dans son ensemble et la bourgeoisie propriétaire. Les similitudes sont nombreuses et la bourgeoisie propriétaire est un reflet assez fidèle de l'ensemble. Dans les deux cas, ceux qui paient de 20 à 40 livres de capitation représentent les deux tiers de l'ensemble ; dans les deux cas, robins et officiers dominent le reste de la bourgeoisie et constituent environ la moitié du total. La seule différence notable est la part légèrement plus importante des commerçants et des artisans, phénomène déjà supposé en observant leur plus grande stabilité géographique dans la ville.
79Mais la propriété des artisans riches est très concentrée dans les quartiers traditionnellement populaires. Ces gens dont l'enrichissement est souvent récent n'ont jamais rompu totalement les liens qui les unissaient à leur milieu d'origine. La localisation de leurs biens est particulièrement éclairante à ce sujet.
80Parmi nos 275 propriétaires bourgeois, un certain nombre vit sans doute de son patrimoine immobilier. 42 bourgeois (15 % des propriétaires, 7 % de l'ensemble des bourgeois) possèdent en effet 4 maisons ou plus. 9 d'entre eux en ont 6 ou 7. Pour ces quelques individus, le patrimoine immobilier apporte un complément de revenu considérable. Ce sont parfois des gens très riches, financiers, officiers, magistrats ou négociants mais aussi, et c'est plus surprenant, des artisans enrichis. Les premiers possèdent des immeubles dans la ville haute où ils vivent et des maisons de rapport dans des quartiers plus populaires ; les seconds sont plutôt propriétaires dans les faubourgs ou la ville basse. Marie Roullois, veuve d'un charpentier enrichi par la reconstruction de la ville, vit dans une baraque de la rue Nantaise mais possède 5 autres maisons rue Vasselot, rue de la Poissonnerie, au Cartage, au Bourg-Lévêque et à la Perrière. Léonard Lemois, fils d'un gros boulanger forain et boulanger lui-même, possède 7 maisons à la Perrière où il réside. Le patrimoine immobilier apporte à ces grands propriétaires urbains un revenu annuel de plusieurs centaines de livres ; pour tous les autres, il n'est qu'une ressource d'appoint, plus ou moins importante selon les cas.
81Inversement, il est évident que le patrimoine immobilier n'est pas indispensable à la richesse puisque nombre de bourgeois n'en ont pas. 4l % de ceux qui paient plus de 100 livres de capitation, 34 % de ceux qui paient de 75 à 100 livres, 58 % de ceux qui paient de 50 à 75 livres n'apparaissent pas parmi les propriétaires. Au total, 51,3 % des plus riches roturiers rennais n'ont aucun bien immobilier dans la ville. La propriété ou l'absence de propriété immobilière n'est donc pas un critère de différenciation au sein de la bourgeoisie (et de la noblesse) et l'attitude face à la propriété est la même, quels que soient les niveaux de richesse ou les activités professionnelles. Être propriétaire de son logement n'apparaît pas comme une nécessité au bourgeois du xviiie siècle et seule une petite minorité semble considérer les biens immobiliers urbains comme une source de revenu (de prestige ?) appréciable. Cela peut être une conséquence de l'extraordinaire bouleversement foncier qu'a provoqué l'incendie de 1720 et, en tout état de cause, cela peut contribuer à expliquer la très grande mobilité des habitants à l'intérieur de la ville. N'étant guère attachée à une quelconque propriété immobilière, une grande partie des Rennais déménage, se déplace très fréquemment d'un quartier à l'autre, d'une rue à l'autre, voire, à l'intérieur d'une maison, d'un étage à l'autre.
82La propriété bourgeoise est assez bien répartie sur l'ensemble de la ville. Elle est très largement dominante dans tous les quartiers centraux de la ville haute, récemment reconstruits et dans le quartier très commerçant qui va de la place Sainte-Anne au Champ-Jacquet en passant par le Haut des Lices. Ailleurs, on retrouve le faubourg riche de l'est de la ville, véritable « quartier résidentiel » où voisinent nobles et bourgeois. De la Barre Saint-Just à la rue Hue, les grandes maisons riches se multiplient, résidences presque rurales pour des notables très aisés. C'est là que s'installeront l'évêque et l'intendant et c'est déjà l'ébauche des quartiers riches du xixe siècle, du boulevard de Sévigné à l'avenue Aristide-Briand. La bourgeoisie n'est faiblement présente que dans les quartiers à la personnalité sociale très marquée : la vieille cité, domaine presque exclusif du clergé et de l'aristocratie ; l'ouest de la ville basse, totalement dominée par l'artisanat et les Lices, contrôlés dans leurs parties anciennes par la noblesse et les couvents, envahis dans leur partie récente par les baraques d'artisans pauvres.
83Si on considère la propriété de la petite et moyenne bourgeoisie (12,5 % de l'ensemble), on constate qu'elle est surtout le fait de boutiquiers, d'artisans riches, de petits rentiers et, secondairement, d'avocats et de procureurs. Elle prolonge la propriété bourgeoise par certains aspects (les activités professionnelles des propriétaires) et annonce la propriété populaire par d'autres (la localisation). La petite et moyenne bourgeoisie est en effet surtout présente dans les quartiers commerçants (de la place Sainte-Anne aux Lices, sa part dépasse toujours 10 % et parfois 20 %) et dans les quartiers artisanaux traditionnels (de la Poissonnerie à la rue Vasselot).
6-Les biens du petit peuple
84Les classes populaires ne sont pas totalement exclues de la propriété immobilière. Elles possèdent 30 % des bâtiments de la ville. Mais cette propriété est largement faite de baraques construites depuis 1720. Elle est donc souvent mal assurée juridiquement et de peu de valeur individuelle.
85Certains possèdent encore deux ou trois maisons mais ils sont rares. Le plus souvent, l'artisan ou le petit boutiquier ne possède que la maison où il vit et travaille. Encore est-il heureux quand il peut y louer un cabinet, quelques chambres ou un appartement. La valeur totale de la propriété populaire est sans doute bien inférieure à 10 % de l'ensemble du bâti urbain. De plus, elle est très localisée. L'incendie a provoqué sa quasi-disparition de la ville haute et elle se concentre désormais sur la ville basse et les faubourgs. Là seulement, les classes populaires possèdent une part appréciable des maisons sans que cela exclut, pour autant, la présence de quelques artisans riches ou d'avocats qui monopolisent souvent les meilleurs immeubles de quartiers déjà pauvres. Seuls les grands ensembles de baraques sont, de façon très homogène, propriété des catégories les plus pauvres.
Un bilan global : zonage spatial et diversité sociale de la propriété urbaine
86Au total, la répartition générale de la propriété selon les quartiers indique bien les divisions internes à Rennes. La noblesse est surtout présente dans la ville haute, le clergé n'est vraiment mal loti que dans les faubourgs du Sud alors que la bourgeoisie est deux fois plus présente au nord qu'au sud de la Vilaine où les classes populaires conservent une part importante de la propriété. La géographie de la propriété immobilière reproduit assez fidèlement la diversité architecturale de la ville et les grandes divisions socio-économiques de la population. L'incendie a sans doute accentué encore les clivages. Les petits propriétaires, évincés de la ville haute faute de pouvoir y reconstruire, se sont rassemblés dans la ville basse ; la noblesse et le clergé ont conservé (voire renforcé) de fortes attaches dans les quartiers les plus anciens (Cité, Saint-Georges) alors que la prédominance bourgeoise est surtout marquée dans les quartiers neufs et les faubourgs les plus actifs, au nord de la ville.
87Le zonage social de la propriété immobilière urbaine est aussi conséquence directe des particularités architecturales et recouvre partiellement les coupures internes à la population. Les immeubles de la ville basse, de valeur modeste, sont accessibles aux revenus moyens des artisans et parfois du petit peuple. À l'inverse, ils n'intéressent guère les investisseurs potentiels. Les vieilles maisons nécessiteraient sans doute des travaux réguliers d'entretien et les locataires potentiels sont assez pauvres. Mauvaise qualité des immeubles et pauvreté des locataires rendent aléatoires les revenus qu'on peut espérer de telles propriétés. Dans ces conditions, il est souvent préférable de se débarrasser de ces biens et de concentrer ses achats dans la ville haute où on pourrait appliquer le raisonnement inverse. Des maisons modernes et des habitants riches, prêts à payer des loyers élevés, justifient les investissements de départ importants. Il ne fait guère de doute que la rentabilité économique y soit plus forte. Les plus pauvres paraissent posséder une part importante du patrimoine immobilier mais si on tient compte de sa valeur, et non plus du nombre de maisons, cette part est beaucoup plus réduite et, en tout état de cause, elle n'atteint certainement pas 10 %.
Le marché immobilier à la fin du siècle
88La situation a-t-elle évolué un demi-siècle plus tard ? Ne pouvant disposer à cette époque d'un tableau général de la propriété immobilière, c'est le marché que nous avons observé en étudiant un échantillon de 161 ventes entre 1785 et 178745.
89Ce marché n'est pas très soutenu. On ne note presque jamais plus de 10 ventes par mois. Si on considère que la ville compte alors 2 500 à 3 000 maisons, on voit la faiblesse du mouvement des mutations : moins de 2 % du patrimoine bâti change de main chaque année. Cela constitue même une valeur extrême car beaucoup d'actes ne portent que sur des portions de maison, des appartements, des boutiques, alors que ceux qui rassemblent plusieurs bâtiments sont exceptionnels.
1-Les biens échangés
90Malgré sa faiblesse le marché est assez représentatif des types de construction qu'on trouve en ville. Les maisons entières ne représentent qu'un quart des transactions (43 sur 161). Terrains à bâtir, emplacements, boutiques ou bâtiments divers (granges, écuries, appentis...) comptent pour 12 %. Les deux tiers des actes portent sur des appartements, des portions de maisons divisées lors d'héritages ou des ensembles hétéroclites de pièces d'habitation, de locaux à usage professionnel, de jardins ou de caves. Sans doute cela correspond-il au type de bien le plus répandu mais aussi au cadre de vie effectif des Rennais. Dans une ville de cette taille, la possession d'un immeuble entier est assez rare ; son occupation par une seule famille l'est encore plus46. C'est particulièrement net dans le centre de la ville alors que dans les faubourgs, les constructions, plus modestes, présentent souvent une unité plus grande des propriétaires et des occupants. En ce sens, les biens mis en vente paraissent respecter (sans que cela soit véritablement mesurable) les distinctions entre les quartiers et la variété des situations sociales.
91La valeur moyenne des transactions est de 3 844.14 livres mais les valeurs extrêmes sont très éloignées. Certains biens ne dépassent pas quelques centaines de livres ; d'autres atteignent 50 000 livres. En fait, la très grande hétérogénéité des biens rend toute généralisation illusoire. La taille et la constitution des appartements sont très variables ; leur état n'est pas précisément décrit. Un appartement au premier étage dans la rue Royale est négocié 19 000 livres en 1785 mais au troisième étage dans la rue de Clisson, la valeur tombe à 7 300 livres tandis que quatre pièces rue de la Parcheminerie se vendent 574 livres47 ! La seule comparaison possible porte sur les maisons entières.
92Bien que ne représentant qu'un quart des transactions, les maisons comptent pour 42 % de la valeur des échanges. Le prix moyen d'une maison s'élève à 6 103.13 livres mais il cache des différences considérables. Dans la ville basse, il n'est que de 2 457.11 livres alors qu'il monte à 13 547.02 livres dans la ville haute (4 192 livres dans les faubourgs). La ville basse est uniformément pauvre. La maison la plus chère, dans la rue Vasselot, est vendue 4 800 livres. Ailleurs, l'habitat est plus disparate. Ainsi, des grandes maisons semi-rurales ou des auberges des faubourgs peuvent dépasser 10 000 livres à côté de misérables masures qui culminent autour de 1 500 livres. De même, dans la ville haute, quelques maisons modestes se glissent aux côtés d'hôtels particuliers de la grande noblesse qui atteignent plusieurs dizaines de milliers de livres. Mais ce sont ici ces grandes maisons qui sont la règle alors qu'elles sont exceptionnelles dans les faubourgs. La moyenne de 6 100 livres correspond alors à une maison modeste de la ville haute mais à ce qui se fait de mieux dans le reste de la ville. Il en irait de même si on observait précisément les autres biens échangés.
93Ces ruptures ne sont pas seulement architecturales ; elles se remarquent aussi dans la stabilité plus ou moins grande des différents quartiers.
94Quand on examine l'ensemble des transactions la hiérarchie mise en évidence pour les maisons se retrouve. Les échanges de la ville haute sont d'une valeur moyenne trois fois plus élevée que dans les faubourgs, cinq fois plus élevée que dans la ville basse. Mais ces biens sont aussi plus stables. S'ils représentent les deux tiers de la valeur totale, ils ne font qu'un tiers des transactions. Les quartiers où le marché est actif sont les quartiers populaires ou commerçants de la périphérie de la ville. À l'inverse, autour de la cathédrale, les vieux quartiers nobiliaires et ecclésiastiques jouissent d'une stabilité quasi absolue. Certes, l'observation ne couvre qu'une période limitée mais elle semble tout de même significative. L'intensité plus forte du marché immobilier dans certains quartiers ne signale-t-elle pas une instabilité, une variabilité plus grande des revenus et des fortunes dans les catégories plus pauvres alors que la sécurité nobiliaire ou bourgeoise se traduit par un marché immobilier remarquablement calme.
95La différenciation spatiale des types architecturaux et du rythme du marché immobilier recoupe largement des différences sociales qui apparaissent quand on observe les intervenants.
- Les intervenants : la présence remarquable du commerce et de l'artisanat.
96Les nobles, peu nombreux, interviennent très majoritairement pour des transactions importantes. Bien que ne représentant que 8 % des intervenants, leur part atteint le quart de la valeur totale. Les deux plus grosses opérations sont de leur fait. Il s'agit de deux ventes d'hôtels particuliers pour 54 889 et 30 069 livres48. Mais, en dehors de ces grosses transactions, la noblesse intervient surtout dans des échanges de maisons ou d'appartements portant sur plusieurs milliers de livres. Presque absents des faubourgs, on trouve les nobles surtout dans la ville haute ; c'est là qu'ils effectuent les 3/4 de leurs achats ou de leurs ventes. Cela correspond aux quartiers où ils habitent et où on trouvait déjà leurs propriétés en 1734 et aux lendemains de l'incendie. Cette concentration dans la ville haute confirme le fait que la noblesse ne s'implique plus que modérément dans le marché immobilier local. Les hôtels, maisons ou appartements qu'elle achète ou vend sont ceux où elle réside effectivement mais les investissements de rapport sont proportionnellement assez rares. Cependant, la noblesse a conservé les acquisitions faites aux lendemains de l'incendie et cette période, avec les opportunités particulières qu'elle offrît, correspond sans doute à la plus grande implication des nobles dans les affaires immobilières de la ville.
97Au regard de cette attitude nobiliaire, le comportement de la bourgeoisie locale est intéressant. À nouveau, on retrouve le fossé de richesse entre les deux catégories. La bourgeoisie n'acquiert pas les hôtels nobiliaires. Ses plus grosses transactions culminent entre 20 000 et 30 000 livres. Elles portent avant tout sur deux types de biens : des appartements luxueux dans la partie neuve de la ville haute et des investissements dont la rentabilité est liée au commerce, grandes auberges ou ensembles de boutiques. Exemples caractéristiques, en janvier 1786, les héritiers de Joseph Bion, ancien caissier généra] de la Trésorerie des États et financier fortuné, liquident ses biens immobiliers : 2 maisons dans la rue Royale (une des plus riches de la ville) pour 63 000 livres49. La plus petite qui comprend une boutique est acquise par un marchand. l'autre est partagée entre un négociant et une très riche rentière, Louise-Aline Perron, fille d'un avocat. Cette même demoiselle Perron acquiert le mois suivant, du procureur du roi aux Monnaies, un autre appartement place Saint-Sauveur, sans doute pour le louer50. Toutes les catégories de la bourgeoisie rennaise sont rassemblées dans ces deux opérations. Officiers de justice, négociants, avocats, rentiers et financiers, saisissant raccourci d'un groupe social diversifié dans les activités mais homogène dans les revenus. Les héritiers de J. Bion ont vendu pour 63 000 livres de biens ; Louise Perron a dépensé 43 500 livres pour acquérir 4 luxueux appartements. Ailleurs, un groupe d'avocats achète 29 448 livres un ensemble de quatre maisons avec boutiques et dépendances que Jean-François Guibert, un gros entrepreneur, vient de faire construire dans la toute récente rue de Bertrand51, tandis qu'un procureur acquiert l'hôtel de la Grand Maison au Faubourg-Lévêque pour 23 016 livres52.
98Dans tous ces cas, le caractère d'investissement productif est incontestable et les sommes engagées sont importantes. Sans atteindre le luxe de la grande noblesse, une partie de la bourgeoisie rennaise participe à des opérations immobilières d'envergure. Les 3/4 des interventions bourgeoises se situent au-delà de 1 000 livres et près de 30 % dépassent les 5 000 livres. La valeur moyenne des interventions bourgeoises, 5 323.07 livres, va bien au-delà de celle du marché et la bourgeoisie dans sa totalité assure plus de 50 % de la valeur des transactions (pour 1/3 des intervenants).
99Il s'agit, de plus, d'une valeur minimale car on devrait y inclure quelques prêtres qui en sont issus53 et certains des propriétaires extérieurs à Rennes. Ce dernier groupe est majoritairement composé d'individus ayant des attaches familiales locales et ayant quitté la ville pour des raisons diverses. Il s'agit parfois d'artisans mais plus souvent de véritables bourgeois. Ainsi voit-on paraître des négociants de Nantes, de Lorient ou de Bayonne, un avocat de Josselin ou encore Pierre-René Goury, avocat et procureur à Sens mais d'une famille de procureurs au présidial, ou M. Collinet de Goisallain, demeurant à Lanmeur mais dont le frère vit à Rennes.
100La bourgeoisie est le principal intervenant sur le marché immobilier local, réalisant au total des transactions deux fois plus importantes que la noblesse. C'est incontestablement elle qui domine le marché puisque les nobles sont cantonnés, volontairement semble-t-il, à des opérations de luxe et que le clergé, très gros propriétaire, n'intervient presque pas. De fait, la bourgeoisie est plus uniformément présente dans tous les quartiers de la ville. Si on compare la répartition de ses opérations avec la répartition globale des transactions dans la ville, on note tout juste un léger recentrage. Les bourgeois font 40 % de leurs transactions dans la ville haute qui ne représente que 31 % du total des opérations et 40 % également dans les faubourgs (47 % des actes). Ce décalage n'est pas très surprenant et, au contraire, il est beaucoup plus significatif de constater que la bourgeoisie est la catégorie qui se rapproche le plus de la moyenne urbaine. La noblesse se limite à la ville haute ; les artisans et le petit peuple en sont presque exclus ; les bourgeois, eux, sont partout même si dans la ville basse leur intervention tient surtout à la présence d'artisans enrichis.
101Cette bourgeoisie intéressée par les biens immobiliers présente un visage assez particulier et, socialement, elle ne correspond pas à la bourgeoisie dans son ensemble. La part des artisans et commerçants est nettement supérieure à celle des robins. Si les deux catégories s'équilibrent à peu près dans la population bourgeoise (40,2 et 42,2 %), les robins ne font qu'un tiers des interventions sur le marché immobilier alors que les commerçants et artisans dépassent 57 %. La part des artisans n'est que très légèrement supérieure et la différence ne peut être considérée comme absolument significative. En revanche, pour les commerçants, la différence de 15 % est suffisamment forte pour signaler à coup sur un intérêt beaucoup plus grand de leur part pour les acquisitions immobilières. On retrouve ainsi des observations déjà faites en 1734 et à l'étude de la mobilité géographique à l'intérieur de la ville.
102Note54
103Les catégories inférieures, petite bourgeoisie, artisanat, petit peuple, constituent le troisième groupe important sur le marché immobilier. Elles représentent 45,3 % des intervenants mais n'opèrent que pour 18 % de la valeur des transactions. En 1734, le rôle de capitation (cf. plus haut) montrait que 42 % des propriétaires appartenaient à la petite bourgeoisie et aux catégories populaires. Il semble donc qu'il y ait une permanence réelle. Ces catégories possédaient surtout en 1734 des baraques et des maisons modestes dans la ville basse et les faubourgs. Un demi-siècle plus tard, on les retrouve majoritairement dans ces mêmes quartiers (73 %) et pour des sommes modestes (53 % en dessous de 1 000 livres). La valeur moyenne de l'intervention de ces catégories populaires est de 1 514.5 livres ; elle correspond donc à celle des petites maisons des faubourgs et de la ville basse qui constituent bel et bien le patrimoine immobilier le plus répandu dans ces milieux.
104Parmi ces catégories inférieures, une étude plus serrée montrerait que ce sont avant tout les maîtres artisans qui sont intéressés par la propriété immobilière. Pour ces gens (auxquels il faut ajouter nombre de petits marchands) l'acquisition d'une maison, si modeste soit-elle, est à la fois une sécurité et un placement. Elle permet souvent de se dispenser de payer un loyer et même de recevoir parfois une petite rente en louant un appartement ou des chambres. Nombre de maisons de la ville basse sont ainsi louées par petits morceaux au bénéfice des moins défavorisés des habitants.
105Si on observe enfin le solde final de ces transactions immobilières, il apparaît très clairement que la bourgeoisie en est le principal bénéficiaire. Les achats représentent 55 % de son intervention totale, ce qui dégage en 3 ans un excédent de 63 000 livres. À l'inverse, toutes les autres catégories ont un solde négatif. Il faut cependant relativiser ces écarts. Les opérations de la noblesse (49,0 % d'achats ; 50,9 % de ventes) ou du petit peuple (46,9 % d'achats ; 53,0 % de ventes) ne marquent pas un reflux massif de leur propriété. Si on élargissait le champ d'observation, quelques grosses opérations pourraient très bien rééquilibrer leur participation. C'est essentiellement au détriment des propriétaires extérieurs à Rennes que la bourgeoisie augmente sa part des biens immobiliers. Ceux-ci sont en effet vendeurs à 90,9 %. Mais, dans beaucoup de cas, ces vendeurs sont aussi des bourgeois. Ils sont souvent apparentés aux Rennais ou bien ont quitté la ville pour se retirer à la campagne ou parce que leurs affaires les appelaient ailleurs. Dans la plupart des cas, leurs ventes ne traduisent pas une redistribution sociale mais corrigent des situations rendues complexes et difficiles à gérer par un déplacement géographique des propriétaires. Les biens vendus appartenaient déjà à la bourgeoisie. Il faut évaluer avec prudence et circonspection cette éventuelle progression de la propriété immobilière de la bourgeoisie. En 1734, les propriétaires résidant à l'extérieur de Rennes possédaient 3 % des maisons. Dans notre échantillon, ils comptent pour 8 % des intervenants mais seulement 3,7 % de la valeur des transactions. Il est logique que leur nombre soit plus important sur le marché que parmi l'ensemble des propriétaires car ils sont amenés à se débarrasser plus facilement de biens lointains. Mais, au total, il semble qu'il y ait, là aussi, une relative permanence de la situation, permanence résultant inéluctablement de mariages extérieurs et de déplacements, professionnels ou autres.
106Au total, il est beaucoup plus important de constater la part prépondérante de la bourgeoisie dans la propriété immobilière urbaine que son accroissement éventuel qui, de toute façon, semble assez lent. La noblesse, bien que disposant de biens de valeur considérable, intervient relativement peu ; le petit peuple est dans la situation inverse et conserve souvent ses biens avec difficultés. L'instabilité plus forte de ses revenus, l'insécurité plus grande, peuvent contribuer à accentuer encore sa part dans les transactions. Mais la bourgeoisie apparaît incontestablement comme la clé de voûte, le régulateur du marché immobilier. De ce point de vue, son rôle économique à l'intérieur de la ville est beaucoup plus important que celui de la noblesse.
Une bourgeoisie diverse mais pas divisée
107Il existe un comportement global de la bourgeoisie par rapport aux autres groupes sociaux urbains. Mais, à l'intérieur de la bourgeoisie, des clivages apparaissent aussi. Clivages distinguant les plus riches de ceux qui, à la limite inférieure, émergent des catégories populaires et clivages opposant une bourgeoisie de robe et une bourgeoisie commerçante. Les premiers sont incontestablement plus nombreux et plus riches au début du siècle. Mais l'évolution ne leur est guère favorable. Parmi les élites roturières rennaises, les négociants et les marchands renforcent leur position alors que le monde de la robe stagne dans la deuxième moitié du siècle. Certes, les revenus moyens restent plus élevés mais le nombre des robins diminue proportionnellement et la différence de fortune s'atténue. L'observation des apports au mariage montre bien que les plus aisés ne sont pas les hommes de loi anciennement enracinés, mais des officiers de finance souvent d'origine extérieure, et des négociants plus récemment enrichis. Même s'ils ne constituent qu'une minorité de la bourgeoisie locale, ce sont bien ces hommes qui s'ouvrent les perspectives d'avenir les plus brillantes55.
108L'évolution du nombre des individus et des revenus semble donc opposer les deux groupes à l'intérieur de la bourgeoisie rennaise. L'image de ces revenus et l'utilisation des fortunes va dans le même sens. La bourgeoisie commerçante est globalement moins riche (même si certains individus parviennent aux sommets et constituent des fortunes remarquables) et elle est beaucoup plus présente sur le marché immobilier urbain. Le phénomène est déjà sensible au moment de l'incendie de la ville. Il se distingue nettement en 1734 dans la répartition des maisons et il est évident à la veille de la Révolution. Commerçants et négociants se partagent une part considérable du bâti urbain. Cela ne signifie pas que les robins soient absents de ce genre d'opérations, certains participent même à des transactions de grande envergure, mais leur part est tout de même secondaire. Cette différence de comportement se traduit également par une mobilité plus faible des commerçants à l'intérieur de la ville. Leurs activités professionnelles et leur propriété immobilière plus fréquente les retiennent davantage et plus longtemps dans les mêmes logements.
109Pourtant cela ne signifie pas que les deux groupes s'ignorent. Bien au contraire les contacts sont fréquents. Certaines familles passent du commerce à la robe ; d'autres font cohabiter assez longuement des branches commerçantes et d'autres passées dans les offices. Les mariages entre enfants d'avocats et de marchands, de procureurs et de négociants ne sont pas rares. S'il y a bien domination d'une endogamie socio-professionnelle, elle n'est en aucun cas exclusive. Des comportements particuliers n'empêchent pas d'avoir des intérêts communs. Malgré leur relative stagnation économique, les robins restent dotés d'un prestige social beaucoup plus considérable qui se matérialise, entre autres, par un cadre de vie beaucoup plus somptueux comme l'attestent les inventaires. L'argent n'épuise pas la soif de considération et quelle que soit la redistribution des revenus et des richesses au cours du siècle, l'avocat, l'officier ou le procureur restent probablement aux yeux de la majorité de nos commerçants l'archétype, l'image idéalisée de la réussite sociale.
110Les uns investissent plus volontiers dans des placements urbains (où la spéculation et l'espoir de gain rapide ne sont sans doute pas absents) alors que les autres acquièrent plus volontiers (on le verra) des domaines ruraux qui leur permettent de s'affubler du titre de « Sieur », « Demoiselle »... et qui, lentement, patiemment, les mèneront, pensent-ils, à une véritable consécration sociale. Il y a à Rennes un décalage évident entre la réalité des fortunes et la perception que l'on en a quant à ses conséquences pour la respectabilité de l'individu. Sans doute cela tient-il à la situation particulière de la ville dans la province. Véritable capitale, centre administratif, politique et intellectuel dominant, elle confère presque inéluctablement un statut social plus envié à ceux qui participent de cette fonction principale. Sans doute ne serait-ce pas le cas dans des villes plus orientées vers le grand commerce. Ici, seuls parmi les commerçants, les plus riches négociants peuvent s'affranchir de ce schéma de pensée. Relations professionnelles extérieures et fortunes importantes leur permettent de s'allier à d'autres familles négociantes et d'accéder plus vite aux sommets de la hiérarchie sociale par l'anoblissement. Mais cela passe souvent par un déracinement, un départ de la ville, quitte à y revenir plus tard par le biais des offices.
Notes de bas de page
1 AD I.-&-V., 2 C36 416, Table des maris. Un seul mariage date de 1758, 2 autres de 1763 mais la table porte véritablement sur 1764-1789.
2 Paroisses de Betton, Chantepie, Moigné, Montgermont, Pacé, Saint-Grégoire et vezin.
3 Nous avons écarté tous les mariages où nous ne connaissions que les apports d'un des deux époux et surtout ceux comportant la mention « avec ses droits ». Nombre de nouveaux mariés apportent en effet des droits d'héritage et de succession à venir qu'ils ne possèdent pas encore (puisque les parents ne sont pas morts) et qui ne sont pas évalués.
4 Surtout dans les catégories sociales inférieures.
5 Les registres du contrôle des actes présentent un inconvénient majeur par rapport aux actes notariés originaux : celui de fournir seulement des valeurs globales et de ne pas détailler les contenus réels des apports des conjoints. Leur avantage est leur grande homogénéité et l'assurance de disposer d'une source quantitativement plus sûre.
6 Maximum de 40 mariages en 1765, minimum de 20 en 1788, moyenne 30,7.
7 Trait caractéristique ; ces nobles citadins possèdent des biens fonciers mais très rarement des seigneuries.
8 Chiffres établis sur 263 inventaires en 1710-1720 (74), 17551760 (101) et 1785-1788 (88). AD I.-&-V., 2 B 499 à 506, 600 à 609 et 695 à 704.
9 Seuls quelques inventaires mentionnent les montants des baux et des transactions. On peut utiliser, en substitution, les actes de partage d'héritages. Hélas, ils sont beaucoup moins nombreux.
10 AD I.-&-V., 2B 698.
11 AD I.-&-V., 2B 602.
12 AD I.-&-V., 2B 701.
13 AD I.-&-V., 2B 604.
14 AD I.-&-V., 2B 609.
15 AD I.-&-V., 2B 505.
16 AD I.-&-V., 2B 696.
17 En 1719, le terme de négociant n'est jamais utilisé à Rennes. On ne trouve que des « négociants en mer ».
18 AD I.-&-V., 2B 701.
19 AD I.-&-V., 2B 696.
20 Il paie 239 livres de capitation en 1781.
21 AD I.-&-V., 2B 602.
22 AD I.-&-V., 2B 698.
23 AD I.-&-V., 2B 697.
24 Ces reconstitutions de fortune sont bien évidemment partielles et incompltes puisqu'elles ne tiennent compte que des données des inventaires.
25 AD I.-&-V., 2B 503.
26 AD I.-&-V., 2B 608 et 2B 697.
27 Nous aurions aimé pouvoir situer par exemple des orfèvres, des professions libérales ou des riches teinturiers.
28 Les tapissiers et horlogers ont, tous trois, plus de 4 000 livres de marchandises et matières premières en stock.
29 Par comparaison, les inventaires de paysans propriétaires ne semblent pas dépasser 1 000 livres.
30 Voir meyer (J.), op. cit., p. 927-1016, qui montrait déjà la puissance des fortunes des parlementaires.
31 Le plan Robelin est conservé au musée de Rennes, VR 28 071-78. Le relevé des ventes de 1721 à 1730 a été établi par nières (C.), La reconstruction d'une ville au xviiie siècle, p.374-385.
32 Cf. nières (C.), op.cit, p.284-289.
33 Ilots A, B, C, M, N, O, P, Q, R. Ils regroupent 271 emplacements.
34 L'identification des propriétaires est faite par repérage à partir du rôle de capitation de 1719 (AD Loire Atlantique, B 3 553) et du fichier général.
35 54 Emplacements pour la noblesse, 95 pour la bourgeoisie. Pour le détail, voir NIÈRE (C.), op.cit, p. 282-299.
36 AD I.-&-V., C 2 235. Beaucoup d'emplacements sont la propriété de « sociétés ». Dans ce cas, nous avons considéré le milieu le plus représenté parmi les associés.
37 AM Rennes, rôle décapitation de 1734.
38 Après l'incendie, la communauté de ville a fait dresser un inventaire des dégâts et de la situation de la ville qui permet d'établir une comparaison. AD I.-&-V., C 282, C 3 328 et 3 331.
39 Cf. nières (C.), op. cit., p. 299-306.
40 Certaines résistent encore aujourd'hui rue de la Visitation ou rue des Fossés. D'autres ont été détruites dans les années 1980 rue Nantaise ou rue Saint-Hélier.
41 Cf. les exemples cités par nieres (C.), op. cit., p. 190-203.
42 24 Maisons sont possédées en commun par plusieurs propriétaires dont les noms ne sont pas indiqués.
43 14 % Des maisons rue Basse, 6 % au Pont-Saint-Martin, 4 % rue Hue...
44 Les religieuses de Saint-Georges prêtent beaucoup à la noblesse et la bourgeoisie locale ainsi que l'attestent les inventaires après décès.
45 AD I.-&-V., 2C 36 386 à 397. Contrôle des Actes, Bureau de Rennes.
46 Contrairement à ce qui se passe souvent dans des villes plus petites. Voir par exemple, elkordi, (M.) Bayeux aux xviie et xviiie siècles. Contribution à l'histoire urbaine de la France, Paris-La Haye, 1970,369 p.
47 AD I.-&-V., 2C 36 385 et 386. Respectivement les 23 mars, 26 août et 23 juillet 1785.
48 meyer (J.), op. cit., cite une vingtaine de ventes du même type entre 18 000 et 100 000 livres, p. 1 243-44
49 AD I.-&-V., 2 C 36 389, 20 et 24 janvier 1786.
50 AD I.-&-V., 2 C 36 389, 11 février 1786.
51 AD I.-&-V., 2 C 36 393, 13 novembre 1786.
52 AD I.-&-V., 2 C 36 396, 11 mai 1787.
53 Par exemple Messire Mathurin Bameulle, recteur de Cintré, d'une famille de chirurgiens rennais.
54 Moyenne des rôles de capitation de 1781 et 1788.
55 Le goff (T.), note le même phénomène à Vannes avec les difficultés évidentes des robins et des hommes de loi.
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