Charles Pierre Mame à Angers : un fondateur
p. 31-38
Texte intégral
1Le fondateur de la lignée Mame, Charles Pierre, nous est paradoxalement presque mieux connu que ses descendants : le directeur de la bibliothèque d’Angers, François Grille, prend soin dès 1843 de contacter tous les membres survivants des premières générations Mame pour constituer ce qui sera le premier « fonds Mame ». Ces documents, dont des lettres manuscrites, permettront à Célestin Port comme à l’abbé Uzureau, puis à l’abbé Pasquier et Victor Dauphin, de rédiger de précises biographies du premier imprimeur de la dynastie1. Cette contribution n’a d’autre ambition que de reprendre brièvement les grandes lignes d’une trajectoire ascendante, dont vont s’inspirer fils et petits-fils : effort pour jouer un rôle central au sein d’une corporation ; stratégies d’alliance ; constitution d’un réseau ; attention aux techniques, aux conditions matérielles d’existence d’une industrie qui est aussi un commerce ; enfin prudence politique.
2Charles Pierre Mame naît dans la commune du Thor (diocèse de Cavaillon) le 18 novembre 1747. Il perd successivement son père à 2 ans, puis sa mère à 15. Après quelques années d’études dans un collège d’Avignon, il entre en apprentissage chez l’imprimeur Henry Joly, qui meurt en 1767. C’est peut-être à cette date que, compagnon, il entreprend son tour de France.
3En 1769, à 22 ans, il est à Angers, employé chez Charles François Bonaventure Billault, alors âgé de 27 ans. Billault descend d’une lignée de professionnels du livre. Son grand-père est imprimeur du Roi, de la Ville et du Collège de Loudun ; son père est libraire à Tours depuis 1740, et ses frères sont imprimeurs à Tours et à Blois. Billault a fait des études à l’université de Poitiers, puis son apprentissage, à Poitiers puis Paris. C’est en épousant la fille d’un imprimeur « historique » de la ville d’Angers, Barrière, qu’il réussit son entrée dans la profession : la jeune femme lui apporte en dot le fonds de commerce de l’imprimerie et de la librairie. La maison cumule les privilèges : libraire-juré de l’université, monopole des fournitures de librairie et de papeterie au subdélégué, au maire, aux diverses administrations, octrois… On y publie la Gazette d’Angers, ainsi que des ouvrages scolaires pour les collèges de la province et celui de l’Oratoire. Mais Billault peine à se faire accepter par la corporation angevine (on dit qu’il ne veut pas acquitter les droits d’entrée), et n’est reçu imprimeur qu’en 1770. Aussitôt pourtant il accumule les distinctions : imprimeur de l’Université (1770), de Monsieur (1772), du Présidial et de la Ville (1773). Billault est dynamique. Il lance en 1772 les Étrennes angevines, pour concurrencer l’Almanach historique de l’Anjou de son concurrent Jahyer (qui lui fait un procès en vain). L’année suivante, il lance les Affiches d’Angers2 sur le modèle des Petites Affiches de Paris. C’est un feuillet plié, quatre pages imprimées sur deux colonnes, paraissant le vendredi.
4Mame en poursuivra la publication, mais entre-temps, il a quitté le service de Billault pour s’embaucher chez Dubé, qui travaille essentiellement pour le clergé. Dubé meurt en 1776 et sa veuve cède la direction de l’atelier à Mame, avant de mourir elle aussi en 1777. Mame est désormais père de famille : à 24 ans, le 10 mars 1772, il a épousé Marie Lemarcant. Le couple a 6 enfants : Marie Jeanne Émilie (1773), Charles Mathieu (1774), Louis Charles (1775), Amand Augustin Ferdinand (1776) et les jumelles Marie-Charlotte et Marie-Thérèse (1777). Directeur d’atelier, il doit obtenir officiellement les brevets encore nécessaires pour exercer les professions de libraire et d’imprimeur. Or il échoue au concours organisé le 13 septembre 1777 : ses compétences professionnelles sont reconnues, mais il semble qu’il n’ait pu produire le brevet de son apprentissage, subi en Avignon, alors État pontifical. C’est un concurrent, Victor Pavie, qui obtient le brevet d’imprimeur de Dubé.
5Ne pouvant devenir imprimeur, Mame obtient en 1778 un brevet de libraire et dès l’année suivante il s’associe avec Billault et vient s’installer rue Saint-Laud dans sa maison. L’annonce de son déménagement lui donne l’occasion de vanter sa marchandise : livres de jurisprudence, sciences, arts et histoire, mais aussi papier à lettres de Hollande, registres, plumes (taillées ou non), cire d’Espagne et pains à cacheter. Il propose en outre des revues, en lecture ou en souscription, ainsi que des brochures disponibles en prêt pour trois sols le volume. Le cabinet de lecture dont il fera l’annonce officielle un peu plus tard semble donc déjà en place.
6L’association avec Billault équivaut pour ce dernier à une progressive mise à la retraite ; il avait signalé dès 1775 son désir de se défaire de son établissement3. Dès 1779, il annonce à plusieurs reprises que « les personnes qui voudront acheter du bon vin rouge de Tours, tant noble que commun, de la dernière récolte, sont priées de s’adresser à M. Billault, qui leur en procurera, soit de son crû, soit des meilleurs crûs de la Touraine ; & en son absence au Sr Mame, Libraire, rue S. Laud4 ». Billault a de fait déjà réintégré la Touraine, et Mame est désormais seul maître de la librairie et de l’imprimerie, même s’il n’en possède pas encore les titres officiels.
7Mame prend une place de plus en plus affirmée au sein de la corporation angevine. En 1780, il en est syndic adjoint, à 33 ans. La même année, il annonce officiellement l’ouverture de son cabinet littéraire, le 15 janvier. L’article publié dans les Affiches précise que le cabinet, ouvert tous les jours sauf le dimanche, de neuf heures à midi et de deux heures à huit heures, sera « très bien chauffé et éclairé ». D’emblée, Mame décide qu’il n’aura que 50 souscripteurs – 36 sont déjà inscrits, et il peut en communiquer la liste à ceux qui souhaiteraient les rejoindre. Le prix de l’abonnement, de 10 livres payables d’avance, donne droit à la lecture du Mercure de France, du Journal de Bouillon, de la Gazette de France, du Journal de Paris (quotidien), de la Gazette d’agriculture, du Journal ecclésiastique, du Journal des sciences et beaux-arts, du Journal encyclopédique, du Journal des causes célèbres, des Annales politiques de Monsieur Linguet, de la Gazette de Leyde, du Courrier de l’Europe, et des Feuilles hebdomadaires de la province et des principales villes du royaume. En créant ce cabinet, Mame fait la preuve de son ouverture aux idées nouvelles ; il compense ainsi partiellement l’absence de bibliothèque publique, et ses abonnés forment de fait une première communauté intellectuelle et littéraire. Cette influence grandissante lui permet de solliciter de nouveau les brevets qui lui manquent. En 1781, il est désormais imprimeur de la Ville, de l’évêque d’Angers, bientôt imprimeur de Monsieur, et en 1787 imprimeur du Roi. Il devient aussi l’imprimeur des Affiches d’Angers.
8Deux derniers enfants sont nés : Philippe Auguste (1778), et enfin Camille Edme Xavier (1781) ; une des jumelles est morte à un an. Les parrains et marraines de ses enfants dessinent ce qu’est dans ces années 1773-1781 le réseau social de Charles Pierre Mame : outre les témoins de son propre mariage, il fait appel aux familles des imprimeurs et libraires de la ville (qui le sollicitent à leur tour pour parrainer leurs enfants : les Barrière, Billault, Boutron, Pavie5), à des négociants (Bergeux, marchand distillateur ; Bardou, marchand limonadier), aux familles apparentées Chesneau et Grille. Ses fréquentations vont bientôt se diversifier, car Charles Pierre Mame entre, vers 1781, dans la loge maçonnique Tendre Accueil d’Angers6. Créée en 1770 à l’abbaye bénédictine de Glanfeuil près d’Angers, la loge est rapatriée en ville en 1779 sur la pression des militaires qui y sont entrés. Les ecclésiastiques y sont exceptionnellement nombreux. L’élite bourgeoise et lettrée contribue à l’essor de la franc-maçonnerie angevine dans ces années 1780. On y réfléchit à la manière de favoriser les progrès de tous ordres7. Particularité régionale, on trouve aussi dans ces loges du Val de Loire de nombreux « Américains », anciens militaires ou riches propriétaires rentrés des Antilles, surtout de Saint-Domingue8.
9Au cours des travaux de cet atelier, Mame a pu nouer des relations avec Marie-Joseph Milscent, alors simple avocat, et qui deviendra en 1788 lieutenant du présidial, avant d’être élu député du Tiers État9. Les deux hommes appartiennent à la même génération. Leurs positions sociales ne devraient pas leur supposer de familiarité : Milscent descend d’une lignée d’hommes de loi implantés à Angers (son arrière-grand-père Toussaint Milscent de la Daudaie est avocat à Angers dès 1650), tandis que Mame est un artisan au début de son ascension. Pourtant, les solidarités nées au sein des loges maçonniques des années pré-révolutionnaires permettent ce genre de rapprochement. Mais c’est visiblement avec un cousin germain de Marie-Joseph Milscent, Claude Milscent de Mussé, que Mame noue des liens. Ce Claude Milscent appartient à la branche « américaine » de la famille : son père a préféré l’aventure coloniale aux études de droit, et a épousé à Saint-Domingue la fille unique d’un riche colon dont il hérite de la propriété, une caféterie. Claude Milscent fait de fréquents allers-retours entre Saint-Domingue et Angers, tout comme son frère Antoine, dont la fille, au pensionnat de la Visitation, fréquente une des filles de Charles Pierre (probablement Marie-Thérèse10).
10Ouvert, entreprenant, prospère, Mame est choisi pour rédiger les doléances de sa corporation11 lorsque commence la Révolution. Les francs-maçons font alors une entrée massive dans les institutions politiques nouvelles : sur les vingt députés de l’Anjou, six sont francs-maçons. On les retrouve plus tard au sein des diverses sociétés et clubs qui vont orienter la vie politique jusqu’en 1794. En mars 1790 est ainsi fondé le premier club angevin, celui des Amis de la Constitution, dit aussi Club de l’Est12. Les membres fondateurs en sont l’avocat Delaunay (membre de la même loge, et bouillant révolutionnaire13), l’oratorien assermenté Bénaben (professeur de mathématiques au collège), le polémiste Cordier, Claude Milscent dit « Créole » (il abandonne dès 1791 son nom de « de Mussé » pour ce surnom14) et Mame. Ce dernier imprime dès 1791 le journal du club, moyen privilégié de répandre ses idées : Journal du département de Maineet-Loire, par les Amis de la Constitution d’Angers.
11La même année, Mame annonce aussi le journal créé par Milscent-Créole, Le Creuset15, dont deux numéros sont déjà parus ; il en est l’imprimeur, de même qu’il imprime depuis 1789 le journal du franc-maçon Jean-Baptiste Leclerc16, L’Ami des indigents. Cependant le périodique créé par Milscent semble lui tenir à cœur, puisqu’il écrit dans les Affiches :
« Les premier et second numéros du journal intitulé Le Creuset, par M. Milscent, Créole, viennent de paraître. Les sentiments dont cet ouvrage est rempli le rendent du plus grand intérêt. Au lieu du titre qu’il porte, il eût pu être appelé L’égide de la loi, ou Le bouclier de la liberté, ou Le défenseur de l’humanité. Ces trois objets font la tâche de l’auteur, et il ne s’en écarte jamais. Enfin, nous allons l’avancer, Le Creuset deviendra par la suite le Manuel des vrais amis de la Constitution. »
12Ce projet ne verra pas le jour, contrarié par la destinée parisienne de Claude Milscent. Ce dernier écrit encore à Angers, le 31 octobre 1791, un texte intitulé Sur les troubles de Saint-Domingue, mais il le fait imprimer à Paris, au Patriote français. Dès lors, Milscent ne quitte plus la capitale, prend ardemment parti dans la querelle coloniale et abolitionniste. La figure de Milscent est singulière : colon fortuné (il possède des caféteries), commandant général des Gardes nationales du Cap, il a d’abord participé activement à la répression de divers mouvements marrons17, et il ne cherchera jamais à s’en cacher. Il est encore à Saint-Domingue au moment où apparaissent les assemblées primaires. C’est au cours des années révolutionnaires que sa position évolue, au point qu’en 1792, dans le Créole patriote, il se fait l’écho, en la publiant, d’une lettre des Nègres révoltés Jean-François, Biassou et Belair qui réclament la liberté, en vertu de la Déclaration des droits de l’homme. Après la révolte des esclaves de 1793, Milscent paie son audace anti-esclavagiste de la mort, victime des haines du Club de Massiac18 : il meurt guillotiné le 26 mai 1794.
13Non content d’être son associé lors de la création du Club de l’Est et l’éditeur de son premier périodique, Mame poursuivra la fidélité aux valeurs de Milscent Créole lorsque sa maison imprimera (alors sous la responsabilité d’Auguste) les libelles et mémoires19 rédigés par sa nièce Sophie Milscent, héritière d’une fortune coloniale et dépouillée par son oncle et tuteur Marie-Joseph Milscent, devenu entre-temps doyen de la cour d’appel d’Angers. Cette fidélité à Milscent « l’Américain » n’est pas anecdotique : on verra à quel point les destinées des descendants Mame croisent souvent celles de ces « Américains » du Val de Loire, ayant parfois fait fortune dans le café ou le sucre à Saint-Domingue, puis subi la violence de la révolte de 1791. Amand, le troisième fils de Charles Pierre Mame, épouse ainsi à Tours en 1805 une fille de colons ruinés ; son associé Pescherard a lui aussi épousé une Créole.
14Membre d’un club, Mame n’en est pas moins un imprimeur circonspect, et les Affiches gardent le plus souvent un silence prudent sur les questions politiques20. Jérôme Letortu a vu en lui un « parangon de l’entregent et d’un opportunisme à toute épreuve21 ». Avec moins de fureur justicière, on pourrait lire dans sa carrière les efforts d’un orphelin pour se faire une place au sein d’une caste extrêmement fermée, trajectoire ascendante contre-carrée par l’irruption des événements révolutionnaires. Lorsqu’éclate la Révolution, c’est un père de famille installé : il a alors 7 enfants, dont 5 fils à établir. En 1790, les deux aînés, Charles Mathieu et Louis Charles, s’engagent dans la garde républicaine d’Angers – par conviction ou parce que leur père cherche, par l’intermédiaire de ces garçons de 15 et 16 ans, à afficher sa bonne volonté ? Leurs lettres semblent témoigner de leur ardeur révolutionnaire22. En 1792, Charles Pierre rouvre son cabinet de lecture (fermé à une date inconnue). L’évolution des Affiches, de la prise de la Bastille à l’exécution de Louis XVI, montre un infléchissement progressif vers des positions plus révolutionnaires, quoique sans hargne antiroyaliste. Le fils aîné, Louis Charles, est présent à Paris lors de la chute de la monarchie, et une lettre qu’il écrit à ce sujet à son père est publiée dans les Affiches23. Les Affiches permettent ainsi à quelques ardents révolutionnaires de s’exprimer : Milscent avant la fondation de son propre journal, en 1791, ou l’oratorien Mévolhon, adepte de la Constitution et Montagnard convaincu. Charles Pierre Mame est tiré au sort, en 1792, pour faire partie des jurés spéciaux du tribunal criminel du département ; son implication dans l’administration révolutionnaire est alors entière, de sorte que l’entrée à Angers des troupes royalistes, en juin 1793, peut légitimement lui faire redouter le pire. Il est en effet emprisonné brièvement, parce qu’il est imprimeur du département, et son imprimerie est saccagée par les Vendéens. Ces troubles qui font temporairement perdre à Mame sa position dominante réveillent les ardeurs de collègues envieux de son succès ; il doit user de surenchère pour prouver son ardeur révolutionnaire. En novembre 1793, il offre ses stocks de livres de messe (datant de sa période d’imprimeur de l’évêque) pour que la Nation puisse en faire des cartouches – ce qui lui vaut un certificat de civisme. Nouvelle preuve d’allégeance au pouvoir désormais en place : le 1er janvier 1794, les Affiches adoptent le calendrier républicain.
15Le Club de l’Est ayant été dissous, Mame entre en 1794 au Club de l’Ouest ; désormais, il applaudit à la chute de Robespierre. Il est alors nommé « notable » de la ville d’Angers, et cet engagement du côté de la République manque de lui coûter la vie : il est en effet arrêté par des Chouans alors qu’il se rend à la campagne pour approvisionner son imprimerie en papier, en avril 1795, et manque d’être fusillé. Mame traverse difficilement cette période troublée. La guérilla prive Angers des routes du commerce, limitant les approvisionnements et entravant la circulation des marchandises ; par ailleurs le département, à court de numéraire, ne paie plus son dû à l’imprimeur, qui doit cependant rémunérer ses ouvriers. En 1796 pourtant, Mame acquiert, comme bien national, le couvent de l’Oratoire avec ses dépendances ; il s’y installe, avec son imprimerie, l’année suivante ; en 1800, il rétrocédera la chapelle de l’Oratoire aux paroissiens de Saint-Michel-du-Tertre.
16Exaspérés par la guerre civile, les journalistes des Affiches se rallient progressivement à une forme de pacifisme, et s’opposent alors violemment à L’Ami des principes, jacobin, imprimé par Jahyer. En 1796-1797, les attaques contre Mame et ses rédacteurs sont virulentes, l’accusant de complaisance contre-révolutionnaire24. L’année 1797 marque le début d’une campagne haineuse contre Mame, qu’on accuse d’avoir « porté le bonnet rouge du club de l’Ouest », donc d’avoir été un agitateur de la première heure, d’avoir été un familier des « terroristes », etc. Mame répond point par point, par voie de presse, dans des articles dont le ton reste mesuré, même si l’atmosphère générale de ces années est au persiflage et à l’invective. Le journal imprimé par Jahyer finit par être interdit en mars 1798, mais entre-temps les événements politiques sont défavorables à Mame : le coup d’État lui fait perdre sa place d’imprimeur du département, car le nouveau ministre de la Police générale l’accuse d’avoir eu une conduite versatile. Le département a beau défendre son administré, la disgrâce est réelle.
17Pour parer l’attaque, Mame démissionne en faveur de son fils aîné en novembre 1797, mais le nouveau gouvernement désigne comme imprimeur du département un ancien prote de Mame, Boutron. Mame est pourtant choisi, le 29 mars 1800, comme imprimeur de la préfecture par le nouveau préfet, ce qui lui permet de terminer sa carrière réhabilité. Mais après la mort de sa femme, en 1801, il quitte les affaires ; la direction des ateliers est confiée à Charles Mathieu et Philippe Auguste. Ils possèdent 10 presses roulantes, et emploient plus de 50 ouvriers, selon un rapport du préfet.
18Avant de se retirer, et de devenir conseiller municipal (1806), Mame a su assurer la situation de ses enfants. Dès 1791, il a marié sa fille aînée Émilie avec Jacques-Marie Plas, fils de marchand, alors garçon commis au district d’Angers25. Ce Plas a pour parrain le puissant chevalier Jacques-Marie Pays de Lathan dont la famille a fait une considérable fortune à Saint-Domingue26. Le jeune couple est envoyé à Tours où Mame a gardé de solides accointances avec Billault ; deux enfants naissent. Le double nom de Plas-Mame comme libraire puis imprimeur-libraire apparaît sporadiquement entre 1794 et 1799. Mais le couple est réputé pour sa mésentente27. Mame s’inquiète auprès de Billault de la conduite de son gendre28 et en mars 1800 un acte indique qu’Émilie est revenue vivre dans sa famille à Angers, rue de l’Oratoire. Charles Mathieu, l’aîné, et Louis Charles, son cadet, se sont mariés à Angers en 1796, à 22 et 21 ans ; ils sont un temps associés à l’imprimerie familiale. La jumelle survivante, Marie-Thérèse, épouse à 20 ans en 1797 Olivier Fourier, qui est libraire et va prendre la succession de la librairie Mame, sous le nom de Fourier-Mame. En 1795, Mame a acheté l’imprimerie tourangelle de Billault, et il en confie la gestion à son troisième fils Amand, comme il l’écrit à Billault :
« Je te prie, mon cher ami, au nom de notre amitié, et de notre constant attachement, d’aider de tes conseils et de tes lumières mon troisième fils Amand qui va à Tours pour apprendre à tenir les rennes de l’imprimerie. Il est bien jeune, me diras-tu. C’est une vérité. Mais il n’est pas sans faculté, et s’il n’était pas aussi étourdi, et qu’il voulait se captiver, bientôt il serait en état de me rendre des services29. »
19Enfin Philippe Auguste, né en 1778, est associé en 1797 ou 1798 à l’imprimerie angevine, qu’il dirige en association avec son frère Charles Mathieu jusqu’en 1807. Le dernier fils, Camille Edme Xavier, prote à son tour, meurt cependant dès 1798 à Brest, à 17 ans. Charles Pierre Mame vit jusqu’à 78 ans, ce qui lui laisse tout loisir de voir s’épanouir les affaires des fils en qui il a su cultiver l’esprit d’entreprise.
Notes de bas de page
1 Port C., Dictionnaire historique, géographique et biographique de Maine et Loire, Paris, J. B. Dumoulin ; Angers, Lachèse et Dolbeau, 1874-1880 ; Pasquier E. et Dauphin V., Imprimeurs et libraires de l’Anjou, Angers, Société anonyme des Éditions de l’Ouest, 1932 ; voir aussi Pichot C., La Production imprimée à Angers pendant la période révolutionnaire (1787-1799), mémoire de maîtrise d’histoire du livre, dir. Véronique Sarrazin, 2002 (université d’Angers).
2 Affiches, annonces et avis divers d’Angers, capitale et apanage de Monsieur, fils de France, frère du Roi.
3 Affiches d’Angers, 16 juin 1775.
4 Affiches d’Angers, 19 novembre 1779.
5 ADML, État civil, Angers paroisse Saint-Pierre, 28-12-1781.
6 Feneant J., Francs-maçons et sociétés secrètes en Val de Loire, Chambray, CLD, 1986.
7 Ainsi Mame imprimera-t-il, en 1789, la dissertation de Louis Viger, Discours sur cette question : quels sont les moyens d’encourager le commerce à Angers ?
8 Feneant J., op. cit., p. 89.
9 Grands notables du Premier Empire, t. 9 : Loire-et-Cher, Sarthe, Maine-et-Loire, Morbihan, Paris, CNRS, 1983, p. 239-240.
10 Uzureau F., « Mémoires de Mme Letondal », L’Anjou historique, 1904, p. 3-19.
11 AM Angers, AA25.
12 Voir L’Observateur provincial, Angers, Pavie, mars 1790, no 23. Cité par Bois B., La Vie scolaire et les créations intellectuelles en Anjou pendant la Révolution (1789-1799), Paris, Félix Alcan, 1929.
13 Grands Notables du Premier Empire, t. 9 : Loir-et-Cher, Sarthe, Maine-et-Loire, Morbihan, op. cit., p. 196.
14 Piquionne N., « Lettre de Jean-François, Biassou et Belair », Annales historiques de la Révolution française, année 1998, vol. 311, no 1, p. 132-139 (p. 132).
15 Affiches d’Angers, 7 juillet 1791. Le journal paraîtra du 28 juin au 21 septembre 1791.
16 Feneant J., op. cit., p. 111.
17 Piquionne N., art. cit., p. 132.
18 Benot Y., « L’affaire Milscent (1794) », Dix-huitième siècle, no 21, 1989, p. 311-327 ; PIQUET J.-D., L’Émancipation des noirs dans la révolution française : 1789-1795, Paris, Karthala, 2002.
19 Les libelles de Marie-Joseph sont, eux, imprimés par Pavie…
20 Lebrun F., « Une source de l’histoire sociale : la presse provinciale à la fin de l’Ancien Régime. Les “affiches d’Angers” (1773-1789) », Le Mouvement social, no 40, juillet-septembre 1962.
21 Letortu J., « L’imprimeur Charles Pierre Mame (1747-1825), ou l’ascension d’un opportuniste angevin », Recherches vendéennes, no 8, 2001, p. 109-132.
22 Grille F., Lettres, mémoires et documents, Paris, Amyot, 1850, p. 263 (lettre du 4 septembre 1792) cité par J. Letortu.
23 Affiches d’Angers, no 98, 14 août 1792, citée par Letortu J., art. cit.
24 Uzureau F., « Polémiques de presse à Angers au lendemain de la Terreur », Mémoires de la Société d’agriculture, sciences et arts d’Angers, vol. 16, 1913.
25 ADML, acte de mariage, 25 octobre 1791, paroisse Saint-Maurice à Angers.
26 Bonnet N., « Les Pays de Lathan. Histoire d’une famille angevine implantée à Saint-Domingue au XVIIIe siècle » Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, t. 107, no 4, 2000, p. 44-70. La branche « américaine » de la famille sera déclarée ruinée en 1799.
27 Grille F., Le Bric-à-brac, avec son catalogue raisonné, Paris, Ledoyen, 1853. La chronique est partiellement fautive.
28 AM Tours, additif 2J43.
29 AM Tours, additif 2J43, lettre du 1796, 1 pluviôse an IV (21 janvier 1796).
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