Préface
p. 7-10
Texte intégral
1Qui se souvient aujourd’hui du Parti républicain de la liberté ? Quelques fins connaisseurs de l’histoire politique nationale, qu’ils soient historiens, politistes, journalistes ou militants aguerris ; quelques personnes très âgées qui ont milité dans ce parti ou voté pour ses candidats ; quelques étudiants attentifs si tant est qu’on leur en ait parlé un peu longuement…
2Comme presque tous les partis de droite, le PRL pâtit indéniablement d’un déficit de mémoire collective que les acteurs eux-mêmes – il faut le dire – contribuent beaucoup à entretenir en changeant souvent le nom et les statuts de leurs organisations. Rien de commun en la matière avec le parti radical, fondé au tout début du XXe siècle, ni avec le parti socialiste, fondé peu après, ou le parti communiste fondé au sortir de la Grande Guerre. Non qu’il n’y ait pas de continuité à droite comme il y en a à gauche. Au contraire. Le gaullisme a existé pendant plus d’un demi-siècle. Mais en changeant de dénomination partisane huit fois en 30 ans, de l’Union gaulliste (1946) au RPR (1976), ce qui ne contribue pas peu à troubler la mémoire partisane de cette famille politique, survalorisant du même coup la mémoire de son chef Charles de Gaulle, aujourd’hui écrasante, comme s’il avait dirigé le pays seul, sans parti derrière lui. Situation comparable, mutatis mutandis, pour la démocratie-chrétienne, depuis le Parti démocrate populaire (PDP) de 1924 jusqu’au MoDem en 2007. Le phénomène est plus évident encore pour la famille libérale, si changeante dans ses structures et si longtemps éparpillée dans plusieurs formations concurrentes qu’écrire son histoire partisane reste une gageure.
3Le cas du PRL est toutefois spécifique. Il s’agit en effet d’un parti « de transition » si je peux dire. Né dans une période de transition : la Libération. Un parti qui servit de sas ou de trait d’union aux droites entre deux régimes différents, la IIIe et la IVe Républiques, séparées par les épisodes traumatiques de la Débâcle et de l’Occupation qui brouillèrent nombre d’itinéraires individuels et déstabilisèrent profondément les formations partisanes, celles de droite au premier chef. Le PRL fut ainsi un lieu de passage dont l’existence ne se justifia que quelques années, de 1945 où ses bases furent posées dans la perspective des premières élections législatives d’après guerre, jusqu’aux élections de 1951 qui virent les droites, recomposées dans de grandes formations, retrouver la majorité au Palais-Bourbon. Et, quelques mois plus tard, investir Antoine Pinay à la présidence du conseil.
4C’est l’histoire de ce parti nommé PRL, puissant un court moment, que cet ouvrage donne enfin à découvrir de façon approfondie. Jamais jusque-là, malgré des développements parfois assez nourris à son propos dans tel ou tel livre consacré aux droites et au système partisan, on n’avait tenté de l’écrire dans sa globalité. C’est désormais chose faite grâce au travail méthodique mené par un petit groupe d’historiens, animé d’abord par Gilles Le Béguec et Jean-Paul Thomas, sur des archives jusque-là inexploitées mais d’une grande richesse.
5On sait que l’électorat des droites d’avant-guerre se porta majoritairement en 1945 sur le Mouvement républicain populaire (MRP). Mais la stratégie des démocrates-chrétiens, si elle visait bien à empêcher la constitution d’un second Front populaire, reposait sur d’importantes concessions en matière économique et sociale pour éviter une rupture avec les socialistes qui aurait entraîné leur isolement face à des communistes dont la volonté d’hégémonie apparaissait sans fard dans leur pressante demande de réunification des « partis ouvriers ». Cette stratégie de compromis sur la question sociale, bien qu’accordée d’une certaine manière à l’esprit du Conseil national de la Résistance, ne pouvait évidemment que rebuter toute une partie des militants et des cadres des anciens partis de droite, ainsi qu’une fraction de leurs électeurs, plus ou moins importante selon les départements. D’où le lancement du PRL à partir de l’été 1945 en vue de préparer le scrutin de l’automne, puis sa structuration définitive quand se constitua officiellement le « tripartisme » au début de 1946 qui maintenait, malgré le retrait du chef de la France libre, les alliances de la Résistance, au-delà du clivage entre droites et gauches.
6À l’inverse des dirigeants du MRP, les fondateurs du PRL conçurent immédiatement une stratégie d’opposition frontale droite-gauche, sans concessions. Dans une volonté de large union contre la menace d’un nouveau Front populaire, ils s’adressèrent aux anciens partis de droite : le Parti social français (PSF) de François de La Rocque d’abord, mais aussi la Fédération républicaine (FR) de Louis Marin, l’Alliance républicaine démocratique (ARD) de Pierre-Étienne Flandin, et même le Parti républicain national et social (PNRS) de Pierre Taittinger. Le maître d’œuvre de l’opération, Edmond Barrachin, ancien député radical indépendant proche de l’ARD devenu en 1936 le directeur du Bureau politique du PSF, imaginait au fond réaliser son projet que la guerre avait empêché d’aboutir, faute d’élections législatives en 1940 : rassembler toutes les droites dans un seul et vaste parti, « le plus grand parti républicain et national qui ait jamais existé dans notre pays » selon sa formule.
7Dès la seconde moitié de 1946 toutefois, il apparut évident que le projet initial aurait du mal à advenir. Les masses militantes de l’ancien PSF, sur lesquelles Edmond Barrachin comptait tant, s’étaient éparpillées depuis 1940 au gré de vents contraires. La mort prématurée de leur chef vénéré, François de La Rocque, les déboussola plus encore. Quant aux électeurs catholiques, principal vivier des droites depuis le siècle précédent, ils étaient fortement incités par les évêques à voter en faveur du MRP. Enfin, les cadres des deux principaux partis de droite d’avant-guerre, ARD et FR, étaient profondément divisés entre résistants, attentistes et collaborationnistes. Malgré un effort d’organisation impressionnant, inspiré de l’expérience du PSF mais aussi de l’ancien Centre de propagande des républicains nationaux d’Henri de Kerillis, ni le nombre d’adhérents, ni le nombre d’électeurs ne permirent de faire du PRL le « Quatrième grand parti » espéré par ses promoteurs. Son programme, analysé en détail au fil de plusieurs chapitres de l’ouvrage, était à son image : en transition, prenant certes ses distances avec le régime vaincu en 1940 mais pas vraiment capable d’offrir un projet d’avenir accordé aux aspirations du plus grand nombre en ces temps de reconstruction.
8Le lancement du Rassemblement du peuple français (RPF) au printemps 1947, celui du Centre national des indépendants et paysans (CNIP) à l’automne 1948 achevèrent de révéler les contradictions du PRL, désormais écartelé entre deux tendances ouvertement opposées. Le président du PRL, Michel Clemenceau, qu’on avait choisi pour son nom mais inapte à transcender le clivage, ne fut manifestement pas à la hauteur de la tâche qui lui incombait. Les élections législatives de juin 1951 obligèrent les uns et les autres à choisir leur camp. La majorité, derrière Joseph Laniel, passa au CNIP tandis qu’une forte minorité suivit Charles de Gaulle au RPF.
9Son échec rapide justifie-t-il qu’on s’intéresse encore aujourd’hui, près de soixante-dix ans plus tard, au PRL ? Oui, sans aucun doute, parce que, comme l’écrit justement Gilles Le Béguec, le PRL ne fut pas une simple parenthèse. Il contribua beaucoup à assurer la transmission de l’héritage du PSF dans l’après-guerre. Et plus largement l’héritage des différentes tentatives faites pendant l’entre-deux-guerres pour donner aux droites une organisation partisane à la hauteur de celle de leurs adversaires socialistes et communistes. Le PSF avait incontestablement représenté l’effort le plus abouti en la matière avant 1940. Il n’est donc pas étonnant que ce fût l’un de ses principaux dirigeants, Edmond Barrachin, qui reprît le flambeau à la Libération. Si le RPF représenta d’abord la formation la plus ressemblante avec l’ancien parti issu des Croix-de-Feu, l’héritage fut au bout du compte aussi recueilli – et adapté – par les libéraux du CNIP. Dès le milieu des années 1950 en effet, ce furent les anciens cadres du PSF, venus directement au Centre national ou passés auparavant par le RPF, qui se montrèrent les plus entreprenants pour doter le Centre national de fédérations départementales bien structurées. À Paris d’abord, mais aussi dans le Nord, le Rhône, la Loire-Atlantique, les Bouches-du-Rhône, les Basses-Pyrénées, etc.
10C’est tout cela qui explique pourquoi le PRL doit bien être considéré comme un élément majeur de la recomposition des droites à la Libération. Une recomposition incontestablement réussie, malgré ses méandres, qui permit leur retour au pouvoir plus vite que leurs adversaires ne l’avaient imaginé. Et leur triomphe durable à l’occasion de la crise du 13 mai 1958.
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