Chapitre XI. L’équipage
p. 333-404
Texte intégral
1La préparation d’une campagne corsaire exige certes un bâtiment avantageux et une artillerie adéquate, elle ne saurait toutefois se réduire à cette considération matérielle car il faut également des hommes pour les manœuvrer et combattre efficacement en mer. La compétence d’un équipage peut pallier une faiblesse matérielle et sa vaillance surprendre victorieusement un ennemi de force égale. Navire, artillerie et équipage figurent donc en constante interdépendance dans les préoccupations de l’armateur, soucieux par ailleurs de respecter des impératifs financiers.
2Dans la Marine royale, le recrutement des équipages obéit à des règles strictes. « L’équipage est dimensionné selon le système d’armes qu’il sert. En calculant le rapport entre l’effectif total d’un équipage et le nombre de bouches à feu, l’on s’aperçoit que ce quotient est constant quel que soit le vaisseau1. » « Lorsqu’on arme un vaisseau, frégate ou corsaire pour croiser, on ne lui donne jamais moins de dix hommes par canon ; ainsi une frégate de trente canons a trois cents hommes d’équipage ; un vaisseau de 64 canons, 640 ; un de 74, 740 hommes et l’état-major en sus2. » Le pourcentage de matelots affectés au service des canons sur les vaisseaux du roi dépasse alors les 70 %, tandis que celui des matelots destinés à la manœuvre lors d’un combat naval équivaut seulement 7 à 8 % sur les vaisseaux et 10 % sur les frégates3. Le maniement des canons, et non pas la navigation, justifie pleinement la pléthore d’hommes embarquée sur les navires de combat. Qu’en est-il cependant des corsaires, où l’artillerie paraît souvent défaillante, voire faible dans certains cas ? À quoi ressemblent leurs équipages ? Quelles règles prévalent à leur fonctionnement ? Au-delà des clichés habituels, créés par la littérature romantique du XIXe siècle, puis diffusés et amplifiés par les médias modernes, qui sont vraiment ces hommes ?
3L’ensemble des rôles d’équipage, conservé au Service historique de la Marine de Cherbourg, recèle une mine de précieux renseignements encore inexploités par les historiens. Complétés par la matricule des gens de mer, les rapports de mer effectués par les capitaines à leur arrivée dans les différents ports français ainsi que la correspondance avec les bureaux du secrétariat d’État à la Marine, ils lèvent le voile qui recouvrait encore le microcosme corsaire et révèlent précisément les préoccupations des armateurs lorsqu’ils formaient leurs équipages.
4L’examen de ces sources aidera à saisir les caractéristiques générales d’un équipage corsaire, à mesurer d’une part sa dimension et sa composition par comparaison avec les navires de guerre ou du commerce, mais aussi à comprendre son fonctionnement. Une analyse plus minutieuse permettra ensuite de mieux connaître ces hommes qui s’engageaient à Granville. Qui étaient-ils ? D’où venaient-ils ? Quel était leur âge ? L’étude des modalités de recrutement mettra alors en lumière les difficultés inhérentes à la formation de ces équipages.
Qu’est-ce qu’un équipage corsaire ?
La dimension d’un équipage
5Le suivi de la trajectoire de deux corsaires, ayant armé alternativement en temps de guerre et en temps de paix, aide à comprendre en quoi les équipages corsaires se distinguent des autres. Le premier, le Conquérant, est un navire de taille moyenne (160 tx, construit en 1745). De 1745 à 1748, il réalise quatre campagnes corsaires. Puis, la paix revenue, il part en 1749 et en 1752 pour Gaspé afin d’y pêcher la morue sèche. Plus rien ne le distingue alors des autres morutiers.
Années | Équipage déclaré | Personnes embarquées par augmentationa |
1745 | 237 | 15 |
1746 | 231 | 0 |
1747 | 225 | 3 |
1748 | 213 | 18 |
1749 | 88 | 0 |
1752 | 92 | 0 |
6Le deuxième, le Mercure, est de taille plus modeste (un sloop de 25 tx, construit à Granville en l’an VIII). En l’an IX, il réalise une campagne corsaire. Puis il part chaque année au petit cabotage (en l’an X, pour se rendre à Jersey ; les années suivantes, sans préciser le lieu exact de sa destination sur les rôles d’armement).
Dates d’armement | Equipage déclaré |
30 brumaire an IX (21/11/1800) | 21 |
2 frimaire an X (23/11/1801) | 4 (+ 1 par augmentation) |
25 nivôse an XI (15/01/1803) | 5 |
26 germinal an XII (16/04/1804) | 4 |
2 prairial an XIII (22/05/1805) | 5 |
7L’examen de ces deux trajectoires met en évidence la très forte augmentation de l’équipage lorsque celui-ci est armé en course : quatre à cinq fois plus sur un petit bâtiment, deux à trois fois plus sur un plus gros.
8En temps normal, sur un navire commercial destiné au cabotage ou au trafic colonial, l’armateur mesure chichement ses équipages. Il n’embauche qu’un minimum de personnes : celui des personnes nécessaires aux manœuvres du bâtiment. Les embarcations granvillaises habituellement utilisées pour le petit cabotage sur les côtes voisines, quel que soit leur tonnage, présentent généralement un équipage de 3 à 6 personnes. Le Mercure de 25 tx est à leur image, avec un équipage de 4 ou 5 hommes. Son ratio est de 0,2 h/t (homme par tonneau). En 1751, l’Aimable Marie de 120 tx part au cabotage pour La Rochelle avec un équipage de 15 personnes, soit un ratio de 0,12 homme par tonneau. De leur côté, les navires qui se rendent aux colonies ne sont pas mieux pourvus. En 1746, l’armateur Jean Ganne arme deux navires en guerre et marchandise à destination de Saint-Domingue : le Président de Pontcarré (200 tx) et la Marguerite (180 tx). Ils intègrent un convoi composé d’autres navires de commerce affrétés pour les mêmes raisons et placés sous la protection de vaisseaux de guerre jusqu’à leur destination. Le premier de ces deux bâtiments emporte 42 hommes, soit un ratio de 0,21 h/t, et le deuxième 32 hommes, soit un ratio de 0,17 h/t. Jean Ganne ne voit pas l’intérêt d’augmenter leur effectif puisqu’il bénéficie de la protection offerte par les vaisseaux de guerre. Le ratio correspondant à ces navires est donc de 0,2 h/t au maximum.
9Les navires granvillais aux plus forts équipages, en temps de paix, sont indiscutablement les terre-neuviers, où l’ensemble des hommes embarqués se transforme en autant de pêcheurs, une fois arrivés à Terre-Neuve. Si l’évidence n’est pas flagrante pour la pêche errante avant le XIXe siècle et l’arrivée du doris, elle l’est en revanche pour la pêche sédentaire, le long des côtes, car elle exige une main d’œuvre très importante, à la fois à terre et en mer. Le ratio pour l’ensemble des navires allant au banc en pêche errante de 1722 à 1792 correspond à 0,21 h/t. Celui des navires allant à la côte en pêche sédentaire s’élève à 0,47, soit le double. Lorsque le Conquérant se rend à Gaspé, il présente un ratio de 0,55 h/t en 1749 et de 0,57 en 1752. Beaucoup plus, par conséquent, que les navires utilisés au cabotage ou au commerce colonial, même lorsque ceux-ci sont armés en guerre et marchandise. Pourtant, l’effectif de ces équipages semble très faible par rapport à celui des corsaires. Ces derniers paraissent toujours surchargés en hommes. C’est même cette caractéristique qui permet de les repérer très nettement.
Conflit | Nombre d’armements corsaires retenus | Tonnage total | Équipage total | Nombre d’hommes par tonneau |
1690-1697 | - | - | - | - |
1702-1713 | 3 | 225 | 308 | 1,36 |
1744-1748 | 28 | 4128 | 4957 | 1,20 |
1756-1763 | 15 | 2870 | 2407 | 0,84 |
1778-1783 | 17 | 3804 | 3033 | 0,79 |
1793-1800 | - | - | - | - |
1803-1815 | 21 | 570 | 608 | 1,06 |
Total | 84 | 11 597 | 11 313 | 0,97 |
10Le ratio général (0,97 h/t), obtenu sur l’ensemble des armements corsaires, avoisine donc celui d’un homme par tonneau. La volonté d’intimidation du navire ennemi par le nombre, l’éventualité d’un abordage en cas de nécessité, mais aussi la crainte de voir le corsaire trop dangereusement affaibli après le départ d’une partie des hommes pour conduire les captures à un port français justifient pleinement l’importance numérique des équipages corsaires. Une analyse approfondie montre clairement que le ratio est élevé, voire très élevé, sur les petits bâtiments comme le Mercure, tandis qu’il faiblit très nettement sur les gros navires. Pendant la guerre de Succession d’Autriche, le ratio de l’Huître (12 tx et 37 h) atteint 3,08 h/t et celui du Passe partout (3 tx et 17 h) 5,66 h/t. A l’opposé, en 1757, le Granville (de 530 tx avec un équipage de 316 personnes) ne présente qu’un ratio de 0,59 h/t.
11En Angleterre, le ratio paraît inférieur. Curieusement, les travaux sur les équipages corsaires anglais, où l’on indique clairement le rapport homme/tonneau, sont très peu nombreux, voire inexistants. Par conséquent, il n’est pas possible de les soumettre à une comparaison. Malgré tout, David J. Starkey, qui passe pour l’un des historiens spécialisés dans la guerre de course, livre quelques informations. Selon le Privateers’Act de 1759, ne pouvaient officiellement être considérés comme corsaires que les bâtiments « portant au moins un homme pour 2,5 tonneaux », soit un ratio de 0,4 homme/tonneau4. En conséquence, il fonde tout son travail sur cette norme pour repérer les corsaires (qu’ils soient Private men-of-war ou encore letters of marque) avant et après cet Act de 1759, sans étudier plus précisément le ratio homme/tonneau. Il comptabilise le nombre de commissions, classe les navires selon l’importance des équipages, par port et région maritime, indique le tonnage moyen et suit l’évolution de ces données au fil des conflits. En annexe, il mentionne cependant les caractéristiques de cinq « Private Ships-of-War » de 1747, qui formèrent ensemble une petite escadrille appelée Royal Family5. Ces données suffisent à calculer le ratio recherché : 0,60 h/t pour le King George (500 tx), 0,45 h/t pour le Prince Frederick (480 tx), 0,43 h/t pour le Duke, 0,48 h/t pour la Princess Amelia et 0,85 h/t pour le Prince George (70 tx).
12En prenant également en considération les quelques corsaires, capturés par les Granvillais, dont les caractéristiques sont suffisamment précises, il devient possible de tirer des conclusions sur le nombre d’hommes engagés sur les corsaires anglais. Indiscutablement, le ratio homme/tonneau paraît plus faible en Angleterre qu’en France, que ce soit sur les gros ou les petits bâtiments. S’agit-il d’un défaut de recrutement, d’une volonté d’être moins nombreux à se partager le butin ou d’une organisation différente dans la façon de mener les campagnes ? Les corsaires des îles Anglo-Normandes semblaient obéir à une logique différente, comme le remarquait John S. Bromley :
« Les corsaires des îles Anglo-Normandes embarquaient des équipages très importants par rapport à leur taille, importants aussi en comparaison avec la plupart des corsaires anglais. Les équipages de 30 à 60 hommes constituaient la règle mais des chiffres supérieurs n’étaient pas rares. Les plus grands corsaires portaient bien 130 ou 140 hommes, la Guernsey Frigate en eut occasionnellement 160 – un chiffre très rarement égalé par n’importe quel corsaire anglais de cette période. […] On peut voir le corsaire typique de Guernesey de cette période6 comme un sloop ou une galère de 30 à 50 tonneaux, monté de 4 à 8 canons avec un équipage de 30 à 60 hommes7. »
13Le ratio semble en effet se rapprocher de la norme française. Seuls, des travaux plus approfondis pourraient vérifier ces différents constats et avancer des hypothèses pour expliquer cette différence entre l’Angleterre et la France, ainsi que cette particularité des îles Anglo-Normandes.
14Si l’effectif d’un corsaire diffère de celui des autres navires, il en va de même pour la structure de son équipage. Comme il est un bâtiment guerrier, il paraît tentant de croire qu’un corsaire fonctionne à l’image d’un vaisseau de la Marine royale et que son équipage est composé de façon identique. L’on trouverait donc des catégories bien distinctes d’hommes (les officiers majors, les officiers mariniers, les matelots, les soldats, les valets et les mousses) engagés selon des règles strictes et bien définies. Cela serait vrai si les bâtiments étaient de tonnage important, s’ils portaient tous des canons et s’ils dépendaient tous de la même autorité responsable du recrutement des hommes. Tel n’est pas le cas. L’armateur d’un corsaire est un particulier dont le but réel n’est pas de faire la guerre comme le roi de France, mais de réaliser des opérations commerciales en capturant des prises avec un navire plus ou moins grand. En conséquence, la logique de recrutement n’obéit pas aux mêmes règles strictes et quasi-invariables de la Marine royale. Une fois encore, la trajectoire du Conquérant aide à comprendre cette différence. En 1745 et 1748, il est armé en course. La paix revenue, il part à Terre-Neuve, en 1749, pour une campagne de pêche sédentaire. Son équipage est alors réduit au tiers de l’effectif engagé pour la campagne de course de 1745.
15Le corsaire se différencie du navire de pêche non seulement par l’effectif, mais aussi par le recours à des catégories fonctionnelles supplémentaires (celles des soldats et celle des volontaires) et par la séparation des officiers mariniers des autres matelots. Il se distingue tout aussi nettement du navire de guerre par la liberté que l’armateur prend de privilégier telle ou telle catégorie sur les autres, ou encore d’engager ou non des soldats. L’armateur compose donc son équipage à sa guise, en se posant toujours les mêmes questions : qui manœuvrera le navire et qui combattra ? En 1745, Lucas des Aulnais semble avoir privilégié le combat en engageant 11 soldats, lorsqu’il arme le Conquérant. En 1748, il préfère se passer de leur présence, diminuer le nombre de matelots, augmenter celui des officiers mariniers et engager 32 novices.
16Toute latitude est donc laissée à l’armateur corsaire pour composer son équipage, sauf lorsqu’il s’agit d’engager des novices et des mousses. L’État, soucieux de toujours pouvoir recruter un nombre suffisant – et si possible croissant – de nouveaux matelots pour ses propres équipages, impose des règles de recrutement concernant ces jeunes gens. Lorsqu’ils embarquent sur un corsaire, ils reçoivent en effet une formation de marin et de guerrier, dont la Royale peut ensuite profiter pleinement sur ses propres vaisseaux.
17À propos des mousses et des novices, René-Josué Valin affirmait, en 1760, que la règle de recrutement était la suivante : « Par rapport aux mousses ; ci-devant il en fallait bien comme aujourd’hui un par 10 hommes d’équipage8… » En septembre 1695, le commissaire de marine à Saint-Malo faisait pourtant remarquer, dans sa correspondance avec le secrétariat de la Marine, le non-respect des normes : « La règle générale pour le nombre de mousses sur les corsaires est, Monseigneur, d’en embarquer un par dix hommes, mais on ne s’attache pas ici à cette règle ; on en prend bien davantage et je vois que tous les capitaines doublent ce nombre, ou peu s’en faut9. » Quant à la règle de recrutement des novices, toujours selon Valin, elle était précisée par l’ordonnance du 23 juillet 1745 : « Aux termes de l’article 2, le nombre des novices doit être de la cinquième partie de la totalité des équipages, en sorte qu’il doit y avoir un novice pour quatre autres personnes embarquées10… » Cela signifie qu’après cette date, le pourcentage minimum est de 20 %. Toutefois, l’ordonnance du 4 juillet 1784 a supprimé l’obligation d’embarquer un nombre déterminé de novices, et comme le décret du 2 prairial an XI ne donne aucune précision à ce sujet, les armateurs de la Révolution et de l’Empire furent libres de les engager ou non, comme il leur plaisait.
18Au-delà de cette réglementation, plus ou moins respectée, l’armateur engage donc librement un équipage à sa convenance. Celui-ci devra utiliser au mieux son corsaire pour servir l’intérêt de l’armateur et de ses associés. À cet effet, chaque membre embarqué aura désormais un rôle bien déterminé à assumer.
Qui trouve-t-on à bord d’un corsaire ?
Les officiers majors
19En choisissant le capitaine, l’armateur corsaire place sa confiance et ses espoirs dans un homme énergique, sachant se faire respecter de son équipage, sans peur, mais aussi prudent. A la différence de certains officiers de la Royale ayant reçu une formation peut-être trop théorique, tous les capitaines corsaires ont une connaissance poussée de la navigation, fondée essentiellement sur la pratique et l’expérience : « élevés dans la bouteille », ils ont majoritairement l’habitude d’aller à Terre-Neuve en temps de paix et de naviguer dans des conditions difficiles. Ils connaissent parfaitement les ressources des marins.
20Comme sur les navires de la Royale, le capitaine est assisté par un état-major dont la composition et le nombre varient selon l’importance du navire et les époques. A la tête des officiers de navigation, le second capitaine (ils peuvent être plusieurs) assiste le capitaine commandant le navire. Sous leurs ordres, agissent d’abord les lieutenants (le plus important d’entre eux est dit premier lieutenant), qui secondent les capitaines, puis les enseignes, qui secondent à leur tour les lieutenants. Ils sont tous officiers de quart, c’est-à-dire responsables tour à tour de la bonne marche du navire. Parmi eux, figurent des hommes classés comme pilotes ou aide-pilotes. Certains matelots ont en effet acquis une spécialisation au cours de leurs différentes campagnes dans la Marine royale. Ils sont devenus « aide canonniers, aide-pilotes, etc. »… Cette spécialisation, dorénavant mentionnée dans la matricule des gens de mer avec le montant de leur solde lorsqu’ils sont « levés au service du roi », leur permet parfois d’intégrer le groupe des officiers supérieurs quand les circonstances s’y prêtent dans un petit port. Ainsi le Conquérant, armé en 1746, compte cinq aide-pilotes parmi ses vingt-huit officiers majors11. Ces hommes deviennent généralement capitaines de prise, lorsqu’ils sont chargés par le capitaine de conduire un navire ennemi capturé dans un port français.
21En principe, les capitaines, lieutenants et enseignes ne touchent pas d’avances, du moins avant la Révolution12. Certains d’entre eux en perçoivent malgré tout. Ce sont des étrangers non répertoriés dans les registres de la matricule des gens de mer, comme Jacob Haleen, un Norvégien engagé comme lieutenant sur le Machault en 1756 sous le nom francisé de Jacques Allain. Il reçoit une avance de 150 livres pour la circons13. Ce sont encore des hommes qui exercent une fonction complémentaire, comme André Delille, lieutenant et premier maître sur la Revanche en 1747, qui reçoit 250 livres14.
22La présence d’un écrivain est théoriquement obligatoire depuis l’ordre donné, le 20 avril 1697, par l’Amiral de France, Louis Alexandre de Bourbon, suite aux « plaintes que les intéressés aux armements nous font tous les jours des pillages qui se commettent sur les prises par les matelots et par les officiers mêmes des vaisseaux qu’ils ont armés en course15 »… Dans la réalité, on constate seulement leur présence sur les corsaires de gros et de moyen tonnage. Sur les petits, le capitaine le remplace. La fonction de ce personnage important s’apparente à la fois à celles d’un comptable, d’un greffier et d’un notaire. Responsable des fournitures et des victuailles embarquées, de leur consommation et de leur renouvellement, il vérifie tout et note tout sur des registres : « les agrès et apparaux, les armes, munitions et victuailles du vaisseau, les marchandises qui seront chargées et déchargées […] les achats qui seront faits pour le navire depuis le départ, et généralement tout ce qui concernera la dépense du voyage16 ». Son activité ne se borne pas à cette comptabilité, puisqu’il doit aussi établir et tenir à jour « le rôle des gens de l’équipage avec leurs gages et loyers, le nom de ceux qui décèderont dans le voyage, le jour de leur décès et s’il est possible, la qualité de leur maladie et le genre de leur mort17 »… Il lui faut aussi noter les délibérations prises dans le navire, recevoir les testaments des membres de l’équipage. Lorsque le corsaire réalise une prise, c’est lui qui veille aux intérêts de l’État, de l’armateur et des actionnaires de la société en se saisissant de tous les papiers trouvés à bord, en fermant les coffres, les écoutilles et autres lieux contenant des marchandises, et en y apposant des scellés afin que rien ne soit soustrait, perdu ou volé. Est-il un parangon d’honnêteté, car il a dû prêter serment devant le lieutenant d’Amirauté avant de s’embarquer ? Se laisse-t-il parfois acheter par le capitaine, lorsque celui-ci désire soustraire quelques marchandises repérées sur une prise à l’inventaire remis aux autorités ? Sait-il fermer les yeux devant certaines pratiques douteuses pour l’intérêt de quelque officier et arranger les écritures pour son intérêt personnel ? On peut penser qu’à côtoyer d’aussi près des corsaires, il lui est sans doute bien difficile de résister à certaines tentations. Comme les officiers de navigation, il ne touche pas d’avances. Ses revenus proviennent donc des parts de prises.
23L’aumônier est un autre personnage dont la présence à bord des corsaires, jaugeant au moins cent tonneaux, était jugée nécessaire par la Royauté à cause des fréquents dangers de la mer et du combat, jusqu’à ce que la Révolution ne les écarte. Célébrer la messe, consoler les affligés, administrer les sacrements, rappeler des règles essentielles de vertu à une population souvent livrée à elle-même, qui subit la promiscuité et obéit plus à des superstitions qu’à des devoirs spirituels, voilà résumées les actions de ces prêtres réguliers ou séculiers, peu enclins à embarquer si l’on en croit un évêque de Coutances. Celui-ci écrit au commissaire des classes de Granville, en janvier 1699 :
« Ce qui me fait craindre qu’on ait peine à en trouver, c’est que nos prêtres ayant presque tous quelques petites subsistances, je ne crois pas qu’ils la veuillent quitter pour s’exposer au péril de la mer ; et que s’il s’en trouvait quelques-uns qui s’y offrissent, il y aurait lieu de craindre que ce ne fût plutôt par libertinage, que par piété […]. Pour les religieux, je n’ai dans mon diocèse que six ou sept couvents, deux de capucins, deux de cordeliers, deux de jacobins, et un de pénitents ; on pourrait s’adresser aux supérieurs pour savoir si leurs religieux voudraient prendre de ces emplois, les capucins le font quelquefois. […] Pour les cordeliers, ils pourraient aller seuls, mais comme on en voit beaucoup dans les armées qui ne donnent pas grande édification, j’aurais peur qu’on ne vous en donnât de pareils18. »
24Le commissaire de marine Silly, ordonnateur du Havre, précise cependant dans une lettre adressée en janvier 1703 au ministère à propos des capucins que « les officiers y ont toujours eu de la répugnance [à les accepter] à cause qu’ils ne portent point de linge et que le goût en est désagréable dans de petites chambres comme sont celles des vaisseaux19 ». On n’embarque alors que des cordeliers – présents dans un couvent situé aux abords de Granville – ou des curés de campagne sur les corsaires granvillais. Quelle était leur moralité à la fin du XVIIIe siècle ? Donnaient-ils satisfaction ? Aucun document n’en parle. Pourtant leur présence à bord n’était pas toujours bien vue. Certains armateurs les considéraient comme « des bouches inutiles à nourrir » et à payer, puisqu’ils touchaient des avances à l’armement : 300 livres environ, parfois 400.
25Autre personnage quasi-indispensable : le chirurgien. Faisant à la fois fonction de médecin et d’apothicaire, il exerce son métier avec les instruments qu’il achète de ses propres deniers et le coffre de remèdes mis à sa disposition par l’armateur. Sa fonction de médecin est souvent contestée, à l’image de Robert Challe qui le considère, au cours de son voyage en Inde en 1691, comme « l’homme du navire le moins nécessaire, un sectateur d’Esculape20 ». Il est vrai que, face aux « fièvres » que nous nommons aujourd’hui maladies infectieuses, la thérapeutique du XVIIIe siècle semble inadaptée, inefficace et souvent dangereuse, puisqu’elle consiste à administrer des lavements ou des vomitifs et à appliquer des saignées à des malades déjà très affaiblis21. On comprend aisément pourquoi Robert Challe interdit l’entrée d’un médecin dans sa chambre, préférant se soigner lui-même par un « remède allemand », c’est-à-dire boire quatre bouteilles de vin de Graves pour « suer, vomir et dormir comme un porc » afin de combattre la fièvre22. Si ce traitement n’est pas meilleur médicalement, du moins n’est-il pas pire… Face aux maladies dues à l’humidité, au froid, à l’alimentation, à la promiscuité, à l’éthylisme et autres raisons, le médecin fait de son mieux.
26Toutefois, devant les accidents nombreux à bord d’un navire de guerre, la compétence du chirurgien s’avère très supérieure, si l’on se réfère à la thèse de Guy Rouvière23. Les combats provoquent de nombreuses blessures qu’il soigne plutôt bien, du moins les moins graves d’entre elles. Dans l’urgence, après un rapide examen, le chirurgien distingue ceux qu’il peut soigner des autres. Ne livrant ses soins qu’à ceux de la première catégorie, les amputations sont nombreuses, trop nombreuses même pour Guy Rouvière qui dénonce une tendance abusive à amputer pour de simples blessures de fusil24. La façon dont Georges René Pléville Le Pelley eut la jambe coupée, en 1744, témoigne de la difficulté du chirurgien à exercer son métier dans des circonstances difficiles, et aussi du courage nécessaire au blessé qui devait subir pareille intervention25. Nombreux sont les corsaires qui, comme lui ou comme André La Souctière-Lévesque et Mathieu Delarue, durent finalement leurs vies à l’expérience de ces chirurgiens. Capables de traiter efficacement les contusions, les hernies et les fractures simples, d’amputer efficacement dans les meilleurs délais, de soutenir psychologiquement les blessés et les mourants, leurs interventions sont très appréciées. Encore faut-il qu’ils en aient les moyens. En effet une lettre adressée en 1780, par Mistral, commissaire ordonnateur au Havre, au secrétaire d’État à la Marine dénonce, sur le témoignage du sieur Eustache, commissaire des classes à Granville, le comportement des armateurs corsaires granvillais :
« Ce commissaire des classes a découvert un trait d’avarice, qui, à mes yeux, est un trait atroce d’inhumanité de la part des armateurs de corsaires de Granville […] en ce qui concerne l’article du chirurgien, avec lequel ils traitent à forfait pour le coffre des médicaments, et au prix le plus petit possible qu’ils peuvent obtenir, sur lequel ce chirurgien doit encore gagner ; et il en résulte que le coffre des médicaments n’est pas même assorti des drogues les plus indispensablement nécessaires […] jamais de cadres [c’est à-dire de lits], ni seulement un quarteron de vieux linge et charpie pour les blessés. C’est avec ce presque manque total de précautions que ces armateurs, malheureusement point embarqués et attachés eux-mêmes aux haubans, osent sans frémir d’horreur envoyer faire la guerre à leur profit les braves gens de mer26. »
27L’émotion vive et la colère de Mistral se justifient pleinement. Un document, conservé aux archives départementales de Saint-Lô, prouve en effet que le commissaire Eustache disait la vérité. Il s’agit d’un récapitulatif de dettes que les armateurs du Monsieur (475 tx), les sieurs Deslandes, Forterie-Valmont et Leboucher, avaient précieusement conservé. Au cours de la première campagne du corsaire, du 9 mars au 9 octobre 1779, 25 hommes d’équipage avaient dû y reconnaître une dette de 24 ou de 30 livres au premier chirurgien du bord, Louis Mignon, lequel avait dû acheter de ses propres deniers les médicaments nécessaires, lors d’une relâche à Lorient, pour les soigner de maladies vénériennes. L’un après l’autre, dans des formulations personnalisées, ils reconnaissaient tous la dette, ainsi que la façon de la rembourser, de la manière suivante :
« Je soussigné reconnais devoir au sieur Louis Mignon la somme de trente livres pour traitement de maladie vénérienne qu’il m’a fait, tant à Lorient que dans la frégate Monsieur armée par le commerce, dont il a été obligé d’acheter les médicaments de sa poche à Lorient, et je consens qu’il touche la dite somme sur des parts de prise que je fais dans la dite frégate. Faite à Lorient le dix juillet mille sept cent soixante-dix-neuf27. »
28Il est donc clair que les armateurs ne payaient pas les médicaments, qu’ils n’avançaient pas l’argent nécessaire à leur achat et qu’ils se contentaient de retenir le montant de la dette sur les parts de prise des personnes concernées pour rembourser le chirurgien.
29Seul sur les tout petits navires, mais secondé par un ou deux autres hommes sur les plus gros28, le chirurgien touche lui aussi des avances à l’armement : 200 à 300 livres au XVIIIe siècle, parfois moins, parfois plus, souvent moins que l’aumônier. À partir de la Révolution, sa présence cesse d’être indispensable sur bon nombre de petits corsaires. Pourtant l’article XIV du décret du 2 prairial de l’an XI, sur les armements en course, précise : « Lorsque les équipages des corsaires seront de quinze hommes et au-dessus, les mousses compris, il sera embarqué un chirurgien29. »
30Officiers de navigation, écrivain, aumônier et chirurgien(s) constituent la partie essentielle et minimale de ce groupe d’officiers majors auquel on adjoint parfois d’autres personnes, selon la volonté de l’armateur et du capitaine, tels qu’un interprète (sauf si l’un des officiers peut assumer cette tâche), un garde-pavillon, des pilotes côtiers, des maîtres de prise, le premier maître ou encore certains volontaires. Souvent, certains officiers portent deux chapeaux à la fois : celui de lieutenant (ou d’enseigne) ainsi que celui d’écrivain ou de chirurgien ou d’interprète ou de maître canonnier ou encore de premier maître – personnage pivot et patron de l’équipage, appartenant habituellement à la maistrance –, ce qui est impensable dans la Marine royale. Ensemble, ces officiers majors logent à l’arrière du navire, où ils mènent meilleure vie que le reste de l’équipage.
Les officiers mariniers
31Ce sont les maîtres des différents services à bord. Ensemble, ils forment ce qu’on appelle la maistrance. Leur rôle est essentiel puisque le fonctionnement du navire repose essentiellement sur leurs compétences. Chaque officier marinier a la responsabilité d’un seul secteur d’activité. Le premier de chaque secteur est souvent appelé un maître.
32Le plus important de tous est le premier maître (ou maître d’équipage ou simplement maître), chargé de l’exécution à l’aide de son sifflet des ordres concernant les manœuvres, le gréement et les opérations importantes, après l’avis du pilote. C’est sur lui que repose tout le soin du navire et des matelots, à qui il commande30. Dans cette tâche, il est aidé d’un second maître ou contremaître, lequel est « en quelque sorte le lieutenant du maître qu’il remplace en cas d’absence ou quand il dort31 ». Le quartier maître « a pour fonctions de soulager le maître et le contremaître. Le quartier-maître qui a le quart de jour doit faire nettoyer le navire, en le faisant racler par les matelots et balayer par les mousses32 ».
33Certains maîtres sont chargés de la navigation : le pilote, homme précieux, gère la conduite du navire en haute mer, tandis que le pilote côtier gère celle du navire le long des côtes qu’il connaît bien. Le patron de canot conduit la chaloupe lorsqu’il faut se rendre à bord d’une prise. Les maîtres de prises ont la responsabilité de conduire les prises à un port français. D’autres se consacrent à l’artillerie, comme le maître canonnier ou premier canonnier, qui s’occupe des canons, et l’armurier, des armes. D’autres encore veillent à la maintenance du bâtiment : le maître voilier, le maître charpentier ou simplement charpentier, le calfat (qui veille à l’étanchéité du navire), le bosseman (qui gère les ancres et les apparaux), le tonnelier, etc. Chaque maître est assisté d’un ou plusieurs aides et parfois d’un mousse. Fort logiquement, le maître canonnier est assisté de nombreux chefs de pièce, généralement appelés aide-canonniers.
34À ceux-là, s’ajoutent encore le capitaine d’armes (chargé de faire exécuter les ordres relatifs à la police du bord et de s’occuper de l’armurerie en l’absence d’un armurier), le cuisinier, les gabiers (matelots d’élite chargés des manœuvres dans les hautes vergues et les hunes), le maître d’hôtel, parfois un fifre (utilisant une petite flûte pour la musique militaire, les signaux de nuit, la communication avec un navire de conserve) ou un tambour.
35Tous les officiers mariniers touchent des avances. Celles des maîtres s’échelonnent entre 120 et 400 livres pour une campagne de quatre mois sous Louis XV. Elles atteignent parfois 500 livres sous Louis XVI. Celles des seconds maîtres et des aides se situent entre 30 et 200 livres (mais parfois 500 livres) sous Louis XIV et atteignent 450 livres sous Louis XVI. Les maîtres les mieux payés sont généralement ceux chargés de la navigation et des manœuvres : les pilotes et les maîtres d’équipage, qui peuvent parfois toucher autant d’avances que l’aumônier et les chirurgiens, voire plus, mais les maîtres canonniers et maîtres charpentiers n’ont quelquefois rien à leur envier.
36Sur le navire, les officiers mariniers logent au milieu, avec les soldats.
Les matelots
37Selon l’Encyclopédie Méthodique de Marine, publiée en 1783 par Vial du Clairbois, le matelot
« est un homme de marine fait et formé à la mer, qui fait tout ce qui regarde le matelotage comme garnir les manœuvres, faire toutes les épissures, les différents nœuds, estroper et frapper les poulies, capeler les haubans et les étais, passer toutes les manœuvres en général, enverguer et déverguer les voiles, prendre les ris, faire les pointures, de beau comme de mauvais temps, mâter et démâter un vaisseau de toute manière et dans toutes les circonstances, mouiller, lever les ancres, les traverser et les mettre à poste, faire l’arrimage d’une cale suivant le plan qu’on lui prescrit, etc. Le matelot est un homme de main en général, propre à tout ce qu’on veut, qui a une mécanique usuelle qu’il sait employer à propos ; il est bon soldat, alerte, agile, hardi, robuste, fait à la fatigue, et capable d’affronter tous les dangers et les intempéries de l’air33 ».
38Les matelots sont donc les hommes à tout faire : la manœuvre du gréement, des ancres, des canons ainsi que tous les travaux physiques difficiles de manutention et d’entretien. Ils participent aussi à la défense du navire lorsque celui-ci est attaqué. L’origine sociale de ces hommes est généralement modeste.
39La vie des matelots reste méconnue à bien des égards. Ne sachant pas écrire, ils n’ont pas rédigé de mémoires. Les seuls témoignages à leur égard se trouvent dans la correspondance entre les ports et les bureaux du secrétaire d’État de la Marine. Ils émanent d’officiers divers qui se plaignent très souvent de la « canaille » pour lui reprocher son indiscipline, son avidité, sa paresse, son manque de fiabilité, sa tendance à déserter ou à se mutiner, son goût prononcé pour le jeu, l’alcool, le libertinage34. Le mémoire rédigé en 1743 par le commissaire des classes granvillais Letourneur décrit les matelots de son quartier comme indisciplinés,
« toujours prêts à se mutiner et à se révolter pour ensuite avoir des procès contre leurs officiers au retour des navires, dont ceux-ci ont presque toujours été les victimes, les matelots se soutenant […] les uns ne voulant pas aller où le capitaine a ordre de conduire son navire, les autres ne voulant point travailler, ou voulant toucher la totalité de leur solde […] il paraît convenir de sévir vigoureusement contre eux35 ».
40Les matelots sont souvent victimes de mauvais traitements physiques. Pléville Le Pelley s’en explique en ces termes, dans un mémoire écrit en 1786 :
« Sa Majesté défend justement qu’aucun homme soit frappé à bord de ses vaisseaux et sur les navires marchands. […] Cependant l’expérience, le besoin ont démontré que sur les vaisseaux du roi même, il fallait permettre aux officiers mariniers l’usage de frapper du cercle le matelot paresseux, fainéant, et cela s’exécute depuis un temps immémorial36. »
41Peu d’hommes s’apitoient sur le sort des matelots. Il en existe pourtant, à l’image de l’intendant général des classes Poujet, également corédacteur de l’ordonnance du 31 octobre 1784, qui dénonce leur mauvais traitement dans un mémoire37. Il y réprouve particulièrement la violence et le manque de compassion des capitaines granvillais à l’égard des matelots du quartier. Il n’est pas le seul. Il semble que, localement, les autorités maritimes granvillaises aient également éprouvé de la commisération, au grand dam du sieur Letourneur, récemment nommé commissaire des classes : « les officiers de l’amirauté et le commissaire38 donnent presque toujours gain de cause aux matelots par pitié pour eux, et sans examen, sur un faux principe qui est que les inférieurs ne se cabrent contre leurs chefs que quand ces derniers les traitent avec trop de rigueur39 ».
42Sans nier la manifestation des désordres qui leur sont reprochés, la lecture des archives montre qu’en réalité, les matelots sont souvent victimes de malhonnêtetés. Les abus des armateurs granvillais qui achètent à vil prix leurs parts de prises le prouvent, par exemple40. Un mémoire adressé en 1718 au Conseil de marine par le commissaire de marine malouin, Marin, pour dénoncer les abus commis par les armateurs et capitaines terre-neuviers le prouve tout autant :
« Il arrive souvent qu’un capitaine lorsqu’il navigue sur son bien ou qu’il est intéressé dans un armement, dont surtout le voyage ne lui est pas profitable, se voyant engagé au retour de payer de gros salaires aux équipages, il chagrine et tourmente si fort ses matelots que, par ses mauvaises manières ou mauvais traitements ou par mauvaises nourritures, il les oblige à déserter et alors il profite de leur solde en entier sans être obligé d’en rien payer au trésorier des Invalides41. »
43Les matelots corsaires se distinguent-ils des autres matelots ? A priori, non. Ce sont, en temps de paix, des pêcheurs terre-neuviers qui, pour différentes raisons, décident de s’engager sur un navire corsaire, où la vie à bord semble différente de celle menée sur un terre-neuvier. Ils touchent des avances, dont le montant varie énormément entre 1688 et 1811, selon leur ancienneté, leur expérience et leur habileté. Les mieux payés sont les gabiers. Ces matelots dits « de haute paye », effectuent des travaux d’adresse et d’agilité dans la partie élevée du gréement (certains d’entre eux sont parfois intégrés aux officiers mariniers). Les moins bien rétribués s’occupent de l’entretien du navire et des animaux embarqués. Les autres restent en bas sur les ponts ou dans les cales à effectuer des travaux de force. En cas de nécessité, les matelots doivent aller au combat, surtout lorsque les soldats manquent à bord. À partir de la guerre de Sept Ans, en raison de la pénurie de matelots, nombreux sont les hommes embauchés sans avoir déjà navigué. Le capitaine passe alors les premiers temps de sa campagne à les former pour les manœuvres et le tir au canon.
44Sur le navire, les matelots logent à l’avant.
Les mousses
45Ce sont des enfants et des adolescents de 11 à 17 ans qui apprennent les métiers de la mer. Leur origine sociale paraît plutôt modeste. Très majoritairement, ils sont fils de matelots42. Ils peuvent également provenir d’un milieu artisan, commerçant, paysan ou être des enfants naturels. Ils ne sont pas tous pauvres cependant : certains d’entre eux ont un père capitaine ou laboureur. Il est vrai que pour plusieurs d’entre eux, ce père est déjà décédé et que le manque d’aisance les a poussés à devenir mousses pour pouvoir subsister. René-Josué Valin a beau dire, en 1760, qu’un mousse « est un enfant de douze ans au moins et de 16 à 17 ans au plus43 », la limite inférieure semble différente dans la réalité, puisque souvent des enfants de onze ans sont embarqués comme mousses sur les corsaires. Le plus jeune mousse du Conquérant, en 1748, n’a que 9 ans !
46Dans son Dictionnaire de marine, Nicolas Aubin évoque en 1702 leur fonction :
« Les mousses balaient le vaisseau et font ce qui leur est commandé par les officiers. Ce sont les mousses qui vont appeler les gens de l’équipage quand quelque officier veut parler à eux aux temps extraordinaires : ils servent ces mêmes gens à table ; ils leur apportent les vivres et le breuvage. Que s’ils manquent en quelque chose, ils sont bien châtiés, et sont si peu épargnés que, même autrefois et maintenant encore, quelques-uns pratiquent de les châtier une fois la semaine, bien qu’ils ne l’aient pas mérité44. »
47Rebondissant sur cette affirmation, Augustin Jal donne alors des précisions dans son Glossaire nautique : « Les mousses furent, en effet, longtemps des souffre-douleurs à bord des bâtiments, où, les plaisirs étant rares, les matelots s’amusaient à battre, à fouetter, à faire pleurer pour rien de pauvres enfants, qui servaient le plus ordinairement à la satisfaction de leurs passions brutales45. » La lecture des mémoires de Pléville Le Pelley confirme ces mauvais traitements, dont il fut le témoin sur un terre-neuvier où il travaillait comme mousse46. Certains d’entre eux apprennent une spécialité auprès des officiers mariniers. Pléville Le Pelley raconte ainsi comment son aisance à monter dans les gréements fut vite remarquée et encouragée, sans doute auprès de quelques gabiers.
48C’est généralement le nombre de voyages accomplis et la stature qui distinguent les mousses entre eux. On signale alors sur les rôles d’armement « 1er voyage » ou « 2e voyage », ou encore la référence de leur inscription dans la matricule des gens de mer s’ils ont plus d’expérience. La paye est alors calculée en conséquence.
Les novices
49Eux aussi apprennent le métier de matelot. La distinction se fait en tenant compte à la fois de l’âge et de la compétence. En général, ils sont un peu plus expérimentés et plus âgés que les mousses. René-Josué Valin précise en s’appuyant sur des ordonnances que
« le novice est un jeune homme qui, soit qu’il ait été mousse ou non, s’engage pour servir une campagne sur un vaisseau marchand. Pour être reçu en cette qualité, il faut qu’il ne soit pas au-dessous de l’âge de 16 ans, ni au-dessus de celui de 25 ans. Art. 3 de l’ordonnance du 22 décembre 1739, confirmée en cette partie par l’article premier de l’ordonnance du 12 décembre 1759, même pour les vaisseaux du Roi47 ».
50Une fois encore, la réalité semble le contredire, puisque la fourchette d’âge des novices, en consultant les rôles d’équipage, va plutôt de 14 à 23 ans, voire plus. Par exemple, dans la deuxième campagne de l’Aimable Grenot en 1747, on compte, parmi les 75 novices, trois hommes de plus de 25 ans (26, 29 et 32 ans) et deux de moins de 16 ans (14 et 15 ans)48.
51Les novices jouissent d’une meilleure considération que les mousses, eu égard à leur compétence supérieure et à leur âge. Le noviciat apparaît comme un niveau supérieur dans l’apprentissage.
52Si jusqu’à présent les catégories fonctionnelles ne semblaient guère différencier un corsaire d’un morutier, l’engagement de volontaires et de soldats va désormais nettement les distinguer et rapprocher le corsaire d’un navire de guerre.
Les volontaires
53Dans son dictionnaire d’histoire maritime, Michel Vergé-Franceschi définit le volontaire ainsi :
« Homme qui demande à s’embarquer volontairement pour apprendre le métier de la mer. Cet homme n’est pas un simple mousse, roturier, souvent fils de simple ouvrier brasseur (comme Ruyter), de voilier ou de calfat. Il n’est pas non plus un gentilhomme suffisamment bien “né” pour être pour être admis à l’une des trois compagnies de gardes de la marine de Toulon, Brest et Rochefort. Entre le mousse – marin de base – et le garde – marine réputé d’élite –, le volontaire a trouvé sa place dans les marines d’Ancien Régime. Du mousse, il a généralement la roture. Du garde, il a néanmoins quelque chose de la “naissance”. S’il n’est point gentilhomme, il appartient en fait à une sorte d’aristocratie portuaire : il est volontiers fils de capitaine au commerce, d’officier au service de la Compagnie des Indes, d’armateur ou de négociant49. »
54Cette définition met en évidence deux traits essentiels : la naissance et l’apprentissage. Jusqu’à la Révolution française, c’est la façon que les enfants d’armateurs, de capitaines, d’écuyers ou de notables locaux ont d’entrer en apprentissage du métier de la mer. Généralement, cet apprentissage se fait sur des navires commandés ou armés par des membres de la famille ou encore des amis. C’est de cette manière que Pléville Le Pelley, fils de capitaine, dont la famille compte de nombreux armateurs et capitaines, entre dans le métier.
« En avril 1739, presque âgé de treize ans (car j’étais né le 18 juin 1726), je partis en qualité de volontaire sur le navire le Thorigny, armateur M. Duparc Couraye, capitaine Caillouet, tous deux mes parents. Notre destination fut à Gaspé, pour la pêche de la morue sèche. Dès le jour de notre départ, loin de remplir les fonctions de ma qualité, je fis celle de mousse, comme le fils du matelot50. »
55Sa famille, qui désirait fortement le dissuader de se tourner vers un métier de la mer, tentait ainsi de le décourager en l’obligeant à travailler comme un mousse. Au travers de ce témoignage, l’on voit bien comme les conditions d’accès au métier de la mer sont différentes si l’on est aisé et bien « né » ou si l’on est pauvre et simple fils de matelot.
56Dans la matricule des gens de mer, les volontaires figurent dans un registre spécial : celui des « officiers et volontaires qui s’embarquent sur les vaisseaux marchands », ce qui laisse penser qu’ils sont en principe destinés à devenir des capitaines. Comme le métier du père est toujours indiqué, on y lit effectivement l’aisance dans leur origine sociale. Ils sont très majoritairement fils de capitaines, d’armateurs, d’écuyers, d’hommes travaillant dans la justice, la médecine ou l’armée51.
57Les registres couvrant la période 1750-1787 montrent clairement que, jusqu’à la Révolution française, les volontaires répertoriés proviennent toujours d’un milieu nanti52. En temps de guerre, la perspective de gains importants peut inciter certains nobles terriens à s’engager comme volontaires sur des corsaires. Ainsi, en 1779, le chevalier de Berruyer du Vauronide n’hésite pas à embarquer sur une puissante frégate de 475 tx, le Monsieur, comme capitaine commandant de deux compagnies de volontaires (respectivement composées de 55 et de 52 hommes, majoritairement originaires du Calvados, mais aussi des campagnes françaises). Il est assisté de M. de Belleforest, de l’Isle Jourdain en Navarre, son capitaine en second, du chevalier de Bussy et de trois autres officiers roturiers53. Ensemble, ils constituent un état-major de qualité, aux côtés de l’état-major officiel, responsable du bâtiment.
58C’est d’ailleurs parce que leurs familles sont en principe aisées que les volontaires ne reçoivent jamais d’avances jusqu’à la guerre de l’Indépendance américaine.
59Toutefois, avec la pénurie croissante des équipages, l’on est un peu moins regardant sur cette origine sociale en période de belligérance. Pendant la guerre de Sept Ans, deux mousses de onze et seize ans sont engagés comme volontaires sur le Comte de la Rivière, armé en course en 175754. Pendant la guerre de l’Indépendance américaine, de nombreux terriens, originaires des communes rurales de Normandie mais aussi d’Auvergne et de Bourgogne, sont engagés comme tels en 1780 sur la Madame armée en course55. Le commissaire ordonnateur du Havre, Mistral, se plaint alors de ceux qui embarquent sur ce même bâtiment, en s’appuyant sur le témoignage du commissaire des classes granvillais Eustache : « ce sont tous gens sans aveu, libertins, et presque tous portant de faux noms et ayant indiqué de faux domiciles56 ». La Révolution française n’interrompt pas le recrutement des volontaires dans les armements corsaires, qui n’a toutefois plus rien à voir avec une « bonne naissance », au nom de l’égalité et des nouveaux principes.
Les soldats
60Ils sont engagés pour combattre, mais rien ne les empêche d’aider à la manœuvre du navire. Leur présence n’est pas obligatoire et leur nombre varie facilement : inexistants sur certains navires, ils peuvent être une cinquantaine sur d’autres. Souvent, il s’agit de soldats déserteurs des armées de terre, comme l’indique une lettre du commissaire des classes au Havre, adressée en 1780 au secrétariat d’État à la Marine.
61Il évoque les « plaintes que font différents corps de troupes, qui sont actuellement sur les côtes, des désertions fréquentes qu’ils éprouvent par la facilité que trouvent les soldats à s’embarquer pour la course ou toute autre destination, abus qu’il est essentiel de réprimer en prévenant les capitaines des navires corsaires ou autres qu’ils seront très sévèrement punis s’ils en embarquent57 »…
62Certains ont donc l’expérience du combat – soit parce qu’ils sont soldats de métier à terre, soit parce qu’ils ont déjà été engagés sur un autre navire –, d’autres non. C’est pour pallier cette inexpérience qu’on les forme parfois à bord des corsaires. Ils sont alors classés comme novices soldats. Ainsi, la Revanche (200 tx) en compte 13 en 1746. Lorsque l’armateur n’en recrute aucun sur son bâtiment, les matelots doivent les remplacer dans le rôle des combattants.
63Les soldats sont commandés par le capitaine d’armes, parfois par des sergents et des caporaux. Parmi eux, se trouve quelquefois un tambour ou un fifre. Le montant des avances que les soldats touchent dépend du grade et de l’expérience de chacun. Sur le navire, ils logent au milieu avec les officiers mariniers.
Les étrangers
64On en découvre dans presque tous les rôles d’armement, soit intégrés à un groupe fonctionnel – en général celui des matelots –, soit en formant un groupe particulier, mais jamais répertoriés dans la matricule des gens de mer. Ils sont majoritairement Espagnols, Portugais, Italiens, Américains… mais on trouve aussi des Norvégiens, des Canadiens et même des Anglais. Ils participent pareillement à la lutte contre l’ennemi. Leurs motivations sont diverses.
65Sous l’Ancien Régime, ils sont recrutés, soit comme n’importe quel marin (pour devenir mousses, matelots ou officiers mariniers), soit pour servir d’interprètes, soit comme soldats ou volontaires (à la fin du XVIIIe siècle). Sans être forcément nombreux, ils sont présents dans la quasi-totalité des équipages corsaires. Sur le Charles Grenot, en 1744, trois étrangers (2 Anglais et 1 Hollandais) sont répertoriés à part entre le groupe des soldats et celui des mousses, puis trois autres (2 Anglais et 1 Anglais d’Amérique) en supplément.
66À partir de la guerre de Sept Ans, les étrangers sont souvent recrutés pour combler les vides béants occasionnés par les levées d’hommes pour les équipages de la Royale. Ainsi, en 1780, l’équipage du Monsieur (379 hommes) compte jusqu’à 35 étrangers (soit 9,2 %) : 4 Hollandais, 1 Portugais, 1 Américain, 1 Vénitien et 1 Maltais parmi les officiers mariniers ; 6 Espagnols, 5 Américains, 4 Vénitiens, 3 Portugais, 2 Livournais, 1 Liégeois, 1 Suédois, 1 Russe et 1 Hongrois parmi les matelots ; 2 Américains parmi les novices et 1 Hongrois parmi les volontaires. La même année, l’équipage de la Madame (303 hommes) compte 27 étrangers (soit 8,9 %) : 8 Américains, 5 Italiens, 3 Espagnols, 2 Maltais, 2 Hollandais, 2 de Selom (?), 1 Portugais, 1 Allemand, 1 Canadien (l’un d’entre eux est engagé comme second lieutenant et les autres comme matelots ou novices), 1 Polonais et 1 Suisse (recrutés comme volontaires).
67Le comble est atteint sous l’Empire, lorsque la plupart des hommes valides sont enrôlés dans les armées napoléoniennes. Pour pallier la pénurie de matelots et de volontaires (marins ou non), les armateurs sont alors prêts à tout, jusqu’à recruter des étrangers parmi les prisonniers d’une prise. L’équipage de l’Aimable Flore compte 86 personnes en 1811. Parmi eux, figurent 18 étrangers, soit 21 % de l’équipage : 12 Portugais, 2 Suisses, mais aussi 4 Italiens provenant d’une prise58. L’article 10 du chapitre 2 sur les équipages du décret de l’an XI réglementant les armements en course n’autorisait-il pas les armateurs à employer des marins étrangers « jusqu’aux deux cinquièmes de la totalité59 » ?
68Certains de ces étrangers peuvent être en réalité des déserteurs embarqués sous une fausse identité. En effet, tout au long du XVIIe et du XVIIIe siècles, les désertions à bord des bâtiments de la Royale ou des corsaires sont fréquentes. La peur, le découragement, les mauvais traitements peuvent assurément les motiver, mais aussi parfois l’intérêt. Après avoir touché leurs avances, certains matelots désertent, se font ensuite engager sur d’autres corsaires afin de toucher de nouvelles avances. Craignant les punitions, ils espèrent brouiller les pistes en se déclarant étrangers. La fraude paraît fréquente et le quartier de Granville n’est pas épargné. En 1784, le commissaire des classes Quesnel en dénonce une au commissaire ordonnateur Mistral, du Havre :
« J’ai découvert une fraude qui se pratique dans ce département, qui, selon moi, mérite la plus grande attention, et qui est d’autant plus répréhensible qu’elle est on ne peut pas plus difficile à découvrir. Voici le fait : des particuliers se présentent au bureau des classes pour y passer en revue sous de faux noms, avec des extraits baptistères qui ne sont point à eux et qu’ils savent se procurer dans des paroisses où ils ne font pas leur domicile. D’autres, plus effrontés, présentent de faux extraits baptistères en y faisant inscrire les noms et les domiciles qu’ils jugent à propos ; d’autres enfin font passer en revue des gens à leur place et naviguent sous leur nom. J’ai pris six de ces fraudeurs en flagrant délit, dans le nombre desquels s’est trouvé un faiseur de faux extraits de baptême qui est matelot […] après avoir fait arrêter et constituer prisonniers ces six hommes, j’en ai rendu compte à M. le Maréchal de Castries60. »
69Enfin, l’équipage ne reste pas toujours identique tout au long de la campagne. Des hommes peuvent disparaître par noyade ou à la suite de combats avec l’ennemi, ou bien quitter le corsaire pour conduire une prise à un port français. Lors des relâches, indispensables pour approvisionner le navire après un séjour en mer et éventuellement le réparer, certains membres sont débarqués pour des raisons médicales (blessés ou malades), ou à la suite d’accords divers (« de gré à gré »), ou encore pour répondre aux besoins de la Royale, tandis que d’autres désertent. Il faut alors les remplacer. Parfois, un supplément d’hommes est embarqué pour pallier un dysfonctionnement au sein de l’équipage. Chacun de ces nouveaux membres est alors enregistré par l’écrivain, à la fin du rôle d’armement, avec la mention explicative « par augmentation du… » ou « supplément du… » ou « par remplacement et augmentation du… ». Suit alors la date de son embarquement.
70Ainsi le Machault (300 tx) est armé le 6 décembre 1756 pour courir sus aux ennemis de l’État avec un équipage officiel de 288 hommes61. Il ne sera désarmé que le 19 juin 1757. Le rôle d’armement, complété au fil des mois par l’écrivain de bord, signale les variations de cet équipage. Le Machault quitte le port avec un effectif incomplet, puisque cinq hommes « ne se sont point embarqués ». Au cours de la campagne, cinquante hommes ont été emmenés prisonniers en Angleterre – sans doute ont-ils été capturés sur une ou plusieurs prise(s) qu’ils conduisaient en France –, deux décèdent en mer à des dates différentes et deux autres au retour à Granville (sans doute à la suite de combats), l’un des deux seconds capitaines est débarqué (le lieu et la date ne sont pas précisés), onze ont déserté pendant une relâche. Onze autres ont été engagés par augmentation, l’un le 2 février 1757 (un volontaire de 17 ans appartenant à la famille du capitaine), les dix autres entre le 22 mars et le 1er avril 1757 (tous de la région granvillaise). Tout porte à croire que ces personnes ont en réalité été engagées au cours de deux relâches pour remplacer le second capitaine, qui avait été débarqué, et les déserteurs. Il fallait bien renforcer un équipage fragilisé par tant de défections.
71L’armateur répartissait donc tous ces hommes au sein de chaque catégorie fonctionnelle comme bon lui semblait au gré des circonstances.
À quoi ressemblent les équipages granvillais ?
72André Zysberg, s’appuyant sur une étude minutieuse de quelques vaisseaux de la Royale entre 1691 et 1693, prend l’exemple du Constant, armé en 1692, pour établir une composition précise de l’équipage d’un vaisseau de guerre de second rang à la fin du XVIIe siècle. Il y trouve 2 % d’officiers majors, 1 % de gardes-marines, 13 % d’officiers mariniers, 1 % d’officiers du munitionnaire, 49 % de matelots, 6 % de mousses, 25 % de soldats et 2 % de valets)62. Dans le monde corsaire, les règles de composition obéissent à une logique différente : celle d’armateurs particuliers confrontés à des problèmes d’ordre logistique, financier, matériel et même social, en raison d’une artillerie différente, d’un manque de capitaux et du nombre de matelots disponibles. De ce fait, les pourcentages représentant le nombre de personnes engagées dans les différentes catégories fonctionnelles paraissent variables. Faute de rôle d’armement, il n’est pas possible d’étudier les équipages corsaires sous Louis XIV. En revanche, au XVIIIe siècle, cette étude s’opère aisément. Les 4 936 hommes engagés sur les vingt-huit corsaires granvillais pendant la guerre de Succession d’Autriche se répartissent par catégorie de la manière suivante :
73Le pourcentage des officiers majors atteint 10 %, celui des officiers mariniers 20 % et celui des matelots 30 %. Les volontaires et les soldats ne représentent respectivement que 5 % de l’ensemble. Si la règle de recrutement des mousses est respectée (10 %), celle des novices ne l’est pas : 13,7 % sur l’ensemble au lieu des 20 % exigés, bien que ce pourcentage s’élève malgré tout à 17,8 % à compter de 1746 pour se conformer à l’ordonnance du 23 juillet 1745 mentionnée par Valin. Il est vrai que nombre de novices sont souvent engagés directement comme matelots pour pallier un manque d’hommes dans cette catégorie.
74Les soldats forment la catégorie dont un armateur semble curieusement se passer le plus volontiers. Ils demeurent absents dans 12 des 28 armements, la plupart en fin de conflit. Ainsi, l’armateur de la Revange choisit, en 1745, de recruter 53 soldats, ce qui correspond à 18 % du total de l’équipage. Regrette-t-il ce choix audacieux ? Toujours est-il que, l’année suivante, il n’engage plus que 13 novices soldats. En 1747, il reprend de « vrais soldats » mais au nombre de 7 seulement63. Ce constat étonnant, puisqu’il concerne des navires destinés au combat, amène par conséquent à s’interroger sur la fréquence réelle des combats. Étaient-ils si peu nombreux que l’on pouvait se passer de ces soldats ? La présence de nombreux matelots à bord permettait-elle de les remplacer ?
75La catégorie des volontaires paraît faible, elle aussi. En réalité, il s’agit là de ceux qui n’ont jamais navigué, ou très peu, et qui, de ce fait, ne sont pas encore répertoriés dans le registre des officiers et volontaires de la matricule des gens de mer. Sur le rôle d’armement, ils sont donc distingués des volontaires « déjà immatriculés ». Ces derniers, fils de « bonnes familles », sont généralement déjà intégrés aux officiers-majors comme seconds, ou lieutenants ou enseignes.
76En principe, l’on dénombre plus de matelots que de novices, mais c’est parfois le contraire. Le Zélande, armé en janvier 1748, représente le cas extrême, puisque son équipage de 59 personnes n’est composé que de 6 matelots (donc 10 % de l’ensemble), commandés par 9 officiers majors et 14 officiers mariniers64. Cela semble bien peu par rapport aux 24 novices (40 %), aidés par 6 mousses. En vérité, les armateurs sont de plus en plus confrontés à un manque de matelots au fil des années de guerre, comme le prouve le tableau suivant, qui présente les pourcentages moyens annuels par catégorie :
77Certaines catégories restent stables (les officiers majors, les volontaires et les mousses), tandis que d’autres évoluent singulièrement (les matelots, les officiers mariniers et les novices). Le pourcentage de matelots chute en effet fortement de 53,7 % à 19,1 %, soit environ au tiers ! La pénurie de matelots commence à se faire sentir. La Royale lève en effet largement les gens de mer pour composer les équipages de ses propres vaisseaux. Par voie de conséquence, le nombre de matelots non levés, restés à la disposition des armateurs corsaires, se réduit fortement dans les bassins de recrutement. La parade trouvée par les armateurs, entre 1744 et 1748, consiste alors à augmenter le nombre des novices (on passe de 1,7 % à 25,2 %) et celui des officiers mariniers (le pourcentage monte de 13,3 % à 27,4 %) sur leurs corsaires.
78Avec l’enchaînement rapide des guerres qui marquent profondément la France jusqu’à la chute de Napoléon Ier, cette composition des équipages corsaires ne cesse d’évoluer. Confrontés à toutes sortes de difficultés (diplomatiques, politiques, sociales, économiques, matérielles et financières), les armateurs doivent constamment s’adapter à différentes réalités qui les obligent à penser autrement leurs armements en course. Pour illustrer ces propos sur la structure des équipages et montrer à quel point les règles peuvent évoluer selon les armateurs et les conflits, voici les caractéristiques de deux équipages à des périodes différentes : celui du Conquérant, armé en 1747 pendant la guerre de Succession d’Autriche et celui de l’Aimable Flore, armé en 1809. Leurs tonnages respectifs sont à peu près équivalents.
Conquérant (1747) | Aimable Flore (1809) | |
160 tx | 151 tx | |
22 canons de 6 et 6 de 3 | 14 canons de calibre inconnu | |
Officiers majors | 25 (soit 10,9 %) | 10 (soit 11,6 %) |
Officiers mariniers | 72 (soit 31,5 %) | 19 (soit 22 %) |
Matelots | 58 (soit 25,4 %) | 16 (soit 18,6 %) |
Volontaires | 7 (soit 3 %) | 5 (soit 5,8 %) |
Novices | 33 (soit 14,4 %) | 4 (soit 4,6 %) |
Mousses | 19 (soit 8,3 %) | 8 (soit 9,3 %) |
Soldats | 9 (soit 3,9 %) | - |
Soldats volontaires | - | 17 (soit 19,7 %) |
Officier non marinier | - | 1 (soit 1,1 %) |
Hommes pris en supplément | 3 (soit 1,3 %) | 6 (soit 6,9 %) |
Total | 228 hommes d’équipage | 86 hommes d’équipage |
79La quantité d’hommes embarqués est totalement différente sur les deux navires (228 et seulement 86). Entre temps, la pénurie de matelots s’est accrue, provoquée par les ponctions de plus en plus fortes opérées par la Royale dans le « stock » des gens de mer. Il est vrai que les deux flottes, corsaire et royale, se sont toujours retrouvées en concurrence, l’une et l’autre désirant les meilleurs matelots. Toutefois, l’enchaînement rapide des conflits et la très faible progression du nombre de gens de mer classés ont amené le gouvernement à exercer sa souveraineté dans ce domaine, au détriment des corsaires. Paradoxalement, c’est peut-être un Granvillais, Jean Christophe Louis Régnier, un ancien corsaire devenu général de brigade sous la Convention65, qui accentua la pénurie après la Révolution de 1789. Le 26 pluviôse an VI (14 février 1798), il adressa de Granville une lettre au Directoire exécutif, en tenant des propos particulièrement virulents à l’encontre des armateurs corsaires :
« Il se fait une dilapidation de matelots pour la course, que cela fait horreur ; il y a dans le nombre des armateurs, des ennemis bien prononcés du gouvernement, qui se sont mis à armer de mauvais navires marchands et les envoient en course, remplis d’excellents matelots […] Il est donc urgent de conserver nos matelots et non de les sacrifier dans de mauvaises barques à sel, qui s’expédient sous le nom de course ; j’ai écrit au ministre de la marine, qu’on le trompait ; je lui ai indiqué le moyen de découvrir la trahison66. »
80Fut-il suffisamment convaincant aux yeux du gouvernement ? Toujours est-il que la pénurie atteignit son apogée sous l’Empire.
81C’est donc le manque de matelots, d’officiers mariniers et de novices qui contraignit les armateurs de l’Aimable Flore à réduire fortement les effectifs, à engager nombre de volontaires (plutôt du « tout venant » que des gens de bonne famille) et à recruter des étrangers jusque dans les prises. Le nombre de canons ayant diminué de moitié, celui des hommes nécessaires à leur manœuvre se réduisit également. Contraste frappant, les soldats, tous volontaires, représentent un pourcentage important (environ 20 %). Sans doute, leur compétence laisse-t-elle à désirer.
82Compte tenu de toutes ces observations, il ressort que l’opération de recrutement d’un équipage prenait une importance essentielle dans la préparation des armements corsaires. Comment procédait-on pour décider ces hommes à embarquer ?
Le recrutement d’un équipage
83Il s’agit toujours d’une affaire délicate, longue à mener pour l’armateur. Elle requiert assurément de l’intelligence, du bon sens, mais aussi une certaine habileté à composer avec les autorités, les circonstances et les hommes de toute une région. Dans chaque port, chacun sait toutefois, par expérience ou par ouï dire, que l’habileté de cet armateur peut vite se confondre avec la rouerie dans certaines situations. Comment cela se passait-il à Granville ? Qui trouvait-on précisément dans ces équipages ?
L’engagement du capitaine et des officiers
84Avant de lancer l’opération de recrutement proprement dite, un armateur se soucie toujours de trouver prioritairement un bon capitaine et de lui adjoindre un état major à sa convenance. Ce choix est lourd de conséquences, car le sort de l’équipage et les promesses de bénéfices dépendront directement de sa compétence. Cet homme devra en tous points se conformer aux instructions que l’armateur lui donnera au moment du départ. Pour s’en assurer, celui-ci préfèrera parfois engager un membre de sa famille, lequel saura se montrer digne de sa confiance et reconnaissant. Ce peut être un fils – c’est le cas des frères Lévesque, de Philippe Teurterie, Nicolas Quinette de la Hogue et Denis François Lemengnonnet –, un frère – les frères Lévesque et Hugon sous Louis XIV –, un beau-frère – Michel Clément est le beau-frère de Léonor Couraye du Parc, lorsqu’il commande le Grand Grenot – ou encore un neveu ou un cousin. L’armateur portera-t-il son choix vers un homme jeune ou vers un homme expérimenté ? En temps de paix, la moyenne d’âge des capitaines terre-neuvas est de 39 ans67. Qu’en est-il des corsaires ?
85Sous le règne de Louis XIV, les seuls capitaines corsaires dont les âges sont connus ont entre 22 et 46 ans, lorsqu’ils accomplissent leur première campagne. Les frères Lévesque sont jeunes : Beaubriand-Lévesque a 25 ans, La Souctière-Lévesque 22 et Antoine Lévesque vraisemblablement moins. À l’inverse, Pierre Dry-Haumesnil et Jean Pérée-Duhamel ont respectivement 45 et 46 ans. Comme ces hommes pratiquent conjointement la guerre de course et la pêche terre-neuvière, il semble toutefois difficile de cerner les caractéristiques des capitaines corsaires de ce règne à partir de leurs expériences et de comprendre en quoi ils se distinguent des terre-neuvas. L’on peut néanmoins être frappé par l’extrême jeunesse de certains d’entre eux. Depuis l’ordonnance de la Marine de 1681, nul ne peut pourtant s’improviser capitaine :
« Aucun ne pourra ci-après être reçu capitaine, maître ou patron de navire, qu’il n’ait navigué pendant cinq ans et n’ait été examiné publiquement sur le fait de la navigation, et trouvé capable par deux anciens maîtres en présence des officiers de l’Amirauté, et du professeur d’hydrographie, s’il y en a dans le lieu68. »
86À l’évidence, les frères Lévesque, nés dans l’une des principales et des plus anciennes maisons d’armement granvillaises, ont rapidement acquis l’expérience suffisante pour satisfaire aux règles de l’examen. Est-ce si difficile d’ailleurs ? Peut-on le croire lorsque le sieur Vallon, maître d’hydrographie à Granville, se plaint auprès des bureaux du secrétariat de la Marine, en 1713, que les capitaines de ce port « ne valent rien, qu’ils ne savent ni lire, ni écrire, et qu’ils partent à Terre-Neuve sans expérience69 ». Peut-être convenait-il de s’interroger sur l’aptitude de certains à commander des gros bâtiments dans des expéditions aussi lointaines. Certains pouvaient cependant présenter de réelles prédispositions, sans avoir étudié l’hydrographie. Alexandre Cambernon, est un simple matelot de 30 ans, enregistré comme canonnier à 12 livres dans la matricule des gens de mer, lorsqu’il prend le commandement de la Fidèle en 1710, une corvette de petit tonnage70. Bien que le bâtiment ait été capturé au cours de cette campagne, rien n’empêche de croire que son capitaine ait démérité. En effet, le 5 juin, il capture la Bienaimée de Jersey qui collectait du varech aux îles Ecréhous. Il la conduit à Regnéville. Dans le rapport qu’il dépose le lendemain à Granville, il signale en outre avoir déjà pris aux îles des Ecréhous l’Elisabeth et le Dauphin de Jersey, eux aussi occupés à couper du varech. Il les a conduits à Granville, mais il a dû laisser sur place 21 Anglais « qu’il n’a pu amener à cause du peu de port de sa corvette et qu’ils étaient plus forts que lui et son équipage71 ». Ces trois prises, même modestes, convenaient sûrement à l’armateur, sans doute satisfait d’avoir confié son corsaire à un tel « capitaine », qui peut-être ne savait ni lire ni écrire.
87Pour tenter de remédier à ce problème de formation, apparemment fréquent dans les ports français, le règlement du 15 août 1725 apporte des modifications : dorénavant, les officiers mariniers, les matelots et les autres gens de mer « ne pourront faire les fonctions de capitaines, maîtres ou patrons, qu’ils n’aient été reçus par-devant les officiers de l’Amirauté, qu’ils n’aient navigué pendant cinq ans sur les bâtiments marchands, fait deux campagnes de trois mois au moins chacune sur les vaisseaux du roi, et qu’ils ne soient âgés de vingt-cinq ans72 ». Néanmoins, après la déclaration de guerre de Succession d’Autriche, une lettre du roi Louis XV, adressée à l’Amiral, en assouplit les règles :
« Nonobstant ce qui est porté par mes ordonnances, mon intention est que les négociants qui armeront des bâtiments du port de 50 tonneaux et au-dessous, destinés pour faire la course, puissent en donner le commandement à des officiers, mariniers, matelots et autres gens de mer, lesquels pourront faire les fonctions de capitaines sur lesdits bâtiments, sans être pour cet effet obligés de se faire recevoir capitaines, maîtres ou patrons, ni assujettis à aucun examen73. »
88La porte reste donc ouverte dans l’intérêt du roi. Profitant de l’opportunité, en 1781, Nicolas Saint Lo, simple timonier à 20 livres, arme et commande un lougre de 28 tx, le Duc d’Harcourt. À 29 ans, ce fils de matelot a pour lors servi sur un terre-neuvier, sur les navires du roi, puis sur un corsaire malouin, l’Heureux. Fort de son expérience, la guerre lui offre donc une occasion de se distinguer. Ce n’est qu’au retour de la paix, en 1786, qu’il sera reçu maître au cabotage74.
89Autre conséquence de cet assouplissement dans la réglementation, quelques jeunes tentent également l’aventure : en 1747, le matelot François Fillastre a 23 ans lorsqu’il commande l’Entreprenant, un petit bâtiment de 8 tx, tandis que l’officier volontaire Jean Baptiste Hugon en a 24 quand il conduit l’Huître (12 tx) ; l’année suivante, un autre volontaire, Philippe Teurterie, n’a que 20 ans lorsqu’il prend le commandement du Zélande (45 tx), armé par son père. Toutefois, leurs expériences ne sont pas renouvelées, faute d’avoir été suffisamment convaincantes75. Apparemment, il n’y eut plus de capitaine corsaire de moins de vingt-cinq ans jusqu’en 1815. L’âge des 110 capitaines corsaires connus entre 1744 et 1815 s’étale entre 20 et 64 ans. Leur moyenne d’âge est de 37 ans, ce qui ne les distingue que légèrement des terre-neuvas, âgés de 39 ans environ. Le plus âgé, François Martin, a 64 ans ; il est venu de Saint-Malo pour commander la Françoise du Lac (30 tx) en 1744.
90Une répartition par tranche d’âge peut être opérée. Elle met en lumière ceux qui ont entre 30 et 39 ans. À eux seuls, ces 49 capitaines représentent près de la moitié. Ceux qui ont moins de 30 ans ne représentent que 20 % de l’ensemble.
91Dès lors, l’affirmation que les capitaines corsaires sont choisis parmi les jeunes gens, en raison d’une hardiesse et d’une fougue inhérentes à leur âge, paraît injustifiée. Il semble bien que l’on préfère les qualités liées à l’expérience. Il n’est pas question d’engager un jeune capitaine hardi à l’excès, qui risquerait de mettre en péril le bâtiment et son équipage. Cela servirait mal les affaires de la société. Il ne faudrait pas non plus engager quelqu’un de timoré, d’hésitant. Le choix de l’armateur se porte donc sur un homme à la fois réfléchi et énergique, bon navigateur, rusé, suscitant l’admiration ou la crainte à son équipage pour éviter qu’il ne se mutine.
92Quelquefois, le choix du capitaine par l’armateur peut être fortement contesté, surtout lorsque les effets du népotisme risquent de compromettre le succès d’une campagne qui s’annonce prometteuse. Ainsi, un conflit éclate en 1779 au sein de la société d’armement Forterie Valmont-Deslandes-Leboucher parce que l’un des coarmateurs, Nicolas Deslandes, voudrait engager son jeune frère, Charles Deslandes-Beauprey, pour commander le Monsieur, une frégate de 475 tx, contre l’avis d’un autre coarmateur, Gaud Leboucher, sieur de Vallesfleurs. Ce dernier conteste sa compétence, estime que « ce jeune homme [pourtant âgé de 28 ans] est très ignorant, n’est pas même en état de conduire une prise dans un port, qu’il n’a navigué que deux à trois ans en qualité de chirurgien, et fait deux voyages en qualité de second capitaine sur les navires de son frère76 ». Cela lui semble insuffisant pour commander un aussi gros corsaire dont la mise-hors a nécessité des investissements particulièrement importants. Nicolas Deslandes s’offusque, sans en démordre : son frère a déjà conduit une prise, du canal Saint-Georges vers Lorient, ce qui prouve une compétence de navigation. Les discussions s’enveniment. Chacun reste sur sa position et entend bien obliger l’autre à céder. Le commissaire des classes, Eustache, ami de Nicolas Deslandes, ne voit rien de contestable dans ce choix. Dès lors, Gaud Leboucher s’en plaint auprès de son propre beau-frère, le sieur Lesauvage, lieutenant de l’amirauté granvillaise, et du procureur du roi. Les trois hommes s’unissent pour engager le secrétaire d’État à la Marine, Sartine, « à donner des ordres pour que le sieur Deslandes Beauprey soit exclus du commandement de ce corsaire77 ». À cet effet, ils rédigent un mémoire et prient l’inspecteur Chardon, de passage à Granville, de le présenter à Sartine, qui exige des explications de la part du commissaire des classes. Les relations entre les deux coarmateurs se dégradent sérieusement, au point que Gaud Leboucher devient « ennemi irréconciliable du sieur Deslandes78 ». Finalement, suite à la décision du secrétaire d’État, Nicolas Deslandes doit s’incliner : son jeune frère ne commandera pas le Monsieur ; il n’y sera que second capitaine. On lui préfère Nicolas Guideloup, un lieutenant de frégate granvillais déjà bien expérimenté. L’acte de société oblige les deux armateurs à mener la campagne à son terme. Chacun s’y conformera ; toutefois, il ne sera pas renouvelé pour une deuxième campagne.
93Ce népotisme se retrouve fréquemment dans la constitution de l’état-major, qui accompagne le capitaine sur le bâtiment. C’est l’occasion pour les armateurs de faire entrer les jeunes hommes de leurs familles dans la carrière maritime, de leur donner le goût du commandement, de l’aventure guerrière et de leur procurer des parts de bénéfice après la liquidation générale de la campagne. C’est encore l’occasion de se rendre service entre armateurs. Les effets pervers de cette pratique assez répandue peuvent pourtant porter fortement préjudice à la guerre de course. Le commissaire ordonnateur de marine à Saint-Malo, Guillot, s’en explique au secrétariat d’État à la Marine, dans une lettre datée de juillet 1746 :
« On estime que ce qui contribue en partie aux révoltes et aux désertions parmi les équipages des bâtiments armés pour la course vient du peu de capacité des officiers que les armateurs y mettent, qui sont des jeunes gens sans nulle expérience ; d’où il arrive que ceux qui seraient en état de servir et de contenir ces équipages ne s’embarquent pas, ne voulant point être commandés par des gens d’une et de deux campagnes qu’on place seconds capitaines, lieutenants et enseignes79… »
94À l’incompétence de ces officiers néophytes, s’ajoutent des conflits d’intérêts. En effet, ces hommes « sont les mieux récompensés » puisque la répartition des parts les avantage sérieusement, au détriment des équipages proprement dits et des intéressés.
« Les armateurs croient trouver leur avantage dans ce mauvais usage, et les intéressés à la course sont leurs dupes et se dégoutent, ainsi que ces équipages qui se trouvent lésés par les raisons suivantes. Les armateurs, outre leur commission en plaçant leurs fils, parents, ont en vue les parts qui reviennent à chacun d’eux, ce qui décourage ces équipages qui se trouvent privés de l’avantage de la course par le grand nombre et par le défaut de bons officiers80. »
Le recrutement des matelots
95La manière employée, pour faire savoir à la population d’un port qu’un recrutement est envisagé, est connue grâce à un mémoire dans lequel il est précisé que le capitaine
« établit un écrivain dans un cabaret à l’une des fenêtres duquel on met un grand pavillon, ce qui s’appelle suivant l’usage des armateurs, le « foyeux », qui est l’enseigne pour faire connaître aux matelots qu’on fait des équipages et que ceux qui veulent s’engager peuvent y aller recevoir de l’argent sur la main81 ».
96Cette façon de faire se répétait alors dans les paroisses des alentours, ou même éloignées lorsque le besoin s’en ressentait, jusqu’à ce que le quota décidé par l’armateur soit atteint. Une lettre, écrite en 1779 par l’armateur granvillais Nicolas Deslandes, indique précisément les consignes délivrées aux recruteurs. Il l’adressait à un certain Estienne Verlet, dit la Couture, chargé de parcourir les campagnes à cet effet. Celui-ci logeait et œuvrait pour la circonstance chez Mme Roussel, aubergiste à Céaux, petite paroisse à la limite extrême du quartier maritime de Granville, peu avant celui de Saint-Malo. L’armateur lui précisait :
« J’ai reçu votre lettre du 17 courant par laquelle vous me dites avoir quarante hommes tant matelots que volontaires, et vous me demandez l’engagement que les matelots auront ; je ne puis vous le dire ne les voyant point mais ils peuvent venir et on leur donnera de l’ouvrage, et on fera leur engagement, honnêtement. Vous me dites aussi que vous avez des volontaires, tant mieux, si c’est des hommes ; car nous n’en voulons point d’autres, et si vous pouvez en faire au nombre de trente, j’en serais bien aise ; mais surtout que ce soit des hommes capables de faire le coup de feu en cas d’affaire et de donner la main à l’ouvrage, car je veux que vous les en préveniez d’avance pour que personne n’ait à se plaindre ; vous savez la façon avec laquelle tout le monde a été à bord ; ainsi vous pourrez leur en rendre compte82. »
97Il fallait donc des hommes décidés, ne rechignant ni à la tâche, ni au combat. Ces qualités exigées par l’armateur n’ont, à vrai dire, rien d’étonnant pour aller en course.
98Nicolas Deslandes reste plus vague quant à la nature de leur engagement. Il existe en effet deux façons d’engager un équipage : au mois ou à la part. Les deux présentent des avantages et des inconvénients si l’on en croit un mémoire écrit en 1701 par un Malouin83. L’armement au mois est plus simple et oblige l’armateur à plus d’honnêteté vis-à-vis des équipages et des associés, car la comptabilité se prête mal à des manipulations de toutes sortes. Chacun sait précisément ce qui l’attend et ce qui lui revient. Autre avantage important aux yeux de l’armateur, les équipages engagés au mois ne se révoltent pas pour obliger les officiers à abréger la campagne, puisque leurs gains dépendent de la durée de la campagne. Toutefois un matelot engagé au mois développe moins d’ardeur au combat, puisqu’il n’est pas intéressé aux prises, à la différence de celui qui est payé à la part dont les revenus dépendront directement du nombre et de la valeur des captures. Dès lors, si l’autorité des officiers les incite à se battre, un risque de pillage est à craindre, puisque le matelot essaiera d’y trouver une compensation aux risques encourus. Enfin, en cas d’engagement au mois, les candidats sont toujours moins nombreux puisqu’ils n’ont pas l’espoir de faire fortune. Or c’est précisément ce qui motive les matelots et les volontaires à tenter une aventure qui comporte malgré tout des risques.
99Un engagement à la part fonctionne selon une toute autre logique. Le principe est le suivant : l’armateur verse aux matelots, au moment de leur engagement, des « avances » à valoir sur les parts dans les prises qu’effectuera le corsaire. Le but de ces avances est de permettre aux matelots, trop souvent pauvres, de « se nipper84 ». Les officiers et les volontaires, gens plus aisés, n’en reçoivent pas. Jusqu’en 1778, le versement se fait en deux fois (deux-tiers à l’armement du navire, le tiers restant au désarmement) selon un règlement publié le 25 novembre 1693 qui sert de référence par la suite85. Après 1778, le versement se fait en une seule fois « avant le départ du corsaire86 », du moins théoriquement, puisque l’arrêt du Conseil d’État, daté du 27 septembre 1778, suspend l’application de l’article 25 contesté dans de nombreux ports (dont Granville) afin de laisser les armateurs négocier librement d’autres conventions avec les équipages87.
100Si la campagne s’avère bénéficiaire, lors de la liquidation générale, les parts des prises sont remises à chaque membre de l’équipage, déduction faite de ces avances pour ceux qui en auraient touché. Les officiers et les volontaires touchent alors intégralement ce qui leur revient. En revanche, si elle s’avère déficitaire, les avances restent définitivement acquises par les matelots, sans que l’armateur puisse en exiger la restitution.
101La duperie est inhérente à ce système de bien des façons. L’armateur peut aisément berner son équipage en jouant avec les écritures et les délais, en exerçant des pressions, en abusant de la crédulité de certains, afin de récupérer avantageusement leurs parts de prises. Sous Louis XIV, il peut aussi tromper ses associés sur la nature de l’engagement, selon son propre intérêt.
« L’armateur qui veut tromper ses associés, ne monte les rôles de son équipage que sur des feuilles volantes, attend le succès de son armement pour se déterminer. Si les prises sont considérables, il représente un rôle de matelots presque tous à la part, et retient par ses mains les parts des matelots qu’il n’avait engagés qu’au mois, ce qu’il ne paye pas autrement. Si au contraire l’armement dure, et n’a pas été heureux, l’armateur représente à ses associés des engagements au mois, et retient encore par ses mains tout ce qui revient à ceux qu’il avait engagés à la part auxquels il ne donne aucune chose88. »
102De leur côté, les matelots peuvent, eux aussi, abuser les armateurs. En désertant après avoir reçu leurs avances pour s’engager sur un autre corsaire ou encore en se laissant prendre quinze jours après être sorti du port, ils réussissent à recevoir de nouvelles avances lors d’un engagement sur un autre corsaire89. D’autre part, en profitant de la disette de matelots, certains ont profité de leur rareté pour faire augmenter considérablement le montant de ces avances (pourtant fixé par différents règlements au fil des conflits).
103En 1701, l’auteur du mémoire malouin regrettait toutes ces dérives : « Ainsi les armements à la part ont dans la dernière guerre donné lieu à une infinité d’injustices et de friponneries, qui ne se sont jamais pratiquées lorsque les équipages ont été au mois90. » Les « friponneries » ne cessèrent à vrai dire jamais. L’examen de la correspondance entre les bureaux du secrétariat de la Marine, les commissaires aux classes et les armateurs des ports français est édifiant à ce sujet. Un mémoire, rédigé en 1780 par le commissaire des classes granvillais Eustache, à l’attention de Mistral, commissaire ordonnateur au Havre, dénonce encore des malhonnêtetés, souvent commises à Granville à l’encontre des hommes d’équipage. Il s’agit par exemple
« de laisser en blanc le commencement des dits actes qu’on leur fait signer, chacun à leur article séparé qui ne contient que le prix qui leur est promis, et lorsque tous ont signé, on remplit ensuite l’intitulé, où l’on insère les clauses que les armateurs trouvent le plus à leur gré et dont par conséquent jamais le matelot n’a de connaissance91 ».
104Le commissaire prend alors le cas de l’Américaine, armée par les sieurs Bretel, Ernouf et La Houssaye, en exemple :
« Il n’a été accordé à ce corsaire qu’une course de deux mois ; l’équipage prétend ne s’être engagé que pour ce temps, et avoir d’autant gagné ses avances que la course a été successivement prolongée de six semaines, pendant lesquelles le corsaire a fait des prises qui mettent son armement à couvert […] mais bien sûr, dans le blanc laissé en tête de l’engagement de l’équipage, il [l’armateur Ernouf] a fait insérer à son insu que la course devait être de la durée de quatre mois de mer, bien que la permission qui d’abord a été accordée à ce corsaire de mettre en mer ne fut que de deux mois92. »
105En conséquence, lorsque les matelots levés pour Brest au service du roi ont demandé aux armateurs le versement de leur dernier tiers d’avances au bout de ces deux mois, ils n’ont rien reçu, sous prétexte qu’ils ont rompu leur contrat avant le terme.
106C’est pourtant ce type d’engagement que les Granvillais choisirent : la totalité des corsaires fut armée à la part. Aucun d’entre eux ne le fut au mois.
107Sous l’Ancien Régime, les équipages s’engageaient généralement pour une durée de course de quatre mois (non compris les temps de relâche). Toutefois sur le Très Vénérable, en 1756, la durée ne fut que de deux mois. Pendant la guerre d’Indépendance américaine, l’Américaine reçut, elle aussi, officiellement une commission pour deux mois, qui fut prolongée à quatre mois. Une lettre écrite par Nicolas Deslandes précise que son corsaire, la Madame, avait une permission de faire la course pendant six mois, lors de ses campagnes93. Qu’en fut-il pour les autres corsaires ? Sous l’Empire, c’était généralement pour six mois, à l’exception de quelques armements. Ainsi, si l’on en croit plusieurs états de corsaires conservés à Brest94, la Joséphine eut une commission pour un an, comme plusieurs Malouins, et la Princesse Caroline en eut une de deux ou trois mois (armée en février 1806, elle sortit le 23 février avec une autorisation précisée « jusqu’au 1er avril 1806 »).
108Un contrat d’engagement était alors rédigé et signé devant témoins chez un notaire afin de préciser les responsabilités, les droits, les devoirs de chacun, ainsi que la composition de l’équipage engagé, le montant des avances allouées et la durée de l’engagement. Un pareil contrat est encore conservé à Granville : il concerne le Dragon, daté du 10 prairial an V (29/05/1797), enregistré au bureau du notaire Le Graveren, en présence de l’armateur Gourdan, deux témoins et les 25 hommes d’équipages, dont le capitaine Jean Eudes95. Il est stipulé que la campagne ne durera que 20 jours, sauf si aucune prise n’aurait été accomplie, auquel cas elle serait prolongée à 25 jours. L’équipage sera payé « à la part ». Des avances sont versées « à ceux qui en désirent ». Par conséquent, les matelots reçoivent déjà entre 50 et 70 francs au titre d’avances sur les prises à venir, les novices entre 25 et 30 francs, les mousses 18 francs, le maître d’armes 72 francs, le chirurgien 70 francs et le maître d’équipage 100 francs. Les officiers seront aussi payés à la part, mais ils percevront en outre un pourcentage du produit net des prises : le capitaine recevra 3 %, son second 1 %, le premier lieutenant 0,5 %. Quant aux deux enseignes, ils seront payés à la part, mais sans avances et sans pourcentage. Curieusement, il est prévu de prélever une somme (non précisée) pour les éventuels « blessés et estropiés dans les combats et aux veuves et aux enfants de ceux qui auront été tués dans les combats ou qui seront morts de leurs blessures96 ».
Armé le 12 prairial an V (1er juin 1797), le bâtiment relâche à Granville, puis en ressort le 14 messidor (2 juillet 1797) avant d’être désarmé le 16 thermidor an V (3 août 1797). Il réussit 4 captures mais l’une d’entre elle est reprise par les Anglais.
L’équipage se compose de 25 hommes (1 capitaine, 1 second, 1 premier lieutenant, 2 enseignes, 1 chirurgien, 1 maître d’équipage, 1 matelot charpentier, 1 maître d’armes, 12 matelots, 3 novices et 1 mousse). Notons que l’article 8 de ce contrat prévoit de secourir financièrement les blessés et les familles des membres de l’équipage décédés, décision plutôt innovante sous la Révolution. À ce jour, nous ne savons pas comment cet article fut appliqué.
Le lougre le Dragon du citoyen Gourdan de Granville et compagnie
Par devant le notaire à Granville pourvu de patente, soussigné.
Le dix prairial et jours suivants de l’an cinq de la République en l’étude se sont présentés les officiers mariniers, matelots, soldats, novices et mousses, dont les noms, surnoms, domiciles et résidences seront ci-après transcrits Lesquels se sont volontairement loués et engagés envers le citoyen Jean Gourdan et compagnie, domicilié et demeurant sur le port et havre de cette ville de Granville, armateur du corsaire nommé le Dragon, gréé en lougre, armé d’un obus de quatre livres de balle, de deux pierriers d’une livre, de sept espingoles, de fusils, pistolets et sabres, posé et amarré dans le dit port et havre de ce lieu pour faire incessamment la course sur les ennemis de l’état sous le commandement du citoyen Jean Eudes, domicilié et demeurant à Granville, ou tout autre capitaine en cas de changement ou remplacement aux charges, clauses et conditions suivantes.
Article 1er
Le temps de la course sera de trente jours de mer effectifs, non compris le temps de relâche dans les rades ou sur les côtes de France à compter du jour que le dit corsaire mettra à la voile du port de ce lieu où il est en armement et qu’il aura doublé les caps ou points qui déterminent un départ absolu.
Article 2
Les engagés seront tenus de se rendre à bord du dit corsaire au premier avertissement qui en sera donné, soit au son du tambour, soit par le coup de canon du départ, à peine d’être poursuivis comme déserteurs.
Article 3
Le voyage commencé, les dits engagés seront obligés de travailler dans les lieux de relâche pour le service du corsaire lorsqu’ils seront requis ; sinon il sera pris à leurs frais des gens de journée en remplacement.
Article 4
Aucun des dits engagés ne pourra quitter ledit bâtiment pendant la course en quelque lieu et sous quelque prétexte que ce puisse être à peine d’être poursuivis et punis comme déserteurs.
Article 5
Aussitôt qu’il y aura quelque prise faite, le capitaine donnera les ordres pour aller à bord se saisir des clefs, sceller les écoutilles, chambres, coffres, armoires, ballots et tonneaux et autres choses fermantes à clefs ou emballées sans en excepter le coffre du capitaine, après toutefois que les papiers ainsi que les hardes ou effets à son usage en auront été retirés ; ledit coffre restera à bord de la prise et fera partie de son produit.
Article 6
L’officier qui sera envoyé à bord du bâtiment pris ou l’écrivain se saisiront de tous les papiers qui seront remis dans un sac cacheté à celui qui sera choisi pour conduire la prise, lequel ne pourra les remettre qu’entre les mains du fonctionnaire public préposé pour les recevoir dans le port où la prise abordera.
Article 7
Le capitaine du dit corsaire, le conducteur de la prise, ne pourront s’approprier sous prétexte de droit ou d’usage aucune pacotille, aucun meuble, ni effets dans quelque endroit du bâtiment pris qu’ils se trouveront. Il est également défendu à aucun des dits engagés de s’emparer d’aucuns effets, ni marchandises, soit à bord des navires pris, soit sur les prisonniers, en un mot, il est défendu de faire aucun pillage sous peine de restitution et d’être poursuivi selon les rigueurs de la loi.
Article 8
Sur l’entier et net produit des prises seront prélevées les indemnités, commissions ou gratifications qui seront accordées au capitaine du corsaire, aux conducteurs des prises et autres officiers et qui seront déterminées à l’article particulier de chacun en sus des parts attribuées à leur grade.
Il sera encore prélevé une somme pour ceux de l’équipage qui auront été blessés et estropiés dans les combats ou qui seront morts de leurs blessures ; et seront les dites sommes payées à ceux auxquels elles seront accordées en outre et par-dessus leurs parts dans le tiers accordé à l’équipage, pourvu que ces gratifications n’excèdent pas le double de la valeur dite part.
Article 9
Le tiers du produit net des prises qui auront été faites, d’après les déductions contenues en l’article précédent, appartiendra aux dits engagés. La répartition en sera faite par un règlement conforme aux dispositions des lois sur la course, mais le montant des avances de ceux qui en auront reçu sera retenu sur leur part.
Article 10
Il sera fait des avances à ceux à ceux de l’équipage qui en désireront ; ces avances seront fixées à l’article particulier de l’engagement de chacun et elles seront payées par l’armateur incontinent après la revue passée. Mais dans le cas où ledit corsaire serait retenu et arrêté pour force majeure avant son départ, la moitié des dites avances seront restituées, l’autre moitié seulement demeurant acquise de l’instant de sa réception.
Article 11 et dernier
Promettent le dit citoyen armateur et les dits engagés réciproquement maintenir entretenir et exécuter toutes les clauses et conditions ci-dessus référées ; et pour tous les cas et les circonstances non exprimées, ils se conformeront aux lois et règlements intervenus et à intervenir sur la course à quoi ils demeurent respectivement obligés.
Fait et passé en présence de citoyen Giles Juhel et de citoyen François Marie Helain, enseigne de vaisseau domicilié et demeurant en cette ville, témoins qui ont signé avec ledit citoyen armateur et ont les dits engagés signé ou marqué chacun à son article particulier, ceux qui ont marqué ne sachant pas signer, tout enquis ; lecture faite. Signés Gourdan, G. Juhel, Helain et Le Graveren notaire avec paraphe.
Dudit jour, citoyen Jean Coupard de la commune de Saint-Nicolas près Granville s’est engagé pour matelot et charpentier à la part aux termes du règlement et a reçu cinquante francs d’avances, ce qu’il a signé. Signé Jean Coupart.
Citoyen Pierre Charles Savary, demeurant à Granville, s’est engagé pour matelot à la part aux termes du règlement et a reçu soixante francs d’avances, ce qu’il a signé. Signé P C Savary.
Dudit jour, citoyen François Julien Guiffard de Granville s’est engagé pour matelot à la part aux termes du règlement et a reçu soixante francs d’avances, ce qu’il a signé.
Citoyen Pierre François Le Buffe, de Granville, s’est engagé pour matelot à la part aux termes du règlement et a reçu soixante francs d’avances, ce qu’il a signé.
Citoyen Etienne Méquin, de Granville, s’est engagé pour matelot à la part aux termes du règlement et a reçu soixante francs d’avances, ce qu’il a signé.
Citoyen Joseph François Nicole, de Granville, s’est engagé pour novice à la part aux termes du règlement et a reçu vingt-cinq francs d’avances, ce qu’il a signé.
Citoyen Julien Foulon, de Saint-Nicolas près Granville, s’est engagé pour novice à la part aux termes du règlement et a reçu trente francs d’avances, ce qu’il a signé.
Citoyen Jean Settier, de Granville, s’est engagé pour matelot à la part aux termes du règlement et a reçu cinquante francs d’avances, ce qu’il a marqué.
Citoyen Jacques Letourneur, de Granville, s’est engagé pour mousse à la part aux termes du règlement et a reçu dix-huit francs d’avances, ce qu’il a marqué.
Citoyen François Julien Picquelin, de Granville, s’est engagé pour matelot à la part aux termes du règlement et a reçu soixante francs d’avances, ce qu’il a signé.
Citoyen Jean François André Cantel, demeurant aux faubourgs de Granville, s’est engagé pour maître d’armes à la part aux termes du règlement et a reçu soixante-douze francs, ce qu’il a marqué.
Citoyen Julien Jacques Le Gentil, de Saint-Nicolas près Granville, s’est engagé pour matelot à la part aux termes du règlement et a reçu cinquante francs d’avances, ce qu’il a marqué.
Citoyen Jean Baptiste Le Chevalier, de la commune de Blainville, s’est engagé pour matelot à la part aux termes du règlement et a reçu soixante francs d’avances, ce qu’il a signé.
Citoyen Thomas François Hamel, de Granville, s’est engagé pour chirurgien à la part aux termes du règlement ; Le coffre d’instruments et médicaments lui sera fourni par l’armateur ; les ressorts du dit coffre resteront au corsaire et a le dit citoyen Hamel reçu soixante-dix francs d’avances, ce qu’il a signé.
Citoyen Michel Coupard, de la commune Saint-Nicolas, s’est engagé pour novice à la part aux termes du règlement et a reçu trente francs d’avances, ce qu’il a signé.
Citoyen François Toussaint Coursière, de Saint-Nicolas, s’est engagé pour matelot à la part aux termes du règlement et a reçu cinquante francs d’avance, ce qu’il a signé.
Citoyen Alexis Cruchon, de Granville, s’est engagé pour second capitaine à la part aux termes du règlement et aura de plus un pour cent du produit net des prises, ce qu’il a signé.
Citoyen Pierre André Grand Jonc, de Granville, s’est engagé pour maître d’équipage à la part aux termes du règlement et a reçu cent francs d’avances, ce qu’il a signé.
Citoyen Pierre Louis Jeanne, de Granville, s’est engagé pour matelot à la part aux termes du règlement et a reçu soixante-dix francs d’avances, ce qu’il a signé.
Citoyen François Lehoguais, de Granville, s’est engagé pour matelot à la part aux termes du règlement et a reçu soixante francs d’avances, ce qu’il a signé.
Citoyen Jean Pierre Martre, de Granville, s’est engagé pour premier lieutenant à la part aux termes du règlement et un demi pour cent du produit net des prises, ce qu’il a signé.
Citoyen Jean Eudes, de Granville, s’est engagé pour capitaine en chef à la part aux termes du règlement et aura trois pour cent sur le produit net des prises, ce qu’il a signé.
Citoyen François Thélot, de Granville, s’est engagé pour enseigne à la part aux termes du règlement et sans avances, ce qu’il a signé.
Citoyen Anne Nicolas Aimable Leroy, de Granville, s’est engagé pour enseigne à la part aux termes du règlement et sans avances, ce qu’il a signé.
Citoyen Pierre Nicolas, de Granville, s’est engagé pour matelot à la part aux termes du règlement et a reçu soixante francs d’avances, ce qu’il a signé.
Et ce fait, en dérogeant à l’article premier qui détermine à trente jours la durée de la course, il est ultérieurement convenu qu’elle ne sera que de vingt jours ; cependant, s’il n’était fait aucune prise dans cet intervalle, elle sera prolongée de cinq jours, c’est-à-dire que le temps de la course sera de vingt jours ou de vingt-cinq au plus ; si dans les premiers vingt jours il n’avait point été fait de prise, ledit article premier au surplus est maintenu.
La minute de la présente a été close et arrêtée au notariat de Granville le douze prairial an cinq de la République et enregistrée le même jour par le maître qui a reçu six francs cinq décimes et a signé.
La présente grosse en sept rôles, celui-ci compris, délivrée au dit citoyen armateur de sa réquisition
Le Graveren
Lors de sa relâche, l’armateur décide d’engager trois autres hommes, soit pour améliorer le fonctionnement de l’équipage, soit pour remplacer trois partants.
Le neuf messidor au susdit an devant nous susdit notaire et présents les susdits témoins soussignés
Se sont présentés les citoyens ci-après dénommés, lesquels se sont engagés aux clauses et conditions ci-devant transcrites pour achever la course du dit corsaire, maintenant en relâche dans le port de ce lieu, d’où il est prêts à sortir savoir
Citoyen Jean Coquet, de Granville, pour matelot à la part aux termes du règlement et a reçu trente-six francs d’avances, ce qu’il a signé sur la minute.
Citoyen Jean Le Roux, de Granville, pour matelot à la part aux termes du règlement et a reçu trente francs d’avances, ce qu’il a signé sur la minute.
Citoyen Jean Olivier Pigeon, de Granville, s’est engagé pour premier lieutenant à la part aux termes du règlement et sans avances, ce qu’il a signé sur la minute.
La minute de la présente a été enregistrée au bureau de Granville le douze messidor an cinq par le maître qui a reçu soixante-quinze centimes.
Délivré par Nous, notaire ci-devant dit et soussigné.
Le Graveren
Encadré 5. – Contrat d’engagement de l’équipage du Dragon, lougre granvillais de 16 tx gréé en lougre, armé en course par Jean Gourdan et Cie, sous le commandement du capitaine Jean Eudes, 12 prairial an V (1er juin 1797), musée du Vieux Granville.
109Ces contrats prévoyaient la répartition des prises. Généralement, deux tiers du produit net des prises revenaient à l’armateur, à ceux qui avait fourni le navire et les armes, ainsi qu’aux sociétaires, tandis que le dernier tiers était réparti entre les membres de l’équipage. Toutefois, sur certains navires, une autre répartition était prévue. En 1746, l’équipage du Passe Partout de 3 tx fut engagé « sans avances, moitié au profit », c’est-à-dire avec la promesse de recevoir la moitié du produit net des captures éventuelles, par Charles François Bonté, propriétaire armateur. L’équipage de la Défiance de 14 tx fut aussi engagé dans les mêmes conditions, en 1780, par les sieurs Clément et Perrée, propriétaires et armateurs. En raison des avantages consentis aux équipages par ce contrat équilibré, les propriétaires renonçaient bien entendu à verser des avances aux matelots.
110Tous ces hommes obéissaient à des motivations diverses. L’espoir de faire fortune, le sentiment patriotique, la rancœur contre les Anglais qui les chassaient progressivement de Terre-neuve et qui capturaient les morutiers français avant la déclaration de guerre (comme la rafle de Boscawen, en 1755), constituaient autant de raisons sérieuses pour inciter tout un chacun à chercher un engagement sur un corsaire. Au-delà cependant de ces considérations générales de bon aloi, la cupidité ou encore la simple nécessité de gagner de l’argent pour vivre et faire vivre sa famille en attendant le retour de la paix pouvaient les mobiliser. Dans une lettre datée du 28 février 1693, le commissaire général au département de Saint-Malo, De Gastines, expliquait le comportement de certains matelots au secrétaire d’État en charge de la Marine, Louis Phélypeaux de Pontchartrain :
« Ces malheureux-là n’ont pas plutôt reçu des cinquante, soixante et quatre-vingt écus97 d’avance qu’après avoir fait une course de trois semaines ou un mois, ils croient être quittes, et rien ne les peut empêcher de déserter à la première relâche ; s’ils demeurent en mer, ils cherchent à faire des querelles d’Allemands98 à leurs officiers pour rompre le voyage et enfin, lorsqu’ils rencontrent un ennemi tant soit peu fort, cela leur ôte le courage de se défendre, n’ayant rien à espérer des parts et brûlant d’impatience de retourner chez eux pour reprendre encore de nouvelles avances99… »
111Ces matelots se précipitaient dans un port corsaire voisin pour toucher de nouvelles avances. Sans doute, utilisaient-ils de fausses identités ou se faisaient-ils passer pour des étrangers… De Gastines, persuadé d’en trouver à Granville, crut devoir prévenir Pontchartrain, le 20 mai 1693 :
« On m’a donné avis que presque tous les déserteurs qui nous ont quittés ici sont allés à Granville pour s’embarquer sur un navire qui va, je crois, en Terre-Neuve ou bien en course, lequel s’appelle le Jeune Homme de Granville où vous m’avez mandé, par votre dépêche du 15e du mois dernier, de ne laisser aller aucun homme classé et en état de pouvoir servir sur les vaisseaux du Roi ; il n’y a qu’une petite journée d’ici à Granville, j’irai y faire un petit tour et j’espère, Monseigneur, y trouver un bon nombre de déserteurs et de coureurs100. »
112En effet, outre son aspect malhonnête, cette démarche contrariait profondément l’intérêt de la Royale qui voulait garder pour elle les meilleurs matelots en les levant à tour de rôle, conformément aux principes du système des classes. À cet effet, il était donc interdit aux commissaires des classes de délivrer, sans l’autorisation du secrétariat de la marine, un permis aux matelots de leurs quartiers respectifs, tant que les équipages des vaisseaux du roi ne seraient pas composés. D’où, la démarche de Gastines et son projet de venir à Granville pour retrouver ses déserteurs. Cela signifie par conséquent que les matelots qui s’engageaient sur les corsaires devaient obligatoirement être des gens de mer « non levés101 ». Dans la pratique, les équipages corsaires étaient constitués d’hommes relevant à la fois des quatre classes, sans distinction aucune. Ces matelots préféraient nettement intégrer ces équipages à ceux du roi, où ils étaient moins bien payés102.
L’origine géographique et l’âge des matelots
113En principe, le quartier maritime de Granville, qui passe pour le plus étendu de Normandie et le plus important de France en nombre de gens de mer, suffit à fournir les hommes aux équipages corsaires, comme le montre l’exemple du Conquérant (160 tx), armé en 1745 avec un effectif de 252 hommes. Le quartier granvillais se suffit à lui-même et n’engage que très peu d’hommes venant d’autre part.
114Toutefois, lorsque le besoin se fait sentir, le recrutement se passe dans les quartiers voisins, principalement ceux de Cherbourg et de Saint-Brieuc, et non pas celui de Saint-Malo. Croire que l’on pourrait recruter dans un autre quartier, où un autre grand port corsaire engage lui-même ses hommes avec difficulté, serait un non-sens. Granville opère donc une ponction dans les quartiers voisins où l’activité corsaire, faible, voire inexistante, laisse des hommes inoccupés. L’équipage de l’Aimable Grenot en 1747 illustre cette situation.
115Comme la crise des équipages s’accroît au fil des conflits, l’on est un peu moins regardant sur l’origine et Origine la compétence_ La part des hommes venant des campagnes françaises et celle des étrangers augmentent alors considérablement. Parfois, un capitaine venant d’un autre port amène des hommes de son quartier avec lui. Le capitaine de la Madame, Adrien Langlois, lieutenant de frégate, originaire de Rouen, apporte ainsi 23 hommes de son quartier pour constituer un équipage de 312 personnes.
116Après la Révolution de 1789, la pénurie de matelots est telle qu’elle oblige les armateurs à recourir aux solutions extrêmes pour composer leurs équipages. Ils cherchent donc les hommes loin dans les campagnes et engagent le « tout venant », plus ou moins compétent. La part des étrangers (18 %) et des « campagnards » (30 %) atteint alors son plus haut point. Malgré tout, celle des gens de mer du quartier maritime granvillais reste toujours prédominante.
117Les gens engagés sur les corsaires sont-ils jeunes ? La comparaison de deux équipages différents, l’un corsaire, l’autre terre-neuvier, opérant sur le même navire (le Conquérant de 160 tx) à des dates distinctes (1745 et 1749), montre une différence de quatre années. L’analyse des données explique cette disparité.
118Si l’on compare la partie commune aux deux équipages (officiers majors et mariniers, matelots, novices et mousses), l’équipage terre-neuvier (30,3 ans en moyenne) est plus âgé que le corsaire (27,1 ans). La différence existe, sans toutefois se montrer évidente. La raison de ce phénomène est due à une autre répartition des hommes jeunes et âgés au sein des catégories, selon la logique de recrutement de l’armateur. L’équipage de terre-neuvas se compose d’hommes rodés à la pêche, habitués depuis des années à se rendre en Amérique septentrionale pour travailler durement pendant plusieurs mois. Les matelots et les quelques officiers de commandement, gens très expérimentés après de nombreuses campagnes, emmènent de jeunes mousses et des novices pour leur transmettre leur savoir-faire. Les impératifs de rentabilité incitent alors l’armateur à préférer des hommes endurcis, qui se montreront davantage bons pêcheurs que bons navigateurs.
119Il en va tout autrement sur un corsaire. L’armateur recrute des gens fougueux, prêts à se battre, mais aussi capables de bien manœuvrer un navire préparé pour la vitesse et le combat. Le groupe des volontaires et des soldats répond directement à la logique du combat. Il se compose d’hommes qui manifestent aisément un certain goût de l’aventure, le désir du gain rapide et la fougue nécessaire en raison de leur jeunesse (qualités que l’on peut d’ailleurs retrouver chez les jeunes volontaires classés qui se retrouvent intégrés aux officiers majors). Dans le cas présent, la moyenne d’âge de ce groupe est de 19 ans. Quant aux officiers mariniers (38 ans en moyenne ici), ils sont plus âgés car ils sont recrutés sur des compétences ayant trait à la navigation et à la manœuvre du canon que leur expérience, acquise lors de plusieurs campagnes sur les vaisseaux du roi, a pu leur procurer. Ils constituent désormais « l’épine dorsale » de l’équipage, sur laquelle repose la bonne marche et le fonctionnement du corsaire. L’on tente donc d’allier les qualités de la jeunesse et la compétence technique des anciens.
120Au fil des conflits, l’étude comparative des équipages par l’âge met clairement en évidence, là aussi, un malaise croissant. Si l’on garde les caractéristiques du Conquérant en 1745 comme référence parce qu’elles correspondent à celles du début de la guerre de Succession d’Autriche, prélude à une suite de conflits jusqu’en 1815, l’on mesure mieux l’expression de cette crise à travers les équipages de quelques corsaires pris dans des guerres différentes : le Grand Grenot (1746), le Machault (1757), la Madame (1780) et l’Aimable Flore (1811).
121Indiscutablement, les matelots, les officiers (majors et mariniers) ainsi que les soldats sont engagés de plus en plus âgés, tandis que l’on recrute des novices de plus en jeunes. La catégorie des mousses reste inchangée (14 ans), mais celle des volontaires subit de fortes variations entre 15 et 26 ans. D’une manière générale, les équipages corsaires vieillissent. À l’évidence, les matelots manquent de plus en plus fortement. Toutes ces remarques amènent inéluctablement à considérer ce qui fut le problème essentiel de la marine française, des années 1750 à la chute de l’Empire : la crise des équipages causée par la pénurie des gens de mer.
La crise des équipages
122Depuis le début du XVIIe siècle, lorsque la France voulut développer sa marine de guerre, le problème du recrutement des équipages fut l’éternel casse-tête de la Marine royale. Il n’y eut jamais suffisamment de marins en France, ni pour composer les équipages des vaisseaux du roi, ni pour composer ceux des corsaires. En principe le système des classes, mis au point par Colbert dans les années 1670, devait assurer un recrutement régulier des matelots grâce à une répartition des gens de mer en plusieurs classes et à leur utilisation annuelle à tour de rôle par la Marine royale. Toutefois, ce système fonctionna mal, surtout en période de belligérance104. Dès la deuxième année de conflit, le manque de matelots se manifestait, non seulement dans la Royale mais aussi chez les particuliers qui armaient en course, parce qu’en définitive les gens de mer étaient peu nombreux en France, en tout cas moins nombreux que nécessaire105. L’État puisa donc indistinctement dans toutes classes, leva les meilleurs matelots, interrompit des campagnes corsaires, interdit même la sortie de tout navire (marchand ou corsaire) jusqu’à ce que les navires du roi fussent convenablement équipés en hommes.
123En Angleterre, la façon de recruter les équipages de la Royal Navy se distinguait totalement de la méthode française. En temps de paix, la Navy employait des matelots et des officiers mariniers, qui constituaient le noyau dur de ses équipages. D’après André Zysberg leurs salaires équivalaient à peu près ceux de la marine marchande106. On y ajoutait les soldats. Le déclenchement d’une guerre obligeait à recruter rapidement un grand nombre d’hommes supplémentaires. Les autorités recouraient d’abord à l’engagement de gens de mer volontaires en les attirant avec de l’agent (primes à l’engagement, avance de deux mois de solde, part de prises en cas de capture éventuelle d’un bâtiment ennemi). Au XVIIIe siècle, on prit l’habitude d’élargir le recrutement aux populations des campagnes sans aucun lien avec la mer, les Landmen, mais aussi aux vagabonds, aux hommes incarcérés pour des délits mineurs, ou encore les contrebandiers condamnés, à qui l’on offrait une possibilité de se racheter107. Ils étaient payés 18 shillings par mois, soit 1 shilling de moins qu’un ordinary seaman108. Lorsque ces volunteers faisaient défaut, l’Amirauté anglaise avait pris l’habitude à la fin du XVIIe siècle de procéder à l’impressment, c’est-à-dire à la « presse ». Cette opération consistait à enrôler des hommes par la force et à les escorter contre leur gré à bord d’un Men of war (navire de guerre anglais). Cela pouvait être des déserteurs de la Navy, des marins capturés la nuit dans les tavernes ou à bord de leurs embarcations en mer. « Lors des périodes d’urgence, la flotte de guerre enrôlait sous la contrainte des hommes complètement étrangers à la société maritime109. Le press gang s’en prenait alors aux perturbateurs, aux vagabonds, aux chômeurs, aux hommes isolés dans les granges ou sur les chemins, mais aussi aux passagers des bâtiments pressés en mer. Certaines catégories de gens de mer échappaient à la presse grâce à des exemptions. En principe, les équipages corsaires étaient épargnés. N.A.M. Rodger s’en explique ainsi :
« Afin que les tâches les plus essentielles au pays et l’effort de guerre puissent se poursuivre malgré la presse, de nombreux gens de mer, ou des classes de marins, bénéficiaient de certificats d’exemption, connus sous le nom de “protections”. […] Les protections étaient de deux sortes : celles garanties par une loi votée au Parlement, et celles accordées par l’Amirauté. L’Amirauté, ou les bureaux œuvrant sous son autorité, protégeaient les corsaires, les navires de transport, les chantiers navals et les équipages des différents navires travaillant à son service. Ces protections de l’Amirauté n’étaient normalement valables qu’en mer ; les gens de mer à terre pouvaient légalement être pris110… »
124Cette exemption constituait une différence essentielle avec le système français, car les corsaires anglais ne voyaient pas leurs campagnes interrompues pour débarquer une partie de leurs matelots à la demande de leur Amirauté dans le but de compléter les équipages des vaisseaux de guerre, comme cela se faisait en France. Mieux considérés par les autorités qui reconnaissaient davantage leur nécessité en période de belligérance, au point de ne pas perturber leur évolution, les corsaires anglais pouvaient envisager la constitution et le maintien de leurs équipages avec plus de sérénité.
125La comparaison de ces deux systèmes de mobilisation navale va clairement à l’avantage des Anglais. André Zysberg estime le nombre d’officiers mariniers et matelots français servant sur les vaisseaux du roi à 50 849 en 1687 ; en 1789, il passe à 53 089, ce qui correspond à une progression de 4 % seulement en un siècle. Dans l’Angleterre des années 1690, il y aurait eu 50 000 seamen selon lui, mais ce chiffre serait passé à 118 000 marins britanniques en 1792111. Le stock des marins britanniques était devenu deux fois plus important que celui des Français. N’étant pas confrontés à une pénurie de matelots, les équipages anglais furent de meilleure qualité, tandis que sévissait une crise croissante des équipages en France.
126Les propositions pour améliorer cette situation ne manquaient pas, tel ce mémoire anonyme adressé au ministre de la Marine, conservé aux Archives nationales, qui dénonçait les méfaits du système français de mobilisation navale chez les négociants : forte diminution des armements commerciaux, interruption de certaines activités telles que la pêche morutière et difficulté extrême à composer des équipages corsaires112. L’auteur de ce document, inconnu mais grand connaisseur de la réalité corsaire113, loue l’Angleterre, où « le commerce régit le gouvernement, et l’Amirauté anglaise est presque nécessitée d’y subordonner ses opérations114 ». Selon lui, la nation de ce pays n’accepterait jamais de réduire son commerce et de diminuer ses équipages pour compléter ceux de la Royal Navy. Il dénonce alors les conséquences du système français : « Par quels moyens le gouvernement français peut-il continuer à former cette excellente pépinière de bons matelots que cette branche de commerce [il évoque la pêche terre-neuvière] lui procurait ? Ce ne peut être que par les encouragements des armements en course115. » S’appuyant sur l’expérience des Granvillais pendant la guerre de l’Indépendance américaine, il fonde ainsi son argumentation :
« Pour démontrer la vérité de cette assertion, établissons un fait incontestable. Entre autres ports, il a été construit dans celui de Granville sept corsaires, savoir le Monsieur de 40 canons, la Madame et le Patriote de 36, l’Américaine, le Duc de Coigny et le Daguesseau de 32, et le Prince de Montbarrey de 20. Ces sept corsaires exigeaient environ 1 800 hommes d’équipage. Si, l’hiver dernier, le Gouvernement leur en eut accordé 500 environ et 400 tant en officiers qu’en hors service, il trouvait une ressource de 900 hommes qu’ils auraient formés et rendus propres à remplacer les vides dans la marine car aucun autre armement ne forme plus promptement un matelot que la course et surtout celle d’hiver116. »
127À son regret, cela ne s’était pas déroulé ainsi ; la Royale avait eu la priorité. Il démontre alors l’intérêt de la guerre de course dans la formation des matelots :
« Les corsaires le Monsieur, l’Américaine, la Madame, le Duc de Coigny, le Prince de Montbarrey occupaient environ 1 300 hommes dans leur croisière, et n’avaient pas 300 matelots. Les équipages au sortir de la croisière de ces corsaires étaient amarinés, en état de servir efficacement sur la marine du Roy. Leur tempérament était éprouvé, et différait par conséquent de celui des levées de novices, qu’on a fait et fait encore sur les côtes maritimes, qui, passant quelquefois subitement d’un climat tempéré sous le tropique, ne font qu’augmenter par leur mort la dépopulation des côtes117. »
128Si l’auteur de ce mémoire dit la vérité, la part des matelots (300) de ces cinq corsaires est inférieure au quart des équipages. Cela signifierait que les trois quarts restants auraient été formés à bord. En l’absence des rôles d’armement de ces corsaires, la vérification des chiffres avancés par l’auteur de ce mémoire semble difficile. Sans doute, cette estimation est-elle exagérée. Il n’empêche que le gouvernement prend bien la décision d’arrêter les campagnes de ces corsaires au bout de quarante jours pour prélever une partie de leurs équipages, plus précisément les « nouveaux venus », ce qui prouve la valeur des arguments de cet auteur anonyme. Malgré cela, aucun changement dans le système français de mobilisation navale ne fut décidé.
129La tâche des armateurs français qui désiraient armer en course s’en trouva terriblement compliquée. Comment pouvait-on encore recruter ? Comment pouvait-on faire face à cette pénurie qui s’ajoutait à celle des canons ? Par-delà ces interrogations, se posait tout simplement la question de la poursuite de la guerre de course : devait-on continuer ou arrêter ? Dans chaque port français, les armateurs y réfléchirent. Certains abandonnèrent rapidement l’idée d’un armement, tandis que d’autres, lassés d’attendre toujours que la flotte royale désarme et libère des matelots, imaginèrent diverses stratégies pour continuer l’activité. À Granville, une partie des armateurs décida de continuer la guerre de course (jusqu’en 1811), mais la composition des équipages se modifia singulièrement à partir de la guerre de Succession d’Autriche.
130Au fil des conflits, certaines catégories fonctionnelles évoluent positivement et régulièrement, d’autres de façon surprenante et irrégulière, tandis que celle des mousses reste constante (8 à 10 %). Le pourcentage des officiers-majors, stable de 1744 à 1763 (11 à 12 %) s’élève à 18 % à partir de la guerre de l’Indépendance américaine. Celui des volontaires et celui des novices subissent de fortes variations : entre 5 et 18 % pour le premier et entre 11 et 29 % pour le second. Curieusement, les officiers mariniers et les matelots, bien distincts pendant la guerre de Succession d’Autriche, se retrouvent confondus dans un même groupe dès la deuxième ou troisième année de conflit pendant la guerre de Sept Ans et la guerre de l’Indépendance américaine, ce qui rend difficile leur évaluation respective. Parfois même, l’équipage ne compte plus d’officiers mariniers (c’est le cas de la Sauterelle et de la Défiance en 1780, mais aussi du Duc d’Harcourt en 1781) ou encore de matelots (tels le Prince de Montbarrey et le Monsieur en 1779, où le nombre de volontaires et de novices semble particulièrement important). Paradoxe suprême sur le Duc d’Harcourt, on compte plus d’officiers-majors que de matelots proprement dits (8 matelots, 3 novices, 3 mousses contre 17 officiers-majors). Quant aux soldats, leur présence à bord varie sensiblement selon les navires (certains en ont, d’autres pas) et les conflits (aucun des navires retenus pour la guerre de l’Indépendance américaine n’en compte officiellement à bord).
131Sous l’Empire, les équipages sont très fortement réduits sur des navires de faible tonnage. Les distinctions fonctionnelles y sont de nouveau respectées : on ne fusionne pas les officiers mariniers et les matelots. Du moins, sur le papier. En réalité, il est manifeste, en regardant les rôles d’armement, que l’on y a intégré des gens dont la compétence maritime s’avère souvent discutable. La difficulté à composer un équipage culmine alors et remet parfois en question un armement. Ainsi l’armateur Daguenet, sieur de Hautelande, hésite à se prononcer sur la composition des équipages de deux corsaires, le Rafleur et le Glaneur, qu’il construit en 1808 : « Ils auront 14 ou 20 hommes d’équipage, d’après les facilités ou difficultés de se procurer un chirurgien118. » Ne trouvant pas de solution à sa convenance, il n’armera qu’un seul des deux prévus : le Rafleur, qui pourra compter sur sa petite vingtaine de matelots, en raison de la présence d’un chirurgien à bord. L’extrême instabilité des effectifs au cours des campagnes constitue une autre caractéristique des équipages sous l’Empire : nombreux sont les débarquements – pour raison médicale, pour intégrer les armées napoléoniennes, ou pour d’autre raisons –, les désertions, les défections au moment du départ, les recrutements pour compléter ou remplacer…
132Comment interpréter toutes ces évolutions ? Quelles pouvaient être les méthodes utilisées par les armateurs granvillais pour pouvoir continuer les armements corsaires en dépit de cette pénurie de gens de mer ? La lecture attentive de la correspondance du port de Granville avec le secrétariat d’État à la Marine, mais aussi celle des commissaires ordonnateurs envoyés en Normandie à cette même autorité119, en révèle trois : se montrer peu regardant sur la qualité des gens que l’on engage, afin d’obtenir un nombre suffisant d’hommes ; attirer les gens par le versement immédiat d’avances importantes sur les parts de prise, et enfin promettre aux matelots compétents des gains importants dans le partage des parts de prise à venir. Ces réponses, qui peuvent paraître logiques dans un contexte exceptionnel de crise, ouvraient malgré tout trop souvent la porte à des pratiques extrêmement douteuses, dont les matelots faisaient généralement les frais.
Recruter au détriment de la qualité
133La première réponse consista à recruter du « tout venant » et des gens « délaissés » par la Royale. On y rencontrait aussi bien des matelots épargnés par les levées – parce qu’ils avaient réussi à se cacher pour y échapper ou bien parce qu’ils en revenaient –, des matelots reconnus « hors service » par les commissaires aux classes, en raison de leur grand âge ou d’une infirmité quelconque, des étrangers (au passé inconnu), que des campagnards provenant de Bourgogne, du Périgord, du Bourbonnais (qui découvraient ainsi la mer). Toutes ces personnes se retrouvaient engagées, au gré de l’armateur, comme volontaires ou novices ou « non naviguant » ou « habitants120 ». Il fallait se contenter des hommes qui se présentaient, compétents ou incompétents, aptes ou non à la navigation maritime, des hommes sans expérience qu’il fallait ensuite former dans l’urgence.
134De toute évidence, les armateurs n’hésitaient pas à recruter des invalides, dont la Marine royale, avide de bons matelots, ne voulait pas sur ses vaisseaux parce qu’ils étaient devenus trop vieux ou malades ou infirmes. Leur expérience de la mer pouvait encore rendre de grands services. Du moins, le pensait-on. Néanmoins, si l’on suit la carrière des vingt-huit invalides embarqués, en 1758, sur le Machault (comprenant 248 hommes), à l’aide de la matricule des invalides, l’on peut raisonnablement douter de la compétence de ces hommes.
Personne hors classe | Mentions | Service de 1751 à 1758 |
François Drouet (54 ans) | Tombe du mât. caduc | (2e campagne sur le Machault) |
Joseph Lebuffe (55 ans) | A une espèce de lèpre depuis 24 ans | |
Louis Combrun (45 ans) | Est sujet aux hémorragies du nez et de la bouche | (2e campagne sur le Machault) |
Julien Enée (38 ans) | A le tendon d’Achille coupé | Inemployé de 1751 à 1758. |
Michel Boisvin (64 ans) | Infirme | Inemployé de 1751 à 1758. |
Jean Néel (40 ans) | N’a pas le mouvement du bras gauche libre | Inemployé de 1751 à 1758. |
Jean Le Fèvre (53 ans) | Infirme | Inemployé de 1751 à 1758. |
Clair Richard (49 ans) | Infirme | Inemployé de 1751 à 1758. |
Jean Le Roy (22 ans) | Boiteux de la jambe droite par une chute | Inemployé de 1751 à 1758. |
François Guérin (35 ans) | A les doigts de pied gangrenés et coupés | Inemployé de 1751 à 1758. |
Jean Anquetil (27 ans) | A tous les doigts de pied coupés | Inemployé de 1751 à 1758. |
Melchior Blain (41ans) | A un écoulement d’urine involontaire par un effort en 1747 | Inemployé de 1751 à 1758. |
Jean Combrun (29 ans) | Tombe du mat. Caduc | Inemployé de 1751 à 1758. |
Jacques Quesnel (39 ans) | A une hernie complète du côté gauche | Inemployé de 1751 à 1758. |
François Tanqueray (62 ans) | A des rhumatismes et les dents mauvaises | Participe à diverses campagnes |
Louis Le Capelain (46 ans) | A une hernie complète du côté droit | Campagnes régulières (2e campagne sur le Machault) |
Giles Adelus (48 ans) | Hors d’état de servir suivant le certificat de M. Papin médecin à Brest | Campagnes régulières. |
Pierre Brière (61 ans) | Caduc | Campagnes régulières (2e campagne sur le Machault) |
François de la Lande (62 ans) | Caduc | Campagnes régulières (2 campagnes corsaires) |
Jean Malicorne (29 ans) | A une hernie complète | Campagnes régulières (3e campagne sur le Machault) |
Pierre Daniel (39 ans) | A les écrouelles (c’est-à-dire une adénite tuberculeuse) | Campagnes régulières (2e campagne sur le Machault) |
Henry Lemallier (52 ans) | A une plaie à la région de l’estomac, un bubonocèle (une hernie inguinale) du côté gauche, a été trépané, a les dents cassées et le genou gauche cassé | Campagnes régulières. De retour de prison. |
Julien Piquelin (23 ans) | Tombe du mât. Caduc | Inemployé de 1751 à 1758. |
Pierre Blanchet (53 ans) | A une hernie complète du côté gauche et un bubonocèle du côté droit | Campagnes régulières (2e campagne sur le Machault) |
Michel La Chèvre (57 ans) | A eu le pied et la jambe gauche écrasés | Campagnes régulières (2e campagne sur le Machault) |
Jean Toupet (64 ans) | - | Campagnes régulières |
Olivier Lamort (57 ans) | Est asthmatique, a une plaie considérable au crâne. | Campagnes assez régulières |
Michel Lebuffe (24 ans) | - | ? |
135Sous l’Ancien Régime, les hommes étaient particulièrement endurants et peu enclins à se plaindre. Même bien affaiblis, ils travaillaient encore volontiers, par nécessité et par habitude. Force est pourtant de constater ici qu’ils suscitent plus la pitié que l’admiration. Combien sont « caducs », c’est-à-dire faibles, manquant d’équilibre, prêts à tomber ? Combien ont des hernies, donc incapables de fournir de gros efforts physiques ? Combien sont blessés ou estropiés, malades, prématurément vieux ? Sans doute étaient-ils affectés à des postes où leurs faiblesses étaient ménagées, laissant à d’autres le travail de force ou d’agilité qu’ils ne pouvaient plus mener. La majorité d’entre eux n’ayant aucune spécialité reconnue sur un navire, quelle était réellement l’utilité de ces gens à bord ?
136L’exemple de la Madame de 1780 révèle encore plus le manque de compétence et de qualité des membres de son équipage. Il rassemble en effet de nombreux étrangers, des invalides, des non-classés, de nombreux hommes « sans navigation », des volontaires, des novices et des mariniers sans grande connaissance de la mer qui durent nécessairement recevoir une formation précipitée dès le début de la campagne, avant d’affronter l’ennemi pour lui capturer ses navires.
Catégories | Nombre | Caractéristiques |
Officiers majors | 60 | Le capitaine est un lieutenant de frégate de Rouen. 8 capitaines sont engagés comme seconds ou premiers lieutenants. 18 volontaires deviennent lieutenants, enseignes ou restent simples volontaires. 2 premiers pilotes deviennent premier et second lieutenants. 13 aide-pilotes et 3 non classés deviennent lieutenants ou enseignes. 4 lieutenants viennent de quartiers autres que Granville. On compte encore 1 étranger, 1 aumônier, 1 écrivain, 3 chirurgiens et 1 capitaine d’armes. |
Officiers mariniers | 36 | 12 sont des matelots promus officiers mariniers. 13 sont des invalides déclarés hors-service, 4 aide-canonniers sont « non classés ». 1 étranger de Montréal devient maître-canonnier. 6 de ces officiers mariniers seulement sont des hommes répertoriés comme tels dans la matricule des gens de mer. Les aides canonniers sont surtout des invalides. |
Matelots | 38 | 21 étrangers, 5 « non classés », 2 « hors service », 3 novices, 4 matelots de Rouen dont un estropié, 2 hommes issus de la campagne, 1 second maître d’hôtel. |
Novices | 85 | 39 font leur premier voyage, 1 fait son deuxième voyage, 2 sont cuisiniers, 11 sont mentionnés « sans navigation », 15 arrivent du quartier maritime de Rouen avec un permis, 3 sont immatriculés à Granville. Plusieurs d’entre eux viennent du bassin fluvial de la Loire. |
Volontaires | 62 | Ils viennent de Normandie, des campagnes françaises (Auvergne, Bourgogne, Périgord), de Paris et de sa région, de la côte méditerranéenne, de l’étranger (Pologne, Suisse). |
Mousses | 22 | Tous effectuent leur premier voyage. |
Total | 303 |
137Avant même la première sortie de Granville, 29 des hommes (toutes catégories confondues) de la Madame avaient déjà déserté, provoquant un grand vide dans un équipage déjà bien affaibli par son manque d’expérience aux manœuvres et au combat.
138Nombreux furent donc les armateurs à composer leurs équipages avec des marins aux compétences contestables. Certains d’entre eux espéraient d’ailleurs obtenir plus aisément de l’Amirauté une autorisation de partir en campagne, en raison de ce recrutement de moindre qualité qui ne concurrençait pas celui de la Royale. La veuve Teurterie des Cerisiers demanda, en 1779, une permission pour « mettre en mer le corsaire la Sauterelle de 10 canons, dont l’équipage ne sera composé que de matelots hors de service, de novices et d’étrangers121 ». Le ministère lui refusa pourtant cette permission, aussi longtemps que la Royale n’aurait pas son compte de matelots. Or « les vaisseaux du Roy consommaient des matelots sans jamais en former122 ». Rapidement donc, le gouvernement comprit que son avantage n’était pas à refuser la constitution de ces équipages peu compétents. Ces corsaires constituaient en effet une excellente école, pourvoyeuse de bons matelots aptes au combat, qui ne lui coûtaient rien et dont il pouvait profiter pleinement pour combler les vides sur ses vaisseaux. Tant pis, en la circonstance, s’il fallait pour cela interrompre le cours de leurs campagnes et affaiblir leurs équipages, au point de compromettre sérieusement leurs perspectives de rentabilité. Nicolas Deslandes raconte ainsi :
« Dans les deux sorties que la frégate Madame a faites, elle avait permission de faire la course pendant six mois chaque fois ; elle a été arrêtée à son premier voyage après 44 jours de croisière, et son équipage à peine formé est passé au service de votre Majesté [105 membres ont en effet été arrêtés à Saint-Malo pour compléter les vaisseaux du roi à Brest]. Elle a été arrêtée à son second voyage au bout de 57 jours ; les nouveaux hommes non classés, qui composaient son équipage, devenus très bons matelots sont encore passés au service de votre Majesté123. »
139L’équipage de l’Américaine, dans sa deuxième campagne en 1780, connut pareille mésaventure au bout de 54 jours124. Ils ne furent certainement pas les seuls. Ils continuèrent malgré tout.
140Sous l’Empire, l’engagement du « tout venant » devint encore plus évident. L’équipage de l’Embuscade, durant sa deuxième campagne en 1808, était composé de 14 personnes. Sept d’entre elles étaient des étrangers non répertoriés dans la matricule des gens de mer. Deux autres furent déclarés comme « non navigants ». Un hors service de 33 ans servit de matelot. Le mousse accomplissait son premier voyage. Il restait trois personnes aux compétences normalement reconnues : le capitaine (répertorié comme deuxième timonier dans la matricule des gens de mer), le second (répertorié comme contre-maître dans la matricule) et un matelot quartier-maître. Quatre membres de l’équipage furent assez rapidement débarqués à Saint-Malo au cours des relâches. Deux autres matelots le furent plus tard à l’hôpital de Saint-Malo. Les quatre matelots engagés en remplacement étaient des « non navigants ».
141L’équipage du Grand Dragon, en 1811, composé de 29 hommes, constitue un autre exemple. Le capitaine était un « déporté de Saint-Pierre et Miquelon » et le second un « marchand de Saint-Domingue domicilié à Saint-Médard ». Un bijoutier de Méo, en Maine-et-Loire, devint maître d’équipage, et un boulanger de Coutances capitaine d’armes. Trois Portugais renforcèrent un groupe de six volontaires composé de novices et de réformés. Aucun des cinq matelots n’était immatriculé. Heureusement, les deux mousses et trois des quatre novices semblaient avoir un peu d’expérience en mer puisqu’ils étaient, eux, immatriculés. Est-ce en raison du manque de compétence de son équipage que le lougre fit naufrage dans la nuit du 20 au 21 mars 1812, sur la côte du Rozel, près de Diélette, non loin de Granville ? Sans avoir de certitude, il est tentant de le penser.
142« La rareté des matelots ne permet pas de choisir, on est forcé en quelque sorte d’engager les gens qui se présentent125. » C’est pour pallier ce problème que les armateurs eurent recours à une démarche fondée sur l’appât du gain. En mesuraient-ils tous les effets ?
Attirer par l’argent
143Un an après le début de la guerre de la Ligue d’Augsbourg, en 1689, Louis XIV promulguait une ordonnance dans laquelle il prenait des mesures en faveur des équipages corsaires. Il semblait bien informé du sort des matelots et surtout des difficultés qu’ils éprouvaient à recevoir les parts de prise qui leur étaient dues dans un délai correct par les armateurs. Ceux-ci avaient compris qu’il était de leur intérêt de laisser traîner les choses, soit parce que certaines parts pouvaient ne jamais être réclamées (le bénéficiaire étant mort entre temps ou parti autre part ou dans une incapacité quelconque de réclamer son dû), soit parce que cela leur permettait de négocier à leur avantage une avance auprès des hommes d’équipage dans le besoin. De ces abus naissaient de fréquents conflits entre les armateurs et leurs matelots qui réclamaient non seulement un règlement plus rapide de ces parts de prises, mais aussi une augmentation de leurs gages à cause des risques encourus à bord des corsaires. En conséquence, cette ordonnance de 1689 obligea désormais les armateurs à « faire vendre les vaisseaux pris et leurs marchandises dont ils seront chargés, quinze jours après qu’ils auront reçu les arrêts du Conseil qui les déclarent de bonne prise », mais aussi à améliorer les revenus des équipages126. À cet effet, une échelle de rémunération fondée sur les avances allouées aux matelots sur les parts de prises fut donc proposée :
« Veut Sa Majesté que les loyers des moindres matelots qui, en temps de paix, sont de quatre à cinq écus, puissent aller dans la course jusqu’à six écus au plus ; et que ceux des meilleurs qui étaient de huit à dix écus127, puissent aller jusqu’à quinze écus, avec défense aux capitaines et armateurs de leur en donner davantage, à peine de trois mille livres d’amende128. »
144Rapidement, les marins dont les compétences étaient particulièrement reconnues étaient parvenus à imposer de fortes avances aux armateurs qui souhaitaient les engager. Les premières années de conflit étant passées, le manque d’hommes d’équipage se ressentit de plus en plus. Les matelots, prenant conscience de leur valeur accrue par la disette croissante, en profitèrent pour se vendre au plus offrant. La loi de l’offre et de la demande obligeait les armateurs à leur céder et même à pratiquer une surenchère, s’ils voulaient rapidement armer en course. Les malhonnêtetés se multiplièrent alors de part et d’autre. L’on vit certains armateurs débaucher des hommes, déjà engagés sur des corsaires concurrents, en leur promettant des avances encore supérieures129. L’on vit aussi des matelots se livrer au « libertinage », selon l’expression utilisée par les commissaires des classes pour expliquer le comportement de certains. Cela consistait à quitter un corsaire, sur lequel ils s’étaient engagés, pour s’embarquer sur un autre, sitôt après avoir perçu des avances dans le but d’en recevoir de nouvelles. Il en résultait de sérieux désordres dans les armements et dans les ports, car l’appât du gain aiguisait tous les appétits. Comme ces dérives risquaient de nuire à la pratique de la guerre de course, Louis XIV tenta de les enrayer par un règlement daté du 25 novembre 1693 :
« Les avances considérables, que les matelots exigent des armateurs qui équipent des vaisseaux pour la course, en mettent beaucoup hors d’état d’entreprendre des armements, par la crainte de s’engager dans une dépense excessive, dont il est fort incertain qu’ils puissent s’indemniser, et donnent
145souvent occasion aux matelots de refuser de combattre, et d’obliger leurs capitaines de rentrer dans les ports avant la fin de la course130… » En conséquence, l’article premier fixait un barème maximum des avances allouées par les armateurs, s’échelonnant entre 18 livres pour un mousse nouveau et 150 livres pour le premier maître en vue d’une campagne de quatre mois. Tout dépassement exposait le contrevenant à une amende trois mille livres. L’article III imposait en outre de verser ces avances en deux fois : les deux tiers avant le départ du navire, et l’autre tiers cinq jours après son retour131. Au moment de régler les comptes, lors de la liquidation générale en fin de campagne, ces avances étaient déduites de la part qui revenait à l’homme d’équipage132.
Catégorie | Montant des avancesa |
Premiers et seconds maîtres | 150 livres |
Pilotes, contre-maîtres, maîtres canonniers, maîtres charpentiers, maîtres de prises, capitaines de matelots et capitaines d’armes | 100 livres |
Seconds canonniers et charpentiers, bossemans, calfats, maîtres de chaloupe, voiliers, armuriers, quartiers maîtres, et seconds chirurgiens | 80 livres |
Sergents et matelots à la plus haute paye | 66 livres |
Matelots de moindre paye | 60 livres |
Novices et soldats | 45 livres |
Mousses forts qui ont navigué | 27 livres |
Nouveaux mousses | 18 livres |
146À lire la correspondance avec le secrétariat de la Marine, les plaintes des armateurs étaient fréquentes, car ces avances leur paraissaient « exorbitantes133 », au point de freiner considérablement la guerre de course. La réalité semblait pourtant les contredire car certains d’entre eux, rares il est vrai, reconnaissaient que les matelots étaient mal payés. Le Malouin Goret de la Corbonnais écrivait, en 1691 : « 26 ou 27 livres ne permettent pas aux matelots de laisser quelque chose à leurs femmes après s’être équipés134. » Si impressionnante que la somme globale des avances ait pu paraître, il n’empêche que la somme perçue par chaque matelot pour « se nipper » n’avait objectivement rien d’excessif.
147Manifestement, ce règlement du 25 novembre 1693 n’enraya pas la surenchère et les malhonnêtetés qui s’ensuivaient. Rien ne changea, puisque un mémoire dénonça les mêmes troubles dans le conflit suivant, en 1702 :
« Les officiers mariniers et matelots, étant libres de s’engager ou de ne pas s’engager, demandent des conditions extraordinaires pour les parts, et des avances exorbitantes que l’on ne peut faire qu’avec une dépense excessive que les armateurs ne sont point en état de soutenir, lesquelles grosses avances étant reçues donnent occasion au libertinage et aux désertions, et ont quelquefois été cause que les équipages ont obligé les navires de se rendre sans se battre pour recevoir d’autres avances sitôt qu’ils ont été renvoyé en France135. »
148Lors de la reprise des hostilités en 1744, l’application du barème établi en 1693 parut incongrue à cause de la dévaluation progressive de la livre. Le commissaire de marine Guillot, de Saint-Malo, s’en fit l’écho auprès du secrétariat à la Marine, en 1747. Selon lui, les avances allouées aux matelots corsaires n’avaient rien d’excessif. Bien au contraire ! Leur montant insuffisant pouvait dissuader les gens de mer à s’engager en course :
« Quand je vous ai proposé Monseigneur, de fixer les avances des matelots à 100 et 120 livres dans le nouveau règlement qu’il est important de faire, c’est un esprit de justice qui m’a conduit. Je n’ai pas cru que l’état de matelot qui va à la course dût être moindre que celui qu’on fait à ceux qui s’engagent pour les autres navigations, et au contraire je pense qu’il faudrait le rendre meilleur pour lui donner du goût pour ce métier. […] Les temps sont bien différents. On ne fait pas aujourd’hui avec 40 écus ce qu’on faisait alors avec 20 et tout le monde convient de cette vérité136. »
149Pour étayer sa requête, il proposait alors la démonstration suivante :
« On donne communément 40 livres par mois au bon matelot. Il en exigeait bien davantage et j’ai eu bien de la peine à le réduire à ce taux. Cela lui donne 80 livres d’avances pour 2 mois. Or en fixant ce même matelot à 120 livres pour la course, dont le tiers ne lui sera payé qu’au désarmement et ne le sera point si le navire est pris ou perdu, son état devient pareil aux autres puisqu’il ne recevra à l’armement que 80 livres comme eux. Le matelot qui va aux îles et ailleurs aura au retour de sa campagne 40 livres par chaque mois si son navire n’est point pris ou perdu, et celui de la course, dans ce cas, n’aura au bout de 6 mois que 40 livres restant de ses avances et n’a plus rien à prétendre si chaque part du produit des prises n’excède pas 120 livres. Par ces raisons, Monseigneur, je pense qu’on ne peut pas faire moins de 120 livres aux bons matelots, 100 livres à ceux du deuxième ordre, et 60 livres aux autres. Sur quoi, le tiers sera déduit conformément au règlement de 1693 et aux mêmes conditions de sorte que les premiers ne recevront à l’armement que 80 livres, les seconds 66 livres 13 sols 4 deniers, et les autres 40 livres137. »
150Le sort du matelot corsaire, mal payé et exposé à tous les risques, ne semblait guère enviable, au vu des arguments exposés par le commissaire malouin. Une réforme semblait nécessaire. Or la démarche de Guillot resta vaine pour longtemps.
151Lors de la guerre de l’Indépendance américaine, les dispositions prévues par l’article 25 de la déclaration du 24 juin 1778 (qui précisait le règlement de la course avant même la déclaration officielle des hostilités138) interdirent dès le début les excès et ordonnèrent le retour aux avances fixées par le règlement du 25 novembre 1693. En contrepartie, les avances devaient leur être intégralement payées avant le départ du navire, au lieu des deux-tiers. L’on imagine aisément les difficultés causées dans les ports par ce retour au montant de 1693. Un mémoire non daté et anonyme les résume ainsi :
« La rareté des matelots, presque tous employés au service du Roy, et l’impossibilité d’en trouver au prix fixé par cette déclaration déterminèrent toutes les villes maritimes à adresser des représentations au ministère ; ce ne fut qu’après plus de deux mois de réclamation, que pour y déroger M. de Sartine fit rendre l’arrêt du Conseil d’état du 27 septembre 1778139. »
152Sans lever l’article 25 de la déclaration du mois de juin 1778, le ministre autorisait ainsi d’en suspendre l’exécution jusqu’à nouvel ordre et accordait une liberté provisoire aux armateurs pour établir des conventions de gré à gré avec les équipages140. En d’autres termes, les armateurs furent libres de fixer le montant des avances. Le même auteur anonyme du mémoire, vraisemblablement un amateur, en dénonçait les conséquences : « En vertu de cette liberté provisoire tous les armateurs de corsaires de Granville ont promis à leurs équipages des avances le triple plus fortes que celles fixées par la déclaration de 1778141. » Pour prouver ses allégations, l’auteur de ces propos joint alors à son mémoire un tableau comparatif des sommes reçues par les équipages142. Les dépassements sont effectivement manifestes. Pouvait-il en être autrement ?
153Faute d’archives suffisantes, les pratiques sous la Révolution et l’Empire sont méconnues. Curieusement, il n’existe aucun règlement sur ce sujet pendant cette période143. Les mêmes causes provoquant les mêmes effets, on peut penser que le montant des avances fit l’objet de nouvelles tractations.
154Sous l’Empire, les avances ne sont plus versées en livres, mais en francs144. En principe, seuls, ceux qui en désirent les reçoivent. Dans les faits, ils en demandent tous, même les officiers majors et les volontaires. Le contrat d’engagement sur le Dragon en 1806 montre clairement que ces avances sont convenues individuellement avec l’armateur et le capitaine, devant notaire, et qu’elles sont versées en intégralité immédiatement après la revue du commissaire des classes de la Marine, avant le départ du navire145. Là encore, de grands écarts peuvent s’observer entre ce qui est généralement versé (cf. tableau 51) et ce que peuvent recevoir certains membres d’équipage, à l’image du Rafleur, en 1811 : le capitaine reçoit 3 622,03 francs, son second 3 070,80 francs, et les deux enseignes 1 105,80 et 517,20 francs. Le maître d’équipage obtient 1 025, 80 francs. De leur côté, les matelots touchent 200 à 400 francs pour une campagne de quatre mois.
155Ces « dérives » furent donc permanentes, tout au long de cette Seconde guerre de Cent Ans. Furent-elles importantes à Granville ? L’étude des rôles d’armement et de désarmement corsaires permet d’estimer le montant des avances versées à Granville entre 1744 et 1811. Les sommes indiquées correspondent à un ordre de grandeur moyen146.
156Les avances versées à Granville furent toujours supérieures au montant légal, allant du simple au double, voire au triple. Toutes proportions gardées, les principaux gagnants n’étaient pas forcément les plus gradés. La pénurie plus ou moins forte au sein de chaque catégorie faisait que des matelots pouvaient parfois toucher des sommes plus importantes que certains pilotes, maîtres d’équipage ou officiers… En 1747, sur le Grand Grenot, Guillaume Canivet147, premier lieutenant et interprète, ainsi que Julien Videloup, lieutenant et maitre d’équipage, perçoivent 200 livres, tandis que l’aumônier en touche 250, le maître canonnier 230 et le maître charpentier 260. En 1757, sur le Machault, le maitre de prise Guillaume Mahé reçoit 420 livres et Jacques Hibert, enseigne et maître, seulement 400148. En 1780, le maître d’équipage de la Madame touche 350 livres, mais l’un de ses deux contremaîtres en reçoit 380, trois aide-canonniers 412 et le matelot Julien Hibert 380149.
157Les avances versées à Saint-Malo furent également supérieures au taux préconisé par les règlements de 1693. Janine Lemay y constate en effet « une montée prodigieuse des avances depuis 1744151 ». Dès octobre 1744, l’armateur Beauvais-Lefer dénonce les dérives : « tel canonnier s’est fait payer 400 livres, des matelots 300 livres152 ». En février 1757, c’est au tour de l’armateur Magon de la Lande de se plaindre d’avoir dû verser des avances de 500 à 700 livres153.
158Apparemment, les dépassements ne furent pas partout aussi importants. Pendant la guerre de Succession d’Autriche,
« les salaires semblent avoir été beaucoup moins élevés à Nantes qu’à Saint-Malo… : 350 livres pour un maître d’équipage ou un maître canonnier et allait jusqu’à 200 livres pour un officier marinier ordinaire… Les matelots reçurent de 120 à 80 livres en 1756, mais les années suivantes, les avances varièrent de 160 à 110 livres. Les novices obtinrent de 60 à 45 livres. Les mousses reçurent selon leur âge de 48 à 27 livres154 ».
159Le versement des avances variait donc logiquement d’un port à l’autre selon l’évolution des conflits, la situation géographique dans un blocus imposé par les Anglais et l’intensité des pénuries locales.
Attirer par des promesses de gains importants
160Face à la pénurie d’hommes d’équipage, l’autre réponse des armateurs fut de promettre des parts de prises particulièrement avantageuses, voire supérieures à la norme. Depuis le règlement du 25 novembre 1693 (art. VIII), il était interdit
« à tous armateurs, capitaines, officiers et autres, de régler ni stipuler aucunes parts dans les prises, aux officiers majors, officiers mariniers, matelots, volontaires et soldats, avant l’embarquement, ainsi qu’il s’est pratiqué jusqu’à présent, voulant qu’elles ne soient réglées qu’au retour des vaisseaux, par le capitaine et les officiers majors, à proportion du mérite et du travail de chacun, huitaine après le désarmement, et au plus tôt s’il est possible, en présence de l’écrivain du bord155 ».
161En conséquence, le règlement du 25 novembre 1693, la déclaration du 24 juin 1778 et l’arrêté du 2 prairial an XI exposent le même barème dans la répartition des parts de prises :
Il ne pourra être accordé :
au capitaine.................................................................................................. plus de 12 parts
au capitaine en second........................................................................... plus de 10 parts,
aux deux 1ers lieutenants.......................................................................... plus de 8 parts,
aux autres lieutenants, à l’écrivain, au 1er maître....................... plus de 6 parts, aux enseignes, au maître-chirurgien
et au second maître..................................................................................... plus de 4 parts,
aux maîtres de prises, pilotes, contre-maîtres, capitaines de matelots, capitaines d’armes, maîtres-canonniers et maitres-charpentiers.................................. plus de 3 parts,
aux seconds canonniers, charpentiers, calfats, bossemans, maîtres de chaloupe, voiliers, armuriers, quartiers-maîtres et au second chirurgien..................................... plus de 2 parts, aux volontaires.................................................................................... 1 ou 2 parts au plus aux matelots....................................................................................................... 1 ou 1,5 part,
aux soldats................................................................................................... ½ part ou 1 part,
aux novices.......................................................................................... ½ part ou ¾ de part,
aux mousses........................................................................................ ¼ de part ou ½ part.
Sources : D.-M.-A. Chardon, Code des prises…, 1784, p. 642-643 et Recueil des lois relatives à la marine…, an XII, p. 392-393.
Encadré 6. – Barème officiel de la répartition des parts de prises.
162Or l’examen attentif des rôles d’équipages (où l’on remarque des officiers mariniers devenir lieutenants, contre toute attente) et des règlements de parts révèle que ce barème fut souvent mal appliqué et que les articles d’ordonnances sur la course furent allègrement contournés. Pour avoir tel officier marinier, le capitaine et l’armateur n’hésitaient pas à promettre des parts de prises au-delà de ce qui était permis, et pour que cela fût possible, ils les engageaient comme officiers majors. C’est pour cette raison que l’on retrouve fréquemment des maîtres, des pilotes, des aides-chirurgiens, des aides-pilotes, des maîtres canonniers et autres officiers mariniers, engagés comme lieutenants. Cette « promotion » leur permettait ainsi d’espérer quatre ou six parts de prises – si l’on était enseigne ou lieutenant –, lors de la liquidation générale, au lieu de deux ou trois comme l’imposait le règlement.
163Une lettre du lieutenant général de l’amirauté granvillaise Le Sauvage, datée du 13 août 1780 dénonce les abus de ce procédé. Il fonde sa contestation sur quatre extraits des règlements des parts de corsaires granvillais : le Prince de Montbarrey, le Duc de Coigny, le Monsieur (dans sa seconde course) et l’Américaine (dans sa seconde course).
« Je suis persuadé que vous serez surpris de voir que les armateurs des corsaires ne se conforment point à la déclaration du Roi du 24 juin 1778 en donnant des grades et en les multipliant contre et au préjudice de l’esprit de cette déclaration ; par exemple ils placent toujours dans leurs corsaires des capitaines de pavillon sans y être autorisés par aucune loi. Il est vrai que cette place est ordinairement donnée à un neveu ou à un cousin de la maison. Ils prodiguent très volontiers des grades de premiers et seconds lieutenants, et enseignes, aux premiers et seconds chirurgiens, aux maîtres d’équipages, aux charpentiers, aux pilotes et aux canonniers156. »
164Dans le même registre d’archives, un peu plus loin, un document non signé157 illustre concrètement cette allégation. Il s’agit d’un tableau qui présente un extrait d’un règlement des parts de prises du corsaire l’Américaine en 1778. L’on peut raisonnablement penser qu’il s’agit de l’un des quatre extraits des règlements des parts de corsaires granvillais dont parle Le Sauvage.
Extrait du Règlement des parts de la première course du corsaire l’Américaine | Parts portées par la déclaration du 24 juin 1778 | Règlement des parts |
De la Mare aumônier | 6 | |
Saint Pair, de Blainville, maître de prise | 2 | 3 |
Nicolas Quintelle, second pilote | 2 | 3 |
Le Tellier, maître canonnier | 2 | 4 |
Boistard, 2e canonnier | 2 | 4 |
Raciquot, aide canonnier | 2 | 3 |
Claude Bouvier, capitaine d’armes | 2 | 3 |
Choux, contre maître | 2 | 3 |
Jouanne, contre maître | 2 | 3 |
Richard, maître charpentier et lieutenant | 2 | 6 |
André Le Comte, contre maître | 2 | 3 |
Adam, pilote côtier | 2 | 3 |
Messant, pilote côtier, 1er lieutenant en remplacement | 8 | |
Jean Le fèvre, lieutenant charpentier en remplacement | 2 | 6 |
165La conclusion de l’auteur de ce document se montre alors implacable et difficilement contestable : « Il est aisé de s’apercevoir qu’on ne donne la qualité de lieutenant à des charpentiers ainsi qu’à un pilote côtier, quoique ce soit un homme fort intéressant dans un corsaire, que pour leur procurer plus de parts158. » Le procédé n’est pourtant pas nouveau, puisque l’on peut déjà le constater dès 1745. Sur le Conquérant, en 1746, ce sont cinq aide-pilotes qui deviennent ainsi lieutenants, mais aussi un contremaître qui se retrouve promu lieutenant et premier maître. Était-il déjà pratiqué sous Louis XIV ? En l’absence de rôles d’armement granvillais, il est impossible de l’affirmer. Toutefois, à lire l’article de John S. Bromley sur les équipages des corsaires sous Louis XIV159, il semble bien que le procédé qui consistait à attirer les matelots par des avances importantes ou par des promesses de parts de prises était déjà appliqué, aussi bien à Saint-Malo qu’à Dunkerque. Pourquoi donc Granville échapperait-elle à cette pratique ? Se contentait-on de braver l’interdit en promettant simplement des parts de prises supérieures au barème légal ou contournait-on déjà cet interdit à l’aide de ces « promotions » étonnantes ?
166Le lieutenant général Le Sauvage dénonce les conséquences de ce procédé dans sa même lettre.
« Tous ces grades multiplient les parts à l’infini, ce qui cause un préjudice considérable aux malheureux matelots ; je conviens qu’il y a tels maîtres canonniers, maîtres charpentiers qui ne s’engageraient pas pour trois parts, et que l’armateur est en quelque façon forcé de leur en promettre davantage ; alors c’est à l’armateur de payer de sa poche l’excédent des parts qu’il a promises au-delà du règlement C’est ce qui vient d’être jugé depuis peu de temps dans mon siège. Mais la promesse de l’armateur ne doit nullement préjudicier le tiers de l’équipage, quoique je pense qu’on doit faire une différence entre les premiers maîtres charpentiers premiers canonniers, premiers calfats et les seconds de ce même grade, la déclaration du 24 juin ne fait point de distinction entre ces différents grades160. »
167Cette multiplication des parts entraîne en effet une baisse sensible de leur valeur. Le matelot, le novice et le mousse, qui touchent entre un quart de part et une part et demie, voient de cette façon leurs revenus baisser considérablement, tandis que les officiers mariniers promus officiers-majors voient leurs revenus confortablement augmenter. Le Sauvage, scandalisé, comprend la nécessité d’augmenter les parts aux maîtres, mais il n’admet pas que cela se fasse au détriment des simples matelots.
168L’exemple de la Sauterelle, un lougre de 24 tx armé par la veuve Teurterie des Cerisiers, son fils et compagnie, avec un équipage de 42 hommes161 est éclairant. Le corsaire avait réussi la prise d’un bâtiment anglais, dont la vente avait produit une somme de 4 200 livres, avant d’être lui-même capturé. Contrairement aux principes établis dans l’article 32 de la Déclaration du 24 juin 1778, cinq officiers seulement avaient alors procédé en 1780 au règlement des parts, au lieu de sept. Profitant, sans nul doute, de l’absence de nombreux membres de l’équipage retenus prisonniers en Angleterre et de la crédulité des autres, ils augmentèrent considérablement et illégalement les parts de prise des officiers-majors.
« Le règlement arrêté par l’état-major de la Sauterelle, accorde au capitaine de pavillon qui équivaut le second capitaine, douze parts (tandis que dix parts seulement étaient permises par la Déclaration du 24 juin 1778) ; à un premier Lieutenant, dix [au lieu de huit) ; à deux autres lieutenants, huit (au lieu de six) ; au chirurgien, six (au lieu de quatre)162. »
169Le scandale ne se limitait cependant pas à ce premier abus. Pour compenser cette multiplication des parts, ils diminuèrent d’autant le total des parts attribuées aux matelots :
« On y remarque que deux hommes seulement, sont énoncés comme matelots (au lieu de dix-sept), encore ne leur a-t-on accordé qu’une demi-part à chacun (au lieu d’une ou une et demie permise) ; vingt-cinq individus n’y sont présentés que comme des novices, et à trois d’entre eux, il est accordé une demi-part, le surplus n’est porté qu’à un quart de part163. »
170L’augmentation des parts en faveur de l’état-major et la diminution de celles concédées aux matelots entraînent alors un dérèglement, toujours opéré au détriment des matelots, des novices et des mousses. Les ordonnances sur la course autorisaient en effet les armateurs à donner des avances aux équipages avant la sortie en mer du navire, puis à se rembourser sur le montant des parts de prises après la liquidation générale.
« Mais si les principaux officiers de l’état-major se permettaient d’absorber par leurs répartitions (lors du règlement des parts) la majeure partie de la somme à répartir, il en résulterait nécessairement une diminution pour les matelots qui mettraient les armateurs hors d’état de se rembourser des avances ; et les actionnaires éprouveraient de leur côté un préjudice réel164. »
171Heureusement pour les matelots de la Sauterelle, devant tant de malhonnêtetés, sur la requête du Procureur général au Conseil royal des finances pour les prises, le Conseil d’état du Roi annula par l’arrêt du11 novembre 1781 le règlement des parts et ordonna de procéder à un nouveau règlement en conformité avec la Déclaration du 24 juin 1778 sur la guerre de course165.
172C’est encore, très vraisemblablement, cette promesse de gains importants dans les parts de prises qui se trouve à l’origine d’un curieux phénomène, repérable dès la seconde année de conflit, lors de la guerre de Sept Ans et la guerre de l’indépendance américaine : la fusion du groupe des matelots et de celui des officiers mariniers, opérée sur la plupart des équipages166. Comment expliquer autrement que les armateurs décident de tous les rassembler, sans distinction, dans un même groupe : celui des « officiers mariniers et matelots » ? La logique incite à penser qu’ils faisaient miroiter à chacun la possibilité d’obtenir des parts de prises plus importantes, selon son mérite, et selon la qualité qui lui serait ensuite officiellement et définitivement reconnue au partage des parts. Ce flou leur permettait certaines manipulations dont les matelots devaient être, une fois encore, les victimes. Si les plus méritants pouvaient en effet espérer plus ample récompense, c’était au détriment des autres qui voyaient leur récompense d’autant diminuée. Toutefois, en l’absence de règlement des parts de prises pour de tels équipages, l’on ne peut affirmer avec certitude ce qui reste encore une hypothèse.
173C’est pour éviter pareils abus que l’arrêté du 2 prairial an XI167, qui fixa la nouvelle réglementation pour la guerre de course sous l’Empire, interdit expressément de promettre des parts de prises avant la campagne : « Il ne sera promis, avant l’embarquement, aucunes parts dans les prises […] mais elles seront réglées immédiatement après le retour du corsaire168. » « La fixation des parts de prises ne doit se faire qu’au retour de croisière169. »
174Ainsi, durant cette Seconde guerre de Cent Ans, le recrutement des équipages constitua l’éternel problème pour les particuliers qui désiraient armer en course. Prioritaire dans le choix des matelots et des officiers mariniers, la Royale ne leur laissait que des hommes de moindre compétence. Peut-être n’en allait-il pas ainsi dans tous les ports. André Zysberg pense « que la contrainte des classes pesait probablement moins lourdement sur les matelots originaires des villes portuaires […] tels que Saint-Malo, Nantes, Bordeaux et Marseille, où la “protection” exercée par le groupe des négociants armateurs s’avérait assez efficace170 ». Qu’en était-il à Granville ? Un fait troublant semble aller dans le sens d’André Zysberg : l’armateur Léonor Couraye du Parc donne le nom du commissaire aux classes, Charles Grenot, à ses trois corsaires pendant la guerre de Succession d’Autriche. Serait-ce une façon de remercier cet homme d’avoir bien voulu arranger l’armateur dans la composition de ses équipages en lui laissant des hommes de qualité ? Seule, une étude sérieuse pourrait confirmer ou infirmer toutes ces hypothèses.
175Toujours est-il que les particuliers qui désiraient armer en course durent recourir aux novices, aux mousses, aux hors-classes, aux étrangers et aux volontaires pour remplacer les matelots et les officiers mariniers, levés massivement, qui leur faisaient défaut. Tous les moyens furent utilisés à cet effet. Ni les règlements, ni les avantages consentis aux armateurs ne purent endiguer les dérives qui en résultaient. Le gouvernement dut toujours transiger. L’arrêt rendu par le Conseil d’état, en date du 27 septembre 1778 accordant une liberté provisoire aux armateurs pour établir des conventions de gré à gré avec les équipages sans anéantir l’article 25 de la déclaration du mois de juin 1778 qui interdisait les avances excessives, en constitue un exemple flagrant. Il s’agissait bien d’un aveu d’échec. Acculé à la nécessité de recourir à la guerre de course pour contrer les Anglais, le gouvernement ne pouvait faire autrement que composer avec certaines réalités déplaisantes et fermer souvent les yeux sur certaines pratiques au nom d’un intérêt supérieur.
176Que penser cependant de ces équipages corsaires ? Il semble légitime de s’interroger sur leur qualité réelle. Constitués d’hommes aux compétences très inégales, attirés plus par l’appât du gain que par la volonté farouche d’en découdre avec l’ennemi, trop souvent prêts à déserter ou à se mutiner dès la première occasion, ils ne ressemblent pas aux équipages valeureux dépeints par les artistes dans leurs romans ou leurs tableaux. La réalité fut incontestablement différente, et sans doute décevante pour les esprits romantiques. Un mémoire, non daté, écrit par un anonyme au XVIIIe siècle, en fait une autre description.
« Quel fonds peut-on faire aussi sur des officiers qui n’ont aucune connaissance de la guerre, sur des soldats levés à la hâte, accoutumés à manier la bêche et pour qui le bruit d’un canon est un phénomène. Le nombre est complet ; il suffit : on les embarque sans seulement leur apprendre à charger leurs fusils. Au premier coup de canon, tous sont en déroute ; et cette nombreuse mousqueterie, qui dans un navire est plus utile qu’on ne pense, loin de nuire à l’ennemi, lui devient favorable par la confusion et la terreur qu’elle jette dans le Bâtiment.
On a dans les corsaires une mauvaise manœuvre, c’est de laisser tirer chacun à sa volonté, officiers et autres. Qu’arrive-t-il de là ? Les soldats peu curieux de s’exposer, font semblant de charger et se tiennent à l’abri des bastingages. Les officiers, occupés à tirer, ne voient pas ce que font les soldats ; le feu se ralentit, et il se fait une suspension dont un ennemi habile sait profiter.
Les matelots et les soldats dans les corsaires ne reconnaissent pas assez le pouvoir de leurs officiers. Aussi avons-nous vu que, dans plus d’un combat, les capitaines ont été obligés de se rendre, parce que l’équipage ne voulait pas se battre171. »
177Sans doute, ces propos sont-ils exagérés. L’auteur, désireux de changer la façon française de conduire la guerre de course, dénonce, de cette façon quelque peu caricaturale, la valeur des équipages corsaires lorsqu’ils sont armés et commandés par des particuliers. Il n’empêche que son argumentation ne peut se justifier qu’en s’appuyant sur un fonds de vérité. Ces équipages ne pouvaient être de qualité, puisque la Marine Royale recrutait généralement les meilleurs matelots pour composer ses propres équipages, ne laissant que le reste aux particuliers. Ceux-ci faisaient de leur mieux. Parfois, certains navires restaient longtemps à quai, faute d’équipages suffisamment fournis, d’autres ne sortirent jamais du port pour les mêmes raisons. Ce fut peut-être la carence en hommes, a fortiori compétents, qui freina dans bien des ports français l’expansion de la guerre de course au XVIIIe siècle.
178Pourtant, certains hommes valeureux réussirent à se frayer un chemin et à tirer très honorablement leur épingle du jeu. Parmi d’autres, le capitaine Julien Deshayes fut de ceux-là. Fils d’un maître de barque, il est né à Granville en 1708. Matelot à 10 livres en 1740, il participe à une campagne de pêche à Terre-Neuve en 1741. L’année suivante, il obtient un permis pour embarquer le 20 mai au Havre sur un navire d’où il déserte. En 1744, absent à la revue d’avril, il est signalé « errant et vagabond172 ». Il a 35 ans. En ce début de guerre, son parcours n’a donc rien d’admirable. Pourtant il est engagé, le 8 juillet, comme second capitaine sur le corsaire Charles Grenot. Les raisons de son choix à ce poste demeurent inconnues ; il n’appartient pas à la famille de l’armateur, Léonor Couraye, sieur du Parc. Reçu capitaine par les officiers de l’Amirauté granvillaise173, le 10 janvier 1745, il reçoit aussitôt le commandement du même bâtiment, avec lequel il mène une brillante campagne avant de naufrager à l’île de Batz, le 19 mars 1745, sur la côte de Morlaix174. Par la suite, à une exception près, il ne commande plus que des corsaires jusqu’à la fin de la guerre de Succession d’Autriche. C’est d’abord la Revanche, à deux reprises, avant d’être fait prisonnier en 1747. A son retour d’Angleterre, on lui confie la Nymphe, qui naufrage en novembre 1747 en évitant l’ennemi qui le poursuivait. En 1748, il finit la guerre à bord du Vigilant175. Cet homme, indiscutablement, aimait la course et sut profiter intelligemment des circonstances pour sortir du lot des matelots et accomplir son ascension sociale.
179Son capitaine en second sur le Charles Grenot en 1745, Jacques Le Grentel, eut un parcours assez similaire, bien que moins brillant. Matelot à 10 livres en 1740, il est donc engagé comme second sur le Charles Grenot en 1745176. Il a alors 33 ans. Il est ensuite levé pour une campagne sur les vaisseaux du roi, puis de nouveau engagé comme second sur un navire du commerce, la Pénélope, capturée par les Anglais, De retour de prison, il est levé en 1747 pour une autre campagne comme pilote à 40 livres. Le 6 janvier 1748, il finit par être reçu capitaine.
180La course, en dépit de la mauvaise qualité de ses équipages, ou peut-être grâce à cette mauvaise qualité qui permettait aux plus intelligents et aux plus valeureux de se mettre en valeur, a indéniablement joué un rôle d’ascenseur social.
Notes de bas de page
1 A. Zysberg, « Les équipages de la Royale au temps de Jean Bart », Revue historique de Dunkerque et du littoral, coll. Jean Bart et son temps, no 37, janvier 2004, p. 82.
2 M. Acerra et A. Zysberg, L’essor des marines de guerre européennes…, op. cit., p. 220.
3 S. Llinares, « Équipages, conception et manœuvre du gréement sur les navires de guerre français au XVIIIe siècle », L’équipage du navire antique aux marines d’aujourd’hui. Actes du colloque organisé sur l’île de Tatihou du 13 au 15 mai 1999, E. Barre et A. Zysberg (dir.), Saint-Lô, p. 287 et p. 290.
4 D. J. Starkey, British privateering enterprise…, op. cit., p. 38-40.
5 Ibid., p. 317.
6 L’auteur établissait ce constat dans un article qui concernait la guerre de Succession d’Espagne. Le sentiment qui se dégage toutefois en lisant les nombreux rapports conservés dans les diverses archives françaises, fait élargir ce rapport homme/tonneau aux autres guerres du XVIIIe siècle. Même s’il s’agissait d’embarcations différentes, d’un tonnage légèrement supérieur, les équipages semblaient bien fournis.
7 J-S. Bromley, « The Channel Island Privateers », Corsairs and Navies…, p. 352.
8 R.-J. Valin, Nouveau commentaire sur l’ordonnance…, op. cit., t. 1, p. 513.
9 AN, Marine, B3 89, f° 194.
10 R-.J. Valin, Nouveau commentaire sur l’ordonnance…, op. cit., t. 1, p. 513.
11 SHDM Cherbourg, 12P4 25, no 37.
12 L’article II du règlement du 25 novembre 1693 pour les officiers, matelots et soldats des vaisseaux armés en course précise : « À l’égard des officiers majors, il n’auront aucunes avances, de même que les volontaires » (D-M-A. Chardon, Code des Prises…, op. cit., t. 1, p. 146).
13 SHDM Cherbourg, 12P4 35, no 34. Cette avance est calculée pour quatre mois de campagne.
14 SHDM Cherbourg, 12P4 59, no 25.
15 AN, fonds ancien, G5 228 no 25.
16 Ordonnance de la Marine, août 1681, livre second, titre III, art. 2.
17 Ibid., livre second, titre III, art. 2.
18 AN, Marine, B3 107, f° 97-98.
19 AN, Marine, B3 120, f° 218.
20 R. Challe, Journal d’un voyage fait aux Indes orientales (1690-1691), Paris, Mercure de France, 1983, t. 2, p. 79-80.
21 G. Rouvière, Pathologie et thérapeutique à bord des vaisseaux de la marine de Louis XVI, thèse de chirurgie dentaire, Montpellier, 1993, p. 51.
22 R. Challe, Journal d’un voyage fait aux Indes orientales…, op. cit., t. 2, p. 181.
23 G. Rouvière, Pathologie et thérapeutique…, op. cit., p. 77-88.
24 Ibid., p. 84-85.
25 G-R Pléville Le Pelley, Mémoires d’un marin granvillais…, op. cit., p. 36-37.
26 AN, Marine, C4 145, lettre datée du 16 février 1780.
27 AD50, 227 J 14, liasse non foliotée. Parmi ces hommes, se trouvent des volontaires, des officiers mariniers, des matelots et des novices. La différence du montant de la dette correspond à une durée différente de présence à bord du corsaire. La mention « armée par le commerce » montre que, dans le port militaire de Lorient, ce bâtiment a été armé par des particuliers en course et non pas par la Marine royale. En outre, il est difficile de tirer des statistiques sur le nombre d’hommes atteints de maladie vénérienne. L’effectif de l’équipage, passant de 350 à 401, varie en effet fortement à la suite d’une interruption de campagne décidée par le gouvernement, au bout de 40 jours, afin de compléter les équipages des vaisseaux de Sa Majesté. Faute de renseignements suffisants sur le rôle de désarmement, il est difficile de savoir les départs, les arrivées et les durées de présence. D’autre part, il se peut fort bien que d’autres membres d’équipage aient eu recours aux soins du chirurgien sans avoir contracté de dettes.
28 En 1745, le Conquérant (160 tx, 237 hommes d’équipage) ne compte pas moins de 4 chirurgiens (tous officiers majors).
29 AN, AD VII 45, décret du 2 prairial de l’an XI sur les armements en course.
30 M-T de Martel, Étude sur le recrutement des matelots et soldats des vaisseaux du Roi dans le ressort de l’intendance du port de Rochefort (1691-1697). Aspects de la vie des gens de mer, Vincennes, éd. SHM, 1982, p. 253.
31 Ibid., p. 255.
32 Ibid., p. 255.
33 Vial du Clairbois, Encyclopédie Méthodique, Marine, Paris, Panckoucke, 1783, t. 2, article matelot, p. 715.
34 AN, Marine, B2 et B3, passim.
35 AN, Marine, B3 415, f° 180.
36 AN, Marine, C5 54, f° 119. Police sur les navires terre-neuviers. Selon le Nouveau glossaire nautique d’Augustin Jal (fascicule C, article cercle, p. 243), un « cercle est un mot du langage courant appliqué en langage maritime à des liures ou des garnitures, généralement en bois ou en fer ».
37 AN, Marine, C5 60, f° 411-417.
38 Il parle de son prédécesseur.
39 AN, Marine, B3 415, f° 180.
40 Ce problème est évoqué à la fin du chapitre 6, dans la partie intitulée « Les rapports entre les officiers d’amirauté et les armateurs corsaires ».
41 AN, Marine, B3 251, f° 167.
42 Ils représentent 61,3 % des 711 mousses étudiés. Cette enquête est consultable sur le site du CRHQ.
43 R-. J. Valin, Nouveau commentaire…, op. cit., t. 1, p. 509.
44 N. Aubin, Dictionnaire de Marine contenant les termes de la navigation et de l’architecture navale, Amsterdam, chez Brunel, 1702, notice Mousse, p. 573.
45 Augustin Jal, Glossaire nautique…, op. cit., notice Mousse, p. 1021.
46 G.-R. Pléville Le Pelley, Mémoires d’un marin granvillais…, op. cit., p. 23-26.
47 R-. J. Valin, Nouveau commentaire…, op. cit., t. 1, p. 509.
48 SHDM Cherbourg, 12P4 26, no 55.
49 Dictionnaire d’histoire maritime, M. Vergé-Franceschi (dir.), Paris, éd. R. Laffont, 2002, notice Volontaire, p. 1492.
50 G.-R. Pléville Le Pelley, Mémoires d’un marin granvillais…, p. 22-23.
51 Le détail sur l’origine sociale des 168 volontaires répertoriés entre 1739 et 1750 est consultable sur le site du CRHQ.
52 SHDM Cherbourg, 12P3 55 et 86.
53 SHDM Cherbourg, 12P4 89, no 15.
54 SHDM Cherbourg, 12P4 36, no 29.
55 SHDM Cherbourg, 12P4 90, no 9.
56 AN, Marine, C4 145, lettre de M. Mistral au secrétaire d’État à la Marine datée du 25/07/1780.
57 Ibid., lettre de M. Clouet datée du 27/07/1780.
58 SHDM Cherbourg, 12P4 111, no 3.
59 Recueil des lois relatives à la marine et aux colonies, tome 13, Paris, Imprimerie impériale, an XII, p. 365.
60 AN, Marine, C4 152, lettre du 24/04/1784.
61 SHDM Cherbourg, 12P4 35, no 34.
62 A. Zysberg, « Les équipages de la marine royale autour de 1690 », Tourville et les marines de son temps. Actes du colloque tenu aux archives départementales de la Manche du 10 au 12 septembre 2001, Saint-Lô, AD de la Manche, p. 27-45.
63 SHDM Cherbourg, 12P4 24, no 37, 12P4 25, no 38 et 12P4 26, no 25.
64 SHDM Cherbourg, 12P4 27, no 4.
65 Pendant la guerre de l’Indépendance américaine, il avait commandé la Sauterelle, un lougre de 24 tx armé à Granville par la veuve Teurterie des Cerisiers et son fils de mai à août 1980.
66 AN, Marine, G144, no 38. Le passage souligné figure ainsi dans l’original.
67 La moyenne d’âge des 91 capitaines ayant commandé un terre-neuvier en 1743 est de 39 ans ; celle des 69 capitaines, en 1744, est également de 39 ans (SHDM Cherbourg, 12P4 22 et 23).
68 Ordonnance de la Marine du mois d’Août 1681…, op. cit., livre II, titre I, art. 1er.
69 AN, Marine, B3 211, f° 317, 319, 320.
70 SHDM Cherbourg, 12P3 2, f° 51. Il a été trois fois prisonnier avant de prendre le commandement de la Fidèle, elle-même capturée. Il est donc prisonnier une quatrième fois, et emmené à Plymouth.
71 AN, G5 249, f° 538 et 550.
72 R.-. J. Valin, Nouveau commentaire…, op. cit., t. 1, p. 376, Règlement du 15 août 1725.
73 Ibid., t. 1, p. 383, Lettre du roi datée du 24/03/1746.
74 SHDM Cherbourg, 12P3 87, f° 189, no 1134.
75 L’Huître fut capturée par les Anglais et le Zélande disparut en mer. Quant à l’Entreprenant, son unique campagne ne fut que modestement bénéficiaire.
76 AN, Marine, C4 144, lettre adressée le 26/11/1779 par le commissaire des classes Eustache au secrétaire d’État à la Marine.
77 AN, Marine, C4 144, lettre du 26 novembre 1779.
78 Ibid.
79 AN, Marine, B3 445, f° 165.
80 Ibid.
81 AN, Marine, B3 55, f° 215.
82 AD50, fonds Forterie-Valmont, 227 J 12, document non folioté daté du 25/11/1779.
83 AN, Marine, C4 230, f° 148-151.
84 AN, Marine, B3 428, f° 354.
85 AN, Marine, F2 12, f° 446-452.
86 AN, AD VII 7 B, Code des prises, t. 2, p. 642, Déclaration du 24 juin 1778, article 25. Notons que le règlement du 2 prairial an XI, qui reprécise le règlement sur la guerre de course au début des guerres de l’Empire, ne donne aucune précision à ce sujet.
87 AN, AD VII 8 a, no 106, Arrêt du 27/09/1778. La tradition de verser les avances en deux fois resta donc en vigueur à Granville.
88 Ibid., f° 149.
89 AN, Marine, C4 230, f° 150.
90 AN, Marine, C4 230, f° 149-150.
91 AN, Marine, C4 144, Mémoire.
92 Ibid.
93 AN, Marine, C7 85, dossier Deslandes.
94 SHDM Brest, 2Q 84, États des corsaires armés dans le quartier de Granville depuis la reprise des hostilités, 1807 et 1808.
95 Musée du Vieux Granville, HH3 84, contrat du Dragon. Il en existe un autre, conservé par les archives départementales d’Ille-et-Vilaine. Un équipage, entièrement composé de Granvillais et de gens de mer des environs, fut en effet engagé sur un corsaire malouin, la Bohémienne, en 1806. Le 21 février, un contrat d’engagement avait ainsi été passé devant le notaire granvillais, Le Graveren, entre les armateurs malouins (représentés par des négociants granvillais) et les membres de l’équipage. La durée de course prévue était de deux mois (AD35, 2UM 11).
96 Ibid. L’on ne sait toutefois si cette close fut appliquée, ni comment.
97 L’écu est une pièce apparue par un édit de septembre 1641. D’une valeur initiale de 3 livres tournois (60 sols), son cours passa à 6 livres en 1726. Comme cette lettre est écrite en 1693, 60 écus valent 180 livres pour une campagne qui dure (en principe) 4 mois. Cela représente donc 45 livres par mois. Si le commissaire général de Gastines dit la vérité, un matelot corsaire gagnait beaucoup plus qu’un tisserand ou un manouvrier à la fin du XVIIe siècle. Cela ne faisait pourtant pas de lui un riche.
98 Querelle d’Allemand : mauvaise querelle, faite sans sujet ou pour un sujet insignifiant (soit d’après la réputation des Allemands d’être des querelleurs après boire, soit d’après les conflits répétés entre les petits princes allemands).
99 AN, Marine, B3 75, f° 222.
100 Ibid., f° 310.
101 Soit parce qu’ils revenaient d’une campagne sur les vaisseaux du roi, soit parce qu’ils étaient devenus invalides, c’est-à-dire inaptes au service du roi à cause de l’âge ou de la maladie ou d’une infirmité.
102 En 1692, la paye mensuelle d’un matelot s’échelonnait de 9 et 15 livres (A. Zysberg, « Les équipages de la marine royale autour de 1690 », Tourville et les marines de son temps…, p. 39). En 1786, un matelot de haute paye touchait 21 livres tournois par mois, un matelot de moyenne paye 18 livres et un matelot de basse paye 16 livres (A. Zysberg, L’essor des marines de guerre européennes…, p. 165).
103 Pour plus de lisibilité, les décimales des pourcentages ont été supprimées. Par conséquent, le pourcentage 0 % signifie ici une valeur comprise entre 0 et 1 %.
104 T. J. A. Le Goff, « Problèmes de recrutement de la marine française pendant la guerre de Sept Ans », Revue historique, 1990, p. 205-232.
105 Dans sa thèse, à la page 151, A. Martin-Deydier cite un mémoire daté de 1690 (AN, Marine, B3 60, f° 143. Lettre de Lempereur) qui estime le nombre de matelots classés à 55-56 000 à cette date. Toutefois André Zysberg redresse cette estimation à 50 689 gens de mer véritablement mobilisables en 1687 (M. Acerra et A. Zysberg, L’essor des marines de guerre…, op. cit., p. 186-187). Cela reste bien peu au regard des armées terrestres de cette époque. En s’appuyant sur les travaux d’André Corvisier (A. Corvisier, L’armée française de la fin du XVIIe siècle au ministère de Choiseul, 1964, CNRS, t. 1, p. 55), l’on peut estimer la proportion d’un matelot mobilisable pour quatre soldats, vers 1700.
106 M. Acerra et A. Zysberg, L’essor des marines de guerre…, op. cit., p. 139.
107 N.A.M. Rodger, The wooden world, an Anatomy of the Georgian Navy, Anapolis, 1986, p. 158.
108 A. Zysberg a comparé les salaires nets des matelots dans la Royal Navy et dans la Marine Royale en 1786 (M. Acerra et A. Zysberg, L’essor des marines de guerre…, op. cit., p. 165). Après conversion de la monnaie anglaise en livres tournois, il obtenait les résultats suivants : le matelot anglais recevait 19,8 livres s’il était de basse paye, 21 livres s’il était de moyenne paye et 27 livres s’il était de haute paye, tandis que leurs homologues français recevaient respectivement 15,7 livres, 17,7 livres et 20,6 livres. La comparaison indique donc un avantage pécuniaire chez les matelots Anglais.
109 M. Acerra et A. Zysberg, L’essor des marines de guerre…, op. cit., p. 145.
110 N.A.M. Rodger, The wooden world…, op. cit., p. 177.
111 M. Acerra et A. Zysberg, L’essor des marines de guerre…, op. cit., p. 135 et 187.
112 AN, Marine, G144, no 25, Réflexions sur les encouragements de la course. Sans doute, ce mémoire non daté a-t-il été écrit en fin 1780.
113 Cet homme, qui interpelle le ministre de façon très argumentée, connaît visiblement très bien Granville, mais il prend aussi du recul pour donner son sentiment sur le fonctionnement et l’intérêt de la guerre de course en citant Nantes, Bordeaux, Bristol, Liverpool… Est-il un armateur granvillais ? Un officier des classes ? Ou même un intendant d’une généralité ?
114 AN, Marine, G144, no 25.
115 Ibid.
116 Ibid.
117 Ibid.
118 SHDM Cherbourg, 12P2 1, lettre adressée le 3 février 1808 au commissaire principal de Saint-Servan.
119 Très souvent le commissaire ordonnateur, qui habitait au Havre, rapportait au secrétaire d’État à la Marine ce qu’il se passait dans les ports de sa circonscription, sur la foi des commissaires aux classes qui les renseignaient précisément sur le fonctionnement des sièges locaux d’Amirauté, les agissements des armateurs, l’évolution des affaires, divers incidents, etc. La correspondance de ces hommes est précieuse dans la mesure où elle dénonce régulièrement des malhonnêtetés et des abus commis par les uns ou les autres, souvent d’ailleurs à l’encontre des matelots.
120 La différence entre « non naviguant » ou « habitants » reste encore à déterminer.
121 AN, Marine, F2 46, lettre du 26/07/1779.
122 Propos écrits en 1779 par G-R Pléville Le Pelley, alors officier bleu, cités par M. Perrichet, « Contribution à l’histoire sociale du XVIIIe siècle. L’administration des Classes de la marine et ses archives dans les ports bretons », RHES, vol. XXXVII, 1959, no 1, p. 100.
123 AN, Marine, C7 85, dossier Deslandes.
124 AN, Marine, G144, no 22.
125 Ibid.
126 D.-M.-A. Chardon, Code des prises…, op. cit., p. 101.
127 Trois écus valaient alors une livre tournois. Cette ordonnance indique donc que le revenu mensuel d’un matelot moyen était de 12 à 15 livres par mois en temps de paix dans les années 1680, et qu’il était autorisé de l’élever à 18 livres dans la course. Celui d’un matelot de haute paye, ordinairement payé entre 24 et 30 livres, pouvait alors atteindre 45 livres.
128 D.-M.-A. Chardon, Code des prises…, p. 101.
129 AN, Marine, B3 115, f° 544.
130 AN, AD VII 8 a, no 24, Règlement du 25/11/1693.
131 Ces conditions de versement restèrent valables jusqu’en 1778.
132 Si le montant des avances dépassait le produit des prises, cela constituait une perte sèche pour l’armateur, car l’équipage n’avait pas à rembourser ces avances.
133 AN, Marine, série B3, passim.
134 AN, Marine, B3 63, f° 141.
135 AN, Marine, G144, no 4.
136 BNF, Manuscrits, N.a.f. 9401, f° 361.
137 Ibid.
138 D.-M.-A. Chardon, Code des prises…, op. cit., p. 634-655.
139 AN, Marine, G144, no 22.
140 D.-M.-A. Chardon, Code des prises…, p. 697-698, Arrêt du Conseil d’État du Roi, daté du 27/09/1778, concernant les avances à faire par les armateurs, aux équipages des corsaires.
141 AN, Marine, G144, no 22.
142 Ibid.
143 Ce constat est fondé sur la lecture du Code des prises et du commerce écrit par F. N. Dufriche-Foulaines, op. cit.
144 La loi du 28 thermidor an III (15/08/1795) a donné à la France une nouvelle unité monétaire : le franc. Huit mois plus tard, la loi du 25 Germinal an IV (14/04/1796) décide l’équivalence du franc et de la livre.
145 Musée du Vieux Granville, HH3 84, contrat du Dragon, art. 10.
146 Le nombre inférieur avancé dans ces fourchettes correspond aux minima payés par les armateurs, mais le nombre supérieur peut parfois être dépassé sur certains bâtiments. S’il reste exceptionnel, il n’est pas indiqué dans ces calculs afin de ne pas fausser l’impression générale.
147 Guillaume Canivet figure dans la matricule des capitaines (SHDM Cherbourg, 12P3 43, f° 21, no 81), Julien Videloup est enregistré dans la matricule des matelots.
148 SHDM Cherbourg, 12P4 69 no 27.
149 SHDM Cherbourg, 12P4 90 no 9.
150 Le rôle d’armement de la Madame (armée en avril 1780) est le seul à notre disposition concernant la guerre de l’Indépendance américaine. Les rôles de désarmement existant n’indiquent pas le montant des avances versées aux équipages. Il est toutefois possible de connaître les versements pratiqués à l’aide du Mémoire sur la Course relatant les ordonnances de Louis XIV… (AN, Marine, G144, no 22), déjà citée.
151 J. Lemay, La guerre de course à Saint-Malo sous Louis XV…, op. cit., p. 22.
152 AN, Marine, B3 428, f° 378. Ces avances correspondent toujours à des campagnes de quatre mois.
153 AN, Marine, B3 537, f° 402.
154 P. Villiers, Marine royale, corsaire et trafic…, op. cit., p. 347.
155 D.-M.-A. Chardon, Code des prises…, op. cit., p. 144-152.
156 AN, Marine, F2 72, no 149.
157 AN, Marine, F2 72, f° 201.
158 Ibid.
159 J. S. Bromley, Corsairs and Navies…, op. cit., p. 167-186.
160 AN, Marine, F2 72, no 149.
161 Selon le rôle d’armement (SHDM Cherbourg, 12P4 90, no 42), l’équipage de 42 hommes comprenait 16 officiers-majors, 17 matelots, 6 novices et 5 mousses.
162 D.-M.-A. Chardon, Code des prises…, op. cit., p. 1007-1010.
163 Ibid., p. 1008.
164 Ibid., p. 1007-1010.
165 Ibid.
166 Ce fut le cas pour le Chevalier d’Artezé (1757 et 1758), le Comte de la Rivière (1757), le Marquis de Marigny (1758 et 1759), le Machault (1758), le Duc de Coigny (1780), l’Américaine (1780) et la Madame (1780).
167 Recueil des lois relatives à la Marine et aux Colonies, t. 13, an XII, arrêté no 104, p. 362-407.
168 Arrêté du 2 prairial an XI, Titre II, chap. V, art. 99.
169 Ibid., art. 110.
170 A. Zysberg et M-C Varachaud, « Les équipages de la marine royale autour de 1690 », Tourville et les marines de son temps., op. cit., p. 44-45.
171 AN, Marine, G144, no 18.
172 SHDM Cherbourg, 12P3 45, f° 55, no 326.
173 L’article 1er de l’ordonnance de 1681 précisait ainsi les conditions d’examen : « Aucun ne pourra ci-après être reçu capitaine, maître ou patron de navire, qu’il n’ait navigué pendant cinq ans, et n’ait été examiné publiquement sur le fait de la navigation, et trouvé capable par deux ancien maîtres, en présence des officiers de l’Amirauté et du professeur d’hydrographie, s’il y en a dans le lieu. » (Ordonnance de la Marine du mois d’Août 1681, Paris, chez Osmont, 1714, Livre 2e, titre 1, art. 1er, p. 123.)
174 SHDM Cherbourg, 12P4 24, f° 8 et 12P4 58, f° 15.
175 SHDM Cherbourg, 12P3 43, f° 24, no 93.
176 SHDM Cherbourg, 12P3 45, f° 62, no 372.
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