Chapitre X. L’armement corsaire
p. 275-331
Texte intégral
1Lorsqu’un armateur décide d’entreprendre une campagne de course, son premier souci réside dans le choix du navire, qui va lui permettre de mener au mieux son entreprise, et dans la stratégie qu’il compte mettre en place pour arriver à ses fins. Puisque la course ressemble à une loterie, jusqu’où peut-il aller ? Il s’agit non seulement de déterminer la zone d’intervention, mais aussi d’identifier clairement le type de navire que l’on veut capturer et d’estimer les risques. L’idéal serait de rencontrer des Indiamen sur le retour, des vaisseaux lourdement chargés d’épices… quoique généralement bien pourvus en moyens de défense. La taille du navire, l’importance de son artillerie et de son équipage sont alors déterminantes pour les attaquer. Choisira-t-il un gros qui lui coûtera beaucoup d’argent à la construction et en armement et qui l’obligera, par conséquent, à engager un équipage important ? Ou un autre aux dimensions plus modestes, aux investissements limités ? Les petits présentent l’avantage de ne pas être repérés de trop loin et de ne pas offrir une large cible aux canons d’un adversaire agressif. Néanmoins, si leurs dimensions sont trop réduites, leur rayon d’action sera d’autant plus limité et les perspectives de gains peu prometteuses. Les gros, plus autonomes, permettent de naviguer plus loin et d’attaquer des adversaires plus puissants dont les cargaisons sont plus riches. Dans tous les cas, ce navire devra logiquement être rapide, léger et manœuvrant pour pouvoir fondre sur l’ennemi ou fuir devant un « marchand de boulets » trop puissant. Doit-il utiliser un bâtiment déjà existant ou en construire un nouveau, spécialement conçu à cet effet ?
2L’artillerie constitue le second souci d’un armateur corsaire, tout aussi préoccupant, tant son importance paraît essentielle dans le choix du navire, sa conception, son aménagement, et même dans la composition de l’équipage. Il faut adapter la structure de la coque au nombre de canons, trouver le bon emplacement de la batterie en fonction du nombre, du poids et du calibre des bouches à feu, sans fragiliser la coque, ni déstabiliser le vaisseau, ni trop le ralentir, car l’on déplore trop fréquemment les corsaires mal conçus, trop lourds, qui se révèlent « mauvais marcheurs ». Seule une haute compétence de la part des constructeurs navals, fondée sur une expérience éprouvée, permet donc un agencement habile. Enfin, se pose le problème de la fourniture des canons : comment s’en procurer en nombre suffisant et du calibre désiré ? La hauteur des investissements possibles et l’importance des risques acceptés, en fonction d’une stratégie mûrement réfléchie, détermineront donc l’armateur à tout mettre en œuvre pour préparer cet armement. De ces choix, lourds de conséquences, dépendent le succès de l’entreprise et le destin de l’équipage entier. Comment les Granvillais abordèrent-ils ces obstacles au fil des conflits ? Reprenant l’ordre de ces préoccupations, l’étude des navires précèdera celle de l’artillerie.
3L’examen minutieux des bâtiments utilisés par les Granvillais déterminera s’ils adaptaient leurs terre-neuviers ou s’ils en construisaient des neufs pour se livrer à la guerre de course. L’analyse du tonnage et des types de bâtiments, étayée par une référence à quelques corsaires aux caractéristiques connues, déterminera les préférences granvillaises et leur évolution entre la guerre de la Ligue d’Augsbourg et l’Empire. Corollaire insolite de cette démarche, une attention sera portée aux noms attribués à ces bâtiments corsaires. Révèlera-t-elle quelques indications sur l’état d’esprit des Granvillais en période de belligérance. Un esprit guerrier ou revanchard les animait-il ?
4Enfin, une réflexion sur la difficulté des particuliers à s’armer correctement, suivie de l’examen d’une correspondance évoquant la stratégie développée par certains armateurs pour contourner les effets d’une pénurie de canons serviront de préambule à une étude de l’artillerie utilisée par les corsaires granvillais de 1744 à 1811.
Le navire
Les bâtiments habituellement utilisés
5Une grande enquête, entreprise par Colbert en 1664 pour connaître avec précision le nombre de navires existant en France1, montre que l’importance de la flotte granvillaise paraît modeste au milieu du XVIIe siècle : l’on dénombrait seulement 29 bâtiments, de petit et de moyen tonnage, dans l’étendue du quartier de son Amirauté2.
6La comparaison avec les cinquante autres quartiers du royaume plaçait celui de Granville en 26e position, bien après Le Havre (qui comptait 168 bâtiments), Bordeaux (154) et Saint-Malo (148). Grâce encore à une description établie en 1675 par le commissaire aux classes de Saint-Malo, M. de Sachy, les caractéristiques dimensionnelles de 15 navires utilisés par les Granvillais sont connues3. En revanche, il ne donne aucune précision sur leur type. Logiquement, on peut penser qu’il s’agit de navires de charge pour la pêche morutière, mais, sachant que certains Granvillais avaient déjà pratiqué la guerre de course dans des conflits précédents, il paraît légitime de se demander si la flotte granvillaise ne comptait pas déjà quelques frégates. Une étude comparative des coques de ces navires permet d’y répondre.
7La mise en relation des dimensions de chaque navire définit deux coefficients (celui du rapport longueur/largeur et celui du rapport creux/largeur) qui permettent de retrouver globalement la forme de chaque coque, de la comparer aux autres et, par voie de conséquence, de comprendre son utilisation4. Les navires de commerce, construits pour le transport, sont plutôt courts, larges et creux : par exemple, la longueur de la quille correspond à trois fois la largeur, et le creux est égal à la moitié de la largeur. Les navires de guerre, bâtis pour la meilleure marche possible, sont plus longs et plus fins.
8Deux frégates havraises de la Royale, typiques de la seconde moitié du XVIIe siècle, serviront de référence. Leurs caractéristiques sont les suivantes : l’une est une frégate de 5e rang, longue de 110 pieds, large de 27,5 pieds, avec un creux de 14 pieds, présentant un rapport longueur/largeur de 4,0 et un rapport creux/largeur de 0,51 ; l’autre est une frégate légère, longue de 80 pieds, large de 20 pieds, avec un creux de 9,5 pieds, présentant un rapport longueur/largeur de 4,00 et un rapport creux/largeur de 0,485. La longueur (quatre fois supérieure à la largeur) et le creux (environ la moitié de la largeur) indiquent clairement que la finesse a été privilégiée pour obtenir la meilleure vitesse possible.
9Concernant Granville, les rapports longueur/largeur (2,94 en moyenne) et creux/largeur (0,44 en moyenne), pour un tonnage allant de 46 à 127 tx, indiquent que ses navires étaient des bâtiments de commerce « classiques6 ». Une comparaison avec les navires malouins et les frégates de la Royale confirme cette assertion. Les navires granvillais, mais aussi la majorité des malouins (figurant dans un ensemble A pour des commodités d’explication dans le graphique page suivante) n’étaient pas aussi fins que des frégates. Plus ventrus, leurs concepteurs avaient préféré la capacité de transport à la vitesse. À l’inverse, les caractéristiques des navires malouins qui figurent dans l’ensemble B se rapprochent de celles des frégates puisque le rapport longueur/largeur est proche de 4 ; la vitesse était privilégiée. Granville n’ayant aucun navire de ce type, il est légitime d’affirmer que son port n’armait aucune frégate avant 1680.
10Grâce à un travail méticuleux de reproduction des différents bâtiments français utilisés au négoce et à la pêche à la fin du XVIIe siècle de Guéroult du Pas, remis au trésorier général de la Marine et publié en 1710, l’on peut saisir l’apparence des terre-neuviers7.
11Il s’agissait généralement de trois-mâts, au pont assez haut, contenant une cale avantageuse pour le transport de la cargaison de morues. Le port de Granville pouvait toutefois contenir également des flûtes8, des flibots, des barques ou de simples bateaux pour ses diverses activités.
12Une archive, correspondant à une description du port9 datée de 1687, soit juste avant la guerre de la Ligue d’Augsbourg, précisant l’effectif de ses navires, leurs noms, leurs tonnages ainsi que leurs destinations, montre une évolution. Le nombre de « gros » navires augmente : sur les vingt-cinq terre-neuviers recensés, quinze d’entre eux jaugent entre 100 et 150 tx10. Il est vraisemblable que des frégates aient fait leur apparition au cours de cette décennie, comme semble le confirmer le destin corsaire de certains de ces navires. Un propos de l’armateur malouin La Lande Magon conforte d’ailleurs cette hypothèse. Évoquant Saint-Malo, il affirmait en 1689 :
« Les flûtes n’ont pas d’ordinaire beaucoup de valeur en cette ville ; on ne s’en sert que pour le commerce du Nord qui n’est pas assez considérable pour en occuper plusieurs, et rarement en emploie-t-on dans celui des Îles et de Terre-Neuve, parce que nous avons ici nombre de frégates qui y sont plus propres… à cause qu’étant voilières, elle font plus de diligence11… »
13La nécessité de recourir à un navire rapide (capable de traverser l’Atlantique dans les plus brefs délais imposés par les lois du marché de la morue), solide (pour affronter les aléas du long cours) et pourvus de qualités défensives (pour se protéger des corsaires barbaresques à l’approche des ports méditerranéens lorsqu’il fallait y livrer leurs cargaisons de poissons) justifiait pleinement le choix de la frégate. Comme Granville pratiquait la même activité morutière et que celle-ci était soumise aux mêmes impératifs, il est permis de supposer – sans toutefois l’affirmer catégoriquement – que la frégate fut utilisée par des terre-neuvas granvillais à la fin du XVIIe siècle et durant tout le XVIIIe siècle. Cette frégate « privée » ressemblait peu ou prou aux frégates royales, si manœuvrières, que les charpentiers granvillais avaient l’occasion d’observer lorsqu’ils étaient levés pour le roi. Revenus chez eux, ces bâtisseurs mettaient en application leurs observations en concevant, après maints essais et maintes modifications, un modèle de navire à deux ponts12, différent de la flûte, combinant la charge et la vitesse, qu’ils destinaient à la pêche morutière à Terre-Neuve.
14Dans son recueil de vues, Guéroult du Pas reproduit une petite frégate de dix canons, utilisée à la fin du XVIIe siècle pour les découvertes, mais aussi au commerce avec l’Amérique. Ressemblait-elle fidèlement à celles utilisées par les Granvillais ? L’on peut en douter, si l’on considère le volume relativement modeste de sa cale, peu conforme à celui que la pêche terre-neuvière exigeait. Elle devait pourtant peu ou prou lui ressembler.
15Au XVIIIe siècle, l’étude de l’évolution quantitative des bâtiments granvillais montre clairement une progression constante. Entre 1731 et 1750, le nombre des terre-neuviers augmente fortement, tandis que celui des bateaux caboteurs et pêcheurs diminue.
Type de bâtiment | Navires | Brigantins et autres | Bateaux caboteurs | Bateaux pêcheurs | Total |
1731 | 50 | 7 | 20 | 12 | 89 |
1740 | 63 | 1 | 10 | 11 | 85 |
Variation | + 13 | -6 | -10 | -1 | -4 |
16En 1750, le nombre de terre-neuviers passe à 92, avec un tonnage moyen de 120,9 tx13. En 1786, selon un mémoire de Pléville Le Pelley, il passerait à 130, tandis que le tonnage moyen atteindrait 129 tx14.
17Grâce aux registres de la matricule des bâtiments, la composition de la flotte granvillaise entre 1727 à 1763 est assez bien connue15. Entre 1727 et 1738, elle comporte 104 navires (de 45 à 200 tx), 2 pinques (50 et 90 tx), 2 barques (de 35 et 40 tx), 4 brigantins (de 5 à 16 tx), 11 gabares (de 12 à 28 tx) et 36 bateaux (de 5 à 18 tx). Cette distinction disparaît progressivement et totalement dans les décennies suivantes. Le tonnage devient la donnée essentielle, accompagné du nom de chaque bâtiment, de sa date et de son lieu de construction, du tirant d’eau, du nombre de ponts et de gaillards, et du nom de son propriétaire principal. La très grande majorité était donc mentionnée comme « navires ». Neuf corsaires, répertoriés en temps de guerre, y sont inscrits comme navires ou comme corsaires, même si les déclarations de prises, déposées dans les différents ports où ont été conduites leurs prises, affirment catégoriquement qu’ils étaient en réalité des frégates. Les bâtiments habituellement utilisés par les Granvillais ne peuvent pas, par conséquent, être clairement distingués par type entre 1738 et 1763.
18Entre 1727 et 1738, le tonnage moyen des 104 « navires » s’élève à 97,5 tx. Seuls, 39 d’entre eux jauge plus de 99 tx, soit 37,5 %. La flotte granvillaise de cette décennie est donc constituée majoritairement de petits bâtiments inférieurs à 100 tx, mais elle évolue indiscutablement en quelques décennies. Dans la période 1751-1762, le nombre de « navires » passe à 144, jaugeant entre 40 et 300 tx et présentant un tonnage moyen de 120,5 tx. Cette évolution positive suit logiquement les progrès de la pêche morutière. Désormais, 72 d’entre eux dépassent les 100 tx, soit 50 % précisément. La matricule compte aussi 5 barques (allant de 40 à 55 tx). En revanche, l’on n’y trouve aucun bâtiment jaugeant moins de 40 tx. Leur absence paraît surprenante. Le greffier aurait-il omis de mentionner les petites embarcations, offrant peu d’intérêt au regard des terre-neuviers en constante progression ? Auraient-elles été répertoriées dans un autre registre, aujourd’hui disparu ? Ou bien est-ce que les armateurs les auraient délaissées pour leur préférer des navires ou des barques de plus gros tonnage, qui convenaient mieux à l’activité morutière en plein essor, ce qui aurait permis aux maîtres et patrons du port de Regnéville de récupérer l’activité de petit cabotage ?
19L’examen minutieux des rôles de désarmement des années 1780 montre qu’à la fin de l’Ancien Régime, l’on construisait surtout des bricks, des lougres, des bateaux, mais aussi des trois-mâts et quelques sloops16. Sous l’Empire, après une décennie d’absolue inactivité, due aux troubles occasionnés par la Révolution française, les chantiers de construction navale reprennent de l’activité pour en remonter une nouvelle flotte. Le registre allant du 20 frimaire an XII (12 décembre 1803) à 1816 de la matricule des bâtiments revient à la typologie. Au cours de ces treize années, la flotte granvillaise comportait 15 trois-mâts (de 163 à 420 tx), 81 bricks (de 47 à 241 tx), 1 brick-goélette (de 106 tx), 13 goélettes (de 20 à 85 tx), 38 sloops (de 5 à 46 tx), 2 dogres (de 48 à 65 tx), 14 lougres (de 3 à 67 tx), 6 chasse-marée (de 8 à 27 tx), 1 bisquine (de 12 tx) et 143 bateaux (de 1 à 19 tx). Si l’on ne retient que les 111 navires susceptibles de pratiquer la pêche morutière (c’est-à-dire ceux qui jaugent au-delà de 40 tx17), le tonnage moyen s’élève à 126 tx. La comparaison avec la moyenne des 144 terre-neuviers de la période 1751-1762 (dont le tonnage moyen est de 120,5 tx) ou même avec les 170 morutiers recensés par Pléville Le Pelley en 1786 (tonnage moyen : 129 tx) montre que, contrairement à toute attente, les troubles de la Révolution française n’ont guère eu d’incidence sur le potentiel d’armement granvillais : même si le nombre de bâtiments est inférieur (car il faut du temps pour reconstruire une flotte), le tonnage moyen reste sensiblement identique. Au contraire, ils semblent même avoir favorisé une multiplication des petits bâtiments, tels que des lougres, des sloops, des chasse-marées et des « bateaux-pêcheurs », jaugeant entre 1 et 40 tx, construits et armés par une nouvelle génération d’armateurs issus de la petite pêche.
20Les études menées depuis plusieurs décennies mettent le chercheur en garde contre une interprétation trop rapide et erronée des termes utilisés sous l’Ancien Régime pour désigner des bâtiments allant au commerce. Leur acception reste souvent générique et bien éloignée de nos actuelles références. Ainsi, le « navire » était un terme générique regroupant tous les bâtiments de deux ponts qui avaient l’habitude d’aller à Terre-Neuve, d’un tonnage variant entre 50 et 300 tx. Il s’agissait de trois-mâts. Leur apparence se présentait diversement, puisque, si leur coque pouvait ressembler à celle d’une frégate (ou peut-être celle d’une flûte pour quelques-uns), ils pouvaient être gréés de bien des façons (en goélette, en brigantin, en vaisseau, etc.), ce qui faisait dire à Duhamel du Monceau : « Les formes varient trop, suivant les ports, pour que je puisse entrer dans de grands détails18. » Heureusement, il a présenté dans son traité une planche représentant un bâtiment malouin de la première moitié du XVIIIe siècle d’environ 100 tx (voir plus haut), utilisé à la pêche de la morue sèche, qui aide à saisir l’apparence d’un « navire » moyen, tel que l’on pouvait très certainement en voir à Granville.
21Sur le ponant, à la fin du XVIIe siècle, « bateau » était le « nom générique d’une famille de petits navires, qui différaient entre eux par leurs formes, leurs grandeurs, leur gréement, leur voilure, le nombre et la disposition de leurs rames19 ». De taille modeste, au mieux d’une dizaine de tonneaux20, ils étaient destinés à des usages multiples : petite pêche, liaison entre navires, passage d’une rive à l’autre d’un port, petit cabotage, promenade, etc. Progressivement, le terme « bateau » s’est appliqué à des bâtiments n’ayant qu’un mât.
22De même, tous les bâtiments jaugeant entre 50 et 100 tx et portant deux mâts pouvaient être classés comme « barque », quelle que soit la disposition de la voilure ou les caractéristiques de la coque21. Une barque portait généralement deux mâts (le grand mât et le mât de misaine), mais elle pouvait n’avoir qu’un seul mât, ou bien trois, avec un beaupré, ou encore être « gréée en vaisseau » avec des hunes, un grand et un petit hunier, et jauger 170 tx22. Ainsi, l’album de Jouve présente trois modèles de barques nantaises (de 10, 35 et 54 tx), où l’on voit le gréement évoluer en fonction de l’augmentation du tonnage23.
23Les « gabares » voyaient leur utilité dans la charge, « ceci se traduisant par un volume de carène plus important, donc des fonds relativement plats accentuant la dérive à l’allure du plus près ; leur marche est en général médiocre mais elles doivent avoir un bon comportement à la mer24 ». « Les gabares servent au transport des pierres de Chausey pour Granville ou Saint-Malo, et pendant les grandes marées, elles vont au Grouin du sud, dans la baie du Mont Saint-Michel, pour y charger du cidre ou du bois de construction25… »
24Quant aux « pinques », leur présence à Granville dans les années 1730 paraît étonnante, car ce type de bâtiment ne se trouvait en principe qu’en Méditerranée. Très proche de la barque, mais gréée différemment avec des voiles latines, elle restait vouée au cabotage.
25Le « brigantin » servait au commerce de façon courante en Angleterre, au début du XVIIIe siècle. Jean Boudriot affirme qu’il n’a été adopté en France que dans le dernier quart du siècle par la marine marchande26. Pourtant la flotte granvillaise en comptait déjà quatre de 1727 à 1738 (deux construits à Cherbourg, un à Saint-Malo et un autre en Angleterre), jaugeant entre 5 et 16 tx, mais un seul de 1738 à 1750. Lorsqu’il était de petit tonnage (comme à Granville), ce bâtiment pouvait ne porter qu’un seul mât, comme ceux représentés par Guéroult du Pas en 1710.
26Au fil des décennies, son tonnage s’accrut, obligeant les constructeurs à modifier la voilure. Ce type de bâtiment porta deux mâts et un beaupré. Le grand mât supportait une brigantine et un grand hunier.
27À la fin du XVIIIe siècle, le « brick » (ou brig) provient de cette évolution. Nettement plus grand, puisqu’il jauge facilement 100 ou 200 tx, c’est alors un « bâtiment à deux mats portant des voiles carrées ; au mât de l’arrière, ou grand mât, ce navire déploie une grande voile trapézoïde semblable à l’artimon des vaisseaux, et comme lui enverguée sur un pic ou corne27 ». Une bonne capacité de charge et sa voilure équilibrée font du brick un navire rapide et sûr, particulièrement bien adapté à la pêche terre-neuvière. C’est en toute logique qu’il devient rapidement et durablement le navire morutier par excellence.
28C’est également à la fin du XVIIIe siècle que la « goélette », venue des Antilles, se répand dans la marine marchande, notamment pour la pêche sur le grand banc de Terre-Neuve. Jaugeant entre 30 à 100 tx, sa fine carène avantage la marche. Son gréement se caractérise par deux mâts, inclinés vers l’arrière, portant deux voiles auriques (celle portée par le grand mât était bordée sur la bôme, l’autre était bordée librement) et un beaupré, qui lui permettent de très bien remonter au vent. Les goélettes qui pratiquent la grande pêche portent en plus des huniers. Leur manœuvrabilité fait merveille. Toutefois, elles ne peuvent pas porter de grandes surfaces de voiles, ce qui limite leur tonnage et les désavantage nettement par rapport aux voiliers à gréement carré, quand il s’agit de pratiquer la pêche morutière. Le « brick-goélette » passe alors pour un compromis, « un bâtiment à deux mâts, le mât de l’avant gréé comme celui des bricks, celui de l’arrière comme celui des goélettes28 ». Lorsque l’on veut armer des navires de grand tonnage, l’on bâtit des trois-mâts, c’est-à-dire différents bâtiments possédant trois mâts : un mât de misaine, un grand mât et un mât d’artimon. La flotte granvillaise en comportait 15 (de 163 à 420 tx) entre 1803 et 1816. Les distinctions ne sont pas précisées dans la matricule des bâtiments de cette période.
29C’est pendant la guerre de l’Indépendance d’Amérique, que sont apparus de nouveaux petits bâtiments à Granville : le lougre, le chasse-marée, la bisquine et le sloop. Bien que la matricule des bâtiments les distingue dans leurs dénominations, il semble que les trois premiers bâtiments relèvent du même type.
30Quant au sloop, il s’agissait d’un petit bâtiment à un seul mât utilisé pour la pêche côtière ou le cabotage. « Il se caractérise par une carène aux formes relativement pleines et une mature moindre […] L’expression barque gréée en yac serait plus conforme29. » Il était très prisé à Granville au début du XIXe siècle dans le petit cabotage.
Un navire pour courir sus aux ennemis de la France
31Lorsqu’un armateur veut armer en course, deux options s’offrent donc à lui : soit la réutilisation d’un bâtiment déjà existant, soit la construction d’un neuf. La première solution cumule l’avantage appréciable d’une rapide disponibilité et celui d’un moindre investissement financier. Le navire, déjà amorti par plusieurs campagnes de pêche, peut voir ses qualités de marcheur sensiblement améliorées après quelques travaux. La deuxième exige davantage de préparation, d’argent et de temps, car il faut concevoir ex nihilo, financièrement et matériellement, un bâtiment, spécialement créé pour courir sus aux ennemis de la France. Des démarches de toutes sortes pour convaincre les sociétaires, les autorités et les ouvriers sont de ce fait nombreuses ; elles mobilisent davantage d’énergie que dans le premier cas. En revanche, mieux adapté à l’activité guerrière, le nouveau bâtiment sera très certainement plus efficace et sa campagne vraisemblablement plus chanceuse. Entre ces deux alternatives, un critère emporte le choix de l’armateur : celui de la vitesse du bâtiment en mer. Pour courir efficacement sus à l’ennemi, il faut avant tout que le bâtiment soit « bon marcheur » ou « bon voilier », afin de mieux surprendre l’ennemi, fondre sur lui, le rattraper lorsqu’il fuit ou bien simplement échapper à un vaisseau de guerre, toujours redouté des corsaires.
32Aux XVIIe et XVIIIe siècles, la recherche de la vitesse avait amené les constructeurs navals à innover. La marine à voile connut ainsi une forte évolution technologique dans les formes, les dispositions des coques, et surtout dans le gréement. Sylviane Llinares affirme que le nombre de voiles utilisées sur les vaisseaux de guerre a doublé entre 1680 et 180030. La marine commerciale suivait naturellement ces innovations pour mieux obéir aux lois de la concurrence. Les terre-neuvas de tous les ports avaient eux aussi amélioré les performances nautiques de leurs bâtiments pour traverser le plus rapidement possible l’océan atlantique, car l’attribution d’une zone de pêche sur les côtes de Terre-Neuve selon l’ordre d’arrivée sur les lieux et la course à la primeur dans les ports méditerranéens imposaient d’armer des navires rapides.
33En temps de paix, selon la matricule des bâtiments, la flotte granvillaise comportait très majoritairement des « navires », du moins jusque dans les années 1760, et un certain nombre de frégates, apparues dans le port pendant la guerre de la Ligue d’Augsbourg.
« Les qualités que doivent présenter les bâtiments au commerce sont les suivantes : avant tout, un port avantageux, mais aussi un bon comportement à la mer avec des mouvements de tangage et de roulis doux, bien porter la voile, donc avoir de la stabilité, gouverner et virer de bord correctement, avoir un sillage honorable mais ce n’est pas la qualité première, avoir une dérive inférieure à deux quarts. J’ajoute que la robustesse de la construction, un équipage réduit, sont des facteurs favorables pour juger de la réussite d’un navire31. »
34Malgré ces qualités, les armateurs refusaient de les utiliser pour la course parce que leur construction ne s’y prêtait pas, comme le prouve la correspondance entre des armateurs malouins et les bureaux du secrétariat de la marine. Évoquant Saint-Malo, l’armateur Beauvais-Lefer exprima son embarras dans une lettre adressée au ministère, le 25 mars 1744. Apparemment, il ignorait encore que la guerre avait été officiellement déclarée dix jours plus tôt :
« Nous n’avons pas présentement dans ce port de frégates de voile propres pour la course, mais si la guerre arrivait, l’on en aurait bientôt construit, n’étant besoin que de deux mois pour construire des frégates de 20 canons. J’ai des bois ramassés et ce qu’il me faut pour en construire une ; mais de le faire sans guerre, ce serait une perte considérable pour moi, cette fabrique ne pouvant servir utilement dans la paix. Votre Grandeur sait qu’un vaisseau fait pour la voile, est fin du dessous, qu’il ne peut échouer sans risques, et que par conséquent, il ne peut être de port32. »
35Selon lui, l’on construisait différemment un bâtiment de commerce et une frégate corsaire, et il semblait déraisonnable de bâtir en temps de paix une telle frégate parce qu’elle aurait rapidement révélé les limites de sa fonctionnalité dans un usage commercial. Par conséquent, à Saint-Malo comme à Granville, les « frégates de voile propres pour la course » évoquées par le Malouin paraissaient inexistantes au début de conflit.
36Si l’on en croit une lettre de M. Guillot, commissaire général de la marine, datée du 4 avril 1744, certains armateurs malouins songèrent à utiliser les navires de commerce, du moins dans un premier temps : « Quelques-uns projettent de raser un pont aux meilleurs voiliers de leurs bâtiments, et d’y supprimer les galeries, dunettes et cloisons pour les rendre plus légers, et les équiper en guerre33. » Cet allègement ne suffisant pas, il fallait très certainement améliorer encore les performances « voilières », en donnant plus d’envergure aux voiles de huniers « car ce sont les voiles principales ou majeures des vaisseaux de guerre : les meilleures, les mieux placées, celles qui font le plus d’effet et qui sont les plus utiles34 ». Cette modification avantageuse de la voilure exigeait la présence de nombreux hommes expérimentés pour manœuvrer les voiles hautes. Or la multitude des matelots engagés sur un corsaire rendait tout cela envisageable. Pourtant, les armateurs du port breton n’étaient pas tous de cet avis. Beauvais-Lefer manifesta ses doutes dès le lendemain, soit le 5 avril 1744, dans une lettre adressée au secrétariat de la marine :
« Aussitôt que j’ai appris la guerre déclarée contre les Anglais, je me suis mis en état de faire construire une frégate bonne voilière de 20 à 24 canons ; et le lendemain de ladite fête l’on y travaillera avec force, afin que, dans 2 mois au plus tard, elle puisse mettre à la voile ; et j’espère que bien d’autres suivront mon exemple, du moins, s’ils veulent m’en croire, ils feront construire des vaisseaux de voile car se servir de vaisseaux marchands pour faire la course, c’est se tromper et s’exposer à être pris35… »
37Malgré les perspectives intéressantes offertes par d’éventuelles modifications sur les bâtiments, la solution consistant à réutiliser des navires marchands en vue d’une guerre de course fut rapidement abandonnée par les armateurs corsaires malouins. Le même commissaire général de la marine, Guillot, expliqua leur désintérêt, dès le mois suivant, dans une lettre :
« Quelques-uns avaient pensé qu’ils pourraient tirer parti de leurs navires et qu’en les allégeant le plus qu’il est possible, ils seraient propres pour la course ; mais ne trouvant point d’associés qui veuillent risquer sur de pareils navires qui sont construits pour le port d’une charge, et non pour la marche qui est la partie la plus essentielle pour le corsaire, d’ailleurs n’ayant d’autres canons que du calibre de 4 ou de 3 livres qui est trop faible pour la guerre, ils ont abandonné cette idée et vont laisser dépérir leurs navires. D’autres avaient projeté de faire construire de petits navires sur lesquels ils comptaient placer leurs canons de 4 et de 3 livres, mais l’expérience que l’on a faite que ces sortes de navires n’ont point réussi dans les précédentes guerres, et qu’il en avait été pris les trois quarts, a encore fait tomber ce projet, personne, et ce sont les plus sensés, ne voulant s’y intéresser. Comme ils ne veulent point, et qu’il ne leur convient pas de rester oisifs, quelques-uns des plus aisés, ont pris le parti de faire construire des vaisseaux de 36 à 40 canons en état de résister à tous corsaires, et même à un vaisseau de guerre36… »
38Mais le défaut de canons
« de boulets de ces calibres, ni d’ancres propres pour pareils bâtiments les arrête tout court37 ».
39Quelle fut donc l’option retenue par Granville ? En recherchant l’origine et les dates de construction des corsaires granvillais, l’on parvient à distinguer les navires construits après une déclaration de guerre de ceux qui le furent avant. Dès lors, l’on peut légitimement penser que ceux qui ont été bâtis après le déclanchement des hostilités ont logiquement été conçus pour la guerre de course, tandis que ceux qui l’ont été avant ne pouvaient être que destinés au commerce, puis reconvertis. Les bâtiments ennemis capturés, qu’ils soient corsaires ou non, pouvaient également être réutilisés pour la course si on les jugeait appropriés. Dans le dénombrement des corsaires que l’on cherche à établir, ils seront comptabilisés séparément, parce que trop d’incertitudes sur leur origine et leurs caractéristiques pourraient nuire à cette étude.
40Cette étude commence toutefois mal, car la période correspondant au règne de Louis XIV garde ses mystères et ses contradictions. Le manque d’archives, mais aussi les lacunes contenues dans celles qui sont restées conservées, entretiennent des doutes susceptibles de décourager les meilleures volontés. D’autre part, l’habitude chez les Granvillais de pratiquer simultanément la course et la pêche terre-neuvière, dans des armements en guerre et marchandise pendant la guerre de la Ligue d’Augsbourg et la guerre de Succession d’Espagne, empêche de distinguer clairement les deux catégories de navires. Comment savoir s’il y avait des bâtiments corsaires stricto sensu ? Toutefois, le recours à l’état des bâtiments domiciliés au port de Granville en 1687 – soit un an avant la déclaration de la guerre de la Ligue d’Augsbourg –, établi par M. de Montmort, intendant de la marine envoyé par Louis XIV pour une inspection38, apporte quelques éléments de réponse. L’absence des bâtiments (en 1687) qui se révèleront corsaires par la suite indique logiquement que la quasi-totalité des navires utilisés pour la guerre de course fut construite durant ce conflit. Sans doute, les constructeurs avaient-ils alors peu ou prou privilégié la vitesse pour améliorer les performances du navire et augmenter ainsi les chances de profit. Dans quelle mesure ? Le mystère subsiste. Trois exceptions cependant obligent à croire que les navires habituellement utilisés par les Granvillais, en dehors donc des périodes de belligérance, pouvaient se montrer très performants : le Jean de Grâce (construit en 1684), que commanda Beaubriand-Lévesque, la Reine des Anges (construite en 1684), et la Vierge de Grâce (construite ou achetée, vraisemblablement en 1688), transformée en corsaire sous le nom de Juste, après une campagne morutière à Terre-Neuve, armée en guerre et marchandise. Le destin avantageux, que connurent ces trois corsaires pendant la guerre de la Ligue d’Augsbourg, ne permet aucun doute sur la valeur de leur construction et leurs performances manœuvrières. Malheureusement, aucune archive ne précise comment leurs constructeurs avaient concilié les impératifs contradictoires de la charge et de la vitesse.
41Heureusement, l’étude des navires se montre plus facile pour les conflits qui ont suivi le règne de Louis XIV, car l’origine des bâtiments armés en course est beaucoup mieux connue, grâce aux archives. Entre 1744 et 1783, trente-quatre corsaires stricto sensu sur un total de cinquante, soit 68 %, furent construits après une déclaration de guerre ou en même temps, pour la course indiscutablement39. Cinq navires seulement, soit 10 %, ont été reconvertis à la suite d’un aménagement, comme le Comte de Torigni, rebaptisé Charles Grenot, après avoir accompli huit campagnes de pêche terre-neuvière en étant armé en guerre et marchandise. Le reste est composé de six bâtiments à l’origine inconnue (généralement des navires ennemis capturés et réutilisés). Les corsaires de 1793 à 1800 restent très majoritairement méconnus. En revanche, ceux de l’Empire furent tous construits à Granville en temps de guerre, à l’exception de la Péniche (lougre bisquine de 3 tx), capturée et réarmée en course en 181140. Au total, si l’on considère les données brutes, qui contiennent pourtant de nombreuses incertitudes – puisque la date de construction est inconnue pour 39,8 % de l’ensemble des corsaires41 –, il paraît évident que les Granvillais préférèrent nettement la construction de bâtiments spécialement conçus pour la guerre de course (53 %) à l’utilisation de bâtiments du commerce reconvertis (7 %), plus ventrus et moins « bons marcheurs ».
42Trois navires terre-neuviers reconvertis se révélèrent cependant de redoutables corsaires, après quelques aménagements : le Jean de Grâce (180 tx) qui réalisa trois belles campagnes de course de 1690 à 1692, sous le commandement de Beaubriand-Lévesque et de son frère La Souctière-Lévesque, le Juste qui effectua une campagne remarquable en 1690 sous le commandement de Jean Leboucher, sieur de Vallesfleurs, puis de Jean Baillon-Duteil, et enfin le Charles Grenot (100 tx)42 qui réussit quant à lui deux belles campagnes en 1744 et 1745. Aucun des trois ne fut capturé, ce qui accrédite pleinement l’idée que ces navires devaient être des frégates, et que ce type de navire était utilisé à Granville en temps de paix. Peut-on croire en effet que Beaubriand-Lévesque ait pu chasser et attaquer pendant neuf heures une frégate corsaire hollandaise de tonnage équivalent, le Jeune Homme, avec une simple flûte et qu’il ait ensuite accepté d’effectuer d’autres campagnes sur ce même Jean de Grâce alors que son frère cadet commandait la frégate Jeune Homme ? Peut-on croire que le Juste était une flûte quand on sait qu’il put mettre en fuite deux frégates hollandaises de Flessingue armées en guerre de vingt-six et de vingt canons, après leur avoir tiré plus de mille coups de canons ? Le Charles Grenot qui permit à son armateur de gagner une petite fortune aurait-il pu être une flûte ? Assurément non. Sur les déclarations de prise, il est parfois mentionné comme « vaisseau ».
43La guerre finie, tous ces navires de course se transformaient généralement en terre-neuviers (ou en bâtiments de pêche côtière lorsqu’ils étaient de faible tonnage), démontrant peut-être une polyvalence des frégates granvillaises. Leur reconversion semblait plus aisée que ne le prétendait Beauvais Lefer, dans sa lettre du 25 mai 174443.
44Connaître, de façon précise et exhaustive, le lieu de construction de ces corsaires apparaît, une fois encore, impossible à cause du manque d’archives concernant les périodes allant de 1688 à 1713 et de 1793 à 1800. Cependant, l’examen de la période 1744-1756, pour laquelle il existe des renseignements précis, montre clairement que la majorité d’entre eux le furent à Granville44. Les chantiers navals s’étendaient en effet sur les grèves au sud de la ville. Leur activité reste méconnue. Il est permis de penser que ses ouvriers y étaient de qualité, puisque les plus gros navires granvillais y furent construits : le Granville de 530 tx, le Monsieur de 475 tx, l’Aimable Grenot, la Madame et le Patriote, tous les trois de 390 tx, et bien d’autres encore. Si les armateurs décidaient de leur confier la construction de pareils navires et non pas aux Malouins, c’est que la compétence des constructeurs granvillais paraissait à la hauteur de leurs espérances. Quant aux corsaires construits à l’étranger, il s’agissait toujours de prises obtenues sur l’ennemi, achetées par les armateurs qui n’hésitaient pas à les réutiliser dans la guerre de course lorsque leurs qualités de conception et de comportement en mer leur semblaient satisfaisantes.
Le tonnage des corsaires
45À l’évidence, Granville arma des bâtiments de toutes les tailles. Les deux plus petits ne jaugeaient que 3 tx (le Passe partout, en 1746, et la Péniche, en 1811) et le plus imposant mesurait 530 tx (le Granville, en 1757). Un classement minutieux produit la répartition suivante45 :
46Au fil des conflits, la taille varie sensiblement, selon la disponibilité des capitaux et la stratégie retenue par chaque armateur. Deux périodes (1702-1713 et 1793-1800) gardent leur mystère. Elles correspondent à des guerres particulièrement mal vécues par les Granvillais, confrontés à des difficultés de toutes sortes qui désorganisaient l’armement maritime. Toutefois, le recours à des renseignements trouvés çà et là, indiquant une composition d’équipage, une zone de chasse ou une absence de canon, comble partiellement ces lacunes. Ces déductions modèrent ainsi l’importance du nombre de navires dont le tonnage reste inconnu (40 sur 122).
47Pendant la guerre de la Ligue d’Augsbourg, le port bas-normand arma surtout des navires moyens de 100 à 200 tx, ce qui correspond à la taille habituelle des terre-neuviers utilisés à la pêche morutière sédentaire, activité que certains pratiquaient parallèlement. Cette taille est supérieure à bien des embarcations de pêche et de cabotage qu’ils pouvaient aisément capturer. En revanche, elle est égale ou inférieure aux navires de grand commerce. Leurs qualités de marche et de combat leur permettaient cependant de les chasser et de les capturer en Manche ou assez loin au large des côtes françaises. Ce tonnage semble avoir légèrement baissé au conflit suivant, faute de capitaux. Indubitablement, la majorité des bâtiments de tonnage inconnu se compose alors de petites embarcations rapidement capturées ou désarmées.
48Pendant les trois guerres de la période 1744-1783, l’écart s’agrandit entre les grands et les petits. Tandis que certains armateurs arment de très petites embarcations pour une micro-course de proximité, d’autres optent pour des corsaires de plus en plus gros, sans doute parce qu’ils les pensaient plus aptes à capturer de riches prises. Quelques navires particulièrement imposants furent ainsi armés : le Granville de 530 tx, le Monsieur de 475 tx, l’Aimable Grenot, la Madame et le Patriote, tous les trois de 390 tx.
49Pendant les guerres de la Révolution et de l’Empire, la course ne se fit plus que sur des navires de faible tonnage, inférieurs à 90 tx en majorité. L’écart se resserre alors entre 3 et 151 tx.
50Une comparaison avec Dunkerque et Saint-Malo aide à comprendre cette répartition et à saisir les caractéristiques granvillaises. Pour une meilleure rigueur scientifique, seuls les trois conflits, où les données numériques granvillaises sont assurées, seront retenus : la guerre de Succession d’Autriche, la guerre de Sept Ans et la guerre de l’Indépendance d’Amérique.
51De 1744 à 1748, Dunkerque arme des navires d’un tonnage inférieur à 100 tx, à l’inverse de Saint-Malo et Bayonne qui privilégient les navires supérieurs à 100 tx. Granville tente alors les gros armements.
52De 1756 à 1763, Dunkerque arme des navires de même importance alors que Saint-Malo et Bayonne réduisent la taille moyenne de leurs navires. De son côté, Granville arme moins de navires, persiste cependant dans le grand tonnage et ose même armer une frégate de 530 tx !
53Enfin de 1778 à 1783, la tendance générale française est à la baisse dans la taille des bâtiments, à l’exception de Dunkerque, qui rompt ses habitudes avec de plus gros armements, et de Granville, restée fidèle à elle-même en armant des gros corsaires. Contrairement aux autres ports français, ces deux derniers furent incontestablement sensibles aux encouragements de l’État qui souhaitait relancer les particuliers dans la guerre de course en promettant des récompenses aux armateurs et aux officiers qui se distingueraient par des entreprises considérables46 ou des actions d’éclat47, des gratifications aux équipages, et surtout en fournissant des canons de 12 et de 8 livres pour les grands corsaires dont la longueur atteindrait au moins quatre-vingt-quinze pieds de quille coupée48.
54Granville se caractérise donc par un curieux paradoxe. En comparaison avec Dunkerque et Saint-Malo, voire Bayonne, le nombre d’armements reste relativement faible. Pourtant le port normand n’hésite pas à armer de gros bâtiments sous l’impulsion de quelques armateurs ambitieux, même quand les pénuries de bons équipages et de canons se conjuguent.
55Le Granville, véritable petit vaisseau de guerre de 530 tx – ayant deux ponts et deux gaillards, avec un tirant d’eau de treize pieds lorsqu’il n’était pas chargé et de dix-sept pieds lorsqu’il l’était –, constitue même une sorte d’anomalie, puisque aucun autre armateur privé des grands ports précités n’arma de corsaire de pareil tonnage. Une lettre écrite par le fils de l’armateur en question fournit une explication49. En 1756, son père, Jean Quinette, sieur de la Hogue, avait proposé au gouvernement français un projet pour s’emparer des îles de Jersey et de Guernesey50. Il proposait alors
« de faire toutes les dépenses concernant cette expédition, lesquelles consisteront à faire construire et armer 5 corsaires pour protéger le débarquement, à fretter les bateaux nécessaires pour le transport des troupes, ce qui est estimé au nombre de 100, et enfin à pourvoir à la subsistance tant des équipages des corsaires et bateaux qu’à celle des troupes. Pour le dédommager de ces dépenses, il demande premièrement 30 000 livres une fois payées et deuxièmement qu’on lui abandonne tous les navires et autres bâtiments, ensemble leurs cargaisons, qui seront dans les ports de ces îles ou y arriveront pendant le temps de l’expédition, le tout appartenant aux Anglais ».
56M. de Machault, secrétaire d’État à la Marine, fortement intéressé, avait convenu certaines dispositions pour concrétiser le projet dans le secret. Le 26 mai 1756, une somme de 15 000 livres avait été tirée des fonds des dépenses secrètes à cet égard et versée à l’armateur51. Les clauses du traité durent cependant évoluer, puisque l’armateur ne fit pas construire cinq corsaires comme il avait été initialement prévu, mais une seule : la frégate Granville de 530 tx. Malheureusement, les préparations « ouvrirent les yeux à l’Angleterre qui retira 3 000 Hessois de son armée d’Hanovre pour fortifier les garnisons de ces îles […] Le ministre, en ayant été informé, jugea a propos d’attendre une occasion plus favorable pour entreprendre cette conquête52 ». Jean Quinette, sieur de la Hogue, n’eut d’autre solution que d’employer son petit vaisseau de ligne à la course. La malchance se déchaîna alors contre lui car la frégate que commandait son fils explosa, sans avoir effectué de prise, au cours d’un combat, après que sa poudre à canon eût malencontreusement pris feu. Ce navire de taille imposante, qui n’avait pas été conçu initialement pour la course, reste donc une exception. Quelle aurait été sa campagne si la malchance ne l’avait pas fait disparaître aussi prématurément ? Le destin du port aurait-il changé si celle-ci avait été couronnée de succès ?
57À partir de la Révolution française, le port normand n’arme plus que de petits bâtiments. Cette tendance à la réduction se retrouve également dans les autres ports si l’on en croit une étude menée par Alain Droguet53 sur les corsaires arrivés dans le port de Paimpol de 1797 à 1800 : « Sur un total de 40 navires corsaires on a des indications de tonnage pour 22 d’entre eux. Force est de constater que leur tonnage est faible puisque deux seulement font plus de 100 tonneaux et un seul plus de 200. » Dans une note de bas de page, il donne alors le détail : « moins de 20 tx : 6 ; 20-50 tx : 7 ; 50-75 tx : 6 ; 75-100 tx : 1 ; 100-125 tx : 1 ; plus de 200 tx : 1 ». Ces corsaires viennent majoritairement de Saint-Malo et de Paimpol, mais aussi de Granville, Cherbourg, La Hougue et Le Havre.
58Ce constat à la baisse dans le tonnage est également établi par Henri Malo à propos des corsaires dunkerquois postérieurs à 1793 : « Il n’est plus question de frégates de 250 à 500 tonneaux qui courent les mers en escadres volantes, rares sont désormais les bâtiments de plus de 100 tonneaux ; la majorité ne comprend que des petits lougres de 20 à 50 tonneaux54. »
59Concernant la guerre de course anglaise du XVIIIe siècle, David J. Starkey distingue très nettement deux types d’intervention menés par les private men-of-war de son pays : les Channel privateers et les « Deep-water » Private Ships-of-war. Les premiers, que l’on pourrait traduire par « les corsaires du Channel », naviguaient en Manche sur des embarcations allant « des « coquilles de noix » et « des canots à rames » de moins de 10 tonneaux à des bâtiments plus importants de 130 ou 140 tonneaux55. La plupart d’entre eux jaugeaient entre 20 à 70 tx, approvisionnés pour des croisières courtes, de deux semaines à trois mois, et « équipés d’un armement réduit – peut-être quatre à huit petits canons et d’un nombre équivalent de pierriers – bien qu’ils comptent normalement sur leur supériorité en hommes pour soumettre de petits navires mal défendus ennemis ou neutres56 ». Les deuxièmes, que l’on pourrait traduire par « les corsaires “en eau profonde” », parcouraient en haute-mer les voies de navigation du Nord-Est de l’Atlantique pour y chasser les gros navires de commerce transportant de riches cargaisons de produits coloniaux en provenance des Caraïbes, de l’Amérique du Sud ou des Indes orientales. À cet effet, ils utilisaient des navires plus vaillants, avec de lourds armements et des équipages substantiels. « De tels prédateurs ont varié en taille, avec des bâtiments de 100 ou 120 tx […] ou des navires plus typiques des “eaux profondes” de 200 à 450 tx et des corsaires mammouths de plus de 500 tx57. » Qu’en fut-il sous la Révolution française et le Premier Empire ?
Vers une typologie des navires utilisés pour la guerre de course
60Le choix du bâtiment dépend donc de la future zone d’intervention et de la nature des prises envisagées. Le tonnage et le type résultent directement de cette option. Quelle que soit sa taille, le bâtiment retenu devra se révéler « bon marcheur » et, en principe, doué de qualités guerrières.
61Sous Louis XIV, la confusion règne dans les termes utilisés pour désigner les différents corsaires, ce qui empêche toute classification sérieuse. La plupart d’entre eux sont des terre-neuviers, donc des navires de charge, dont le tonnage oscille entre 130 et 200 tx. Pourtant, les déclarations de prises et les jugements du Conseil des prises les mentionnent presque toujours comme des « frégates » et parfois comme des « vaisseaux ». L’exemple du Jean de Grâce est éclairant. Peu de temps après sa construction à Granville en 1686, ce navire terre-neuvier de 150 à 180 tx accomplit plusieurs campagnes de pêche sédentaire. Au retour de l’une d’elles, il capture un vaisseau anglais, l’Unité de Bristol, en compagnie de deux « frégates » (la Vierge de Grâce et la Reine des Anges). Il est alors désigné comme « vaisseau » dans l’arrêt du Conseil des prises58. Les années suivantes, il est armé exclusivement en guerre. Les nombreuses prises qu’il effectue alors occasionnent d’abondants rapports, déclarations et arrêts dans lesquels il passe pour une « frégate ». Il en va ainsi pour la majorité des bâtiments granvillais de ce règne. Seuls, ceux d’un tonnage inférieur, sont mentionnés comme « corvettes » ou « barques longues ». À partir du règne de Louis XV, les distinctions s’opèrent plus franchement. Les sources abondent, livrant leurs renseignements avec plus de discernement. Une classification par type peut désormais être entreprise59.
62Ce classement met en évidence une prédilection marquée pour la frégate, sous l’Ancien Régime, et pour le lougre, à partir de la guerre de l’Indépendance américaine. Ce choix logique s’appuie sur les performances remarquables de ces deux types de bâtiment dans ce que les contemporains appelaient la « marche », compétence hautement nécessaire pour pratiquer efficacement la guerre de course.
63La frégate était un bâtiment de guerre, apprécié pour sa légèreté de marche, son sillage avantageux, son allure au près, sa bonne maniabilité, ainsi que son aptitude au combat et son bon comportement face aux intempéries. Elle était généralement employée dans la Marine royale pour convoyer des navires marchands susceptibles d’être attaqués, transmettre des ordres ou effectuer des découvertes, mais aussi par des particuliers de différents ports pour la guerre de course. La mâture, le gréement et la voilure la rapprochait des vaisseaux de guerre, c’est-à-dire qu’elle avait trois mâts verticaux, un mât couché sur l’avant, des voiles carrées à ses mâts principaux, des voiles triangulaires nommés focs à l’avant et deux voiles trapézoïdales, nommées l’artimon et la brigantine à l’arrière. Bâtie avec un ou deux ponts, dotée d’une voilure importante, légère, rapide et manœuvrante, elle constituait l’instrument idéal pour se livrer à la course. Dirigée par un équipage compétent et motivé, la frégate devenait en effet un véritable bâtiment de guerre, capable d’échapper aux vaisseaux de guerre ennemis beaucoup plus lourds, s’ils n’étaient pas trop artillés.
64Jean Boudriot distingue deux phases importantes dans l’évolution de la frégate60 dont la première s’achève dans les années 1740-1750. Avant ce tournant, il s’agit d’un petit vaisseau de guerre à deux ponts, monté de canons de douze livres61 au maximum, classé en quatrième et cinquième rang62 dans la Marine royale, que Jean Boudriot nomme « frégate-vaisseau ». Elle est peu chargée de bois, pas très haute sur l’eau, légère à la voile. Faisant suite aux cinq rangs de vaisseaux, il existe une catégorie particulière de petits bâtiments, celle des frégates légères, à un ou deux ponts, pouvant à l’imitation de la marine anglaise être considérée comme formant un sixième rang63. L’artillerie ne comporte que des pièces de quatre ou de six livres64. Toutes les frégates, même les plus petites, sont gréées à trois mâts, c’est-à-dire « en vaisseau ».
65Dans les premières décennies du XVIIIe siècle, les dernières frégates se caractérisent par l’augmentation du nombre de canons de la batterie et surtout par l’armement du gaillard d’arrière65.
66La deuxième phase, « qualifiée de “moderne”, se caractérise par l’abandon des frégates-vaisseaux et la promotion de la frégate légère. Celle-ci s’affirme un peu avant le milieu du XVIIIe siècle. Une artillerie et des dimensions plus importantes justifient la disparition du qualificatif de légère. Affranchie de la formule vaisseau, la frégate acquiert des caractéristiques et des qualités qui lui sont propres66 ». Effectivement, en 1740, le constructeur Blaise Ollivier conçoit une frégate d’un nouveau genre pour répondre aux inconvénients posés par les vaisseaux de guerre de la Royale (poids, présence de deux batteries de canons dont l’une devenait inutilisable lorsque la mer était forte à cause de sa faible hauteur au-dessus de l’eau, mauvaise marche). Le modèle qu’il propose n’a plus qu’un seul pont avec une batterie de canons de huit livres de calibre. L’allégement procuré, l’allongement de sa coque fine au ras de l’eau, ainsi qu’une mâture élancée et bien toilée, améliorent grandement la marche du nouveau navire.
67Les frégates granvillaises, sous les règnes de Louis XIV et de Louis XV, peuvent ressembler aux frégates légères de la première phase. Jean Boudriot affirme en effet que certaines furent utilisées dans la guerre de course67. Il semble toutefois minimiser leur importance : « tout au plus, elles peuvent s’opposer à de petits corsaires ou pratiquer la course à une modeste échelle68 ». Or ce ne fut pas le cas pour les bâtiments granvillais qui n’hésitèrent pas à s’aventurer au large du Portugal, du Maroc et à Terre-Neuve pour y pratiquer la guerre de course et qui soutinrent avec succès de violents combats contre d’autres frégates jaugeant près de 200 tx, actions d’éclat que réussirent le Juste ou le Jean de Grâce en 1690. Les Granvillais (et les Malouins) auraient-ils conçu un type particulier de frégate leur permettant de se livrer à la fois à la course et à la pêche terre-neuvière : un navire à deux ponts avec une cale profonde (pour permettre le transport) mais suffisamment fin de coque, malgré tout, pour garder l’avantage de la rapidité ? Hypothèse séduisante, mais audacieuse, qu’une juste prudence parvient à modérer en l’absence d’archives déterminantes. Quoiqu’il en soit, l’utilisation de frégates bâties avec deux ponts et armées d’une trentaine, voire une quarantaine, de canons est attestée pour les guerres de Succession d’Autriche et de Sept Ans69. Il paraît logique de penser, sans toutefois l’affirmer catégoriquement, qu’il s’agissait encore de frégates de la première phase, puisque ce nombre important de canons ne pouvait être réparti qu’en deux batteries, ce qui était possible grâce à la présence des deux ponts.
68La frégate légère « moderne » correspondant à la deuxième phase apparut vraisemblablement à Granville pendant la guerre de l’Indépendance américaine. Les proportions connues de deux d’entre elles le prouvent. Le Monsieur (475 tx) mesurait « cent treize pieds onze pouces de quille-coupée, cent trente-deux pieds de tête en tête, trente-trois pieds quatre pouces de baux, onze pieds six pouces de calle, avec vingt-six canons de douze livres de balle en batterie70 … » dont le coût de construction et de mise-hors, estimé a priori à environ trois cents mille livres par ses armateurs71, s’éleva en réalité à trois cent vingt-cinq mille livres environ72. L’Américaine (340 tx) mesurait « 98 pieds et demi de quille, 113 pieds de l’étrave à l’étambot, 28 pieds et demi de baux, 10 pieds 8 pouces de creux avec 24 canons en batterie du calibre de 873 »… Le Patriote, construit peu de temps après par les mêmes armateurs, devait reprendre précisément ces mesures74 ; il fut pourtant légèrement agrandi, puisqu’il jaugea finalement 390 tx.
69La mesure de la longueur, quatre fois supérieure à celle de la largeur, confirme qu’il s’agissait bien de frégates. En revanche, celle du creux peut étonner par sa modestie. En réalité, l’information est erronée. Dans l’esprit des armateurs particuliers, le creux correspond à la hauteur entre la quille et le faux pont, espace susceptible de servir au transport d’une cargaison après le retour de la paix. Dans celui de la Royale, il correspond à la hauteur entre la quille et le pont. La comparaison avec les bâtiments décrits par Jean Boudriot75, montre clairement une forte ressemblance avec les frégates classiques de la deuxième phase, comme il était possible d’en trouver dans la Royale. Le nombre et le calibre des canons indiquent que la conception du Monsieur correspondait à celle d’une frégate de 26 canons de 12 livres de balle en batterie et que celle de l’Américaine et le Patriote correspondait à celles d’une frégate de 24 canons en batterie du calibre de 8.
70Un projet d’armement, conçu par la veuve Teurterie des Cerisiers et envoyé au secrétariat de la Marine en novembre 1779, livre des informations complémentaires à propos du type de frégate utilisé à Granville. Il confirme indirectement que le passage de la première phase à la seconde dans la conception des frégates corsaires s’est bien opéré au début de la guerre de l’Indépendance américaine. La Granvillaise proposait la construction de deux frégates de 42 canons et une corvette de 18 pour naviguer de conserve.
« Ces frégates seront armées et construites dans les proportions ci déterminées et relatives à l’expédition proposée : 134 pieds de longueur absolue de l’étrave à l’étambot ; 33 pieds 6 pouces de baux et des autres proportions conformes et relatives ; elles porteront chacune 28 canons de 12 livres de balle en batterie, 4 canons de 18 en entrepont et 10 canons de 6 sur les gaillards, total 42 canons avec les pierriers, fusils, espingoles, sabres et 420 hommes d’équipage76. »
71À cet effet, la veuve-armateur pensait les « faire construire sur les gabarits des frégates le Granville et le Monsieur, à peu près de même grandeur à qui on a reconnu une supériorité de marche à tous les autres vaisseaux77 »… Or ce projet ambitieux ne se concrétisa jamais. Les raisons de son avortement proviennent très certainement de la conception architecturale qu’elle proposait : celle d’une frégate de la première phase dans laquelle les canons seraient répartis sur deux batteries. Si le Monsieur, armé en 1780, correspondait à une frégate de type nouveau, il semble que le Granville (530 tx et 36 canons), armé en 1757, ne l’était pas et que Mme Teurterie des Cerisiers aurait davantage fondé sa conception sur ce dernier. Cela signifierait que l’on utilisait encore des frégates de l’ancien type pendant la guerre de Sept Ans. Connaissant les inconvénients de ce type depuis les travaux de Blaise Ollivier en 1740, cette conception parut sans doute anachronique, en 1779, aux yeux d’éventuels actionnaires, davantage intéressés par la nouvelle frégate, moins lourde, plus manœuvrante et plus rapide, au grand dam de la Granvillaise.
72Conçus pour la course ou réutilisés comme corsaires après leur acquisition sur l’ennemi, les petits bâtiments de types indéfinis durant la période 1744-1763 devaient être légers et manœuvrants. Il pouvait s’agir de corvettes ou de simples bateaux. L’évolution de la corvette suivit fidèlement celle de la frégate. Synonyme de barque longue au XVIIe siècle, avec un pont et des petits canons, elle fut à l’origine de la frégate légère après une augmentation de ses dimensions, du calibre de ses canons et l’adoption d’un ou deux gaillards78. Au XVIIIe siècle, elle s’affirmait comme « un bâtiment de guerre analogue à une petite frégate, servant de découvertes aux armées navales et d’escorte aux bâtiments marchands le long des côtes79 ». Quant aux « bateaux », leur qualité de bon marcheur, en raison d’un faible tirant d’eau et d’une bonne voilure, leur permettait très vraisemblablement de courir sus aux pêcheurs anglais qui avaient l’habitude de fréquenter l’archipel de Chausey, pour la cueillette du varech, ou le long des côtes pour se livrer à la contrebande.
73Trois bâtiments de plus grande taille, le Thamas Koulikan (100 tx), le Conquérant (160 tx), et le Duc de Chartres (230 tx) gardent leur mystère. Le dernier, réputé mauvais marcheur, fut pris peu de temps après son départ. Était-il une frégate ? Malgré un tonnage important incitant à le penser, on peut légitimement en douter. Le premier semble avoir développé de grandes capacités guerrières puisqu’il n’hésita pas à accepter le combat avec un vaisseau anglais de force bien supérieure, avant de le perdre. Cette témérité incite à penser qu’il pouvait être une frégate légère. Quant au Conquérant, ses quatre campagnes corsaires sans avoir été lui-même capturé, ses nombreuses prises, démontrent que son type était particulièrement adapté à la guerre de course, malgré ses deux ponts80. Pourtant, les archives ne mentionnent jamais son type. Il est toujours désigné comme « corsaire » dans la matricule des bâtiments81 et dans les déclarations de prise. S’agissait-il d’une frégate ou d’autre chose ?
74Lors de la guerre de l’Indépendance d’Amérique, le « lougre » fit son apparition. Son gréement comportait deux mâts principaux (un grand mât fortement incliné à l’arrière et un mât de misaine bien vertical, portant tous les deux des voiles au tiers82) supportant des huniers et même des perroquets pour les plus grands, un beaupré pouvant porter deux ou trois focs, et souvent un tape-cul à l’arrière83. Certains ont vu une origine anglaise dans le lougre. A vrai dire, rien ne semble confirmer cette assertion. Augustin Jal semble même douter de son existence dans la marine anglaise en 177884. Or, selon les rôles de désarmement, Granville en possédait déjà en 1779. En effet, le lougre la Sauterelle de 24 tx a été construit par les chantiers granvillais, cette même année, pour être armé en course en 1780 par la maison Teurterie des Cerisiers, fils et compagnie85. Son pont supportait alors 8 canons. De son côté, l’Angleterre en possédait également, puisque la corvette garde-côtes de Granville, le Pilote des Indes, avait capturé, le 14 juin 1780, un lougre non ponté de 14 tx, construit en Angleterre à une date inconnue86. Il avait été réarmé en course le 14 août 1780, sous le nom de Défiance, avec 8 pierriers. L’origine de ce type de bâtiment reste donc méconnue.
75Ce bâtiment léger présentait de nombreux avantages : finesse, légèreté, et surtout vitesse obtenue par une voilure très importante qui lui permettait, en outre, de bien remonter au vent. Son apparition fut bienvenue chez les armateurs granvillais et bretons, perturbés par la chute des assignats et les troubles de la Terreur. Nécessitant beaucoup moins de capitaux, d’hommes et d’armes qu’une frégate, le lougre devint le navire de prédilection pour la course sous la Révolution française et l’Empire. Il permettait aux Granvillais et aux Malouins de naviguer plus librement et plus vite entre les îlots de l’archipel de Chausey, où se cachaient de nombreux corsaires anglais de Jersey, aux alentours des îles anglo-normandes et, d’une manière générale, entre les côtes françaises et anglaises de Cherbourg à Brest. Progressivement, le lougre remplaça la frégate dans la guerre de course granvillaise.
76Ce changement s’est opéré avant même la Révolution française parce que le coût de construction d’une frégate devenait trop important pour permettre de continuer ce choix. Le comte de Maurepas, qui eut la charge de la Marine française de 1715 à 1749, dénonçait déjà la forte hausse du prix de cette construction dans la première moitié du XVIIIe siècle dans le mémoire qu’il écrivit, en 1745, sur le commerce et la marine : « j’observerai seulement qu’en 1681 les vaisseaux coûtaient à construire les deux tiers moins qu’aujourd’hui. Les bois, qui reviennent à 3 livres le pied cube, ne valaient alors que 15 à 18 sols, et ainsi des autres matières et marchandises qui entrent dans la construction et équipement d’un vaisseau87 ». Malgré cette forte hausse des coûts de construction, les Granvillais avaient pourtant continué de construire des frégates, et de plus en plus grosses, puisque six d’entre elles pendant la guerre de l’Indépendance d’Amérique jaugeaient plus de 300 tx, à l’inverse, semble-t-il, des autres ports qui limitaient leur activité corsaire. Comme la pêche morutière avait progressivement hissé Granville au niveau des Malouins dans ce secteur d’activité, elle leur avait donné suffisamment d’aisance pour que certains d’entre eux tentent encore l’aventure corsaire sur d’imposantes frégates. Toutefois, avec le temps, de telles entreprises devenaient de plus en plus difficiles à mener.
77Les corsaires de la période 1792-1811 se composèrent très majoritairement de lougres et de bateaux gréés en lougres. Certains d’entre eux furent incroyablement petits, comme la Péniche qui ne jaugeait que 3 tx et ne mesurait que 8,07 mètres de longueur, 2,19 mètres de largeur et 0,70 mètre de profondeur, selon son acte de francisation88. Cette embarcation était dite « besquine » ou encore lougre. Provenant d’un échouement sur la côte, elle avait été achetée en 1811 par un capitaine, Thomas Yon, qui l’avait vite armée en course. Revenue bredouille d’une campagne décevante, elle fut rapidement vendue par son propriétaire. Elle figure désormais comme le dernier bâtiment corsaire granvillais.
Le nom des navires corsaires
78Curieusement, les navires corsaires ne portaient pas de noms bien spécifiques. Rien ne semble en vérité les distinguer des autres89. Les allusions guerrières ou à une revanche quelconque paraissent, contre toute attente, assez peu nombreuses. À peine plus nombreuses en tout cas que les noms évoquant les animaux, la mythologie, l’exotisme ou encore la religion catholique. Il est vrai toutefois que certains animaux peuvent être associés à la catégorie guerrière comme le furet, animal de chasse réputé pour son efficacité à aller chercher sa proie, ou encore le dragon, animal mythique qui crache le feu et inspire la crainte. De même, le nom de Jean Bart, personnalité connue pour ses exploits dans la caprerie, suffisait à annoncer clairement les intentions belliqueuses de l’armateur. À l’évidence, les noms les plus fréquemment attribués correspondent à des personnes, des qualités ou des valeurs morales.
79Mis à part les simples prénoms qui évoquent tout bonnement des personnes chères à l’entourage du propriétaire, ce sont surtout les noms de personnages influents qui caractérisent le mieux les corsaires. Au début du XVIIIe siècle, ils étaient très souvent donnés aux navires lorsque ces mêmes personnages s’associaient financièrement à l’armement. Tous les grands de la Cour, même les très proches du roi, avaient l’habitude de miser sur le succès de tel ou tel corsaire, de spéculer sur telle campagne qui leur paraissait susceptible de rapporter de grands profits. Tous les armateurs n’eurent pourtant pas le bonheur de voir leurs armements stimulés par l’arrivée d’aussi forts investissements. Les Granvillais connurent ces difficultés au début de ce siècle. Leurs navires, peu considérés et sans doute jugés trop petits, n’attiraient pas les capitaux de ces personnages riches et influents qui leur préféraient les Malouins, plus réputés. En revanche, pendant la guerre de l’Indépendance américaine, on peut penser que le Comte et la Comtesse d’Artois achetèrent des actions dans l’armement du Monsieur et de la Madame qui les désignaient clairement. De même, la correspondance entre l’armateur Anquetil-Brutière et le secrétariat de la Marine ne laisse aucun doute sur l’engagement financier de M. d’Aguesseau, conseiller d’État, fils cadet du grand chancelier, dans l’armement du corsaire granvillais qui portait son nom. En déduire cependant que tous les noms de personnes attribués aux navires désignaient des investisseurs serait abusif. Les armateurs demandaient parfois simplement à certains hauts personnages de la Cour l’autorisation de donner leurs noms à leurs corsaires, peut-être avec le secret espoir d’obtenir une participation financière. Ceux-ci acceptaient ou refusaient ce parrainage. Toute demande adressée à M. de Sartine, ministre d’état à la Marine, essuyait systématiquement un refus. Il répondit ainsi à l’armateur Lemengnonnet, en 1779 : « Je vous remercie de l’intention où vous étiez de faire porter mon nom à cette frégate ; mais je ne puis vous accorder cette permission que j’ai constamment refusée90. » Il répondit aussi à l’armateur Anquetil Brutière : « J’ai reçu, Monsieur, votre lettre du 13 de ce mois, par laquelle vous demandez la permission de donner le nom de la Reine à une frégate de 30 canons que vous vous proposez de construire et d’armer en course. Sa Majesté n’a pas jugé à propos de vous accorder cette faveur, qu’elle a déjà refusée plusieurs fois91… »
80Ce qui se pratiquait chez les Grands de la Cour se retrouvait également à échelle réduite en province. Les personnages dont l’influence était réelle sur le terrain (quoique locale) n’hésitaient pas à prendre des participations dans les campagnes corsaires. Les Matignon, gouverneurs de la ville de Granville, et d’autres officiers locaux ou régionaux donnaient volontiers leur autorisation aux armateurs de prêter leurs noms aux navires qui bénéficiaient de leurs participations financières. Dès lors, ceux-ci furent nommés Matignon, Comte de Torigni (noms désignant la même famille), Chevalier d’Artezey (nom de l’officier commandant du corps royal du Génie en 1756), Comtesse de Montalivet (nom de l’épouse du premier préfet de la Manche sous l’Empire avant qu’il ne soit devenu ministre), etc.
81Trois navires corsaires armés entre 1744 et 1748 par l’armateur Léonor Couraye du Parc portent le nom de Grenot : le Charles Grenot (100 tx), le Grand Grenot (300 tx) et l’Aimable Grenot (300 tx). Il s’agissait du nom de famille d’un commissaire des classes, Charles Grenot, ayant œuvré pendant sept mois à Granville92. Apparemment, si l’on en croit la tradition, il fut l’ami de Léonor Couraye du Parc. On peut toutefois s’étonner que l’armateur ait aussi vite décidé de donner le nom de ce nouvel ami, resté si peu de temps dans la cité normande, à trois corsaires importants sur une période de quatre ans. La réalité pouvait recéler une vérité différente. Si rien ne les empêchait d’avoir de réels liens d’amitié, l’on peut supposer que le commissaire acheta des actions dans ces armements et qu’il favorisa la composition de ses équipages lorsqu’il fallut lever des hommes pour les vaisseaux du roi, en dépit d’une interdiction formelle93. Le nom fut ainsi donné aux navires, même bien après le départ du commissaire, parce que celui-ci continuait de prendre des parts actives dans la société de ces armements. Cette conclusion, qui passe pour une hypothèse, demeure cependant invérifiable, faute de preuve.
82La deuxième caractéristique des noms de corsaires granvillais concerne les valeurs et les qualités morales. Tout au long de ces deux siècles, l’influence du monde de l’entreprise commerciale se fait sentir à travers les noms d’Heureux Spéculateur, Moissonneur, Entreprenant, Volontaire, Hardy, Diligent, vocables pouvant d’ailleurs revêtir une connotation guerrière. Au fil des décennies, plusieurs influences peuvent être décelées. A la fin du XVIIe siècle, l’inspiration moralisatrice fait choisir les noms de Juste, Brave, Fidèle, Modéré ou encore Chaste Suzanne. Au milieu du XVIIIe siècle, le Très Vénérable est à l’évidence une référence maçonnique, bien qu’il n’y ait à Granville aucune loge en 1755, date à laquelle on attribue ce nom au navire94. Cela reste pourtant possible, puisque les marins sont hommes de mouvement. Quant à l’attribution du vocable Patriote à un corsaire, en 1780, elle illustre la redécouverte de certaines valeurs sociales à l’occasion de la guerre de l’Indépendance américaine. Ce phénomène s’accentue avec la Révolution française, car les appellations se teintent d’une valeur citoyenne comme Bon Citoyen ou Bon Ordre. Dans une société chrétienne, marquée progressivement par les grands principes des Lumières et influencée par la franc-maçonnerie, l’attribution d’un nom évoquant ces principes n’a rien d’étonnant. Cela témoigne également de la foi, réelle ou opportuniste, des armateurs dans le monde nouveau qui se dessine en cette période troublée.
L’artillerie
La difficulté de s’armer correctement
83En dépit de l’objectif commun qui les incitait à attaquer l’ennemi et à s’y préparer le mieux possible, la logique de l’armement embarqué et des hommes employés au service des canons différait très sensiblement sur les vaisseaux du roi et sur les navires des particuliers armant en course. La Royale fonctionnait selon des règles précises, quasiment immuables, fixées par l’ordonnance de Louis XIV du 15 avril 1689. Tout était prévu pour favoriser ce fonctionnement, à l’image du système des classes, créé pour faciliter le recrutement des hommes, et des arsenaux, toujours prêts à équiper en canons et en fournitures diverses les vaisseaux du roi, du moins théoriquement. Rien de tel sur les corsaires ! Dépendant des capitaux particuliers, ils ne bénéficiaient pas des mêmes facilités. Puisque tout l’équipement guerrier était subordonné à la Marine royale, les armateurs durent user de débrouillardise pour composer au mieux leurs armements.
84La correspondance entre les ports et le secrétariat d’État à la Marine fait largement l’écho de ces malaises. Le commissaire général de la marine à Saint-Malo, M. Guillot, évoquait, trois semaines après la déclaration officielle de guerre avec l’Angleterre en mars 1744, l’embarras des Malouins pour se procurer les canons qu’ils souhaitaient : « Je crains qu’il ne leur manque du canon, quoique je les ai exhortés. […] Ils en ont assez du calibre de 4 et de 3, ce qui est trop faible, et il leur faut du 6 ou du 895. » Le mois suivant, il expliquait :
« N’ayant d’autres canons que du calibre de 4 ou de 3 livres qui est trop faible pour la guerre, ils ont abandonné cette idée et vont laisser dépérir leurs navires. D’autres avaient projeté de faire construire de petits navires sur lesquels ils comptaient placer leurs canons de 4 et de 3 livres, mais l’expérience que l’on a faite que ces sortes de navires n’ont point réussi dans les précédentes guerres, et qu’il en avait été pris les trois quarts, a encore fait tomber ce projet ; personne, et ce sont les plus sensés, ne voulant s’y intéresser96. »
85Ces lettres montrent clairement l’importance capitale de l’artillerie dans l’esprit de ces armateurs : du nombre de canons et de leur calibre dépend leur décision de participer ou non à la guerre de course. Elles nous présentent, d’autre part, une sorte d’état de l’artillerie susceptible d’être utilisée dans les armements des particuliers, au milieu du XVIIIe siècle, après trois décennies de paix et au tout début d’une nouvelle série rapide de conflits avec l’Angleterre. Granville connut assurément les mêmes difficultés que Saint-Malo. Trop proche de son voisin breton, le port normand ne pouvait aucunement jouir d’un meilleur approvisionnement. Les rôles d’armement des navires armés en guerre et marchandise entre 1720 et 1744 confirment effectivement l’emploi de canons d’une, deux, trois et quatre livres par les Granvillais, apparemment en quantité suffisante.
86Il existait donc bel et bien des canons à Granville, à Saint-Malo et dans les autres ports français en 1744. Leur calibre de trois ou quatre livres, suffisant généralement pour assurer la défense contre des pirates en temps de paix, paraissait toutefois inadapté à la guerre. Les expériences passées dans les guerres sous Louis XIV le démontraient clairement aux armateurs et au commissaire général de la marine Guillot. Il leur fallait des canons de calibre supérieur : du six ou du huit !
87Les renseignements sur l’artillerie embarquée à bord des corsaires granvillais à partir de cette année 1744 font cruellement défaut. Imprécisions, lacunes et erreurs sont fréquentes dans les rôles d’armements, parfois en contradiction avec les déclarations de prises ou les états d’armements corsaires envoyés au ministère. Un navire, en difficulté dans une tempête ou devant un ennemi plus fort qui l’oblige à fuir, peut être amené à passer par-dessus bord quelques canons pour retrouver équilibre et légèreté. Dans ce cas, le défaut de canons par rapport au rôle d’armement se justifie pleinement. L’inverse est moins vrai. Pourquoi un navire corsaire contiendrait-il plus de canons que ce qui est indiqué sur ce même rôle ? Le rôle d’armement de l’Américaine de mars 1780 – repris tel quel, lors du désarmement, selon l’habitude – mentionne 30 canons97. Néanmoins, une déclaration de prise, déposée à Morlaix le 20 avril 1780, indique 32 canons, 8 pierriers et 4 obusiers98 tandis qu’un état des armements en course pour l’année 1780, envoyé au ministère, précise que son artillerie se limitait à 24 canons de 8 et 8 canons de 2, soit 32 canons. Que doit-on croire ? Les armateurs pouvaient retenir des informations sur leur puissance de feu. Si cela est vrai, dans quel but le faisaient-ils ? S’agissait-il d’une négligence ou d’une duperie ? Existait-il des arrangements, entre armateurs, qui rendaient difficile l’enregistrement précis auprès de l’amirauté ? Ou bien s’agissait-il d’erreurs imputables au greffe ? Dans l’état actuel de nos connaissances, bien des interprétations peuvent être avancées, sans toutefois fournir de réponse définitive.
88Les corsaires, hommes malins, voyaient parfois avantage à déclarer un maximum de canons, voire à exagérer leur nombre, notamment dans les déclarations de prises. En cas d’association de deux ou plusieurs corsaires dans la capture d’un bâtiment ennemi (ou avec des vaisseaux du Roi), les gains étaient effectivement partagés « à proportion de leurs forces et du nombre de canons », selon une coutume établie depuis l’édit de mars 158499, reprise et confirmée régulièrement par la suite jusqu’à la fin de l’Empire100. La cupidité pouvait par conséquent inciter les corsaires à tricher sur le nombre101.
89Les plus gros armements en quantité de canons sont accomplis au cours de la période 1744-1783, malgré une baisse remarquable pendant la guerre de Sept Ans. Les navires embarquant individuellement le plus grand nombre de ces bouches à feu sont armés lors de la guerre de l’Indépendance américaine. A contrario, c’est après la Révolution française qu’on en embarque le moins. L’absence de renseignements entre 1702 et 1713 empêche toute comparaison valable entre la guerre de Succession d’Espagne et les autres conflits.
90Considérer la puissance guerrière d’un corsaire du seul point de vue quantitatif des canons serait cependant une erreur. Le calibre, comme le rappelait le commissaire de la Marine Guillot dans les pages précédentes, s’avérait plus déterminant.
Pénurie et stratégie de contournement
91Au milieu du XVIIIe siècle, les canons de 3 et de 4 livres ne manquaient pas, mais ils se révélaient inadaptés à la guerre de course. Ce que voulaient les corsaires de cette période, c’était le canon de six ou de huit livres. Or ceux-ci demeuraient introuvables pour les particuliers. Une fois de plus, la correspondance du commissaire général de la marine Guillot avec le secrétariat d’État à la Marine explique comment certains armateurs malouins tentèrent d’obtenir ce qu’ils désiraient, puis, constatant leur impuissance par la voie normale, comment ils se débrouillèrent pour obtenir satisfaction, et finalement pousser à une évolution décisive. Dès le début de la guerre en 1744, ils déploraient le manque de canons de calibre suffisant. Cela ne les empêchait pourtant pas de construire de gros corsaires, susceptibles de porter des bouches de feu de gros calibre.
« Comme ils ne veulent point, et qu’il ne leur convient pas de rester oisifs, quelques-uns des plus aisés ont pris le parti de faire construire des vaisseaux de 36 à 40 canons en état de résister à tous corsaires, et même à un vaisseau de guerre. Dans cette idée ils ont écrit à Bordeaux pour avoir des canons de 8 et de 6 livres dont ils ont absolument besoin, et on leur a répondu qu’il n’y en avait point ; ils ne trouvent point non plus de boulets de ces calibres, ni d’ancres propres pour de pareils bâtiments ; et cela les arrête tout court102. »
92Confronté à une pareille disette, la solution consistait à s’adresser au secrétariat d’État à la Marine afin d’obtenir ce qu’il était devenu impossible de trouver par des voies normales.
« Dans cette circonstance, Monseigneur, ils m’ont prié de vous demander si vous voudrez bien, comme il s’est pratiqué dans les dernières guerres, leur faire prêter des magasins du roi les munitions dont ils ont besoin, supposé toutes fois, comme ils le pensent, qu’il y en ait dans les arsenaux de sa Majesté au-delà de ce qu’il en faut pour le service de ses vaisseaux ; et ils s’obligeront de les rendre, ou de les payer, en cas de perte, suivant l’estimation qui en sera faite avant la livraison103. »
93Tous les armateurs n’étaient pas d’accord entre eux. Certains adoptaient une autre stratégie (par conviction, ou peut-être par ruse), préférant la vitesse de leur navire à une grande puissance de feu. L’armateur malouin Beauvais-Lefer s’en expliquait ainsi :
« Je me propose à faire construire au 1er mars une belle frégate. Je souhaiterais qu’elle fût aussi bonne voilière que le Comte de Maurepas104 et je l’espère, mais elle sera plus grande. J’aurais bien besoin de 24 canons de 6 de bonne fonte ; cela me suffirait pour mettre sur son pont, aimant mieux qu’elle soit voilière, que d’avoir du canon de huit qui en empêche la marche105. »
94Il ne demandait que du six, pensant sans doute en obtenir plus aisément que du huit. Mais les choses ne s’arrangeaient pas avec le temps, puisque le 22 janvier 1745, il regrettait l’impossibilité d’obtenir ces 24 canons comme il le désirait. Amer, envieux et ne se faisant pas d’illusion, il écrivait : « J’avais pris la liberté de vous écrire au sujet de 24 canons de 6 livres de balle. Je ne l’avais fait que parce que Votre Grandeur avait accordé la même grâce à des particuliers de cette ville, et je me flattais d’être traité comme eux ; mais puisque la chose ne se peut, j’en chercherai, à quoi j’aurai peine à réussir106. » Un peu plus tard, il fit part une nouvelle fois de son désir de se procurer des canons de huit. Mais, appréhendant un autre refus, il indiqua prudemment une autre façon d’en obtenir : « J’aurai besoin de 22 pièces de canon de 8 livres de balle. Jusqu’ici je n’ai pu les trouver, mais il faut espérer que les corsaires de Saint-Malo qui sont dehors, apporteront de l’artillerie, ce que je souhaite fort107. » Les corsaires réutilisaient donc les canons ramenés par d’autres Malouins, ou peut-être ceux qui avaient été pris aux Anglais.
95Les jours suivants, Beauvais-Lefer annonça sa détermination à construire un grand corsaire. Ce choix peut surprendre, car il savait pertinemment qu’il lui serait extrêmement difficile d’obtenir enfin ce qu’il cherchait. Il persista pourtant : « Il y a plusieurs vaisseaux sur les chantiers dans notre port, et j’en fais commencer un qui pourra porter aisément 36 pièces de canons, qui, j’espère, sera grand voilier108 ; mais malheureusement, je n’ai pas de canons de 8 livres de balle dont sa batterie doit être composée109. » La suite de la correspondance incite à penser que le changement de stratégie, délibérément opéré par l’armateur malouin, fut à l’origine de l’utilisation du canon de douze livres de calibre par les corsaires en France. Dans l’impossibilité de se procurer des canons de six et de huit, il opta pour ce calibre, non usité sur les navires armés en course, avec l’espoir d’échapper à la carence. Dès lors, son argumentation porta sur la forte puissance de sa future frégate, destinée à la guerre, et sur l’autorisation dont jouissaient déjà certains vaisseaux du commerce.
« J’avais eu l’honneur de supplier Votre Grandeur de bien vouloir me faire donner 24 canons de 8. Mais comme la frégate que j’ai mise sur les chantiers pour la course peut porter du canon de 12 livres de balle au lieu de celui de 8 que je lui avais demandé, ce serait un surcroît d’obligations que je lui aurais, si elle voulait bien me faire donner de Brest ou de Rochefort 22 canons de 12 livres de balle avec 1 200 boulets du même calibre. Avec cette amunition110, cette frégate pourrait se défendre aisément d’un vaisseau de guerre anglais de 50 pièces en faisant mettre sur mon pont les 22 canons que je lui demande : par ce moyen, je n’aurais pas besoin de celui de 8. J’ose espérer qu’en ayant prêté à des vaisseaux destinés pour marchandises, elle voudra bien m’accorder la même grâce pour un vaisseau dont la destination est fixée pour la course, et qui n’est construit que pour ce seul objet111. »
96L’opération relevait du pari. Il n’eut de cesse de harceler constamment le ministère, dans son abondante correspondance, pour obtenir satisfaction, mêlant imploration et chantage affectif : « Serait-il possible que vous cessassiez de m’accorder votre protection ? C’est la première grâce que j’ai demandée depuis 50 ans que j’ai l’honneur d’être attaché à votre maison […] car sans ce secours, j’aurais le chagrin de ne la pouvoir armer112… » « afin que la belle frégate que je fais construire ne devienne pas inutile113 ». Après avoir longtemps douté du résultat, il obtint enfin satisfaction, le 16 juin 1745. Le ministre lui permit de chercher ses vingt-deux canons de douze à Brest114. En 1747, fort de ce succès, il n’hésitait plus à se vanter de cette évolution : « J’ai été le premier à donner l’exemple à tous nos armateurs de faire construire des vaisseaux de force pour affaiblir les forces de l’ennemi115. » L’armateur granvillais, Léonor Couraye du Parc, suivit de peu Beauvais-Lefer dans son entreprise. À la suite du naufrage malencontreux de son premier corsaire, le Charles Grenot, en avril 1745, il fit dessiner une frégate de 300 tx par M. de la Cite-Roce, le Malouin qui avait conçu les Deux Couronnes et déjà entrepris sa construction, un mois plus tôt. S’inspirant des plans de la frégate malouine, il dessina le Grand Grenot. La construction fut rapide puisque, décidée à la suite du naufrage du Charles Grenot en avril, le lancement du Grand Grenot eut lieu le premier dimanche d’octobre 1745, soit cinq mois plus tard ! Le rôle d’armement116, daté du 23 février 1746, pour une campagne de course, mentionne alors la présence de 40 canons de douze et de huit livres de calibre (arrivés en grande partie de Rochefort et de Bordeaux). L’armateur granvillais, bénéficiant incontestablement de la démarche entreprise par Beauvais-Lefer, fit donc assurément partie des premiers armateurs français à embarquer des bouches à feu de pareille importance.
Évolution de l’artillerie granvillaise de 1744 à 1811
97Une estimation des armes embarquées sur les navires corsaires armés à Granville peut être tentée pour la période 1744-1811, sans toutefois prétendre à l’exhaustivité pour des raisons déjà évoquées. Des tendances se dégagent, qui livrent de précieuses informations sur l’artillerie des particuliers qui arment en course.
98La mesure de la puissance guerrière des corsaires ne se limite pas au nombre de leurs canons. Les pierriers et les armes individuelles en font également partie. La prise en considération de tout ce matériel diffère pourtant selon les décennies. En effet, la façon d’enregistrer cette puissance guerrière évolue curieusement dans les registres entre le règne de Louis XIV et l’empire de Napoléon Ier. Le contraste paraît saisissant. Lors de la guerre de la Ligue d’Augsbourg, on mesure la puissance guerrière en écrivant seulement le nombre de canons et en ajoutant parfois la formule « et autres menues armes », sans toutefois donner d’autres précisions117. Sous la Révolution et le Premier Empire, les canons deviennent rares, alors on compte très précisément les « menues armes » que l’on négligeait sous Louis XIV, à savoir le nombre de pierriers, d’espingoles, de fusils, de sabres, de pistolets, de haches d’armes, voire de poignards.
99Sous Louis XV, lors de la guerre de Succession d’Autriche et la guerre de Sept Ans, le poids du boulet est mentionné en même temps que le nombre de canons. Souvent, mais pas toujours, et sans distinction précise des différents calibres. De même, le nombre de pierriers, de fusils et de sabres est souvent précisé. Toutefois, les erreurs et les omissions semblent, là aussi, fréquentes. Par exemple, le Conquérant de 160 tx est mentionné, sur le rôle d’armement de 1745, comme ayant 22 canons de six et de trois livres, 4 pierriers, 150 fusils, 150 sabres pour un équipage de 239 hommes118. Or la lecture des comptes de sa construction nous apprend que son artillerie se composait de 22 canons de six, 6 canons de trois, 4 pierriers, 150 fusils, 70 sabres, 68 pistolets, 100 haches d’armes, etc.119.
100L’Aimable Grenot fut armé dans sa première campagne, le 11 mars 1747, pour aller en course avec 40 canons de huit et de quatre livres de calibres ainsi que 6 pierriers selon le rôle d’armement120. Cependant, dans deux déclarations de prises différentes, il est précisé qu’il avait « 2 canons de 12, 24 de 8, 14 de 3 à 4 et 6 pierriers121 ». Les quarante canons sont bien là, mais les calibres se révèlent bien différents de ceux portés sur le rôle d’armement. Il fut armé pour une deuxième campagne, le 18 novembre, toujours avec 40 canons de huit et de quatre livres de calibre ainsi que 6 pierriers122. Revenu relâcher à Granville, il en sort le 28 février 1748 avec, semble-t-il, le même nombre de canons. Une nouvelle fois, deux déclarations de prises différentes déposées en des ports différents (18 mars 1748, à Vannes, et 11 avril 1748, à Morlaix) contredisent ce nombre. Selon ces deux rapports, il n’aurait eu que 28 canons123. Pourquoi de telles différences ? S’était-il débarrassé de quelques-uns d’entre eux (à quelle occasion ?) ou devait-on déplorer une négligence du greffe qui aurait simplement reporté la mention de la première campagne sans vérifier la teneur de l’information ? Tous ces renseignements semblaient véritablement être pris grosso modo par les uns et plus sérieusement par d’autres.
101Pendant la guerre de Succession d’Autriche, les calibres de huit, six et quatre furent les plus utilisés. Cela peut étonner si l’on se réfère au contenu des lettres envoyées par les Malouins déplorant la disette de canons de six et de huit livres. En vérité, il est possible que les Granvillais souffrirent aussi de ce manque, mais comme ils étaient nettement moins nombreux à armer en course et à se partager les armes nécessaires, les effets en furent moins néfastes.
102Indiscutablement, les navires embarquant le plus grand nombre de ces bouches à feu furent le Grand Grenot et l’Aimable Grenot, tous deux appartenant au même armateur, Léonor Couraye, sieur du Parc. L’un et l’autre portaient officiellement 40 pièces : deux de douze, vingt-quatre de huit et quatorze de quatre et de trois livres, qu’ils utilisèrent successivement. L’armateur en avait obtenu vingt-deux de l’arsenal de Rochefort et onze de quatre livres à Bordeaux124 pour équiper le Grand Grenot en février 1746. La démarche initiée par le Malouin Beauvais-Lefer lui avait permis d’obtenir ses deux plus gros canons. Après le naufrage du corsaire à l’entrée du port de Granville, en juillet 1746, ses canons furent récupérés et remontés sur l’Aimable Grenot que Léonor Couraye du Parc avait aussitôt entrepris de construire en remplacement. Grâce à une déclaration d’une de ses prises, nous savons que les six pierriers, dont il était équipé, se trouvaient dans la hune125. En 1748, deux autres corsaires (le Vigilant de 350 tx et le Coureur de 250 tx) purent s’équiper de canons de douze livres, mais leur nombre reste encore inconnu.
103Au conflit suivant, la guerre de Sept Ans, les navires granvillais furent équipés de pièces de différents calibres, allant de deux à douze livres. Mais le calibre de six fut incontestablement le plus utilisé. Devant le manque important de canons d’un calibre supérieur, les armateurs durent en effet s’en contenter.
Navires corsaires | Équipages | Nombre de canons | Calibres des canons | Pierriers | Fusils | Sabres |
Très Vénérable (1756) 15 tx | 30 | 2 | ? | 6 | 20 | 20 |
Hardy (1756) 60 tx | 67 | 10 | ? | 10 | 40 | 24 |
Grand Gédéon (1756) 250 tx | 187 | 20 | 4 et 6 | 6 | ||
Machault (1756) 300 tx | 288 | 24 | 6 | 16 | 130 | 50 |
Chevalier d´Artezé (1756) 35 tx | 36 | 4 | ? | 6 | 36 | 8 |
Granville (1757) 530 tx | 316 | 36 | 12 et 8 | 6 | 150 | |
Mesnil (1757) 300 tx | 262 | 24 | 20 de 6 et 4 de 8 | 158 | 120 | |
Machault (1757) 300 tx | 224 | 30 | 6 | 16 | 130 | 50 |
Nymphe (1757) 200 tx | 159 | 20 | 6 | 19 | 100 | 60 |
Comte de la Rivière (1757) 150 tx | 154 | 18 | 6 | 0 | 80 | |
Chevalier d´Artezé (1757) 35 tx | 36 | 4 | ? | 6 | 36 | 8 |
Marquis de Marigny (1758) 180 tx | 171 | 20 | 6 | 110 | ||
Machault (1758) 300 tx | 224 | 30 | 6 | 16 | 130 | 50 |
Chevalier d´Artezé (1758) 35 tx | 35 | 4 | ? | 6 | 36 | 8 |
Marquis de Marigny (1759) 180 tx | 195 | 20 | 6 | 110 | ||
Total | 2384 | 266 | 113 | 1266 | 398 |
104Le plus gros navire, le Granville (530 tx) n’eut que trente-six canons de différents calibres, ce qui semble peu par rapport au Grand Grenot de 300 tx et à l’Aimable Grenot de 390 tx qui furent tous les deux équipés de quarante canons, dix ans auparavant. Une lettre de l’intendant de marine de Brest adressée à la Cour mentionne toutefois qu’il était « armé de 36 canons du calibre de 12 et de 8126 ». Il fut le seul à bénéficier de pièces aussi importantes. Malheureusement, la frégate explosa en mer au cours d’un combat.
105Avec lui disparurent les seules pièces de douze et de huit que le port de Granville possédait, de sorte qu’aucun ne put en bénéficier par la suite.
106La conjoncture, lors de la guerre de l’Indépendance américaine, parut bien meilleure aux armateurs qui obtinrent davantage de satisfactions. La pénurie sévissait moins fortement qu’au précédent conflit et le Gouvernement promettait des aides appréciables aux armateurs corsaires. Le nombre et le calibre des pièces utilisées par les Granvillais sont bien connus, à la faveur de plusieurs états conservés aux Archives nationales à Paris, en dépit des erreurs et des imprécisions habituelles.
107L’on recourut à des pièces de toutes tailles, mais le calibre le plus utilisé fut celui de 8 livres, précédant de loin celui de 12. Ce sont donc des canons moyens qui furent embarqués. Le corsaire qui bénéficia le plus des canons de 12 fut le Monsieur, de 475 tx, lequel effectua deux campagnes. Il correspondait fidèlement au type de frégate préconisé par Blaise Ollivier, constructeur renommé et proche du secrétariat d’État à la Marine, dans un mémoire qu’il avait rédigé en 1743. Il y expliquait clairement les avantages et les inconvénients des constructions selon le nombre de canons et leur calibre, et surtout les aménagements souhaitables pour obtenir la meilleure manœuvrabilité possible127. La capture malheureuse du Monsieur par deux frégates anglaises priva lourdement, une nouvelle fois, les Granvillais de ses vingt-six pièces. Cette perte était d’autant plus regrettable qu’une nouvelle disette frappait les Français. L’État, désireux d’encourager les armements en course avant même le début du conflit128, avait fait des promesses aux armateurs dès le mois de juin 1778 : « Pour encourager l’armement de grands bâtiments, qui sont tout à la fois plus propres à la course et d’une meilleure défense, il sera fourni de nos arsenaux, les canons des calibres de 12 et de 8 livres de balles, qui seront nécessaires pour les batteries des corsaires de quatre-vingt-quinze pieds de quille coupée et au-dessus129. » L’article 5 de la même déclaration prévoyait l’éventualité d’une pénurie. « Si les canons ne peuvent être fournis à temps, nous autoriserons les armateurs à en acheter, et nous donnerons les ordres pour leur faire payer, dans un mois après l’expédition du rôle d’équipage, la somme de 800 livres pour tenir lieu de chaque canon de 12, et de 600 livres pour chaque canon de 8130. » Les pièces correspondant à ces calibres firent malgré tout rapidement défaut. Une lettre adressée par le secrétaire d’État à la marine, M. Sartine, à l’armateur Lemengnonnet, en date du 13 avril 1779, révèle l’impossibilité de tenir cet engagement : « J’ai reçu votre lettre du 30 du mois dernier, par laquelle vous m’annoncez l’armement que vous vous proposez de faire d’une frégate de 24 canons de 8. Il ne sera pas possible de vous fournir cette artillerie en nature ; mais vous pouvez compter sur les encouragements promis par la déclaration du 24 juin dernier131. » À l’examen du tableau reprenant la composition de l’artillerie embarquée sur les corsaires granvillais, le manque ne fut que provisoire puisque la majorité des navires fut montée de pièces de ce même calibre.
108Un nouveau type de bouche à feu fit son apparition : l’obusier, déjà couramment utilisé dans l’armée de terre. L’emploi de projectiles explosifs constituait une nouveauté redoutable pour les marins. Le 13 juin 1779, au cours de sa première campagne, alors qu’il est armé de 32 canons, le Monsieur capture le Matty (250 tx), navire de commerce de Glasgow, lequel était armé de « 12 obusiers de 12 et 2 de 6132 ». Dans sa deuxième campagne qui débute en janvier 1780, le Monsieur n’a plus que 26 canons, mais il compte aussi 10 obusiers. Nicolas Deslandes, son armateur, aurait-il acheté et monté ces obusiers sur son corsaire ? En février 1780, il eut une nouvelle fois l’occasion de rencontrer cette arme car le Monsieur captura un corsaire anglais de soixante-quatorze pieds de long, la Bellone, lequel était armé de « 14 obusiers de 12 sur pivot, 4 canons de 6, 8 pierriers133 »… Le Granvillais ne fut pas le seul à utiliser cette nouvelle arme, car il fut rapidement imité par les armateurs Bretel, Ernouf et La Houssaye qui en équipèrent leur frégate, l’Américaine, la même année. Nicolas Deslandes ne put pas profiter longtemps de ces obusiers car sa frégate fut capturée en mars 1780 par deux vaisseaux de guerre anglais. Apparemment, ces quatre armateurs se désintéressèrent de ce type de bouche à feu à partir de 1781. L’on dit que l’emploi de ces projectiles explosifs n’était pas commode en mer et qu’il se révélait plus dangereux pour les utilisateurs que pour l’adversaire. Hypothèse vraisemblable, puisqu’aucun autre corsaire granvillais n’en fut pourvu par la suite jusqu’à la fin du conflit.
109Sous la Révolution et le Premier Empire, comme les canons devinrent rares, on compta très précisément les « menues armes » que l’on négligeait sous Louis XIV, à savoir le nombre de pierriers, d’espingoles, de fusils, de sabres, de pistolets, de haches d’armes. Quelques canons furent malgré tout embarqués, de faibles calibres : généralement de 2, 3 ou 4 livres. Des pièces de 6 livres, et parfois même de 12, se trouvaient encore, mais exceptionnellement. Pour pallier cette pénurie, la municipalité granvillaise fit fondre, dès 1793, les vieilles couleuvrines de la ville et celles du Mont-Saint-Michel dans les fonderies voisines de Villedieu-les-Poêles (traditionnellement réservées aux cloches) pour fabriquer des canons de 4 livres de calibre134, destinés à des navires de petit tonnage.
110Curieusement, l’on n’utilisa que deux caronades de 8. Les avantages de cette arme sur de petits bâtiments tels que des lougres paraissaient pourtant indiscutables (prix, poids, commodité d’utilisation et, surtout, efficacité redoutable dans le combat rapproché). Malheureusement, le seul corsaire à en être pourvu, l’Impromptu, un lougre de 67 tx, revint bredouille de son unique campagne, en 1807, peut-être même sans les avoir utilisées.
*
111Cette étude des bâtiments et de l’artillerie met donc en lumière deux stratégies développées par les armateurs granvillais. La première consistait à armer de gros navires, capables de naviguer au loin dans l’océan, sans toutefois être systématiquement pourvus de grosses bouches à feu, à cause de fréquentes pénuries de canons. À cet effet, la frégate fut nettement privilégiée par rapport aux autres types de navires, eu égard à d’évidentes qualités navales et guerrières. L’emplacement géographique du port, éloigné des zones de passage des riches navires de commerce ennemis, justifiait ce choix, du reste assez logique. Cette stratégie ne se distingue pas particulièrement de la plupart des ports corsaires de la façade atlantique. La particularité des Granvillais réside toutefois dans la taille imposante de certains bâtiments qui témoigne assurément de l’ambition de certains armateurs. Au-delà des dimensions, bien des mystères demeurent sur leurs caractéristiques architecturales. Avait-on privilégié la solidité de la coque, en la renforçant fortement et lourdement135, pour mieux résister aux canons ennemis dans des combats qui pouvaient s’avérer violents face à un ou deux adversaires puissant(s), désireux de protéger des cargaisons de valeur ? Avait-on préféré alléger la coque, quitte à la fragiliser, pour améliorer sensiblement la vitesse, si déterminante dans l’attaque ou la fuite ? Comment avait-on concilié ces deux conceptions contradictoires ? Seule, une fouille archéologique sur une épave corsaire pourrait fournir des éléments de réponse à cette question essentielle. L’Aimable Grenot constitue un exemple intéressant. Cette frégate de 390 tx, armée de 40 canons, s’écrasa sur elle-même, lors d’une opération de carénage en juillet 1747, ce qui incite à croire que sa coque devait être assez fragile, auquel cas la vitesse avait été privilégiée. Elle fut remise en état pour une deuxième campagne corsaire, qui débuta en novembre de la même année avec seulement 28 canons. Quelle fut la nature des travaux entrepris ? L’armateur avait-il préféré renforcer la carène de son bâtiment pour lui redonner de la solidité et enlever des canons pour compenser la prise de poids ? Une campagne de fouilles sous-marines entreprise par une équipe d’archéologues à Saint-Malo, sur une épave qui serait très vraisemblablement celle de l’Aimable Grenot, pourrait être décisive dans les années à venir136.
112Parallèlement, d’autres hommes choisirent de pratiquer une guerre de course de moindre échelle en armant de petits bâtiments, plus ou moins bien équipés en matériel de guerre. La proximité des îles Anglo-normandes leur laissait croire que des opérations de moindre coût pouvaient déboucher sur de grandes satisfactions. Entre ces deux alternatives stratégiques, la disponibilité financière décidait chacun à opter pour l’une ou l’autre de ces stratégies.
Les bouches à feu
113Le boulet rond est utilisé pour couler un navire ou endommager sa coque. Dans son Dictionnaire de marine de 1702, Nicolas Aubin explique l’intérêt du boulet à chaine : « Quand on le tire, l’effet de ces deux boulets est d’autant plus grand, que la chaine embrasse et coupe ce qu’elle rencontre, de sorte qu’elle désempare un vaisseau, en abattant les mats, et coupant les manœuvres et les voiles. On les nomme aussi des anges, parce qu’au dire des matelots, ce sont des anges qui volent de part et d’autre. » Leur appréhension était telle qu’elle poussait les marins à se cacher et à se taire lorsqu’ils entendaient siffler ce genre de boulet très redouté qui arrivait en leur direction. C’est apparemment l’origine de l’expression « Silence ! Un ange passe… ». Les boulets ramés, brisés et lamés occasionnent les mêmes effets dévastateurs.
Les « menues » armes de combat ou armes portatives.
Collection du musée du Vieux Granville (clichés de l’auteur).
Notes de bas de page
1 BNF, Manuscrits, Cinq cents Colbert, 199 : Inventaire général et description de tous les vaisseaux appartenant aux sujets du Roy en l’année 1664.
2 25 bâtiments jaugent moins de 100 tx et 4 jaugent davantage. Les détails de ce recensement sont consultables sur le site du CRHQ.
3 AN, Marine, B3 19, f° 360-362, État des dimensions et proportions des vaisseaux de Saint-Malo et Granville. Toutefois, le commissaire malouin ne précise pas si ces 15 navires constituent la totalité des navires granvillais. On peut penser qu’il s’agit des terre-neuviers.
4 La longueur est prise de tête en tête ; la largeur est prise au maître couple hors membrure ; le creux se mesure du dessus de la quille à la ligne droite du maître bau du pont inférieur.
5 Anonyme, Construction des vaisseaux du Roy, et le nom de toutes les pièces qui y entrent, marquées en la table par numéro, Havre de Grace, 1691, chez J. Hubault, p. 73 et 99.
6 Voir les caractéristiques et les diagrammes correspondants en annexe. Sur les quinze navires recensés, seuls trois jaugent plus de 100 tx : le Saint-Thomas (110 tx), le Jean-Baptiste (127 tx) et le Saint-Pierre (109 tx).
7 J. Guéroult du Pas, Recuëil de veues de tous les différens bastimens de la mer Méditerranée, et de l’Océan, avec leurs noms et usages, Paris, chez Giffart, 1710, bâtiments de la mer Océane, 6e vue. Guéroult du Pas, dessinateur minutieux, commet cependant une erreur dans la légende de cette 6e gravure. Les deux bâtiments reproduits se livrent manifestement à la pêche errante. Pour des raisons évoquées dans le chapitre 6, leur construction diffère sensiblement de ceux utilisés à la pêche sédentaire, plus grands, qui nécessitaient l’engagement de nombreux hommes et la place suffisante pour un matériel plus important en vue d’une pratique de pêche différente.
8 Une flûte passait pour le bâtiment de charge par excellence. Selon Augustin Jal, c’était un « navire de charge, à fond plat, large, gros et lourd, dont la poupe était ronde, au XVIIe siècle » (A. Jal, Glossaire nautique…, article Flûte, p. 706).
9 SHDM Vincennes, SH82, Recueil des cartes, plans, descriptions et état des capitaineries de la Normandie.
10 Les tonnages se répartissent de la manière suivante : 9 d’un tonnage inférieur à 70 tx ; 1 de 80 tx ; 15 d’un tonnage compris entre 100 et 150 tx.
11 Cité par A. Lespagnol, Messieurs de Saint-Malo…, op. cit., p. 261.
12 Tous ces navires portaient deux ponts. L’Inventaire général de Colbert de 1664 précise que les terreneuviers étaient déjà bâtis à deux ponts. Ils restèrent sur cette norme jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, si l’on en croit la matricule des bâtiments. L’on peut toutefois s’interroger sur l’existence réelle de ces deux ponts. Il est possible qu’il s’agisse plutôt d’un pont et d’un faux-pont.
13 AN, Marine, G77, f° 129-133.
14 AN, Marine, D2 51, pièce no 61 Mémoire par Pléville Le Pelley (1786). Données consultables sur le site du CRHQ.
15 La matricule des bâtiments, conservée au SHDM à Cherbourg, est incomplète et imprécise, de sorte que nous n’avons de renseignements que sur les navires utilisés de 1727 à 1763 et de l’an XII à 1816. Si l’on trouve effectivement l’enregistrement de chaque bâtiment du commerce, force est de constater qu’il n’en va pas de même pour les corsaires. Hormis neuf d’entre eux, ils y sont curieusement inexistants. Seuls, le Conquérant (160 tx), la Revange (200tx), le Duc de Chartres (230 tx), le Succès (70 tx, construit en Angleterre), le Coureur (250 tx), le Gédéon (250 tx), le Vigilant (350 tx) figurent dans le registre contenant l’ensemble des navires granvillais pour la période 1739-1750 (SHDM Cherbourg 12P5 10). Le Gédéon est repris dans le registre suivant pour la période 1751-1762 où figurent également le Hardy (60 tx) et le Granville (530 tx).
16 SHDM Cherbourg, 12 P4 90-103 et 12P5 12.
17 Cette limite tolère la présence éventuelle de bâtiments de faible tonnage ne pratiquant aucunement la pêche terre-neuvière afin de permettre une comparaison avec les 144 « navires terre-neuviers » de la période 1751-1762 qui jaugeaient entre 40 et 300 tx).
18 Duhamel du Monceau, Traité général des pêches…, op. cit., vol. 2, p. 52.
19 A. Jal, Glossaire nautique…, op. cit., notice Bateau, p. 270.
20 J. Boudriot, Le navire marchand…, op. cit., p. 109.
21 Ibid., p. 109.
22 Ibid., p. 116.
23 M. Vergé-Franceschi et E. Rieth, La France maritime au temps de Louis XIV, Paris, éd. du Layeur, 2001, p. 32.
24 J. Boudriot et H. Berti, Modèles historiques au musée de la Marine, Paris, Ed. Ancre, 1997, p. 222.
25 AN, Marine, C4 159, pièce 45.
26 J. Boudriot, Le navire marchand…, op. cit., p. 145.
27 A. Jal, Glossaire…, op. cit., notice Brig, p. 341. De nos jours, ce « pic ou corne » est plus communément appelé une « bôme ». C’est à cette grande voile trapézoïdale, appelée « brigantine », que le Brick doit son nom.
28 Nouveau glossaire nautique d’Augustin Jal, Paris, Éd. du CNRS, 1988, lettre A-B, p. 154-155.
29 J. Boudriot, Le navire marchand…, op. cit., p. 130.
30 S. Llinares, Marine, propulsion et technique : l’évolution du système technologique du navire de guerre français au XVIIIe siècle, Paris IV, thèse d’histoire, 1994, éd. de l’Inde, p. 30.
31 J. Boudriot, Le navire marchand…, op. cit., p. 52.
32 AN, Marine, B3 428, f° 344.
33 AN, Marine, B3 422, f° 338.
34 S. Llinares, « Équipages, conception et manœuvre du gréement sur les navires de guerre français au XVIIIe siècle », L’équipage du navire antique aux navires d’aujourd’hui. Actes du colloque organisé sur l’île de Tatihou du 13 au 15 mai 1999, E. Barre et A. Zysberg (dir.), Saint-Lô, p. 289.
35 AN, Marine B3 428, f° 348-34.
36 AN, Marine, B3 422, f° 355-356, lettre du 03/05/1744.
37 Ibid.
38 SHDM Vincennes, SH 82, f° 219-222.
39 Les bâtiments armés en guerre et marchandises sont exclus de ce tableau. Leur finalité commerciale risquerait en effet de fausser les interprétations concernant les corsaires stricto sensu.
40 Le détail de ce calcul est consultable sur le site du CRHQ.
41 Ce fort pourcentage provient principalement des trop grandes lacunes concernant les navires de la période 1793-1800.
42 Ce navire jaugeait officiellement 150 tx, avant transformation, lorsqu’il s’appelait le Comte de Torigni.
43 Après la guerre de Succession d’Autriche, le Coureur (250 tx), le Vigilant (350 tx), le Conquérant (160 tx) servirent à la pêche sédentaire à Gaspé, tandis que l’Aimable Grenot (390 tx) fut armé pour le marché de Cadix à partir de Saint-Malo.
44 Le détail de ces calculs est consultable sur le site du CRHQ.
45 Les données concernant la période 1688-1713 comprennent les corsaires stricto sensu et les armements en guerre et marchandises qui ont effectué au moins une prise, en raison du caractère mixte des armements en guerre et marchandises évoqués au chapitre 4. En revanche, une distinction est opérée pour la période 1744-1746. Beaucoup plus faciles à distinguer, ils sont signalés par la mention « g & m » et ne sont pas pris en compte dans les totaux.
46 AN, AD VII 7 B, tome 2, p. 634-655, Déclaration du Roi concernant la course sur les ennemis de l’État du 24 juin 1778, art. 3.
47 Ibid., art. 11.
48 Ibid., art. 4.
49 AN, Marine, C7 266, dossier Quinette de la Hogue.
50 AN, Marine, B4 300, f° 79-84.
51 AN, Marine, B4 300, f° 80.
52 AN, Marine, C7 266, dossier Quinette de la Hogue.
53 A. Droguet, « Les corsaires de la République (1790-1800)…, op. cit., p. 219.
54 H. Malo, Les derniers corsaires ; Dunkerque…, op. cit., p. 234.
55 D. J. Starkey, British privateering enterprise…, op. cit., p. 24.
56 Ibid., p. 38.
57 Ibid., p. 40.
58 AN, Marine, F2 7, f° 239.
59 Les navires armés en guerre et marchandises de la période 1744-1746 en sont de nouveau exclus.
60 J. Boudriot, La frégate ; Étude historique, éd. Ancre, Paris, 1992, 341 p.
61 Les canons sont toujours définis par le poids, donné en livres, de leurs projectiles.
62 Le règlement de 1670 officialisait le classement des vaisseaux en cinq rangs. Les trois premiers, par la puissance de leur artillerie, étaient destinés à combattre en ligne de bataille. Les deux autres, ne le pouvant pas, servaient donc à effectuer des découvertes et à transmettre des ordres (J. Boudriot, La frégate…, op. cit., p. 8).
63 J. Boudriot, La frégate., op. cit., p. 5 et p. 48-49.
64 J. Boudriot, « La frégate dans la marine royale, 1660-1750. La frégate légère », Neptunia, no 181, p. 30.
65 Ibid., p. 30.
66 J. Boudriot, La frégate…, op. cit., p. 5.
67 Ibid., p. 8.
68 Ibid., p. 30.
69 Sur les rôles d’armement, il est mentionné que le Grand Grenot et l’Aimable Grenot comptait 40 canons, le Granville 36 canons, la Revange 34, le Vigilant et le Machault de 30.
70 AD50, 227 J 12.
71 Ibid.
72 AN, Marine, G143, no 23.
73 AD14, C4155, lettre des armateurs Ernouf, Bretel et La Houssaye datée du 22/07/1778.
74 Ibid.
75 J. Boudriot, La frégate…, op. cit., p. 63-116.
76 AN, Marine, G143, no 23, Prospectus d’armement daté du 09/11/1779.
77 Ibid.
78 Ibid., p. 48.
79 Nouveau glossaire nautique d’Augustin Jal, op. cit., 1978, lettre C, p. 346.
80 Les armateurs avaient parfois tendance à considérer un faux-pont comme un deuxième pont pour des raisons déjà évoquées.
81 SHDM Cherbourg, 12P5 10, f° 25, no 97.
82 Cela signifie que la vergue est fixée au tiers de sa longueur sous le vent. Cette disposition rendait le navire « ardent » (tendance à venir au vent). La marche au plus près devenait dès lors avantageuse.
83 On appelle tape-cul une petite voile trapézoïdale hissée à un petit mât portant le même nom, situé à l’arrière.
84 Augustin Jal, Glossaire…, op. cit., article Lougre, p. 943-944.
85 SHDM Cherbourg, 12P4 90, no 42. Il fut pris, le 17 août 1780, par la flotte anglaise de l’amiral Geary.
86 SHDM Cherbourg, 12P4 90, no 35 et AN, Marine, F2 69, f° 48.
87 AN, Marine, G127, Mémoire 2, f° 41.
88 SHDM Cherbourg, 12P7 3.
89 La liste ordonnée des corsaires est consultable sur le site du CRHQ.
90 AN, Marine, F2 45, lettre datée du 13/04/1779.
91 AN, Marine, F2 45, lettre datée du 31/05/1779.
92 Venant de Saint-Brieuc, Charles Grenot avait pris son poste à Granville, le 1er décembre 1743, pour remplacer le sieur Letourneur. Il y resta peu de temps, puisqu’il fut renommé à Saint-Brieuc, le 1er juillet 1744 (AN, Marine C7 131).
93 D.-M.-A. Chardon, Code des prises…, op. cit., t. 1, p. 142-143. L’ordonnance du roi, datée du 5 mai 1693, portait défense « à tous les commissaires de la Marine de prendre aucune part, ni intérêt, directement ou indirectement, dans les bâtiments armés en course, sans la permission expresse de Sa Majesté » afin d’éviter des préférences dans la composition des équipages, susceptibles de nuire au service du roi.
94 É. Saunier, Révolution et sociabilité en Normandie au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, 6 000 francs-maçons de 1740 à 1830, Rouen, Presses universitaires de Rouen, 1999, 555 p.
95 AN, Marine, B3 422, f° 338, lettre du 04/04/1744.
96 AN, Marine, B3 422, f° 355-356, lettre du 03/05/1744.
97 SHDM Cherbourg, 12P4 90, no 31.
98 AD29, Brest, B4198 f° 132-133.
99 Chardon D.-M.-A., Code des prises…, op. cit., p. 21-22, édit de mars 1584 concernant la juridiction de l’Amirauté de France, art. 62.
100 Bulletin des lois, t. 5, Décret impérial sur le mode de partage des prises faites concurremment par plusieurs corsaires du 9 septembre 1806, art. 1er.
101 Un récapitulatif des corsaires granvillais indiquant la quantité des canons officiellement embarqués est consultable sur le site du CRHQ.
102 AN, Marine, B3 422, f° 355-356, lettre du 03/05/1744.
103 Ibid.
104 Beauvais-Lefer était l’armateur de cette frégate de 160 tx.
105 AN, Marine, B3 441, f° 13-14, lettre du 06/01/1745.
106 Ibid., f° 17-18, lettre du 22/01/1745.
107 Ibid., f° 36, lettre du 17/03/1745.
108 Il s’agit de la frégate Deux Couronnes. Sa construction commença le 1er mars 1745. Au fil des mois, l’armateur décida son agrandissement pour peser davantage sur le ministère en vue d’obtenir ses canons de 12. La frégate jaugera, une fois terminée, 450 tx. Sa première campagne débutera en septembre 1745.
109 AN, Marine, B3 441, f° 44, lettre du 26/03/1745.
110 C’est-à-dire le pourvoi des munitions nécessaires.
111 AN, Marine, B3 441, f° 50, lettre du 07/04/1745.
112 AN, Marine, B3 441, f° 59, lettre du 03/05/1745.
113 AN, Marine, B3 441, f° 66, lettre du 07/05/1745.
114 AN, Marine, B3 441, f° 81.
115 AN, Marine, B3 462, f° 206, lettre du 28/06/1747.
116 SHDM Cherbourg, 12P4 5 f° 1.
117 Par exemple, le Jeune Homme, du port de 150 tx ou environ, est « armé de 16 canons et autres menues armes » (AD35, 9B457, f° 126).
118 SHDM Cherbourg, 12P4 24, no 36.
119 Médiathèque de Granville, fonds du patrimoine, transcriptions non référencées de C. de La Morandière.
120 SHDM Cherbourg, 12P4 26, no 8.
121 AD29 Brest, B 4193, Prise du Saint-Louis, f° 24-25 ; Prise du Comte de Noailles, f° 29.
122 SHDM Cherbourg, 12P4 26, no 55.
123 AD56, 9 B 170, dossier Clarendon; AD29 Brest, B4193, f° 75-78.
124 A. Cahierre, « Les armements corsaires de Léonor Couraye du Parc pendant la guerre de Succession d’Autriche (1744-1748) », Revue de l’Avranchin et du Pays de Granville, mars 2003, t. 80, fasc. 394, p. 18.
125 AD29 Brest, B 4193, prise du Comte de Noailles, f° 29.
126 SHDM Brest, 1E531, f° 322, lettre du 25 mai 1757. La lettre est rédigée dans ces termes : « Il est aussi arrivé ici aujourd’hui un corsaire de Granville armé de 36 canons du calibre de 12 et de 8 démâté de son grand mât, de son mât de misaine et de son beaupré auquel je fais fournir tout ce qui lui est nécessaire pour se regréer. » Il ne précise pas nommément le bâtiment. Toutefois, le Granville était le seul de cette force dans le port normand. En outre, il était bien en campagne corsaire à cette date. Le doute n’est donc plus permis.
127 J. Boudriot remarqua ce mémoire qu’il donne en intégralité dans La frégate ; Étude historique…, op. cit., p. 48-49, en citant sa source (AN, Marine, D1 16).
128 Cette déclaration fut faite le 24 juin, alors que la guerre contre l’Angleterre ne fut officielle que le 10 juillet.
129 Déclaration du Roi concernant la course sur les ennemis de l’État du 24 juin 1778, art. 4.
130 Ibid., art. 5.
131 AN, Marine, F2 45, lettre du 13/04/1779.
132 AD56, 9 B 177, dossier Matty.
133 AD56, 9 B 178, dossier Bellone.
134 Granville, médiathèque, fonds du patrimoine, DI a4, Registre 4e des délibérations depuis le 11/02/1793 au 18 frimaire an 2, f° 25, 51, 73 et 95.
135 À cet effet, l’emploi de porques, c’est-à-dire de pièces courbes qui servent à renforcer la carène entre les couples, pouvait pleinement se justifier.
136 Il s’agit de l’équipe du DRASSM, dirigée par M. L’Hour et E. Veyrat, qui œuvrait encore récemment sur le site de la Natière, à Saint-Malo. La publication de leurs travaux est prévue prochainement.
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