1 Adorno, « What Does Coming to Terms with the Past Mean? », p. 115 Le texte original en allemand se trouve dans Adorno, Erziehung zur Mündigkeit, p. 10-28. Un mot sur la terminologie est requis ici : le concept freudien de Durcharbeitung (en anglais, « working through ») est traduit par les psychanalystes français par « perlaboration », mot rare et technique, tandis qu’en allemand et en anglais ce mot fait partie du langage courant. Nous préfèrons donc le traduire par « traiter » ou « travailler sur », qui correspond à peu près au registre voulu. Le concept de Durcharbeitung sera traité plus longuement au chapitre 6.
2 Postone, « After the Holocaust: History and Identity in West Germany », p. 238.
3 Voir Rabinbach, « Beyond Bitburg : The Place of the ‘Jewish Question’ in German History after 1945 », p. 192-194. Pour une analyse détaillée et nuancée des positions d’Adenauer et d’autres hommes politiques d’Allemagne de l’Ouest dans les années 1950, qui présente des conclusions similaires, voir Herf, Divided Memory : The Nazi Past in the Two Germanys, chapitre 8. Un changement radical se produisit dans les années 1960, en particulier après le mouvement étudiant de 1968. On note en France à peu près à la même époque un regain d’intérêt pour la Deuxième Guerre mondiale.
4 Herf, Divided Memory, chapitre 5.
5 Il s’agit seulement d’une impression personnelle, basée sur des conversations et des sondages informels que j’ai faits pendant que j’étudiais ce film. Cette impression est confirmée par un article du producteur du film, John S. Friedman, qui note qu’en dépit de son succès critique, le film ne bénéficia pas d’une distribution très étendue et ne dégagea pas suffisamment de recettes pour permettre d’amortir les coûts de production. Voir Friedman, « ‘Hotel Terminus’ : le point de vue d’un producteur », p. 39. En effet, il n’est pas disponible en dvd, et est difficilement trouvable en vidéocassette aux États-Unis ; il est pratiquement introuvable in France.
6 Je me base ici en partie sur les chapitres 2 à 6 du livre d’Erna Paris, Unhealed Wounds : France and the Klaus Barbie Affair. Celui-ci parut deux ans avant la tenue du procès, mais il est bien documenté sur le début de la carrière de Barbie et les efforts qu’il fallut faire pour l’extrader. Il existe un autre livre qui retrace les activités de Barbie, particulièrement détaillé en ce qui concerne les années qu’il passa au Pérou et en Bolivie : Linklater, Hilton et Ascherson, The Nazi Legacy : Klaus Barbie and the International Fascist Connection.
7 Rousso consacre un chapitre entier au dossier Barbie. Il y explique notamment les questions juridiques qui étaient en jeu, et se réfère souvent à Barbie tout au long du livre ; l’édition de 1990 est encore plus complète au regard du procès. Pour un récit du procès au jour le jour, basé sur les articles parus dans Libération, voir Chalandon et Nivelle, Crimes contre l’humanité : Barbie, Touvier, Bousquet, Papon, p. 13-164.
8 Paxton, Vichy France : Old Guard and New Order, 1940-1944 ; Marcel Ophuls, Le Chagrin et la Pitié (scénario) ; le film sortit en salle en 1971.
9 Écrit à l’époque du procès Barbie, Les Assassins de la mémoire de Pierre Vidal-Naquet fut l’une des premières – et l’un des plus vibrantes – réponses intellectuelles au négationnisme français. Pour une analyse détaillée, voir Igounet, Histoire du négationnisme en France.
10 Le livre de mémoires le plus connu auquel donna lieu le procès Barbie est celui de Lucie Aubrac, Ils partiront dans l’ivresse, qui est le sujet du chapitre 2. Voir aussi Lesèvre, Face à Barbie : Souvenirscauchemars de Montluc à Ravensbrück. Le procès Barbie fut le premier procès filmé en France. À l’automne 2000, la chaîne Histoire obtint les droits de retransmettre soixante-dix heures, soit un peu moins de la moitié de la durée totale du procès. Les images étaient commentées par des historiens. L’impact public de cette retransmission (et de sa rediffusion en juin-juillet 2001) n’a pas encore été évalué à ce jour.
11 Finkielkraut, La mémoire vaine : du crime contre l’humanité, p. 61.
12 Comme le scénario du film n’a pas été publié, les citations qui suivent sont basées sur de multiples visionnages de la vidéo en deux parties, dont la seule version disponible est en anglais, dont nous traduisons. Compte tenu de l’importance du réalisateur, on peut s’étonner du peu d’attention que la critique a porté à son œuvre. À ce jour, les meilleurs commentaires détaillés de l’œuvre d’Ophuls se trouvent dans les interviews et les articles que celui-ci a publiés dans des revues de cinéma françaises et américaines (voir notes 20, 21, 26, 42). Une revue universitaire a consacré un numéro spécial à l’œuvre d’Ophuls : Images documentaires, no 18-19, 1994.
13 Le rôle des photographies dans la transmission de la mémoire, notamment celle de la Shoah, a été amplement montré et théorisé ces dernières années. Voir en particulier Hirsch, Family Frames: Photography, Narrative, and Postmemory, et Barbie Zelizer, Remembering to Forget: Holocaust Memory through the Camera’s Eye. Ophuls se sert encore du support photographique dans Hôtel Terminus, pour montrer Barbie à différentes époques et dans différents contextes, ainsi que ceux qui furent ses victimes durant la guerre.
14 Je remercie la musicologue Marion Kant, qui était ma collègue au Center for Advanced Judaic Studies à l’Université de Pennsylvanie au printemps 2001 ; elle m’a notamment aidée à identifier les chants populaires allemands qu’Ophuls utilise dans le film.
15 Pour une analyse détaillée des relations de Schneider-Merck avec Barbie, voir Linklater et al., The Nazi Legacy, chapitres 11-12. Schneider-Merck a joué un rôle important dans l’identification de Barbie-Altmann, snas doute pour se venger d’avoir été escroqué par celui-ci. Ophuls s’est beaucoup servi de The Nazi Legacy pour le choix des témoins et la construction de son film.
16 Rapporté par Porter, Through Parisian Eyes: Reflections on Contemporary French Arts and Culture, p. 10-11.
17 Marion Kant m’a appris que les exilés juifs allemands (entre autres son père), qui avaient monté une chorale, interprétaient cette chanson à Londres dans les années 1930 et au début des années 1940.
18 Voir Klarsfeld, Les Enfants d’Izieu. Une tragédie juive.
19 L’usage qu’Ophuls fait de la musique dans ses films (on se souvient des chansons de Maurice Chevalier dans Le Chagrin et la Pitié), et en particulier dans Hôtel Terminus, mériterait une étude à lui tout seul. Les chansons populaires sentimentales, toutes interprétées par la Chorale des Garçons de Vienne, fonctionnent comme de véritables leitmotivs ; aux deux chants déjà mentionnés s’ajoutent deux « chants de vagabond » traditionnels : Muss i’denn, muss i’denn, qui a été repris par Elvis Presley dans les années 1960, et Das Wandern ist des Müllers Lust. Pour une analyse du rôle de la musique dans les films mémoriels sur l’Holocauste, voir Pautrot, « Music and memory in Film and Fiction : Listening to Lacombe Lucien, Night and Fog and Night Rounds. » Pour une analyse de l’utilisation des extraits de comédies musicales hollywoodiennes par Ophuls dans un film ultérieur, November Days (1990), voir Alter, « Marcel Ophuls’ November Days : German Reunification as ‘Musical Comedy’ ». Ophuls se sert également de quelques extraits de clips musicaux dans Hôtel Terminus, notamment la bande originale d’un film de Fred Astaire.
20 Porton et Ellickson, « The Troubles He’s Seen: An Interview with Marcel Ophuls », p. 11.
21 Jeancolas, « Entretien avec Marcel Ophuls sur Hôtel Terminus », p. 27. Ophuls y déclare notamment que c’est le montage qui l’a « presque tué », bien qu’il ait été agressé sur une plage à Rio, de retour de Bolivie. Il s’est évanoui pendant l’agression et a dû subir une opération en rentrant à Paris. Des années après, il ressentait toujours des « troubles de mémoire » (Jeancolas, « Entretien », p. 26).
22 Pour une étude approfondie des divers types de film documentaire, voir Nichols, Representing Reality : Issues and Concepts in Documentary, p. 32-75 ; sur le mode intercatif, voir p. 44-56.
23 Marcel Ophuls, « Faut-il fusiller Speer au lieu de le filmer ? », p. 115.
24 Hampl, « Memory’s Movies ».
25 Nichols, Representing Reality, p. 51.
26 Voir Ciment, « Joy to the World: An Interview with Marcel Ophuls »; les allusions à Lanzmann se trouvent p. 41, 42.
27 Ciment, « Joy to the World », p. 42.
28 Golsan, Vichy’s Afterlife: History and Counterhistory in Postwar France, p. 87. Je ne partage pas l’avis de Golsan selon lequel en élargissant son champ de vision à l’Allemagne, les états-Unis et l’Amérique du Sud, Marcel Ophuls « réviserait » Le Chagrin et la Pitié et se laisserait « distraire » de son vrai sujet, « les crimes de guerre que Klaus Barbie perpétra à Lyon et les efforts de la France pour faire face à ces crimes » (p. 77). En ce qui me concerne, je verrais plutôt dans la perspective très large adoptée par le réalisateur la force du film, et non un égarement. Loin de délaisser le contexte français, comme semble le suggérer Goslan, Ophuls montre qu’il y a d’autres pays qui ont été impliqués indirectement, sinon directement, dans l’exfiltration et la protection des Nazis après la guerre. À mon sens, Ophuls ne révise pas Le Chagrin et la Pitié dans ce film ; au contraire, il étend et approfondit à la fois son enquête.
29 Jeancolas, « Entretien avec Marcel Ophuls », p. 27.
30 Une critique particulièrement acerbe (dont l’auteur reconnaissait toutefois l’importance du film) a été publiée dans le journal étudiant du MIT, The Tech : Thakur, « Hôtel Terminus Is Sidetracked by Director Ophuls’ Pent-up Feelings ».
31 On peut comparer cette scène avec la célèbre scène de Shoah dans laquelle Lanzmann fait faire une coupe de cheveux à Abraham Bomba, qui coupait les cheveux des femmes dans les chambres à gaz de Treblinka. Pour une critique de cette mise en scène, voir LaCapra, History and Memory after Auschwitz, p. 96.
32 Conversation téléphonique personnelle avec le réalisateur, 7 juin 2007. Ophuls m’a confirmé à cette occasion que ses premiers mots à l’adresse de Muller avaient bel et bien été la question agressive qui concernait la petite fille. Quand je lui ai demandé s’il s’attendait à ce qu’on lui claque la porte au nez, il a répondu qu’il pensait que c’était du 50-50, mais qu’au moins il aurait quelque chose à montrer. Rétrospectivement, bien que la scène n’ait pas été conçue techniquement comme telle, il semble donc qu’il y ait bien eu mise en scène.
33 Porton et Ellickson, « The troubles He’s Seen », p. 9.
34 Ophuls, « The Sorrow and the Laughter », p. 115.
35 Ophuls, « The Sorrow and the Laughter », p. 115.
36 Porton et Ellickson, « The troubles He’s Seen », p. 9. Ophuls déclare ici que le « grand changement » est intervenu avec November Days, qui traitait de la chute du mur de Berlin, mais il date en fait d’Hôtel Terminus.
37 Nichols, Representing Reality, p. 56.
38 Pour se faire une idée précise des débats qui agitent les historiens, voir Rabinbach, « Beyond Bitburg », p. 206-214. Pour une vue d’ensemble des débats récents sur le nazisme en Allemagne, voir Régine Robin, « La honte nationale comme malédiction. Autour de l’affaire ‘Walser-Bubis’ », p. 45-69.
39 Jay Cantor, « Death and the Image », p. 39.
40 Voir Jeancolas, « Entretien avec Marcel Ophuls », p. 25.
41 Jeancolas, « Entretien avec Marcel Ophuls », p. 26.
42 Voir Ciment, « Un cinéaste sur la piste de Klaus Barbie », p. 160.
43 Ophuls, « The Sorrow and the Laughter », p. 112.
44 Jeancolas, « Entretien avec Marcel Ophuls », p. 26.
45 Jeancolas, « Entretien avec Marcel Ophuls », p. 26.
46 Philip Gourevitch, We Wish to Inform You that Tomorrow We Will Be Killed with Our Families: Stories from Rwanda; Adam Hochschild, King Leopold’s Ghost.
47 Ophuls, « The Sorrow and the Laughter », p. 115.