Conclusion
p. 191-192
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Index géographique : France
Texte intégral
1Nous avons tenté de reconstituer ce que furent les débuts du mouvement cistercien en Bretagne aux xiie et xiiie siècles.
2Des lacunes subsistent que nous ne saurions passer sous silence. Elles tiennent surtout à la carence des documents. La vie précaire des nouveaux venus, leur esprit de détachement en sont peut-être la cause. Par ailleurs, nous avons dû trop souvent nous contenter de chroniques ou de notices tardives sans parler d’actes dont l’authenticité reste fort douteuse.
3Aussi, la vie spirituelle des communautés, leur insertion dans le milieu ambiant nous échappent presque totalement. Première inconnue : celle qui touche à leurs effectifs. Si nous avons pu dénombrer trente religieux pour la première communauté, tardive, de Prières, il nous est impossible d’étendre ce chiffre aux autres abbayes. Autre inconnue de taille : le mode d’intervention des disciples de saint Bernard dans la vie religieuse bretonne. Seules apparaissent les collectes de fonds effectuées par les moines de Boquen et de Saint-Aubin-des-Bois pour financer la croisade. Contentons-nous donc de constater leur influence sur la haute noblesse locale. L’exemple d’Ermengarde est à ce sujet particulièrement significatif bien qu’exceptionnel en raison de ses relations avec saint Bernard. Mêmes incertitudes, là encore, dues à l’absence de documents, pour faire sortir de l’ombre l’édification et l’évolution du temporel des abbayes de Bégard, Coëtmaloen, Lanvaux, Carnoët, Langonnet et du Relecq. Cette incertitude est particulièrement regrettable pour la première nommée, la plus ancienne et, sans doute, la plus richement dotée dès l’origine comme en témoignent des documents ultérieurs.
4Pour les autres nous avons pu néanmoins dégager les grandes lignes d’une évolution qui oppose les « pionniers » du xiie siècle aux « seigneurs » relativement aisés, pour la Bretagne, du xiiie siècle.
5Jusqu’en 1180, il n’y a pas trop à redire sur le respect accordé par les moines blancs à leur austère idéal de pauvreté et d’humilité. Ils s’installent dans des vallées perdues au milieu de landes et de solitudes boisées, loin des « villes » et bien que cela soit moins sûr, loin des châteaux. Leur fuite au désert n’est cependant pas totale : toutes les abbayes sauf une (Lanvaux) sont situées au voisinage immédiat d’anciennes voies romaines (200 mètres à 2 kilomètres). Ils reprennent parfois, comme à Langonnet, un site occupé à l’époque gallo-romaine mais le fait semble être exceptionnel. Leur réussite est liée à plusieurs facteurs. L’appui de la papauté est à placer au premier rang. Il entraîne celui des milieux dirigeants (Ermengarde, Conan III, Conan IV), de la haute aristocratie, celle des familles de Penthièvre, de Rohan, de Dinan. Petite et moyenne aristocratie, paysans enrichis, suivent l’exemple venu d’en haut. Quant à l’épiscopat, réformé, il confirme les dotations faites aux moines et intervient souvent activement pour régler leurs conflits avec les sires locaux. Peu de choses à redire également sur l’édification du temporel des communautés. Les moines se font accorder des terres incultes. Ils n’achètent jamais. Leurs domaines sont tenus en faire-valoir direct, dans le cadre des « granges » et sans le recours à des tenanciers. Ils respectent la règle qui interdit de recevoir des églises. Les seules entorses, minimes et localisées (Melleray) concernent de rares acceptations de dîmes, rentes ou droits seigneuriaux.
6À partir de 1180, leur état d’esprit évolue : c’est, suivant l’expression de G. Duby, « la revanche de l’économique » qui se manifeste de deux façons. C’est d’abord l’abondance de dotations en revenus : rentes, dîmes, droits de justice, fructueuses coutumes sur la vente de marchandises, constituent l’essentiel des bienfaisances accordées par la haute noblesse (13 %), la petite et la moyenne aristocratie (43 %) et les paysans (29 %). Face à cet afflux, les moines hésitent et c’est la deuxième innovation : ils tendent à abandonner le faire-valoir direct, acceptent des terres cultivées et des rentes, s’installent peu à peu dans une « position seigneuriale ». Trois types de comportement apparaissent. Les uns cherchent à acquérir des rentes (à Melleray encore, à Villeneuve). D’autres consolident leur patrimoine foncier (à La Vieuville, à Bonrepos). Les plus avisés mènent de front l’extension de l’assise foncière et l’acquisition de rentes (à Buzay, à Boquen, à Saint-Aubin- des-Bois). Si aucune communauté ne renonce totalement aux principes cisterciens, certaines, telles celles de Boquen et de Saint-Aubin-des-Bois se livrent à des pratiques qui n’ont plus rien d’évangélique, notamment le prêt à intérêt suivant le principe du mort-gage malgré la prohibition canonique.
7Les « pionniers » du xiie siècle ne sont pas encore devenus des « rentiers » du sol. Les Cisterciens bretons ont dû cependant s’adapter aux mutations économiques. En cette fin du xiiie siècle, ils doivent accepter des compromis, voire des compromissions avec les exigences posées deux siècles plus tôt par les fondateurs de Cîteaux.
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