L’apologie en chaire au XVIIIe siècle
p. 325-338
Texte intégral
1Pendant plus d’un siècle, des années 1680 à la veille de la Révolution, l’Église catholique jouit en France d’une position hégémonique guère contestée. La Révocation a officiellement éliminé toute trace de protestantisme, quant aux critiques des Lumières, elles sont contraintes, dans un premier temps, à une relative discrétion. L’Église triomphante n’est cependant pas à l’abri de toute inquiétude et la nécessité d’une défense de la foi se fait sentir, elle motive la parution, à presque un siècle d’intervalle, de deux Avertissements très officiels, publiés sous les auspices de l’Assemblée du Clergé de France, en 1682 et en 17701. Entre ces deux textes, l’adversaire a changé de visage, du « prétendu » réformé, il est devenu le « prétendu » philosophe que de fausses lumières éloignent de la vraie foi. Les principales phases de cette prise de conscience et les formes d’expression de ces apologies sont aujourd’hui bien connues et ont fait l’objet de recherches et d’études approfondies2. Nombreux sont les auteurs qui soulignent la lenteur des apologistes à répondre non seulement aux remises en causes du dogme et de l’institution par certains écrivains prestigieux, mais également aux formes de détachement et de scepticisme qui semblent se diffuser dans la population avec une intensité nouvelle. Tout occupé à ses divisions internes, et en particulier absorbé par la querelle entre jansénistes et constitutionnaires, le Clergé aurait prêté le flanc à la critique tout en demeurant aveugle aux signes avant-coureurs d’un « détachement » ou d’une « déchristianisation passive » révélés ultérieurement par de profonds bouleversements. Cette approche s’appuie souvent sur des témoignages postérieurs, des mémoires, et reste centrée sur la question de la diffusion de l’écrit et de la généralisation de la pratique de la lecture. Nous voudrions réexaminer ici la question du discours apologétique au XVIIIe siècle en mettant l’accent sur le contenu effectif de la prédication, c’est-à-dire sur une parole avant tout orale, en nous interrogeant sur le caractère figé ou au contraire plus réactif que le discours écrit des sermons prononcés et entendus par les contemporains de Louis XV3. La question centrale étant de déterminer si le sermon a été impuissant à relayer des arguments apologétiques exposés par des écrits et en particulier des imprimés, ou si la riposte apologétique a bien eu lieu en chaire, mais a peiné à se faire entendre. Dans cette éventualité, les raisons de cet échec devront être élucidées.
2Avant d’examiner le contenu des sermons à visée apologétique, il est indispensable de rappeler les principaux arguments développés par le Clergé dans la défense de la foi de l’Église catholique. Les deux avertissements officiels publiés par les assemblées du premier ordre du royaume peuvent donner une idée tant du contenu que du ton de cette défense. Dans le cas du premier de ces textes, il serait plus juste d’évoquer l’attaque que la défense, alors que le protestantisme est progressivement réduit par l’application à la rigueur de l’Édit de Nantes et par l’étouffement à petites goulées, les réformés sont sommés de s’expliquer sur leur refus de rejoindre le sein de l’Église : « Justifiez si vous pouvez, devant Dieu votre Père, devant l’Église votre mère, devant les Catholiques vos Frères, la honte et mesme l’infamie d’une séparation si criminelle, si violente, et si emportée4. » La pauvreté des arguments avancés est flagrante, les protestants n’auraient quitté le giron de l’Église qu’en raison des seuls abus, jugés imaginaires ou très exagérés, de certains membres du Clergé. Ils se seraient par la suite obstinés dans cette attitude de refus par simple obstination ou, pour reprendre les termes des auteurs de l’Avertissement, par « opiniâtreté ». Réduite à de simples considérations psychologiques et à une réaction épidermique et irréfléchie, l’attitude des protestants est assimilée à celle d’enfants indisciplinés qu’on morigène sans vraiment prendre la peine de les écouter. L’Avertissement est loin de développer les arguments historiques ou théologiques d’une véritable controverse, écartés d’emblée, au profit de considérations somme toute triviales : « Nous ne doutons pas que vous n’employiez icy cette vieille réponse, si familière à tous les schismatiques, et que sçachant par expérience qu’il vous est impossible d’ébranler les fondemens de notre croyance, vous n’ayez recours au prétexte spécieux du dérèglement des mœurs de diverses personnes de notre religion5. » Dans ces conditions, il paraît inutile de prendre la peine de défendre longuement ce que peut représenter l’attachement à la tradition face à la revendication de la primauté de l’Écriture. Inutile également de s’attarder sur la valeur des sacrements et de l’intercession en réponse au salut assuré par la foi seule. Le texte de 1682 n’est en aucune manière un véritable écrit apologétique mais l’expression d’un contentement en prévision d’une victoire annoncée. La clémence affichée à l’égard de l’adversaire masque mal un recours au seul argument d’autorité, appuyé il est vrai, sur le bras séculier : « Est-ce que vous avez honte de reprendre la qualité d’Enfans de l’Église, pendant que Louis le Grand, son fils aîné, fait le capital de sa gloire, d’eslever tous les jours de nouveaux trophées à l’honneur d’une si digne Mère6 ? » Le texte bref se clôt sur une menace de damnation éternelle et sur une clémence d’autant plus facile que l’adversaire apparaît définitivement terrassé : « La grâce de la paix, que nous vous aurons offerte avec tant de sincérité et de tendresse, retournera à nous, après que vous l’aurez rejetée et Dieu ne nous demandera plus compte de vos âmes7. » Aussi, devant la pauvreté argumentative, une réponse imprimée relève que « le clergé semble avoir écrit seulement pour les personnes sans lettres8 ».
3Moins d’un siècle plus tard, évêques et abbés s’adressent à nouveau aux « très chers frères » qui rejettent l’enseignement de l’Église ou se montrent sceptiques, mais le ton est radicalement différent, ce n’est plus le triomphalisme mais une sourde inquiétude qui domine9. Les prélats rappellent que dès son origine, le christianisme a été combattu par d’autres religions et qu’il a été divisé et ébranlé par les hérésies. Mais c’est un mal nouveau qui s’est déclaré et une remise en cause non de la forme de la croyance mais de la foi elle-même : « Il ne s’agit pas de savoir si parmi toutes les religions, celle de Jésus-Christ, professée dans l’Église catholique est la véritable, l’impiété demande s’il y en a une qui le soit, et répond qu’il ne peut y en avoir10. » En une soixantaine de pages, sont énumérés les arguments qui semblent plaider pour les avantages, non du catholicisme, mais du christianisme. La cible et le style du discours ont profondément changé. Les arguments soigneusement énumérés présentent ces avantages à la fois du point de vue de l’individu et de la société. Même si elles paraissent traditionnelles et ont été plusieurs fois exposées, les raisons de croire sont exposées avec soin, en laissant à l’interlocuteur le soin de formuler pour lui-même la réponse attendue. Le premier des avantages énumérés est celui de la tranquillité apportée par la croyance, elle seule permet d’arracher l’homme à l’inquiétude qui le ronge sur l’avenir, d’échapper au divertissement qui ne peut que l’étourdir et se révélerait impuissant à conjurer son angoisse, son vertige devant un univers devenu vide et l’absence de limites. L’argument pascalien de la vanité du divertissement transparaît en filigrane de l’exposé du premier avantage : « Au milieu de ces incertitudes, que reste-t-il à l’homme qui ne veut pas croire à l’Évangile ? L’oubli continuel de soi-même, la jouissance aveugle du présent, sans porter de regard sur l’avenir. La plupart des Incrédules en sont là ; et le monde est peuplé aujourd’hui de prétendus esprits forts, qui, sur la grande question de la religion, n’ont d’autre principe pour la résoudre, que l’amour effréné de leur liberté11. » Outre le sentiment d’assurance, de sécurité, les arguments moraux sont les plus souvent mentionnés par les auteurs de l’Avertissement. Du point de vue personnel, la foi nourrit « le sentiment intérieur de la vertu » (2e avantage) et oppose aux appétits de jouissance et à l’inclination pour le mal la crainte d’une condamnation morale, constituant « le frein du vice et le remord du crime » (3e argument). Mais la collectivité est aussi intéressée à une foi largement partagée et à l’adhésion à l’Église, cette dernière étant présentée en dernier et ultime argument comme le rempart de « l’ordre public dans la société civile » (7e et dernier avantage)12. La conjoncture de la suppression de l’ordre des jésuites et de la multiplication des plans d’éducation est manifeste à travers l’affirmation que « des incrédules, s’érigeant en législateurs, proposent une éducation où il ne seroit jamais parlé de Dieu, un enseignement qui convertiroit dans la suite, cette première ignorance en un athéisme tout pur, ou la croyance d’un Dieu sans aucun rapport avec les hommes13 ». Si la crainte est le principal moteur des avantages cités, les autres reposent plus nettement sur l’espérance, celle du pardon ou d’un au-delà meilleur que cette vie ici-bas. Entre un formalisme des pratiques qui garantit automatiquement le salut par l’orthopraxie, l’exécution des bons gestes et l’impossibilité de se justifier, la confession est une voie moyenne dont on ne peut que se féliciter : « La superstition païenne endormoit le criminel par des exhortations incapables de réformer son cœur : l’incrédulité l’endurcit par le découragement et le désespoir. Il appartenoit à une religion divine de marcher d’un pas ferme et sûr entre ces deux extrémités : elle fait luire aux yeux du pêcheur l’espérance du pardon ; mais ce n’est que pour détruire le péché14. » L’avantage de « la consolation dans les maux » se présente avant tout sur le plan social : il ne faut pas désespérer les malheureux pour qui seul l’espoir d’un mieux-être dans l’au-delà permet d’endurer les maux ici-bas. Les auteurs s’adressent aux incrédules et aux sceptiques en affirmant que la religion est aussi, d’une certaine façon, un instrument de gouvernement, au-delà de toute forme d’adhésion personnelle ; « votre fatalité est désolante, votre néant ne promet rien, et il ôte tout ; votre suicide dépeupleroit la terre, s’il pouvoit s’y étendre autant que le malheur15 ». Le seul argument qui aille au-delà d’une psychologie et d’un utilitarisme assez rudimentaire est celui de l’aspiration à l’immortalité imprimée au cœur de l’homme, même s’il s’exprime sous la forme du sophisme, il relève d’un effort louable, de la part des prélats, pour élever le débat au-dessus de l’intérêt immédiat, qu’il s’agisse de celui de l’individu ou de la société. Ils l’affirment catégoriquement, l’homme aspire à un bonheur parfait, donc éternel, inaccessible en ce monde, mais Dieu n’a pas pu mettre en lui l’espoir d’une chose inaccessible, l’homme « est donc appelé à l’immortalité. Un bonheur infini dans sa durée est le seul qui soit proportionné à des désirs infinis dans leur objet16 ». Voilà donc l’argument ontologique, quelque peu adapté, mais conservé dans un texte qui en multipliant les adresses à « nos très chers frères », les figures de rhétorique et les appels à la conscience individuelle, est une sorte de sermon modèle. Même si les auteurs de l’avertissement affichent leur volonté de répondre aux arguments des athées, des sceptiques ou des fidèles troublés par les idées instillées depuis deux à trois décennies par des auteurs assimilés peu ou prou aux philosophes et aux Lumières, leurs arguments demeurent extrêmement traditionnels. Ce texte conforte largement l’idée que l’Église n’a réagit que tardivement et maladroitement à des remises en cause non seulement de sa discipline mais aussi de ses dogmes les plus fondamentaux. Dans cette riposte, même les tenants d’un primat de la religion naturelle sont pris à partie et guère mieux traités que les athées les plus résolus17. Ainsi ce texte tardif ne fait-il aucune référence à la théologie naturelle, aux beautés et à l’harmonie de la nature pour inciter les hommes à admettre une existence divine18. Tous les adversaires se valent et il n’est nullement besoin de chercher de nouveaux arguments là où depuis des années, des décennies, voire des siècles, les apologistes ont rodé leurs armes : « la Religion n’a besoin pour demeurer invincible que de conserver son antique et majestueuse antiquité19 ». N’y a-t-il pas cependant d’autres formes de réponses, d’autres images ou idées dont les sermons pourraient livrer un aperçu ?
4L’éloquence sacrée du siècle des Lumières a longtemps été décriée. Les contemporains eux-mêmes ont fréquemment borné l’âge d’or de cette dernière à la disparition de Massillon20. Les auteurs de traités multipliant les considérations désabusées à l’égard de leurs contemporains, il est fréquent que des historiens plus récents reprennent l’idée d’une « crise du sermon » au XVIIIe siècle21. Il est pourtant nécessaire de s’interroger sur cette notion de crise. Qu’une partie du public déserte le sermon, que ce dernier soit concurrencé par d’autres formes de discours, ne fait guère de doute. Il serait cependant abusif d’en déduire un désintérêt de la part du clergé et de la majorité des fidèles, encore moins une décadence des formes. Il y a certes le maintien d’une tradition, les orateurs reprenant sans se lasser des discours qui ont déjà été rôdés au cours des décennies précédentes, mais l’effort de renouvellement, s’il demeure partiel, ne doit cependant pas être négligé. La « terra incognita » du sermon au XVIIIe siècle, n’est pas une terre stérile, loin de là, certes, les fleurs originales sont rares, mais la moisson est abondante. Les chiffres des éditions de cycles de sermons reculent au cours des années 1760 à 1780 mais ne s’effondrent pas.
5Il est légitime cependant de s’interroger sur la place tenue par l’apologie dans l’éloquence sacrée et notamment de se demander si les discours de défense du catholicisme ont précédé ou suivi l’avertissement de 1775. Les prédicateurs ont-ils ou non pris conscience que l’adversaire avait changé, qu’il n’était plus principalement le réformé, d’ailleurs réduit au silence, mais l’incrédule, sceptique ou athée et ont-ils ou non adapté leur discours ? Le monde des orateurs sacrés est indiscutablement accaparé en grande partie par les conflits provoqués par la bulle Unigenitus. Même si les diverses ordonnances leur interdisent de mentionner de telles questions en chaire, ils n’échappent pas au clivage qui divise le clergé entre jansénistes et constitutionnaires. À Paris même, le cardinal de Noailles a interdit à tous les jésuites de prêcher de l’avent 1716 au carême 1729. Quinze ans de chômage forcé pour certains des plus célèbres orateurs ont ainsi provoqué une rupture profonde, tandis que le successeur de Noailles se montrait tout aussi intransigeant au cours des années suivantes à l’égard des oratoriens. Les archives Joly de Fleury témoignent qu’au cours des années 1750 et 1760, en pleine crise des refus de sacrements, les paroles des prédicateurs sont soigneusement surveillées. Les écarts de langage s’avèrent d’ailleurs assez rares et sont pour l’essentiel des propos malheureux, plus souvent à double sens que franchement séditieux, condamnant à mots couverts l’expulsion des jésuites du royaume.
6Dans ces conditions, les prédicateurs ont-ils ou non perçu la montée d’un détachement et d’une critique à l’égard de l’institution et du dogme ? Dans son étude sur le sermon au XVIIIe siècle, Antoine Bernard affirmait que la décennie philosophique avait été également celle de l’apologétique en chaire22. L’analyse des textes cités et des sermons publiés – même si la question du lien avec les paroles effectivement prononcées lors des sermons reste insoluble – témoignent en effet d’une prise de conscience précoce d’une forme d’attaque sans précédent des croyances non seulement catholiques, mais plus largement chrétiennes. De ce point de vue, la rupture est manifeste entre l’assurance des défenseurs de la foi du siècle de Louis XIV et leurs successeurs de la décennie philosophique. S’ils n’ignorent pas que les libertins remettent en cause les fondements de la croyance, les prédicateurs de la fin du XVIIe siècle évitent le plus souvent d’aborder ces questions en chaire. Aussi le P. Jean Soanen, orateur recherché avant de devenir la figure de proue des jansénistes persécutés, ne prend-il aucunement la peine d’examiner en détail les arguments des contempteurs du christianisme. Dans son sermon « sur l’excellence du christianisme », l’apologétique déployée convoque une forme d’évidence historique dont l’auteur ne doute pas qu’elle suffira à convaincre les impies : « En vain on citera les différentes fondations des monarchies ; en vain on donnera l’essor à son imagination […] on n’en trouvera point d’aussi dignes d’étonnement et d’admiration que l’établissement du christianisme qui n’est parvenu jusqu’à nous qu’en triomphant de toutes les puissances de la terre liguées pour l’exterminer23. »
7Dans un sermon cité en 1760, prononcé très certainement quelques années plus tôt, l’abbé de la Tour du Pin s’inquiète, sur un ton il est vrai très théâtral, du succès des publications philosophiques. Il évoque « cette multitude de livres, de libelles ténébreux […] où l’on a si bien trouvé l’art de rendre méprisables la simplicité de nos pères, d’attaquer notre dogme par le renversement de la morale et de la discipline, et qui marquent, l’oserai-je dire, une haine plus décidée contre l’Église et son divin chef, que ne le fut peut-être celle des Payens eux-mêmes24 ».
8Il est vrai qu’entre-temps, les ouvrages prenant ouvertement leurs distances avec les fondements théologico-politiques de l’Ancien Régime s’étaient multipliés dans le sillage des Lettes persanes (1721), Helvetius en faisant paraître De l’Esprit (1758) formulait un matérialisme radical, tandis que sur un autre plan, l’Émile (1762) reposait sur une anthropologie totalement différente de celle prônée par l’Église. Chacune de ces parutions provoquait des ripostes par l’écrit et des libelles, certaines de ces prises de position répondant plus à des volontés tactiques ou stratégiques à l’intérieur de la République des Lettres qu’à des convictions exposées de manière systématique25. Dans ces conditions, quels furent les arguments apologétiques avancés par les sermonneurs ?
9Même si les prédicateurs sont conscients qu’ils s’adressent majoritairement à des chrétiens convaincus qui demandent plus à être confortés dans leur foi qu’à être convertis, certains n’hésitent pas à prendre la défense de la religion et à exposer méthodiquement en chaire des arguments en faveur du catholicisme. Deux d’entre eux seront examinés plus précisément ici. Leur appartenance commune à la Compagnie de Jésus est un point secondaire, le plus important étant que leurs sermons sont publiés au cours des années 1760 et témoignent donc d’une réaction immédiate à un contexte en pleine mutation. L’incrédulité est à leurs yeux un mal généralisé. Le P. Griffet s’écrie : « Le monde est aujourd’hui rempli d’incrédules » et accompagne ce cri d’alarme d’un appel à la vigilance : « Plusieurs, non contents d’avoir éteint toute religion dans leurs cœurs, travaillent encore à l’anéantir dans l’esprit des autres, on rencontre partout de ces apôtres du mensonge, qui prêchent hautement l’incrédulité26. » L’un de ses confrères, le P. Le Chapelain dans un sermon sur l’incrédulité des esprits forts du siècle27 met en cause le prestige de ceux qui affichent ouvertement de telles idées ; l’exemple vient d’en haut et c’est là que gît le principal danger : quand l’argument d’autorité et les valeurs d’obéissance ont systématiquement été mis en avant, il suffit que les détenteurs de cette autorité changent de camp pour que l’édifice social de la croyance s’en trouve miné. Le P. Chapelain en prend acte au début de son discours : « Quand vous voyez cette incrédulité paroître dans des hommes célèbres […], quand vous voyez des esprits distingués […], quand vous voyez ces hommes de génie, si sensés d’ailleurs et si judicieux traiter votre Foi de superstition, appuyer l’impiété de leur suffrage, l’autoriser par leurs discours et leurs écrits ; avouez-le, Chrétiens, voilà ce qui vous trouble et ce qui laisse toujours dans vos esprits ce préjugé funeste28. » Chez le P. Griffet, la menace est plus diffuse et d’autant plus redoutable. L’Église est en quelque sorte minée par de sourdes attaques : « Ils la laissent subsister à l’extérieur mais ils lui ôtent la foi, ils ne renversent pas encore vos temples et vos autels, mais ils empêchent que vous n’y soyez adoré, ils ne font pas mourir vos fidèles mais ils les pervertissent29. »
10Aux yeux des deux hommes, les incrédules, sceptiques ou résolument athées, sont caractérisés par leur propre faiblesse. Soumis à leurs passions chez Griffet, ils sont esclaves de leur raison chez Le Chapelain car ils lui accordent une confiance excessive. Le premier de ces prédicateurs reprend l’argument traditionnel envers les libertins : « Jamais vous ne trouverez d’incrédulité qui ait commencé par l’esprit, il est comme impossible qu’elle n’ait sa source dans la corruption du cœur30. »
11Quant au P. Le Chapelain, il condamne l’orgueil des philosophes qui font une confiance excessive à leur raison en les présentant comme des présomptueux qui ne veulent pas s’abaisser et se fondre dans la foule des croyants, l’incrédulité est donc réfutée dans un premier temps au nom de sa prétendue mondanité : « Comment se donner aux yeux du monde l’air d’un homme singulier, qui sçait penser et réfléchir, s’il faut se résoudre à penser, à croire, à raisonner en fait de religion, comme les esprits vulgaires qui se laissent conduire à l’autorité31 ? » C’est ainsi au nom d’un égalitarisme spirituel que les esprits forts sont condamnés, car incapables d’accepter « une religion qui ne fait point acception des mérites naturels et des personnes, une religion qui égale le peuple et les grands, les foibles et les forts, les simples et les sçavants, les spirituels et les esprits els plus grossiers32 ». Les incrédules sont en outre victimes à ses yeux de leur esprit de système, en plaçant la raison au-dessus de tout, ils refusent de reconnaître l’impuissance de cette dernière à expliquer les mystères et en déduisent abusivement leur inexistence. Pour les deux jésuites, les croyants sont les seuls individus véritablement raisonnables en usant de la raison comme d’un rempart contre les passions et en bornant son usage en deçà des mystères de la révélation qui lui restent inaccessibles. C’est donc un idéal de juste milieu, de mesure, permettant seul à leurs yeux de sauvegarder l’équilibre de l’individu et de la société.
12Les deux pères ne se contentent pas de repousser les critiques des incrédules, ils ripostent aussi en soulignant le caractère inabouti du Dieu des déistes. Le P. Le Chapelain affine ainsi son argumentation en se risquant à avancer que le spectacle de l’incrédulité contemporaine non seulement échoue à ébranler le fidèle dans sa foi, mais qu’elle est même de nature à renforcer celle-ci. Le Dieu de la religion naturelle est en effet à ses yeux le produit d’anthropomorphisme maladroit qui l’aurait inspiré. Il propose ainsi à ses auditeurs d’examiner :
« Ces systèmes impies […] qui établissant un premier Être, un Être supérieur à tout, n’abandonnent point au hasard la création du Monde […]. Pour ne pas trop révolter la raison humaine, ils nous permettront, il est vrai, d’adorer un Dieu… mais un Dieu tel qu’il seroit moins insensé de n’en pas reconnoître, un Dieu insensible à tout, à nos outrages comme à nos sacrifices, qui ne voit rien, ou qui ne veut rien voir, qui ne sçait ni récompenser, ni punir ; ou qui récompense également les crimes et les vertus… mais un Dieu ébloui, enivré de sa propre grandeur, comme le seroit un homme mortel, qui croiroit s’abaisser en s’intéressant à ses plus nobles créatures, et qui les dédaigne comme autant de vils insectes incapables de l’honorer, et de servir en rien à sa gloire ;… mais un Dieu qui rejette loin de lui le gouvernement de ses ouvrages comme un soin et comme un travail qui nuiroit à son repos, et qui traverseroit la tranquillité et la perfection de son bonheur33. »
13Le P. Griffet se montre plus laconique dans l’évocation de cette divinité de fantaisie, sorte de roi fainéant : « Ils se forgent un Dieu à leur mode, c’est-à-dire oisif et insensible comme celui d’Épicure, un Dieu à qui tout est égal, et qui ne distingue pas la vertu du vice34. »
14Cette apologétique qui se déploie à la fois sur le plan du dogme et de la morale n’est cependant pas un simple combat d’arrière-garde livré avec des armes émoussées à force d’être sollicitées, reprenant comme on l’a souvent souligné les arguments forgés par les Pères de l’Église. Les orateurs sont parfaitement au courant des idées développées par leurs adversaires et ils réfutent en chaire les ouvrages qu’ils ont lus ou les propos qu’ils ont entendus, même si c’est de façon indirecte. Le sermon du P. Griffet, dont le style est parfois un peu sec, témoigne d’une parfaite connaissance des idées des adversaires de l’économie politique chrétienne fondée sur le réfrénement des passions et la morale :
« Mais, dit-on, cette morale serait tout à fait nuisible et dangereuse, puisque, si elle était généralement pratiquée, elle causerait infailliblement la destruction des royaumes et des empires. Car enfin, qu’on imagine une société entière composée de parfaits chrétiens ; jamais elle ne pourra subsister : ils seraient pauvres et ils ne chercheraient pas à s’enrichir ; ils craindraient de devenir riches, ils seraient offensés, ils ne chercheraient pas à se venger, ils ne chercheraient pas même à repousser les injures : ce serait un composé d’hommes rares et singuliers dans leur manière de vivre et dans leur conduite, toujours occupés de mortifications et de prières, tranquilles sous les coups dont on voudrait les frapper, et abandonnés à la première main qui voudrait les réduire à la servitude35. »
15La citation est longue mais il est facile d’y voir une référence à la fable des abeilles de Mandeville, si souvent reprise et popularisée par Voltaire. Les abeilles soudainement devenues sobres et vertueuses, la ruche a périclité, l’addition des vices privés, la recherche par chacun de son propre intérêt se traduit par la prospérité générale. L’idée révulse le jésuite qui répond que l’harmonie de l’ensemble de la société est bien mieux garantie par une morale chrétienne qui assigne à chacun sa place et s’adapte aux différentes conditions : « Cette morale ne se conforme-t-elle pas aux différents devoirs qui diversifient les états et les conditions des hommes ? […] Je soutiens qu’elle mettrait tous les talents en œuvre en leur donnant des motifs plus nobles, plus solides et plus élevés. »
16L’examen des discours postérieurs et notamment des sermons de ceux qu’Antoine Bernard qualifie avec quelque dédain de prédicateurs semi-philosophes peut faire paraître une telle argumentation assez aride, une sorte de combat d’arrière-garde qui considère encore les déistes comme des adversaires au lieu de les transformer en des alliés en sollicitant leur aspiration au divin pour amorcer un chemin vers le christianisme. On ne trouve pas encore chez le P. Le Chapelain ou le P. Griffet les passages enthousiastes, l’appel à la sensibilité qui caractériseront une éloquence sacrée qui se fera apologiste par appel au sentiment, par exemple chez un Frey de Neuville. Cependant force est de constater que ces orateurs ne sont pas restés muets face à la montée des critiques et aux manifestations d’un scepticisme manifestant au grand jour les doutes des libertins. Les prédicateurs ont même été les premiers à réagir, à prendre la parole en chaire, à tenter, même maladroitement d’adapter leur discours à celui des incrédules. Mais ces réponses s’accompagnent aussi souvent d’un constat d’impuissance, quelles sont alors les véritables raisons de cette dernière ?
17Une première réflexion, commune à nombre de prédicateurs porte sur le mode de diffusion des idées philosophiques. L’imprimé est le grand vecteur de cette remise en cause, non sous la forme d’écrits confidentiels, mais au contraire dans le cadre d’un accroissement de l’alphabétisation et de la circulation du livre, par le bais de pamphlets, de nouvelles et de romans. C’est moins le contenu des attaques que la généralisation de ces dernières qui inquiète les hommes d’Église, moins le libertin isolé que le scandale de la mise au jour et de la diffusion de ses idées. Le P. Segaud, dans un sermon antérieur à 1750, se montre plus préoccupé par l’écho des critiques que par ces dernières, « péchés d’irréligion et d’infidélité » certes, mais sans danger pour le salut d’autrui tant qu’elles ne sont pas ébruitées, ce qui n’est plus le cas sous le règne de Louis XV. Ces idées, interroge le prédicateur : « Se reproche-t-on de les avoir témérairement éventées et mises indiscrètement au jour, au hasard d’ébranler ou d’affermir des esprits naturellement portés au libertinage et à l’incrédulité ? Péchés de scandale36. » Le terme de « contagion » est fréquemment repris dans les sermons, il témoigne de la naissance d’une mentalité obsidionale qui agite devant les fidèles la crainte d’une submersion. L’abbé de la Tour du Pin est lui aussi sidéré par « cette multitude de livres et de libelles ténébreux […] où l’on a si bien trouvé l’art de rendre méprisables la simplicité de nos pères, d’attaquer notre dogme par le renversement de la morale et de la discipline et qui marquent […] une haine plus décidée contre l’Église et son divin chef, que ne le fut peut-être celle des Payens mêmes37 ». Mais le plus effrayant à ses yeux, est que ces livres circulent, disséminant ainsi les germes de l’incrédulité, menaçant insidieusement tout l’édifice de la foi : « Avec quel empressement cependant ces livres sont-ils recherchés ? Avec quelle vitesse passent-ils de mains en mains, et de cette ville volent-ils dans nos provinces, pour répandre la contagion partout ? Preuve malheureusement trop certaine du goût d’impiété qui devient presque général dans toute la nation38. »
18Une analyse plus subtile de la diffusion des idées philosophiques est proposée par l’abbé Clément. Il convient lui aussi de la rapidité du phénomène qu’il désigne à son tour comme une « contagion funeste », mais il va plus loin que la simple déploration en relevant que ce n’est pas simplement le vecteur de ces idées qui a changé, mais d’une part leur contenu, plus radical, et d’autre part leur forme d’élaboration, le ton de l’attaque qu’il devient ainsi particulièrement difficile de contrer. « Ici, on est sans principe, on détruit tout et l’on n’établit rien. Le grand système est de n’en avoir aucun. On ne se soutient qu’en attaquant, et ce n’est qu’en plaisantant ou en interrogeant que l’on attaque. » L’esquive et l’ironie transforment le combat philosophique en une sorte de guérilla de l’esprit, de harcèlement face auxquels les rangs serrés du clergé sont bien en peine de riposter, gênés par leur armure dogmatique et l’esprit de sérieux. Le prédicateur avoue son découragement :
« Non, je l’avoue, Messieurs, nous ne savons pas répondre à ces fines railleries, ces satires ingénieuses, à ces impies bons mots par lesquels nos prétendus esprits se distinguent. […] Si nous voulons opposer à leurs sophismes hardis des raisonnements aussi solides que discrets, on ne nous entend plus : que dis-je ? Eh ! daignet-on seulement nous écouter39 ? »
19Ainsi l’incrédulité n’a pas seulement investi le domaine du livre jusque-là place forte de la piété et de la dévotion, il a aussi pénétré l’espace de la parole en opposant au discours d’autorité la raillerie et le bon mot qui caractérisent la conversation du salon des Lumières. Il n’est donc pas étonnant que les prédicateurs, prisonniers d’un discours construit, figé, rationnel, didactique, fermé à toute forme d’improvisation, aient été au mieux perplexes, au pire abattus, par la diffusion de l’incrédulité, peinant à forger de nouvelles armes pour l’apologétique.
20Malgré ce constat d’une inadéquation des armes verbales envers la philosophie, les prédicateurs ont continué le combat en chaire. S’il apparaissait de plus en plus difficile de ramener les brebis égarées, du moins, les consciences inquiètes, voire les sceptiques, pouvaient au moins être touchés. L’apologie en chaire est toujours un exercice difficile. L’abbé Baston dont les mémoires rapportent ses études bien antérieures à la Révolution et les sermons prononcés à Rouen au cours des années 1770 rappellent qu’aborder de tels sujets risque d’exposer l’orateur aux critiques redoublées des uns et des autres. Confessant « un attrait particulier pour les sujets polémiques », il y rapporte qu’il choisit un jour de prêcher sur le sujet « qu’un chrétien né dans le sein de l’Église catholique est obligé d’étudier sa religion de manière à se convaincre qu’elle est vraie ». Le front de l’apologétique se trouvait ainsi déplacé au cœur même des fidèles, chacun devant en quelque sorte se transformer en apologiste de sa conscience40. Or ce choix provoqua, aux dires de l’auteur, une véritable cabale contre lui, les jansénistes en particulier le dénonçant comme moliniste et ultramontain, ce qu’il évoque avec une certaine ironie :
« Il est incroyable combien la défense de cette vérité essentielle m’attira de censeurs. Les uns y virent de la philosophie, habillée en prêcheuse, les autres, la violation d’un de ces secrets religieux qu’il ne faut pas révéler au peuple. L’ignorance, le faux zèle, son frère, l’enthousiasme, d’autres passions s’agitèrent, et leurs efforts souvent opposés, se réunirent contre ma personne et ma doctrine41. »
21Or l’abbé Baston se montre convaincu que l’apologétique est la première finalité de la prédication, loin du style épidictique, louangeur, adopté majoritairement par la Réforme catholique, à l’exception de la controverse entretenue avec les protestants mais guère pratiquée par les prédicateurs du XVIIIe siècle. Revenir à un discours si ce n’est offensif du moins plus polémique et énergique, en adoptant ce que les théoriciens de l’éloquence sacrée désignent sous le terme de style démonstratif, n’allait pas de soit, malgré les recommandations de ceux qui partageaient les opinions du chanoine de Rouen affirmant « Prêcher, n’est-ce pas plaider pour la religion, pour la vertu, contre l’impiété et contre le vice42 » ?
22Cette nécessité pour une véritable apologétique d’affronter l’adversaire et de répondre pied à pied à ses arguments implique une joute verbale difficilement possible dans les cadres stricts de l’éloquence sacrée, sans compter le talent parfois limité des orateurs. Le même auteur évoque dans ses mémoires le cas de l’abbé Le Roy dont les sermons d’apologétique, au cours des années 1770 à Rouen, se muent en réquisitoires sans nuances et sans appel. Sa renommée est fondée sur des discours censés terrasser l’adversaire : « Il prêchait […] avec éclat, se ruant à tout propos sur les philosophes, et si ouvertement qu’ils les nommait quoique vivants. Voltaire et Rousseau figuraient dans presque tous ses sermons43. » Mais là encore, la victoire n’est qu’illusoire, puisque l’adversaire est absent. La vanité de cette apologétique qui condamne par contumace est soulignée par la supercherie du jeune chanoine qui, à la suite d’une réfutation de l’Émile prêchée dans un couvent de religieuses, adresse à l’abbé Le Roy, une prétendue lettre de Rousseau reprenant pied à pied les arguments imprudemment agités par le sermonneur. Ce dernier, loin de soupçonner l’imposture se félicite naïvement de l’impact de ses paroles :
« Quel honneur que le bruit de sa prédication eût parcouru, sur les ailes de la renommée, un espace de deux cents lieues ! […] Et puis un homme de cette importance, de cette célébrité, de cette volée, lui écrire ! Lui écrire comme à Christophe de Beaumont, archevêque de Paris ! Plus la lettre était piquante et plus il était clair que le sermon avait piqué, qu’on y attachait un grand prix, qu’on le jugeait dangereux à la philosophie moderne44. »
23Au-delà de la farce de potache, c’est bien la prise de conscience d’une nécessité de l’apologétique en chaire dont témoignent les mémoires de l’abbé Baston. Comment en effet ne pas profiter de la tribune offerte par les prédications fréquentes pour défendre la religion contre les attaques de l’impiété ou le simple scepticisme. Cependant, l’abbé Le Roy eut-il été plus talentueux, l’inadéquation de la chaire pour faire face à la multiplication des écrits philosophiques anticléricaux et parfois antichrétiens, est patente. La fixité du genre du sermon, le fait aussi que les adversaires les plus résolus avaient déjà déserté les rangs des auditeurs faisaient de l’éloquence sacrée un instrument peu adapté. Sa fonction s’en trouvait du coup transformée. Elle ne pouvait dès lors s’adresser à ceux qui se trouvaient ébranlés dans leur foi qu’en développant au-delà des arguments d’ordre et de nécessité, une rhétorique de d’intérêt social de la religion d’une part et de l’affect et de l’enthousiasme au niveau individuel de l’autre pour répondre aux attentes d’une « religion du cœur ». Certains prédicateurs l’avaient perçu dès les années 1750, mais ils étaient tout aussi conscients qu’ils ne pouvaient répondre à cette remise en cause qu’en adoptant un nouveau style de prédication, ce que les années 1780 verront peu à peu se manifester. Les années 1760-1770 sont moins celles d’une crise liée à un déclin de l’éloquence sacrée que celle d’une prise de conscience d’adapter cette dernière aux exigences d’une nouvelle apologétique.
Notes de bas de page
1 Plus exactement, deux avertissements sont publiés au XVIIIe siècle, le premier, en 1770, est destiné aux fidèles et développe des arguments apologétiques.
2 Outre l’ouvrage ancien de Monod A., De Pascal à Chateaubriand, Paris, Alcan, 1916, il faut citer Palmer R. R., Catholics and Unbelievers in Eighteenth Century France, Princeton, Princeton UP, 1939 ; Everdell W. R., Christian Apologetics in France, 1730-1790, The Roots of Romantic Religion, Lewiston/Queenston, The Edwin Mellen Press, 1987 ; Mcmahon D. M., Enemies of the Enlightenment, Oxford, Oxford University Press, 2001 ; et Masseau D., Les ennemis des philosophes : l’antiphilosophie au temps des Lumières, Paris, A. Michel, 2000. Une bonne mise au point sur l’apologie au XVIIIe siècle dans Delon M. (dir.), Dictionnaire européen des Lumières, Paris, PUF, 1997, l’entrée « apologie » a été rédigée par Sylviane Albertan-Coppola.
3 Le sujet a déjà été examiné très attentivement, outre l’ouvrage ancien de Bernard A., Le sermon au XVIIIe siècle : étude historique et critique sur la prédication en France, de 1715 à 1789, Paris, A. Fontemoing, 1901, il faut citer Bowan F. P., Le discours sur l’éloquence sacrée à l’époque romantique. Rhétorique, apologétique, herméneutique (1777-1851), Genève, Droz, 1980 et Lefebvre P., « Le regard sur l’incrédule dans les sermons de la deuxième moitié du dix-huitième siècle : évolution », dans Châtellier L. (dir.), Religions en transition dans la seconde moitié du dix-huitième siècle, Oxford, Voltaire Foundation, 2000, p. 95-107. Ces deux derniers travaux mettent surtout l’accent sur la période immédiatement antérieure à la Révolution, nous voudrions ici nous concentrer sur la période des années 1750-1760, qualifiée par Antoine Bernard de « période apologétique et académique par excellence », tout en replaçant ce tournant dans une évolution globale et en considérant, avec P. Lefebvre qu’« il est bien présomptueux de lire, dans ce vaste ensemble, des évolutions, et de croire avoir l’oreille suffisamment exercée, la mémoire suffisamment informée, pour découvrir les véritables transformations d’un genre aux facettes multiples qui ont toutes leur racine dans des parcours rhétoriques largement balisés », art. cit., p. 96. Nous avons aussi essayé de tenir compte des orientations indiquées dans l’article programmatique de Fumaroli M., « Une terra incognita de l’histoire littéraire : l’éloquence sacrée du siècle des Lumières », Revue d’histoire littéraire de la France, 2004-4, t. 104, p. 783-800.
4 Avertissement pastoral, p. 2.
5 Ibid., p. 3-4.
6 Ibid., p. 6.
7 Ibid., p. 7.
8 Remarques sur les Actes de la dernière assemblée générale du Clergé de France ou Examen de l’Avertissement pastoral, et des méthodes de ce clergé, traduit de l’Anglois de M. Burnet par M. de Rosemond, Londres, 1683, préface non paginée.
9 William R. Everdell analyse l’avertissement aux fidèles de 1770 en l’attribuant à Loménie de Brienne, op. cit., p. 166-168.
10 Avertissement de l’Assemblée générale du clergé de France, tenue à Paris, par permission du roi, en 1775, aux fidèles de ce royaume. Sur les avantages de la religion chrétienne, et sur les effets pernicieux de l’incrédulité. À Paris, chez Guillaume Desprez, 1775, p. 5. Le texte correspond à celui de l’avertissement de 1770.
11 Ibid., p. 15.
12 William R. Everdell remarque que l’assemblée du clergé utilise ici, pour combattre l’utilitarisme des philosophes, un argumentaire utilitariste.
13 Ibid., p. 47.
14 Ibid., p. 36.
15 Ibid., p. 40.
16 Ibid., p. 43.
17 Ibid., p. 19.
18 Les extraits de Mgr de Boisgelin convoqués par Marc Fumaroli dans l’article cité plus haut, et dans lesquels il voit les prémices d’une apologétique à la Chateaubriand, sont nettement plus tardifs et s’inscrivent dans le contexte des années 1780.
19 Ibid., p. 6.
20 Massillon est mort en 1742, mais ses sermons et en particulier le fameux « petit carême » prononcé devant le jeune Louis XV remontaient alors à vingt ans plus tôt.
21 Le chapitre consacré par Didier Masseau à la « crise du sermon » reprend les considérations exposées par Antoine Bernard qui lui-même s’appuie beaucoup sur les considérations des théoriciens de la fin de l’Ancien Régime, comme l’abbé Maury (op. cit., p. 176). Sans nier le caractère stéréotypé des discours (ce qui est le propre du sermon), il est nécessaire de rester prudent à l’égard de cette notion de « crise » car l’affluence au sermon ne semble pas diminuer de façon sensible.
22 La périodisation proposée par A. Bernard distingue : une « époque de transition » (1729-1750), les débuts de l’éloquence dite académique (1729-1750), la période « apologétique et académique » par excellence (1750-1763), suivie par une période critique pour l’éloquence sacrée, caractérisée par des « essais de prédication semi-philosophique ».
23 Jean Soanen, sermon pour le 3e dimanche de carême, dans Sermons sur différents sujets prêchés devant le roi par le père Soanen, prêtre de l’Oratoire, t. 1, Lyon Duplain, 1767, p. 130. Soanen a prêché devant le roi les carêmes 1686 et 1687 et l’avent 1695.
24 Abbé de La Tour Du Pin, « Sermon pour l’Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement », cité par Bérat G. de, L’Art oratoire réduit en exemples, Paris, 1760, t. 2, p. 60-61.
25 Pour l’analyse de ces prises de position, notamment dans le cadre des salons ou à travers la presse périodique, voir Masseau D., op. cit.
26 Sermons du P. Griffet dans abbé Migne, Collection intégrale et universelle des orateurs sacrés, tome 56, Paris, 1854, col. 419.
27 R. P. Le Chapelain, Discours sur quelques sujets de piété et de religion, Paris, 1760, p. 151.
28 Ibid., p. 153.
29 Griffet P., op. cit., col. 422.
30 Ibid., col. 422.
31 Le Chapelain P., op. cit., p. 161.
32 Ibid. p. 164.
33 Ibid., p. 193-194.
34 Griffet P., op. cit., col. 426.
35 Ibid., col. 429.
36 Sermons du P. de Segaud de la Compagnie de Jésus, Avent, Paris, 1750, sermon pour le second dimanche de l’Avent sur le scandale, p. 194, cité par Bernard A., op. cit., p. 202.
37 Cité par Bénat G. de, L’art oratoire réduit en exemples, t. 2, p. 61.
38 Ibid., p. 61.
39 Abbé Clément, Sermon pour la Fête de saint Nicolas, cité par Bernard A., op. cit, p. 272.
40 Voir sur ce point les réflexions très éclairantes de Philippe Lefebvre dans l’article cité plus haut.
41 Mémoires de l’abbé Baston, chanoine de Rouen, tome I, 1741-1791, abbé J. Loth et M. C. Verger (éd.), [Paris 1897], Paris-Genève, Champion, Slatkine reprints, 1977, p. 227.
42 Ibid., p. 232.
43 Ibid., p. 228.
44 Ibid., p. 230.
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