Conclusion
p. 181-184
Texte intégral
1Pour clore cette première histoire de l’UDF envisagée dans sa globalité, il serait pour le moins hasardeux de prétendre formuler des conclusions définitives. Nous ne ferons donc ici qu’esquisser quelques réflexions propres à encourager, nous l’espérons sincèrement, la poursuite du travail entamé, que cet ouvrage présente.
2Disons d’abord que se lancer dans l’étude d’un des grands partis politiques français contemporains n’est pas allé sans poser plusieurs problèmes importants aux historiens et politistes engagés dans cette entreprise, avec leurs styles différents et leurs méthodes d’investigation complémentaires. Deux principalement méritent d’être explicités.
3La séquence chronologique qui va de 1978 à 2007 relève tout entière de l’histoire du temps présent. Comme toujours en la matière, cela nous a offert d’indéniables avantages mais aussi de réels inconvénients. Avantage premier : l’abondance des sources disponibles et qui ont d’ailleurs été – au moins en partie – mises en œuvre par les auteurs. Débats parlementaires dans les deux assemblées et questions aux gouvernements sont aisément accessibles. La presse écrite et les médias audiovisuels représentent une inestimable source d’information. Des journaux de l’UDF, essentiellement départementaux, sont conservés par dizaines dans les fonds d’archives et les grandes bibliothèques. Plusieurs centaines d’ouvrages – livres-programmes, livres d’analyses, livres de souvenirs, etc. – ont été écrits en 30 ans par des membres de l’UDF, dont la liste exhaustive mériterait d’ailleurs d’être dressée. Enfin, nombre d’acteurs de cette histoire peuvent devenir d’irremplaçables témoins si on les sollicite, et il faut ici adresser des remerciements spécifiques à François de Sesmaisons, secrétaire général adjoint du parti à ses débuts, pour sa précieuse contribution au colloque.
4Un obstacle majeur ne s’en dresse pas moins sur le chemin de qui veut accéder aux archives des partis, dûment collectées et rendues accessibles dans des dépôts d’archives ou des fondations privées. En histoire du temps présent en effet, les délais de communication des archives rendent toujours difficile leur consultation. Encore faut-il bien sûr qu’elles aient été méthodiquement conservées. Or, force est de constater qu’à notre connaissance, l’essentiel des archives de l’UDF a disparu… ou est entreposé en des lieux qui nous sont inconnus à ce jour. Un travail systématique de recherche est donc nécessaire, que nous n’avons qu’à peine esquissé, faute de temps et faute de « bras ». Des éléments sont toutefois connus. Citons-en quelques-uns. Les archives du groupe parlementaire DLI (Démocratie libérale et indépendants), de 1996 à 2002, sont déposées aux archives de l’Assemblée nationale1 ; les archives de la famille démocrate-chrétienne (MRP, CD, CDS puis FD) en Ille-et-Vilaine, un des fiefs électoraux de l’UDF, se trouvent aux Archives départementales, à Rennes : près de 150 cartons au total, d’une grande richesse sur la fédération proprement dite mais aussi sur les instances nationales ; les notes personnelles de Jean Lecanuet, président de l’Union de 1978 à 1988, ont été conservées et remises à la Fondation Jean Lecanuet, récemment créée2. Mais l’essentiel reste encore à découvrir.
5De ce qui n’est donc, on l’aura compris, qu’une première ébauche d’histoire globale de l’UDF, nous retiendrons trois séries d’éléments.
6Il faut tout d’abord affirmer que l’histoire de l’UDF n’est pas une histoire « hors-sol », sans racines. Elle s’inscrit au contraire dans le prolongement direct d’un autre grand parti, mal connu et largement oublié : le CNIP. Plus largement, elle s’inscrit dans le débat séculaire à droite – toujours pas achevé à l’heure où nous écrivons, marquée par la crise interne de l’UMP et le lancement de l’UDI (Union des démocrates et des indépendants) par Jean-Louis Borloo3 – entre les tenants d’un parti fortement hiérarchisé et personnalisé, dont le PSF de François de La Rocque offrit le modèle plus ou moins imité ensuite par les gaullistes, et les tenants d’un parti plus décentralisé et plus « aristocratique » dans ses structures comme dans son fonctionnement, qui furent toujours dominants dans la famille des modérés.
7Écrire l’histoire de l’UDF est une tâche indispensable, bien que difficile, pour qui veut comprendre l’histoire de la France dans le dernier tiers de siècle écoulé. L’Union fut en effet l’un des quatre grands partis français de la période et bientôt, quand s’accéléra le déclin du PCF, l’un des trois grands partis de gouvernement, au moins jusqu’à l’extrême fin des années 1990 quand son délitement apparut irréversible. Étudier un grand parti – chantier toujours ô combien difficile à conduire – offre aussi l’immense avantage de donner à voir, de façon concrète, ce qu’est l’autonomie du politique dans l’histoire globale d’une société. Non que le politique n’obéisse qu’à des lois internes, bien au contraire. Mais l’analyse du fonctionnement d’un parti oblige à se confronter au plus près aux mécanismes complexes qui sont au cœur de l’activité politique et transforment les aspirations, nécessairement contradictoires, d’une société en enjeux de pouvoir à tous les échelons de la vie collective. Par ses structures confédérales, l’UDF y oblige probablement plus encore que tout autre parti.
8Il faut enfin dire quelques mots de l’échec final de l’UDF face à son grand rival à droite, le RPR. Échec tout sauf inscrit dans ses origines, qui furent fastes à tous égards. Échec d’autant plus difficile à expliquer aussi que la matrice idéologique (néo) libérale « modérée » de l’Union l’emporta précisément à droite dès les années 1980 et s’est imposée à l’UMP conduite par Nicolas Sarkozy. Un élément mérite selon nous d’être souligné : le rôle de Valéry Giscard d’Estaing. Ce fut l’incapacité de l’initiateur du parti, détenteur de la carte portant le numéro un, à en assumer la direction sur le long terme qui fut, sinon la principale, du moins l’une des causes majeures du naufrage final de l’UDF. Pourquoi cet homme, qui fut un grand président de la République4, ne fut pas un grand chef de parti ? Une solide biographie historique de « VGE » manque encore à ce jour pour répondre valablement à cette question. Mais d’ores et déjà, un élément d’explication apparaît évident : l’absence de Michel Poniatowski. Cet « homme de l’ombre », organisateur hors pair grâce à qui Valéry Giscard d’Estaing conquit l’Élysée en 1974, ne fut pas écouté quand il conseilla au tout nouveau président de briser sur-le-champ le parti gaulliste. Cela ne produisit pas immédiatement d’effets négatifs, les giscardiens étant alors solidement maîtres du pouvoir et ayant en 1978 assez finement manœuvré en mettant sur orbite l’Union pour la démocratie française. Puis vint la défaite du 10 mai 1981. Le vaisseau UDF, dont on avait procédé au lancement avant d’avoir totalement achevé la construction, entra alors dans la tourmente des droites passées dans l’opposition à François Mitterrand. Un pilote incontestable aurait été nécessaire. L’ancien président se déroba longtemps. Et quand il reprit la barre en juin 1988, il se révéla vite piètre capitaine sans l’assistance de son brillant second qui avait, quinze ans plus tôt, conduit la FNRI à bon port. Puis il se retira, sans gloire, en 1996, laissant l’équipage en proie aux plus vives querelles. Les institutions de la Ve République étant ce qu’elles sont, cela fut bientôt fatal à l’UDF.
*
9De cette riche et foisonnante histoire d’un grand parti politique français, l’ouvrage collectif qui s’achève ici ne prétend donner que les grandes lignes, fixer à larges traits la chronologie des principaux processus, esquisser quelques fortes hypothèses pour comprendre le cours que les choses suivirent. Rien de moins, rien de plus. Raison qui nous pousse donc à conclure sur un double appel : d’une part aux acteurs-témoins qui ont participé au colloque de novembre 2011 – que nous remercions de la façon la plus sincère – et à tous ceux qui n’y ont pas participé, et d’autre part aux chercheurs en sciences humaines et sociales, historiens et politistes au premier rang. Si la lecture de ce livre les a convaincus de l’intérêt de la tâche, qu’ils nous aident, qui par leurs archives et leurs témoignages, qui par l’approfondissement de leurs investigations, à poursuivre l’écriture de l’histoire de l’UDF. À l’heure où la question de la division des droites se pose avec une acuité rarement atteinte, nul doute qu’il y ait dans cette entreprise un moyen de mieux comprendre le présent dans lequel nous sommes immergés.
Notes de bas de page
1 Christophe Bellon, « Les archives parlementaires », Vingtième siècle. Revue d’histoire, no 110, avril-juin 2011, p. 149-153.
2 Merci à Catherine Bruno pour cette précieuse information.
3 Intitulé qui reprend – consciemment ou sans le savoir ? – le nom de l’UDI, petit parti fondé en 1949 par Raymond Marcellin, qui s’intégra dans le CNIP au début de l’année 1951.
4 Bilan du septennat dans les cinq ouvrages déjà évoqués, issus des cinq colloques organisés sous la direction de Serge Berstein et Jean-François Sirinelli entre 2002 et 2009, et publiés chez Armand Colin sous le titre générique Les années Giscard.
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