L’UDF entre 1996 et 2002 : histoire d’une dissociation partisane
p. 99-110
Texte intégral
1Le premier septennat de Jacques Chirac, entre 1995 et 2002, a représenté une transformation profonde pour l’Union pour la démocratie française qui avait été jusqu’alors décrite comme une organisation « gelée1 », paralysée à un stade précoce de son institutionnalisation par la défaite en 1981 de celui pour qui elle avait été créée en 1978, Valéry Giscard d’Estaing. 1995 avait représenté une double défaite pour l’UDF. D’une part, bien que soutenant très majoritairement le Premier ministre sortant, Édouard Balladur, à l’élection présidentielle, elle n’avait pas réussi à se mettre en ordre de bataille efficacement derrière lui. La minorité « chiraquienne » de l’UDF, soutenue, et ce non sans quelque ironie, par son président Valéry Giscard d’Estaing, avait réussi à bloquer toute prise de décision, laissant de ce fait les composantes prendre l’essentiel des initiatives. D’autre part, la défaite d’Édouard Balladur au premier tour, devancé par Jacques Chirac alors que ce dernier avait été donné comme perdant pendant des mois dans les sondages, avait porté un coup d’autant plus dur que les ralliements au nouveau président se sont déroulés de manière très largement désordonnée.
2Pourtant, c’est sur une dynamique positive pour l’UDF que s’ouvre la période couverte par ce chapitre, en 1996. L’UDF est profondément renouvelée dans son leadership comme dans ses structures. Mais cette embellie n’est que de courte durée, stoppée définitivement par la crise liée aux élections régionales de 1998, suivie par la scission conduisant à l’indépendance retrouvée de l’ancien Parti républicain transformé, dans l’intervalle, en Démocratie libérale. On assiste dès lors à la reconstruction d’une Nouvelle UDF, consolidant progressivement un nouveau credo centriste, entériné en 2002 par la constitution sur sa droite de l’UMP.
3C’est de cette courte séquence d’événements qu’entend rendre compte rapidement ce chapitre2. La question centrale reste de ce point de vue de comprendre dans quelle mesure ces événements doivent être considérés comme un processus finalement relativement linéaire, devant inéluctablement aboutir à cette réinvention complète de ce que représente l’UDF. L’argument de ce chapitre est précisément d’essayer de souligner ces liens, même si le résultat finalement observé tient bien sûr également pour une large part à des facteurs contingents et des contraintes de court terme.
1996, l’année du renouveau
4Dès sa création, l’UDF avait été un parti structuré par la présidence de la République. Néanmoins, et contrairement aux autres grands partis comme le PS ou le RPR, l’UDF a toujours échoué à faire élire l’un des siens comme chef de l’État. Ce paradoxe est d’une acuité nouvelle pour l’UDF au milieu des années 1990. L’UDF avait été particulièrement bien représentée dans le gouvernement de cohabitation mené par Édouard Balladur entre 1993 et 1995. La position de « favori dans les sondages » du Premier ministre d’alors, jusque dans les premiers mois de 1995, avait fait naître la vision d’une UDF qui, si elle n’était pas directement représentée au sommet de l’État, devait néanmoins devenir le pilier structurant de la majorité parlementaire et du futur gouvernement, prenant ainsi enfin sa revanche contre un RPR devenu de plus en plus dominant au cours des années 1980. Cette vision s’est heurtée à l’échec électoral, finalement interprété dans les rangs de l’UDF comme le signe d’une inefficacité du parti en tant que machine électorale, et ce notamment en raison non seulement de son leadership mais également de son organisation. L’élection présidentielle passée, c’est donc à un profond renouvellement de la direction du parti et de son organisation que l’on peut assister.
5Preuve de sa présidentialisation relative, les mandats de président de l’UDF semblent suivre de près les échéances présidentielles. Élu en 1988 pour prendre la suite de Jean Lecanuet, Valéry Giscard d’Estaing quitte ainsi la tête de l’UDF en 1996. Son remplacement découle directement du fait que celui-ci ne se représente pas au poste à la présidence du parti, en 1996. Toutefois, cette absence de candidature ne fait en réalité qu’enregistrer une situation des rapports de force, acquise dès 1995, au lendemain de la victoire de Jacques Chirac à la présidence de la République et de l’absence de candidat UDF à cette élection. Cette lutte s’est notamment incarnée dans un débat autour du financement de l’UDF qui s’est noué, pour l’essentiel, lors du bureau politique du 9 mai 1995. Lors de cette réunion, Valéry Giscard d’Estaing propose de reconduire les principes du financement de la confédération assuré par le reversement à l’UDF de 20 % des montants touchés par les composantes au titre de l’aide publique au financement de la vie politique. Après un premier tour de table, où chacun des présidents des composantes a émis certaines réserves, le président propose une première fois le vote sur la clé de répartition du financement public. Ce vote est cependant refusé, François Bayrou arguant notamment « qu’il ne saurait être question d’épreuve de force entre nous ». Après de nouveaux débats, Valéry Giscard d’Estaing propose une nouvelle fois le vote sur la clé de répartition, précisant que ce point était le seul en question à ce moment-là (le débat tendant à s’élargir au problème du budget en général et aux difficultés diverses rencontrées par l’UDF en particulier). De nouveau, le vote n’a pas lieu. Les débats reprennent et le président en vient à proposer que le vote de la clé de la répartition soit accompagné d’une consultation sur les actions à conduire pour l’UDF. Mais, bien que cela ait été en particulier une revendication de Gérard Longuet, président du PR, le vote n’a toujours pas lieu. Le président menace alors de passer au point suivant de l’ordre du jour. Les débats sont relancés. Suite à cela, Valéry Giscard d’Estaing formule une nouvelle proposition : l’adjonction d’un comité de surveillance des dépenses non courantes de l’UDF. Après quelques derniers débats et une suspension de séance, le bureau politique adopte enfin la clé de répartition à l’unanimité moins quatre abstentions et « l’établissement d’un comité de suivi des dépenses de l’UDF », présidé par Jacques Barrot. La marge de manœuvre de la direction de l’UDF se voit donc réduite à une autonomie de façade, scellant de facto le sort de Valéry Giscard d’Estaing.
6Une nouvelle étape de la présidentialisation de l’UDF se joue lors de l’accès de François Léotard à la tête du parti en 1996. L’éviction de Valéry Giscard d’Estaing en est déjà un premier signe. La récurrence de la question de la désignation d’un candidat UDF pour les élections présidentielles lors des bureaux politiques de l’UDF à partir de 1996 en est un autre. L’enjeu d’une primaire présidentielle est notamment évoqué à plusieurs reprises lors des réunions de décembre 1996 et janvier 1997, puis de nouveau en avril et septembre 1997. Fondamentalement, ce second tournant de la présidentialisation de l’UDF s’articule autour du mode de désignation du président de l’UDF et de son éventuel candidat présidentiel.
7L’élection de François Léotard est ainsi un symbole du tournant majoritaire de la confédération tout d’abord parce que, pour la première fois, l’élection à la présidence oppose plusieurs candidats crédibles. L’élection du 31 mars 1996, lors du congrès de Lyon, voit en effet s’affronter quatre candidats : Jean-Pierre Giorgi, François Léotard, Alain Madelin et André Rossinot. François Léotard apparaît clairement comme le favori, fort du soutien officiel de trois composantes : le PR, Force démocrate et les adhérents directs. Toutefois, Alain Madelin bénéficie d’un soutien de poids en la personne de l’ancien président de l’UDF, Valéry Giscard d’Estaing et, plus généralement, de celui de l’aile chiraquienne du parti3. Les scores apparaissent finalement relativement serrés, quoique sans surprise, puisque François Léotard recueille 963 voix (57,42 %), Alain Madelin 506 (30,17 %), André Rossinot 206 (12,28 %) et Jean-Pierre Giorgi 2 (0,12 %). Pour la première fois, le nouveau président ne bénéficie pas d’un soutien quasi unanime des membres de l’UDF. Bien entendu, celui-ci s’attache dans son discours de clôture à se présenter comme le président d’une UDF rassemblée : « Mes chers amis, mon premier devoir est de réconcilier et de rassembler. Je vous indique tout de suite que dans la nouvelle organisation qui vous sera proposée, Alain Madelin et ses amis, André Rossinot et ses amis auront toute leur place. C’est une victoire d’équipe et c’est un mode de gestion nouveau qui commence4. »
8Ce mode de désignation concurrentiel peut sembler aller contre la présidentialisation du parti dans la mesure où le président bénéficie ici d’une légitimité entamée par rapport à celle de ses prédécesseurs. Ce serait toutefois oublier que cette élection concurrentielle a pour conséquence de redessiner les lignes de clivage internes autour de sa personne. Elle l’impose comme l’incarnation d’une majorité. Il ne faudrait pas croire pour autant que le mode de fonctionnement de l’UDF change du tout au tout pour cette raison. Les évolutions sont graduelles et, en grande partie, inabouties.
9La présidentialisation de l’UDF en 1996 s’illustre aussi au travers de changements statutaires, décidés par la nouvelle équipe constituée autour de François Léotard. Les statuts de 1996 définissent un président de l’UDF désormais doué de prérogatives propres et nouvelles pour lui, par exemple en matière de nomination à différents postes. Il se voit aussi pour la première fois doté d’un monopole de représentation effective du parti, non seulement comme porte-parole mais également dans les négociations avec les autres partis. Mais l’innovation la plus symbolique reste l’introduction de l’article 17 des statuts de 1996 qui précisent : « L’UDF apporte son soutien à un candidat à l’élection présidentielle à l’issue d’une consultation démocratique nationale. » En réponse à l’échec de 1995, non seulement l’UDF doit donc dorénavant avoir un candidat à la prochaine échéance de 2002, mais celui-ci doit être en outre désigné à l’issue d’une primaire dont on ignore néanmoins encore tout des modalités.
10Le changement des statuts de 1996 illustre de manière plus large une transformation du mode de gouvernance de l’UDF. Après un « unanimisme confédéral », caractérisé par le poids prépondérant des composantes et une forte propension à ne rien décider en cas de divergence de vues, un nouveau modèle plus classique de compétition et de décision majoritaire, modulé toutefois par une représentation proportionnelle, semble se mettre en place. L’élection même de François Léotard à la tête de l’UDF en était un symbole. Mais cette dynamique se renforce bientôt par la conjonction d’un vote des militants de plus en plus systématique, notamment sur les postes de responsabilité à pourvoir, et de la constitution d’un fichier « unique » des adhérents.
11La démocratisation des partis est un phénomène commun à l’ensemble des partis en Europe depuis au moins les années 1970. Le phénomène, nouveau à droite en France, était une innovation majeure pour l’UDF. En lieu et place d’une domination des organes parlementaires et d’une négociation paritaire entre composantes, l’UDF allait désigner systématiquement ses représentants par élection, si possible directe, par les adhérents. Cela était vrai non seulement des organes internes (représentation proportionnelle de liste au sein des grands conseils du parti, élection directe du président du parti) mais également de ses investitures pour les élections, à commencer par l’élection présidentielle. Si cette démocratisation peut apparaître modeste, comparée à la situation d’autres partis européens, elle est quand même significative à nos yeux d’une transformation plus générale de la nature de l’UDF, sa fédéralisation. Celle-ci, d’ailleurs, se donne à voir peut-être encore plus directement dans le changement de la raison sociale affichée par l’UDF. Pour la première fois en 1996, l’UDF affirme dans son article 2 sa nature « fédérale » alors que le mot n’avait jamais été employé auparavant.
12Cette fédéralisation est à la fois permise et renforcée par la mise au point d’un fichier commun des adhérents à l’ensemble de l’UDF. Jusqu’alors, aucune des composantes n’avait dévoilé des données précises sur ses adhérents, d’une part parce que la notion même d’adhérent restait un concept très flou5 pour de nombreuses composantes, mais également en raison même du mode de fonctionnement de l’UDF. Au niveau local, il n’était pas rare ainsi de voir de soudains changements de composantes afin de permettre une meilleure position sur une liste pour des élections régionales ou sénatoriales qui devaient respecter harmonieusement une représentation « juste » des différentes composantes. Avec un fichier unique et un principe de désignation démocratique, chacune des composantes se voyait dans l’obligation de renforcer fortement sa base militante. Un examen du fichier des adhérents en 1997 révèle ainsi que le meilleur prédicteur de l’implantation locale d’une composante n’est pas une information telle que le succès électoral mais l’implantation des autres composantes.
13Ce rapide panorama de la dynamique organisationnelle de l’UDF en 1996 montre ainsi un parti en pleine mutation. D’une structure confédérale rassemblant des partis qui ne sauraient être caractérisés autrement que comme des « partis de cadres », l’UDF semble véritablement émerger comme un système de coopération et de concurrence en voie de consolidation, mue par une logique renforcée de présidentialisation. Pour autant, cette dynamique apparaît limitée par de multiples contraintes. La première est la fragilité relative de la nouvelle coalition dominante du parti. Si François Léotard l’emporte en 1996, c’est grâce à une alliance étroite avec François Bayrou, sur la base d’un accord de présidence tournante pour l’UDF, ce dernier devant succéder au nouveau président après les échéances électorales de 1998. Or, les modalités mêmes de cette alliance, dont on ne connaît pas les détails, semblent tout à la fois floues et fragiles. De plus, celles-ci vont à l’encontre des principes mêmes de la dynamique organisationnelle conduite par ces acteurs eux-mêmes. La deuxième contrainte est l’inachèvement de la réforme organisationnelle. Les nouveaux statuts de 1996 vont bien au-delà de la pratique même récente du parti ; la réforme des statuts est utilisée pour provoquer le changement plutôt que l’institutionnaliser. Réciproquement, les usages persistent bien au-delà de la réforme des statuts, de nombreux scrutins au niveau local se déroulant par exemple sans concurrence réelle. La troisième contrainte est la persistance des stratégies autonomes des composantes. Les composantes de l’UDF ont été marquées par une grande stabilité dans leur conformation tout au long des années 19806. Les années 1990 sont au contraire caractérisées par une intense activité de rapprochement entre composantes. Dans un premier temps, plusieurs tentatives échouent. En septembre 1993, le Parti radical et le Parti social-démocrate (PSD) tentent sans succès de constituer un « pôle réformiste ». En août 1995, le rapprochement initié entre adhérents directs, Parti radical et PSD n’aboutit pas non plus. En revanche, CDS et PSD parviennent à fusionner pour créer Force démocrate en novembre 19957, sous le leadership de François Bayrou. La création de FD est ainsi l’occasion d’ébranler la domination du PR au sein de l’UDF, et cela d’autant plus sensiblement que celui-ci se divise en 19958. Enfin, les principes mêmes de la réforme statutaire sont contestés par ses promoteurs mêmes : « Le risque serait que la majorité s’arroge tous les droits, cela enlèverait tout sens à l’existence de l’UDF », affirme François Bayrou lors du bureau politique de l’UDF du 10 janvier 1996. On le comprend : François Bayrou occupe donc une position à la fois centrale et ambiguë dans cette transformation de l’UDF.
La double crise de 1998
14Autant l’élection présidentielle de 1995 a eu des conséquences décisives pour l’UDF, autant les élections législatives perdues pour la droite en 1997 apparaîtront pratiquement anecdotiques. Malgré ses transformations, la préparation de ces élections anticipées s’est inscrite dans la continuité des élections précédentes. Le principe de reconduction des sortants dans une assemblée dominée de façon écrasante par la droite ne laissait que peu de liberté. L’équilibre RPR-UDF est reconduit, le premier recueillant 52 % des investitures officielles contre 46 % à l’UDF. Au sein même de l’UDF, les différentes composantes conservent une représentation stable : le PR a 18 % des investitures de la coalition, Force démocrate 14 %, les adhérents directs 6 %, les radicaux et le PPDF chacun 4 %. Néanmoins, ces élections restent importantes pour l’avenir de l’une de ces composantes, le PR. Lors de sa convention du 24 juin 1997, le parti décide en effet non seulement de changer de président, Alain Madelin succédant à François Léotard, mais aussi de transformer son organisation même, en devenant Démocratie libérale. La promotion d’Alain Madelin s’était faite en concertation avec François Léotard, qui voyait là un moyen de maintenir l’unité d’une formation encore divisée entre ses différents courants. Le lancement de DL permit également la réunion de la plupart des figures historiques du Parti républicain qui s’en étaient détachées, comme Charles Millon parti aux adhérents directs, ou Jean-Pierre Raffarin et Dominique Bussereau au PPDF. En somme, DL était la réponse des libéraux à la formation de Force démocrate.
15Le tournant historique pour l’UDF est néanmoins pris tout juste un an plus tard, lors du printemps 1998. Cette séquence s’ouvre avec les élections régionales. L’enjeu était d’abord important pour François Léotard qui avait fait de la conquête de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur une ambition affirmée. Sa défaite personnelle lors de cette élection ouvre une première crise au sommet du parti. Mais l’essentiel vient dans les jours suivants quand plusieurs leaders locaux de l’UDF doivent leur élection à la présidence de leur région grâce au soutien des élus du Front national. Les trois cas les plus emblématiques sont ceux Charles Millon en Rhône-Alpes, de Jacques Blanc en Languedoc-Roussillon et de Jean-Pierre Soisson en Bourgogne. Les leaders nationaux du RPR et de l’UDF condamnent sans appel ces élections et somment ces élus de démissionner immédiatement de leur poste. Ceux-ci n’obtempèrent pas pour autant. Leur exclusion de l’UDF est alors prononcée. DL toutefois opte pour une position plus nuancée. Alain Madelin déclare notamment qu’il « refuse de participer à la curée, [qu’il] refuse de hurler avec les loups de la gauche et de l’extrême gauche déchaînés9 ». Si Jacques Blanc est ainsi suspendu de l’UDF, il est réintégré à part entière dans Démocratie libérale dès le mois d’août 1998.
16On doit souligner que cette question de l’alliance avec le Front national avait été abordée en amont. Elle faisait partie de l’ordre du jour du séminaire du bureau politique de l’UDF du 25 septembre 1997. Or, le comité exécutif du 24 septembre, préparatoire à cette réunion, décide finalement de retirer ce point de l’ordre du jour. La raison n’en est pas tant des désaccords profonds que la volonté de « ne pas trop participer à la diabolisation du Front national », selon les mots de Jean-Claude Gaudin. La question sera cependant traitée, mais lors du bureau politique du 17 décembre 1997. Tous les principaux participants au débat (étaient notamment présents François Léotard, président de l’UDF, Alain Madelin, président de DL, François Bayrou, président de FD, Hervé de Charette, président du PPDF, et Jean-Pierre Raffarin) s’accordent pour condamner toute alliance avec le Front national. Deux points néanmoins soulèvent des discussions : la question de savoir s’il est possible de débattre (mais pas de négocier) avec le Front national et la question de savoir si un candidat à une présidence de région devrait être présenté en cas d’absence de majorité relative pour la droite. Alain Madelin et François Bayrou, principalement, s’opposent sur ces deux points, le premier répondant deux fois « oui », le second, deux fois « non ». Aucune décision définitive ne semble donc à cette date arrêtée, si ce n’est un engagement de principe à ne pas faire d’alliance avec le FN. L’élection de quatre présidents de conseils régionaux de l’UDF10 grâce à l’apport des voix du Front national change la nature du problème. Une première décision du bureau politique, le 24 mars 1998, ouvre une procédure d’exclusion à leur encontre qui aboutira lors du bureau politique du 8 avril. Lors de cette dernière réunion, après un court débat, François Léotard, président de l’UDF, obtient un vote majoritaire qui entérine finalement ces exclusions. Le résultat du vote nous est malheureusement inconnu dans ses détails. Toutefois, on notera que la décision d’exclusion recueille un apparent consensus. Alain Madelin, notamment, déclare « ne pas remettre en cause la procédure d’exclusion » et rappelle avoir agi de telle sorte que « Démocratie libérale a entériné, non sans difficulté, la décision précédente du bureau politique d’engager le processus d’exclusion ».
17Si cette crise des élections régionales représente une question déterminante de l’UDF, c’est moins en raison de la nature de l’enjeu lui-même ou de la création de micro-partis par Charles Million ou Jacques Blanc qu’à cause de la sortie concomitante de DL hors de la structure UDF. Cette scission de l’UDF est souvent imputée directement à l’enjeu des alliances avec le Front national. Notre interprétation est plus nuancée. Si cet enjeu est sans doute l’élément déclencheur, il reste néanmoins à replacer dans un temps plus long. Deux points nous paraissent ici décisifs. Le premier est que les transformations organisationnelles de l’UDF, suite au changement de statuts de 1996, sont un puissant facteur de cette scission. La présidentialisation du parti, l’émergence d’une logique majoritaire mettaient en danger les ressources mêmes de ceux qui étaient exclus de la coalition alors dominante du parti. Le second point est l’observation d’un apparent accord tacite de partage de l’UDF entre Alain Madelin et François Bayrou. Alain Madelin tenterait de faire émerger de façon autonome un parti au libéralisme économique affirmé quand François Bayrou conserverait les dépouilles de l’UDF afin d’asseoir sa stratégie présidentielle. Un des éléments importants allant dans cette direction est l’analyse des conditions financières du départ de DL, qui restera en réalité au sein du Groupement des élus de l’UDF, support des financements publics pour le parti – jusqu’en 200211.
18L’annonce du départ de Démocratie libérale est apparue pour partie improvisée, répondant effectivement en ce sens à la crise du moment. Elle sera suivie de peu par l’annonce des fidèles de François Léotard de leur maintien au sein de l’UDF, au travers d’une nouvelle composante, le PRIL (Parti républicain indépendant et libéral).
19En quelques jours seulement, la situation de l’UDF a ainsi évolué du tout au tout. Alors qu’elle s’était inscrite depuis au moins deux ans dans une tentative d’unification afin de servir de machine électorale efficace pour la bataille présidentielle, elle devient un parti ne marchant plus que sur « l’une de ses deux jambes » historiques. Dans le même temps, cette crise résout de manière définitive une question épineuse de leadership. François Léotard, parvenu à la tête de l’UDF dans une coalition incertaine avec François Bayrou, est définitivement marginalisé, défait électoralement et sans troupes militantes pour le soutenir. La confrontation à l’issue incertaine qui aurait pu finalement avoir lieu entre Alain Madelin et François Bayrou est évitée. Chacun est devenu maître incontesté en son parti. Dès lors, c’est la course présidentielle qui est lancée.
2002, l’issue présidentielle
20Pratiquement dès 1998, il ne fait guère de doute qu’Alain Madelin et François Bayrou seront chacun candidat à l’élection présidentielle de 2002. Chacun des candidats va dans cette perspective poursuivre une stratégie préalablement développée au sein de sa composante.
21Du côté de François Bayrou, il faut au moins remonter à 1995 et à sa décision de créer Force démocrate par la fusion du CDS et du PSD. Le choix dès lors était clair : tout à la fois renoncer à un héritage démocrate-chrétien trop explicite et réaffirmer un positionnement centriste, voire central, sur l’échiquier politique. Après le départ d’Alain Madelin et de Démocratie libérale, François Bayrou va déployer cette stratégie à l’échelle de l’UDF, cela tout d’abord en en prenant la tête lors du congrès de novembre 1998. Ce congrès est l’occasion également de lancer la « Nouvelle UDF », dont la principale innovation est la fusion de trois composantes (Force démocrate, le PRIL et les adhérents directs). Elle reste inaboutie au sens où le PPDF, le Parti radical et l’Union centriste maintiennent au sein de l’organisation leur autonomie financière et statutaire. Les élections intermédiaires, européennes en 1999 et municipales en 2001, constituent un premier test électoral et stratégique. La Nouvelle UDF se présente seule quand elle le peut ; elle refuse le principe d’alliances systématiques avec le RPR, même si, de fait, c’est le choix retenu dans la quasi-totalité des cas. Ces échéances sont également l’occasion de réorienter l’image de l’UDF en affirmant ouvertement un credo pro-européen sans réserve. Le positionnement idéologique se veut « humaniste », basé tant sur une certaine orthodoxie du point de vue économique qu’une attention soutenue aux questions sociales, renouant finalement ainsi avec les premiers slogans de l’UDF, « libérale, sociale et européenne ». Le bilan électoral est mitigé. La liste UDF emporte 9,3 % des voix lors de l’élection européenne, se plaçant ainsi en cinquième place, largement devancée par la liste souverainiste menée par Charles Pasqua et Philippe de Villiers (13 % des voix).
22Alain Madelin et Démocratie libérale privilégient de leur côté une alliance systématique avec le RPR, qui conduira à partager l’échec de la liste emmenée par Nicolas Sarkozy en 1999 (12,8 % des voix). DL se concentre dès lors sur une réflexion programmatique intense et la construction de relations approfondies avec le monde professionnel12.
23Arrivées en 2002, tant DL que la Nouvelle UDF sont en position difficile. L’autonomisation de DL a d’abord représenté un approfondissement de la crise financière que traversaient déjà à la fois DL et l’UDF. De 1998 à 1999, l’UDF perd près de cinq millions de francs de recettes, DL plus de deux. Cette crise est en partie due à une véritable hémorragie des effectifs militants. Entre 1998 et 1999, l’UDF voit divisé par trois le montant des cotisations perçues, atteignant alors un point historiquement bas avec moins de 250 000 F. Et cela ne fait en réalité que refléter la dégradation profonde de l’image de ces partis dans l’opinion publique. En 2000, moins de 10 % de la population déclarent se sentir « le plus proche » ou « le moins éloigné » de l’UDF ou de DL. Avec seulement 3,91 % des voix, le premier tour de l’élection présidentielle représente un échec qui semble définitif pour Alain Madelin. François Bayrou, arrivé quatrième avec 6,84 % des voix, peut de son côté encore espérer.
24Mais les résultats des candidats de l’UDF sont de toute façon éclipsés par l’élimination de Lionel Jospin dans un premier tour ayant été caractérisé par un record historique de candidatures. Jacques Chirac, candidat sortant, arrive en tête avec moins de 20 % des voix et pratiquement talonné par Jean-Marie Le Pen. Le choc provoqué permet la constitution immédiate de l’UMP (« Union de la majorité présidentielle », dans un premier temps) qui va parvenir à attirer à elle, dans la perspective des élections législatives à venir, l’essentiel des troupes de l’ancienne UDF, DL étant simplement absorbée quand la Nouvelle UDF perd à cette occasion l’essentiel de ses effectifs parlementaires.
25Si la création de l’UMP semble une nouvelle fois de l’ordre de l’accidentel, il nous semble néanmoins que celle-ci a été en réalité largement permise par la scission de l’UDF qui l’a précédée. D’un point de vue théorique, d’abord, le retrait de DL hors de l’UDF a permis au RPR d’avoir une forte probabilité d’acquérir le statut de parti dominant si une majorité de droite remportait les élections. En devenant au moins partiellement dominant, le RPR est devenu un parti attractif, suscitant les défections de parlementaires d’autres partis à son profit parce qu’il acquiert une position de force lors de la négociation des coalitions. L’autonomisation de DL expliquerait donc dans cette logique les défections de nombreux parlementaires à la fois UDF et DL au profit du RPR rebaptisé pour l’occasion UMP. Et en 2002, le RPR, si l’on ne tient pas compte de l’étiquette UMP mais des affiliations partisanes précédentes, acquiert effectivement ce statut de parti dominant sans conteste. Depuis 1978 et la création de l’UDF, le RPR n’avait réussi à obtenir cette position qu’une seule fois, en 1993, grâce à l’effondrement électoral du PS. Depuis 1998, cette position est structurellement acquise au RPR en cas de victoire de la droite13 si la répartition des sièges ne varie pas trop en son sein. La constitution de l’UMP par le ralliement de DL et d’une partie de l’UDF au RPR apparaît alors logique, dans la perspective d’une participation de ces députés à une structure bénéficiant pour chacun de ses membres d’une meilleure probabilité de gains. Et c’est d’ailleurs cela qui permettra à Jean-Pierre Raffarin, issu des rangs de DL, de devenir le premier Premier ministre du second mandat de Jacques Chirac. D’un point de vue plus pratique, la faiblesse organisationnelle des partis issus de l’UDF laissait peu d’espoir de pouvoir constituer de nouvelles machines électorales efficaces, comme venaient de le montrer élections municipales et élection présidentielle. Dès lors que la nouvelle UMP permettait officiellement l’existence de courants, les incitations idéologiques devenaient inexistantes pour maintenir des structures autonomes quand réseaux et cercles de pensée pouvaient être maintenus quasiment inchangés.
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26Notre but était ici de montrer la continuité finalement importante depuis la réforme entreprise au sein de l’UDF en 1996 jusqu’à la création de l’UMP six ans plus tard. Bien sûr, 1998 et 2002 restent des « accidents » déterminants dans la mise en œuvre de ces transformations de la droite française. Néanmoins, une UDF unifiée semble avoir été trop fragile et trop tardive dans le paysage politique français pour prévenir les tentations de défection de ceux qui ne faisaient pas partie de la coalition dominante qui la conduisait. De même, une Démocratie libérale autonome n’était pas viable, étant donné les contraintes institutionnelles pesant sur l’expression des suffrages en France. La fusion du RPR et de DL ne pouvait ensuite qu’attirer une partie substantielle des effectifs de la Nouvelle UDF qui souhaitaient, au minimum, pouvoir conserver leurs mandats électifs. Dès lors, c’est à la consolidation de cette nouvelle configuration du système partisan français à laquelle on assista dans les années 2000, avec la réaffirmation, à travers la Nouvelle UDF maintenue, d’une position au centre pour la première fois depuis les années 1960 mais toujours secondaire.
Notes de bas de page
1 David Hanley, « Compromise, party management and fair shares: the case of the French UDF », Party Politics, 1999, 5, 2, p. 171-189.
2 Des compléments utiles pourront être trouvés notamment dans Stéphanie Abrial, « Entre libéralisme et centrisme », dans Pierre Bréchon (dir.), Les partis politiques français, Paris, La Documentation française, 2001, p. 61-84 ; Paul Hainsworth, « The right : divisions and cleavages in fin de siècle France », West European Politics, 1999, 22, 4, p. 38-56 ; Pierre Bréchon et Bernard Denni, « Bayrou, Madelin, Boutin ou l’atomisation de l’UDF », dans Pascal Perrineau et Colette Ysmal (dir.), Le vote de tous les refus, Paris, Presses de Sciences Po, 2003, p. 289-309 ; Nicolas Sauger, Les scissions de l’UDF (1994-1999). Unité et dissociation des partis, mécanismes de transformation de l’offre partisane, thèse de science politique, IEP de Paris, 2003.
3 Jean-Pierre Giorgi est un candidat plus anecdotique. André Rossinot représente les radicaux qui traditionnellement présentent des candidatures séparées.
4 Discours de clôture de François Léotard, Conseil national de l’UDF de Lyon, 31 mars 1996.
5 De longues discussions sur la façon de définir un adhérent ont occupé l’UDF. Finalement, une adhésion avait besoin, pour être validée, d’être accompagnée d’un règlement nominatif (par chèque) d’une valeur d’au moins 50 F.
6 Florence Haegel, Christine Putz et Nicolas Sauger, « La transformation de la démocratie dans et par les partis : l’exemple du RPR et de l’UDF », dans Pascal Perrineau (dir.), La démocratie en mouvement, Paris, Éditions de l’Aube, 2003. Malheureusement, l’évolution des composantes de l’UDF est très mal documentée. Notons cependant quelques exceptions bienvenues, notamment : Colette Ysmal Demain la droite, Paris, Grasset, 1984 ; Constance Le Grip, Les cercles dirigeants du PR, mémoire de IEP de Paris, 1984 ; Bertrand Rocher et Valérie Lion, Le Centre des démocrates sociaux, Paris, Librairie de droit et de jurisprudence, 1994.
7 Le fait que cette dernière formule l’emporte conforte largement une logique majoritaire alors que les formules de rapprochement entre « petites » composantes auraient éventuellement permis de renouveler la gestion paritaire de la confédération, entre trois ensembles de taille comparable.
8 En raison des différents soutiens affichés lors de l’élection présidentielle, mais également parce que François Léotard reprend à cette date la direction du PR, que Hervé de Charette crée le PPDF comme composante autonome et que Charles Millon rejoint les adhérents directs.
9 Interview d’Alain Madelin par Olivier Mazerolle, RTL, 27 mars 1998. On notera d’ailleurs qu’Alain Madelin ne cachera pas ses coups de téléphone de soutien aux présidents de conseils régionaux incriminés.
10 Nous ne comptabilisons ici que les présidents élus n’ayant pas immédiatement démissionné, comme Jean-François Humbert en Franche-Comté par exemple. Ces quatre présidents sont Charles Baur (Picardie), Jacques Blanc (Languedoc-Roussillon), Charles Millon (Rhône-Alpes) et Jean-Pierre Soisson (Bourgogne). Il est à noter que ce dernier n’était en réalité qu’apparenté à l’UDF.
11 Pour plus de détails, cf. Nicolas Sauger, Les scissions de l’UDF…, op. cit.
12 Nicolas Sauger, « Reaggregating interests? », dans Kay Lawson et Thomas Poguntke (dir.), How parties respond, Abingdon, Routledge, 2003.
13 De même que le PS est structurellement dominant en cas de victoire de la gauche.
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