Chapitre VI. Indices d’une mise en ordre morale
p. 215-247
Texte intégral
1Le renforcement des normes de comportement, tel que le révèlent les sources, passe par la défense du catholicisme et la sacralisation de la famille. Il se traduit aussi par une attention particulière portée aux crimes impliquant des femmes, notamment dans le dernier quart du XVIIe siècle. Enfin, au même moment, plusieurs indices montrent une plus grande intensité, quoique relative, de la chasse aux sorciers.
Sacralisation du prêtre et du père
2Le pouvoir central cherche à consolider les forces qui peuvent relayer son autorité au sein des communautés, c’est-à-dire l’Église et la famille. Il serait exagéré de parler de criminalisation en la matière, les affaires étant peu nombreuses. Les quelques cas déclinés ici n’ont pas d’autre prétention que de lever le voile sur les représentations des pratiques religieuses, en particulier du blasphème et de la famille, qui sous-tendent l’action judiciaire.
Le temps du blasphème ?
3Durant les décennies 1540-1580, la politique d’endiguement de la Réformation se manifeste en particulier par une attention plus grande au blasphème. Ce dernier est alors presque toujours une composante des incriminations, en particulier en cas d’injures verbales ou réelles. En 1541, une femme suspectée d’infanticide est finalement relaxée, mais convaincue d’avoir tenu des propos blasphématoires, elle est condamnée à payer 100 livres tournois au roi et un cierge de 10 livres pour l’église de Mirebel1. Un ancien Châtelain, poursuivi pour abus de pouvoir, désobéissance et « mépris à justice », est finalement puni pour ses jurons2. En 1560, sur plainte des syndics, trois prévenus se retrouvent devant le Sénat pour port d’armes, agression et assemblée illicite. La sentence prend soin de distinguer la condamnation pour ces délits, 200 livres, des amendes dues pour des blasphèmes, 10 livres à son Altesse et 100 sols destinés à la réparation de la chapelle3. Coupable de « plusieurs exécrables blasphèmes », l’agresseur d’un dénommé Guichard et d’une veuve est frappé d’une amende de 25 livres, applicables à la chapelle du palais. Les injures réelles sont sanctionnées de 60 livres avec interdiction de port d’armes pendant 3 ans. Guichard est « mis soubz la protection et saulvegarde de son Altesse4 ».
4Dans ces quelques exemples, le délit de blasphème est distingué des autres incriminations et les peines d’amende qui le frappent lui donnent une existence propre, renforcée en 1560 par la promulgation d’un édit dont se fait l’écho un procès. Les juges condamnent à des amendes des prévenus convaincus de violence, port d’armes et jurements, en précisant dans leur sentence qu’ils se réfèrent en la matière à l’édit de son Altesse5. Ils signifient par-là aux justiciables que blasphémer est un crime, qu’il n’est pas anodin et qu’ils sont déterminés à le punir. Ainsi la pratique quotidienne et sans doute banale du juron devient-elle délictueuse par une volonté de moralisation religieuse, comme en Europe et particulièrement en France au même moment.
5Cependant, le blasphème seul n’est jamais l’objet d’un procès. Même dans l’affaire de 1560, qui voit un justiciable reconnu coupable « d’injures et de blasphèmes contre l’honneur et grandeur et aucthorité de l’Altesse de Monseigneur son naturel et souverain prince6 », l’aspect blasphématoire se conjugue avec l’atteinte à l’autorité de l’État. La sentence laisse pourtant entendre que la condamnation est motivée par les jurons. Le coupable est puni de 100 livres après avoir fait amende honorable « en plaine audience du Sénat, pieds nuds, teste nue et en chemise tenant en main une torche de cyre ardante et du poix de 2 livres » ; il doit confesser à haute et intelligible voix que « témérairement, faulsement, meschammant et séditieusement, il a blasphémé (souligné par nous) contre l’Altesse de Monseigneur, son souverain et naturel prince et sa justice dont il se repend et crie mercy à Dieu, à Monseigneur et justice7 ». En fait, la qualification de blasphème recouvre un crime attentatoire à la souveraineté du duc. Dans le contexte troublé des conflits confessionnels, elle tend à contaminer toutes les incriminations pour « excès » en dramatisant particulièrement la violence verbale. Les Savoyards du XVIe siècle ne sont pas plus blasphémateurs que leurs descendants du XVIIe siècle. Mais la justice leur accorde alors une plus grande attention sans en faire un crime à part.
6L’amende honorable, châtiment le plus souvent infligé, renforce encore la distinction opérée entre le blasphème et les autres crimes quelle que soit leur gravité. En 1560, un appelant pour port d’armes, blasphèmes et « aultres excès » est condamné à « souffrir troys traicts d’astrapade un jour de marché en la grand place soubz le chasteau de la présente ville de Chambéry ». Il est ensuite conduit sur le lieu de ses forfaits, à Pont de Vaux, où il fait amende honorable après la grand-messe « demandant pardon à Dieu, à Monseigneur et à justice des grands et souvent réiteréz blasphèmes par luy profferéz8 ». Les crimes sont dissociés aussi bien pénalement que géographiquement. Le port d’armes et sans doute des coups et blessures expliquent l’estrapade, les jurements, bien qu’énormes et répétés, sont moins punis. Le 23 juillet 1560, un prévenu est condamné aux galères à perpétuité après avoir fait amende honorable pour agression, furt, injures et jurons proférés lors du jugement et devant les commissaires chargés d’examiner ses griefs. Les propos blasphématoires ne sont pas minimisés par le Sénat, qui tient toujours à ce qu’ils soient réparés, mais ils ne sont jamais l’incrimination principale.
7Dans ces affaires, la gravité des crimes commis n’occulte pas le blasphème, au contraire stigmatisé par le type de punition retenu. L’amende honorable oblige en effet le coupable à prendre conscience à la fois devant la communauté et l’institution du caractère emporté et délictueux de certains propos. Affiché comme un délit à part entière et systématiquement associé dans le même temps aux autres crimes, le blasphème prend ainsi par contamination de l’importance, tout en étant faiblement réprimé. L’aspect religieux est sans conteste présent et central dans la répression, mais, au-delà, les justiciables doivent apprendre à se discipliner, car les jurons participent à l’engrenage de la violence dont la réduction reste la priorité de la politique criminelle sénatoriale9. La criminalisation du blasphème permet à la cour de s’attaquer à la fois à « l’hérésie de Genève » et de policer les justiciables en donnant à cette pratique un statut de grossièreté, indigne d’un homme civilisé.
Discipliner les pratiques religieuses
8La répression de ce crime est cependant ponctuelle et correspond dans les sources aux années 1540-1560 au moment où se fixent les frontières confessionnelles. À partir de la fin du XVIIe siècle, la défense de la religion prend d’autres formes. D’un côté, le Sénat n’hésite pas à désavouer les instances inférieures en minimisant certaines infractions commises par les paysans, de l’autre, il se montre beaucoup moins compréhensif envers les déracinés et les marginaux qui commettent des actes sacrilèges et ne peuvent arguer d’aucune excuse.
9Vis-à-vis des premiers, le procureur du Sénat se fait le défenseur d’une justice équilibrée, très éloignée du caporalisme qui semble caractériser les instances subalternes. Le 7 septembre 1710, à Giez, François Mermaz, 52 ans, est accusé par le révérend Mongelaz, son curé, d’avoir quitté l’église au milieu de la messe pour rentrer sa récolte. La remontrance du juge local est implacable. À ses yeux, c’est un « délict considérable soit par rapport au mespris qui est fait à l’esglise, au mauvais exemple et scandale de toutte une paroisse, soit par rapport à la religion dont la pluspart des paysants d’aprésent font très peu de cas, ainsy l’on espère de la justice du Sénat que par son arrest, il donnera un exemple sévère pour arrester les abus qui se commettent les dimanches jours sanctifiés de Dieu10 ». Il condamne Mermaz à 5 livres envers le seigneur du lieu et à la moitié pour les hôpitaux de la charité. À l’entendre, la situation est grave, la population tellement indisciplinée que le soutien sans faille du Sénat est absolument nécessaire. L’accusé reconnaît les faits, mais rappelle qu’il a obtenu l’autorisation de rentrer son blé en cas de pluie. Le révérend ne l’entend pas de cette oreille. Pour lui, c’est une « honte qu’après le beau temps qu’il avoit fait toute la semaine » d’avoir « laissé les bleds coupez depuis le lundy pour en faire la récolte le dimanche même du rosaire ». Manifestement, les autorités locales veulent encadrer strictement les paysans et craignent les abus. En ce début de XVIIIe siècle, le fossé s’est creusé entre les juges inférieurs et subalternes d’une part et le Sénat d’autre part. La réponse de la cour d’appel est en effet beaucoup plus mesurée. Le 13 décembre de la même année, « ayant veu les pièces, attendu la modicité du fait et la permission donnée par le Rd de travailler le 7 septembre dernier en cas de pluye », elle prononce la relaxe de l’accusé, qui doit seulement s’acquitter des frais de justice.
10Le 6 juin 1692, à La Chambre en Maurienne, elle adopte une toute autre attitude. Un imposteur qui a célébré la messe sans être prêtre est puni de pendaison, puis brûlé et ses cendres jetées au vent après avoir fait amende honorable devant l’autel de saint-Dominique, en chemise de justice et tenant une torche allumée11. Les circonstances sont certes différentes. Le crime de lèse-majesté est ici entier et n’est pas lié à une situation confuse. La duplicité est avérée et, de surcroît, l’homme est un inconnu.
11Quand le crime est gravissime aux yeux des autorités, la peine de mort est prononcée et fait l’objet de publicité sous forme d’affiches de grand format12. Ainsi le Sénat rend-il un arrêt de mort, le 17 mars 1738, pour vol sacrilège dans l’église de Reignier. Le placard commence par ces mots en latin :
« Si peccaverit Vir in virum, placari ei potest Deus ;
Si autem in Deum peccaravit, qui orabit pro eo ? »
Lib-1-Reg. cap. 2, vers. 25.
12Les auteurs et les incriminations sont ensuite consignés avec précision. En l’occurrence, les accusés sont trois marginaux : Bernard Robert dit le boiteux de La Bâtie, paroisse de La Balme, Claude Grange dit Gazet, de Fillinges et Pierre Berard dit le Mauriennais, de Sainte-Marie-de-Cuines. Ils sont coupables d’avoir volé des vases sacrés dans l’église de Reignier dans la nuit du 22 au 23 avril 1736. Berard fait le guet pendant que les deux autres forcent les barreaux de la fenêtre de la chapelle Notre Dame de l’Assomption, ainsi que la porte de la sacristie. Là, ils volent un ostensoir, trois calices et trois patènes en argent, puis ils fracturent l’armoire près du lutrin où se trouve l’argent des offrandes. Les jours suivants, Berard et Grange vendent les objets volés à un orfèvre de Genève. Les faits exposés, l’affiche se termine par la sentence. Tous les trois sont condamnés à une amende honorable, « au conspect du Sénat et du peuple », puis remis au bourreau qui les conduit un jour de marché à travers les rues de Chambéry, la corde au cou. Sur la place du Vernay, Robert et Grange ont le poing droit coupé pour s’être saisi des vases sacrés qu’ils ont mis dans un sac. Ils sont ensuite tous les trois pendus, leurs cadavres brûlés et les cendres jetées au vent « afin que d’iceux il ne reste mémoire ». Voler puis vendre à Genève des calices consacrés, symboles par excellence du catholicisme et de la messe, relève de la profanation ultime. Pour avoir manipulé ces objets, Grange et Robert ont la main droite tranchée alors que Berard échappe à ce supplice. L’impression d’affiches, dont 21 exemplaires subsistent aux archives départementales de la Savoie, donne du retentissement à cette affaire, symptomatique d’une époque qui sacralise la messe et les officiants.
Sacralisation de la famille
13Au même moment, la sacralisation de la famille est perceptible à travers plusieurs procès qualifiés de parricide. En 1620, le cas de Jean Giraud, dit Crosse, habitant du village des Déserts, résume toutes les normes qu’il est formellement interdit de transgresser. Giraud a voulu brûler la maison familiale, mais sa sœur l’en a empêché. Il a en outre jeté sa mère par terre en lui mettant « les genoux sur l’estomac » et en la traitant de putain. Après avoir volé la bourse de son père, il a « dressé le corps de sondit père mort contre une paroie devant plusieurs personnes luy disant qu’il marchat s’il pouvoit, comme aussy d’avoir commis inceste et adultère environ deux ans avec Michelette Morel, mère de l’Anthoine Bal, sa femme13 et heu de saditte belle-mère une fille, comme aussy d’avoir par mespris donner du pain benist aux chèvres14 ».
14Pour reprendre la thèse d’André Abbiateci15, la tentative d’incendie est un moyen de pression sociale, exercé en l’occurrence sur l’ensemble de la famille. Elle revêt aussi un caractère de vengeance désespérée, d’autant plus inadmissible que Giraud s’attaque au patrimoine constitué sur plusieurs générations. Ce faisant, Giraud met en péril l’existence même de la famille dans le temps. En outre, dans les sociétés montagnardes groupées en villages dans lesquels les habitations en bois sont très proches les unes des autres, la propagation du feu est extrêmement redoutée. Au-delà du cercle familial, l’acte de Giraud est attentatoire à l’ensemble de la communauté.
15La hiérarchie et les liens familiaux sont remis en cause dans leurs fondements mêmes. L’agression de la mère, qui n’est pas simplement battue mais jetée à terre et en quelque sorte piétinée par son fils, la fait chuter de son piédestal maternel. En précisant que Giraud appuie les genoux sur son estomac, les témoins et les juges signifient aussi qu’il atteint à sa fonction procréatrice, donc à la transmission de la vie. Les outrages infligés au père sont encore plus intolérables. Peut-être tué par son propre fils, il est volé par ce dernier qui, de plus, s’acharne contre le corps. Terrassé, le père est redressé, ranimé fictivement, puisque son fils lui adresse la parole. En provoquant le cadavre de son père devant plusieurs personnes, qui plus est, Giraud bafoue jusqu’à l’extrême l’autorité parentale pour démontrer qu’il s’en est totalement affranchi. Il subvertit jusqu’aux liens du mariage en commettant l’adultère avec sa propre belle-mère, avec laquelle il a un enfant, illégitime donc. Il réussit ainsi le tour de force de détruire l’agencement familial ascendant aussi bien que descendant. Pour les autorités, un tel comportement est inconcevable à moins que l’ordre divin lui-même ne soit nié. Giraud est forcément un impie, comme le laissent entendre les blasphèmes qu’il profère et surtout le fait qu’il nourrit les chèvres avec du pain bénit. En ajoutant ces incriminations, qui peuvent paraître secondaires eu égard aux autres crimes commis, les juges démontrent qu’il n’a que mépris pour Dieu et la religion.
16Quelle est la réalité ? Il est impossible de le savoir et peu importe finalement. L’accumulation des griefs, la systématisation des crimes, qui concourent à faire de Giraud un monstre dangereux, incitent à la méfiance, mais sont en même temps révélatrices de la logique judiciaire. L’instruction est conduite dans le seul but de prouver la subversion totale par Giraud de l’ordre humain et divin à la fois. Il n’est plus de ce monde et ne peut pas prétendre accéder à l’au-delà. Le châtiment est donc à la mesure de ses actes inouïs. Outre les amendes habituelles, il est traîné par les carrefours puis étranglé et jeté sur le bûcher, ses cendres dispersées au vent pour qu’il ne reste rien du criminel, même pas dans les mémoires. L’arrêt est solennellement publié aux Déserts, un dimanche, à l’issue de la grand messe. Condensé des normes sociales et familiales que les autorités veulent imposer, cette affaire se veut exemplaire.
17Même quand le parricide ne se solde pas par la mort, la peine capitale est appliquée. Battu à plusieurs reprises par son fils, insulté de « vieux loup, vieux sorcier, vieux payen » et finalement blessé d’un coup de ciseau de menuisier au bras droit, le père de Jean-François Armand ne décède pas. Le 11 février 1677, après amende honorable devant le Sénat, Armand est pourtant mis au pilori, où le bourreau lui coupe le poing droit, puis il est pendu « jusqu’à ce que mort naturelle s’en ensuive, son cadavre bruslé, les cendres jettées au vent16 ». Toucher au père alors que l’État savoyard achève sa structuration, que la « disciplinarisation » de la société est à l’œuvre, c’est faire acte de subversion. Mais, en Savoie, cette offensive date de la fin du XVIIe siècle alors qu’en France elle remonte au XVIe siècle.
18La toute puissance du père oblige cependant ce dernier à se montrer irréprochable et à se comporter en bon pater familias. Le noble Humbert de Grallier, habitant Ville-la-Grand, est décapité parce qu’il est jugé responsable de la mort de son fils, Claude, le 15 novembre 1677 par « guet apens et de propos délibéré ». Blessé, Claude est alité, mais son père continue à l’injurier et à le menacer, se battant même avec le chirurgien pour obtenir la clé d’un coffre où sont conservés de l’argent et des papiers. Bien plus, il refuse d’accéder « à la prière de sondict fils de souper avecq toutte la famille loin de son lict parce que le bruist nuisoit à sa santé, pendant lequel soupper, il mourut ». Après des excuses publiques un jour de marché à Ville-la-Grand, il est exécuté en effigie le 29 avril 1677 et condamné à des amendes s’élevant au total à 1 500 livres17. La peine est lourde, mais elle n’est pas aussi radicale que celle infligée à Jean-François Armand, supplicié et dont les cendres sont éparpillées au vent. Tuer son fils est indigne, mais pas aussi grave qu’attenter à la vie de son géniteur.
19Avant le XVIIIe siècle, l’incrimination de parricide qualifie par extension tout homicide ou tentative d’homicide contre les ascendants, les descendants ou les collatéraux. Le 26 novembre 1676, le notaire de Samoëns, Claude Duboin, tue sa femme, enceinte de son deuxième enfant. Lorsque son affaire est portée devant le conseil présidial de Genevois, l’avocat fiscal n’admet pas la démence que plaide l’accusé. Le crime étant qualifié de parricide, le notaire est condamné à être pendu après ablation du poing droit18. Pour les juges du temps, en Savoie comme dans les autres pays européens, l’épouse est ontologiquement consubstantielle à son mari, elle n’a pas de personnalité propre. Mais au XVIIIe siècle, apparaît dans les registres l’incrimination spécifique d’uxoricide. Le 24 juillet 1736, un mari est supplicié sur « un bois traversé, son corps rompu, brisé et mailloté et jeté sur une roue », pour le meurtre de sa femme, qualifié d’uxoricide. Mesure infamante supplémentaire, il est inscrit au premier catalogue des bandits19. L’emploi du terme uxoricide indique qu’une évolution juridique et sémantique s’est produite au début du XVIIIe siècle. Le droit a dénoué le lien fusionnel qui unissait la femme à son mari et fait de celle-ci une personne à part entière, dont la vie est précieuse puisque la mort attend ceux qui l’enlèvent. L’évolution de la politique criminelle sénatoriale est sur ce point conforme à ce que révèlent les registres d’écrou de la conciergerie parisienne, sans doute avec un décalage chronologique, sous réserve d’une étude systématique des liasses d’arrêts du XVIIIe siècle20.
20L’homicide d’un frère ou d’une sœur relève aussi du parricide. En 1678, un dicton évoque le meurtre de leur sœur par Claude et Louis Mugnier, deux cordonniers. Au retour de la foire de Voiron, la victime a été tuée d’un coup de marteau sur la tempe, mais ses frères ont tenté de faire croire à un assassinat par des brigands en tirant au pistolet sur le cadavre attaché à une échelle. Après quoi, ils se sont partagé l’argent et les effets qui se trouvaient dans un coffre. Pour ces méfaits, considérés comme un complot par les juges, ils sont traînés à travers les rues de Chambéry puis roués « jusqu’à ce que mort naturelle s’en ensuive », le 18 août 1678. Mais, détail intéressant, la femme de Louis, présente lors du meurtre, est pendue après avoir été exhibée aux carrefours de la ville un jour de marché pour avoir « tenue sa langue21 ». Dans les procès rencontrés, il est rare qu’un complice passif soit frappé de la peine capitale, surtout quand s’agit d’une femme. Mais, pour la cour, il était de son devoir de dénoncer son propre mari.
21Dans le cas précis du mariage, un procès montre comment le Sénat est parfois amené à intervenir dans des affaires relevant en principe d’accords privés. Le 24 mai 1579, maître Pellin et Françoise Berru concluent un acte de mariage. Mais, le 3 novembre de la même année, un second pacte matrimonial est passé entre Berru et un dénommé Étienne Menton, ce qui n’est pas du goût de Pellin. Poursuivis en première instance devant l’official, Berru et Menton sont jugés coupables, leur contrat vraisemblablement cassé. En appel, le Sénat leur fait droit et désavoue la sentence de l’official, le second contrat étant valide sur le plan strict de la loi. La cour les condamne cependant à des amendes « pour la contravention des arrests scandalle et offense de l’honnesteté publicque, dequoy lesdicts accusés se treuvent suffisamment attaincts et convaincus22 ». Désarmée sur le plan du droit pour condamner Berru et Menton, elle se place au niveau des valeurs sociales qu’elle veut promouvoir en qualifiant le crime de rapt, inceste et adultère, rien de moins. Bien sûr, la dramatisation est de mise, car les peines sont légères. Étienne Menton doit payer 300 livres au duc et 200 à Pellin, les sommes à acquitter par Françoise Berru sont plus modestes, 200 livres à son Altesse, 100 à Pellin. L’important pour le Sénat est de stigmatiser une pratique qui fait fi de la parole donnée et qui crée du désordre dans les relations interpersonnelles.
22Sur ce plan, on note au détour des arrêts prononcés une certaine sollicitude à l’égard des femmes, en particulier des veuves. Les amendes exigées pour l’agression d’une veuve oscillent entre 10 et 50 livres selon les circonstances. En 1581, une veuve battue et injuriée reçoit 50 livres de dommages et intérêts23. En 1621, un noble condamné pour excès ne verse que 25 livres, mais doit encore payer 25 autres livres au duc et au Sénat24. En 1663, la somme se monte à 55 livres dont 30 pour les victimes. La même année, un tailleur qui a usurpé la maison d’une veuve, l’a injuriée et frappée, doit se rétracter de ses invectives devant le rapporteur du procès et deux témoins, rendre la maison et payer 25 livres25. Après cette date, les agressions de femmes, fragilisées par la perte de leur mari, n’apparaissent plus dans les registres sur pièces vues. Ce type d’affaire ne semble plus être jugé par le Sénat, qui laisse sans doute le soin à d’autres instances de statuer sur ces cas, considérés dorénavant comme bénins.
Les femmes et la justice
23L’idéal féminin que veulent promouvoir les autorités judiciaires se lit à travers les affaires de viol, de prostitution et d’infanticide.
Préserver la virginité des filles
24Il est bien difficile pour les tribunaux, a fortiori la cour d’appel, d’avoir connaissance des crimes de mœurs que les familles et les communautés préfèrent dissimuler, sans compter les nombreux obstacles auxquels se heurte l’instruction. Georges Vigarello note ainsi l’extrême rareté des procès pour violence sexuelle sous l’Ancien Régime26. La question du viol peut cependant être approchée à travers deux arrêts et deux procédures. La teneur des dictons, qui statuent sur deux affaires se déroulant à plus d’un siècle d’intervalle, est source de questionnement. En 1541, plusieurs jeunes gens sont accusés du rapt d’une pauvre fille qu’ils ont violée deux ans auparavant. Son âge n’est pas mentionné, contrairement à l’autre dicton qui précise le jeune âge des victimes. Deux coupables, Claude Plongon et Jehan Roux, sont pendus, puis décapités et leur cadavre exhibé sur les fourches patibulaires de Chambéry. La victime reçoit 600 florins de dot, sa mère 200 et le roi 300 livres. Un complice doit assister au supplice en tenant une torche ardente et demander pardon au roi, à la justice et à la victime puis il est banni à perpétuité27.
25Le 23 juin 1673, à trois heures de l’après-midi, Pierre Malinjoud, habitant de Lescheraine, a « forcé, viollé et ensanglanté et meurtry la nature » de Françoise Roux. Il la viole une seconde fois le même jour après dîner, « icelle estant à la renverse ». Il est condamné le 9 septembre 1673 à être fustigé jusqu’à effusion de sang, un jour de marché, avant d’être envoyé aux galères à vie. 100 livres sont versées à la fillette pour les soins dont elle a besoin28. Alors que le Sénat se montre généralement plus sévère à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, Malinjoud est certes envoyé aux galères à perpétuité, ce qui signifie à terme la mort pour lui, mais il n’est pas pendu comme Plongon et Roux en 1541, dont les dépouilles sont en outre exposées. Pourtant, détail horrible, Françoise Roux n’est âgée que de 4 ans et neuf mois. Considérés comme des circonstances aggravantes par la cour, son jeune âge et les viols répétés ne conduisent pas Malinjoud au supplice ultime. À Valence en 1616, Vital Borgoin est roué pour avoir violé une fillette du même âge. Un Grenoblois subit la même peine le 30 août 1636 pour avoir forcé une fille de 4 ans et demi29. À Genève, les auteurs de viol d’enfant sont décapités, noyés à partir de 1562 et pendus après 158030. Dans l’affaire de 1541, la plus grande sévérité de la peine tient peut-être au fait qu’il s’agit d’un rapt, car les femmes appartiennent à leur père puis à leur mari. Plongon et Roux ne sont donc pas seulement coupables de viol, mais aussi d’avoir déposséder la famille d’une jeune fille.
26Un éclairage est apporté par les procédures dont le trait commun est de s’interroger sur la virginité des jeunes filles violées, clé d’un enjeu d’honneur31. Lors de sa déposition à Chambéry le 23 mai 1647, Thérèse Girus, âgée de 10 ans, raconte que Laurent Melon, « face rougeâtre et emplie de boutons », lui a enlevé sa cotte puis lui a mis « les doigts dans sa nature non pas entièrement [...] et mis forcement son membre viril dans sadite nature [...] ne scachant dire s’il auroit fait quelque ejaculation ou non32 ». Les détails sordides sont sans nul doute le résultat des questions précises des juges qui cherchent à savoir s’il y a eu pénétration et si la fillette risque d’être enceinte. Les quatre témoins interrogés, quatre filles âgées de 9 à 14 ans, ne leur sont d’aucun secours. Elles peuvent attester du faux prétexte, rembourser 5 florins à sa mère, qu’a avancé Melon pour attirer Thérèse dans la chambre, et du fait qu’ils y sont restés longtemps. Mais elles n’ont pas vu ce qui s’y est passé. Dans son réquisitoire du 7 septembre, le procureur invoque les docteurs qui prévoient la peine capitale si les victimes d’un viol sont des pucelles. Mais, ajoute-t-il, la preuve du « violement » n’est pas entière. Aucun des témoins n’y a assisté directement et Thérèse n’a pas été examinée par une sage-femme. Étant donné les circonstances qu’il met en avant, il est cependant convaincu de la culpabilité de Melon, finalement condamné à 10 ans de galères. Mais preuve qu’un tel crime n’est pas irrémissible, Melon obtient du duc Charles-Emmanuel II une grâce qui le remet « dans tous ses biens, honneurs et bonne fame », le 20 juin 1651. Seules la défloration et ses conséquences intéressent les juges. La violence qu’a subie Thérèse n’est pas prise en compte dans les attendus du procès.
27Six ans plus tard, une autre affaire confirme les réticences de l’institution à considérer le viol comme un crime. Le 5 juillet 1655, Claude Mauris de Cruseilles aurait tenté d’abuser de Claudine Bussat dans un champ de millet. Mais la méfiance et les réserves du procureur général sont tangibles. Il évoque la loi qui, en cas de « stupre commis réellement et avec force et violence », ne punit que « ladicte force ». « Le seul acte (de stupre) sans aultre n’est punissable criminellement non plus que le seul effort sans effect33. » Autrement dit, si l’agresseur ne parvient pas à ses fins, il n’est pas punissable. Il ajoute : « Quand la loy ou les docteurs parlent de punir l’attentat de cognoistre une fille pucelle, cela ne s’entend que des filles qui ne sont en age nubille ou qui sont voués à Dieu dans une religion. » Or, poursuit le magistrat, Claudine participe aux rudes travaux des champs et reconnaît avoir été « recherché en mariage » par Mauris. Elle n’est donc pas considérée comme pucelle. Pour les juges du temps, la virginité n’est donc pas seulement d’ordre physique, mais relève aussi du symbolique. En clair, par maints détours, le procureur général explique que, pour la justice, le viol d’une fille pubère n’est pas vraiment passible de sanctions même si elle est vierge. La procédure n’indique pas quelle fut la sentence du Sénat, mais, au vu du réquisitoire, on peut conclure sans risque de trop se tromper que le prévenu a vraisemblablement été acquitté.
28Dans ces différentes affaires, la vision de la femme en Savoie lui refuse le statut de sujet34 et semble relever d’une conception galéniste de la femme, réduite à l’utérus, si on se réfère aux deux modèles identifiés par Évelyne Berriot-Salvadore pour l’époque moderne35.
Les femmes de mauvaise vie
29L’attention portée aux femmes comporte un autre versant, plus répressif, qui se manifeste dans les sources par des affaires de prostitution, relativement plus nombreuses à la fin du XVIIe siècle.
30En la matière, une étude conclut à deux grands moments de répression en Savoie : autour de 1660 et à partir des années 178036. La première affaire de prostitution en tant que telle apparaît dans le registre d’arrêts de 162037. Claude Rolin, dit Leonnard, est pendu pour avoir frappé sa mère d’une pierre à la tête et fait de sa maison un bordel. Il y a prostitué plusieurs femmes dont sa propre fille. Sa femme, Pernette Dunand, qualifiée de « maquerelle publique » est fouettée jusqu’à effusion de sang puis bannie 10 ans38. Dans les registres consultés, deux procès seulement impliquent des hommes, mais sur un mode différent. En 1620, Rolin est manifestement considéré comme l’accusé principal, l’organisateur du réseau de prostitution, mais il est aussi condamné pour avoir battu sa mère à plusieurs reprises. En 1678, Jeanne Favre est accusée d’avoir vendu des jeunes filles et des femmes mariées à plusieurs hommes, d’avoir conduit ses deux filles hors de la ville « pour les prostituer avec plus de liberté », moyennant la somme de 2 pistoles. Après avoir été traînée par les carrefours un jour de marché, elle est pendue le mardi 13 septembre 1678, le greffier prenant soin de préciser que l’exécution a bien eu lieu. Son mari, Jean-Baptiste Constant, pourtant reconnu coupable de proxénétisme, est condamné au bannissement à perpétuité39. Manifestement, Jeanne est considérée par la justice comme l’instigatrice du crime, son mari n’étant qu’un complice sous l’influence de son épouse.
31En Savoie comme dans le reste de l’Europe, la prostitution est un phénomène banal. Mais, faute d’affaires en nombre suffisant, il est difficile de conclure à un changement du regard judiciaire sur la femme déviante entre ces deux dates. Sous la coupe du mari dans le premier cas, elle est considérée comme l’élément agissant dans le second exemple. Le mauvais père fait place à la mère dégénérée. Une constatation s’impose cependant. Entre ces deux affaires, les autres procès racontent tous l’histoire de femmes maquerelles de laquelle les hommes sont absents.
32La tentative de créer un lieu d’enfermement à l’image de ce que firent Lyon, Paris ou encore Grenoble ne rencontra pas le succès escompté en Savoie, malgré l’obstination de Marguerite Pignier, femme de l’avocat Romanet40. Elle est cependant révélatrice du tournant répressif et de la politique d’ordre moral mis en place par les autorités. Le plus souvent, la punition infligée est le bannissement et des peines corporelles infamantes. La peine de mort est rarement administrée. Les informations manquent pour expliquer la pendaison de Jeanne Favre en 1678. Les juges se contentent d’insinuer qu’elle a enfreint la loi sciemment en prostituant ses filles hors de la ville et qu’elle est donc une mère indigne. Il n’est pas question des maris, les femmes étant jugées seules responsables des faits de proxénétisme et de prostitution, toujours associés. Ceux-ci sont considérés par les autorités judiciaires comme des délits typiquement féminins qui échappent au contrôle des hommes. Sur ce plan, la politique criminelle sénatoriale est comparable à celle du parlement de Dijon, dans le ressort duquel les maris impliqués dans des affaires de proxénétisme sont généralement moins punis que leurs femmes41.
33La volonté de moraliser les comportements féminins et juvéniles est manifeste dans une procédure de 1678 qui décrit avec force détails les agissements d’une femme de mauvaise vie, habitant une maison retirée des bords du lac d’Annecy. Jeanne Pointet dit Trabuchet ou encore la Freynaude (Frenod), âgée de 31-32 ans et mariée à Claude Genoud, est accusée d’avoir voulu prostituer une fille de 16-17 ans, Marguerite Blanchet42. L’affaire remonte au moins à 5 ans, car le témoignage de Marguerite date du 20 août 1678 alors qu’elle a 22 ans et qu’elle s’est depuis mariée à un cordonnier. Le Sénat déplore que « ces sortes de crimes se commettent en cachette et dans l’obscurité des tenebres, il est difficile d’en avoir des preuves bien convainquantes par des tesmoins qui deposent d’avoir veu ces infames commerces43 ». En donnant suite au procès 5 ans après, il montre cependant sa détermination à poursuivre le crime en accumulant les informations sur la vie et la renommée de l’accusée. Celle-ci vit dans une maison isolée mais facilement accessible, pourvue d’une « cour close » qui la protège des regards indiscrets. Selon Jacqueline Dumont, elle a la réputation d’être une putain et d’héberger des prostituées. Son voisin proche, Pierre Sallomond, ajoute qu’elle est la femme d’un dénommé Frenaud avec qui elle a eu un garçon, mais qu’elle était déjà mère d’un bâtard. Son mari ayant été condamné aux galères, elle a donné naissance à un troisième enfant, conçu avec un autre homme, appelé Catan. Pour les sénateurs, « elle a joint l’adultère à la fornication ». Le 6e témoin, Claude Dumonet, atteste avoir repéré un va-et-vient continu de jeunes gens et d’ouvriers. Une nuit, un grand bruit a attiré l’attention d’un autre déposant qui a vu Catan sortir pour « ceder la place aux autres ». Aux yeux des juges, la maison de Poentet est devenue « une boutique ouverte d’impudicité » et, alors qu’elle avait dépassé l’âge de se prostituer, elle en a fait le rendez-vous de la jeunesse et des filles débauchées. Enfin, elle a manqué de respect au chanoine Jacob Amblet qui l’admonestait. L’affaire est entendue, Poentet n’est pas amendable. Le procureur général requiert, le 20 avril 1679, la condamnation à la fustigation jusqu’à effusion de sang, suivie du bannissement à perpétuité. Dans son réquisitoire, il fait référence à Damhouder, qui prévoit le dernier supplice pour les proxénètes, mais il se garde bien d’accuser Poentet de maquerel44, les preuves étant ténues. Il est en fait préoccupé par le dévergondage de la jeunesse et le non-respect des prêtres que les autorités ne tolèrent plus en cette fin de XVIIe siècle. Loin d’être un bordel, la maison retirée des bords du lac apparaît plutôt comme un lieu de libertinage, contraire à l’ordre moral qu’elles tentent d’imposer.
34La prostitution est souvent liée au vol, crime lui aussi féminin par excellence selon Nicole Castan45. La Savoie ne semble pas déroger à la règle, au moins pour le XVIIIe siècle. Sur 193 procédures consultées, une étude de la délinquance féminine montre que le vol représente 47,2 % des crimes commis par les femmes, loin devant les agressions ou les atteintes à l’autorité46. Pour notre part, les sources dépouillées n’en donnent que quelques exemples. Le plus révélateur est le cas de deux femmes convaincues d’avoir « comploté » pour voler dans une boutique une bourse « contenant de l’argent blanc et monoye de la valeur de 400 florins », mais qui sont aussi accusées de « s’être diverses fois prostitué indifferamment à touttes sortes de personnes ». D’abord fustigées, elles sont ensuite bannies, 10 ans pour l’une, à vie pour l’autre47.
La Médée savoyarde48
35L’infanticide est l’autre incrimination majeure qui pèse sur les femmes et en fait des êtres potentiellement destructeurs de la communauté. Mais, à la différence du parlement de Paris qui se montre particulièrement impitoyable entre 1575 et 160449, le Sénat de Savoie se préoccupe surtout des infanticides dans le dernier quart du XVIIe siècle. En Bourgogne, les autorités se montrent aussi plus concernées par ce crime à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle50. Les infanticides et les recels de grossesse représentent 4,4 % des crimes portés devant le Parlement de Dijon entre 1646 et 1649, 5,9 % pour la période 1668-1671 et 8,1 % entre 1687 et 170051. Cependant, sur les 11 sentences de mort annulées par la cour de Dijon entre 1582 et 1730, 8 le sont après 166852.
36Les données manquent pour déterminer si la même inclination à la modération caractérise la cour d’appel savoyarde. Le tableau ci-dessous indique une tendance que l’analyse de quelques arrêts et procédures permet de caractériser.
37Ce rapide comptage est indicatif et demande à être complété par des recherches exhaustives qui, sans doute, nuanceraient, voire contrediraient, les premiers résultats. Cependant, aucun cas d’infanticide n’a été trouvé dans les registres d’arrêts du XVIe siècle consultés. D’autre part, sur les 16 cas recensés au total, 13 se situent après 167053. Quant aux procès pour exposition d’enfant, ils datent tous les deux de la seconde moitié du XVIIe siècle. Les châtiments infligés et les circonstances du crime ne sont pas toujours précisés, mais certains arrêts et quelques procédures sont suffisamment explicites pour nourrir la réflexion.
38En 1663, Jeanne Guilliard, qui a exposé son enfant à l’hôpital de Maché à Chambéry, est sommée de « reprendre sa fille entre les mains d’honorable Louys Gosz, recteur des hospitaux de la présente ville » et de régler les frais de nourriture et d’entretien. Elle est en outre condamnées à 30 livres d’amende au total et menacée de fouet en cas de récidive54. La punition est faible, tournée avant tout vers l’accusée et destinée à éviter la récidive d’une femme, sans doute contrainte à l’abandon d’enfant à cause de la pauvreté. Le 28 janvier 1678, la peine infligée à Claudine Calliod est de nature différente. Pour avoir abandonné sa fille de deux semaines avec l’aide d’Antoine Chautemps, elle est fustigée de verges jusqu’à effusion de sang « avecq un petit berceau attaché au col », amendée de 25 livres et tenue de « faire nourrir ledit enfant55 ». Notons que le crime est entièrement imputé à Claudine puisque son complice n’est pas condamné. De plus, à la différence de Jeanne Guilliard, celle-ci est stigmatisée publiquement et punie dans sa chair. Le châtiment ne lui est pas uniquement destiné, mais s’adresse à l’ensemble de la communauté. Les cas d’exposition d’enfant relevés ne sont pas assez nombreux pour en tirer des conclusions générales, mais il semble que ce crime passe de la sphère privée à la sphère publique au moment où les infanticides sont l’objet de poursuites plus intenses.
Registres d’arrêts sur pièces vues (années) | nombre d’infanticides | nombre d’expositions d’enfant |
1607 | 1 | |
1620 | 2 | |
1663 | 1 | |
1673 | 2 | |
1677 | 1 | |
1678 | 1 | 2 |
1679 | 1 | |
1692 | 1 | |
1693 | 1 | |
1694 | 1 | |
1736 | 1 | |
1738 | 2 | |
1743 | 1 | |
Total | 16 | 3 |
39Selon Alfred Soman, l’infanticide devient une préoccupation majeure dans toute l’Europe de l’Ouest au XVIe siècle, au point de représenter de 10 à 20 % des exécutions à mort du parlement de Paris56. Pour sa part, Robert Muchembled note que 60 % des appelantes sont envoyées à la potence pour infanticide entre 1575 et 160457. En Savoie, la situation est originale par rapport à la France ou même l’Europe du temps. Les accusées ne sont pendues que si l’homicide est caractérisé. Théoriquement, les femmes ne sont jamais condamnées à mort. L’infanticide est le seul crime pour lequel les Royales Constitutions envisagent la peine capitale. Non mentionné dans la première mouture des Royales Constitutions de 1723, l’infanticide est l’objet d’un chapitre dans celles de 1729. La loi stipule que les femmes et leurs complices doivent toujours (sic) être condamnés à mort. La dissimulation de grossesse et d’accouchement y est considérée comme un infanticide. « Si l’enfant a été privé du baptême par les mains du curé, et de la sépulture publique, et accoûtumée », la présomption de culpabilité est renforcée58. La simple exposition d’enfant, traitée dans le même chapitre que l’infanticide, entraîne le fouet pour le peuple. Les nobles et les personnes de « quelque considération » encourent en principe un an de prison. Pour les autres délits, aux galères, à la chaîne et à l’estrapade, châtiments masculins, correspondent respectivement le fouet, seule peine afflictive, le bannissement et la prison59. Ainsi la fille naturelle de feu Jehan Seystier de Termignon en Maurienne est-elle envoyée à la potence pour avoir « mallicieusement et de propos délibéré » étranglé son nourrisson le 3 septembre 1607. Afin d’édifier la communauté de Termignon, l’arrêt est publié un dimanche après la grand messe et « copie d’icelluy attaché au banq de court dudict Termignon60 ». En se fondant sur les aveux de l’accusée, obtenus sous la torture les 12 et 15 décembre 1607, les juges concluent à l’intentionnalité du crime, ce qui motive la condamnation à mort.
40Dans les procès consultés, le meurtre d’enfant n’est que la conclusion malheureuse d’une affaire de mœurs, qui donne l’occasion à la justice de sanctionner à la fois les homicides commis par des femmes et leurs comportements sexuels. Le 18 juin 1637, le juge ordinaire de l’évêché de la Maurienne entend, toute affaire cessante précise la procédure, Mathieu Agues, laboureur de 45 ans61. Bartholoméa Reymond, enceinte, a demandé à ce dernier l’hospitalité le 14 aout 1635 et a habité chez lui jusqu’à Noël. Après l’accouchement, Mathieu Agues se rend à Valloire où il rencontre le « vénérable Messire Reymond », vicaire de Maurienne et oncle de Bartholoméa. Au mois d’octobre 1635, celui-ci lui remet, pour l’entretien de sa nièce, deux quarts d’écu et une paire de souliers, 50 sols, une aune de drap noir, puis lui envoie 3 fromages. Les juges le soupçonnent d’être le père et interrogent Bartholoméa à ce sujet le 23 juin 1637. Celle-ci répond d’abord qu’elle a été violée dans une vigne par un homme qu’elle ne connaît pas, puis avoue, en tombant à genoux, la naissance d’un autre enfant il y a 7 ans, « du faict de la semence dudict Me Reymond ». Mis en nourrice à Valloire, le garçon est décédé à l’âge de 3 mois. Faute de preuves tangibles, les juges ont besoin d’établir les faits à l’aide des circonstances qui, pour être crédibles, doivent être les plus précises possibles. Ils demandent donc à l’accusée quand, où et combien de fois le vicaire l’a « baisée ». Elle répond un ou deux mois après pâques, dans l’étable d’une maison attenante à la chapelle de Notre Dame de pitié dont Claude Reymond est l’officiant et où se trouvaient deux brebis. Elle estime le nombre de rapports sexuels à 12, pendant l’année qu’elle a passée chez Reymond.
41L’instruction prend alors une autre direction et s’intéresse aux sœurs de Bartholémea, qui auraient, elles aussi, forniqué avec le vicaire. Selon la rumeur, Guilliaulmaz et Marguerite, au service de Reymond pendant 4 ans, auraient eu chacune un enfant de lui. La première confirme les faits. Interrogées sur leur degré de parenté avec l’ecclésiastique, toutes les trois restent évasives. Elles savent par ouï-dire, affirment-elles, qu’elles sont parentes au 4e ou 5e degré. Construit à partir des informations fournies par la procédure, le schéma proposé ci-dessous montre qu’elles sont en fait ses cousines germaines. Les protagonistes de l’affaire apparaissent en grisé.
42Le 18 août 1638, le procureur général du Sénat déclare Bartholoméa coupable de « copulation incestueuse ». La peine ordinaire prévue est le bannissement et la confiscation des biens, remplacée par le fouet « pour de tels personnes qui n’ont rien que leur corps », précise-t-il. La punition requise vise à atteindre le criminel à la fois dans sa personne et dans ses biens. Si ce dernier est indigent, elle porte sur le seul bien qu’il lui reste, son corps. La peine afflictive n’a donc pas de visée corrective. Le 28 août, le Sénat statue sur le cas de Bartholoméa et la condamne au bannissement perpétuel parce qu’elle est soupçonnée de tentative d’avortement. Selon Mathieu Agues, elle aurait arraché d’un « buysson une branche d’epine chargé de grande quantité de graines communément appelé de male mort, tenues lesdictes graynes et réputés pour poyson mortel, que ladicte Bertholomeaz se mis à manger à pognées dans le chemin publicq ». Sa sœur, Guilliaulmaz est condamnée à mort pour « parricide » le 1er février 163962. Torturée une première fois le 16 janvier, elle reconnaît que l’enfant conçu avec Reymond a été baptisé, mais qu’il est mort de « vanité63 », sans avoir été « meurtry ny violenté ». Menacée d’être de nouveau appliquée à la question, elle avoue l’infanticide, commis par étranglement. Marguerite doit son salut au fait qu’elle s’est entre temps mariée et s’est donc soumise aux normes admises.
43Alors que la cour d’appel s’emploie à poursuivre les femmes, elle laisse l’officialité se charger de Reymond, emprisonné 8 mois et demi à Chambéry. À partir de mai 1637, il présente 7 requêtes de renvoi devant ses supérieurs à qui « appartient la cognoissance » de tout ce qui peut lui être imputé. Il obtient gain de cause puisque, le 7 octobre 1637, Pierre Duvernay, vicaire ducal et official, reprend le procès. Les chefs d’accusation qui pèsent sur lui sont lourds. Il ne correspond pas au modèle du prêtre catholique que veulent promouvoir les autorités à la suite du concile de Trente. Plusieurs témoins l’accusent de fréquenter les tavernes, d’y jouer aux quilles et même aux cartes. Étant donné la position sociale qu’il occupe et dont il a abusé, il apparaît comme le principal responsable de tous les dérèglements. Pourtant, la cour n’en tient pas compte dans son délibéré et ne reconnaît aucune circonstance atténuante aux deux femmes condamnées, qui auraient dû se maîtriser et refuser les amours ancillaires.
44Dans une affaire de 1677, le caractère délibéré de l’infanticide est couplé à une accusation d’inceste. Michel et Françoise Grobel, frère et sœur, habitant Saint-Cergue en Chablais, sont reconnus coupables d’avoir couché ensemble « plus de trente nuicts » et d’avoir eu un enfant ensemble. Michel est accusé « d’avoir préparé des beuvrages pour luy procurer un avortement » et d’avoir enterré secrètement l’enfant. Pourtant, les incriminations conjuguées d’inceste, d’adultère et de complicité de « parricide » ne lui valent pas la mort immédiate. Il est fustigé et condamné aux galères à vie. Sa sœur connaît un sort plus funeste. Pour avoir « nyé et recellé sa grossesse et son accouchement et mis la main sur la teste de son enfant et à icelluy escrasé la teste dequoy il seroit mort incontinent », elle est pendue le 2 décembre 167764. L’élément déterminant qui conduit Françoise Grobel au gibet est le meurtre de l’enfant, le recel de grossesse étant seulement considéré comme un indice de sa culpabilité. Un procès de 1679 le confirme. Une jeune mère d’Annecy, dont le nouveau-né a été jeté dans les latrines, est fustigée un jour de marché puis bannie à vie. Mais sa sœur, Jeanne Loriot, est « pendue et étranglée » en effigie, car non seulement elle a tué l’enfant, mais elle l’a aussi découpé en plusieurs morceaux pour le faire disparaître plus facilement dans la fosse d’aisance. L’arrêt prend le soin de décrire par le menu les actes de Jeanne Loriot qui a sectionné le bras droit à la jointure du coude, « la main gauche de mesme », ainsi que le genou droit et les doigts de pied. Elle a même « ouvert l’estomac », ajoute le greffier65. Le caractère horrible de l’infanticide est ainsi accentué et le crime de Jeanne Loriot devient un assassinat. Les juges propulsent l’infanticide dans la sphère du tabou en insistant sur l’inhumanité des coupables.
45Le non-dit des sources suggère une autre histoire, celle d’une fille-mère désemparée dont la misère économique et morale est aggravée du fait d’une grossesse illégitime et qui fait appel à sa sœur, la mieux à même de comprendre son désarroi. Celle-ci prend les choses en mains et conçoit un plan afin d’effacer toute trace. Pour la justice, qui y voit avant tout un crime atroce, infanticide, dérèglement sexuel et marginalité vont de pair. Onze ans plus tard, Claudine Bellon Grebillioud de Chamonix, pauvre fille un peu dérangée, en fait à son tour les frais. La sentence des juges subalternes résume bien l’affaire. Ils la déclarent « suffisemment atteinte et convaincue d’avoir le dixiesme jour du mois de février mil six cent huictante sept exposé sur le bord du pont de Cour Joseph Payot, son fils, qui ensuitte seroit tombé dans la rivière d’Arve et se seroit noyé66 ». Selon le chirurgien et son aide, le corps de l’enfant, âgé de 4 ans, dépouillé de « ses pauvres guenillions », ne porte trace d’aucune plaie ni meurtrissure « sauf une gratelle et galle très considérables ». La détresse de Claudine est attestée par plusieurs témoins. Réduite à la mendicité après la mort de son mari, elle a vagabondé dans le Valais tout l’hiver. Pierre Berthod, qui la connaît bien, dépose qu’elle a laissé perdre sa récolte de chanvre et de fèves l’été dernier. Sa parentèle l’a expulsée de sa maison et ne veut plus l’héberger. Elle avoue avoir été soupçonnée d’incendie « dans le temps de ses folies », et raconte qu’étant emprisonnée à Bonneville, elle aurait eu des accès de démence dont elle ne se souvient pas. Les témoins convoqués confirment ses comportements extravagants, liés à la rupture des liens familiaux et sociaux. Selon le « bruict commun », elle serait un peu « folatre et aymoit passionnement tous les garçons qu’elle voyoit, mesme et principalement ceux qui estoient de quelque qualité ». À ce témoignage défavorable s’en ajoutent d’autres, accablants. Dans le « poïle chaud67 » de la tour du seigneur de La Ravoire, en présence d’autres personnes, elle reconnaît avoir tué son fils car, dit-elle, « il estoit si meschant qu’il ne faisoit que pleurer et estoit la cause que je ne trouvois pas où m’heberger parmy le monde68 ». L’explication avancée par Claudine selon laquelle elle aurait voulu faire peur à son fils en pleurs, mais qu’elle aurait glissé, laissant l’enfant lui échapper des mains, ne convainc donc pas le juge-mage qui révise la première sentence. Le 26 mai 1687, elle est condamnée à être pendue. Son dénuement et sa concupiscence supposée ont pour effet d’accroître la gravité de son geste. L’affaire est portée en appel devant le Sénat en janvier 1688, mais le dossier ne contient pas la décision de la cour. On perçoit cependant comment les juges amalgament l’infanticide, la lubricité supposée de la femme et la marginalité, résultat d’un engrenage que les différents témoignages suggèrent69. Veuve, n’étant plus contenue par son mari, Claudine est livrée à elle-même, c’est-à-dire à ses mauvais instincts, condamnée à l’errance, incapable de prendre soin de son enfant qu’elle tue. Ce faisant, la justice participe au processus de différenciation sociale et morale qui distingue la partie saine de la communauté de ses éléments indésirables. L’équation de la marginalité proposée dans le chapitre III s’enrichit de la femme infanticide de mauvaise vie.
46Une procédure de 1654 montre cependant à quel point les autorités avancent prudemment quand les faits sont difficiles à établir et que la marginalité est moins évidente. Jeanne Barbaz, veuve de 25-30 ans, soupçonnée d’avoir tué ses deux enfants, est soumise à la question. Le 14 avril 1654, elle avoue avoir accouché de jumeaux mort-nés qu’elle a cachés au pied d’un buisson, dans un bois près du château de Miollans. Alerté par la puanteur, le curé de Saint-Pierre d’Albigny retrouve les corps en décomposition douze jours après. S’appuyant sur Papon, le procureur d’office de la baronnie de Miolans considère que « suffoquer un enfant » est un crime capital, d’autant plus que, selon le « bruict commun », Jeanne ne se comporte pas sagement. Mais il ne peut requérir que le fouet et le bannissement à vie car l’accusée s’est rétractée lors de la répétition de la torture. Le 1er juillet, elle fait appel de la sentence, en précisant au passage que les sévices l’ont laissée « estroppiée du bras gauche ». Les conclusions du procureur général du Sénat, le 2 juillet, sont un modèle du genre. Le magistrat commence par une déclaration à charge. Il met en avant les « grands et violants indices contre la Jeane Barbaz » qui a caché les cadavres sous les feuilles, dans un endroit isolé et dissimulé à la fois sa grossesse et son accouchement. Cependant, reconnaît-il, des indices ne sont pas des preuves et dans ce cas, selon Favre, « l’on doibt entièrement remettre la peyne », aucune trace de violence n’ayant été, de surcroît, trouvée sur le corps des enfants. La peine corporelle ne se justifie pas non plus, poursuit-il, car Jeanne n’a pas avoué et les indices ne sont pas indubitables. Le recel de grossesse reste apparemment le seul motif d’incrimination, mais, argumente le procureur général, la « recellation dont elle est convaincue n’est pas un crime qui mérite le fouet et le bannissement par aucune disposition des lois civilles et canoniques ou édictz de son Altesse Réverendissime70 ». Jeanne est finalement condamnée à des amendes pour le seul fait d’avoir caché la mort de ses deux enfants. Au milieu du XVIIe siècle, cacher sa grossesse n’est toujours pas considéré comme un délit dans le duché de Savoie. À notre connaissance, avant les Royales Constitutions de 1729, il n’existe pas de législation ordonnant aux filles enceintes de déclarer leur état aux autorités comme dans les autres pays européens71, notamment dans le royaume de France où un édit de 1557 interdit le « recel de grossesse72 ». Quand le meurtre n’est pas prouvé, que le décès de l’enfant est dû à un abandon, les femmes suspectées d’infanticide ne sont pas exécutées, mais punies de peines corporelles puis bannies à temps ou à perpétuité.
47En général, les mères condamnées pour infanticide sont des femmes seules. Lorsqu’un homme est impliqué dans le crime, comme dans le cas de l’affaire Moinoz, il ne subit pas de peine corporelle infamante. La justice sénatoriale cible son action sur les femmes, veut peser sur leur comportement et leur inculquer les normes sociales. Cependant, l’exposition d’enfant et le recel de grossesse sont faiblement réprimés, le glaive de la justice s’abattant prioritairement sur l’homicide volontaire. La criminalisation de l’infanticide en Savoie s’inscrit dans cette dynamique de réduction des violences qui fait de l’homicide le crime central. Les femmes n’étant jamais poursuivies pour meurtre et rarement pour coups et blessures dans les sources consultées, la répression de l’infanticide offre aux autorités l’occasion de les inclure dans ce mouvement de fond, de ne plus les épargner. Celles-ci deviennent du même coup des personnes distinctes de leur mari. Du moins la justice leur donne-t-elle une certaine visibilité. Ce changement se produit dans le dernier quart du XVIIe siècle selon une chronologie différente du reste de l’Europe. En France, le pic de la répression contre le recel de grossesse se situe dans le premier tiers du XVIIe siècle73. Alors que dans le royaume de France, la pression judiciaire se relâche, la Savoie connaît un tournant répressif dont la criminalisation de l’infanticide n’est qu’un aspect. Aux Pays-Bas espagnols, le caractère contre nature de ce type de crime conduit les juges à penser que seules des femmes ayant commerce avec le démon sont capables d’un tel forfait74. En Savoie, la concomitance des poursuites pour infanticide et sorcellerie est remarquable.
Une terre à sorciers ?
48Le premier paragraphe fait le point sur une représentation largement partagée : les Alpes auraient été de tout temps une terre à sorciers. Pourtant, la répression n’est pas aussi massive qu’on l’imagine. Comme ses homologues parisien et genevois, mais après eux et avec certaines nuances, le Sénat modifie sa perception du phénomène de sorcellerie au XVIIIe siècle.
Prégnance d’une culture magique populaire
49Un large consensus réunit historiens, ethnologues et folkloristes, pour faire des Alpes occidentales une terre à sorciers, le conservatoire de vieilles croyances chamaniques particulièrement vivaces où serait née la doctrine du sabbat, selon Carlo Ginzburg75. Les régions de montagne présenteraient les caractéristiques culturelles des régions périphériques telles que les a formulées Wolfgang Behringer : un attachement des populations à un cadre pré-rationnel de cognition et une inclination à laisser libre cours à toute forme d’interprétation acoustique et optique76. À la fin du XVIIe siècle, Pierre Bayle affirme encore que la Savoie est un haut lieu de la sorcellerie. Dès la fin du Moyen Âge, le Dauphiné est l’une des régions où les poursuites des hérétiques et des sorciers sont massives et systématiques77. Le Formicarius de Johan Nider, traité de démonologie qui insiste sur le rôle des femmes, est écrit pendant le concile de Bâle de 1431. Y participent Nicolas Jacquier, principal inquisiteur de la vauderie d’Arras ainsi que Martin le Franc, secrétaire d’Amédée de Savoie, élu pape sous le nom de Félix V, mais aussi le plus important théoricien du XVe siècle en matière de sorcellerie78. Au XVIe siècle, le concile de Trente a pour cadre les Alpes, à proximité du duché de Savoie. À cela s’ajoute la nécessité politique, au sens large du terme, de contrôler un espace névralgique pour l’avenir de la chrétienté tout entière79. La sorcellerie des Alpes serait donc la conjonction d’une fièvre conciliaire, d’une stratégie politique et d’un substrat magique très ancien.
50Ce trait culturel semble structurel et perdure jusqu’au XXe siècle, d’après les enquêtes des ethnologues et des folkloristes. Les légendes et les contes mettent en scène des fées et des esprits malins, invisibles, qui tracassent les personnes superstitieuses. Les follets sont des esprits taquins bienveillants, le sarvant, farfadet hideux, tourmente le bétail en tressant la crinière et la queue des chevaux ou en mélangeant les avoines. En Faucigny, l’Izé est la manifestation du diable qui prend l’apparence des hommes pour mieux les tromper80. Disciple d’Arnold Van Gennep, Charles Joisten a recueilli, dans les années 1970, des croyances populaires évoquant des êtres fantastiques qui s’attaquent particulièrement aux enfants. Le Reicheran présente la particularité de leur scier le cou la nuit de Noël. La Farfache, vieille femme déguenillée et malpropre, les enlève le 26 décembre81. Selon d’autres superstitions, les fées et les sorciers forment un cercle au pied des aiguilles d’Arve les jours d’orage pour jouer à la balle avec un nouveau-né82. La croyance dans l’existence des loups-garous est attestée dans le Chablais, en Faucigny, en Maurienne, dans le Valgaudemar et dans le Champsaur83. En 1965, un matelassier-tapissier de Châtel, dans le Chablais, raconte qu’autrefois on prenait garde de ne pas jeter la délivrance84 n’importe où, car elle pouvait être mangée par des chats qui devenaient alors des servins. La conviction que dans le placenta réside l’esprit gardien de l’enfant, son double, amenait les parents à l’enterrer dans la cave. L’idée d’une relation entre les membranes et la faculté de se transformer est évidente. Chez les Slaves, rappelle Joisten, l’enfant né coiffé devient un loup-garou. Ces conceptions dériveraient des croyances chamaniques selon lesquelles le chaman peut se rendre dans le monde des morts par le moyen de l’extase85. Pour protéger les troupeaux des esprits malfaisants, les cloches étaient revêtues d’inscriptions propitiatoires ou d’emblèmes religieux. En Haute Savoie, des lames de faux étaient scellées dans les murs pour chasser le sarvan.
51Bref, la prégnance des superstitions et des pratiques magiques, liées plus ou moins à la sorcellerie, serait une caractéristique marquante de la Savoie, un trait culturel populaire qui aurait résisté à l’offensive conjointe de l’Église et de l’État. Elle expliquerait en partie la vision pessimiste du monde véhiculée par Deville et sa volonté farouche de combattre le démon. Pourtant, les archives n’ont pas conservé trace d’une intense chasse aux sorciers, dont on a seulement une connaissance indirecte par l’intermédiaire de Deville. Michèle Brocard-Plaut reprend ses chiffres et parle de 2 000 affaires de sorcellerie évoquées devant les sénateurs, sans indiquer cependant sur quelles sources elle se fonde. Elle relève une intensification des poursuites dans les années 1670, 1685 étant le paroxysme86, et des condamnations à mort plus fréquentes qu’en France87. Étonnamment, les registres d’arrêt sur pièces vues consultés n’en font pas mention. Cependant, les ouvrages de Deville et de Riondet, les cas étudiés par Michèle Brocard-Plaut et les quelques procédures retrouvées aux archives confirment une criminalisation de la sorcellerie à la fin du XVIIe siècle. En 1697, l’imprimeur Riondet publie un livre intitulé : « Questions notables sur le sortilege avec deux celebres arrests du Senat de Savoye. Donnés au public par noble Emanuël Deville, baron d’Aypierre, sénateur au même Senat, et rapporteur du procès88. »
52Les arrêts du Sénat mentionnés, l’un du 21 juillet, l’autre du 25 juillet 1685, condamnent les sorciers à être brûlés vifs. Deville et Riondet font partie des élites savoyardes convaincues de l’existence de la sorcellerie. Jean-Marie Goulemot ne repère pas de coupure culturelle entre la haute société et le peuple à l’aube de l’âge classique, la culture populaire et celle des élites demeurant très proches89. Cette remarque est encore vraie à la fin du XVIIe siècle pour la Savoie, qui ressemble sur ce plan à la région montagneuse des Grisons, pour laquelle aucun procès pour sorcellerie n’est connu avant 165090. À Genève, dès les années 1615-1616, les élites n’ont plus la même perception du phénomène que le commun. À partir de 1626, elles ne condamnent plus les sorcières à mort. Christian Broye en conclut à la permanence d’une culture magique inhérente aux milieux populaires91. Dans ce contexte, l’exécution de Michée Chauderon, dernière sorcière pendue puis brûlée à Genève en 1652, constitue « un cas judiciaire singulier92 ». Les juges et les justiciables analphabètes se retrouvent une dernière fois dans la même acceptation du maléfice. Mais, en même temps, ce procès « marque une limite », en étant « à la charnière du possible et de l’improbable93 ». Dans le livre de Riondet, la référence faite aux sceptiques et aux « libertins », suggère un double standard de comportement. La désynchronisation culturelle est à l’œuvre mais n’est pas encore achevée à la fin du XVIIe siècle dans le duché94.
53Au moment où la pression de l’État se fait plus impérative, notamment en matière d’infanticide, les procès de sorcellerie mettent en scène des femmes, des enfants et quelquefois des ecclésiastiques, leviers sociaux sur lesquels les autorités veulent avoir prise. En 1626, Jacquemette Baptandier de Saint-Gervais est accusée d’avoir jeté un sort à deux femmes de son village avec qui elle entretient de mauvais rapports de voisinage. Guilliermine Cochon, Françoise Agnel, Nycolase Delachat et Aymée Duchit se disent possédées par le démon. Elles racontent qu’avant d’être guéries par les attouchements de Baptandier, elles « abboyoient et jappoient comme des chiens, faisoient des rotz, se jettoient et se travailloient estrangement, faisant une infinité d’aultres actions et gestes estranges comme des personnes qui sont possedées95 ». Aymée Duchit déclare aux juges que l’accusée cache dans une dent creuse un billet du diable, qu’à l’âge de 15 ans, elle s’est transformée en loup et qu’elle a mangé deux enfants. Dans le procès du chanoine Reymond, Guilliaulmaz, condamnée à mort pour infanticide, accuse le prêtre de jeter des sorts aux femmes pour les séduire grâce à « des bestes longues et moyres, les portant dans sa bouche pliés dans un papier96 ». Dans une civilisation de l’oralité, la bouche est le principal vecteur des maléfices. C’est par elle que les démons pénètrent à l’intérieur du corps et doivent en sortir. Selon les accusatrices de Jacquemette Baptendier, les démons étaient contenus dans des poires. Dès que celle-ci la touche, Guilliermine se met à vomir « avecc des grandz travaux et maux ». Françoise Agnel dégurgite toute une journée « du sang caillé et noir et pourry, d’herbe verte » en ayant l’impression d’une « flamme de feu qui la prenoit despuis la plante des piedz jusques à la cime de la teste97 ». Les détails retranscrits par le greffier sont destinés à accentuer le caractère bestial et hystérique des femmes.
54À Reignier, en 1677, un dénommé Claude Vial est accusé d’user de sortilèges afin de séduire les femmes et les pousser au mariage. D’après une veuve, Vial lui a lancé « sept charmes pour l’avoir pour femme, lesquels il auroit bruslé après qu’elle fut fianssée avec luy ». Selon ses dires, la même mésaventure est arrivée à d’autres couples. Elle ajoute que Vial et tous ses parents sont « décriés comme des loups ». Elle a entendu la femme d’Étienne Vial, frère de Claude, raconter comment, son mari s’étant levé la nuit, elle l’a suivi, mais s’est retrouvée face à un loup98. Dans le village du Reposoir, un enfant de 9 ou 10 ans, se disant lui-même capable de faire tomber la grêle, accuse son propre père de se transformer en loup-garou et de manger des enfants99. En 1682, à Samoëns, la même lycanthropie se retrouve dans un procès mettant en scène une vieille femme de 72 ans, Pernette Duret, sa fille, Ayma Riondel, et le fils de celle-ci, Joseph Mogenet. Un témoin rapporte avoir vu, il y a 10 ans, sortir un loup blanc de la maison de Duret. Un autre témoin, Françoise Guilliot, accuse Ayma Riondel d’avoir mangé son enfant100. Dans les sources consultées, le loup-garou ne dévore pas les humains. Il n’apparaît pas particulièrement agressif, sa métamorphose et sa présence sont au contraire toujours furtives. Pour Charles Joisten, l’une des caractéristiques des montagnes savoyardes est précisément la rareté des femmes métamorphosées et l’existence de loupsgarous inoffensifs. Ce dernier aspect s’explique peut-être, selon lui, par le fait qu’en pays de montagne, ceux-ci sont considérés comme des victimes qui demandent à être délivrées101.
55Face à de tels phénomènes qui l’étonnent mais qu’elle alimente aussi, la justice adopte une attitude plus ambiguë que les discours emphatiques de Deville et de l’imprimeur Riondet ne le laissent penser. Elle ne condamne pas aveuglément ni avec une férocité systématique.
Entre sidération et répression
56Contrairement aux affirmations péremptoires de Deville, l’analyse des procédures montre que la justice n’emploie pas un « marteau pour écraser les sorcières102 ». Elle le voudrait bien, mais elle se heurte à des obstacles qui l’empêchent de déployer toute sa force. Les faits sont impossibles à établir avec certitude, et pour cause, ce qui oblige les juges à emprunter des détours pour y parvenir. Ceux-ci doivent aussi composer avec les réactions des protagonistes qui s’avèrent parfois difficilement maîtrisables.
57À Saint Gervais en 1626-1627, l’intrusion de la justice provoque des scènes d’hystérie qui déconcertent les autorités. L’attitude extravagante des possédées contraste avec le calme relatif de l’accusée, Jacquemette Baptandier. En novembre 1626, alors que cette dernière est emprisonnée, Guillermine Cochon, l’une des possédées, est tellement surexcitée qu’elle se jette sur la porte avec frénésie. Les accusations et le comportement d’Aymée Duchit embarassent les juges qui ne parviennent pas à l’interroger malgré l’eau bénite dont ils l’aspergent. « Rottant et se jettant à terre en criant tousjours, ma maîtresse, ma maîtresse [...] grincant des dents [...] et quelquefois dansant et se jettant dans du bourbier », Duchit parvient cependant, « par langage entrecouppé » à accuser Baptandier d’avoir une dent creuse du côté gauche où le diable a placé un billet, d’avoir mangé deux enfants, d’être allée la synagogue tous les jeudis et d’être marquée « droict au trou du cul103 ». Ses propos sont si incohérents qu’à aucun moment ils ne sont retenus, repris ou vérifiés par le juge-mage. Dans le même temps, ils sont tellement sidérants, au sens propre du terme, qu’ils sont consignés avec précision pour donner une certaine consistance à l’incroyable. Il en est de même pour certains détails impudiques racontés par Françoise Agnel :
« Luy ayant icelle Baptandier voulu lever les jarretières ce que la déposante ne voulut permettre mais les levat elle mesme apprès quoy ladicte Baptandier luy avallat ses bas de chausses jusques aux orteilliers des piedz, des lesquelles jusques à la cime de la teste elle la frottat par tout et portat ses doigtz par toutes les parties de son corps ayant mis ses doigtz dans sa nature et dans le fondement. »
58Les officiers n’y prêtent pas une grande attention et les dénégations de Baptandier, qui « nye luy avoir mis la main dans le cul », paraissent leur suffire. Ils sont beaucoup plus préoccupés par les pouvoirs de guérison de l’accusée.
59L’étonnement du Sénat est encore plus flagrant dans le procès de Samoëns. Une lettre en fait part explicitement : étant donné qu’il s’agit d’une affaire « comme nous n’en aurions jamais ouy parler, il a falu que l’on ait interrogé les gens qui ont dict des choses extraordinaires104 ». Le plus déconcertant, mais aussi le plus précieux pour les magistrats, est la présence sous le lit d’Ayma Riondel d’ossements, dont la « chair auroit esté rongée depuis peu ». De tels indices matériels, rarissimes, permettant peut-être de prouver un acte de cannibalisme et donc la sorcellerie, sont une aubaine pour les magistrats. Un chirurgien, convoqué par le juge-mage, est chargé de les examiner, mais il ne peut se prononcer sur la nature des os. Quand l’affaire est portée devant le Sénat le 28 janvier 1682, celui-ci ordonne qu’on les lui envoie car ils représentent « une circonstance grandement essentielle pour l’instruction dudit procès ». Il peut en outre s’appuyer sur le témoignage de Françoise Guilliot qui s’est entretenue avec Riondel à la fenêtre de sa prison. Pour Guilliot, les ossements ne peuvent pas être ceux d’une vache ou d’un veau puisque l’accusée a tout son bétail. Les loups les ont donc rongés, conclut-elle. Riondel aurait alors « joint les mains en disant, paix, paix, ne parlés pas si haut ». Cela ne signifie pas qu’elle acquiesce au raisonnement de Françoise Guilliot. Elle lui enjoint plutôt de ne pas relancer l’interrogatoire sur la présence incongrue d’os sous son lit. Rétrospectivement, ses craintes ne s’avèrent pas justifiées, car cette piste est finalement abandonnée et la cour doit reconnaître qu’elle n’a aucune preuve tangible. En invoquant Del Rio, le substitut du procureur en est réduit à supposer que les ossements sont ceux de petits enfants, tués par ces « infâmes mégères » qui avaient besoin de leur graisse pour se rendre à la synagogue. En cette fin de XVIIe siècle, il est intimement convaincu de l’existence de sorciers, mais il reconnaît la difficulté à prouver leurs méfaits :
« Ce n’est pas d’aujourd’huy ny de la réverie de quelques visionnaires que l’on tient qu’il y a des sorciers ; ils ont esté découvert devant la venue du Messie : leur perte est antique et leur crîme n’est pas nouveau [...] tout ce qui peut occuper l’esprit des inquisiteurs et des juges c’est la peine de les découvrir ; car comme tous leurs maléfices sont préparés par le génie des abymes, et ainsy couverts et dérobés à la veu des hommes : il ne leur peut rester que quelques indices ou prouches ou éloignés pour les disposer à se faire d’eux-mêmes leur procès par leur propre confession, sans contrainte ou dans les tourments. »
60Autrement dit, seuls les sorciers peuvent apporter la preuve de leur propre culpabilité. Pour les y amener, le procureur admet qu’il faut se contenter d’indices et recourir à la torture, des aveux spontanés étant fort peu probables.
61À Saint-Gervais, la stratégie adoptée par les juges de première instance est de prouver l’exorcisme, car si celui-ci est avéré, alors Baptandier est coupable non seulement de sorcellerie mais aussi de lèse-majesté divine. L’enquête se déroule sur trois fronts à la fois. Elle vise à établir le plus précisément possible la réalité de la possession et l’action de Baptandier, d’où la retranscription des moindres détails. Elle tente aussi de déterminer si la guérison s’est produite et selon quelles modalités. Ainsi le juge-mage veut-il faire avouer à Baptandier qu’elle a guéri ses commères par des attouchements et savoir comment elle a procédé pour chasser les démons. Pour prouver la guérison, il a recours à des indices indirects. La mort de deux chats indique que le diable a quitté le corps des possédées pour venir contaminer les félins. Une femme noble de 45 ans raconte qu’une fois libérée, Françoise Agnel se mit à sauter « avec une disposition admirable et chantoit d’une façon du tout extraordinaire lhors de la confrontation quoy que la dame déposante ne l’aye jamais veu chanter ny danser ». Surtout, elle peut dorénavant assister à la messe. De même, Nycolase Delachat affirme qu’avant d’être frottée par Baptandier, elle ne pouvait se rendre « à l’Église qu’avec contradiction et ressentait du mal aux reins et un morceau au gosier ». Guillermine Cochon confirme, en précisant qu’elles se sont rendues à la Visitation d’Annecy.
62L’accusée est tenue pour responsable de tous les dérèglements qui affectent le village et minent les relations sociales. Les tensions qui traversent la communauté et l’anomie qui la menace sans cesse trouvent en la personne de Baptandier un point de fixation, plus commode à contrôler et à éradiquer. Par ce biais, la justice prend connaissance des inconduites sur lesquelles elle peut ensuite peser. Ainsi apprend-on au détour de la procédure que le mari de Guillermine Cochon l’a quittée pour se rendre dans le Valais suisse. L’accusée en profite pour la qualifier de « superbe, qu’elle avoit faict quicter le lieu à son mary, qu’elle seroit allé à l’église des capucins, qu’on ne scavoit ce qu’elle y alloit faire et que quelque uns tiennent qu’elle a faict mal de son corps ». C’est pourquoi, elle porte bien son nom, ajoute-telle. Au final, peu importe la réalité du crime, l’incrimination de sorcellerie est un prétexte pour ramener l’ordre. Dès lors, le discours des juges semble imperméable aux arguments ou aux indices contraires. Jacquemette Baptandier en prend conscience, proclame sa bonne foi et pleure « presque à l’ordinaire », ajoutent les juges qui doutent de sa sincérité. Lassée de tant de procédures où « on avoit mis beaucoup de motz à rebours de ce qu’elle avoit dit », elle finit par renoncer, ne voulant plus se justifier « ny advancer aultres reproches » et « requérant justice lui estre ministrée » le plus rapidement possible.
63Elle a pourtant déjoué les pièges qui lui étaient tendus, se montrant proche de l’idéal social que veulent promouvoir les autorités. Elle répond à plusieurs reprises que la guérison des possédées dépend de la volonté de Dieu, que si le diable est sorti « c’est par le moyen des prières et des messes qu’elle a faict dire ». À un témoin qui est venu la visiter à la prison de Bonneville, elle répète qu’elle n’a jamais prétendu les guérir, « qu’elle n’avoit pas la puissance ny le scavoir ». Lorsque qu’on lui demande de préciser les paroles qu’elle a prononcées lors des attouchements, elle rétorque qu’elle « parloit de Dieu, de notre Dame du pays, de notre Dame de la Gorge, de notre Dame du St Sacrement, de notre Dame du St Rosaire, Madame Ste Anne, Madame Ste Marguerite, Monseigneur St Jacques, Monseigneur St Gervais ». La litanie des intercesseurs qu’elle invoque veut attester de son conformisme aux préceptes tridentins. Elle se garde d’apparaître comme quelqu’un doué de pouvoirs thaumaturgiques et entretenant un dialogue direct avec Dieu, ce qui serait une subversion des hiérarchies précisément en train de se figer sous l’action des autorités englobantes. Tout au long de l’instruction, elle se conforme au modèle culturel que voudrait imposer la justice. Son attitude soumise et la cohérence de ses réponses contrastent avec l’exagération de la plupart des témoins, notamment avec l’hystérie des trois possédées. Sa retenue lui est d’ailleurs reprochée par l’un des déposants. Elle lui répond qu’il ne peut pas savoir « la tristesse qu’elle avoit dans son cœur et qu’elle le gardera tout le temps de sa vie », montrant ainsi qu’elle est capable d’intérioriser ses émotions. La sentence des juges ne figure pas dans le dossier, qui ne comprend que les pièces de première instance et de la judicature-mage du Faucigny. Mais la mesure provisoire prise reflète l’ambivalence de leur attitude. Le 23 février 1627, en attendant le prononcé du jugement, ils accèdent à la demande d’élargissement déposée par Baptandier.
6450 ans après, la même ambiguïté marque les procès de Reignier et du Reposoir. Dans les deux cas, la justice veut savoir, recueille le plus grand nombre possible d’indices, se montre tatillonne et multiplie les interrogatoires, mais ses atermoiements sont perceptibles. Pour la première affaire, nous disposons de l’arrêt partiel rendu par le Sénat. En première instance, Claude Vial a été condamné à une faible peine, ce qui a motivé l’appel a minima du Conseil présidial d’Annecy. Mais, le 27 septembre 1678, la cour le rejette et accepte la requête de l’accusé qui demande à « estre receu à la cession ville et misérable de ses biens105 ». Les informations manquent pour établir ce qu’il advient finalement de Claude Vial. L’affaire du Reposoir fournit à la justice l’occasion d’enquêter sur l’éducation de l’enfant, prénommé Marin, qui se targue de faire tomber la grêle à l’aide de baguettes. Le 22 juillet 1682, dans les prisons de Thônes, on lui demande si son père lui a appris le pater, l’ave, le credo et s’il sait se signer. L’enquête concerne aussi sur son géniteur qui, selon le châtelain, a bonne réputation, « à la réserve toutes fois qu’il s’enhyvre bien souvent, chantant et dansant, tutuyant ceux qu’il rencontre106 ». En outre, son frère et sa tante « extravaguent de temps en temps ». Quant à Marin, tous les voisins témoignent qu’il a toujours été « malicieux », obligeant son père à le corriger. C’est la raison pour laquelle, selon eux, il vagabonde et vole pour vivre. Étant donné son jeune âge et qu’il n’est pas marqué, contrairement à ce qu’il affirme, il est mis hors de cause ainsi que son père. Avant de statuer, la justice a cependant pris le soin de s’informer sur la réputation de l’ensemble de la famille.
65À Samoëns, deux ans après, Ayma Riondel et son fils de 20 ans, Joseph Mogenet, subissent une peine sévère, malgré des preuves bien minces, précisément à cause de leur mauvaise réputation. Pas moins de 18 témoins sont entendus. Deux d’entre eux assurent les avoir surpris au lit « tous deux sans chemise ny autres habillements et touts nuds107 ». D’autres déposent que Riondel ne va pas à la messe et travaille les jours fériés. L’enquête révèle aussi qu’elle appartient à une famille de sorciers. Son père fut longtemps emprisonné à Bonneville pour le même motif, sa mère Pernette, âgée de 72 ans, souffre de la même réputation. D’autres témoins confirment cette rumeur, mais en précisant que Ayma Riondel n’a jamais causé de tort à personne. Un notaire, François Culat, rapporte même que si certains la considèrent comme une sorcière, d’autres la tiennent pour une brave femme. Mais le procureur n’en a cure. Il met en avant le témoignage de Joseph Nicolas Favre, âgé de 12 ans, qui affirme être allé à la synagogue en compagnie d’Ayma Riondel. Le 23 juillet 1682, Ayma Riondel est haussée 11 fois de suite à la « corde de la question », mais elle n’avoue rien. Le bourreau lui attache alors deux pierres aux « gros doigts de pied » et la surélève de nouveau à 9 reprises, sans succès. Son fils subit le même traitement, mais il résiste lui aussi à la souffrance. La conviction de la cour n’est pas entamée pour autant. Le 14 janvier 1684, le Sénat fait « sonder » l’accusée et sa mère pour trouver la marque du diable, en vain. Finalement, il reconnaît que la preuve n’est pas entière, mais « de puissants indices » suffisent à en faire des coupables. Le 15 janvier, ils sont condamnés à être fustigés jusqu’à effusion de sang puis au bannissement à vie, après avoir déambulé dans Chambéry, un fagot de bois au cou, symbole du bûcher.
66Contrairement à Jacquemette Baptandier en 1627, Ayma Riondel et son fils ne sont pas accusés de sortilèges. Ils n’ont causé aucun tort, 9 témoins en attestent. Mais, aux yeux de la cour, ils « n’ont pas purgé tous les indices qui sont contre eux notamment cette mauvaise réputation ». Le mot est lâché. Le soupçon d’inceste, le passé sorcier de la famille et la participation présumée à la synagogue convergent dans la construction d’une accusation vague mais redoutable, celle de mauvaise réputation, qui fait la part belle à l’intime conviction du juge. Le procès du Reposoir le suggère, celui de Samoëns l’énonce explicitement, la sorcellerie est une incrimination à spectre large qui permet de réprimer les conduites non-conformistes en remontant en outre dans le passé et en l’élargissant à toute la famille. Elle est l’instrument idéal pour expurger la société de tous ses éléments indésirables, en particulier les femmes indisciplinées. Paradoxalement, alors qu’elle est impossible à prouver, une accusation de cette nature, en grande partie indéterminée et protéiforme, ne laisse aucune échappatoire à Ayma Riondel et son fils. À Saint Gervais en 1627, le motif d’inculpation est relativement précis, ce qui permet à Jacquemette Baptandier de trouver un axe de défense. Les charges qui pèsent sur Ayme Riondel et son fils sont plus floues. En outre, ils se montrent beaucoup moins habiles dans leur défense que Jacquemette Baptandier. Contrairement à cette dernière qui ne se laisse jamais submerger par le cours du procès et ne tombe pas dans les pièges tendus par la justice, ils ne parviennent pas à faire entendre leur voix. Tout en se montrant pugnace, Baptandier se conforme au modèle social qu’attend la cour. Ayma Riondel ne semble pas comprendre les enjeux de son procès, comme le révèlent deux anecdotes. Lorsque les sergents la conduisent en prison, ils rencontrent des difficultés à la faire avancer, persuadés qu’« elle s’estoit charmée en chemin ». Pour sa défense, elle leur rétorque qu’il existe bien d’autres sorcières. Quand un témoin lui lance qu’elle mérite d’être brûlée, elle répond qu’elle ne doit pas être la seule. Ce faisant, elle reconnaît implicitement le bien-fondé de l’accusation. À cette date, la question de la réputation n’est plus seulement une affaire de relations communautaires et d’honneur, elle se judiciarise. À l’occasion des procès pour sorcellerie, la justice s’en empare pour imposer sa présence et inquiéter les populations.
67La pratique judiciaire en matière de sorcellerie, telle que la révèle ces quelques procès, s’avère beaucoup plus hésitante que ne le laissent penser les propos sentencieux de Deville ou de son imprimeur, Riondet. Dans les sources consultées, la répression n’apparaît ni massive ni particulièrement sévère. Si les juges portent une grande attention au maléfice, ils s’intéressent tout autant aux mœurs des accusés et de leur entourage. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, en Savoie, comme dans le reste de l’Europe, l’intensité de la chasse aux sorcières semble faible.
68La répression des violences est au cœur du système punitif savoyard, on l’a vu. Cependant, la statistique rend difficilement compte d’une pression plus diffuse exercée sur les comportements et les mœurs, dans le but de consolider les hiérarchies ecclésiastique et familiale. Dans le dernier quart du XVIIe siècle, la contrainte se fait plus précise en se focalisant sur les femmes et les sorciers, mais elle est à relativiser. Le petit nombre d’affaires limite la portée de l’analyse à des exemples, destinés à servir de matrices, et traduit une faible criminalisation des atteintes à la religion et des crimes de mœurs, par nature difficiles à poursuivre. La justice testimoniale montre ici ses limites, d’autant plus que les familles ne sont pas enclines à étaler de tels faits sur la place publique.
69Cependant, même peu nombreux, les procès mettant en cause la moralité des prévenus sont l’occasion pour l’institution de s’appuyer sur une incrimination non formulée, mais commode, celle de mauvaise réputation, pour se passer en partie du système des preuves légales108 et dissocier les suspects de la partie saine de la communauté. Parmi ces derniers, les étrangers, mal intégrés, sont d’autant plus exposés. Ainsi la justice d’appel contribue-t-elle au renforcement de la cohésion sociale. Elle concentre ponctuellement ses forces sur un ou des cas particuliers dont l’exemple est censé se diffuser, laissant aux individus qui en ont l’opportunité et les capacités une relative marge de manœuvre.
Notes de bas de page
1 A.D.S., 1B 21, 1540, 114 ro.
2 Ibid., 103 ro.
3 Ibid., 2B 1401, 1560, 10 vo.
4 Ibid., 229 vo-230 r°.
5 Ibid., 2B 1401.
6 Ibid., 69 vo.
7 Ibid., 69 vo et 70 ro.
8 Ibid., 2B 1401, 256 vo, 257 ro.
9 Selon Alain Cabantous, le blasphème est caractéristique de la violence masculine aux XVIe et XVIIe siècles. Alain Cabantous, Histoire du blasphème en Occident, Paris, Albin Michel, 1998, p. 194. Sur 11 procédures pour blasphèmes traitées par Anne-Cécile Grobelny, 10 impliquent des hommes. Anne-Cécile Grobelny, Le Contrôle des déviances dans les archives judiciaires de Savoie aux XVIe et XVIIe siècles, Université de Savoie, mémoire d’histoire moderne sous la direction de Frédéric Meyer, Chambéry, 2001-2002, p. 93.
10 A.D.S., B0 1614, 1710.
11 Ibid., 2B 1432, 6 juin 1692, non numéroté.
12 Ibid., 2B 8083 dossier 30, no 70, 71 et 72. La procédure qui correspond est cotée BO 4139.
13 Anthoine Bal est la femme de Jean Giraud.
14 A.D.S., 2B 1427, août 1620, 122 r°.
15 André Abbiateci, « Les Incendiaires au XVIIIe siècle », Annales E.S.C., janvier-février 1970.
16 A.D.S., 2B 1431, 11 février 1677.
17 Ibid., 2B 1431, 29 avril 1677.
18 Ibid., B0 1087, 23 janvier 1677.
19 Ibid., 2B 1499, 24 juillet 1736, non numéroté.
20 Julie Doyon, op. cit., date de 1712 une conception restrictive de la notion de parricide, réservée aux seuls ascendants.
21 A.D.S., 2B 1431, 18 août 1678. Le greffier a ajouté qu’ils ont été « réellement » exécutés.
22 Ibid., 2B 1416, 41 r°.
23 Ibid., 2B 1416, 72 r°.
24 Ibid., 2B 1427, mars 1621, non numéroté.
25 Ibid., 2B 1429, avril 1663, non numéroté.
26 Georges Vigarello, Histoire du viol XVIe-XXe siècle, Paris, Seuil, 1998, p. 37.
27 A.D.S., 1B 21, 43 v°.
28 Ibid., 2B 1430, 9 septembre 1673.
29 Exemples cités par Georges Vigarello, op. cit., p. 20. L’auteur note que les procédures pour viol sont rares et éparses et généralement limitées au viol d’enfant, p. 71.
30 Sonia Vernhes Rappaz, « La Noyade judiciaire dans la République de Genève », Crime, histoire et sociétés, Genève, Droz, 2009, vol. 13, no 1, p. 12.
31 Georges Vigarello, op. cit., p. 39.
32 A.D.S., B0 4910, 1647.
33 Ibid., B0 4566, 1656.
34 Georges Vigarello, op. cit., p. 48.
35 Évelyne Berriot-Salvadore pense que les fondements théoriques du discours de la médecine et de la science sur la femme se mettent en place dès la fin du XIIIe siècle : « tout semble devoir se jouer entre un aristotélisme qui réduit le féminin à une incomplétude et un galénisme qui l’enferme dans la spécificité inquiétante de l’utérus. » Natalie Zemon Davis et Arlette Farge, Histoire des femmes en occident, XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Perrin, 2002, p. 407.
36 Caroline Le-Trong, La Prostitution à Chambéry, XVIIe-XVIIIe siècles. Entre tolérance et répression, mémoire de maîtrise sous la direction de F. Meyer et M. Vergé-Franceschi, Université de Savoie, 2000-2001, p. 39-40 et 169-170.
37 Un cas est relevé en 1612. Ibid., p. 14.
38 A.D.S., 2B 1427, 73 v° et 74 r°.
39 Ibid., 2B 1431, mardi 13 septembre 1678, non numéroté.
40 Caroline Le-Trong, op. cit., p. 159-163.
41 James R. Farr, Authority and Sexuality in Early Modern Burgundy (1550-1730), New York/Oxford, Oxford University Press, 1995, p. 147.
42 A.D.S., B0 470, 1678-1679.
43 Ibid., B0 470, 1678-1679.
44 Les affaires de maquerellage représentent les deux-tiers des procès traités par Caroline Le-trong, op. cit., p. 93.
45 Le vol est « le crime féminin par excellence si l’on s’en tient aux seuls comptes de la justice. » in N. Zemon Davis et Arlette Farge, op. cit., p. 548.
46 Deborah Ramade, La Délinquance féminine en Savoie au XVIIIe siècle, mémoire de Master sous la direction de F. Meyer, Université de Savoie, 2005-2006, p. 87.
47 A.D.S., 2B 1431, 26 janvier 1679.
48 Le sous-titre est emprunté à Robert Muchembled, « fils de Caïn... », op. cit.
49 Robert Muchembled, Une Histoire de la violence, op. cit., p. 234. L’auteur écrit p. 233 que l’édit de 1557 déclenche une vigoureuse persécution en France dans ce domaine.
50 James R. Farr, op. cit., p. 127.
51 Ibid., tableau 5.1, p. 126.
52 Ibid., p. 132.
53 Sur les 1 235 procédures inventoriées à ce jour par Corinne Townley pour le XVIIIe siècle, 24 sont des affaires d’infanticide, soit 1,94 %.
54 A.D.S., 2B 1429, 1663.
55 Ibid., 2B 1431, 28 janvier 1678.
56 Alfred Soman, Sorcellerie et justice criminelle, op. cit., p. 10.
57 Robert Muchembled, Une histoire de la violence, op. cit., p. 234.
58 Royales Constitutions de 1729, op. cit., en particulier le chap. IV, p. 191.
59 Royales Constitutions de 1723 et 1729, op. cit.
60 A.D.S., 2B 1422, décembre 1607.
61 Ibid., B0 1668, 1636-1638.
62 L’infanticide est appelé parricide dans la terminologie du temps.
63 L’enfant est de faible constitution.
64 A.D.S, 2B 1431, 2 décembre 1677.
65 Ibid., 2B 1431, 2 mars 1679.
66 Ibid., B0 849, 1688.
67 Le poêle est la seule pièce chauffée de la maison.
68 A.D.S., B0 849.
69 En Bourgogne, l’infanticide est toujours lié à une situation extrêmement vulnérable, James R Farr, op. cit., p. 133.
70 A.D.S., B0 2036, 1654.
71 Julius R. Ruff, Violence in Early Modern Europe, 1500-1800, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p. 152.
72 Robert Muchembled, Une Histoire de la violence, op. cit., p. 233.
73 La courbe des condamnations à mort culmine vers 1620, ibid., p. 244.
74 Julius R. Ruff, Violence in Early Modern Europe, op. cit., p. 153.
75 Carlo Ginzburg, Le Sabbat des sorcières, Paris, Gallimard, 1992. L’auteur pense que la doctrine du sabbat apparaît pour la première fois à la fin du XIVe siècle dans la région située entre le Dauphiné et le lac Léman, c’est-à-dire, grosso modo, en Savoie.
76 Wolfgang Behringer dans Robert Muchembled (dir.), op. cit. Pour le même auteur, le concept de sorcellerie est né vers 1435 dans la région située au sud du lac Léman, ibid.
77 Pierrette Paravy, De la Chrétienté romaine à la Réforme en Dauphiné (vers 1340-vers 1530), collection de l’école française de Rome, vol. II. 1993, p. 903.
78 E. William Monter, Witchcraft in France and Switzerland, the Borderlands during the Reformation, Cornell University Press, 1976.
79 Robert Muchembled, op. cit., p. 22. L’auteur pense que l’essence de la sorcellerie se révèle être plus politique, au sens large, que religieuse ou culturelle.
80 Lucien Guy, Contes et légendes du Faucigny, Imprimerie commerciale d’Annecy, Annecy, 1925.
81 Charles Joisten, Récits et contes populaires de Savoie, Paris, Gallimard, 1980.
82 Estella Canziani, adapté de l’anglais par Arnold Van Gennep qui a modifié le texte, Coutumes, mœurs et légendes de Savoie, Chambéry, 1978.
83 Revue régionale d’ethnologie, « Êtres fantastiques dans les Alpes », Recueil d’études et de documents en mémoire de Charles Joisten (1936-1981), Grenoble, Centre alpin et rhodanien d’ethnologie, 1992.
84 Il s’agit du placenta.
85 « Êtres fantastiques dans les Alpes », Revue régionale d’ethnologie, op. cit., passim.
86 Michèle Brocard-Plaut, Diableries et sorcellerie en Savoie, Horvath, 1986.
87 Michèle Brocard-Plaut, « Le Sabbat et sa répression en Savoie aux XVIIe et XVIIIe siècles », dans Nicole-Jacques Chaquin et Maxime Préaud (dir.), Le Sabbat des sorciers, Jérôme Million, 1993.
88 A.D.S., BC 245.
89 Jean-Marie Goulemot, « Démons, merveilles et philosophie à l’âge classique », Annales E.S.C., 1980, 6, p. 1228.
90 William E. Monter, op. cit.
91 Christian Broye, Sorcellerie et superstitions à Genève (XVIe-XVIIIe siècles), Le Concept moderne, éditions, Genève, 1990, p. 103-122.
92 Michel Porret, L’Ombre du diable. Michée Chauderon, dernière sorcière exécutée à Genève (1652), Genève, Georg éditeur, 2009, p. 187. L’ouvrage propose de larges extraits des interrogatoires et s’intéresse aux enjeux mémoriels.
93 Ibid., p. 187 et 189.
94 Sur ce sujet, Robert Muchembled, L’Invention de l’homme moderne, op. cit., p. 137 et sq.
95 A.D.S., B0 486, répétitions des témoins le 16 février 1627.
96 Ibid., B0 1668, 1636-1638.
97 Ibid., B0 486.
98 Ibid., B0 4937, juillet 1677, mai 1678.
99 Ibid., B0 7583, juillet 1682.
100 Ibid., B0 7096, 1682-1684.
101 « Êtres fantastiques dans les Alpes », Revue régionale d’ethnologie, op. cit.
102 Expression empruntée à Robert Muchembled, Une Histoire du diable, op. cit., p. 62.
103 A.D.S., B0 486.
104 Ibid., B0 7096, 27 juillet 1684.
105 Ibid., 2B 1431, non numéroté, 27 septembre 1678.
106 Ibid., B0 7583.
107 Ibid., B0 7096.
108 Sur ce sujet, Jean-Marie Carbasse, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, Paris, PUF, 2000, p. 169.
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