« Le bon levain. » Les étudiants boursiers en France de 1877 à 1914
p. 333-388
Texte intégral
1Louis Liard, dans son ouvrage, Universités et facultés, paru en 1890, insiste sur la hausse des effectifs étudiants dans les facultés académiques (lettres et sciences), elles qui en furent longtemps dépourvues, et sur les importantes promotions de licenciés et d’agrégés qui, depuis les réformes républicaines, ont été mises à la disposition des collèges et des lycées comme enseignants afin de remplacer les simples titulaires du baccalauréat. Il relève :
« On ne les eût pas obtenu sans les bourses de licence et d’agrégation. À l’origine, on a raillé cette institution. Les facultés n’avaient pas d’élèves ; pour qu’elles en eussent, on en paya. Puis on a affecté d’y voir une prime au déclassement et par suite un danger social. Railleries et craintes sont tombées devant les faits [...]. On eut raison de les créer parce qu’il n’est pas admissible que dans un pays démocratique les libéralités s’arrêtent à mi-chemin, et qu’il y a contradiction à avoir, comme on en avait depuis le commencement du siècle, des centaines de boursiers dans les lycées et dans les collèges, et à n’en pas avoir un seul au degré supérieur de l’enseignement [...]. On voulait, par elles (les bourses), constituer au sein de chaque Faculté un premier groupe d’élèves sérieux, un de ces noyaux de cristallisation qui attirent et qui fixent, et de ces élèves former, pour les lycées et surtout pour les collèges qui en manquaient, des agrégés et des licenciés. Aucune de ces espérances n’a été déçue [...]. Sans eux, elles auraient encore des élèves, et même beaucoup d’élèves. Mais avec eux, elles perdraient les meilleurs, ceux qui ont été, sont et seront le bon levain1. »
2On trouve dans ce plaidoyer du directeur de l’Enseignement supérieur vantant les mérites de la politique républicaine de réforme de l’enseignement supérieur – et donc la sienne propre – trois raisons majeures qui justifient la création des bourses. Si elles concrétisent en partie l’idéal méritocratique qui fait que tout enfant doté des aptitudes intellectuelles nécessaires doit pouvoir mener le plus loin possible ses études, quel que soit son milieu social originel, les bourses du supérieur ont aussi un intérêt pratique directement reconnu. Elles doivent donner de bons étudiants aux facultés mais surtout permettre le pré-recrutement et la formation des enseignants que l’enseignement secondaire réclame. La fondation républicaine est donc loin d’être désintéressée et ne peut être lue dans sa seule dimension d’égalité sociale. Si la priorité est donnée à l’évaluation du niveau scolaire, quelle place reste-t-il aux critères sociaux dans le choix des boursiers ? Les « boursiers conquérants », célébrés par les uns et décriés par les autres comme de dangereux déracinés menaçant l’ordre social, ne sont-ils pas d’abord des « fils à papa » qui se doivent de posséder une vaste culture classique pour franchir le cap du concours, ce qui privilégie alors les enfants du sérail, c’est-à-dire les fils d’enseignants ? Il s’agit donc de revenir sur les étapes de cette création pour en percevoir les enjeux, les typologies mais aussi la réception dans l’élite intellectuelle du pays. Par l’étude suivie de leur représentativité au sein des facultés des lettres et des sciences de Lille, entre 1887 et 1914, il s’agit ensuite de mesurer leur présence au sein des institutions d’enseignement supérieur autour d’une étude de cas. L’étude de quelques sessions de concours, menée au niveau national, nous permettra enfin de mesurer, sans prétention à l’exhaustivité, le degré d’ouverture sociale du choix des lauréats afin de mesurer la réalité et les limites de cette méritocratie proclamée.
Une figure nouvelle dans l’enseignement supérieur : l’étudiant boursier
3Les boursiers ne sont pas une fondation tertio-républicaine et sont déjà attestés dans les universités médiévales (la bursa) et les collèges d’Ancien Régime. Les lycées fondés par Napoléon Ier, à partir de 1802, font aussi une place importante aux « élèves du gouvernement » et la présence de ces derniers dans les établissements ne se dément pas tout au long du XIXe siècle, même si leur nombre reste fluctuant2. Dans l’enseignement supérieur cependant, réorganisé à partir de 1808, les boursiers sont absents, même s’il existe des exemptions partielles de droits pour certains étudiants3.
La création des bourses de licence (1877) et d’agrégation (1880)
4Le coût des études supérieures, tout au long du XIXe siècle, demeure important. Si les études secondaires ont déjà un coût élevé, l’enseignement supérieur exige un gros sacrifice financier ce qui restreint automatiquement les milieux sociaux dans lesquels se recrutent les étudiants4. Vers 1830-1840, le budget étudiant pour Paris se situe entre 120 et 250 francs par mois soit de 1 200 à 2 500 francs par an selon les facultés5. Vers 1880, on estime qu’il faut 200 à 250 francs par mois pour être étudiant à Paris. Les frais de scolarité dans les facultés des lettres et des sciences, d’après les tarifs de 1887, se montent à 230 francs en licence (dont 30 francs par inscription qui sont au nombre de quatre, 10 francs de bibliothèque (4 fois 2,50 francs), 40 francs d’examen, 20 francs de certificat d’aptitude et 40 francs pour le diplôme de licence). Le doctorat revient à 140 francs d’inscription en sciences et en lettres (dont 80 francs pour le retrait du seul diplôme)6. En droit, la licence revient à 410 francs et le doctorat à 570 francs. Le doctorat en médecine ou en chirurgie demande 1360 francs de droits à acquitter. Le décret du 31 juillet 1897 portant règlement d’administration publique sur les droits à percevoir au profit des Universités et sa circulaire du 20 octobre 1897 viennent repréciser l’ensemble des tarifs7. Le droit d’immatriculation est fixé dans toutes les facultés à 20 francs par an. Le droit d’inscription demeure trimestriel et se monte dans toutes les facultés à 30 francs par trimestre. Il existe encore les droits de bibliothèque et de travaux pratiques. À partir du 1er janvier 1898, pour la seule licence, il faut quatre inscriptions trimestrielles de 30 francs soit 120 francs, quatre inscriptions de bibliothèques à 2,50 francs soit 10 francs, 40 francs de droit d’inscription à l’examen, 20 francs de frais annexes et 40 francs pour avoir le diplôme (le parchemin). Au total, la licence, si elle est faite en une seule année, revient à 230 francs en droits divers. Le doctorat revient à 140 francs (80 francs d’examen, 20 de certificat d’aptitude et 40 de diplôme). Il faut bien évidemment ajouter à ces sommes annuelles, liées à des inscriptions et droits d’examen, tous les frais de logement, les déplacements, la nourriture, les vêtements et les frais de vie quotidienne. On arrive vite à 200-500 francs par mois selon les villes et le train de vie souhaité. En 1908, un professeur agrégé des départements gagne de 3 700 à 5 700 francs par an, un professeur de faculté de province entre 6 000 et 12 000 francs. Un instituteur, selon la loi de finances du 22 avril 1905, touche un traitement annuel de 1 200 francs (5e classe) à 2 200 francs (1e classe).
5C’est la IIIe République qui crée les bourses de l’enseignement supérieur. Cette fondation est liée à la politique plus générale de rénovation de la vie universitaire. Par l’arrêté du 5 novembre 1877 sont instituées des conférences et des manipulations dont le but est « soit de fortifier par des répétitions et exercices pratiques les leçons des professeurs titulaires, soit de compléter par l’adjonction de nouveaux enseignements le cadre des études de la faculté8 ». C’est par cet arrêté qu’apparaissent les maîtres de conférences alors que l’on tente de promouvoir les cours fermés destinés à des étudiants qui préparent des grades et des concours. Il faut assurer un public étudiant à ces enseignements nouveaux, tout en veillant à la création d’une pépinière de candidats aux fonctions enseignantes. Dès le départ, il est prévu que les facultés de droit ne recevront pas de bourses. « La pratique plus que la science inspire les études de droit. Le nombre des aspirants au grade de licencié ou de docteur en droit est nombreux9 ». La Commission du Budget, vu la loi de finances du 29 décembre 1876, fixe à 300 le nombre des bourses de l’enseignement supérieur à 1 200 francs. L’arrêté du 5 novembre 1877 organise cette fondation des bourses de licence. Accordées pour un an sur concours, elles sont d’abord attribuées aux facultés des départements. « Les facultés de droit n’auront point part à ces concessions ; les facultés de médecine et les écoles supérieures de pharmacie pourront en obtenir mais en nombre moindre10 ».
Arrêté du 5 novembre 1877 concernant les bourses de facultés
Article 1er : Les bourses entretenues par l’État dans les facultés sont de deux sortes : les bourses de licence ; les bourses de docteur ou de pharmacien de 1ère classe.
Article 2 : Les candidats aux bourses s’inscrivent au secrétariat de l’Académie dans laquelle ils résident. Ils doivent être Français et être âgés de dix-huit ans au moins. Ils désignent, en s’inscrivant, la faculté à laquelle ils désirent être attachés, en joignant à cette déclaration les pièces suivantes : leur acte de naissance, leurs diplômes dans les sciences et dans les lettres ; une note revêtue de leur signature et indiquant la profession de leur père, la demeure de la famille, l’établissement ou les établissements dans lesquels ils ont fait leurs études, le lieu où les lieux qu’ils ont habités depuis leur sortie desdits établissements, un certificat du chef ou des chefs desdits établissements, contenant, avec une appréciation du caractère et de l’aptitude du candidat, l’indication des succès qu’il a obtenus au cours de ses classes, et des renseignements sur la situation de fortune de sa famille.
Article 3 : Les concours ont lieu au siège de la faculté.
Article 4 : Les membres du jury sont désignés par le Ministre sur la proposition des recteurs et des doyens.
Article 5 : Les épreuves du concours pour les bourses de licence sont : a) Pour la section des lettres : une composition française suivie d’interrogations sur les auteurs des classes de rhétorique et de philosophie des lycées. b) Pour la section des sciences : une composition et des interrogations sur des sujets de mathématiques, de physique, de chimie ou d’histoire naturelle, suivant la destination spéciale du candidat. La durée des interrogations est d’une demi-heure.
Article 6 : Peuvent obtenir directement une bourse de licence, sans subir les épreuves prescrites par l’article précédent les candidats à l’École normale supérieure déclarés admissibles aux épreuves orales et les élèves qui ont obtenu un prix d’honneur au concours général des lycées de Paris et des départements.
Article 7 : Les épreuves du concours des bourses de doctorat sont : a) pour la section des lettres, le commentaire de textes grecs et latins indiqués par le jury ; b) Pour la section des sciences, soit le commentaire d’un mémoire de mécanique céleste ou de géométrie supérieure désigné par le jury soit la reproduction et l’explication d’une expérience en cours ; soit une épreuve portant sur l’anatomie animale ou végétale. Il sera accordé aux candidats deux heures de préparation pour les diverses épreuves sous la surveillance d’un membre du jury désigné par le doyen. La durée de l’épreuve elle-même est d’une demi-heure.
Article 8 : Peuvent être dispensés des épreuves relatives aux bourses de doctorat : les auteurs de mémoires originaux approuvés ou couronnés par une des sections de l’Institut ; les licenciés reçus avec toutes boules blanches ; les agrégés de l’Université après deux années d’exercice dans les lycées.
Article 9 : Dans les facultés de médecine et dans les écoles supérieures de pharmacie, les sujets des concours pour les bourses, subis soit à l’entrée soit au cours de la scolarité, sont déterminés annuellement par le Ministre sur la proposition des facultés.
Article 10 : Immédiatement après la clôture du concours, le recteur transmet au Ministre les propositions de la faculté, en y joignant les compositions des candidats, les pièces justificatives mentionnées à l’article 2 et son avis personnel motivé.
Article 11 : Les bourses de faculté sont conférées par le ministre pour un an, sur le vu des propositions dont il est parlé à l’article précédent et après avis du Comité consultatif [...].
Article 13 : La durée normale des bourses de licence ès sciences et ès lettres est de deux ans ; elle ne peut être prolongée au-delà de ce terme que sur un rapport spécial et motivé du doyen, approuvé par le recteur. La durée des bourses de doctorat ès sciences et ès lettres est également de deux ans, sans prolongation. La durée des bourses de médecine est de quatre ans ; celle des bourses de pharmacie est de trois ans ; cette durée ne peut être prolongée qu’en faveur des internes ou externes des hôpitaux ou des lauréats des facultés et écoles supérieures.
6Le concours est ouvert aux bacheliers de 18 à 25 ans de nationalité française et la bourse se monte au maximum à 1200 francs par an (1500 francs en 1891). Les lauréats doivent s’engager à travailler pendant dix ans dans l’enseignement secondaire public.
7L’arrêté du 7 juin 1878 vient ensuite repréciser les modalités du concours sans grand changement, même si les épreuves orales sont davantage détaillées. La circulaire du 5 juin 1879 concernant le concours pour l’obtention des bourses de licence donne de plus amples consignes11. Les commissions des lettres et des sciences du Comité consultatif ont estimé qu’il ne fallait pas fixer un programme spécifique pour ce concours. Il s’agit de puiser dans la culture des bacheliers dont le concours est un prolongement mais il ne doit pas être du niveau de la licence. « Le programme est celui des classes supérieures des lycées. » La durée de la composition est fixée à 4 heures pour laisser le temps de la réflexion. La commission n’a pas voulu faire entrer dans le concours des lettres, l’histoire ancienne. C’est lors des explications orales grecques, latines et françaises que le jury peut tester ces connaissances. La commission a également refusé de fixer à l’avance le nombre de bourses affectées à chaque faculté et le recrutement régional des candidats. « Il est inadmissible que les boursiers soient renfermés dans une région » mais il est évident que les commissions veilleront au maximum à respecter les vœux des candidats admis. Le Règlement concernant les bourses de licence et d’agrégation dans les facultés des sciences et des lettres du 3 juin 1880 redéfinit l’ensemble du processus. Dans le rapport fait au nom de la Commission du Budget, le député Duvaux relève que les bourses ont permis d’assurer le recrutement du personnel des collèges communaux en leur fournissant des professeurs licenciés. Désormais, « il faut développer cette féconde institution et l’étendre à la préparation aux concours d’agrégation12 » car les 90 lycées manquent d’agrégés.
Règlement concernant les bourses de licence et d’agrégation dans les facultés des sciences et des lettres du 3 juin 1880
Article 1er : Les bourses entretenues par l’État, dans les facultés des sciences et des lettres sont de deux sortes : les bourses de licence ; les bourses d’agrégation.
Article 2 : Les candidats aux bourses de licence s’inscrivent au secrétariat de l’académie dans laquelle ils résident du 1er au 30 juin. Ils doivent être Français et être âgés de 18 ans au moins, de 30 ans au plus [...].
Article 3 : Le concours a lieu au siège de la faculté, le 15 juillet de chaque année. Les sujets de compositions écrites sont choisis par le ministre.
Article 4 : Les membres du jury sont désignés par le ministre sur la proposition des recteurs et des doyens.
Article 5 : Les épreuves du concours, pour les bourses de licences sont : Pour la section des lettres : une composition française, une explication approfondie d’un auteur français, d’un auteur latin et d’un auteur grec des classes de rhétorique et de philosophie des lycées. L’épreuve latine devra comprendre, en outre, la traduction orale d’un morceau français en latin. Pour la section des sciences : une composition et des interrogations sur des sujets de mathématiques, de physique, de chimie et d’histoire naturelle suivant la licence à laquelle se prépare le candidat. Les épreuves orales, pour chaque candidat, durent une heure au moins.
Article 6 : Les membres du jury corrigent les copies, les annotent et en expriment la valeur par un chiffre qui varie de 0 à 20. Un procès-verbal détaillé fait connaître les textes expliqués, les questions posées au candidat, l’examen oral et la manière dont il a subi ses épreuves. Les copies et les procès-verbaux des examens sont transmis au ministre. Le Comité consultatif de l’Enseignement public dresse une liste, par ordre de mérite, en tenant compte des besoins de l’enseignement secondaire.
Article 7 : Peuvent obtenir directement une bourse de licence, sans subir les épreuves prescrites par l’article 5 : les candidats à l’École normale supérieure déclarés admissibles aux épreuves orales et les élèves qui ont obtenu un des trois prix d’honneur au concours général des lycées de Paris et des départements. [...]
Article 13 : Une bourse de licence ne peut être cumulée avec un emploi rétribué. Article 14 : Les bourses sont données pour un an, à partir du 1er octobre ; l’indemnité est payable par douzièmes et d’avance. Elles peuvent être prolongées durant une seconde année, sur un rapport spécial du doyen et du recteur, après avis du Comité consultatif. Les boursiers reçus licenciés pendant les sessions de novembre et d’avril cessent de recevoir l’indemnité à la fin du mois de leur réception ; ceux qui auront été admis au grade pendant la session de juillet-août toucheront l’indemnité jusqu’au 30 septembre suivant.
Article 15 : Le boursier reçu licencié est tenu de se mettre à la disposition du recteur, qui le propose pour un poste dans l’enseignement secondaire [...].
Article 16 : Les candidats aux bourses d’agrégation adressent leur demande, du 1er au 20 juillet, au doyen de la faculté où ils ont pris le grade de licencié. Ils joignent à leur demande les certificats des chefs d’établissements où ils ont enseigné. S’ils ont été boursiers de licence, ils ajoutent un rapport spécial des professeurs dont ils ont suivi les cours. Toutes ces pièces, accompagnées des notes de licence et des conclusions motivées du doyen et d’un rapport faisant connaître comment la faculté entend préparer à l’agrégation, sont adressées, par l’entremise du recteur, au ministre qui prend l’avis du comité consultatif.
Article 17 : Les candidats aux bourses d’agrégation doivent être âgés de moins de 35 ans ; la bourse est accordée pour un an, à dater du 1er octobre, et peut être renouvelée une fois [...]13.
8Si la procédure de sélection est déconcentrée dans les facultés, on perçoit nettement la volonté ministérielle de conserver le pouvoir final de décision. Ce règlement du 3 juin 1880 innove en fondant de nouvelles bourses, celles d’agrégation au nombre de 200 et d’un montant maximum de 1200 francs. Une circulaire du 30 juin 1880 adresse aux recteurs un certain nombre d’exemplaires du règlement du 3 juin qui « détermine les conditions d’admission aux bourses de licence et d’agrégation ». La Section permanente n’a pas répondu favorablement à la demande de certaines facultés d’ajouter un second écrit. Une composition latine était demandée mais elle a pensé « que les compositions écrites faites par le candidat à l’examen du baccalauréat offraient une garantie suffisante à cet égard14 ». Il est de nouveau précisé que « l’institution des bourses d’enseignement supérieur a pour but principal de faciliter, en augmentant le nombre des étudiants des facultés, le recrutement des professeurs de l’enseignement secondaire. Vous ne devez donc admettre au concours que les jeunes gens dont la vocation pour l’enseignement est sérieusement arrêtée [...]. Vous aurez aussi à vous enquérir de la situation de fortune de leur famille ».
9Une nouvelle circulaire du 14 août 1880 fait à la fois un point et une proposition. « L’examen des dossiers des candidats aux bourses de licence a donné lieu à des remarques. Plusieurs de ces jeunes gens se trouvent dans une situation de fortune qui pourrait motiver leur exclusion. Le Comité consultatif a été amené dès lors à se demander s’il n’y avait pas lieu de donner des demi-bourses aux candidats dont la famille [...] peut subvenir, sans de trop grands sacrifices, aux besoins de ces élèves15. » On pourrait ainsi aider plus d’étudiants. Cette proposition devait être suivie d’effets car on relève ensuite de nombreuses demi-bourses accordées. Une circulaire du 1er octobre 1880 sur la préparation aux grades dans les facultés des sciences et des lettres, revient sur les boursiers et relève que « les bourses municipales ou départementales se sont multipliées16 ». La circulaire insiste de nouveau sur l’obligation faite aux boursiers de souscrire l’engagement décennal. Ils sont donc, comme l’indique l’arrêté du 31 janvier 1879, pourvus d’une nomination de maître auxiliaire. Si le boursier, par sa faute, ne remplit pas son engagement décennal, il doit restituer à l’État le prix de la bourse. Par l’arrêté du 8 mai 1882, les épreuves du concours des bourses de licence en lettres sont modifiées17. En fait, le ministère cède à la revendication forte des facultés qui demandaient depuis 1879, l’instauration d’une seconde épreuve écrite. Est ainsi introduite la composition latine, qui devient la bête noire des candidats.
10Dans une circulaire du 20 mai 1885, René Goblet demande aux recteurs de bien remplir les documents demandés pour que le ministère tranche en sûreté.
« Le Comité a constaté avec regret que les prescriptions des règlements et des circulaires antérieures, relatives aux bourses d’agrégation, n’avaient pas été partout rigoureusement exécutées. [...]. Tantôt les notes de licence manquent aux dossiers ; tantôt les certificats font défaut ; tantôt les Facultés émettent un avis trop indécis ; souvent aussi, c’est l’opinion du recteur qui manque, quand elle serait indispensable. Les doyens ne peuvent connaître que les candidats qui suivent les cours et qui envoient des devoirs ; mais d’autres candidats, professeurs de lycées ou collèges, ne correspondent pas avec la faculté et ne sont connus que de vous. Il vous appartient d’émettre un avis motivé18. »
11La circulaire pour l’exécution du règlement du 31 mai 1886, datée du même jour, explique sa mise en œuvre19. Elle insiste sur le fait que les bourses de licence seront désormais « limitées d’après les besoins de l’enseignement secondaire ». Jusqu’ici, on avait pu les accorder sans autres limites que celles des crédits mis à disposition ; il fallait en effet fournir aux lycées et surtout aux collèges communaux des licenciés. Mais chaque année, depuis la création des bourses, les besoins sont allés en diminuant, et « il serait imprudent de ne pas prévoir dès maintenant le jour assez prochain où nous n’aurons plus à pourvoir qu’aux besoins courants du recrutement ». Cet arrêté de 1886 décide d’abaisser l’âge maximum des candidatures aux bourses de licence de 30 à 25 ans. Un nouveau modèle de tableau pour la situation de fortune de la famille est joint à la circulaire pour permettre d’en savoir plus et de décider s’il faut une bourse, une demi-bourse ou une fraction de bourse. Si rien ne change dans les épreuves du concours des bourses de licence en sciences, des modifications sont opérées en lettres par rapport à 1880. Les écrits restent les mêmes mais, à l’oral, aux traditionnelles épreuves communes (3 explications approfondies : un auteur grec, un auteur latin et un auteur français), on ajoute une épreuve de spécialité. Il y a donc désormais quatre notes à l’oral. Rien n’est changé pour les bourses d’agrégation. Comme le relève Marcellin Berthelot dans la Revue internationale de l’enseignement, « l’institution des boursiers de l’enseignement supérieur auprès des facultés des lettres, des sciences et de médecine, a été l’une des créations les plus démocratiques et les plus fructueuses pour l’Instruction publique qui aient été faites dans ces huit dernières années20 ».
D’autres types de bourses viennent compléter le dispositif républicain
12Si les facultés des lettres et des sciences servent d’abord de fabriques à enseignants, elles doivent aussi assurer la promotion de la recherche et le dispositif créé en 1877-1880 ne le prévoit pas vraiment sauf pour quelques bourses de doctorat. C’est alors l’arrêté du 31 mai 1886 qui vient fonder des bourses d’études. Il s’agit d’aides de 1500 francs accordées à des candidats se destinant au doctorat. L’objectif est de « favoriser dans nos facultés des sciences et des lettres les recherches libres et désintéressées21 ». Le règlement du 31 mai 1886 relève en effet, dans son article 1, que « les bourses entretenues par l’État dans les facultés des sciences et des lettres sont de trois sortes : les bourses de licence, les bourses d’agrégation et les bourses d’études22 ». Les candidats aux bourses de licence doivent être âgés de 18 ans au moins et de 25 ans au plus (article 2), le règlement reprécisant l’ensemble des pièces à fournir et les modalités du concours. L’attribution des bourses d’agrégation occupe les articles 13 et 14. L’article 15 est consacré aux bourses d’études. « Les bourses d’études sont accordées sur la proposition de la faculté et après avis du Comité consultatif. » Le candidat doit joindre à sa demande une note indiquant les établissements auxquels il a appartenu, sa situation de fortune et les études auxquelles il s’est consacré et qu’il désire poursuivre. Il doit aussi communiquer ses travaux imprimés ou manuscrits et toutes les pièces de nature à faire apprécier ses aptitudes. La circulaire du 27 octobre 1896 relative aux bourses de licence relève qu’il ne s’agit pas uniquement de former des professeurs mais qu’il faut aussi assurer « la promotion de la science elle-même23 ». Par l’arrêté du 1er décembre 1897, Charles Péguy, licencié ès lettres, est ainsi nommé boursier d’études près de la faculté des lettres de Paris (1200 francs). Une lettre de l’inspecteur général Jules Gautier au ministre le 7 septembre 1896 signale :
« Conformément à vos instructions, j’ai invité Monsieur l’inspecteur d’académie d’Orléans à recueillir des renseignements sur Monsieur Péguy, élève de l’École normale supérieure (concours 1894), en congé à Orléans, qui se serait livré à des agissements politiques. Il me répond : “j’ai prié Monsieur Péguy de venir me trouver à mon bureau. Mais ce jeune homme était retenu par son service militaire et n’a pu jusqu’ici se rendre à mon invitation réitérée [...]. Voici donc ce que j’ai pu savoir concernant les agissements politiques de Monsieur Péguy. Au moment des dernières élections, le Comité socialiste d’Orléans fit de grands efforts pour obtenir d’être représenté au conseil municipal, non pas sur la liste d’union des comités républicains mais sur une liste particulière. Les socialistes voulaient se compter. Parmi les membres du comité était Vinciguerra, ancien répétiteur à Orléans, aujourd’hui au Mans et Monsieur Hais, un autre répétiteur déplacé depuis [...]. À cette époque, Monsieur Péguy fréquentait ces deux messieurs. Je crus prudent de le faire venir et de lui causer amicalement dans le but de lui faire sentir que ses demandes n’étaient pas indifférentes et qu’il aurait tort de faire de la politique active. Je le vis donc et il me parut tout de suite inutile d’insister auprès de lui pour modifier son attitude. D’une part, il était fortement engagé parmi les socialistes orléanais par ses amis ; d’autre part, il me parut avoir des doutes très arrêtés sur l’avenir des démarches socialistes. Il me déclara qu’étant, de sa profession, un philosophe, il tâchait précisément cette année d’étudier la philosophie allemande (et particulièrement le socialisme allemand). Il est donc un théoricien socialiste d’abord ; en outre, il tend à devenir un socialiste actif. La petite part qu’il semble avoir pris – sans grand succès d’ailleurs – au mouvement électoral peut l’avoir mis en goût de continuer. C’est un convaincu et il deviendra volontiers un apôtre. Telle est l’impression qui m’est restée de ma conversation avec Monsieur Péguy. Depuis lors, je n’ai guère entendu parler de lui [...]. J’ai su seulement qu’il s’est formé à Orléans un comité d’études sociales, que le programme de ce comité a été rédigé entièrement par un homme qui sort du commun et que l’on soupçonne Monsieur Péguy d’en être l’auteur24”. »
13Les débats sont vifs sur ce candidat repéré pour ses aptitudes mais aussi pour ses combats politiques. Le directeur de l’École normale supérieure avait écrit au ministre, le 18 octobre 1897, pour signaler la démission de l’ENS de Charles Péguy qui « a été forcé au mois de janvier de nous quitter. Il souffrait de maux d’yeux qui, au moindre essai de travail, occasionnaient de violentes douleurs de tête ». Une lettre du même directeur, Georges Perrot, au ministre le 12 novembre 1897, transmet la démission de l’École de l’étudiant Péguy mais demande le maintien de son droit à participer aux conférences et le non-remboursement de sa pension. Une lettre du ministre au directeur de l’ENS, le 15 décembre accepte cette démission de Péguy, élève de troisième année et la non-restitution à l’État du prix de pension.
14Dans la promotion 1898-1899 des boursiers d’études, on trouve le nom d’Émile Lubac, né en 1876, ancien de l’École normale supérieure, agrégé de philosophie (1898) qui veut poursuivre des recherches en psychologie. Une lettre de Georges Lyon, maître de conférences à l’École, datée du 8 octobre 1898, le recommande. « Un de mes élèves, tout récent agrégé, vous a, sur mon conseil, écrit pour vous faire part de son désir d’obtenir une bourse d’enseignement supérieur. Monsieur Lubac est un jeune philosophe d’avenir, un laborieux, épris de science, surtout de science expérimentale25 ». Henri Bergson écrit le même jour pour faire la même démarche. « Il désirerait pouvoir suivre certains cours de la faculté des sciences et de l’École de médecine, et se préparer ainsi aux études psychologiques auxquelles il se consacrera plus tard. J’ai eu Monsieur Lubac pour élève au lycée Henri IV ; je ne l’ai pas perdu de vue pendant ses deux premières années d’École normale. Je l’ai eu de nouveau pour élève à l’École normale en troisième année. Je crois pouvoir certifier que ses qualités de précision et de méthode, unies à une grande persévérance, le rendent particulièrement apte aux études spéciales qu’il désire entreprendre26. » L’étudiant, avec de tels soutiens, obtient une bourse de 1500 francs. Louis Liard écrit au recteur lillois, le 10 décembre 1898, pour lui signaler que par un arrêté de ce jour, « Monsieur Briot, agrégé des sciences naturelles, est nommé pour un an, à partir du 1er novembre 1898, boursier d’études près de la faculté des sciences de Lille. Monsieur Briot se propose de poursuivre des recherches au laboratoire de bactériologie sous la direction du professeur Calmette27 ». Au 1er janvier 1899, le registre national des bourses d’études en lettres relève 12 boursiers pour une somme totale de 16 500 francs (9 à Paris, 1 à Lyon, 1 à Montpellier et 1 à Toulouse)28. En 1900, le registre relève 12 boursiers d’études en lettres (9 à Paris, 1 à Bordeaux et 2 à Lyon). Sept sont des bourses de première année et cinq de seconde année. On relève une bourse à 1800 francs, dix à 1 500 francs et une à 750 francs pour un total de 17 550 francs. Dans la liste des titulaires, on retrouve Antoine Vacher, ancien normalien (1894-1897), agrégé d’histoire-géographie (1900) qui est appuyé par Paul Vidal de la Blache. Un « oui » très visible en rouge est inscrit sur la page du registre29. En 1901, le registre des bourses d’études en lettres (1er janvier 1901) relève 9 bourses (8 à 1500 francs et 1 à 1 800 francs, 8 à Paris et 1 à Lyon pour un total de 13 800 francs). On y retrouve Alfred Ernout, né en 1879, qui fut boursier de licence (1891-1900) puis d’agrégation (1900-1901) à la faculté des lettres de Lille. Il a fini major du concours d’agrégation de grammaire en 1901 et sa candidature est appuyée par un inspecteur général. André Koszul, né en 1878, boursier de licence pendant un an puis boursier d’agrégation pendant deux ans à Lille, reçu major de l’agrégation d’anglais en 1901, est également présent. Il est appuyé par l’inspecteur général Foncin30.
15En 1901-1902, le registre des lettres compte seize noms dont quinze bénéficient d’une bourse d’études à 1500 francs et un d’une bourse à 750 francs (13 à Paris, 1 à Bordeaux, 1 à Lyon et 1 à Nancy31). En 1903, ils sont désormais quinze boursiers dont quatorze à 1 500 francs et un à 750 francs. On peut relever parmi les noms, Raoul Blanchard alors étudiant à Lille sous la direction d’Édouard Ardaillon qui insiste sur « son zèle et son ardeur qui méritent le plus grand des éloges » et Maurice Halbwachs, boursier d’études à Paris après son succès à l’École normale supérieure puis à l’agrégation de philosophie. En 1903-1904, les boursiers d’études en lettres sont quinze pour une somme globale de 22 050 francs (1 boursier à 1 800 francs, 13 à 1500 francs et 1 à 750 francs). On y retrouve le prolongement de la bourse de Maurice Halbwachs ou Henri Pieron qui est préparateur au Laboratoire de psychologie expérimentale de l’École des Hautes études et travaille à une thèse de psychologie expérimentale. Son père est inspecteur général de l’Instruction publique avec deux enfants32. En sciences, le registre relève, au 1er janvier 1900, dix boursiers d’études (8 à Paris, 1 à Lille et 1 à Marseille ; 8 bourses à 1 500 francs et 2 à 750 francs). Au 1er janvier 1901, ils sont huit (6 à Paris, 1 à Bordeaux, 1 à Toulouse ; 7 à 1 500 francs et 1 à 750 francs)33. Le candidat lillois est Léopold Bisot, né en 1877, boursier de troisième année de licence qui veut se lancer dans des études de chimie. Son père est instituteur et a 4 enfants. Le registre pour 1901-1902, compte ensuite huit étudiants (1 à 1800 francs, 5 à 1 500 francs, 1 à 1 200 francs et 1 à 1 000 francs) dont cinq de Paris, un de Bordeaux, un de Lille et un de Rennes34. En 1902-1903, ils sont huit puis neuf en en 1903-1904. Lorsqu’est fondé le nouveau diplôme d’études supérieures, en lettres et en sciences qui vient s’intercaler entre l’année de licence et la préparation du concours d’agrégation afin d’en alléger certaines épreuves, des bourses d’études spécifiques apparaissent qui sont attribuées sur avis des enseignants et du doyen. Créé en 1886 mais optionnel, le DES est imposé pour l’agrégation d’histoire par l’arrêté du 28 juillet 1894 puis pour toutes les agrégations par l’arrêté du 18 juin 1904. La bourse permet à l’étudiant de réaliser cette nouvelle année de formation complémentaire qui s’articule essentiellement sur la rédaction d’un mémoire original de recherche. À la faculté des lettres de Lille, ces bourses sont au nombre de trois en 1905-1906 et huit en 1912-1913.
16Des bourses de département ou de ville, dont la création est appuyée par les pouvoirs publics dès 1877, apparaissent progressivement, même si l’on devine après 1900, une forme certaine de désengagement. Le doyen de la faculté des lettres de Douai, Abel Desjardins, dans son rapport du 3 novembre 1879 insiste sur le fait que le jury avait proposé en août dix noms d’étudiants dignes d’être boursiers mais que le ministère n’en a accordé que neuf dont un redoublant. Témoignant de son mécontentement, il signale cependant : « Nos démarches auprès des villes ont été bien accueillies. Douai a voté la création d’une bourse ; Dunkerque, Valenciennes et Boulogne-sur-Mer également. Cette dernière ville, sur notre proposition donne sa bourse au jeune Derocquigny, enfant fort recommandable du pays35. » Le maire d’Amiens écrit au recteur, le 17 décembre 1879 pour lui transmettre la délibération prise par le conseil municipal dans sa séance du 13 novembre dernier qui a accepté la création d’une bourse communale à la faculté des lettres de Douai et une autre à la faculté des sciences de Lille36. Par une dépêche du 13 août 1879, le doyen Desjardins avait sollicité le conseil municipal, insistant sur le fait que les professeurs de lycée ne sont plus tous d’anciens élèves de l’École normale mais que la carrière est ouverte aux bons élèves des villes qui pourront ainsi exercer près de chez eux. La décision du conseil municipal est ensuite renouvelée d’année en année, même s’il se montre vigilant dans le choix du titulaire. Le 23 juillet 1880, le conseil municipal est mécontent car « le jeune Lematte n’a pas répondu à la confiance dont vous l’aviez honoré ». Il est rayé des listes et sa bourse est attribuée à un nouvel étudiant37.
17Le préfet des Ardennes écrit au recteur, le 14 septembre 1881, pour lui annoncer que « le conseil général des Ardennes a maintenu au budget départemental pour le prochain exercice, la bourse de licence créée en 1880 ». Il en profite pour proposer le nom de l’heureux élu, élève au lycée de Charleville, « à la conduite irréprochable et aux succès exceptionnels [...]. Son père est tisseur et marchand épicier [...]. Il a trois enfants38 ». Les deux frères viennent de se marier et le père leur a donné 1 500 francs à chacun mais n’a plus aucune économie. Le conseil municipal de Dunkerque, dans sa délibération du 27 septembre 1881, accepte de poursuivre le paiement d’une bourse pour un étudiant de la faculté des lettres, décision prise le 5 septembre 1879. La municipalité de Douai avait fait de même le 26 juillet 1879 et reconduit ensuite sa subvention chaque année, tout comme Valenciennes à partir de la décision du 9 octobre 1879. Roubaix, Saint-Quentin et d’autres villes font de même. Dans la plupart des académies, apparaissent ainsi des bourses communales et départementales qui viennent étoffer le nombre des étudiants aidés.
La réforme de 1904 : un renforcement de l’élitisme républicain
18Si les ajustements sont nombreux, une réforme vient modifier de manière majeure l’attribution des bourses de licence ès lettres et ès sciences dans le but de renforcer le niveau d’exigence. Le décret du 10 mai 1904 instaure en effet un concours commun pour l’admission aux bourses de licence et pour l’admission à l’École normale supérieure. Réalisée avec l’objectif de donner aux facultés des boursiers de haut niveau, la réforme accentue le poids de Paris dans l’obtention des bourses et suscite le mécontentement des universitaires de province. Le rapport au président de la République, qui précède le décret, justifie la décision et la relie au décret du 10 novembre 1903 qui réorganise l’École normale supérieure et la rattache à l’Université de Paris39. L’idée est alors, comme les normaliens deviennent des étudiants un peu comme les autres, même s’ils offrent « de sérieuses garanties d’intelligence et de culture générale40 », de fédérer les deux concours qui visent tous les deux à recruter des enseignants pour le secondaire. Le recrutement actuel des boursiers de licence présente, selon le rapporteur, « des inconvénients qui ont provoqué déjà des plaintes nombreuses. Il a un caractère trop régional, malgré les épreuves communes imposées aux candidats. Il en résulte que, si parmi ces boursiers il s’en trouve d’excellents et qui le prouvent plus tard en disputant aux élèves de l’École normale les places aux diverses agrégations, il en est qui n’ont point fait d’études préliminaires assez fortes et qui, malgré leur intelligence et leur bonne volonté, s’en ressentent toujours ». Le rapporteur, Alfred Croiset, doyen de la faculté des lettres de Paris, relève : « Toute la question est de savoir si ce nouveau mode de recrutement donnera aux universités de meilleurs boursiers. Or cela ne saurait être douteux. En fait, le régime actuel donne des résultats médiocres. Le concours régional comporte d’extrêmes inégalités [...]. Les boursiers recrutés sur place sont souvent faibles41. » L’occasion est aussi saisie pour réformer les épreuves. « La connaissance du grec ne sera plus désormais exigée de tous les boursiers de la section des lettres. » De même, le thème latin remplace la composition latine à l’écrit.
19L’article 1er du décret du 10 mai 1904 décide qu’il « est ouvert chaque année, un concours commun aux candidats à l’École normale supérieure et aux bourses de licence près des facultés des sciences et des lettres. Le nombre des élèves à admettre à l’École normale est fixé chaque année par arrêté ministériel. Les bourses sont attribuées, dans la limite des crédits inscrits au budget, par bourses entières ou par fractions de bourse42 ». Le candidat doit être âgé, au 1er janvier de l’année du concours de dix-huit ans au moins et de vingt-quatre ans au plus. L’article 5 décide que « nul n’est admis à concourir plus de trois fois ». Les articles 6 à 16 précisent ensuite les épreuves et les modalités des décisions finales.
20Les épreuves écrites ont lieu aux sièges des académies mais les oraux se déroulent désormais à Paris. Les copies sont jugées par deux commissions, l’une pour les sciences et l’autre pour les lettres, nommées par le ministre. Les facultés ne corrigent donc plus les candidats inscrits chez eux. « À la fin des épreuves, chaque commission dresse, par ordre de mérite, la liste des candidats qu’elle juge aptes à être admis (article 15). Les bourses de licence ès lettres avec mention « lettres », « philosophie », « histoire » sont attribuées pour un an. Celles de la mention « langues vivantes » le sont pour deux ans. Les bourses de la licence ès sciences sont attribuées pour deux ans. Les boursiers de licence qui réussissent leur année, peuvent ensuite obtenir une bourse en vue des diplômes d’études supérieures, sur la proposition de la faculté et après avis du Comité consultatif de l’Enseignement public. Les boursiers qui réussissent leur DES peuvent ensuite demander une bourse d’agrégation pour un an. Des bourses de DES ou d’agrégation peuvent être attribuées à des candidats qui n’étaient pas auparavant boursiers de licence. « Les dispositions du présent décret sont applicables à partir de l’année 190543. »
Épreuves écrites | Épreuves orales | |
Lettres | 1) Une composition française de 6 heures (coefficient 3). | A) Épreuves communes : |
Sciences | A) Groupe I | B) Groupe I |
Sciences | B) Groupe II |
Tableau XXXIII. – Les épreuves du concours de l’ENS et des bourses de licence à partir de 1905.
21Le décret du 29 juillet 1905 vient ensuite modifier certaines épreuves en lettres afin de favoriser le contrôle de la maîtrise des langues vivantes44. Suite à la loi de finances du 8 avril 1910, qui rappelle les avantages accordés depuis mars 1808 aux élèves de l’École normale supérieure, et les accorde également aux boursiers de licence issus désormais du même concours, la circulaire du 14 avril 1910 précise que les boursiers de licence issus du concours commun institué par le décret du 10 mai 1904, ont droit, « devant la faculté à laquelle ils sont attachés, aux bénéfices des immunités accordées précédemment aux élèves de l’École normale [...], c’est-à-dire à la gratuité complète des droits exigés en vue de l’obtention de la licence45 ». Le décret du 24 juillet 1910 relatif aux boursiers nommés dans les facultés vient redéfinir les conditions précises de l’obtention de la prolongation d’une bourse qui peut aller jusqu’à 3 ou 4 ans dans certaines disciplines s’ils poursuivent leurs études en vue de l’agrégation. « Seront déclarés déchus de leur bourse : les boursiers [...] qui n’auront pas été reçus licenciés au plus tard à la session de novembre qui suivra la fin de leur première année de bourse [...], ceux qui n’auront pas obtenu le diplôme d’études supérieures au plus tard à la session de novembre qui suivra la fin de la seconde année des bourses46. » Un décret du 3 mars 1914 modifie l’article 9 du décret de mai 1904 et précise un nouveau choix dans les épreuves des groupes I et groupe II de la section des sciences47.
22Ce décret de 1904, tout en voulant se placer dans la continuité de la fondation républicaine de 1877-1880, marque une réelle rupture par cet amalgame fait entre le concours d’entrée à l’École normale supérieure et le concours des bourses de licence. La difficulté du concours est fortement accentuée et la porte se ferme pratiquement aux bons élèves sortant simplement des classes terminales des lycées. Il faut être rompu aux exercices des classes préparatoires aux grandes écoles pour affronter avec succès ce marathon d’épreuves. Ceci favorise les élèves des classes préparatoires et en particulier ceux des grands lycées parisiens, ce qui menace le recrutement régional des boursiers qu’assurait le système de 1877-1880. Les facultés perdent tout contrôle sur les épreuves et sur les propositions de nomination. On assiste à une vraie révolution dans les épreuves. En lettres, par exemple, le règlement du 3 juin 1880 organisait un écrit et trois oraux. L’arrêté du 8 mai 1882 était venu ajouter un second écrit (de six heures également). Par le décret de 1904 on passe à six écrits pour plus de 30 heures d’épreuves et à sept oraux qui testent la plupart des champs disciplinaires composant la « culture humaniste ». Cette réforme de 1904, à n’en pas douter, renforce le niveau d’exigence scientifique, même si l’article 2 demande à l’inscription « une note signée de lui, indiquant avec la profession de son père et la demeure de sa famille [...], un état certifié par le maire faisant connaître la situation de fortune de sa famille ». La bourse est attribuée sur critère d’excellence scolaire et la dimension sociale n’est qu’une variable d’ajustement entre candidats de même niveau.
23Cette réforme de 1904 est contestée en province où l’on dénonce les faveurs faites aux étudiants parisiens et à la Sorbonne. Léon Clédat, professeur à la faculté des lettres de Lyon en témoigne dans une synthèse parue en 1910 dans la Revue internationale de l’enseignement. Il s’agit d’une réponse critique à une Statistique officielle produite par la Section permanente du Conseil supérieur de l’Instruction publique de juillet 1910 qui justifie le décret de 1904. Pour lui, l’essentiel de ce qui est dit est mensonger. Certes, il n’est officiellement plus accordé de boursiers de licence, d’agrégation et de diplômes aux facultés de Paris, déjà surpeuplées. Mais, « c’est jouer sur les mots. Les normaliens sont des boursiers qui préparent successivement la licence, le diplôme d’études supérieures et l’agrégation, et comme depuis la réforme, les promotions annuelles sont de 57 élèves, il est accordé en réalité à l’Université de Paris, 57 boursiers de licence, 57 boursiers de diplôme et 57 boursiers d’agrégation, soit au total et annuellement 171 boursiers contre 159 attribués en 1909 à l’ensemble des universités des départements [...]. En moyenne, les facultés des sciences et des lettres de Paris reçoivent autant de boursiers que toutes les autres facultés des sciences et des lettres réunies, et il existe un concours spécialement destiné à trier pour Paris la meilleure des deux moitiés48 ». Certes la province avait 104 boursiers en 1904 pour 159 en 1909 mais, note Léon Clédat, il s’agit d’une illusion statistique car les bourses duraient quatre ans contre trois années en moyenne actuellement. Dans le même temps, on a multiplié les fractionnements de bourse en réduisant les bourses complètes. Un bon nombre d’excellents candidats aux concours des bourses partent désormais pour l’École normale supérieure. Il propose de réduire la promotion de la section des lettres de l’École normale supérieure de Paris de 35 à 28 places. La faculté des lettres de Paris qui compte 3000 étudiants y perdrait 7 élèves pour chacune des trois années soit 21 en tout ; « elle n’en serait guère gênée puisqu’elle se plaint, non sans raison, de la surabondance de sa clientèle mais les facultés de province y gagneraient 21 bons étudiants ce qui n’est pas, pour elles, une quantité négligeable49 ». Rien ne devait être revu avant 1914.
Les bourses dans les facultés professionnelles : une réalité insignifiante ?
24Le système des bourses touche à un degré moindre les facultés professionnelles en excluant dès le départ les facultés de droit, qui recrutent un public nombreux mais aussi plus aisé. Le règlement du 5 novembre 1877 intègre cependant dans le processus les facultés de médecine et les écoles supérieures de pharmacie. L’arrêté du 29 juin 1878 concernant les bourses dans les facultés de médecine et dans les écoles supérieures de pharmacie, fixe le calendrier des épreuves au 15 octobre. « Les sujets des épreuves seront adressés par le ministre aux doyens et directeurs sous pli cacheté50. » Un arrêté et une circulaire du 15 novembre 1879 relatifs aux bourses de doctorat pour les facultés de médecine51, modifie les arrêtés des 5 novembre 1877 et 29 juin 1878.
« Article 1er : Les bourses de doctorat en médecine sont données au concours pour une année. Les concours ont lieu au siège des facultés.
Article 2 : Le concours comprend deux épreuves : une épreuve écrite et une épreuve orale. Trois heures au plus sont accordées à l’épreuve écrite. L’épreuve orale ne peut durer plus d’un quart d’heure pour chaque candidat. Le mérite de chacune des épreuves, écrite et orale, sera exprimé en chiffres de 0 à 20.
Article 3 : Les candidats s’inscrivent au secrétariat de l’Académie dans laquelle ils résident. Ils doivent être Français et âgés de 18 ans au moins et de 28 ans au plus [...]. Article 4 : Les candidats pourvus de grades de bachelier ès lettres et de bachelier ès sciences restreint, qui ont subi chacun de ces examens avec la note bien, pourront obtenir une bourse de première année.
Article 5 : Sont admis à concourir : a) Les candidats qui ont subi avec la note bien le premier examen probatoire prévu par l’article 3 du décret du 20 juin 1878. Les épreuves porteront sur la physique, la chimie et l’histoire naturelle médicales ; b) Les candidats pourvus de 8 inscriptions qui ont subi avec la note bien le premier examen probatoire et qui justifieront de leur assiduité aux exercices pratiques. Les épreuves porteront sur l’ostéologie, l’arthrologie et la minéralogie ; c) Les candidats pourvus de 12 inscriptions qui ont subi avec la note bien la première partie du second examen probatoire ; les épreuves porteront sur l’anatomie, la physiologie et l’histologie ; d) Les candidats pourvus de 16 inscriptions qui ont subi avec la note bien la deuxième partie du second examen probatoire. L’épreuve écrite portera sur la pathologie interne et externe... »
25Une fois les épreuves passées, les recteurs transmettent au ministre les propositions de la faculté en y joignant les compositions, les procès-verbaux avec les notes et le classement. Par cet arrêté, la bourse de doctorat est réduite à une année désormais.
26Le règlement du 20 novembre 1879 concernant les bourses de pharmacien de première classe vient lui aussi préciser les modalités d’attribution52. « Les bourses de pharmacien de 1ère classe sont données au concours pour une année. Les concours ont lieu au siège des écoles supérieures de pharmacie et des facultés mixtes de médecine et de pharmacie » (article 1er). Le concours comprend deux épreuves : une épreuve écrite (3 heures) et une épreuve orale qui ne peut durer plus d’une demi-heure pour chaque candidat. Ici également, « les candidats pourvus de grades de bachelier ès lettres et de bachelier ès sciences restreint, qui ont été admis à ces grades avec la note bien, pourront obtenir une bourse de première année » (article 4). Seront admis à concourir les candidats pourvus de 4, 8 ou 12 inscriptions et qui auront subis avec la note « Bien » les examens de fin de 1er, de 2e et de 3e année. Seront en outre admis à concourir les pharmaciens de 1re classe aspirant au diplôme supérieur » (article 5). L’arrêté du 24 décembre 1891 vient ensuite modifier certains points du règlement de 1879 relatif aux bourses de doctorat en médecine en revoyant les règles du droit à candidature et surtout les épreuves, le processus étant aussi réalisé par un autre arrêté du même jour pour les études de pharmacie53. D’autres textes, en particulier les arrêtés des 31 juillet 1893, du 9 janvier 1896, 8 décembre 1896 et 14 décembre 1897 apportent de nouvelles modifications. Les arrêtés du 8 décembre 1898, du 15 février 1900, du 22 avril 1902 puis du 1er décembre 1906 viennent ainsi réactualiser le concours des bourses de médecine en fonction des novations opérées dans les études elles-mêmes.
27Le registre du concours de l’année 1896, conservé aux Archives nationales, relève le volume des crédits pour 1895-1896 qui est de 25 200 francs soit 35 bourses réparties entre les facultés de médecine : Paris (12 600 francs, 17 bourses), Bordeaux (600 francs, 1 bourse), Lille (2 400 francs, 3 bourses), Lyon (2 400 francs, 4 bourses), Montpellier (4 200 francs, 6 bourses), Nancy (1 800 francs, 2 bourses) et Toulouse (1 200 francs, 2 bourses)54. Pour les bourses de pharmacie, les crédits disponibles en 1895-1896 (17 400 francs pour 22 bourses) sont répartis de la manière suivante : Paris (12 000 francs, 16 bourses), Lille (2 400 francs, 2 bourses), Lyon (600 francs, 1 bourse), Montpellier (600 francs, 1 bourse) et Toulouse (1 800 francs, 2 bourses)55. En médecine, le registre des bourses, au 1er janvier 1905, répartit les 18 000 francs de crédits entre 29 boursiers : Paris (7 200 francs, 11 boursiers), Bordeaux (3 000 francs, 5 boursiers), Lille (1 800 francs, 3 boursiers), Lyon (4 800 francs, 8 boursiers), Toulouse (1 200 francs, 2 boursiers). En Pharmacie, les 9 600 francs sont partagés entre 16 boursiers : Paris (7 200 francs, 12 boursiers), Lille (600 francs, 1 boursier), Lyon (600 francs, 1 boursier), Nancy (600 francs, 1 boursier) et Toulouse (600 francs, 1 boursier). Les candidats sont peu nombreux et le registre de 1905 relève, selon le nombre d’inscriptions prises, très peu de propositions des facultés. En médecine, Lyon propose ainsi deux boursiers de première année (un retenu) et Toulouse en propose un, fils d’un proviseur décédé prématurément et dont la veuve reste seule avec ses enfants, le recteur insistant pour qu’il soit retenu, ce qui est fait avec une bourse de 600 francs. Dans les candidats à quatre inscriptions, on compte 7 propositions des facultés (3 à Paris, 1 à Bordeaux, 2 à Lille et 1 à Toulouse) pour six candidats retenus (2 à Paris, 1200 et 600 francs), un à Bordeaux (600 francs), deux à Lille (600 francs) et un à Toulouse (600 francs). Dans les candidats à huit inscriptions, ils sont dix-sept (6 à Paris, 2 à Bordeaux, 2 à Lille, 1 à Lyon et Montpellier et 5 à Toulouse) pour onze boursiers au final (6 à Paris (600, 1200,600, 600, 600, 600 francs), 1 à Lyon (600 francs) et 5 à Toulouse (5 fois 600 francs). Les bourses à douze inscriptions connaissent six propositions (2 de Paris, 1 de Bordeaux et 3 de Lyon) pour cinq élus (1 à 600 francs à Paris, 1 à 600 francs à Bordeaux et les 3 Lyonnais à 600 francs). Enfin, les bourses pour les étudiants qui ont déjà 16 inscriptions, ont trois candidats proposés pour trois reçus : un à Paris (600 francs) et deux à Bordeaux (600 francs).
28Les documents conservés sur la faculté de médecine-pharmacie de Lille ne permettent pas d’être très précis sur la présence des boursiers. Le doyen Combemale, dans son rapport sur l’année 1903-1904, note que « les bourses mises par l’État à la disposition des élèves méritants et peu fortunés ont été attribuées à MM. Bricout, Lheureux, Gahlinger, Tramblin et Gugelot56 ». Il y a donc cinq lauréats cette année-là. En 1907-1908, le doyen relève 3 boursiers de l’État en médecine, un en pharmacie et quatre boursiers départementaux dont un en pharmacie. En 1911-1912, les boursiers sont onze sur 428 étudiants (2,5 %) puis neuf sur 450 en 1912-1913 (2 %). Ils sont quatorze sur 432 étudiants en 1913-1914 dont 11 boursiers de l’État (8 en médecine et 3 en pharmacie) pour trois boursiers des départements (1 en médecine, 1 en chirurgie dentaire et 1 en pharmacie).
Le boursier : une figure ambivalente dont la présence demeure très relative
29Célébré par le camp républicain, le boursier est attaqué par le camp conservateur qui voit en lui un danger pour la société. Au-delà de ces deux discours antithétiques, il est alors important de pouvoir mesurer le poids réel des boursiers dans les effectifs et les facultés douaisiennes puis lilloises serviront ici d’étude de cas.
Le boursier : une figure célébrée ou détestée
30Pour les républicains au pouvoir, opportunistes puis radicaux, la figure du boursier est l’incarnation fondamentale du principe méritocratique alors que pour l’opposition conservatrice, il est un danger qui déracine la jeunesse de son milieu originel.
31La République installée a en ligne de mire la fondation d’une nouvelle société dans laquelle le principe d’égalité soit mis en pratique57. Le système scolaire doit alors devenir un instrument de promotion sociale et non un outil de reproduction des classes dirigeantes. Dans son discours de la Salle Molière, le 10 avril 1870, Jules Ferry avait traité, devant les membres de la Société pour l’éducation primaire, de « l’égalité d’éducation : Condorcet », expliquant le plan éducatif du marquis. « L’inégalité d’éducation est, en effet, un des résultats les plus criants et les plus fâcheux, au point de vue social, du hasard de la naissance. Avec l’inégalité d’éducation, je vous défie d’avoir jamais l’égalité des droits, non l’égalité théorique, mais l’égalité réelle58 ».Célestin Bouglé dans sa thèse, Les idées égalitaires, soutenue en 1899, montre le cheminement chaotique de l’égalité et l’accélération de son incarnation sous la IIIe République59. Normalien de la promotion 1890, agrégé de philosophie (1893), il reçoit ensuite une bourse d’études d’un an pour aller étudier en Allemagne. Professeur en lycée, il est ensuite maître de conférences en philosophie à la faculté de Montpellier (1898) puis à celle de Toulouse et de Paris en 1908. Dans sa thèse, il se propose de traiter en sociologue de l’avènement des idées égalitaires. L’idéal démocratique des sociétés modernes, celui de « l’égale dignité de tous les individus », est inscrit dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. « Peu d’idées semblent plus vivantes aujourd’hui, plus agissantes et passionnantes que l’idée de l’égalité des hommes60. » Le sentiment de la valeur propre à chaque individu lui paraît être un élément essentiel des idées égalitaires. « L’individualisme est, en ce sens, une pièce maîtresse de l’égalitarisme. L’idée de la valeur commune aux hommes n’écarte nullement, mais appelle au contraire, l’idée de la valeur propre à l’individu [...]. En d’autres termes, dans un esprit qui déclare les hommes égaux, le sentiment qu’ils sont semblables, n’exclut nullement le sentiment qu’ils sont différents61. » Dès lors, l’une des fonctions de l’École est de détecter les aptitudes exceptionnelles pour en faire les élites de la nation. Les figures de boursiers conquérants sont nombreuses et servent d’exempla à la République pour personnaliser l’idéologie méritocratique qu’elle veut montrer en acte. Édouard Herriot, député, sénateur, maire de Lyon, ministre à de nombreuses reprises, futur président du Conseil, est issu d’une famille modeste où le père, ancien combattant des campagnes d’Italie de Napoléon III, est lieutenant d’infanterie. Élève de l’école communale de Saint-Pouange, à quelques kilomètres de Troyes (Aube), il bénéficie de l’aide de son oncle, curé de la commune, qui lui fait apprendre le latin en même temps que le français. Il va ensuite au collège puis au lycée et c’est là que se produit la rencontre déterminante :
« Dans la classe de rhétorique dirigée par un excellent maître, Monsieur Lambert, l’inspecteur général Glachant vient d’entrer [...]. “Herriot, expliquez un passage du Pro Milone. Prenez à cet endroit” [...]. Je traduisais de mon mieux [...]. Le bon inspecteur général m’interrogeait, m’invitait à préciser le sens des mots, l’origine des termes [...]. L’explication terminée, M. Glachant m’offrait une bourse au collège Sainte-Barbe pour me préparer à l’École normale supérieure62. »
32À la fin des grandes vacances de l’année 1887, Édouard Herriot prend alors le chemin de Paris et du collège Sainte-Barbe. Admis au concours de l’École normale supérieure en 1891, il devient enseignant, réussissant l’agrégation des lettres en 1894. Dénonçant les deux filières scolaires socialement ségrégées, il devait lutter pour une réelle démocratisation de l’accès au secondaire. « Ayant bénéficié d’une bourse dont je n’étais point honteux, je cherchais à faire profiter l’ensemble des enfants d’un avantage que j’avais dû au hasard63. »
33Sur la gauche de l’échiquier politique, le boursier est certes accepté mais il est jugé insuffisant. Jean Jaurès (1859-1914) loue ainsi la figure du boursier même s’il critique la parcimonie avec laquelle la république bourgeoise délivre ses faveurs64. Issu d’une famille bourgeoise désargentée, boursier au collège de Castres, Jean Jaurès est remarqué par l’inspecteur général Félix Deltour en 1876 et obtient une bourse d’internat pour préparer au collège Sainte-Barbe le concours d’entrée à l’École normale supérieure. Reçu premier en 1878, il est agrégé de philosophie en 1881 puis docteur ès lettres en 1892. Collaborateur de La Dépêche de Toulouse mais aussi de la Revue de l’enseignement primaire et primaire supérieur, Jaurès estime que les bourses ne sont pas un remède suffisant à l’inégalité scolaire. Dans L’Humanité du 7 août 1906, il réagit au récent congrès de la Ligue de l’enseignement à laquelle il reproche de ne pas lier question scolaire et question sociale :
« C’est une grande pensée de réaliser l’unité de l’enseignement, de donner à tous, fils de pauvres ou fils de riches, les mêmes moyens de développement intellectuel. Tous passeront par la même école élémentaire, et c’est ensuite par leur effort, par leur travail, par leur intelligence, que les meilleurs parviendront aux degrés supérieurs du savoir. La conclusion pratique de ces vues, c’est l’unité de l’école, sa gratuité absolue à tous les degrés, au supérieur comme au primaire, et le concours substitué à l’arbitraire de la naissance et de la fortune pour la promotion des intelligences. Soit ; mais cette science supérieure que la société aura permis au fils du prolétaire de conquérir, comment l’utilisera-t-il ? [...]. Quand il entrera dans la vie, c’est le capital qui disposera de toutes les fonctions économiques. C’est le fils du riche patron qui dirigera l’usine, même si ses connaissances techniques sont inférieures à celles du prolétaire, ou qui choisira les seuls ingénieurs dévoués au capitalisme. C’est le fils du grand propriétaire qui dirigera le grand domaine, même s’il connaît beaucoup moins l’agronomie théorique et pratique que le fils éduqué du paysan [...]. Il y a des degrés dans l’enseignement parce qu’il y a des classes dans la société. Supprimer les classes sociales dans l’organisation scolaire sans les supprimer dans la société elle-même, ce sera créer une dysharmonie de plus65. »
34Il faut donc que tout effort pour atténuer les inégalités dans l’enseignement s’accompagne d’un effort équivalent pour réduire ces inégalités dans la vie sociale. On sait également que Ferdinand Buisson, à la Chambre des députés, en 1910, parlait « d’exceptions consolantes » en évoquant les boursiers.
35Pour une grande partie de l’opinion conservatrice, en particulier pour les partisans du mouvement royaliste de l’Action française animé par Charles Maurras, mais aussi pour les nationalistes proches de Maurice Barrès, le boursier est l’incarnation des vices profonds de la République qui fabrique, au nom d’un égalitarisme béat, des déracinés, qui en quittant leur milieu social d’origine, sont promis à une vie de déchéance. Dans l’esprit de Maurice Barrès, l’aveuglement des Français dans l’Affaire Dreyfus, est en grande partie lié au dévoiement de nombreux enseignants qui sont devenus les adeptes d’une idéologie méritocratique destructrice de l’ordre établi, se référant en permanence à un kantisme malsain qui les fait examiner le monde à partir de règles théoriques universelles. Dans sa trilogie, Le roman de l’énergie nationale, la première partie, intitulée Les Déracinés66 (1897), décrit le parcours raté de sept élèves du lycée de Nancy, fortement influencés par leur professeur de philosophie, Paul Bouteiller, issu d’un milieu modeste et entré à l’École normale supérieure grâce aux bourses. Cet enseignant leur prêche à longueur de cours les idées kantiennes et l’égalitarisme républicain si bien qu’ils décident, pour leur plus grand malheur, de le suivre à Paris. Racadot et Mouchefrin, les élèves les plus modestes, deviennent des assassins. Cette figure littéraire de Paul Bouteiller est largement inspiré, Jean-François Sirinelli l’a montré, par Auguste Burdeau qui fut brièvement le professeur de philosophie de Barrès au lycée de Nancy67. Né en 1851, il doit sa promotion à ses brillantes études en tant que boursier au lycée de Lyon, l’inspecteur Charles Glachant l’orientant ensuite vers le concours de l’École normale supérieure qu’il obtient en 1870. Agrégé de philosophie (1874), il est nommé à Nancy pour la rentrée de 1879 et a comme élève Maurice Barrès jusqu’à la fin janvier 1880 avant de rejoindre le lycée Saint-Louis de Paris. Nommé directeur de cabinet du ministre Paul Bert, il est ensuite député du Rhône, ministre de la Marine et des Colonies puis des Finances (1892-1893). Vice-président de la Chambre des députés (27 février 1892), il devient le 3 juillet 1894, président de la Chambre des députés mais décède le 12 décembre 1894 à l’âge de 43 ans. Si, pour les partisans de l’École de Jules Ferry, Auguste Burdeau incarne les vertus du système méritocratique, pour les milieux conservateurs, il représente l’archétype du boursier déraciné.
« Fils d’un ouvrier de Lille, remarqué à huit ans pour son intelligence précoce et studieuse, il avait obtenu une bourse jusqu’à l’École normale d’où il sortit premier. Enlevé si jeune à son milieu naturel et passant ses vacances mêmes au lycée, orphelin et réduit pour toute satisfaction sentimentale à l’estime de ses maîtres, il est un produit pédagogique, un fils abstrait de la raison, étranger à nos habitudes traditionnelles, locales ou de famille, tout abstrait et vraiment suspendu dans le vide68. »
36Ce « sans famille », pétri d’idées universelles, ne peut se raccrocher à rien sinon à sa carrière et devient sectaire. « Déraciner ces enfants, les détacher du sol et du groupe social où tout les relie pour les placer hors de leurs préjugés dans la raison abstraite, comment cela le gênerait-il, lui qui n’a pas de sol, ni de société, ni, pense-t-il, de préjugés69 ? » L’action de cet enseignant est néfaste pour ses élèves. « Le lycée de Nancy avait coupé leur lien social naturel ; l’Université ne sut pas, à Paris, leur créer les attaches qui eussent le mieux convenu à leurs idées innées, ou plus exactement aux dispositions de leur organisme [...]. Chacun d’eux porte en son âme, un Lorrain mort jeune et désormais n’est plus qu’un individu70. » Si les cinq premiers disciples de Paul Bouteiller, d’origines bourgeoises, s’en sortent après des années de débauche, les deux plus humbles, issus du peuple et parachutés par leurs bourses dans l’enseignement secondaire puis supérieur, connaissent la misère et le vice. À Paris, Racadot, « petit-fils de serf lorrain, hâtivement introduit, juxtaposé plutôt parmi ces jeunes capitalistes71 », vit très mal sa descente dans les enfers de la misère, tout comme son camarade Mouchefrin. Maurice Barrès note alors à propos de Racadot : « C’est vrai qu’envers ce jeune paysan, l’État a assumé un rôle si providentiel pendant ses années universitaires, et lui a donné des notions si exagérées de la place occupée dans le monde par les idées de droit, de justice, de devoir, qu’il reçoit une tape un peu trop forte quand il se trouve soumis à la grande loi pratique72. » Racadot, ruiné, endetté pour faire vivre son journal, finit sur l’échafaud, étant reconnu coupable du meurtre d’Astinée Aravian alors que son complice Mouchefrin, après avoir ruiné sa famille, connaît la misère. Comme Barrès le note dans ses Cahiers, pour l’année 1898 : « Il faut surveiller l’Université. Elle contribue à détruire les principes français, à nous décérébrer. Sous prétexte de nous faire citoyen de l’humanité, elle nous déracine de notre sol, de notre idéal aussi73. »
37Charles Maurras et l’Action française74 s’en prennent également en permanence aux intellectuels et en particulier aux universitaires qui diffusent une idéologie universaliste imbue des principes de 1789. Dans son Enquête sur la monarchie (1900), qui se veut une démonstration scientifique accumulant les preuves du recours nécessaire au roi, Maurras constate que « l’enseignement d’État, celui-là même qui est donné dans les plus hautes chaires, concourt à développer chez les jeunes gens soit le plus complet désintéressement de la chose publique, soit les idées révolutionnaires toutes pures, en sorte que nos facultés des lettres sont le séminaire de l’anarchisme ou celui du dilettantisme75 ». Il faut réaffirmer les traditions françaises fondées sur les humanités classiques en luttant contre l’esprit de la Réforme, de la Révolution et du Romantisme. Il dénonce les mensonges de l’hagiographie républicaine qui fait commencer l’histoire de France en 1789, tout en menant la lutte contre les idées philosophiques venues d’Allemagne qui diffusent une forme de théorie panthéiste. Pour Maurras, la monarchie a toujours évité de fonder « des fabriques de déclassés76 » en favorisant l’hérédité professionnelle.
« Il s’agit d’utiliser les aptitudes particulières, spéciales et techniques qui sont fixées à quelque degré par le sang mais surtout par la tradition orale et par l’éducation. Il ne s’agit point du degré de ces aptitudes mais de leur qualité ou, si l’on veut, de leur orientation coutumière. On comprend que des individus déjà différenciés par l’exercice d’un métier produisent, en général et en moyenne, des individus différenciés et, pour ainsi dire, polarisés dans le même sens. On naît juge ou marchand, militaire, agriculteur ou marin, et, lorsqu’on est né tel ou tel on ne se trouve, en outre, point seulement par nature, mais encore par position, plus capable d’accomplir d’une façon utile la fonction correspondante : un fils de diplomate ou de commerçant trouvera dans les entretiens de son père, dans le cercle de sa famille et de son monde, dans la tradition et la coutume qui l’envelopperont et qui le soutiendront, les vivants moyens d’avancer plus rapidement que tout autre soit dans le commerce soit dans la diplomatie [...]. Par le triple jeu de l’hérédité physique, civile et économique, la nature fabrique donc un commerçant ou un diplomate plus vite, à moins de frais et plus parfaitement qu’elle ne le ferait dans une race de vignerons ou de militaires77. »
38L’État démocratique cependant encourage les migrations professionnelles. « Nos hommes spéciaux se forment à moins bon compte, ils arrivent beaucoup plus tard et enfin ils sont faits d’une étoffe infiniment moins résistance qu’autrefois. » Il faut laisser faire la nature. « Lorsqu’il lui plaît de faire naître un homme de guerre chez de paisibles magistrats ou un marin sur une souche de vignerons, la vocation nouvelle est marquée assez fortement, elle est servie par une volonté assez ferme pour que toutes les résistances soient brisées78. » On devine ici en filigrane la condamnation des bourses qui viennent contrarier les lois naturelles de sélection.
39La thématique du déracinement par les études, en particulier pour les boursiers, devient un objet littéraire avec Paul Bourget. Compagnon de route de l’Action française, proclamé « prince de la jeunesse79 » par Charles Maurras, Paul Bourget devient l’un des spécialistes du « roman à thèse » avec Le disciple (1888) puis avec L’étape (1902)80. La religion et la famille sont les fondements de l’ordre social mais sont menacées par le régime républicain qui mène une politique anticléricale et affirme un égalitarisme utopique. Les classes sociales sont le résultat d’un héritage transmis de génération en génération par la famille et l’appartenance de classe d’un individu devient ainsi, autant que son appartenance familiale, une donnée « naturelle » chez Paul Bourget qui condamne l’idéologie méritocratique républicaine qui pense pouvoir effacer les distinctions sociales rapidement. Dans L’étape, Paul Bourget décrit le parcours de Jean Monneron, étudiant au quartier latin. « Jean était le fils d’un professeur de rhétorique au lycée Louis-Le-grand et lui-même boursier d’agrégation de philosophie à la Sorbonne81 ». Le père de Jean est le fils d’un modeste cultivateur ardéchois. Ancien boursier, il a suivi de brillantes études du lycée de Lyon à l’École normale supérieure. « Arrivé grâce aux concours à se déclasser par en haut, sa carrière offrait le type accompli du développement que préconisent les doctrinaires de notre démocratie. L’ancien boursier devenu, à la force du poignet, un fonctionnaire important, ne devant rien qu’à lui-même et à l’État82. » Cet universitaire radical et libre-penseur a élevé ses enfants hors de toute religion, refusant de leur enseigner des « hypothèses invérifiées ». Jean Monneron aime Brigitte Ferrand, la fille d’un collègue, grand adversaire de son père, professeur lui aussi au lycée Henri IV, mais issu d’une famille de propriétaires terriens angevins, « un des chefs les plus en vue de la philosophie catholique dans l’Université83 ». Dénonçant « les faux dogmes de 1789 », Victor Ferrand est prêt à donner sa fille à Jean mais si le mariage est religieux et si lui-même se convertit. Jean n’ose en parler à son père et préfère donc renoncer à son amour. Jean ouvre son cœur à Monsieur Ferrand qui lui explique :
« Tout le malaise que vous me décrivez ne vient ni de lui, ni de vous. Il vient de ce que votre famille ne s’est pas développée d’après les règles naturelles. Vous êtes des victimes, lui et vous, de la poussée démocratique telle que le comprend et le subit notre pays où l’on a pris pour unité sociale l’individu. La grande culture a été donnée trop vite à votre père et à vous aussi. La durée vous manque, et cette maturation antérieure de la race, sans laquelle le transfert de classe est trop dangereux. Vous avez brûlé une étape et vous payez la rançon de ce que j’appelle l’erreur française84. »
40Le fils aîné, Antoine Monneron, le favori du père, est employé au Grand Comptoir, dans la banque, mais il mène une vie de plaisirs, fréquentant les champs de courses, les théâtres et les salons, se faisant aussi entretenir par sa maîtresse. Il contracte des dettes, fait des faux en écriture. Le père Monneron est mis au courant mais se révèle incapable de comprendre « ce total écroulement du château de chimères85 ». Antoine joue au casino, fait de faux chèques et se retrouve en cour d’assise. « Sans frein religieux et sans appui du milieu86 », il paye le déracinement de sa famille ne réussissant pas à être autre chose qu’un « jouisseur et un arriviste ». La fille de Joseph Monneron, Julie, doute elle aussi de sa vocation, elle qui n’a connu que les livres. « Son déraisonnable de père prétendait remplacer l’efficace et vivante force de la foi religieuse » par la raison. « À quoi bon avoir goûté les poètes, appris l’histoire de l’art, connu la finesse de la pensée libre, si toute cette culture doit se résumer dans des préparations d’examens pour entrer à Sèvres, d’examens pour en sortir et avec cet horizon : l’aride et pauvre carrière d’un professeur femme dans un lycée de jeune fille87. » Julie est l’amante d’un jeune étudiant d’origine noble, Adhémar de Rumesnil, « libertin déjà blasé88 » qui tient peu à elle mais qui prête de l’argent à Antoine. « Il y avait six semaines qu’elle se savait enceinte89. » Après bien des tourments, et avoir raté le concours de Sèvres, elle rencontre son amant et lui dit la vérité mais il lui propose d’avorter alors qu’il doit aussi partir pour Berlin. Julie tente alors de tuer son amant puis de se suicider mais Rumesnil la désarme, une balle lui fracassant la main alors que Julie est touchée par une balle à la poitrine. « Le suborneur s’était retrouvé l’homme de bonne race et qui se comporte fermement dans le danger90. » Il se bande lui-même la main et va chercher un médecin. Il accepte aussi de laisser croire à un accident. Dans le même temps, son frère Antoine, à cours d’argent, la fait chanter lui ayant subtilisé des lettres d’amour et menace de les donner au père si elle ne lui trouve pas de l’argent. Jean décide alors de dire la vérité au père qui est anéanti. Jean lui déclare alors :
« Nous sommes tous, toi le premier, des déplantés, des déracinés ; nous n’avons pas de milieu [...]. Antoine a été élevé au lycée, lui pauvre, avec des garçons riches. Il a frôlé le luxe tout jeune et les plaisirs [...]. Julie, elle, a lu, trop tôt, trop de livres. Ils ont éveillé en elle des appétits d’émotion qui lui ont fait paraître insupportable la carrière d’institutrice à laquelle tu la destinais91. »
41Le père Monneron après avoir beaucoup réfléchi, se décide à aller chez les Ferrand. Il rencontre Brigitte qui lui dit son amour pour Jean, puis Victor Ferrand avec lequel il discute longuement, ce dernier acceptant que Jean ne se convertisse pas s’il promet d’accepter une cérémonie religieuse et de respecter la liberté de culte de sa femme et de ses futurs enfants. Dans les dernières pages du roman, Jean retrouve la foi et reçoit de son père la permission de se convertir. Ferrand s’en réjouit : « Vous pouvez réussir maintenant où votre père a échoué et fonder une famille bourgeoise. »
« Il n’y a pas de transfert subit de classes et il y a des classes du moment où il y a des familles [...]. Pour que les familles grandissent, la durée est nécessaire. Elles n’arrivent que par étapes. Votre grand-père et votre père ont cru, avec tout notre pays depuis cent ans, que l’on peut brûler l’étape. On ne le peut pas. Ils ont cru à la toute-puissance du mérite personnel. Ce mérite n’est fécond, il n’est bienfaisant que lorsqu’il devient le mérite familial92. »
42Comme le relève Jean-François Sirinelli, « durant les premières décennies de la IIIe République, coexistent donc deux discours antithétiques. Le premier voit dans le système scolaire la clé de voûte d’une nouvelle architecture sociale et l’élément décisif d’une consolidation de la République. Le second y discerne au contraire un facteur de perversion sociale et de dissolution nationale93 ».
Les boursiers à la faculté des lettres de Douai-Lille : une présence limitée
43Si la critique de la figure du boursier est tenace, il faut cependant insister sur le fait que sa présence réelle dans les facultés demeure limitée. Les facultés académiques, lettres et sciences, longtemps dépourvues d’étudiants, voient leurs effectifs augmenter progressivement entre 1870 et 1914, les réformes républicaines des années 1880-1896 favorisant la préparation des examens et des concours. Selon Louis Liard, sur 3 700 étudiants inscrits dans les facultés des lettres et des sciences en 1888, 620 seulement jouissent d’une bourse ou d’une portion de bourses soit 16,75 %. À Paris en 1889-1890, sur les 1100 étudiants de la faculté des lettres, il n’y a en tout que 66 boursiers (50 pour l’agrégation et 16 pour la licence94) soit 6 % du total. L’analyse de la représentativité des boursiers au sein d’une institution provinciale, celle de Douai-Lille, qui devient rapidement l’antichambre de Paris dans les carrières enseignantes, permet de mesurer cette relative présence.
44Le doyen de la faculté des lettres de Douai, Abel Desjardins, écrit au recteur, le 21 novembre 1877 :
« Monsieur le Ministre nous invite à lui désigner dans les plus brefs délais les jeunes gens qui nous semblent dignes d’obtenir des bourses de l’enseignement supérieur [...]. Dès à présent, je pourrais présenter deux candidats qui me paraissent présenter les titres les plus sérieux95. »
45Il demande cependant du temps pour démarcher ses collègues et les familles. Le recteur douaisien écrit au ministre, le 1er décembre 1877 pour lui signaler que la faculté des lettres a classé trois candidats par ordre de mérite. L’arrêté ministériel du 31 décembre 1877 désigne ensuite six boursiers pour la faculté douaisienne dont les trois proposés. Le rapport du même doyen, le 3 novembre 1879, relève que pour l’année antérieure (1878-1879), la faculté avait huit boursiers. Pour l’année à venir (1879-1880), le ministère a accordé neuf bourses, le doublant reconduit inclus96. Le doyen, dans son rapport du 19 juillet 1882, relève que le concours a été ouvert le 12 juillet et clos le 15 juillet. 23 candidats se sont affrontés pour les bourses de licence, « Georges Lefèvre finissant premier avec 60,5 points97 ». Une lettre du directeur de l’Enseignement supérieur au doyen, le 29 août 1882 l’informe qu’il a décidé de reconduire quatre bourses de licence à des étudiants de l’an dernier alors qu’une autre lettre du même jour décide de retenir six nouveaux boursiers issus du concours : deux en lettres, deux en philosophie (dont Georges Lefèvre) et deux en histoire98. Un courrier du doyen, daté du 28 juillet 1882, relève 16 boursiers d’agrégation (13 de l’État et 3 du département ou des villes) et 23 boursiers de licence (15 de l’État et 8 des villes) dans ses effectifs99. Pour l’année 1885-1886, une statistique précise, contenue dans les papiers du Rectorat douaisien, permet d’évaluer la présence des boursiers. En sciences, le doyen relève 119 étudiants dont 31 boursiers d’État et 4 boursiers de ville. Il y a donc au total 35 boursiers soit 29,4 % des effectifs totaux. Six sont en agrégation et 29 en licence100. Á la faculté des lettres, le doyen réalise le même travail101. La faculté de Douai compte en décembre 1885, 212 étudiants signe d’une nette progression depuis l870 où elle en avait moins de 50.

Tableau XXXIV. – Les étudiants de la faculté des lettres de Douai en décembre 1885.
C.A.L.V. : Certificats d’aptitudes à l’enseignement des langues vivantes.
46La grande majorité des étudiants demeure cependant encore des salariés (67 étudiants) et des correspondants qui rendent les devoirs par courrier (109 cas). Au total 176 étudiants sont soit salariés soit correspondants, ce qui souvent doit revenir au même. C’est 83 % des effectifs. Les étudiants libres sont encore très peu nombreux (12) et l’on devine alors toute l’importance stratégique des boursiers pour constituer le public captif et disposant de temps pour travailler les consignes des enseignants. Les boursiers sont 24 soit 11,3 % des effectifs. Les 15 boursiers de l’État sont rejoints par 9 boursiers des villes ou des départements.
47À la faculté des lettres de Lille, les étudiants libres ne sont que 21 en 1888-1889, soit 11,2 % du total des effectifs. Ils sont 123 en 1913-1914, soit 34,84 %. Il s’agit, le plus souvent, d’enfants des familles bourgeoises, trop aisées pour avoir droit à une bourse, et qui n’ont pas besoin d’exercer une activité salariée pour se payer leurs études. Il s’agit aussi parfois de gens d’un certain âge, retraités ou rentiers n’ayant plus besoin de diplôme mais qui viennent suivre certains cours pour leur culture personnelle. L’autre vivier important est celui des étudiants salariés. En 1894-1895, ils sont 122, soit plus de 40 % du total des inscrits à la faculté des lettres. En 1912-1913, ils représentent encore 145 personnes soit 41 % du total. Ces salariés sont des enseignants, des répétiteurs et des maîtres d’études qui viennent à la faculté parfaire leur formation ou préparer un concours ou un grade leur permettant d’obtenir une promotion. S’y ajoutent un certain nombre d’instituteurs ou de professeurs qui préparent les concours d’inspection du primaire et de professorat dans les EPS. Il faut ajouter à ces chiffres, les étudiants inscrits comme correspondants et qui, le plus souvent, sont aussi des salariés. Dans ce cas, c’est 95 personnes en 1888-1889 (52,7 % du total) qui peuvent être déclarées salariés. En 1914, on atteint alors 59,7 % du total.

Tableau XXXV. – La répartition des étudiants de la faculté des lettres de Lille par catégories de 1887 à 1913.
48Face à ces deux blocs massifs d’étudiants, libres ou salariés, les boursiers ne représentent qu’une minorité, atteignant au maximum 14,6 % de l’effectif et 3,9 % lors des plus basses eaux. Durant les années 1887-1914, le nombre des boursiers reste assez stable avec 17 à 27 unités par an. Licence et agrégation exclusivement accueillent ces boursiers jusqu’en 1902-1903 où apparaît pour la première fois un boursier d’études en doctorat. En 1905-1906, apparaissent ensuite des boursiers de DES.
49Pour l’année 1888-1889 par exemple, parmi les 187 étudiants de la faculté des lettres de Lille, 59 ne suivent les cours que par correspondance alors que 128 viennent plus ou moins fréquemment suivre les cours à la faculté. Parmi ces étudiants réellement présents, 35 sont en cours d’agrégation (dont 4 boursiers de l’État et 1 boursier de ville, pour 2 étudiants libres et 28 salariés déjà en poste comme enseignant). 45 préparent la licence (12 boursiers de l’État, 3 boursiers de ville pour 10 étudiants libres et 20 salariés de l’Instruction publique, maîtres auxiliaires ou répétiteurs). 48 étudiants préparent les certificats d’aptitudes à l’enseignement en lettres ou en langues102. Les boursiers sont donc vingt soit 10 % des effectifs. En 1892-1893, la faculté compte 239 étudiants dont 165 suivent les cours et conférences (61 en agrégation, 38 en licences et 68 pour les certificats d’aptitude) alors que 74 sont correspondants (19 pour l’agrégation, 17 pour la licence et 38 pour d’autres formations en particulier les certificats d’aptitudes). Les boursiers sont 24 soit 10,04 % des effectifs globaux : 10 en agrégation (9 boursiers d’État et 1 boursier des Ardennes), 14 en licence (8 boursiers d’État et 6 boursiers de villes : Lille, Amiens, Boulogne et Saint-Quentin)103. Les boursiers occupent ainsi une place fondamentale dans la population qui vient réellement en cours. C’est ainsi que dans les préparations aux agrégations, sans tenir compte des correspondants, on compte 61 étudiants certes mais 47 sont professeurs en poste et 2 sont répétiteurs soit 49 salariés. Les boursiers sont 19 et les étudiants libres 2. Le nombre maximum de boursiers est atteint en 1894-1895 avec 27 boursiers : 15 en agrégation (État), 12 en licence (11 d’État et 1 de la ville de Lille)104.
50Pour l’année 1905-1906, le nouveau doyen Georges Lefèvre relève 216 étudiants dont 189 suivant les cours et conférences (36 à l’agrégation, 7 pour le diplôme d’études supérieures nouvellement imposé aux agrégatifs, 46 en licence et 100 dans les autres formations) et 27 élèves correspondants105. Sur ces 216 étudiants inscrits, il relève 20 boursiers d’État dont 12 en agrégation, 3 en DES et 5 en licence. À partir d’octobre 1905 apparaît ainsi une nouvelle catégorie de boursier, le boursier de DES. On remarque en fait qu’à partir de cette année, le nombre des boursiers de licence à tendance à diminuer, l’État transférant une partie des aides dans l’année supérieure de formation. En 1912-1913, la faculté des lettres compte 353 étudiants dont 288 suivant les cours et conférences (1 en doctorat, 27 en agrégation, 25 en DES, 63 en licence, 172 dans les autres formations) et 65 correspondants. Les boursiers sont 19 : 7 en agrégation (pour 4 étudiants libres et 16 professeurs et répétiteurs du ressort), 8 en DES (pour 5 étudiants libres et 12 professeurs et répétiteurs du ressort) et 4 en licence (pour 30 étudiants libres et 29 professeurs ou répétiteurs du ressort)106.
51Les autorités administratives lilloises ne cessent de réclamer davantage de boursiers. Le doyen Paul Dupont, dans son rapport sur l’année 1902-1903, signale que les effectifs étudiants ont baissé du fait de « la suppression escomptée du service militaire réduit et des difficultés croissantes de se frayer un chemin dans l’enseignement ». Il insiste alors sur la place des boursiers : « Je crois devoir renouveler le vœu qu’il nous soit attribuer un plus grand nombre de boursier d’agrégation ; ils sont nécessaires à la faculté, non point seulement par le bon renom que leur succès procure à notre Université, mais aussi et surtout parce qu’ils sont, dans la masse des étudiants, le sel et le levain107. » Le doyen Lefèvre lui aussi, en 1911-1912, regrette les faibles effectifs de boursiers : « Les bourses de licence et d’agrégation jouent un rôle important, essentiel même, dans cette situation favorable. Sans elles, nous ne serions pas seulement privés de quelques-uns des meilleurs éléments de notre recrutement, nous manquerions encore du ferment qui fait lever toute la pâte. Mais il ne semble pas que cette institution procure, en ce qui concerne Lille, tous les effets qu’on serait en droit d’attendre. Le contingent des boursiers de licence qui nous est accordé reste minime108. » Le discours méritocratique républicain est donc une réalité de ces années 1887-1914 au sein de la faculté des lettres de Lille, même si cette réalité reste limitée. Les boursiers représentent au plus 14,6 % mais le plus souvent entre 10 et 5 % des effectifs étudiants.
Les boursiers à la faculté des sciences de Lille : une faible présence ?
52À la faculté des sciences, le premier boursier est nommé le 31 décembre 1877 en la personne de Théogène-Louis Tacquet, aspirant répétiteur au lycée de Rouen qui arrive à la faculté le 18 février 1878. Le recteur de l’académie de Douai envoie le 18 novembre 1878 son rapport sur le concours qui « a eu lieu le 11 courant pour les bourses de licences de la faculté des sciences de Lille [...]. La faculté reste actuellement à cinq boursiers dont deux pour la licence en sciences mathématiques, un pour la licence en sciences physiques et deux pour la licence en sciences naturelles109 ». Le doyen, dans son rapport du 19 juillet 1882 fait de nouveau le bilan du concours des bourses de licence. Il y a eu seize candidats dont sept en mathématiques (5 classés), sept en sciences physiques (4 classés) et deux en sciences naturelles (2 classés). Sur les onze classés, le directeur de l’Enseignement supérieur, le 16 septembre 1882, décide de retenir comme boursiers sept étudiants (3 en mathématiques, 2 en sciences physiques et 2 en sciences naturelles) alors que trois anciens sont prolongés110. Pour l’année 1884, le rapport du doyen relève, le 3 juillet, vingt-cinq présents au concours (14 candidats en mathématiques, 9 en physiques et 2 en sciences naturelles). Il propose onze noms en mathématiques, sept en physique et un en sciences naturelles111. Le dépouillement des rapports annuels du doyen de la faculté des sciences de Lille, entre 1888 et 1914, permet de dresser la statistique suivante qui isole les boursiers de l’ensemble des étudiants inscrits.
Années | Total des étudiants | dont boursiers | % de boursiers |
1888-1889 | 112 | 31 | 27,6 % |
Tableau XXXVI. – La répartition des étudiants de la faculté des sciences de Lille de 1888 à 1914.
53On retrouve à la faculté des sciences de Lille le lent mais net déclin de la part représentée par les boursiers. Ces derniers occupent une place fondamentale dans le renouveau des années 1880 et du début des années 1890 puis leur part décline irrémédiablement. Ils représentent 27,6 % des effectifs de la faculté en 1888-1889 avec 31 boursiers et représentent encore 13 % des effectifs en 1893-1894 avec 16 unités. Ils ne forment plus ensuite que 1,4 à 5 % des effectifs selon les années jusqu’à la Première Guerre mondiale, leur part étant d’ailleurs nettement plus faible qu’à la faculté des lettres. Cette mise en minorité extrême s’explique par deux raisons : la hausse globale du nombre des étudiants inscrits, en particulier des étudiants libres et des salariés, qui relativise la place des seuls boursiers. Dans le même temps, le nombre des bourses attribuées à la faculté est aussi à la baisse. L’année 1894-1895 avec onze boursiers n’est dépassée qu’à une seule reprise jusqu’à la Guerre. L’arrivée des étudiants du PCN (décret du 31 juillet 1893 qui instaure une année d’études conduisant au certificat d’études physiques, chimiques et de sciences naturelles), étudiants en médecine à qui l’on impose une année préparatoire de formation scientifique, où il n’y a pas de bourses de licence, est aussi l’une des causes de cette baisse des pourcentages.
54Le rapport du doyen sur l’année 1888-1889 relève 25 élèves correspondants pour 87 étudiants suivants les cours et conférences. Ils sont 26 en mathématiques (3 en agrégation et 23 en licence), 41 en sciences physiques (7 en agrégation, 34 en licence) et 20 en sciences naturelles (13 de licence et 7 autres). Sur ce total, le document isole 31 boursiers (soit 27,6 % des effectifs). Sur les 31 boursiers, on en compte 24 de l’État et 6 boursiers de ville (3 pour Lille, 1 de La Madeleine, 1 de Saint-Quentin et 1 de Boulogne-sur-Mer). 23 boursiers sont en licence, 7 en agrégation et la faculté n’a qu’un seul boursier d’études en sciences naturelles112.
55Au tournant du siècle, les candidats d’ailleurs semblent être moins nombreux. En 1897, le concours des bourses de licence a six candidats (4 en mathématiques et deux en sciences physiques) et tous sont proposés par la faculté113. Le doyen Gosselet, le 19 juillet 1898, ne relève que quatre candidats (deux en mathématiques, un en sciences physiques et un en sciences naturelles) et les quatre sont jugés dignes d’être boursiers114. Le rapport du doyen, le 17 juillet 1899 ne relève plus que deux candidats pour les bourses de licence, les deux étant proposés115. En 1910-1911, la faculté des sciences de Lille compte 228 étudiants dont 90 en licence, 4 en agrégation de mathématiques et 7 en agrégation de sciences physiques. Les boursiers sont 9 soit 03,9 % des effectifs mais leur place est stratégique pour certaines préparations. Sur les 4 agrégatifs de mathématiques, 3 sont boursiers d’État alors que le quatrième est un professeur du ressort. Les autres boursiers sont un agrégatif de sciences physiques, un étudiant de DES et quatre étudiants de licence. En 1911-1912, les boursiers sont douze. On compte 4 boursiers d’État pour l’agrégation de mathématiques, 2 boursiers d’État pour celle de sciences physiques, un boursier d’État pour l’agrégation des sciences naturelles. La faculté compte également 3 boursiers de DES mais n’a plus que deux boursiers de licence sur 97 étudiants présents à la préparation de ce grade. Les bourses sont désormais tournées vers l’agrégation, le besoin en licenciés étant beaucoup moins important.
Quelques « boursiers conquérants » des facultés septentrionales
56Les facultés lilloises assurent la promotion de quelques boursiers conquérants. C’est ainsi qu’en lettres, quelques boursiers sont appelés à devenir des « figures » de l’université française. Paul Collart, né le 24 novembre 1878 à Conflans, est d’abord boursier au lycée de Charleville. Fils d’un petit négociant, il obtient son baccalauréat en 1897 et commence des études supérieures à la faculté des lettres de Lille comme boursier de licence puis d’agrégation. Agrégé de grammaire en 1903, docteur en 1931, il a une carrière universitaire brillante. Enseignant dans divers lycées de 1904 à 1928, il entre dans le supérieur comme suppléant de Pierre Jouguet à la Sorbonne en 1928. Maître de conférences de langue et littérature grecques, le 1er janvier 1933, il est nommé professeur de papyrologie en 1936. Floris Delattre est aussi un boursier conquérant lillois. Né à Haisnes en 1880, il est le fils d’un petit clerc de notaire116. Boursier de licence à la faculté de 1899 à 1901, boursier d’agrégation de 1901 à 1904, admis premier au concours de 1904, il devient maître de conférences en 1912 à la faculté lilloise. Professeur de langue et littérature anglaises en 1920, il obtient ensuite sa mutation pour la Sorbonne en 1928. Georges Lefèvre, Jules Derocquigny et André Koszul ou Alfred Ernout, sont également des boursiers de la faculté avant d’en devenir des enseignants. Le recteur de Douai écrit ainsi au ministre, le 16 juillet 1883 pour lui signaler le cas Georges Lefèvre (1862-1929), qui a fini premier au concours des bourses de licence de 1882 et qui a obtenu sa licence ès lettres dans la foulée117. Il devait occuper la chaire de la science de l’éducation à la faculté (1899-1913) puis la chaire de philosophie tout en étant le doyen de son institution entre 1906 et 1929.
57Dans le registre national des bourses d’études de l’année 1902-1903, on retrouve Alfred Ernout avec un avis favorable daté du 2 août 1902 et cette remarque : « a suivi les cours de l’École des hautes études ». Dans une lettre au ministre du 26 juin 1902, l’étudiant demandait le renouvellement de sa bourse pour l’année 1902-1903 afin de suivre de nouveau les cours de l’École des hautes études et du Collège de France, en particulier ceux de Michel Bréal. Né à Lille en 1879, c’est un ancien boursier d’agrégation de la faculté lilloise dont le père, petit représentant de commerce, est décédé. Il a été élève du lycée de Lille (1890-1898) puis étudiant de la faculté de Lille de 1898 à 1901 où il a obtenu sa licence et l’agrégation118. Les professeurs lillois soutiennent leur étudiant. Henri Chamard (littérature française) note : « élève intelligent, très capable de bien faire pour peu qu’il soit plus régulier ». Pierre Jouguet (philologie) est plus critique : « a trop l’habitude de compter sur sa facilité d’esprit. C’est un jeu qui pourrait lui être funeste. Néanmoins, c’est un élève intelligent qui peut réussir ». Médéric Dufour (littérature grecque) relève qu’il n’a qu’à « se louer de son travail » et le professeur Dautremer (littérature latine) fait de même. Paul Dupont (littérature française) et Émile Thomas (littérature latine) appuient sa candidature : « Les devoirs remis étaient bien supérieurs à moyenne. »
58Raoul Blanchard, futur patron de la géographie alpine et professeur à la faculté des lettres de Grenoble, est aussi boursier d’études à la faculté lilloise avant la soutenance de sa thèse le 6 mai 1906 sur La Flandre, étude géographique de la plaine flamande. Hippolyte Luc (1883-1946), pupille de la nation, ancien boursier du lycée Louis-le-Grand, boursier d’agrégation de philosophie à Lille, soutient le 17 décembre 1906 son DES à la faculté. Il devait ensuite devenir enseignant, réussir l’agrégation de philosophie en 1913 et devenir inspecteur d’académie avant d’occuper le poste de directeur de l’Enseignement technique entre 1933 et 1944. Le meilleur exemple reste cependant Georges Lefebvre. Né à Lille, le 6 août 1874, fils d’un comptable, il est boursier communal au lycée de Lille. En 1892, il obtient le baccalauréat de l’enseignement spécial. L’année suivante, il obtient le baccalauréat classique. Boursier de licence et d’agrégation à la faculté des lettres de Lille (1893-1898), il échoue une première fois à l’oral de l’agrégation (1898) mais réussit le concours l’année suivante. D’octobre 1898 à octobre 1924, il enseigne l’histoire en lycée puis entre dans l’enseignement supérieur comme maître de conférences à Clermont-Ferrand. Il vient en effet de soutenir sa thèse sur Les paysans du Nord pendant la Révolution. Professeur sans chaire en 1925, il part ensuite pour la faculté de Strasbourg où il devient professeur d’histoire contemporaine en 1933. En 1935, il entre à la Sorbonne où il est d’abord maître de conférences. Il est nommé professeur d’histoire de la Révolution Française, le 1er mars 1937.
59Quant aux filles, leur présence dans le corpus des boursiers avant 1914, est attestée mais pour quelques rares étudiantes. Mademoiselle Jeanne Raison, lauréate de l’agrégation masculine de grammaire au concours 1912, major de promotion, a ainsi fait toute sa formation à la faculté des lettres, en licence (étudiante libre en 1908-1909) puis comme boursière de DES (1909-1910) et boursière d’agrégation (1910-1912). Son père, Louis Raison, est un ancien lauréat de la faculté, boursier de licence puis agrégé de grammaire en 1892 et longtemps enseignant au lycée de Tourcoing tout en étant chargé de cours à la faculté lilloise. La faculté des sciences de Lille assure elle aussi la promotion de quelques boursiers parmi lesquels on peut relever Léopold Bisot, né en 1877, ancien boursier d’agrégation puis boursier d’études (1901-1902), fils d’un instituteur ayant 4 enfants et futur professeur de mathématiques à l’École des Arts et Métiers de Lille. Paul Lemoult, professeur de chimie à la faculté des sciences de Lille, décédé dans l’explosion de la fabrique de produits chimiques et d’explosifs de La Palice en mai 1916, est aussi un ancien boursier d’études des facultés. Lucien Cayeux (1864-1944), fils d’un cultivateur et d’une ménagère, élève du collège d’Avesnes-sur-Helpe, est boursier de licence à la faculté lilloise (1886-1887) avant d’être professeur de géologie à l’École des mines puis au Collège de France (1912-1936).
Le boursier : fils du peuple ou enfant du sérail ? Réalité et limites de la méritocratie
60La figure du boursier conquérant n’est pas qu’une figure de style alimentant la propagande républicaine et s’incarne dans un certain nombre de cas concrets, individus bien présents dans les amphithéâtres. Ce « bon levain » reste cependant distribué à dose homéopathique, ne représentant qu’une faible minorité des effectifs étudiants. Cette minorité est-elle pour autant originaire du peuple alors que les nombreuses épreuves liées au concours des bourses sélectionnent une élite qui se doit de maîtriser les fondements de la culture classique ou scientifique ?
Une élite sur-sélectionnée : l’échelon local
61Le vivier fondamental de recrutement pour les bourses de licence est, jusqu’à la réforme de 1904, celui des très bons élèves des classes terminales de lycée et collèges avant qu’il ne soit davantage celui des élèves des classes préparatoires aux grandes écoles préparant l’École normale supérieure. Entre 1877 et 1914, l’enseignement secondaire, payant tout au long du cursus, demeure en grande partie réservé aux fils et filles de la bourgeoisie et de certaines classes moyennes, même s’il fait une place aux boursiers. Il ne faut pas oublier que les boursiers de licence sont sélectionnés par concours et que les boursiers d’agrégation sont proposés par les facultés mais doivent avoir fait leurs preuves en licence. Dans les premières années, les étudiants qui osent candidater sont peu nombreux et le ministre mobilise ses troupes dans une circulaire du 24 mai 1883 pour le concours des bourses de licence :
« Il faut que l’instruction la plus élevée soit vraiment accessible à tout élève de mérite, quelle que soit l’insuffisance de ses ressources personnelles. Vous donnerez à cet arrêté la plus grande publicité dans les lycées et collèges de l’académie [...]. D’après les résultats du dernier concours, il me paraît que, dans quelques académies, les avantages que donnent les bourses sont très peu connus. Il est impossible, si les jeunes gens sont prévenus, que, dans le ressort qui compte cinq départements, il se présente à peine quelques candidats119. »
62Le ministre avait déjà insisté l’année précédente, dans sa circulaire du 4 juin 1882, sur la nécessité de faire connaître les concours, notant également que les facultés ont le devoir « de ne pas présenter de candidats qui selon toute vraisemblance n’arriveront pas à obtenir la licence en deux ans120 ». Une nouvelle circulaire signée René Goblet, datée du 20 mai 1885, vient rappeler les règles en vigueur. « Chaque jury doit être composé de trois membres121. » En sciences, trois jurys sont nécessaires (mathématiques, sciences physiques et sciences naturelles). En lettres, il faut veiller à avoir des professeurs spécifiques pour l’épreuve de spécialité mais il ne faut pas survaloriser la note de spécialité. « L’esprit du concours des bourses de licence ès lettres est d’exiger de tous les candidats la preuve de sérieuses connaissances classiques. Au début des études d’enseignement supérieur, la spécialité ne peut venir que de surcroît. » La situation de fortune doit également être vérifiée.
63Le rapport du doyen de la faculté des lettres de Douai, daté du 10 juillet 1883, fait le bilan du concours des bourses de licence de l’année 1883. « Le concours ouvert le mardi 3 juillet a été terminé le samedi 7 juillet 1883. Le jury était composé de MM. Abel Desjardins, président, Courdaveaux, Moy, Thomas et Penjon. » Vingt-et-un candidats se sont présentés mais l’un d’entre eux s’est retiré après la première épreuve. Le jury a alors classé par ordre décroissant les vingt étudiants et propose d’en retenir douze122. Le major de la promotion est Charles Leroy, né en 1862, fils d’un débitant de boisson, bachelier ès lettres et ès sciences des facultés parisiennes. Il est maître auxiliaire au lycée de Douai et déjà inscrit à la faculté où il a échoué à la licence de philosophie. Il cumule 93 points alors que le dernier du concours en a 45,5. Il a eu 15 à la composition française et 18 à la composition latine et les oraux ont été très bons : 14 (explication d’un auteur français : Pascal), 14 (explication d’un auteur latin : Lucrèce), 18 (explication d’un auteur grec : Aristophane). Il a aussi eu 14 à l’oral de spécialité en philosophie sur « la raison123 ». Le rapport du doyen des lettres, daté du 15 juillet 1892, fait le bilan du concours des bourses de licence de 1892 qui a eu lieu les 1er, 2 et 4 juillet. Huit candidats seulement se sont présentés. Ils étaient 18 en 1887 et 1888, 23 en 1889, 17 en 1890 et 18 en 1891. Il trouve une explication à cette baisse dans « la difficulté de placement qu’éprouvent les boursiers quand ils sortent de leurs deux années de bourses, même avec la licence ». Les places ne sont plus aussi nombreuses dans les collèges et les lycées et beaucoup redeviennent répétiteurs. « Les candidats se disent que ce n’est peut-être pas la peine de vivre très petitement avec 1200 francs et d’avoir à travailler dur pour arriver à ce résultat124. »
64Dans son rapport du 4 juillet 1898, le doyen lillois, Auguste Angellier, note :
« J’ai l’honneur de vous adresser ci-dessous les résultats du concours des bourses de licence ouvert les 28 et 29 juin devant la faculté des lettres. 12 candidats étaient inscrits : 5 pour les lettres, 1 pour l’histoire, 3 pour l’allemand et 3 pour l’anglais [suivent les 12 noms]. Sur ces 12 candidats, deux seulement, MM. Tirlemont et Faucheux ont semblé au jury tout à fait insuffisant ; deux autres, MM. Hélias et Ameline ont déjà un certain acquis et le jury serait heureux qu’une bourse dans un lycée permît à M. Ameline de compléter ses études par une année de rhétorique supérieure. Les huit autres candidats méritent vraiment d’être proposés pour une bourse. Trois d’entre eux peuvent être mis à part et classés au-dessus de leurs concurrents et en particulier pour la supériorité de leur composition française (M. Collart), de leur composition latine (M. Dupire), de leur examen en anglais (M. Fleuriant). Le jury a été embarrassé pour le classement des cinq suivants : MM. Constant, Prévost, Ernout, Bordier, Hérisson, candidats d’un mérite à peu près égal. Il les juge tous les cinq dignes d’obtenir une bourse. Toutefois, le jury insiste pour que le jeune Constant, étudiant près de la faculté, qui s’est fait remarquer par un travail assidu et de notables progrès, soit nommé boursier à Lille. Dans l’ensemble, l’examen a été très satisfaisant et supérieur à la moyenne. Voici le détail des notes obtenues par les candidats proposés pour une bourse. »

Tableau XXXVII. – Résultats du concours des bourses.
A : Dissertation latine ; B : Dissertation française ; C : Explication orale latine ; D : Explication orale française ; E : Explication orale grecque ; F : Épreuve orale spéciale (en langue vivante pour les futurs étudiants en langue).
65Les candidats non classés ont obtenu les notes suivantes : MM. Ameline (pour l’histoire, élève du lycée de Saint-Quentin : 65 points), Hélias (pour l’anglais, étudiant à la faculté : 60), Tirlemont (pour les lettres, élève au lycée de Lille : 41) et Faucheux (pour l’anglais, ex-étudiant de la faculté : 36)125.
66Le major du concours, Paul Collart totalise 98 points sur 120 possibles obtenant une moyenne de 16,3. L’espoir du doyen est cependant vite déçu car une lettre de Louis Liard, le 2 août 1898, annonce que les boursiers retenus sont trois (deux en lettres et un en anglais126).
La seconde étape : La sélection ministérielle
67Plusieurs registres conservés aux Archives nationales permettent de reconstituer les étapes qui aboutissent au choix des boursiers, tout en connaissant mieux leur profil sociologique. Devant chaque nom, on trouve dans un tableau en colonnes le lieu et la date de naissance du candidat, le nombre de points réunis au concours, la situation professionnelle du père, une indication de ses revenus et, indiqué au crayon rouge le plus souvent, la décision finale du ministère (« nommé boursier à 1500 francs »). Une étude exhaustive sur la longue durée est à opérer que nous n’avons pu mener et qui est un sujet de recherche en soi. Nous prenons deux années du concours des bourses de licence ès sciences et ès lettres à savoir 1893 et 1904 afin de mesurer la sélectivité des épreuves et des décisions finales du ministère.
68Le tableau récapitulatif ci-dessous permet de mesurer la forte déperdition de candidats qui s’opère entre ceux qui se présentent devant les jurys dans les facultés, ceux qui sont proposés par ces jurys et, troisième temps, ceux qui sont réellement nommés par le ministère. Pour le concours 1893, les candidats en sciences sont 125, toutes facultés réunies, mais les facultés ne proposent que 73 noms au ministère (58,4 %) qui retient 34 étudiants. C’est 46,5 % des étudiants proposés mais 27,2 % des étudiants qui ont passé les épreuves. En lettres, les étudiants proposés sont 108, représentant 52,9 % des 204 étudiants ayant passé les épreuves. Au final, les « élus » sont 65 soit 60 % des proposés mais 31,86 % des candidats de départ. En 1904, les chiffres demeurent assez proches dans leurs effectifs globaux même si le pourcentage de réussite est désormais plus élevé, le rapport entre le nombre de candidats et celui des bourses délivrées étant plus favorable. C’est d’ailleurs ce qui fait dire au ministère que le concours des bourses ne permet plus d’isoler une véritable élite, argument qui devait être à l’origine de la profonde réforme du concours par le décret du 10 mai 1904. En sciences, les facultés proposent 88 des 128 candidats aux épreuves (68,75 %) alors que le ministère en retient 52 soit 59 % des proposés et 40,6 % des candidats. En lettres, les facultés proposent 66 noms sur les 121 candidats aux épreuves alors que le ministère retient 55 noms soit 83,3 % des proposés et 45,5 % des candidats dans les facultés. Les boursiers sont donc bien une élite sur-sélectionnée par leurs aptitudes intellectuelles et leur maîtrise précoce des valeurs, des contenus et des méthodologies que l’université exige de ses membres dans leur culture humaniste ou scientifique.

Tableau XXXVIII. – Les concours des bourses de licence ès sciences et ès lettres en 1893 puis en 1904 selon les registres des Archives nationales127.
C : candidats dans les facultés ; P : candidats proposés comme boursiers par les facultés ; D : décision finale du ministère ; – : lacune dans la documentation.
« Tel père, tel fils » ? Les origines socio-professionnelles des boursiers
69L’examen des dossiers de demandes de bourses doit cependant relativiser le discours républicain. À côté de l’État Civil, des grades, des établissements fréquentés, un feuillet est réservé aux notes obtenues au concours des bourses. Dans cette copie doit se trouver une feuille de la mairie du lieu de résidence des parents où sont consignés les revenus et l’activité professionnelle du couple. Ces pièces financières ont malheureusement le plus souvent disparu. Les renseignements que l’on peut glaner montrent qu’une part importante des candidats admis aux bourses de licence sont des « enfants du sérail », fils de principaux, d’instituteurs en retraite, de maîtres-répétiteurs ou de professeurs. Il y a certes promotion par la bourse et le diplôme mais celle-ci est accessible, avant toute chose, aux enfants du milieu enseignant et de l’administration, même si les enfants des classes moyennes, de l’artisanat et du commerce sont aussi assez représentés. Pour passer le cap des épreuves, il vaut mieux être habitué aux exercices littéraires ou scientifiques, ce qui ne peut que favoriser les enfants des membres de l’Instruction publique. Comme le montre Claude Thélot pour une période plus proche128, les analyses demeurent délicates à mener du fait de la complexité de l’étude des parcours intergénérationnels mais aussi du flou qui existe dans les dénominations professionnelles, sachant également que les carrières sont évolutives. Dans une circulaire du 20 mai 1885, René Goblet vient rappeler les règles dans l’organisation du concours, insistant sur la nécessité de bien vérifier la situation de fortune des candidats.
« Les bourses ne sont pas des primes mises au concours. Les pouvoirs publics, en les créant, ont voulu ouvrir l’accès des études supérieures à des jeunes gens distingués mais sans fortune. Si la première condition pour les obtenir est de faire preuve de capacité, il faut encore qu’on en ait besoin. Aussi ne saurai-je trop vous recommander de recueillir sur la situation de fortune de chaque candidat les renseignements les plus précis et les plus circonstanciés. Le Comité ne saurait se contenter de la déclaration des candidats [...]. Il faut que cette déclaration soit contrôlée par l’administration129. »
70Il n’en demeure pas moins que cette volonté entre rapidement en contradiction avec la pratique d’un concours très sélectif qui exige des acquis littéraires et scientifiques nombreux et précoces. Il faut également, bien évidemment, tenir compte de l’important « écrémage » qui a été opéré par les études secondaires payantes, elles-mêmes très sélectives à la fois scolairement et socialement. Antoine Prost a montré que dans le secondaire, en 1911, 51 % des bourses distribuées le sont à des fils de fonctionnaires contre 20 % seulement à des fils de cultivateurs, artisans et ouvriers. Entre 1892 et 1895, le pourcentage des fils de fonctionnaires parmi les boursiers s’élève même à 59 %130. Dès lors, l’enseignement supérieur accentue encore le phénomène. De nombreux courriers attestent de l’existence de boursiers aux origines modestes mais dont le père est souvent familier des métiers de la culture. Par une lettre au ministre, datée du 18 septembre 1879, Jean-Baptiste Rousseaux réussit à émouvoir le Conseil consultatif qui décide de l’accepter comme boursier.
« J’ai toujours eu l’intention d’entrer comme professeur dans l’Université. Mon père est instituteur public dans une petite commune du département des Ardennes. Il exerce depuis 27 ans et va prendre prochainement sa retraite. J’ai fait mes études au collège de Charleville où j’ai remporté certains succès dans ma classe et aux concours académiques. J’ai obtenu la seconde partie de mon baccalauréat ès lettres à la session de juillet dernier avec la mention Bien. Le 4 août suivant, j’ai concouru à Douai pour une bourse de licence. J’ai été classé 10e sur la liste des candidats admis par le jury mais 9 bourses seulement ont été distribuées [...]. Mon père a consenti à faire encore ce lourd sacrifice mais je précise qu’il ne pourra pas longtemps subvenir aux frais de mon séjour dans cette ville avec ses seuls revenus d’instituteur [...]. De sorte que, d’un jour à l’autre, je crains de devoir renoncer aux études et à ma vocation131. »
71Le doyen de la faculté des sciences de Lille présente le 3 juillet 1883 son rapport sur le concours des bourses de licence. En mathématiques, il relève 8 candidats pour 7 classés. En physique-chimie, les candidats étaient 5, le doyen ne proposant que les deux qui ont la moyenne. En sciences naturelles, un seul candidat a obtenu 10,5 de moyenne. On a donc au total quatorze candidats132. La situation familiale, chose exceptionnelle dans les dossiers, est indiquée pour treize d’entre eux. Il s’agit de jeunes hommes âgés de 18 à 20 ans en moyenne et dont les familles ne peuvent subvenir entièrement au coût des études supérieures. On peut relever deux milieux socioprofessionnels dominants : les fils de membres de l’Instruction publique (6 cas : 3 instituteurs en fonction dont un avec 9 enfants et un autre avec 7 enfants ; un instituteur en retraite ; un professeur au lycée de Saint-Omer ; une veuve d’un professeur au collège de Rochefort) et les fils d’agriculteurs (3 cas) ou de petits commerçants et d’artisans (2 cas : ouvrier modeleur ; marchand de bois de construction). Il faut aussi noter l’importance des familles affaiblies par la mort précoce du père et parfois de la mère qui laissent les enfants dans des situations très délicates (4 cas : deux orphelins de père et de mère ; deux fils de veuves dont une était l’épouse d’un professeur). Auguste Angellier, dans son rapport du 5 juillet 1899 fait un bilan du concours des bourses de licence. Il y a eu quinze candidats et les dossiers familiaux sont conservés pour quatorze d’entre eux. Trois sont fils d’instituteurs en exercice, un autre est fils d’un professeur du lycée de Douai alors que deux autres sont orphelins de père (instituteur « décédé en fonction » et principal de collège lui aussi « mort en fonction », la veuve n’ayant que 830 francs par mois pour vivre avec 5 enfants). Ceci nous donne donc six représentants des métiers de l’Instruction publique pour quatorze dossiers133. Les autres candidats, outre un orphelin, ont un père qui est : contremaître, négociant en retraite, négociant de commerce, manœuvre, mécanicien des chemins de fer, secrétaire de mairie, maréchal des logis de gendarmerie en retraite et clerc de notaire.
72Plusieurs registres conservés aux Archives nationales permettent de mieux connaître le profil sociologique des familles des étudiants proposés par les facultés (donc déjà fortement sélectionnés). Devant chaque nom, on trouve le lieu et la date de naissance du candidat, le nombre de points réunis au concours, la situation professionnelle du père, une indication de ses revenus et, au crayon rouge le plus souvent, la décision du ministère (« oui » ou « non »).
73En 1893, le concours des bourses de licence ès sciences rassemble 125 candidats selon le registre. Les 73 candidats qui ont franchis le barrage du concours au sein de la faculté de leur académie, sont issus de familles aux profils socio-professionnels variés et qui ne se résument pas au seul monde de l’enseignement, c’est une évidence. 16,4 % sont fils de cultivateurs (12 cas) et 12,3 % sont fils de commerçants. Ils sont huit dont le père est employé dans les écoles primaires et les écoles primaires supérieures (10,9 %), quatre dont le père est membre de l’enseignement secondaire (5,4 % : enseignant ou économe, proviseur, etc.) alors que deux autres sont orphelins d’un père autrefois membre de l’Instruction publique. Au total, les personnels de l’Instruction publique regroupent alors 19,1 % (14 cas). On relève la forte présence d’enfants issus de famille marquées par la mort du père et dont la veuve subvient tant bien que mal aux besoins (10 cas – 13,6 % – sans compter les deux orphelins dont le père était dans l’Instruction publique). Les fils d’artisans sont sept (9,5 %) alors que les fils d’employé sont six (8,2 %). On notera également l’existence de cinq enfants d’ouvriers (6,8 %) dont deux tailleurs de pierre, un ouvrier charpentier, un mécanicien et un ouvrier métallurgiste. Le choix final du ministère (34 boursiers nommés) ne privilégie pas les enfants du sérail mais semble se fonder surtout sur les résultats au concours et sur les avis des enseignants quant aux aptitudes pour mener à bien les études projetées. À compétences égales, on regarde alors la situation financière familiale134.
74Pour la même année 1893, le registre des Archives nationales permet d’opérer un travail identique d’inventaire des origines socio-professionnelles des 108 candidats proposés par les facultés des lettres françaises sur les 204 présents aux épreuves, le ministère décidant au final d’en nommer 65. Les fils de cultivateurs (8) et de propriétaires (2) regroupent 9,2 % des candidats proposés alors que les fils de commerçants ou d’employés de commerce sont également dix (9,2 %). Les fils d’enseignants du primaire (8), d’enseignants du secondaire et du supérieur (9), d’inspecteurs primaires (3), d’inspecteur général (1) et d’employé au ministère (1), rassemblent 22 cas soit 20,37 %. Il faut y ajouter les deux candidats qui ont un père décédé mais qui était instituteur. On atteint alors 22,2 % du total. Les fils de militaires en activité ou en retraite sont 9 soit 8,3 % du total. L’armée et l’École publique rassemblent 30,5 % des effectifs. Outre celui de l’enseignement, deux groupes donnent de nombreux candidats proposés, celui des employés, aux fonctions très diversifiées (21 cas au moins soit 19,4 %) mais aussi celui des fils de veuves (11 cas sans ceux de l’Instruction publique, 10,1 %) et des orphelins de père et de mère (4 cas), fils de veuve et orphelins rassemblant alors 13,8 % des candidats proposés par les facultés des lettres en 1893.
75Le registre du concours des bourses de licence ès sciences de l’année 1904 permet de retrouver les mêmes caractéristiques. Le document indique un crédit de 65 400 francs dont 17 400 pour des bourses nouvelles et 58 200 pour des renouvellements. Le rapporteur indique aussi le nombre total des candidats : 54 en 1900, 73 en 1901, 81 en 1902, 95 en 1903. Nous donnons cette fois l’ensemble des données récoltées pour plus de précisions (Annexe 1). Les 88 candidats proposés par les facultés en 1904 ne bouleversent pas les milieux privilégiés du recrutement. Les fils d’employés regroupent 18,1 % (16 cas) dans toute la diversité des emplois pris en considération depuis l’employé de chemin de fer, le sous-chef de section aux Télégraphes, jusqu’à l’agent voyer communal. L’Instruction publique est le milieu de recrutement le plus important avec 23 cas soit 26,1 % dont 13 enseignants du primaire, 7 issus de l’enseignement secondaire ou supérieur et trois veuves de membres de l’Instruction publique. Militaires en activité ou en retraite, gendarmes et inspecteurs de police regroupent 6,8 % des présentés (six cas) alors que l’on retrouve toujours l’importance des enfants de veuves avec 12,5 % (11 cas sans compter ceux de l’Instruction publique). Les enfants de cultivateurs (9 %), les fils de commerçants (6,8 %) complètent le corpus où se confirme la très faible présence des cadres supérieurs, des professions libérales et du monde de l’entreprise et des affaires. Dans l’autre sens, le monde ouvrier est aussi très faiblement représenté.
76Le registre du concours des bourses de licence ès lettres pour cette année 1904 indique 99 600 francs de crédits et précise le nombre des candidats depuis le début du siècle. Ils sont 149 en 1900, 136 en 1901, 139 en 1902, 131 en 1903. Les 66 candidats proposés par les facultés ont ici les mêmes milieux socio-professionnels d’origine (Annexe 2). Les fils de membres de l’Instruction publique sont 24 soit 36,6 %, signe d’une hérédité socio-professionnelle qui s’accroît (14 du primaire ; 9 du secondaire ou du supérieur dont un inspecteur d’académie ; 1 veuve d’un membre de l’Instruction publique). Les fils de cultivateurs, de commerçants et d’artisans sont devenus plus rares alors que l’on retrouve la présence des fils de militaires et de douaniers en activité ou en retraite (5 soit 7,5 %) mais surtout celle des fils d’employés (14 soit 21,2 %) et celle des fils de veuves (9 sans celui signalé pour l’I. publique) et des orphelins (2) qui, au total, rassemblent 11 cas soit 16,6 %.
77Le registre des bourses d’agrégation en sciences, pour l’année 1894-1895, conservé aux Archives nationales, n’infirme pas les données recueillies pour le concours de la licence. Trente-trois candidats sont proposés par les facultés pour seize bourses accordées par le ministère. Les académies de Caen, Montpellier, Poitiers et Rennes n’ont pas de candidats (Annexe 3). Le monde de l’Instruction publique arrive de nouveau en tête avec 8 des candidats proposés soit 24,2 % (2 membres du primaire, 3 du secondaire ou du supérieur, 2 fils de veuves d’un membre de l’Instruction publique). Quatre autres candidats sont aussi orphelins de père et un autre orphelin de père et de mère. Tout juste peut-on relever un peu plus de fils d’artisans alors que le monde des employés est beaucoup moins présent qu’en licence. Le même registre est conservé pour les bourses d’agrégation en lettres. Sur les 125 candidats proposés en lettres, sans l’académie d’Alger où le document est lacunaire, 58 se voient proposer une bourse d’agrégation dont le montant va de 1800 à 750 francs (Annexe 4). Le premier milieu socio-professionnel de recrutement est bien celui de l’Instruction publique avec 29 cas soit 23,2 % des candidats proposés (16 du primaire dont deux inspecteurs primaires ; 11 du secondaire et du supérieur ; deux fils de veuve d’un membre de l’Instruction publique). On relève cette fois un niveau plus élevé de recrutement avec par exemple la présence de deux inspecteurs d’académie, pères d’une famille nombreuse (l’un est accepté pour une bourse de 750 francs), de deux inspecteurs primaires (acceptés), d’un proviseur (refusé). Les enfants d’employés sont aussi nombreux avec 17,8 % des cas et les liens avec le service de l’État sont souvent forts (contrôleur des contributions ; Postes et Télégraphes, etc.). On retrouve également la forte présence des enfants de veuve avec 11,2 % (14 cas sans les 2 enfants doit le père travaillait dans l’Instruction publique) et 7 cas d’orphelins (5,6 %). Ces deux groupes rassemblent alors 16,8 % des candidats proposés. Il faut noter cependant, pour les bourses d’agrégation, une plus grande hétérogénéité des milieux originels que pour la licence. Les fils d’artisans représentent 12 % des candidats proposés et les fils de commerçants 8 % contre 4,8 % aux cultivateurs et journaliers. Si la place faite aux enfants d’ouvriers est quasi-inexistante, il faut relever la plus grande diversité des origines socio-professionnelles familiales des candidats proposés mais aussi la présence de familles à la situation plus « confortable ». Les boursiers d’agrégation sont des étudiants confirmés qui ne sont pas recrutés par concours. Certains, qui peut-être n’ont pas passé le cap du concours des bourses de licence, le franchissent cette fois par leur sérieux et leurs progrès postérieurs dans leurs études au sein des facultés.
78Le registre des bourses d’agrégation ès sciences de l’année 1905 relève que le budget engagé au 1er janvier 1905 est de 15 000 francs135. Dix-neuf noms ont été proposés par les facultés pour seize attributions ministérielles. Les académies de Bordeaux, Clermont, Dijon, Grenoble, Montpellier, Nancy et Alger n’ont pas de candidats à proposer. Paris en propose cinq et les cinq sont acceptés (deux à 1500 francs et trois à 1200 francs mais deux sont affectés à Nancy et un à Lyon). Les viviers socio-professionnels, perçus au travers de la profession du père, sont les mêmes que précédemment et nous ne les reprécisons pas. Il en va de même en lettres où le registre relève, au 1er janvier 1905, la somme de 108 000 francs, intégrant désormais les bourses d’agrégation mais aussi les bourses de diplômes (DES)136.
Une population sous étroite surveillance et qui se doit d’être performante
79Sévèrement sélectionnés, les boursiers sont étroitement surveillés. L’absentéisme et l’attitude sont examinés avec minutie et le moindre faux-pas peut s’avérer catastrophique. Le doyen de la faculté de médecine et de pharmacie de Lille écrit au recteur, le 12 juillet 1880 : « Il y a lieu de se féliciter de leur application à l’étude, des efforts faits par eux pour justifier la faveur dont ils jouissent et de leurs succès. Ces jeunes gens ont donné à leurs condisciples l’exemple de la discipline, du travail régulier et ont entretenu autour d’eux une virile émulation [...]. Le but visé par l’institution des boursiers d’État a donc été atteint en ce qui nous concerne137. » Dans toutes les facultés, les relevés de notes sont scrutés par le doyen puis par le recteur. Des courriers fréquents sont échangés entre le doyen, le recteur et le ministère. Un boursier réprimandé écrit au recteur, le 9 juillet 1884 : « J’ai l’honneur de vous accuser réception de la lettre par laquelle vous me demander les motifs qui m’ont empêché de faire la composition française donnée le mois dernier à la faculté. La seule raison que je puisse invoquer est celle d’un malaise général que j’éprouve depuis plus de six semaines et qui, pendant quinze jours m’a condamné à un repos absolu138. » Le recteur note dans la marge « excuse admissible ». Le doyen Desjardins écrit au recteur, le 5 juillet 1884, pour témoigner de son mécontentement face à plusieurs boursiers. « Une bourse est un bienfait dont il faut se montrer digne. Elle est confiée pour un an et n’est renouvelée qu’autant que le boursier s’est distingué par ses efforts et ses progrès. La faculté a constaté que Messieurs Beauchot, boursier de Sedan, Georgin, boursier du département des Ardennes, Souillart, boursier de l’État, n’ont pas tenu compte de ses avertissements réitérés139. » Il demande donc le non-renouvellement.
80Une lettre de Louis Liard au recteur douaisien, le 25 juillet 1885 relève : « conformément à votre avis, Messieurs Dumont et Pruvost, boursiers de licence près de la faculté des lettres de Douai, sont déchus de leur titre de boursier140 ». Les enseignants de la faculté, le 30 juin 1885, avaient débattu de ces deux cas : « Vu les notes obtenues par Monsieur Dumont et Pruvost, notes constatant l’absence de travail et de présence, la faculté demande que la bourse de ces étudiants soit supprimée. Ces candidats, malgré plusieurs avertissements, s’obstinent à ne pas travailler et font de leur séjour à Douai, une occasion de plaisir141. » Le 6 avril 1889, Louis Liard écrit au recteur de Lille une lettre concernant un boursier de licence de la faculté des lettres qui a déjà reçu deux avertissements. Au premier trimestre, il n’a pas remis de composition latine et au second trimestre, il a eu une mauvaise note. « Ne faut-il pas lui supprimer sa bourse » demande Louis Liard ? Le recteur demande que l’on attende les résultats du troisième trimestre142. Le doyen Demartres, de la faculté des sciences de Lille, écrit au recteur, le 2 mai 1891 pour donner le résultat de son entrevue avec un étudiant. « Monsieur Lefebvre, boursier de licence ès sciences physiques, m’a promis de tenir compte de ce dernier avertissement qui lui était donné. Depuis la rentrée de Pâques, cet étudiant a tenu promesse. Il donne pleine satisfaction à ses professeurs143. » Le même doyen écrit au recteur le 17 janvier 1896 pour faire le point à la fois sur l’assiduité et les résultats trimestriels des étudiants boursiers. « Concernant Monsieur Gosse, boursier d’État, il n’a pas d’excuse et si vous le jugez à propos, je lui donnerai un avertissement144. »
81L’Assemblée de la faculté des lettres de Lille, le 2 juillet 1895, décide de signaler un étudiant récidiviste et le doyen transmet la décision au recteur le 10 juillet : « Monsieur Gibout n’est pas venu régulièrement aux conférences. Il a reçu de la faculté un premier avertissement dans la séance du 28 mars. Il n’en a pas tenu compte. Et de plus, il n’a remis aucun devoir de français ni de latin pendant l’année145. » Dès lors, la sanction tombe. Un courrier du 29 juillet 1895, signé Louis Liard, relève : « Par arrêté du 29 juillet courant, Monsieur Gibout, boursier de licence près de la faculté des lettres de votre académie, a été déchu de son titre de boursier146. » Louis Liard, le 19 juillet 1898 signale au recteur que conformément à la délibération de la faculté des lettres de Lille, il a décidé que « Monsieur Pentel, boursier de licence, serait déchu de son titre de boursier à partir du 1er avril prochain ». L’assemblée de la faculté avait, dans sa séance du 8 juillet, décidé de proposer cette sanction. « Malgré les avertissements qui lui ont été donnés, cet étudiant s’est fait remarquer pendant le dernier trimestre, par son défaut d’assiduité et de travail147. »
82Il leur faut avoir un parcours sans faille pour être digne de la confiance républicaine. Aux sessions d’examen de licence de novembre 1888 et de juillet 1889, la faculté des lettres de Lille déclare onze candidats admissibles et en admet finalement huit, toutes licences confondues. Les boursiers prennent trois de ces huit places monopolisant les mentions bien et assez bien148. L’année suivante, pour les sessions de licence de novembre 1889 et juillet 1890, ils sont quarante et un candidats à l’écrit. Après les épreuves orales, ils sont quatorze à être reçus. Les boursiers sont six parmi les lauréats. En 1900-1901, les boursiers se distinguent à la faculté des lettres. Parmi les trois admis à l’agrégation de grammaire, on relève la présence du boursier Ernout, futur professeur de la faculté. En Anglais, le boursier Koszul a été admis et deviendra lui aussi professeur à la faculté. En licence, pour les sessions ordinaires de novembre 1900 et juin 1901, on note 31 candidats, 11 admissibles et 10 admis (32,5 %). Parmi les 10 admis, les boursiers sont 4 mais il faut aussi relever la présence d’un ancien boursier149. Pour l’année 1912-1913, Georges Lefèvre relève une nouvelle fois les bons résultats des boursiers mais aussi des anciens boursiers, la réussite étant souvent différée d’une à deux années, en particulier pour l’agrégation. Le prix de la Société des Amis et Anciens étudiants de l’Université de Lille (100 francs) est revenu à M. Laude, boursier de DES d’histoire-géographie. Si le prix Léon Moy (100 francs) échappe à un boursier, le prix Paul Dupont (110 francs) revient à un boursier de DES d’anglais. Sur les quatre prix accordés par le Conseil général du Nord (75 puis 50 francs), l’un revient à un boursier de licence et un autre à un boursier de DES. Les boursiers remportent ainsi 4 des 7 prix existants. Plusieurs anciens étudiants réussissent dans les agrégations de philosophie, de grammaire, d’anglais et d’allemand. En licence, 49 candidats sont examinés pour 18 admis, les boursiers n’étant que quatre dans les admis. Dix-huit DES ont été soutenus dont huit par des boursiers (44,4 %)150.
83Il faut aussi se rappeler que, depuis la circulaire du 25 décembre 1888, les boursiers de licence et d’agrégation sont obligés de réaliser un stage dans les collèges et les lycées pour s’initier au métier d’enseignant et d’assister à certaines conférences pédagogiques à la faculté. C’est une nouvelle occasion qui est donnée de les évaluer, tout en leur rappelant leur engagement à devenir enseignant. Le 25 juillet 1889, le recteur lillois répond au ministre : « par votre dépêche du 25 juin, vous réclamez le rapport de Monsieur le doyen de la faculté des lettres sur les exercices pédagogiques accomplis au lycée de Lille pendant l’année scolaire 1888-1889 par les boursiers de licence et d’agrégation de son établissement ». Il s’empresse alors de communiquer les informations. Les deux boursiers d’agrégation de grammaire ont « fait la classe pendant une semaine au lycée de Lille, un en cinquième et l’autre en quatrième ». Le boursier d’agrégation en histoire a fait classe une semaine au lycée de Lille en mathématiques élémentaires puis en philosophie151. Le recteur de Lille écrit au ministre, le 13 avril 1899 : « J’ai l’honneur de vous faire connaître que conformément aux prescriptions de votre circulaire du 25 décembre 1888, j’ai invité Messieurs les doyens des facultés des sciences et des lettres de l’Université de Lille à envoyer les boursiers au lycée de cette ville pour y faire un stage pédagogique du 20 au 26 mars152. » Le professeur qui accueille l’étudiant doit ensuite rédiger un rapport qui est une pièce de plus dans le suivi du boursier. Le 29 mars 1897, un enseignant du lycée de Lille écrit à propos de l’étudiant Denin, boursier d’agrégation de mathématiques : « Il a fait dans la classe de mathématique élémentaire A, trois leçons d’algèbre, trois de géométrie et une de géométrie descriptive. Il y a montré des qualités de professeur consciencieux et rigoureux dans les démonstrations. La question traitée en algèbre est délicate, exige de l’unité et beaucoup de précision. Il s’en est tiré avec honneur. Les leçons de géométrie ont été faites d’une façon élevée et très simple [...]. Il s’en est bien tiré également [...]. Avec un peu d’expérience, il sera, semble-t-il un très bon professeur153. »
84« Bon levain », les boursiers existent bien dans les facultés des lettres et des sciences des années 1877-1914, tout comme, à un degré moindre dans les facultés de médecine et de pharmacie. La création des bourses de licence (1877) puis d’agrégation (1880) n’est pas une fondation désintéressée pour les réformateurs républicains qui ne vise qu’à satisfaire leur désir d’une justice scolaire plus forte. Il s’agit d’abord de donner des étudiants sérieux et réellement présents aux professeurs et aux nouveaux maîtres de conférences qui animent la vie des facultés académiques, tout en permettant le pré-recrutement de futurs licenciés et agrégés qui contribueront à la politique de requalification du personnel des collèges et des lycées. La fondation des bourses d’études, par l’arrêté du 31 mai 1886, affirme ensuite la nécessité de promouvoir la recherche scientifique, ce que les bourses de doctorat faisaient déjà depuis 1877. Recrutés sur concours pour les bourses de licence et sur recommandation des facultés pour l’agrégation et les bourses d’études, après décision finale du ministère qui opère une nouvelle sélection parmi les étudiants proposés par les facultés, les boursiers forment une petite république de très bons élèves. On assiste d’ailleurs à un durcissement progressif des épreuves de sélection pour le concours des bourses de licence, le décret du 10 mai 1904 assimilant ce concours des bourses à celui de l’École normale supérieure. Alors que le candidat aux bourses de licence ès lettres devait passer deux écrits et quatre oraux, il doit désormais subir six écrits et sept épreuves orales. Alors que jusqu’à présent les jurys étaient organisés au niveau des facultés, avec leurs enseignants, corrigeant les sujets nationaux puis interrogeant à l’oral avant de proposer les possibles lauréats, les copies partent désormais vers Paris où se tiennent aussi les épreuves orales. Cette centralisation parisienne renforce les critères d’excellence en même temps qu’elle dessaisit les facultés provinciales de leur pouvoir.
85Symbole vivant de l’idéal méritocratique pour les uns, le boursier est un danger pour le camp conservateur qui voit en lui un déraciné bientôt révolté qui menace l’ordre social et l’hérédité des positions professionnelles. Dans le concret des amphithéâtres et des salles de cours, le boursier demeure cependant une figure rare. À la faculté de médecine-pharmacie de Lille, il représente le plus souvent entre 1 et 3 % des effectifs. À la faculté des lettres de Douai, il représente 29,4 % des effectifs en 1885-1886 mais sa part décline ensuite. Les boursiers représentent entre 14,6 % et 3,9 % des effectifs à la faculté des lettres de Lille entre 1887 et 1914. À la faculté des sciences, la part des boursiers, qui atteint 27,6 % en 1888-1889, n’est plus que de 8,3 % en 1894-1895 puis de 1,4 % en 1913. Cette progressive diminution est en grande partie liée à la hausse du nombre des étudiants non boursiers dans les facultés. Très présents dans les années 1877-1890, ils ont « amorcé la pompe », lancé le travail en cours fermé autour de la préparation des examens et des concours avant d’être mis en extrême minorité. Des reclassements internes s’opèrent également qui voient décliner les bourses de licence pour s’affirmer les bourses d’agrégation et d’études, en particulier de diplôme d’études supérieures (DES) après 1905. Sélectionnés sur concours ou sur dossier, les boursiers forment un groupe d’étudiants d’élite. Plus que les critères sociaux, même si ces derniers sont pris en compte également, c’est l’évaluation des aptitudes intellectuelles et la possession d’une forte culture humaniste ou scientifique qui priment. Dès lors, tout le monde ne peut réussir à passer le cap des épreuves et à attester des prérequis culturels implicites exigés des épreuves. Autrement dit, sans être forcément des « fils à papa », les boursiers sont issus majoritairement – il y a toujours des contre-exemples – de milieux de classes moyennes qui ont assez souvent un lien fort avec les métiers de la culture ou les services de l’État. Le travail sur les registres des Archives nationales montre ainsi l’importance des recrutements au sein des milieux liés à l’Instruction publique (de 19 à 36 %), des employés dans toute leur diversité (souvent plus de 18 %) et des fils de veuves (entre 10 et 20 %). Ces boursiers se doivent d’être des « modèles républicains », les faux-pas étant rapidement sanctionnés. Futurs enseignants, ils ont aussi le droit à un stage pratique dans les établissements et à une petite formation pédagogique, alors que rien n’existe de tel pour leurs camarades non boursiers. Cette élite étudiante doit en effet, selon les volontés du régime, se transformer en une élite enseignante, qui puisse à la fois servir la rénovation pédagogique des établissements et le régime républicain auquel on n’imagine pas qu’ils ne puissent pas être éternellement reconnaissants pour la « faveur » qui leur a été accordée.
Annexe
ANNEXE I
Académie | Matière | Profil social des proposés par les facultés | Décision |
Paris (18 proposés) | Mathématiques Mathématiques | Sous-chef de section des télégraphes | 600 francs |
Aix (3) | Mathématiques | Veuve d’un directeur | 1 200 francs |
Besançon (6) | Mathématiques | Veuve d’un instituteur en retraite | 900 francs |
Bordeaux (5) | Mathématiques Mathématiques | Receveur des contributions indirectes | 600 francs |
Caen (3) | Sciences naturelles | Veuve d’un professeur de lycée | refusé |
Clermont (1) | Mathématiques | Veuve d’un instituteur avec 5 enfants | 1 200 francs |
Dijon (4) | Mathématiques Mathématiques | Entrepreneur | 900 francs |
Grenoble (5) | Mathématiques | Veuve, lingère | 1 200 francs |
Lille (6) | Mathématiques | Employé de bureau | 1 200 francs |
Mathématiques | Conducteur des Ponts-et-Chaussées | refusé refusé | |
Lyon (3) | Mathématiques Mathématiques | Instituteur public | entrée à l’ENS |
Montpellier (8) | Mathématiques | Tonnelier | 900 francs |
Nancy (8) | Mathématiques | Instituteur public | 1 200 francs |
Poitiers (2) | Mathématiques | Agent voyer cantonal | Refusé |
Rennes (5) | Mathématiques | Chef de vente en retraite | 900 francs |
Toulouse (10) | Mathématiques | Instituteur public, 6enfants | 1 200 francs |
Alger (1) | Sciences naturelles | Veuve d’un officier | refusé |
Tableau XXXIX. – Le concours des bourses de licence ès sciences en 1904. Profils socio-professionnels des familles154.
ANNEXE II
Académie | Profil social des proposés par les facultés | Décision |
Paris (22 proposés) | Professeur en collège | refusé |
Aix (1) | Limonadier | 900 francs |
Besançon (2) | Chef de chantier | 2 400 francs |
Bordeaux (4) | Instituteur public | 900 francs |
Caen (3) | Gardien de la batterie de marine | 600 francs |
Clermont (2) | Maçon en retraite (le fils n’a pas la moyenne) | Refusé |
Dijon (0) | Le candidat n’avait que 7 de moyenne | |
Grenoble (4) | Veuve | 600 francs |
Lille (4) | Directeur d’école primaire supérieure, 2enfants | 900 francs |
Lyon (6) | Professeur de musique | 1 200 francs |
Montpellier (5) | Employé des chemins de fer | 600 francs |
Veuve avec 3 enfants | 600 francs | |
Nancy (2) | Commissaire de surveillance au chemin de fer | 900 francs |
Poitiers (3) | Employé des chemins de fer retraité | 600 francs |
Rennes (4) | Instituteur public, 3 enfants | 1 200 francs |
Toulouse (3) | Veuve d’un négociant | 600 francs |
Alger (1) | Brigadier de gendarmerie en retraite, 5 enfants | 1 200 francs |
Tableau XL. – Le concours des bourses de licence ès lettres en 1904. Profils socio-professionnels des étudiants proposés par les facultés155.
ANNEXE III
Académie | Candidats proposés | Matière | Profil social des proposés par la faculté (père) | Décision |
Paris | 11 candidats | Mathématiques | Propriétaire, 5 enfants | 1 500 francs |
Aix | 3 candidats | Sciences-physiques | menuisier | 1 500 francs |
Besançon | 1 candidat | Sciences physiques | veuve | 1 800 francs |
Bordeaux | 1 candidat | Sciences physiques | Maître de conférences | refusé |
Clermont | 1 candidat | Mathématiques | émouleur | refusé |
Dijon | 1 candidat | Sciences physiques | Veuve d’un instituteur | 1 800 francs |
Grenoble | 1 candidat | Sciences physiques | Ancien instituteur | 1 500 francs |
Lille | 2 candidats | Mathématiques | Orphelin | 1 200 francs |
Lyon | 3 candidats | Mathématiques | cultivateur | 1 800 francs |
Nancy | 4 candidats | Sciences physiques | Veuve d’un pasteur protestant | refusé |
Toulouse | 3 candidats | Sciences physiques | Cultivateur | refusé |
Alger | 2 candidats | Mathématiques | Veuve | refusé |
Tableau XLI. – Les bourses d’agrégation ès sciences pour 1894-1895 selon le registre récapitulatif des Archives nationales156.
ANNEXE IV
Académie | Candidats proposés | Matière | Profil social des proposés par la faculté (père) | Décision |
Paris | 39 candidats | Philosophie | Veuve d’un professeur de musique | refusé |
(Il y avait 57 demandes) | Philosophie | Instituteur public | refusé | |
Aix | 1 candidat | Grammaire | Forgeron | refusé |
Besançon | 11 candidats | Philosophie | Horloger | 1 500 francs |
Histoire Grammaire | Agent decommerce | refusé | ||
Bordeaux | 12 candidats | Philosophie | Receveur des octrois | 1 500 francs |
Caen | 2 candidats | Philosophie | Maître de manœuvre, 5 enfants | 1 500 francs |
Clermont | 4 candidats | Philosophie | Voiturier, 6 enfants | Refusé |
Dijon | 5 candidats | Philosophie | Sommelier de café | Refusé |
Grenoble | 2 candidats | Grammaire | Veuve | refusé |
Lille | 7 candidats | Lettres et grammaire | Représentant de commerce | 1 500 francs |
Lyon | 8 candidats | Philosophie | Veuve | refusé |
Allemand | Instituteur, 3 enfants | 1 500 francs | ||
Mont-pellier | 10 candidats | Lettres et grammaire | Ex boursier de licence | 1 500 francs |
Nancy | 8 candidats | Philosophie | Maréchal Ferrand | refusé |
Poitiers | 2 candidats | Philosophie | Cultivateur | 1 500 francs |
Rennes | 3 candidats | Philosophie | Juge de paix | 1 500 francs |
Toulouse | 11 candidats | Philosophie | Employé aux chemins de fer | 1 000 francs |
Alger | lacune |
Tableau XVLII. – Les bourses d’agrégation ès lettres pour 1894-1895 selon le registre récapitulatif des Archives nationales157.

Illus. I. – Affiche du concours des bourses de licence ès lettres, année 1891. Sources : AD du Nord, 2 T 818.
Notes de bas de page
1 Louis Liard, Universités et facultés, Paris, Armand Colin, 1890, p. 103-107.
2 Voir Marie-Madeleine Compère, « Les boursiers nationaux : projets politiques et réalisations, de l’Ancien Régime à l’Empire », dans Pierre Caspard, Jean-Noël Luc et Philippe Savoie (dir.), Lycées, lycéens, lycéennes. Deux siècles d’histoire, Paris, INRP, 2005, p. 73-86.
3 Le décret du 21 septembre 1804 par exemple met au concours la gratuité des études de droit pour 50 élèves des lycées et du Prytanée militaire. En 1807, les fils de professeurs et de suppléants en exercice ou morts dans l’exercice de leur fonction bénéficient de ce privilège. Le décret du 22 août 1854 permet d’accorder, sur avis du doyen, des remises ou des modérations de droits aux étudiants qui ont eu de bons résultats ou qui rencontrent une situation familiale difficile.
4 Voir Pierre Moulinier, La naissance de l’étudiant moderne (XIXe siècle), Paris, Belin, 2002, p. 87 et suiv.
5 Jean-Claude Caron, Générations romantiques. Les étudiants de Paris et le quartier latin (1814-1851), Paris, Armand Colin, 1991, p. 79.
6 A. de Beauchamp, Recueil des lois et règlements sur l’enseignement supérieur, Paris, Delalain Frères, 1889, t. 4 (1884-mai 1889), « Tarif et nomenclature des droits à acquitter pour l’obtention des grades dans les facultés et écoles d’enseignement supérieur à partir du 1er avril 1887 », p. 319-332.
7 Ibid., t. 5 (juin 1889-mai 1898), p. 750-772.
8 Ibid., t. 3 (1875-1883), Arrêté du 5 novembre 1877 concernant les conférences instituées dans les établissements d’enseignement supérieur, p. 166-169 (avec le rapport fait au nom de la Commission du budget par M. Bardoux).
9 Ibid.
10 Ibid., « Arrêté concernant les bourses des facultés », 5 novembre 1877, p. 169-171.
11 Ibid., circulaire concernant le concours pour l’obtention des bourses de licence, 5 juin 1879, p. 253-254.
12 Ibid., règlement concernant les bourses de licence et d’agrégation du 3 juin 1880, p. 473-478.
13 Archives départementales du Nord (AD du Nord), 2 T 824, règlement sur les bourses de licence et d’agrégation, 3 juin 1880.
14 Ibid., circulaire du 30 juin 1880 sur les bourses de licence et d’agrégation, 4 p.
15 AD du Nord, 2 T 808, circulaire du 14 août 1880.
16 AD du Nord, 2 T 824, circulaire du 1er octobre 1880 sur la préparation aux grades en sciences et en lettres, 14 p.
17 Ibid., arrêté du 8 mai 1882 sur les épreuves du concours des bourses de licence ès lettres.
18 AD du Nord, 2 T 824, circulaire de René Goblet du 20 mai 1885 sur les bourses de licence et d’agrégation.
19 Ibid., Circulaire pour l’exécution du règlement du 31 mai 1886 relatif aux bourses, p. 260-262.
20 Marcellin Berthelot, « Les boursiers de l’enseignement supérieur », Revue internationale de l’enseignement, 1885, t. 2, p. 442-445.
21 AD du Nord, 2 T 824, arrêté du 31 mai 1886 sur les bourses d’études et circulaire du même jour.
22 A. de Beauchamp, Recueil des lois et règlements sur l’enseignement supérieur..., op. cit., t. 4, Règlement concernant les bourses de l’État dans les facultés des lettres et des sciences du 31 mai 1886, p. 257-260.
23 Ibid., 1889, t. 5 (1889-1898), circulaire du 27 octobre 1896, p. 628-629.
24 Archives nationales, F17 13737, bourses d’études en lettres, rapport de l’inspecteur d’académie d’Orléans sur Charles Péguy intégré dans une lettre de l’inspecteur général Jules Gautier au ministre, 7 septembre 1896.
25 Ibid., lettre de Georges Lyon au directeur de l’enseignement supérieur, 8 octobre 1898.
26 Ibid., lettre d’Henri Bergson à Louis Liard, 18 octobre 1898.
27 AD du Nord, 2 T 823, lettre de Louis Liard au recteur lillois, 10 décembre 1898.
28 Archives nationales, F17 13737, registre des bourses d’études en lettres au 1er janvier 1899.
29 Ibid., boursiers bourses d’études en 1900 (1er janvier), dossier Vacher.
30 Ibid., registre des bourses d’études en lettres, dossier Alfred Ernout puis André Koszul.
31 Archives nationales, F17 13739, bourses d’études en lettres en 1901-1902.
32 Ibid., boursiers d’études en lettres, année 1903-1904.
33 Archives nationales, F17 13737, registre des boursiers d’études en sciences, 1900 puis 1901.
34 Archives nationales, F17 13739, bourses d’études en sciences en 1901-1902.
35 AD du Nord, 2 T 608, rapport du doyen des lettres de Douai au ministre, 3 novembre 1879.
36 Ibid., lettre du maire d’Amiens au recteur de l’académie de Douai, 17 décembre 1879.
37 Ibid., délibération du conseil municipal d’Amiens, 23 juillet 1880 suite à l’arrêté ministériel du 25 juin 1880 rayant l’étudiant de la liste des boursiers.
38 Ibid., lettre du préfet des Ardennes au recteur d’académie de Douai, 14 septembre 1881.
39 Voir Pierre Albertini, « La réforme de 1903 : un assassinat manqué », dans Jean-François Sirineli (dir.), École normale supérieure, le livre du bicentenaire, Paris, PUF, 1994, p. 31-72.
40 A. de Beauchamp, Recueil des lois et règlements sur l’enseignement supérieur, Paris, A. Delalain, 1909, t. 6 (1898-1909), rapport au président de la République suivi du décret du 10 mai 1904, p. 601-608.
41 AD du Nord, 2 T 824, rapport au président de la République sur le décret relatif au concours pour l’admission à l’École normale supérieure et l’obtention des bourses de licence.
42 Ibid., décret du 10 mai 1904 relatif au concours pour l’admission à l’ENS et l’obtention des bourses de licence.
43 Ibid., article 22.
44 A. de Beauchamp, Recueil des lois et règlements sur l’enseignement supérieur, Paris, A. Delalain, 1909, t. 6 (1898-1909), décret du 29 juillet 1905, p. 751-752.
45 Ibid., circulaire du 14 avril 1910, p. 182-183.
46 Ibid., décret du 24 juillet 1910 relatif aux boursiers des universités des départements, p. 238-240.
47 Ibid., 1915, t. 7 (1909-1914), décret du 3 mars 1914, p. 688-689.
48 Léon Cledat, « Une nouvelle statistique des boursiers », Revue internationale de l’enseignement, année 1910, t. 2, p. 142-143.
49 Ibid., p. 143.
50 AD du Nord, 2 T 824, carton qui rassemble les arrêtés et les circulaires sur les bourses de l’enseignement supérieur.
51 A. de Beauchamp, Recueil des lois et règlements sur l’enseignement supérieur, Paris, A. Delalain, 1884, t. 3 (1875-1883), règlement pour les bourses de doctorat en médecine, 15 novembre 1879, p. 287-288.
52 Ibid., règlement concernant les bourses de pharmacien de 1ère classe, 20 novembre 1879, p. 289-291.
53 A. de Beauchamp, Recueil des lois et règlements sur l’enseignement supérieur, Paris, A. Delalain, 1889, t. 5 (1889-1898), p. 211-213.
54 Archives nationales, F17 13742, bourses de médecine-pharmacie (1896-1905), registres, arrêtés et notifications.
55 Ibid, registre des bourses de pharmacie, 1895-1896.
56 Pierre Combemale, « compte rendu des travaux de la faculté des sciences de Lille pendant l’année 1903-1904 », Annales de l’Université de Lille, année 1903-1904, p. 45.
57 Jean-François Sirinelli, « Des boursiers conquérants ? École et « promotion républicaine » sous la IIIe République » dans Serge Berstein et Odile Rudelle (dir.), Le modèle républicain, Paris, PUF, 1992, p. 243-262.
58 Jules Ferry, « L’égalité d’éducation : Condorcet », dans Odile Rudelle, Jules Ferry : La République des citoyens, t. I, Paris, Imprimerie nationale, 1996, p. 60-75 (p. 63).
59 Célestin Bougle, Les idées égalitaires, Paris, Le Bord de l’Eau, réédition 2007, 275 p.
60 Ibid., première phrase de l’introduction de la thèse de C Bouglé, p. 123.
61 Ibid., p. 137-138.
62 Édouard Herriot, Jadis. Avant la Première Guerre mondiale, Paris, Flammarion, 1948, p. 38-39.
63 Ibid., p. 177.
64 Jean Jaures, De l’éducation (Anthologie), textes présentés par Gilles Candar et Catherine Moulin, Paris, Nouveaux Regards-Syllepse Éditions, 2005, 306 p.
65 Jean Jaures, « Après le congrès d’Angers », L’Humanité du 7 août 1906, dans Jean Jaures, De l’éducation (Anthologie), textes présentés par Gilles CANDAR et Catherine Moulin, op. cit., p. 259-262.
66 Maurice Barres, Romans et voyages, Le roman de l’énergie nationale, Les Déracinés, Paris, Bouquin, Robert Laffont, 1994, 751 p.
67 Jean-François Sirinelli, « Littérature et politique : le cas Burdeau-Bouteiller », Revue historique, t. CCLXXII, 1985, p. 91-111.
68 Maurice Barres, Les Déracinés, op. cit., p. 503.
69 Ibid., p. 503.
70 Ibid., p. 557.
71 Ibid., p. 686.
72 Ibid., p. 699-700.
73 Maurice Barres, Mes cahiers (1896-1923), Paris, Plon, réédition 1994, p. 111.
74 Voir Eugen Weber, L’Action française, Paris, Fayard, 1964, 649 p. ; Victor Nguyen, Aux origines de l’Action française. Intelligence et politique à l’aube du XXe siècle, Paris, Fayard, 1991, 959 p.
75 Charles Maurras, Enquête sur la monarchie, suivie de Une campagne royaliste au Figaro et Si le coup de force est possible, Paris, Nouvelle librairie nationale, seconde édition, 1924, 615 p. (ici, p. 177).
76 Ibid., p. 313.
77 Ibid., p. 313-314.
78 Ibid., p. 315.
79 Charles Maurras, « L’esprit de Bourget », Revue de Paris, décembre 1895, p. 560-579.
80 Yehoshua Mathias, « Paul Bourget, écrivain engagé », Vingtième siècle, no 45, janvier-mars 1995, p. 14-29.
81 Paul Bourget, L’étape, Paris, Plon, 1902, 516 p. (p. 3).
82 Ibid., p. 9.
83 Ibid., p. 10.
84 Ibid., p. 51.
85 Ibid., p. 179.
86 Ibid., p. 210.
87 Ibid., p. 224.
88 Ibid., p. 314.
89 Ibid., p. 225.
90 Ibid., p. 424.
91 Ibid., p. 456.
92 Ibid., p. 506.
93 Jean-François Sirinelli, « Littérature et politique : le cas Burdeau-Bouteiller », art. cit., p. 110.
94 Louis Liard, Universités et facultés, Paris, Armand Colin, 1890, p. 105-106.
95 AD du Nord, 2 T 808, rapport du doyen Desjardins au recteur de Douai, 21 novembre 1877.
96 Ibid., rapport du doyen de la faculté des lettres de Douai au recteur, 3 novembre 1879.
97 AD du Nord, 2 T 809, rapport du doyen Abel Desjardins sur le concours des bourses de licence, 19 juillet 1882.
98 Ibid., lettres du directeur de l’Enseignement supérieur au recteur de Douai, 29 août 1882.
99 AD du Nord, 2 T 810, lettre du doyen au recteur, 28 juillet 1882.
100 AD du Nord, 2 T 812, statistiques sur les boursiers dans les facultés des sciences et des lettres, 19 décembre 1885.
101 Ibid, statistiques de la faculté des lettres de Douai au 19 décembre 1885.
102 Annales de l’université de Lille, Rapport sur les actes et travaux de la faculté des Lettres de Lille au cours de l’année scolaire 1888-1889, p. 38 et suiv.
103 Ibid., année 1892-1893, p. 110-115.
104 Ibid., année 1894-1895, p. 90-91.
105 Georges Lefevre, « Compte rendu des travaux de la faculté des lettres de Lille pendant l’année 1905-1906 » dans Annales de l’Université de Lille, année 1905-1906, p. 83-84.
106 Ibid., année 1912-1913, p. 87-88.
107 Paul Dupont, « Compte rendu des travaux de la faculté des lettres de Lille pendant l’année scolaire 1902-1903, dans Annales de l’Université de Lille, année 1902-1903, p. 75.
108 Georges Lefevre, « Rapport sur la situation et les travaux de la faculté des lettres de Lille pendant l’année 1911-1912 » dans Annales de l’université de Lille, année 1911-1912, p. 79-80.
109 AD du Nord, 2 T 808, rapport du recteur au ministre sur les boursiers de la faculté des sciences, 18 novembre 1878.
110 AD du Nord, 2 T 809, rapport du doyen de la faculté des sciences de Lille au recteur, 19 juillet 1882.
111 AD du Nord, 2 T 811, rapport du doyen de la faculté des sciences de Lille au recteur, 10 juillet 1884.
112 Annales de l’Université de Lille, compte rendu des travaux de la faculté des sciences de Lille pendant l’année 1888-1889.
113 AD du Nord, 2 T 823, rapport du doyen des sciences de Lille, 17 juillet 1897.
114 Ibid., rapport du doyen des sciences de Lille, 19 juillet 1898.
115 Ibid., rapport du doyen des sciences de Lille, 17 juillet 1899.
116 Pour ces portraits, Jean-François Condette, Les lettrés de la République : Dictionnaire biographique des enseignants de la Faculté des Lettres de Douai puis de Lille sous la IIIe République, CEGES-Lille 3/IRHIS, 2006, 238 p.
117 AD du Nord, 2T 809, lettre du recteur de Douai au ministre, 16 juillet 1883.
118 Archives nationales, F17 13739, bourse d’études en lettres, dossier Alfred Ernout, pièces diverses.
119 AD du Nord, 2 T 809, circulaire de Jules Ferry sur les bourses de licence, 24 mai 1883, 2 p.
120 Ibid., circulaire de Jules Ferry du 4 juin 1882.
121 AD du Nord, 2 T 813, circulaire sur les bourses de licence et d’agrégation de l’année 1885-1886, 4 p.
122 AD du Nord, 2T 809, rapport du doyen Desjardins sur le concours des bourses de licence, 10 juillet 1883.
123 Ibid., voir les relevés individuels de notation des 20 candidats.
124 AD du Nord, 2 T 821, bourses, rapport du doyen des lettres sur le concours des bourses du 15 juillet 1892.
125 AD du Nord, 2T 823, rapport du doyen Angellier au recteur, 4 juillet 1898.
126 Ibid., lettre de Louis Liard au recteur, 2 août 1898.
127 Archives nationales, F17 13740, bourses de licences ès sciences et ès lettres, registres des concours en 1893 ; F17 13741, bourses de licences ès sciences et ès lettres, registres des concours de l’année 1904.
128 Claude Thelot, Tel père, tel fils : Position sociale et origine familiale, Paris, Dunod, 1982, 249 p.
129 AD du Nord, 2 T 813, circulaire sur les bourses de licence et d’agrégation de l’année 1885-1886, 4 p.
130 Antoine PROST, Histoire de l’enseignement en France de 1800 à 1967, Paris, Armand Colin, 1968, p. 327-328.
131 AD du Nord, 2 T 608, boursiers (1877-1881), lettre de l’étudiant Rousseaux au ministre, 16 septembre 1879.
132 AD du Nord, 2T 809, rapport du doyen des sciences sur le concours des bourses de licence, 3 juillet 1883.
133 AD du Nord, 2 T 823, rapport sur le concours des bourses de licence à la faculté des lettres de Lille, 5 juillet 1899.
134 Archives nationales, F17 13740, bourses de licences ès sciences et ès lettres, registres des concours de l’année 1893.
135 Archives nationales, F17 13746, bourses d’agrégation (1899-1905), registre des bourses en sciences, 1er janvier 1905.
136 Ibid., registre des bourses en lettres, année 1904-1905.
137 AD du Nord, 2 T 808, rapport du doyen de médecine-pharmacie au recteur, 2 juillet 1880.
138 AD du Nord, 2 T 810, lettre d’un étudiant boursier au recteur, 9 juillet 1884.
139 Ibid., lettre du doyen Abel Desjardins, doyen de la faculté des lettres de Douai au recteur de l’académie, 5 juillet 1884.
140 AD du Nord, 2 T 811, lettre de Louis Liard au recteur de Douai, 25 juillet 1885.
141 Ibid., délibération de la faculté des lettres de Douai du 30 juin 1885.
142 AD du Nord, 2 T 816, lettre de Louis Liard au recteur, 6 avril 1889 et réponse du recteur.
143 AD du Nord, 2 T 818, Bourses, lettre du doyen Demartres de la faculté des sciences de Lille au recteur, 2 mai 1891.
144 AD du Nord, 2 T 822, bourses, lettre du doyen de la faculté des sciences de Lille au recteur, 17 janvier 1896.
145 Ibid., lettre du doyen des lettres au recteur, 10 juillet 1895.
146 Ibid., lettre de Louis Liard au recteur de l’académie de Lille et arrêté du 29 juillet 1895.
147 AD du Nord, 2 T 823, lettre de Louis Liard au recteur, 19juillet 1898.
148 Annales de l’Université de Lille, « compte rendu des actes et travaux de la faculté des lettres pour l’année 1888-1889.
149 Ibid., année 1900-1901, p. 86-89.
150 Ibid., année 1912-1913, p. 89-93.
151 AD du Nord, 2 T 816, lettre du recteur de l’académie de Lille au ministre, 25 juillet 1889.
152 AD du Nord, 2 T 823, lettre du recteur de Lille au ministre, 13 avril 1899.
153 Ibid., rapport de l’enseignant du lycée de Lille sur le stage du boursier Denin, 29 mars 1897.
154 Archives nationales, F17 13741, bourses de licences ès sciences et ès lettres, registres des concours de l’année 1904.
155 Archives nationales, F17 13741, bourses de licences ès sciences et ès lettres, registres des concours de l’année 1904.
156 Archives nationales, F17 13745, bourses d’agrégation (1893-1898), registre des bourses en sciences, 1894-1895.
157 Archives nationales, F17 13745, bourses d’agrégation (1893-1898), registre des bourses en lettres, année 1894-1895.
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