Chapitre II. Le masque des neutres : neutralité, navigation et commerce dans les guerres des XVIIe et XVIIIe siècles
p. 75-125
Texte intégral
1Les contraintes que l’état de guerre fait peser sur les échanges commerciaux internationaux deviennent particulièrement lourdes à partir de la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697). En effet, la perturbation du négoce ennemi destinée à saper sa capacité à soutenir un effort militaire prolongé devient un objectif stratégique. Les escadres de navires de guerre et les corsaires font la chasse au commerce de l’ennemi, traquant son pavillon autant que ses marchandises transportées par les neutres. Mais les conflits armés ne suspendent pas les échanges commerciaux internationaux car l’élimination des belligérants crée un appel d’air pour les neutres qui, en théorie, peuvent encore naviguer librement. Dans ces conditions, les rapports avec les belligérants sont inévitablement marqués du sceau de la contradiction : les neutres sont autant suspects que nécessaires et précieux. La navigation neutre est un recours aussi bien pour les particuliers cherchant, malgré la conjoncture, à poursuivre leurs activités mercantiles, que pour les États en guerre ayant besoin d’assurer leur approvisionnement en produits stratégiques, au premier rang desquels figurent les matériaux de construction navale d’Europe du Nord. La question de la liberté du commerce neutre est fondamentale car, plus que toute autre, elle se situe sur le point saillant entre la poursuite de l’activité ordinaire des temps de paix, et les contraintes extraordinaires des périodes de guerre. Voilà pourquoi les problèmes qu’elle soulève restent peu ou prou les mêmes aux XVIIe et XVIIIe siècles. Les revendications d’un libre négoce, tout comme les prétentions à ruiner le commerce ennemi sous quelque pavillon qu’il se trouve, sont nourries par des discours de nécessité et de droit. C’est la raison pour laquelle le commerce neutre en temps de guerre ne relève pas uniquement de l’histoire économique, mais mobilise également l’histoire du droit et des relations internationales. En effet, les paroles juridiques et politiques permettent de construire une justification et de fonder une posture de bonne foi, tant du côté des belligérants qui cherchent à intercepter les bâtiments neutres, que des non-belligérants souhaitant poursuivre leur commerce.
Les dynamiques de la navigation neutre
2Aux XVIIe et XVIIIe siècles, la guerre fait partie de l’univers mental du négociant. Il lui faut, selon l’économiste Jacques Accarias de Serionne, « trouver les moyens de continuer son commerce à l’insu de l’ennemi, & prendre les précautions nécessaires pour l’éviter1 ». L’étude des capacités d’adaptation aux conditions particulières des échanges en période de guerre autorise à ne plus considérer les conflits uniquement comme des calamités pour le commerce, mais aussi comme de puissants aiguillons de l’ingéniosité négociante qui passe notamment par le recours à la couverture du pavillon neutre.
Les transferts sous couleurs neutres
3En théorie, le passage de la paix à la guerre implique une rupture de tous types de relations entre les sujets des princes devenus ennemis et donne le coup d’envoi de la traque à la navigation et au commerce ennemis. À partir du conflit de la Ligue d’Augsbourg, la course maritime devient une partie intégrante des stratégies de guerre2. La menace corsaire occasionne une forte augmentation du coût des assurances maritimes. Lors de la guerre de Succession d’Espagne, il est trois à quatre fois plus important à Nantes ou à Marseille qu’en temps de paix3.
4Lorsqu’il examine les conditions du commerce en temps de guerre, Accarias de Serionne n’envisage qu’un seul recours pour le négociant sujet d’un prince belligérant : « il peut expédier son navire & sa cargaison sous le nom & le pavillon neutre : c’est ce qu’on appelle masquer un navire. […] Le sujet de la Nation en guerre n’a de ressource légitime pour soutenir son commerce que dans le loyer des vaisseaux neutres qui peuvent faire le commerce de fret4 ». Le recours aux pavillons neutres est une pratique courante dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Pendant la guerre de la Ligue d’Augsbourg, les négociants de Bordeaux ou de Saint-Malo se servent de navires scandinaves, maltais, italiens et surtout portugais, pour leur commerce méridional5. La neutralité explique l’apparition spectaculaire de certains pavillons dans les registres portuaires. C’est le cas pour les bâtiments des Pays-Bas autrichiens lors de la guerre d’Indépendance américaine. À Bordeaux, ce pavillon est longtemps insignifiant (0,6 % des entrées en 1773), mais il commence à compter à partir de 1778 et surtout en 1781 lorsque l’Angleterre et les Provinces-Unies entrent en guerre. La fin de la neutralité hollandaise provoque une fuite des armements maritimes, étrangers ou nationaux, vers des pavillons plus sûrs notamment celui de l’Empereur6. La grande volatilité des transferts explique que, dès la fin de la guerre, le pavillon impérial flamand retrouve ses niveaux très faibles dans les ports français, illustrant le caractère factice de sa prospérité des années 1781-1782. Le recours au masque des neutres pour soustraire une partie de son commerce à l’ennemi est une réalité ordinaire des temps de guerre. Sur le fond, et tous les pays en guerre le savent pour le pratiquer, il repose sur des tours de passe-passe permettant de donner la couleur de la neutralité à la belligérance. Ce sont autant de pratiques obliques qui mobilisent aussi bien des réseaux familiaux, d’amitiés ou d’affaires que les diplomates et les consuls qui les protègent, les surveillent, ou les dénonce.
5Faire passer un bâtiment et sa marchandise pour neutres, alors qu’ils ne le sont pas, requiert d’adopter certaines précautions. Il faut d’abord trouver un capitaine et un équipage neutres, au moins au deux tiers. Les naturalisations ne sont valables que si elles ont été effectuées avant le début de la guerre. Il est ensuite nécessaire de trouver un prête-nom qui passe pour propriétaire de l’ensemble et procure le pavillon neutre. Il faut aussi que le maître officiel soit intéressé à l’expédition pour qu’il soit incité, en cas d’arrestation du bâtiment, à faire les démarches pour récupérer « son » navire et « sa » cargaison. La rémunération des hommes de paille est calculée en fonction de la valeur de la marchandise embarquée. La vente fictive des bâtiments et des cargaisons s’accompagne de la production de faux papiers de bord. Par exemple, les négociants londoniens qui affrètent le Jeune Guillaume en décembre 1781 pour expédier du poisson à Marseille, confient le navire à un capitaine sarde, commandant d’un équipage impérial qui est pourvu de faux papiers de bord mettant en relation deux prête-noms, l’un d’Ostende et l’autre de Nice7. Les pratiques de dissimulation reposent avant tout sur la capacité d’un sujet neutre fiable à se charger, nominalement, de l’expédition en utilisant des fonds qui ne sont pas les siens.
6Plus encore que pour les transactions ordinaires entre négociants, la confiance entre partenaires est déterminante. C’est ce qui explique l’importance des réseaux de parentèles et des diasporas dans le commerce des temps de guerre. Les Irlandais établis dans les grands ports de l’Europe atlantique forment un vaste réseau d’affaires dont les pôles neutres connaissent une singulière activité lors des périodes de guerre, que ce soit simplement pour prêter un nom ou pour profiter de la conjoncture. Richard Hennessy, jacobite installé à Ostende après avoir séjourné en France, joue de ses relations d’affaires et de familles avec d’autres Irlandais de Bordeaux et de Charente pour faire le commerce du vin, des eaux-de-vie et des produits coloniaux vers l’Angleterre8. L’autre grand réseau de famille et d’affaires qui est mobilisé par le commerce neutre est celui des Huguenots émigrés aux Provinces-Unies, à Hambourg ou en Scandinavie9. Leurs liens avec la France, qui structurent les réseaux d’affaires en temps de paix, deviennent autant de relais pouvant servir au camouflage du commerce lors des conflits avec l’Angleterre. Ventes fictives, transactions en trompe-l’œil, productions de documents antidatés pour valider des transferts de navires et des naturalisations antérieures au début de la guerre, parent les expéditions des belligérants des signes extérieurs de la neutralité leur permettant d’espérer naviguer librement et d’échapper aux corsaires.
7Pour plus de sûreté, les capitaines sont munis de double jeu de papiers de bord. Au début de la guerre de Sept Ans, le consul danois à Bordeaux assure que tous les navires destinés à un port belligérant disposent de passeports et de documents simulés pour un port neutre, et il n’y a que le capitaine et le fréteur qui connaissent la véritable destination de l’expédition10. Le capitaine emporte également de faux rôles d’équipage et d’autres documents falsifiés devant servir à attester la propriété neutre du navire et de son chargement. Il arrive également que les contrats d’armement prévoient explicitement de voyager avec un double jeu de pavillons. Il revient au capitaine de savoir utiliser avec discernement les fausses attestations et pavillons dont il dispose, en fonction de la nationalité du corsaire qui l’arraisonne. Ce n’est pas toujours évident, comme en 1757 avec La Vierge de Miséricorde qui change quatre fois de couleurs pendant la poursuite que lui livre un corsaire marseillais11. Les pratiques de dissimulation sont d’autant plus nécessaires lorsqu’il s’agit de transporter des marchandises de contrebande, car il faut alors les cacher derrière un chargement réputé innocent et prendre bien garde à ne pas éveiller les soupçons sur la destination réelle du bâtiment. Sous l’apparence d’une cargaison de planches de Norvège expédiée vers des ports neutres d’Europe du Sud, peuvent se dissimuler des matériaux de marine destinés aux arsenaux français12. Si les documents fictifs sont bien faits et surtout cohérents, il est difficile pour le corsaire de débusquer les fausses couvertures neutres et de prouver que le bâtiment vient d’un port ennemi ou s’y rend alors qu’il affiche une destination neutre. En 1757, l’ambassadeur de France à La Haye, d’Affry, témoigne de l’habileté avec laquelle les Anglais qui ont armé à Rotterdam utilisent leur double jeu de papier pour faire le commerce avec la France : « Si ces batiments rencontrent quelques corsaires françois, ils leurs montrent des attestations de domicile en Hollande, s’ils rencontrent des corsaires anglois ils produisent des extraits baptistaires de cette nation ce qui leur ouvre les ports de l’Angleterre13. »
8La connaissance des différents tours de passe-passe fonde une suspicion profonde et durable envers les pavillons neutres. Mais comme dans chaque camp on a recours aux stratagèmes de dissimulation, il est difficile pour un belligérant de prendre des mesures rigoureuses contre les « faux neutres » sous peine de les voir imposer à ses propres sujets. En 1778, André Garnier, consul de France à Ostende, propose un moyen de lutter contre le commerce que les Anglais continuent à faire en France sous pavillon impérial. Selon lui, il faudrait que les papiers de bord des bâtiments soient visés dans le port flamand par le consul, c’est-à-dire par lui-même, afin d’attester la véritable propriété neutre du bâtiment et de son chargement. Le maréchal de Castries, tout en reconnaissant la pertinence de sa suggestion, préfère la rejeter. Il fait valoir que les Anglais ne manqueraient pas d’appliquer la même règle, ce qui ruinerait les négociants français utilisant des faux papiers impériaux : « Vous savez qu’en temps de guerre nous sommes obligés de recourir aux vaisseaux neutres et de simuler nos connoissements tant pour les lieux de l’expédition que pour ceux de la destination, ainsi quoi qu’il soit très facheux de voir introduire dans nos ports des marchandises appartenant à nos ennemis, je pense qu’il vaudrait mieux dissimuler que de compromettre l’usage que nous faisons des mêmes ressources qu’eux et les avantages que nous en retirons pour notre propre commerce14. » La pérennité des pratiques obliques de dissimulation du commerce repose sur un modus vivendi qui amène à reconsidérer l’idée d’une radicalité de la lutte contre le commerce ennemi sous quelque forme qu’il se pratique.
9La dissimulation sous pavillon neutre est un mécanisme complexe induisant de multiples circulations. Il nécessite de disposer de relations, d’informations, de réseaux financiers permettant des accommodements pour utiliser à plein des complicités dans les pays ennemis et les subterfuges de la neutralité (faux papiers, prête-noms, ventes fictives). En ce sens, le commerce en temps de guerre via les neutres qui mobilise négociants, gouvernements, diplomates et consuls est un révélateur de l’imbrication des différents acteurs des relations internationales. Les circulations marchandes se modifient au gré de la conjoncture et se concentrent en certains lieux qui acquièrent soudainement un rayonnement inédit.
Les lieux de la neutralité : Livourne et Ostende
10La dissimulation du commerce des belligérants sous couleurs neutres entraine une modification des circuits commerciaux au profit de certains ports. Ils polarisent l’espace marchand en devenant des centres d’impulsion commerciale attirant des bâtiments de toutes nationalités et des marchandises de tous types qui y convergent avant d’être redistribuées. Certains ports connaissent des carrières fulgurantes, Livourne pendant la guerre de Sept Ans et Ostende lors de la guerre d’Indépendance américaine.
11Le respect de la neutralité livournaise est une longue quête pour le gouverneur qui doit accorder les consuls des puissances belligérantes sur ce qui est autorisé et interdit dans le port15. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les autorités publient au début de chaque conflit, mais aussi pendant des années de paix, des édits précisant le cadre d’exercice de la neutralité. Mais le 1er août 1778, le grand duc de Toscane déclare de manière unilatérale sa neutralité perpétuelle sans en avoir préalablement discuté les conditions avec la France ou l’Angleterre. Cette décision marque le terme d’une évolution dont l’origine se trouve dans le statut de port franc reconnu à Livourne en 1593 et complété en 1676. Il assure une série de garanties et de libertés pour les personnes et les biens, et instaure un droit léger, le stallagio, sur les marchandises étrangères sans considération de volume ou de valeur, pourvu qu’elles soient destinées à être réexportées. La franchise du port et un régime fiscal favorable permettent d’attirer les bâtiments étrangers en leur offrant des conditions avantageuses.
12Livourne dispose de bonnes capacités d’entreposage qui servent avant tout au commerce étranger puisque les Livournais n’ont qu’une marine propre limitée et peu de maisons de commerce16. Pendant la guerre de Sept Ans, la franchise de Livourne permet aux corsaires d’amener leurs prises et de nourrir un marché de vente de navires d’occasion. Sur place, des hommes de paille acquièrent, avec toutes les apparences de la légalité, des bâtiments qui servent en réalité au commerce des belligérants. Livourne devient un haut lieu de ventes fictives et de production de documents fondant le bon droit du propriétaire officiel17. Avec le retour de la paix en 1763, l’activité de camouflage disparaît et Livourne connaît un certain marasme expliquant la nostalgie d’un de ses habitants qui écrit en 1765 : « finalement la guerre est la source la plus féconde de notre commerce. Le trafic des nations belligérantes, fortement gêné, passe alors dans nos mains18 ». Dans les périodes de conflit, le trafic du port de Livourne connaît une baisse sensible, reflétant la diminution générale de la navigation des grandes puissances en Méditerranée, alors que les ventes de prises restent une activité limitée19. Mais les Livournais deviennent acteurs du commerce en fournissant une couverture, alors qu’en période de paix, leur port n’est qu’un simple relais commercial dont l’activité ne génère que fort peu de retombées pour les habitants.
13La prime de la fulgurance des ports francs et neutres en temps de guerre revient sans doute à Ostende. Sa fréquentation est multipliée par cinq entre 1778 et 1781, pour atteindre pratiquement 3 000 entrées par an20. L’augmentation du nombre de bâtiments arborant le pavillon impérial, de maisons de commerce et d’habitants, est à l’avenant. Il y a une première croissance au début de la guerre d’Indépendance américaine grâce aux transferts effectués par les négociants anglais et français sous pavillon impérial. Mais c’est le déclenchement du conflit entre l’Angleterre et les Provinces-Unies, en décembre 1780, qui lui donne une impulsion décisive21. L’évolution du nombre de passages de bâtiments flamands au Sund reflète cette dynamique. Le consul français à Elseneur, Brosseronde, en dénombre 10 en 1778, 30 en 1780, 95 en 1781, 505 en 1782, 533 en 1783, mais seulement 164 en 178422. Ostende est une plateforme commerciale générale où les négociants des pays en guerre apportent leurs marchandises qui sont ensuite réexpédiées vers d’autres ports européens, voire antillais, sous pavillon de l’Empereur ou d’autres neutres notamment danois et suédois23.
14À côté de cette activité réelle, il y a celle de dissimulation des navires belligérants par la production de faux documents. Le consul de France sur place en témoigne décrivant les pratiques des marchands anglais : « ils frettent des navires neutres, les chargent de marchandises anglaises à Londres où dans les autres ports d’Angleterre, d’où ils les expédient pour la France avec des connoissements manifestés, datés et signés d’Ostende24 ». Les transferts fictifs de propriété de bâtiments ou de marchandises au nom d’habitants d’Ostende représenteraient les 2/3 de la flotte sous pavillon impérial qui appartiendraient, en réalité, à des Français, des Anglais ou des Hollandais25. Les transferts ne peuvent s’effectuer que si les négociants belligérants disposent de relais locaux. Pendant la guerre d’Indépendance américaine, il leur faut nouer des contacts avec des correspondants d’Ostende qui participent au grand réseau européen de l’information marchande26. L’activité de la ville se développe entre la réalité des navires qui fréquentent son port et la fiction de la couverture du négoce par les habitants. Un observateur anglais s’étonne qu’à Ostende: « there are people in this town who are not worth £1 000 [but] have 50 sails of ships in their own name ». De fait, les véritables acteurs locaux du commerce sont dépassés, comme la maison Hennessy qui possède officiellement 49 bâtiments mais qui, en réalité, n’investit véritablement que dans trois navires27. Afin de profiter au maximum de la conjoncture, Joseph II ordonne la création d’un second bassin et accorde le statut de port franc à Ostende en juin 1781 pour renforcer son attractivité28. L’objectif de l’Empereur est de pérenniser l’activité commerciale d’Ostende, dont il reconnaît qu’elle n’est alors « qu’une effervescence momentanée, une espèce de mascarade sous notre pavillon29 ».
15Le dynamisme d’Ostende et de Livourne, comme celui d’autres ports neutres, montre le profit qu’il est possible de tirer de la neutralité dans les grands conflits européens du XVIIIe siècle. La franchise est une condition favorable au succès de ports qui combinent la neutralité politique de leur souverain, un régime fiscal avantageux et une permissivité facilitant la dissimulation du commerce des belligérants. Mais il ne s’agit que d’une activité en trompe-l’œil dont la soudaineté de la chute est proportionnelle à la rapidité de la croissance. À Ostende, avant même la conclusion officielle de la paix franco-anglaise (3 septembre 1783), le consul Garnier rend compte du déclin du port : « la guerre faisait rouler l’or à grands flots dans Ostende, offrait des objets de lucre qui faisaient gagner quelques fois dans une semaine ce qu’on était heureux d’acquérir auparavant dans tout le cours d’une année ; enfin, la paix, cette fille bienfaisante du ciel, est arrivée et elle a remis, à Ostende, les choses sur l’ancien pied à peu près30 ». Mais la croissance des pavillons neutres n’est pas toujours qu’un feu de paille. Certains pays parviennent à utiliser au mieux leur non-belligérance pour stimuler une véritable navigation nationale qui perdure au-delà de la paix, c’est le cas des royaumes scandinaves.
Du bon usage de la neutralité : l’exemple de la navigation scandinave
16La neutralité scandinave dans les conflits franco-anglais de la fin du XVIIe et du XVIIIe siècle a un impact clair sur les pavillons des royaumes dano-norvégien et suédois en Europe. Ces dernières années, les travaux des historiens scandinaves (Ole Feldbæk, Leos Müller, et Dan Andersen) ont permis de mieux évaluer l’influence de la neutralité sur la navigation scandinave. Ces auteurs ont bien pris soin de faire la distinction entre le service de transport et le commerce à proprement parler, c’est-à-dire l’exportation de marchandises nationales. L’exemple scandinave permet d’illustrer la palette qui s’offre aux pavillons neutres en temps de guerre et de montrer concrètement les différentes manières d’exploiter la neutralité, du simple camouflage sous bannière neutre à l’acquisition durable de parts de marchés étrangers.
17En 1691, Bezons, intendant de Bordeaux, évoque la situation du port girondin. Si les marchands anglais et hollandais sont bien partis, « il y a encore présentement des Danois et des Suédois ; et il me paroit que ces étrangers non naturalisés estoient ceux qui faisoient le plus gros commerce31 ». Effectivement, au cours des guerres de la fin du règne de Louis XIV, les Scandinaves profitent de la mise à l’écart des Puissances Maritimes pour accroître sensiblement leur participation au grand commerce européen en général, celui de la France en particulier. À Dunkerque, la part des pavillons scandinaves qui ne dépassait pas 5 % des entrées dans les années 1680 atteint pratiquement 28 % une décennie plus tard32. Suédois et Danois mettent en place une navigation triangulaire avec un premier voyage pour la livraison de produits baltiques vers l’Angleterre ou vers la Hollande ; un second trajet sur lest vers la France ; enfin, un retour dans le Nord avec des vins, des eaux-de vie et du sel pris dans les ports de la façade atlantique33. Les Scandinaves profitent de la guerre de la Ligue d’Augsbourg pour étendre leur navigation vers le Sud : « il y a maintenant dans nos mers plus de cinquante vaisseaux sous pavillon danois pour un qui paroissoit avant la guerre et que la Méditerranée, à qui cette baniere estoit presque inconnüe pendant la paix, n’en voit guère d’autres que celles des deux roys du Nord » assure l’ambassadeur de Louis XIV à Copenhague34. La vigueur de l’essor des pavillons du Nord ne manque pas de nourrir des soupçons sur leur sincérité.
18Globalement, pendant la guerre de la Ligue d’Augsbourg, les Danois doublent leurs capacités de transport. À Glückstadt, dans le Holstein, les déclarations des bâtiments quittant le port occupent quatre pages de registres pour l’année 1689, 28 en 1690 et 34 en 169135. En Norvège, le nombre de navire est multiplié par 2, mais le tonnage par 3,8 grâce au dynamisme du secteur de la construction navale36. Mais la guerre des années 1710 marque un sévère retournement de tendance. Comme en Suède, les capacités maritimes norvégiennes de la fin du XVIIe siècle ne sont retrouvées que lors de la guerre d’Indépendance américaine37.
19Les transferts opérés par les négociants des États belligérants sont l’un des principaux facteurs expliquant la croissance des pavillons du Nord. Lors de la guerre de la Ligue d’Augsbourg, les marchands de Hambourg profitent du voisinage des villes danoises d’Altona, sur la rive droite de l’Elbe, de Glückstadt, plus en aval, ou de la proximité de Stade qui appartient à la Suède. Le passage sous pavillon neutre peut se faire au moyen de lettres de bourgeoisie obtenues d’officiers corrompus. Il arrive certaines journées que jusqu’à quarante individus deviennent bourgeois d’Altona38. La pratique la plus courante, l’utilisation d’un prête-nom, est parfaitement connue. En 1693, l’ambassadeur de France à Copenhague, Bonrepaus, en informe son gouvernement :
« Un Hollandais ou un Hambourgeois vient dans une ville de Danemarck et suppose par une obligation simulée qu’il a prêté une somme à un marchand danois. Cette somme est employée à l’achat d’un vaisseau, de marchandises ou autres choses qui leur conviennent sous le nom d’un Danois qui fait ensuite le serment que tout lui appartient, que c’est pour son compte, mais avant que le chargement parte il fait une rétrocession à l’étranger qui lui a prêté cette somme moyennant quelques petits intérêts qu’il conserve dans le chargement que l’étranger lui donne, tant en considération de ce qu’il a prêté son nom que pour l’engager à réclamer le vaisseaux en cas qu’il soit pris par les armateurs français39. »
20Le diplomate souligne le rôle très important joué par les Anglais et les Hollandais naturalisés qui assurent, selon ses informations, les deux tiers du commerce danois40. La forte croissance du nombre de bâtiments au début des années 1690 contraint à naturaliser des capitaines et des pilotes anglais et hollandais, autant de techniciens sans lesquels les transferts de bâtiments sont inutiles41.
21Il reste assez difficile de distinguer ce qui relève du commerce authentiquement danois du simple artifice, car la guerre favorise les circulations financières et les investissements croisés. Ainsi, dans les années 1690, deux membres de la communauté juive sépharade de Hambourg, Jacob Abensur et Salvador Palacios, servent d’entremetteurs entre les négociants hambourgeois et une partie de la bourgeoisie et de l’élite administrative danoise pour l’organisation d’expéditions vers la France et l’Europe méridionale42. La couverture sous pavillon scandinave repart de plus belle lors de la guerre de Succession d’Espagne, et les Suédois ne sont pas en reste. En 1708, des armateurs de Dunkerque se plaignent au Conseil de Commerce « du grand commerce que font les ennemis sous le nom des Suédois43 ». Depuis Stockholm, le résident français, Jacques de Campredon, fait des constatations similaires : « Je savais à n’en pouvoir douter qu’aucun Suédois ne naviguait pour son compte, mais pour celui des Anglais et des Hollandais44. » C’est pourquoi en dépit de l’essor des pavillons scandinaves, le commerce baltique avec la France reste la chasse gardée des Hollandais au début du XVIIIe siècle.
22La navigation scandinave connaît de nouveau de belles heures pendant les guerres franco-anglaises du XVIIIe siècle. L’étude des passeports dits « algériens45 » permet de connaître l’évolution du grand commerce danois et suédois et de le mettre en rapport avec la conjoncture internationale.

Graphique 1. – Passeports « algériens » délivrés en Suède et au Danemark entre 1741 et 178746.
23Le graphique montre la progression de la navigation scandinave à la faveur des guerres du XVIIIe siècle : il y a en moyenne annuelle 253 passeports délivrés par les amirautés scandinaves lors de la guerre de Succession d’Autriche (148,5 pour la Suède – 104,5 pour le Danemark) ; 378,4 pendant la guerre de Sept Ans (172,8 pour la Suède - 205,6 pour le Danemark) ; enfin, 794,7 durant la guerre d’Indépendance américaine (316,4 pour la Suède - 478,3 pour le Danemark)47. Le dynamisme de la navigation scandinave se retrouve dans les passages au niveau du Sund. Entre 1778 et 1783, la croissance est de 41 % pour les Suédois et 47 % pour les Danois48. Cette évolution générale traduit une intégration croissante des marines du Nord dans la navigation européenne et une capacité à mieux exploiter les ressources de la neutralité au cours du siècle.
24L’étude de la distribution des passeports « algériens » montre que les territoires danois de l’Empire profitent le plus des transferts des belligérants. En 1759, 56 % des passeports « algériens » délivrés par l’amirauté de Copenhague sont destinés aux duchés allemands de la couronne danoise alors qu’ils n’ont pas de productions susceptibles de faire l’objet d’une forte demande en temps de guerre49. La réalité des dissimulations ressort également de la multitude des cas d’arrestations. Ainsi, le Neptune de Christiansand arrêté en 1757 par un corsaire marseillais pour avoir une partie de son équipage anglais et des papiers de bord de cette nationalité50. À la fin de la guerre de Sept Ans, l’ambassadeur danois en France, Erhard Wedel-Friis, dresse un tableau récapitulatif des navires de ses compatriotes qui ont été saisis et présentés devant le Conseil des Prises. Il recense 43 bâtiments sur lesquels 11 ont, d’une manière ou d’une autre, un rapport avec l’Angleterre sans qu’il entraine nécessairement la prise51. Les Suédois sont également concernés comme le montre l’exemple du l’Expérience de Stockholm pris en janvier 1757. La confiscation est confirmée par le Conseil des Prises au motif que le bâtiment chargé à Londres pour Livourne et Naples, officiellement pour le compte de négociants italiens, couvre en réalité le commerce anglais comme le capitaine et le subrécargue finissent par le reconnaître lors de l’interrogatoire52. Si les dissimulations sous pavillons scandinaves concourent indiscutablement à l’essor global des marines du Nord, il n’en demeure pas moins que celles-ci profitent des guerres franco-anglaises pour connaître un développement pérenne.
25Les marines scandinaves ont des avantages structurels à faire valoir, en particulier une importante productivité grâce à la facilité d’accès aux matériaux de construction navale, à l’utilisation de navires de fort tonnage et aux salaires moins élevés des marins qui permettent de proposer un fret bon marché53. La neutralité bien exploitée permet d’élargir les horizons de la navigation des pays du Nord en pénétrant durablement de nouveaux marchés, notamment en Méditerranée. Les Français ne s’y opposent pas puisque Maurepas accepte en 1745 qu’à Livourne, comme pour certains ports des Échelles, le consul de France soit aussi chargé des intérêts suédois54. Bien que la tendance soit similaire pour les deux marines du Nord, les courbes permettent néanmoins de faire ressortir des différences entre le Danemark et la Suède. Les Danois semblent avoir mieux réussi à tirer profit de leur neutralité, puisque le nombre de leurs passeports augmente rapidement au fil des guerres. La différence se creuse avec les Suédois dont la navigation est, en revanche, moins affectée par le retour de la paix. Cette situation s’explique par le fait que l’essentiel de la navigation danoise consiste à prendre en charge les transports que les belligérants ne sont plus en mesure d’assurer, comme le constate le ministre danois Bernstorff à propos des échanges avec Gênes : « jusqu’ici le commerce et les liaisons avec Genes n’ont guère augmenté. Ce n’est que le seul cabotage qui y occupe quelques vaisseaux, et cette navigation soutenue par aucun négoce doit naturellement diminuer à la paix55 ». En effet, en dehors du bois et du poisson de Norvège, ainsi que des marchandises coloniales passées par Copenhague, les Danois n’ont pas de grands produits d’exportation. Le pavillon de la Suède est moins attractif que celui de son voisin, mais ses progrès reposent sur une base plus solide car le pays produit des matériaux de construction navale (bois, goudron, produits métallurgiques) qui sont l’objet d’une forte demande en période de guerre. Elle explique la croissance de près de 50 % en valeur des exportations de la Suède pendant la guerre d’Indépendance américaine et le dynamisme des chantiers de construction navale56.
26Suédois et Danois, établissent de véritables stratégies pour profiter du commerce méridional. Au lieu d’une rotation directe Baltique-Méditerranée qui ne prendrait que quelques mois, les bâtiments du Nord peuvent prolonger leur séjour méridional. Dans les ports espagnols, italiens ou français, les Suédois louent leurs navires pour des navigations méditerranéennes. C’est le cas du Pelikan de Norrköping parti de Suède en août 1775, pour une longue navigation de près de deux années. Il passe par Bordeaux, Ancône, Alicante, Gênes, Palerme, Cadix puis Setubal avant de regagner la Suède57. Ce type de navigation se développe particulièrement en temps de guerre comme le montre l’allongement des séjours des bâtiments nordiques engagés dans le commerce méridional. Lors de la guerre d’Indépendance américaine, plus de la moitié des bâtiments suédois ne revient que l’année suivant celle du départ, un gros quart prend plus de deux ans pour rentrer dans le Nord58.
27À côté du coût attractif du transport maritime des bâtiments du Nord, la durée des rotations scandinaves en Méditerranée s’explique par deux autres raisons. D’abord, par les difficultés de navigation en Baltique entre décembre et mars qui peuvent contraindre à prolonger le séjour méridional en attendant la saison propice pour rentrer. Ensuite, la nécessité de rentabiliser le voyage incite à se rendre dans plusieurs ports pour vendre le chargement au meilleur prix et trouver une cargaison de qualité et bon marché pour le retour59. Ces opérations sont facilitées par le contexte de guerre et la sécurité relative que procure la neutralité, renforcée, le cas échéant, par de faux papiers de bord comme avec le Louise-Ulrika qui, en 1759, transporte officiellement des huiles de Marseille à Hambourg, mais qui en réalité doit se rendre au Havre60. À mesure que la paix approche, l’avantage des Scandinaves s’amenuise. En janvier 1783, à l’annonce de la signature des préliminaires de paix entre l’Angleterre et les Provinces-Unies, le consul suédois à Marseille, Henrik Jacob Fölch, déplore l’effet de cette nouvelle qui arrive « dans un moment bien facheux pour le commerce des Suédois avec ce port [car] nos capitaines tiroient bon parti des circonstances de la guerre »61. Une période faste se clôt, mais les fruits de la neutralité ont la vie longue. Le consul danois à Marseille Lars Lassen s’en réjouit en 1785, assurant : « nos navires ont […] une préférence décidée sur tous les autres pavillons commerçants62 ». Les progrès manifestes des marines scandinaves ne s’expliquent pas seulement par des facteurs économiques, mais aussi par la détermination des gouvernements de Copenhague et de Stockholm à utiliser la dynamique de la neutralité dans le cadre général d’une stratégie de développement basée sur la navigation et le commerce.
Les politiques de promotion de la neutralité
28Dans les royaumes scandinaves, l’exploitation des avantages de la neutralité s’intègre à une politique générale combinant la réduction des importations étrangères et la stimulation des exportations. Les pays du Nord peuvent vendre des matériaux de marine et du poisson, pour acheter du vin, des eaux-de-vie, du sel, des articles de luxe ainsi que des produits méditerranéens et coloniaux.
29Les Danois adoptent une véritable politique d’encouragement au commerce à partir des années 173063. Elle se traduit par le développement du réseau consulaire et la multiplication des traités de paix et de commerce avec les Barbaresques et les États du Sud64. Que ce soit en Méditerranée, aux Antilles ou encore en Asie, la neutralité danoise lors des guerres de Sept Ans et d’Amérique est soigneusement cultivée afin de tirer le meilleur parti de la conjoncture pour stimuler les échanges, la navigation et, in fine, les revenus de l’État. L’historiographie danoise dénomme la période allant du milieu du XVIIIe siècle au bombardement anglais de Copenhague en 1807, la « florissante periode » de la navigation nationale. La neutralité est alors la pierre angulaire de la politique étrangère danoise, au service du mot d’ordre d’Andreas Peter von Bernstorff, ministre des Affaires étrangères au début de la guerre d’Indépendance américaine : « Sicherheit und Wohlstand » (sécurité et prospérité)65.
30La Suède offre un cas de figure assez différent. La détermination à développer une marine véritablement nationale se manifeste avec le Produktplakat de 1724, qui inspire des mesures similaires au Danemark en 1742. Prenant modèle sur les actes de navigation anglais du XVIIe siècle, le Produktplakat interdit l’importation sur des navires étrangers de marchandises qui ne sont pas de leur cru. Concrètement, cet édit a pour conséquence de priver les Anglais et les Hollandais de la possibilité d’apporter en Suède les produits de l’Europe méridionale (sel, vins, eaux-de-vie). Les navires étrangers restent autorisés à exporter les marchandises suédoises, mais il leur faut trouver un fret national ou venir sur lest66. Ce sont autant de conditions favorables incitant les négociants suédois à entreprendre la grande navigation européenne.
31La neutralité s’impose comme principe de politique étrangère plus tardivement en Suède qu’au Danemark. La nostalgie de la grandeur du XVIIe siècle, n’entrave pas une véritable réflexion sur les profits à tirer de la neutralité. La Suède doit profiter de la conjoncture pour développer sa navigation, accroître son nombre de marins, s’emparer de nouveaux commerces et procurer des revenus supplémentaires à l’État. Pour y parvenir, le consul de Suède à Nantes, Jean-Christian Stierling, préconise de s’inspirer du modèle hollandais en pratiquant un cabotage de deux à trois années en Méditerranée avant de regagner le Nord67. Ce type de réflexions trouve un écho particulier avec la grave crise financière qui touche la Suède à la fin de sa guerre contre la Prusse en 1762. Elle remet sérieusement en question la pertinence d’une politique belliqueuse68. Cependant, la Suède ne dispose pas des mêmes atouts que le Danemark, et encore moins que les Provinces-Unies, pour exploiter une position de neutralité. Au début du règne de Gustave III, en 1771, le président du Kommerskollegium, Johan Liljencrantz, accorde la priorité au développement du commerce extérieur. Il souhaite que la Suède devienne un intermédiaire incontournable dans les échanges entre l’Europe occidentale, les pays méditerranéens et la Baltique69. Liljencrantz veut créer des ports francs pouvant servir d’entrepôt pour nourrir une vaste activité de transport maritime70. Pendant la guerre d’Indépendance américaine, le port franc de Marstrand est très fréquenté par les corsaires français qui viennent y vendre leurs prises, mais aussi par les navires des États-Unis au grand dam des Anglais. Avec la guerre, les mouvements du pavillon suédois doublent alors que ceux des étrangers diminuent pratiquement des deux tiers, ce qui illustre le glissement d’une partie du commerce des belligérants sous pavillon suédois et le profit tiré de la franchise du port de Marstrand71.
32Au XVIIIe siècle, la politique de développement commercial adoptée dans les deux royaumes scandinaves inscrit l’adoption de la neutralité dans une stratégie globale dont la croissance des flottes danoise et suédoise atteste le succès. Dans la seconde moitié du siècle, le tonnage des deux marines scandinaves double. À la fin des années 1780, le Danemark a la quatrième flotte du continent et la Suède la cinquième, autant de signes de l’intégration de ces deux pays dans le grand commerce européen et mondial72. Les profits générés par la neutralité permettent de financer la construction de navires de fort tonnage et de constituer des flottes authentiquement scandinaves73. Ils permettent aux Danois et aux Suédois de s’installer de manière durable sur les marchés lointains du sud de l’Europe, mais aussi dans l’espace atlantique et en Asie.
Conditions et contraintes de la navigation neutre
33La navigation neutre des temps de conflit ne peut être assimilée à la circulation ordinaire des bâtiments lors des périodes de paix. Bien que les non-belligérants soient réputés extérieurs au conflit en cours, ils n’en subissent pas moins les répercussions. Les conditions de la circulation des bâtiments neutres demeurent l’objet de controverses entre les revendications des non-belligérants au libre commerce et celles des pays en guerre cherchant à nuire à leur ennemi. Le principal point d’achoppement est la contrebande dont tous s’accordent à interdire le transport, alors même que sa définition reste un objet de discussion.
Les limites à l’utilisation des pavillons neutres
34Si l’utilisation des neutres est une solution d’évidence pour les négociants des pays en guerre, elle est loin de ne présenter que des avantages. Le transfert sous pavillon neutre engendre des coûts, car il faut rétribuer ceux qui prêtent leurs noms et participent au camouflage des bâtiments. Les risques qu’ils encourent se répercutent sur le prix du fret. Les services des navires neutres du Nord voyageant vers l’Europe méridionale coûtent deux à trois fois plus cher pendant les guerres de Sept Ans et d’Indépendance américaine que lors des années qui les précèdent, même si le coût total reste toujours inférieur à celui des belligérants74. Outre les dépenses qu’elle engendre, l’utilisation des neutres n’offre pas toujours la garantie espérée. Lors de la guerre de Succession d’Espagne, les négociants bordelais se plaignent qu’en cas d’arrestation par les Anglais, les neutres ne font aucune difficulté à reconnaître que leur chargement appartient à des Français puisque, dans ce cas, la marchandise est saisie mais le fret est payé75. Il y a toujours un risque de trahison de la part du capitaine neutre qui touche, d’abord, une somme pour entreprendre le transport, puis ensuite une seconde pour compenser la saisie. Ce type de pratique laisse le négociant parisien Hazon perplexe vis-à-vis de l’utilisation des neutres lors de la guerre de Succession d’Autriche : « Je ne puis me déterminer à faire venir les huiles [de Marseille] au Havre sur des vaisseaux neutres, y ayant plusieurs inconvénients à craindre, une fausse déclaration et une malversation de la part du capitaine qui pourrait déclarer que les marchandises sont pour le compte des Français, s’il était arrêté par les Anglais. Je vous en parle d’après plusieurs faits qu’on m’a cités, qui sont très récents76. »
35Les belligérants suspectent a priori les neutres de couvrir le commerce ennemi. En 1703, le comte de Toulouse, amiral de France, exprime clairement la partialité devant présider au jugement de bâtiments arraisonnés : « en matière de prises, la présomption doit être toujours contre les réclamateurs, parce qu’en faisant leur chargement ils [les capitaines des bâtiments neutres] ont tout le temps nécessaire pour prendre leurs précautions pour munir leurs vaisseaux d’actes propres à dérober la connoissance des véritables propriétaires du vaisseau et des marchandises, qu’ils ont même la faculté de faire fabriquer des preuves en leur faveur dès que leur vaisseau est arrêté et d’employer la sollicitation des ministres étrangers77 ». Pour espérer éviter une condamnation, les neutres doivent être munis de toutes les garanties en bonne et due forme. À la veille de la guerre de Sept Ans, après des avis reçus par le consul danois à La Rochelle, l’ambassadeur Wedel-Friis rappelle à son ministre de tutelle les précautions que les négociants doivent prendre pour éviter d’être saisis par les corsaires français. Les capitaines devront être munis de documents attestant que leur bâtiment était bien propriété neutre avant le déclenchement du conflit, et de passeports authentiques qui sont des reconnaissances de la sincérité d’une navigation par un souverain neutre78.
36Le moment décisif de la rencontre d’un bâtiment neutre avec un corsaire est l’examen des papiers de bord. Comme la course vit de la prédation, le moindre défaut ou la plus légère irrégularité peut nourrir le soupçon de couverture du commerce ennemi et justifier le détournement. En juin 1758, l’ambassadeur suédois Ulrik Scheffer dénonce la condamnation de deux bâtiments de ses compatriotes pour des motifs qu’il considère comme futiles : l’un dans lequel on a trouvé un « chiffon » portant une destination qui n’est pas celle des connaissements, l’autre parce qu’il n’avait pas de rôle d’équipage79. Ce sont autant de manquements qui peuvent apparaître anodins mais qui sont suffisants pour nourrir le soupçon d’une destination fictive ou de la couverture du commerce ennemi. À côté de la découverte de documents suspects pouvant justifier que le bâtiment neutre soit détourné vers un port pour un examen plus approfondi de sa situation, certains indices appellent à la vigilance comme l’usage de la langue ennemie. Le navire danois La Diligence est arrêté à la fin de l’année 1760 par des corsaires de Calais au motif que les membres de son équipage étaient habillés à l’anglaise et qu’ils parlaient anglais, « comme cela est assez courant parmi les Norvégiens » assure l’ambassadeur Wedel-Friis. Finalement, le chargement étant reconnu hollandais, le bâtiment est relâché moyennant le versement d’une caution. Cet épisode est l’occasion pour le secrétaire d’État à la Marine Berryer de rappeler à l’ambassadeur danois que ses compatriotes doivent éviter tout ce qui pourrait nourrir la suspicion des corsaires80.
37Un autre moyen efficace de surveiller la navigation neutre est de disposer d’informations précises. Dans les pays non-belligérants, les diplomates et les consuls surveillent les départs et les arrivées des ports de leurs départements. En 1744, l’ambassadeur de France à Stockholm, le marquis de Lanmary, signale l’armement d’un navire suédois chargé de marchandises de contrebande pour l’Angleterre. Il prévient Versailles ainsi que son collègue de Copenhague pour qu’ils alertent le commandant de Dunkerque. Le diplomate donne une description précise du bâtiment :
« Un navire suédois à deux mats, nommé le Saint Olof appartenant au sieur Olof Siöberg, ayant un cheval blanc à la proue et une petite galerie plate, le pilote se nomme Jean Holsten. Il partira de Stockholm le 1er septembre pour Amsterdam ou pour Londres, ayant à bord 250 pièces de canons de fer […] plus 10 caisses contenant des balles de différents calibres. C’est M. Génius négociant anglais établi à Stockholm qui l’a fait charger. On a mis des planches de pin sur toute la cargaison de sorte que les canons, et les caisses ne paraissent point. Le pilote aura des doubles documents dont il s’est vanté lui-même81. »
38Finalement, le Saint Olof sombre au large du Danemark82. La surveillance des navires suédois chargeant de la contrebande est une activité importante de Lanmary. Il admet que, si la majorité des armateurs se limite à des transports de marchandises réputées innocentes, « quelques autres ne cherchent qu’à éluder les ordonnances pour faire en sureté la contrebande. Je les fais suivre de près ici83 ». En 1776, l’ambassadeur anglais à Stockholm reçoit des ordres clairs de surveillance des armements qui se font dans les ports de Suède, en particulier à Marstrand. John Lewis Doerfeld doit envoyer à Londres les descriptions des bâtiments suspectés de transporter du matériel de guerre vers les colonies américaines. Il doit être assisté dans sa tâche par Thomas Erskine, marchand écossais de Göteborg, qui fait office de consul dans cette ville84. Ces exemples montrent que la surveillance de la navigation neutre ne concerne pas seulement les corsaires. Elle est, à double titre, une tâche du représentant d’un prince belligérant dans un pays neutre. Il doit, d’abord, rassembler des informations sur les chargements suspects et, ensuite, inciter le gouvernement neutre à surveiller et à interdire les expéditions illicites. Cette double activité révèle les contacts existant entre les diplomates et le monde des marchands qui leur fournit les renseignements nécessaires sur les expéditions en préparation.
39Si la saisie d’un bâtiment ennemi est un cas de figure simple, lorsqu’il s’agit d’un navire non-belligérant, les choses sont bien plus compliquées. Il faut, en effet, combiner la nature, neutre ou ennemie, de différents paramètres : le capitaine, l’équipage, le bâtiment, la cargaison, l’armateur et la destination. Les archives suédoises et danoises conservent de très nombreux cas de bâtiments arraisonnés, puis confisqués en France. Ceux qui sont les mieux documentés, permettent de saisir sur le vif ce que pouvaient être les moments tangents faisant la bascule de la mainlevée à la bonne prise, de la liberté à la saisie.
40Il est par exemple possible d’exhumer le cas de La Providence d’Altona, battant pavillon danois. Le bâtiment est commandé par Burchman Pollans, capitaine écossais devenu bourgeois d’Altona en avril 1756, engagé sur un navire passé sous couleurs danoises un mois plus tard, autrement dit peu avant le début officiel de la guerre de Sept Ans en juin 1756. La Providence appartient à un danois qui arme officiellement son bâtiment pour le compte de marchands italiens. Il doit se rendre d’Altona à Londres, puis passer à Dublin prendre un chargement destiné à Livourne et à Naples avant d’aller charger de l’huile à Gallipoli et revenir à Brême. La Providence est arrêtée dans la baie de Naples le 22 février 1757, puis amenée à Marseille au motif que le bâtiment est de construction anglaise et que le passeport danois a été acheté pour couvrir un navire qui, en réalité, est toujours anglais. Le capitaine Pollans possède plusieurs documents attestant le caractère danois de sa navigation : un sauf-conduit du bâtiment, des connaissements et le rôle d’équipage. Il est secondé dans ses efforts par le négociant napolitain Antoine Petti qui a vu confisquer les marchandises qu’il avait confiées à La Providence. Le marchand assure que la capture a eu lieu dans les eaux napolitaines et veut faire agir l’ambassadeur de son roi à Versailles pour obtenir la mainlevée. Malgré tout, le Conseil des Prises prononce la confiscation du navire et de sa cargaison le 25 février 1758, convaincu que le bâtiment danois couvre le commerce anglais85. Le cas est porté en appel devant le Conseil du roi. En dépit des démarches de l’ambassadeur danois Wedel-Friis auprès des ministres français, la confiscation est confirmée le 2 février 1759 soit deux ans après la prise86.
41Le destin de La Providence permet de mettre en lumière la complexité de l’organisation du commerce neutre par la multiplicité des acteurs et des lieux concernés. Les arrestations mobilisent également plusieurs parties. En dehors de celles directement intéressées à l’affaire, le corsaire et le propriétaire, il y a également les services de l’amirauté, des avocats, des diplomates et des ministres. Il faut aussi souligner l’importance des délais, puisque le sort de La Providence met deux ans pour être scellé. Autrement dit, même si le bâtiment avait été reconnu libre, le capital immobilisé, l’inévitable dégradation du navire, l’entretien de l’équipage, le dépérissement d’une partie du chargement auraient engendré des pertes devant être couvertes, au moins partiellement, par les assurances et les indemnités auxquelles les corsaires peuvent être condamnés. Les démarches entreprises dans les deux cas, les arguments et les contre-arguments échangés relèvent d’un discours juridique qui rappelle que la navigation neutre est régie par un cadre de droit.
Le rapport entre le pavillon et la marchandise dans la doctrine du XVIIIe siècle
42Le principe de la liberté de la navigation et du commerce neutre n’est pas discuté en tant que tel. Les non-belligérants ont le droit de circuler et d’exporter leurs propres productions, sauf si elles favorisent manifestement l’une des parties en guerre. Mais les difficultés surgissent lorsqu’il s’agit de savoir dans quelles conditions il est possible de transporter des marchandises appartenant à l’un des belligérants. Le rapport entre la nationalité, ennemie ou neutre, de la marchandise et le pavillon sous lequel elle se trouve est au cœur de la problématique de la navigation et du commerce des non-belligérants. La navigation neutre brouille la frontière entre ce qui relève du droit de la guerre et ce qui demeure dans l’état de paix. La question délicate de la relation entre le sort d’un navire et celui de son chargement n’est abordée qu’assez rapidement par les écrivains du droit des gens au XVIIe siècle. Grotius l’évoque en quelques lignes dans Le droit de la guerre et de la paix de 1625. D’un côté, il suit la règle du Consulat de la mer qui permet de sauvegarder les marchandises sur un bâtiment ennemi si la preuve est apportée qu’elles appartiennent à un neutre ; mais d’un autre côté, il admet la condamnation d’un navire neutre si le capitaine a sciemment embarqué des marchandises ennemies à son bord87. Un quart de siècle plus tard, le juriste anglais Richard Zouche se penche un peu plus longuement sur les droits du pavillon neutre. Il admet que tout le chargement d’un bâtiment ennemi peut être confisqué sans considération de nationalité, mais qu’il est juste de ne saisir que les marchandises ennemies sur un bâtiment neutre. Dans le premier cas, le pavillon condamne le chargement, mais ne le sauve pas dans le second88. La réticence à traiter véritablement la question de la couverture du pavillon est due au fait que les juristes considèrent longtemps qu’elle relève de chacun des États et des conventions qu’ils passent entre eux, et non des principes du droit des gens89. Il faut attendre les Questions de droit public de Cornelius van Bynkershoek (1737) et Le droit des gens de Vattel (1758) pour que les choses changent, avant que de véritables spécialistes du commerce neutre s’emparent de la question.
43Bynkershoek dénonce la relation d’automaticité entre le sort d’un bâtiment et celui de son chargement. Il affirme la liberté de commerce des neutres en temps de guerre au nom du principe en vigueur dans son pays, les Provinces-Unies : « vrij schip, vrij goed ». Les propriétés ennemies sont mises à couvert de la saisie sur un bâtiment neutre, et les marchandises neutres doivent être sauves sous le pavillon d’un belligérant. Bynkershoek justifie sa position en avançant que la saisie d’un chargement qui ne serait pas de la contrebande ne peut s’effectuer sans celle du bâtiment, ce qui constitue une atteinte à la liberté naturelle des neutres90. Il adopte une logique argumentée dont le pivot est le droit des non-belligérants à être préservés des effets d’une guerre à laquelle ils sont étrangers. Pour lui, le bâtiment neutre rend le chargement neutre, alors que les couleurs ennemies ne condamnent pas la marchandise qu’elles couvrent.
44La position du suisse Emer de Vattel découle du principe selon lequel la nature d’un bien dépend de la nationalité de son propriétaire91. Par conséquent, les biens sont partout confiscables et les marchandises neutres restent sauves en tout lieu92. Vattel, à la différence de Bynkershoek, ne conduit pas une véritablement réflexion de fond et en reste à la règle du Consulat de la mer. Pour lui, la navigation neutre n’est qu’un cas de figure particulier auquel il applique les règles générales du droit de la guerre selon lequel les biens ennemis peuvent être saisis. La nationalité des deux auteurs permet de comprendre le degré d’attention respectif qu’ils portent à la question du commerce dans le cadre général de leur réflexion sur la neutralité, car le problème est plus important pour les Provinces-Unies que pour les cantons suisses. Les mêmes considérations expliquent que ceux qui s’emparent de cette question dans la seconde moitié du XVIIIe siècle soient originaires d’États maritimes.
45Le danois Martin Hübner est un auteur méconnu mais incontournable dans l’étude des droits et des devoirs du commerce neutre93. Ce juriste de Copenhague publie en 1759 De la saisie des bâtiments neutres qui est le premier ouvrage exclusivement consacré au commerce neutre94. Parmi les nombreux thèmes qu’il aborde se trouve le sort des marchandises ennemies sous pavillon neutre. Hübner considère que le sort de la marchandise dépend de l’endroit où elle se trouve et assimile le bâtiment à un territoire. Il en découle qu’il n’est pas possible de saisir des marchandises placées sous la protection d’un prince neutre, en l’occurrence sous son pavillon, sans heurter sa souveraineté. Cette opinion rejoint celle de l’économiste Véron de Forbonnais qui considère que « le bâtiment est une portion du domaine, une colonie pour ainsi dire de la nation qui l’arme et qui l’expédie95 ». Hübner distingue la vérification des papiers de bord d’un navire neutre des recherches qui peuvent y être effectuées. Comme il assimile le bâtiment à un territoire, il n’est pas plus pensable qu’un belligérant le fouille que de demander à un prince neutre d’ouvrir ses entrepôts pour vérifier qu’ils ne contiennent pas de marchandises ennemies. Pour le juriste danois, les seules possibilités de saisie envisageables sont, soit l’évidence de la dissimulation d’un bâtiment belligérant sous couverture neutre, soit la présence de marchandises de contrebande. Mais dans tous les cas, la preuve de neutralité doit en être fournie par l’examen des papiers de bord, rien de plus. Cependant, la facilité avec laquelle il est possible de se procurer de faux documents rend illusoire la détermination de la qualité neutre d’un bâtiment par leur seul examen. Hübner se distingue d’autres auteurs, comme l’Espagnol Abreu qui admet la visite et la fouille des bâtiments neutres suspects96, ou encore Vattel qui considère que les modalités de visite relèvent d’accords entre États97. La position de Hübner s’inscrit dans une tradition ancienne de la neutralité que l’on trouve en particulier chez les Hanséates qui, depuis le Moyen Âge, cherchent à faire adopter le principe de la couverture de la marchandise par le pavillon. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, ce principe tend à s’imposer. Le Napolitain Galiani rappelle la liberté naturelle de commerce des neutres et prend clairement possession contre Vattel. Comme Hübner, il considère que le pavillon est une marque d’inviolabilité et qu’en dehors de la contrebande, tout chargement appartenant à l’ennemi jouit d’une immunité sur un bâtiment neutre98.
46L’assimilation du bâtiment à un territoire, le droit des non-belligérants à poursuivre leur navigation et leur activité pendant une guerre à laquelle ils demeurent étrangers, fondent le principe « vaisseaux libres, cargaisons libres ». Bien qu’il soit adopté par la Ligue de la Neutralité armée de 1780, il n’est pas universellement accepté pour autant. Dans la dernière décennie du XVIIIe siècle, le droit de saisie sous couverture neutre connaît une réinterprétation dont la première expression majeure se trouve chez le Pisan Giovanni Maria Lampredi. Il se résout à admettre le droit de saisie des marchandises ennemies sur un bâtiment neutre moyennant le versement d’un dédommagement pour le fret et le retard occasionné par la procédure de confiscation. Le préjudice retombe alors sur l’ennemi et non le neutre qui voit ses intérêts sauvegardés99.
47Globalement, les réflexions des juristes sont plutôt favorables à l’immunité du pavillon neutre qui constitue un horizon de ce que devraient être les droits des non-belligérants. Pour autant, elles ne sont pas des idées éthérées, car les principes qu’elles portent servent de cadre aux belligérants qui délimitent effectivement la liberté de la navigation neutre.
Français et Anglais en guerre face à la navigation neutre
48Pendant les guerres du XVIIIe siècle, les gouvernements français et anglais traitent les pavillons neutres de manière différente. Les mesures qu’ils adoptent sont autant le reflet des objectifs qu’ils poursuivent que des moyens maritimes dont ils disposent.
49En France, l’article 7 du titre des prises de l’ordonnance de la Marine de 1681 rappelle le principe de l’infection hostile : les marchandises ennemies chargées sur un bâtiment neutre entraînent la prise de l’ensemble, alors que les cargaisons neutres seront confisquées tout comme le navire ennemi sur lequel elles seront trouvées100. Mais lors de la guerre de Succession d’Espagne, le gouvernement français est partagé entre la nécessité de lutter contre le commerce anglo-hollandais transféré sous pavillon scandinave et celle de favoriser le commerce des neutres pour assurer l’approvisionnement des arsenaux en matériaux de marine. C’est pourquoi Louis XIV décide d’adopter un nouveau règlement en date du 23 juillet 1704. Il s’agit du premier texte législatif français prenant en compte l’ensemble des questions posées par la navigation neutre. Au-delà des objectifs généraux directement liés à la guerre, le préambule du règlement royal affiche l’ambition de « conserver [aux sujets des princes neutres] la même étendue et la même liberté de commerce dont ils ont accoutumé de jouir pendant la paix ». Il témoigne de l’idée que l’espace de la neutralité doit être pour le non-belligérant la prolongation de l’état de paix au milieu de la guerre, mais sans que l’ennemi puisse en profiter. Le principe du libre commerce en droiture entre les ports neutres et tout autre lieu, y compris ceux appartenant à l’ennemi, est reconnu. En revanche, le navire et son chargement seront saisis s’il est trouvé à bord des marchandises appartenant à l’ennemi, selon les dispositions de l’ordonnance de la Marine de 1681. Le règlement de 1704 permet l’exportation vers les ennemis, mais n’autorise pas le transport de leurs marchandises101.
50Ce cadre législatif général est sujet à de nombreux accommodements, que ce soient des dérogations accordées au nom d’impératifs diplomatiques ou dictés par la nécessité. À bien des égards, le règne de Louis XIV est marqué par les ambigüités du cadre juridique de la législation relative aux neutres. La logique générale de la « robe d’ennemi qui couvre celle de l’ami » se trouve contredite par des dispositions figurant dans différents traités de paix : Pyrénées (1659), Nimègue (1678), Ryswick (1697) et Utrecht (1713). Les anciens ennemis, espagnols, hollandais ou anglais se trouvent pourvus, théoriquement à perpétuité, de privilèges très étendus, comme la libre circulation vers les ports ennemis ou la franchise de leur pavillon102. Il existe un décalage notable entre le droit de la neutralité dans les traités de paix et celui prévu par la législation royale. Cette différence s’explique par la nature de ces actes. Les premiers relèvent d’une législation de paix et portent l’idée qu’un conflit ne doit pas pénaliser ceux qui n’y participent pas ; alors que les seconds sont élaborés en période de guerre et sont avant tout dictés par la détermination à nuire au commerce ennemi. De manière plus cynique, il est aussi possible de considérer que les conditions des traités de paix sont d’autant moins significatives qu’elles sont accordées aux puissances avec lesquelles la France a le plus de risque d’être en guerre, si bien que les concessions généreuses tomberont d’elles-mêmes. Ce n’est pas le cas, en revanche, des villes de la Hanse qui avaient obtenu en 1655 la franchise de leur pavillon pour une durée de quinze ans. Dans le nouveau traité conclu en 1716, les Hanséates n’obtiennent que la liberté de navigation, alors que les marchandises ennemies trouvées à bord sont réputées saisissables103. In fine, les Hanséates bénéficient d’un régime moins avantageux que celui des Hollandais ou des Anglais, alors qu’ils ont abdiqué tout rôle politique et revendiquent un statut de neutre, même en cas de conflit entre la France et l’Empire. Les Français veulent éviter que, dans un futur conflit, la franchise des pavillons hanséates ne mette totalement à couvert les marchandises ennemies.
51Dans les années 1740, la législation française connaît une évolution décisive. Les articles 14 du traité de commerce franco-hollandais de 1739, 20 et 28 du traité franco-danois de 1742 prévoient une large liberté de navigation avec les ports ennemis et une extension de la couverture de la marchandise par le pavillon104. Mais en 1744, six mois après l’entrée en guerre de la France contre l’Angleterre, un nouveau règlement sur les prises fixe le cadre général de la navigation neutre. Le principe général de l’interdiction du transport des marchandises ennemies demeure, et « l’infection hostile » s’étend à l’ensemble de la cargaison, mais plus au bâtiment lui-même (articles 3, 4 et 5). Seuls les Hollandais et les Danois bénéficient de dérogations leur permettant de continuer à jouir des avantages octroyés par leurs traités de commerce respectifs. Cependant, en 1745, Louis XV annule les concessions faites aux Hollandais pour les punir d’avoir fournit des troupes aux Anglais105. En revanche, les Danois conservent leurs privilèges qui sont même étendus aux Suédois106. La préservation des intérêts commerciaux donne sa cohérence à la politique de neutralité française et explique les nouvelles mesures portant sur l’étendue de la navigation neutre en 1778. Elles figurent d’abord dans l’article 25 du traité d’amitié et de commerce franco-américain du 2 février. Il porte la liberté totale de navigation neutre et accorde la sauvegarde des marchandises et des sujets ennemis sous le pavillon deux alliés107. Ces nouveaux principes sont confirmés et étendus à tous par le « Règlement concernant la navigation des bâtimens neutres en temps de guerre » du 26 juillet 1778. Le premier article ne prévoit la confiscation que de la contrebande, ce qui revient implicitement à reconnaître le principe « vaisseaux libres, cargaisons libres108 ».
52Entre la fin du XVIIe siècle et 1778, le régime français de la neutralité passe de la sévère « infection hostile » au régime le plus généreux de la franchise du pavillon109. Cette évolution favorable à la navigation neutre doit être avant tout considérée comme une parade à l’infériorité de la marine française face à celle de l’Angleterre, afin de sauvegarder une partie du commerce du royaume en temps de guerre via les neutres. La doctrine française de la neutralité s’élabore en fonction des besoins et des intérêts du royaume qui interdisent d’adopter une politique aussi rigoureuse vis-à-vis des neutres que celle de l’ennemi anglais.
53À la différence de la France, il n’y a pas de grands règlements sur la navigation neutre en Angleterre. Il revient aux juges de la Cour des Prises (Prize Court) de se prononcer sur la validité des prises110. Les appels sont examinés par un comité ad hoc composé des Lords Commissioners of Prize Appeals111. La cour de Londres est politique, donc encline aux accommodements au nom des réalités diplomatiques, alors que la Cour des Prises se prononce sur un différend d’ordre privé entre un capteur et sa victime selon la tradition du droit des gens (law of nations), les dispositions des traités internationaux et les ordres du gouvernement (orders in council)112. Leoline Jenkins, juge à la Cour des Prises de 1665 à 1685, joue un rôle décisif dans l’établissement de la jurisprudence anglaise. Il est en fonction lors des deuxième et troisième guerres anglo-hollandaises (1665-1667 et 1672-1674) durant lesquelles la destruction du commerce ennemi est un enjeu central. Le juge Jenkins prononce des condamnations de bâtiments neutres, même en l’absence de preuves patentes de leur collusion avec les Hollandais. Il fonde sa suspicion sur le fait que le neutre se livre à un commerce qui ne lui était pas familier avant la guerre et sur la connaissance des services que le propriétaire du navire rend à l’ennemi113. En 1665, Jenkins réunit un groupe de juristes avec lesquels il compile différentes lois maritimes afin d’établir neuf règles pour l’adjudication des prises. Les dispositions les plus importantes, qui rappellent celles de « l’infection hostile », sont les deux premières condamnant un vaisseau ennemi et sa cargaison tout comme le bâtiment neutre sur lequel seront trouvés des sujets ou des marchandises ennemis114. Ce sont toutefois davantage les dispositions des traités internationaux qui forment le cadre de la tolérance anglaise vis-à-vis de la navigation neutre.
54Au XVIIIe siècle, les relations de l’Angleterre avec les principales puissances neutres sont encadrées par trois traités anciens qui ne portent pas de terme de validité : celui de 1661 avec la Suède, de 1670 avec le Danemark, de 1674 avec les Provinces-Unies. Ils définissent chacun des conditions différentes pour la navigation et le commerce en temps de guerre. Le traité anglo-suédois du 21 octobre 1661 indique dans son article 12 que, pour éviter toute suspicion de collusion, les bâtiments devront être munis de passeports délivrés par les autorités compétentes garantissant le caractère authentiquement neutre de la cargaison transportée115. La production de ce passeport doit assurer la liberté du commerce neutre suédois ou anglais tout en évitant les dissimulations ennemies « to the prejudice of the other confederate ». Des dispositions similaires se trouvent dans l’article 20 du traité d’alliance et de commerce conclu avec le Danemark le 12 juillet 1670116. Mais l’article 40 prévoit une clause ouverte puisque les signataires s’engagent à s’accorder tout avantage supplémentaire qui serait reconnu à une tierce puissance. Il s’agit par conséquent d’une promesse d’actualisation de la clause de la nation la plus favorisée117. Les Hollandais bénéficient en Angleterre du traitement le plus avantageux grâce à leur traité du 1er décembre 1674. À la suite du premier article qui prévoit la liberté totale de navigation, le second précise: « Nor shall this freedom of navigation and commerce be infringed by occasion or cause of any war, in any kind of merchandizes, but shall extend to all commodities which shall be carried in time of peace, those only excepted […] comprehended under the name of contraband118. » Le commerce des propriétés ennemies est toléré en temps de guerre, le pavillon hollandais couvre sa marchandise : « free ships, free goods ». Pendant tout le XVIIIe siècle, la généreuse concession du traité de 1674 est au cœur des relations entre l’Angleterre et les Provinces-Unies lorsqu’elles sont neutres. Elle fonde les prétentions des Hollandais à transporter les marchandises françaises ce qui ne manque pas de créer de vives tensions entre Londres et La Haye. Pour les Anglais, la saisie des marchandises ennemies sous pavillon neutre reste la règle et la franchise l’exception. Les dispositions des traités sont rappelées explicitement dans les instructions de course anglaises, et leur transgression entraîne la mainlevée et la condamnation du corsaire fautif119. Elles forment, avec la tradition des lois maritimes et du droit des gens, le cadre des décisions des juges de la Cour des Prises lorsqu’ils ont à trancher le cas d’un bâtiment neutre.
55Les législations nationales régissant la navigation neutre sont le produit d’une alchimie complexe alliant des positions de principe, le respect des traités, le pragmatisme économique, le bon sens commercial et l’intérêt diplomatique. Malgré des variations, certains points sont acquis, mais il reste bien des points de contentieux, parmi lesquels celui de la contrebande est sans doute le plus difficile à résoudre.
L’épineuse question de la contrebande de guerre
56La contrebande dite de guerre consiste en la livraison « d’une certaine catégorie de marchandises plus spécialement destinée à l’usage de la guerre dans le territoire d’une puissance belligérante120 ». La contrebande désigne la nature intrinsèque des marchandises quel qu’en soit le propriétaire. Elle est fondamentalement liée à la navigation neutre, puisque sa traque ne peut se faire que par interception des chargements jugés illicites lorsqu’ils se trouvent en haute mer. Si le chargement d’un bâtiment ennemi est saisi en raison de son pavillon, pour les neutres les choses sont différentes. La définition de la contrebande permet de déterminer l’activité négociante à laquelle ils peuvent se livrer dans la limite du respect de leur impartialité.
57À côté du matériel de guerre, s’imposant de lui-même comme contrebande, l’inclusion dans cette catégorie d’autres marchandises est l’objet de bien des controverses. Lors de la guerre anglo-espagnole de 1585-1604, le gouvernement de Londres interdit le transport de fournitures navales vers le Portugal, l’Espagne et les Pays-Bas au motif que ces approvisionnements permettent à Philippe II de préparer la flotte dont il a besoin pour attaquer l’Angleterre121. La multiplication des saisies anglaises soulève les protestations des Danois, des Hollandais et surtout des Hanséates qui voient une soixantaine de leurs navires confisqués par Francis Drake en juin 1589. Ces protestations amènent la reine Elisabeth à établir la première véritable liste nominative de marchandises de contrebande dont la livraison à l’Espagne justifie la confiscation. En dehors des armes, elle comprend les matériaux de construction navale et plusieurs types de vivres122. On retrouve des dispositions identiques en 1625, lorsqu’au début d’une nouvelle guerre contre l’Espagne, le roi d’Angleterre Charles Ier proclame l’interdiction du transport vers les ports ennemis des vivres et des matériaux de marine au nom du droit des gens : « it being neither agreeable with the rules of polycie or law of nations to permitt the said king [d’Espagne] or his subjects to be furnished or supplied with corne, victual, arms, provisions for his shipping, navye or arms, if the same can be prevented123 ».
58C’est précisément en cette année 1625 que Grotius publie son Droit de la guerre et de la paix dans lequel il aborde la question de la contrebande pour tâcher de résoudre la controverse entre « les uns défendant la rigueur de la guerre [et] les autres la liberté du commerce ». Grotius distingue trois classes de marchandises. La première, celles « qui n’ont d’usage que dans la guerre » comprend le matériel militaire, est incontestablement de la contrebande et le neutre ne saurait en faire le transport sans rompre son impartialité ; la seconde classe comprend les objets qui « n’ont aucun usage dans la guerre », comme les produits de luxe dont le transport doit demeurer Le masque des neutres… totalement libre ; enfin, le troisième groupe est celui des marchandises « qui ont de l’usage et dans la guerre, et en dehors de la guerre ». Parmi celles-ci se trouvent l’argent, les vivres et les matériaux de marine dont le belligérant est fondé à interrompre le commerce au nom de son droit à se prémunir contre son ennemi124. Cette ambiguïté fonde la distinction entre la contrebande dite absolue et celle dite relative, dont finalement la définition dépend de l’arbitraire des belligérants et de leur capacité à imposer leurs vues125.
59Au sein de la troisième classe de Grotius, il faut distinguer les vivres des fournitures navales. Le transport des premiers est fréquemment interdit aux neutres jusqu’au milieu du XVIIe siècle. Les choses changent à partir de la guerre de la Ligue d’Augsbourg où la fourniture de vivres à l’ennemi reste condamnable moins en raison de leur nature qu’en conséquence de la proclamation d’un état de blocus des ports ennemis, c’est également le cas pendant la guerre de Sept Ans. Cependant, la bonne stratégie de guerre demeurant dans l’aptitude à exploiter les circonstances, les périodes de famines des années 1690 et du début des années 1710 ou bien, plus tard, les guerres révolutionnaires, voient resurgir l’interdiction pure, simple et unilatérale du transport des céréales à l’ennemi. Reste, enfin, les matériaux de construction navale qui demeure une question centrale dans les conflits franco-anglais des XVIIe et XVIIIe siècles.
60À partir du XVIIe siècle, il n’y a pas un traité de commerce international qui, d’une manière ou d’une autre, n’aborde le traitement des fournitures navales. En France, dans la lignée des premières réglementations du XVIe siècle et des dispositions des traités, l’article 11 de l’ordonnance de la Marine d’août 1681 limite la contrebande au matériel directement utilisable pour la guerre, ce qui n’englobe pas les fournitures de marine126. En 1711, dans l’affaire de La Petite Balance de fer de Göteborg, le preneur soutient que le bâtiment devrait être de bonne prise parce qu’il transportait des mâts et des planches pouvant servir à la construction des navires. L’argument est rejeté par l’avocat Godefroy : « ces matières ne sont point marchandises de contrebande, & même que par les anciens traitez avec la Suède, les bois & le fer sont exceptez des marchandises de contrebande127 ». Ce type d’exception se retrouve dans les dispositions des traités français du XVIIIe siècle, depuis celui signé avec l’Angleterre en 1713 (art. 19 et 20) à celui de 1786 (art. 22 et 23), en passant par l’accord avec les États-Unis de 1778 (art. 26)128. Les Provinces-Unies et l’Espagne adoptent généralement la même position, considérant que les munitions navales ne sont pas intrinsèquement de la contrebande de guerre129.
61Il y a, cependant, des exceptions notables parmi les traités de commerce français. L’article 2 de l’accord conclu avec les villes de la Hanse en 1655 inclut les cordages et la toile à voile dans la contrebande, mais ils disparaissent du traité de 1716 ; et l’article 26 du traité franco-danois de 1742 qui dresse une liste des marchandises de contrebande comprenant quelques matériaux de marine qui bénéficient finalement d’une dérogation130. La restriction de la contrebande au seul matériel de guerre permet d’exiger des neutres qu’ils obtiennent de Londres une liberté de navigation équivalente à celle qui leur est concédée en France, puis de fonder le discours de dénonciation de la tyrannie anglaise sur mer. Au-delà du simple objectif de l’approvisionnement des arsenaux du royaume, la notion de contrebande permet une instrumentalisation du principe de la réciprocité de traitement entre belligérants qui est consubstantielle de la neutralité.
62Le positionnement français sur les fournitures de marine ne peut se comprendre sans avoir en regard l’attitude du rival anglais. Rares sont les traités anglais du XVIIe siècle incluant ce type de marchandise dans la contrebande. Par exemple, l’article 4 de l’accord de 1674 avec les Provinces-Unies prévoit explicitement la liberté du commerce des fournitures navales131. On retrouve la limitation de la contrebande au matériel militaire dans les traités conclus avec les pays scandinaves, que ce soit l’article 11 de la convention anglo-suédoise de 1661 ou l’article 3 du traité anglo-danois de 1670 qui prohibe quelques matériels de guerre complétés par la formule « aut alia bello gerundo apta et necessaria132 ».
63Globalement, même s’il n’y a pas de règle générale, l’examen des articles des principaux traités de commerce européen des XVIIe et XVIIIe siècles montre qu’il y a une tendance à la concentration de la contrebande autour du matériel de guerre. Il n’est guère au XVIIIe siècle que le traité de 1725 entre l’Espagne et l’Empereur qui classe expressément les fournitures navales dans la contrebande133. Et pourtant, le transport de ces marchandises ne cesse d’être un point de tension entre les neutres et les belligérants.
64La raison de fond est que les dispositions négociées en temps de paix ne correspondent pas aux exigences des périodes de conflit. Les contraintes de la guerre justifient l’interdiction de la livraison des matériaux de marine au nom du droit légitime du belligérant à empêcher son ennemi de se renforcer en acquérant des marchandises qui lui font défaut. La décision unilatérale d’inclure les fournitures navales dans la contrebande émane de la puissance qui bénéficie, a priori, de la supériorité sur mer. Elle a les moyens de protéger ses approvisionnements en matériaux stratégiques tout en interrompant ceux de l’ennemi et en jouant sur les équivoques des articles des traités de commerce : est-ce que ce qui n’est pas expressément réputé libre est considéré comme de la contrebande ? Ou le commerce interdit se limite-t-il à ce qui est nommément prévu dans les traités ?
65Ces questions deviennent d’une actualité brûlante lors de la guerre de Succession d’Autriche. Les Anglais tâchent d’exploiter à leur avantage les ambiguïtés des traités conclus avec d’autres puissances. Le cas emblématique, mais pas unique, du Med Gud Hielpe en offre une illustration. Ce navire suédois, chargé de goudron et de brai pour Port-Louis, est arrêté par un corsaire de Douvres en février 1744. Il est établi que la marchandise est bien propriété neutre, et les Suédois font observer que le goudron et le brai ne figurent pas dans la liste des matériaux de contrebande énumérés dans leur traité de commerce de 1661. Mais le 9 août 1745, le juge Henry Penrice motive sa sentence de bonne prise: « Pitch and tar are not enumerated in the 11th article of the Swedish treaty [de 1661] but I rather think those enumerated were mentionned rather for example than by way of exclusion and that there are other contraband goods than what mentioned in that article […] Pitch and tar are of mixed nature; may be used for civil purposes, and also for fitting ships of war. Sovereign princes at war declare such things to be contraband, and after notice to their allies their subjects may certainly seize them134. » Le juge Penrice justifie la prise par l’implicite du traité de 1661 et par le droit du belligérant d’interdire unilatéralement le transport de certaines marchandises. Cette pratique fait la part belle à l’arbitraire du plus fort, les Anglais en l’occurrence. De fait, c’est bien l’ensemble du commerce neutre des fournitures navales qui se trouve placé sous la menace des corsaires et des tribunaux anglais. Le différend le plus grave oppose l’Angleterre à la Prusse lors de la guerre de Succession d’Autriche. Comme les deux royaumes n’ont pas de traité de commerce, l’ambassadeur prussien à Londres obtient la promesse du gouvernement anglais que seul le matériel de guerre sera considéré comme de la contrebande. Mais rapidement, des navires prussiens transportant des fournitures navales sont jugés de bonne prise135. Frédéric II en appelle à la liberté du commerce neutre en s’appuyant sur l’accumulation de clauses convergentes qui crée un droit général dont toutes les nations peuvent se réclamer. Pour le roi de Prusse, on ne saurait comprendre dans la contrebande autre chose que « de la poudre, des armes, des canons et des munitions136 ».
66Au milieu du XVIIIe siècle, sous l’effet du développement du commerce, de la navigation et des enjeux de la guerre sur mer, la question du droit des neutres à transporter des munitions navales devient primordiale. Deux positions nettement tranchées se distinguent : il y a, d’un côté, les puissances qui produisent et/ou transportent des matériaux de marine (Suède, Provinces-Unies, Danemark, Prusse…) qui rejoignent les États qui consomment des fournitures navales, mais qui sont incapables d’en assurer le transport en temps de guerre, comme l’Espagne ou la France. Dans leur ensemble, ils adoptent une définition étroite de la notion de contrebande de guerre qui se limite au matériel militaire. D’un autre côté, le gouvernement de Londres considère que la livraison de matériaux de marine n’est pas compatible avec l’impartialité du neutre. De son point de vue, la maîtrise de la mer, le harcèlement du commerce et de la navigation ennemis, plus que les conquêtes, doivent permettre de mettre le rival français à genoux. Cependant, tout ce qui sert à la construction navale n’est pas systématiquement de bonne prise. En 1748, un bâtiment de Dantzig chargé de bois est relâché au motif que les planches qu’il transportait n’étaient pas utilisables pour des bâtiments d’escadre. Mais l’année suivante, à l’occasion de l’un de ses derniers jugements liés à la guerre de Succession d’Autriche, le juge Penrice prononce la saisie d’une cargaison de bois prussien destinée à la France au motif qu’elle pouvait servir à la construction de navires de guerre137. Lors de la guerre de Sept Ans, le consul danois à Rouen, Abraham Compigné, évoque l’arrivée au Havre de bâtiments norvégiens chargés de planches, bien qu’ils aient été arraisonnés en chemin par plusieurs frégates anglaises138. C’est bien l’évidence de la destination militaire de la cargaison qui fonde la confiscation des marchandises de construction navale.
67Si le matériel de guerre est bien saisi, la pratique de la préemption vient adoucir le préjudice que subit le transporteur neutre. Il s’agit d’une compensation financière versée au capitaine du bâtiment détourné qui le dédommage de la valeur de la marchandise confisquée et du prix du fret. Au cours du XVIIIe siècle, les fournitures navales, sauf s’il est établi qu’elles appartiennent à l’ennemi, sont fréquemment préemptées au profit des arsenaux de la Navy139. La préemption permet de concilier la saisie de matériaux de marine sous pavillon neutre, et les dispositions des traités précisant expressément que ce type de marchandise ne relève pas de la contrebande. En 1778, à l’occasion du jugement du bâtiment hollandais Vryheid, arraisonné avec un chargement de mâts de Riga destiné à Rochefort, le juge des Prises George Hay assure que la préemption respecte l’esprit du traité anglo-hollandais de 1674, qui interdit à l’une des parties de renforcer l’ennemi de l’autre, et sa lettre, qui précise bien que les fournitures navales ne sont pas de la contrebande (art. 4) : « By decreeing naval stores to be sold to the public, and the freight and all incidental charges, as between merchant and merchant, made a part of the prise, the carrier has the benefit of the treaty140. » Le juge ramène la question de la livraison des matériaux de marine du droit international public au droit privé, en le réduisant à une simple transaction d’un vendeur qui aurait choisi de changer d’acheteur. Mais, sur le fond, le versement d’une somme d’argent pour un commerce réputé interdit n’est-il pas une reconnaissance de sa légitimité ? La position britannique est d’autant plus ambigüe que les juges, à l’image de George Hay, se réfèrent dans leurs jugements aux écrits des jurisconsultes, concédant de ce fait une reconnaissance à la doctrine qui s’est élaborée depuis Grotius. Elle n’est pourtant pas exempte d’équivoques.
68Dans les affaires portant sur la contrebande, Grotius reste encore au XVIIIe siècle une référence importante, non pas en raison de l’autorité claire de son opinion, mais plutôt grâce aux différentes interprétations qu’elle autorise141. D’autres écrivains du droit des gens proposent pourtant une approche différente de la contrebande de guerre. Cornelius van Bynkershoek se fonde sur la raison et l’usage, c’est-à-dire sur le devoir d’équidistance du neutre entre deux parties en guerre et sur le droit conventionnel formé par les traités et la loi hollandaise142. Il s’appuie sur les édits des Provinces-Unies pour en déduire que la livraison de fournitures navales à l’ennemi peut être explicitement interdite dans le cadre d’une guerre dont l’issue se joue sur mer, mais que ces cas sont « des exceptions qui confirment la règle143 ». La capacité de Bynkershoek à combiner, sur le fond, la liberté de commerce des fournitures navales par les neutres et leur interdiction par les belligérants, reflète assez bien la position hollandaise du XVIIe siècle. Car, si les Provinces-Unies ont naturellement cherché à limiter l’étendue de la contrebande et des restrictions pesant sur les neutres, leurs conflits avec l’Angleterre les ont contraints à interdire les livraisons de matériaux de marine à leur ennemi.
69À partir de la guerre franco-anglaise de 1744, la question du transport neutre des fournitures navales devient un véritable objet d’attention pour les juristes qui en proposent des interprétations différentes. Selon l’Espagnol Abreu, l’examen des principaux traités internationaux permet d’exclure les bois de constructions et les cordages des commerces prohibés en période de guerre144. En revanche, pour Vattel le devoir du neutre de ne rien procurer aux belligérants qui puissent le rendre « formidable », autorise à classer dans la contrebande « les bois & tout ce qui sert à la construction et à l’armement des vaisseaux de guerre145 ». Moins catégorique, le juriste danois Martin Hübner propose en 1759 une approche différenciée des matériaux de marine. Reprenant la distinction tripartite de Grotius, il admet que les matériaux de marine (bois, voiles, cordages) qui atteignent un certain gabarit sont nécessairement destinés aux navires de guerre et peuvent être saisis. En revanche, d’autres fournitures, notamment le chanvre et le goudron, « ne doivent être que très rarement sujettes à confiscation146 ». Elles ne peuvent être considérées comme de la contrebande que si elles sont destinées à une place bloquée ou directement envoyées aux armées ennemies147. L’ensemble de ces règles forment ce que Hübner appelle « le code primitif des nations », qui relève du droit naturel. Mais il n’ignore pas que la réalité juridique de la contrebande est régie par le droit positif, formé par l’ensemble des conventions liant les états entre eux, ce qui ne permet pas d’avoir une opinion déterminée148. Le Napolitain Galiani reprend la répartition tripartite que Hübner a héritée de Grotius. Il admet que le devoir fondamental des neutres est de ne rien faire qui puisse contribuer à entretenir la guerre, et que les limitations de leur commerce doivent être fondées sur des traités149. Dans les années 1780, les divergences perdurent. Pour le juriste allemand Eobald Toze, tout ce qui n’est pas interdit par les traités est autorisé. Il défend l’idée que c’est le consentement des nations, donc le droit positif et non le droit naturel, qui fonde les interdictions commerciales en temps de guerre150. Enfin, le Pisan Giovanni Maria Lampredi va encore plus loin dans le rejet du droit naturel affirmant qu’il est possible d’autoriser tout commerce y compris celui des armes, pourvu qu’il soit impartial151. Il revient donc à chacun des états de limiter le commerce de ses sujets par les engagements pris avec d’autres puissances et par une législation interne ad hoc.
70« La théorie de la contrebande de guerre est probablement la plus controversée du droit public », elle pose des problèmes « dont la solution pratique et théorique se poursuit depuis des siècles, sans toutefois qu’on soit arrivé à des résultats satisfaisants », estime l’historien du droit Ludwig Gessner au milieu du XIXe siècle152. La contrebande de guerre se situe au point de rencontre, et de divergence, des intérêts des neutres et des belligérants. Elle pose concrètement la question de savoir où finit le libre commerce et ou commence l’assistance. Les interdictions varient en fonction de la configuration des conflits, de la nature de leurs enjeux et des caractéristiques des puissances engagées. L’ancienneté des traités, leurs imprécisions, leurs incohérences et la réflexion des publicistes ouvrent la voie aux interprétations contradictoires de ce qu’est la contrebande de guerre. Le traitement des fournitures navales dans les guerres franco-anglaises porte la difficulté à son comble, et place une branche importante du commerce nordique au centre d’une polémique qui est plus véritablement politique et stratégique qu’économique ou juridique. Ce sont finalement les arrangements entre états, les fluctuations des rapports de forces et les pressions des belligérants sur les neutres qui restent les principaux paramètres déterminant l’exercice du transport des matériaux de marine en temps de guerre.
Blocus et convois : figures radicales de la belligérance et de la neutralité
71La pratique du commerce neutre repose sur des accommodements avec les belligérants. Les uns renoncent à certains transports, alors que les autres acceptent que leur ennemi entretienne une partie de ses échanges. Ces concessions mutuelles permettent la coexistence de la navigation neutre et de la guerre au commerce ennemi. Il y a cependant deux cas de figure dans lesquels il n’y a pas de concessions : les blocus et les convois des neutres. Les premiers visent à interdire totalement le commerce, alors que les seconds excluent la possibilité pour le belligérant de contrôler la sincérité de la navigation neutre. La radicalité repose sur le refus de tout compromis combiné à la menace de l’usage de la force.
Principes et modalités du blocus maritime
72Dans la seconde moitié du XIXe siècle, le diplomate et juriste russe Fedor Fedorovich de Martens écrit que l’histoire du droit de blocus est celle de « la lutte entre les intérêts et les droits légitimes des neutres d’une part, et d’autre part les intérêts et les prétentions des États belligérants153 ». En effet, puisque le droit naturel d’un pays en guerre l’autorise à saisir les bâtiments de son ennemi partout où il les croise, les blocus maritimes ne peuvent concerner que les neutres. C’est la raison pour laquelle un blocus n’est pas qu’un simple acte de guerre qui se limiterait à porter des coups à l’adversaire. Par sa nature même, il implique un glissement de l’enjeu de la guerre d’un rapport bilatéral entre ennemis à l’interdiction d’une activité pacifique concernant avant tout les neutres qui voient, de ce fait, leur liberté de navigation se réduire. En ce sens, le blocus dépasse le champ de l’affrontement militaire stricto sensu pour déboucher dans le domaine général des relations internationales concernant l’ensemble des États. Au XVIe siècle, les défenses imposées par les belligérants de toute navigation neutre avec les pays ennemis ne s’accompagnent pas de la présence de navires de guerre bloquant réellement l’accès aux ports concernés. Le blocus général est une parole unilatérale appuyée sur une contrainte qui n’est pas toujours effective, mais qui sert de justification à l’arrestation de bâtiments neutres sans considération précise de lieu, de nature de marchandise ou de temps. En ce sens, le blocus tel qu’il se pratique au xvie et pendant une bonne partie du XVIIe siècle marque le triomphe des impératifs des belligérants sur la liberté du commerce neutre.
73Si les non-belligérants refusent de subir les interdictions qui leur sont imposées, ils n’ont d’autres recours pour se défendre que d’utiliser la force à leur tour et, paradoxalement, de risquer de quitter l’état de neutralité pour le faire respecter. Au début du XVIIe siècle, les saisies suédoises de bâtiments neutres au nom du blocus de Riga, alors occupé par les Russes, provoquent la colère des puissances commerçantes du Nord. Le Danemark obtient en 1613 que l’accès aux ports de Livonie soit libre tant qu’ils ne sont pas véritablement cernés par la terre et la mer154. L’année suivante, les Hollandais imposent la liberté du commerce de Riga et des autres villes baltes contrôlés par les ennemis de la Suède, sauf en cas d’encerclement effectif155. C’est un tournant important pour l’histoire du blocus et de la navigation neutre, car ces concessions rompent avec les habitudes d’interdictions unilatérales des ports ennemis. Les traités de 1613 et de 1614 prévoient un espace de liberté pour les non-belligérants et relient le blocus maritime au siège terrestre, puisque l’interruption totale du commerce ne peut être légitime que si la ville est cernée de toutes parts.
74La distinction entre le blocus réel et l’interdiction générale de tout commerce avec les ports ennemis commence à se faire au début du XVIIe siècle, même s’il y a encore des prohibitions globales comme le plaacart hollandais du 26 juin 1630 qui déclare bloqués les ports de la Flandre espagnole156, ou Guillaume III qui défend tout commerce avec la France en 1689, ou encore avec Charles XII de Suède qui interdit totalement la navigation des ports baltes que le tsar lui a ravis dans les années 1710. Cependant, ce type d’interdiction générale devient de plus en plus difficile à appliquer sans la présence réelle de bâtiments de guerre au large du port considéré comme bloqué. Le modus vivendi qui prend forme au cours du XVIIe siècle se base sur l’idée que le blocus est une extrapolation du siège terrestre. Ce lien organique unissant le blocus au siège a pour conséquence de concentrer l’interdiction du commerce en un point précis, celui qui est encerclé par voie de terre, et de laisser libre accès aux autres places ennemies. Ce faisant, cette obligation introduit un rapport de subordination des opérations maritimes à celles se déroulant sur terre. Un siège peut être légitime sans blocus, mais pas l’inverse. Si l’entrée sur un territoire ennemi et l’établissement d’un siège autour d’une ville relèvent du droit de la guerre, ils ne nuisent pas aux neutres qui trafiquent par voie maritime, en revanche l’occupation d’une portion de la mer réputée libre, en vue d’interrompre un commerce innocent, touche de plein fouet ceux qui sont étrangers au conflit.
75Les traités du XVIIe siècle qui portent le principe de la liberté du commerce neutre en temps de guerre prévoient toujours l’exception des « places assiégées, bloquées et investies » selon une formule récurrente. Dans nombre d’accords internationaux du XVIIe et du XVIIIe siècle, elle suit l’évocation de la contrebande. Cette proximité n’est pas un hasard, car il existe bien un rapport direct entre le transport de marchandises interdites et le blocus maritime. Les interdictions générales de commerce avec les ports ennemis équivalent à réduire l’ensemble des marchandises à de la contrebande. Mais à partir du moment où le commerce licite et la contrebande commencent à être distingués et que l’idée qu’un négoce neutre innocent est admise, l’interdiction totale de la navigation vers l’ensemble des ports ennemis n’a plus de légitimité.
76Les théoriciens du droit des gens sont relativement peu nombreux à s’intéresser à la question du blocus et se montrent peu originaux. Bynkershoek, Vattel et Hübner157, admettent qu’un neutre qui tente de ravitailler un port cerné s’expose à la saisie de son bâtiment et de sa cargaison. Le principe du blocus en lui-même n’est pas discuté, pour autant cet assentiment général ne résout pas tous les problèmes, car il faut encore définir précisément ce qu’est une place bloquée et, de ce fait, défendue aux neutres. La première définition se trouve dans l’article 9 du traité austro-espagnol de 1725 : « pour lever là-dessus toute occasion de doute, on est demeuré d’accord, que nul port maritime ne sera tenu pour actuellement bloqué, si ce n’est par deux vaisseaux de guerre au moins, ou par une batterie de canons qui, étant dressée à terre, en fermeroit tellement l’entrée que l’on ne pourroit s’y introduire sans essuyer toute la violence de son feu158 ». La même idée se retrouve dans plusieurs actes internationaux ultérieurs, comme dans l’article 4 de la déclaration du 28 février 1780 de l’impératrice Catherine II, qui sert de base à la Ligue de la Neutralité armée. Il évoque « des vaisseaux arrêtés et suffisamment proches » qui représentent « un danger évident d’entrer » dans un port159. L’exigence d’une présence effective s’appuie aussi sur les progrès de l’artillerie navale dont le rayon d’action permet à un nombre réduit de bâtiment de couvrir les approches d’un port par leurs tirs croisés160.
77Les conditions de plus en plus contraignantes posées à la reconnaissance de l’état de blocus d’un port par l’exigence d’un danger réel en entravant l’entrée, relèvent du mouvement général d’expansion des droits des neutres et de contraction de ceux des belligérants. La pratique du blocus permet également de réduire l’espace dévolu à la course qui ne saurait concerner un neutre sincère au seul motif de sa destination. Toutefois, la ligne de partage reste difficile à établir comme le montre l’histoire des guerres en Baltique au XVIIIe siècle.
Les blocus en Baltique au XVIIIe siècle
78L’année suivant leur victoire à Poltava (8 juillet 1709), les troupes du tsar Pierre 1er s’emparent de la Livonie suédoise, puis poursuivent avec la conquête de la Carélie, de l’Ingrie et de l’Estonie161. Suivant les ordres du roi de Suède Charles XII, qui est alors réfugié dans l’Empire ottoman, le Riksråd ordonne le blocus des ports baltes. L’ordonnance du 19 février 1715 en porte la sévérité à un niveau inédit162. Pour en rester à ce qui concerne les neutres, tous les navires allant ou venant des ports contrôlés par le tsar seront confisqués (articles 9 et 19) ; les papiers de bord douteux entraîneront la prise du bâtiment (article 12) ; enfin la réglementation suédoise reprend l’ancienne doctrine de « l’infection hostile » (article 22)163. Le représentant de Louis XIV à Stockholm, Jacques de Campredon, estime que le nouveau règlement suédois manifeste la volonté de Charles XII « [d’]assujettir les nations neutres à des conditions infiniment plus dures que celles dont les Suédois se sont plaints si hautement à notre égard164 ». La riposte des ennemis de Charles XII est du même ordre. Frédéric IV de Danemark décide de saisir les céréales et le sel destinés à la Suède en les considérant comme des marchandises de contrebande, alors que les premiers bâtiments de guerre russes qui naviguent en Baltique adoptent la même attitude165. La situation est telle que le sous-secrétaire d’État anglais George Tilson constate: « Our Eastland merchants have a very hard time […] between Swede, Dane, and Muscoviten, who all take their ships on one pretence or orther166. » Les Occidentaux, neutres dans le conflit nordique, sont victimes des contraintes que les belligérants imposent au commerce de leur ennemi. Il leur faut développer un discours de défense des prérogatives de la navigation neutre.
79Le blocus des ports baltes cause de grosses difficultés aux Puissances Maritimes qui sont les premières à souffrir des déprédations des corsaires suédois. Entre 1710 et 1720, ils prennent plus de 200 navires de toutes nationalités, mais ce sont les marchands d’Amsterdam qui en souffrent le plus167. À côté des captures effectives, il y a le manque à gagner indirect des armateurs devant naviguer sous convoi et se trouvant contraints de se limiter à une rotation par an entre Amsterdam et la Baltique, au lieu de deux en temps ordinaires. L’Angleterre et les Provinces-Unies multiplient les protestations communes. Pour le secrétaire d’État anglais au département du Nord, Charles Townshend, la législation suédoise « which contains several innovations that no treaty, law and reason can justify. We can look upon such proceedings as piratical only, and commissions founded upon such orders can be calculated for no other purpose, but to set the neutral powers at defiance, who are concerned in the commerce of the Baltick168 ». À partir de 1716, Londres et La Haye doivent organiser des convois communs pour que leurs négociants puissent se rendre dans les ports baltes.
80Le traitement du pavillon neutre par les Suédois reflète la subordination unilatérale de la navigation neutre aux impératifs d’une puissance en guerre. Le blocus des ports baltes, qui ne sont pas physiquement cernés, rappelle la prohibition du commerce de France décrétée par les ennemis de Louis XIV en 1689. Mais tandis que Guillaume III avait rapidement renoncé à suivre cette politique, Charles XII persiste. Alors que l’interdiction du début de la guerre de la Ligue d’Augsbourg se plaçait dans le cadre classique de l’isolement de l’ennemi pour l’affaiblir, le blocus des ports baltes relève d’une autre logique qui produit un discours de justification auquel, sur le fond, les neutres ne répondent pas.
81À Londres, l’ambassadeur Karl Gyllenborg se plaint particulièrement de ventes de bâtiments anglais arrivant dans les ports baltes sous couvert de commerce, mais qui sont ensuite transformés par les Russes en navires de guerre169. À La Haye, son collègue Johan Palmquist a plusieurs entretiens avec les députés des États généraux sur ce qui fonde la neutralité. Les Hollandais reconnaissent le droit des Suédois à appliquer les règles ordinaires du blocus naval et à interdire la livraison de marchandises de contrebande à leurs ennemis, mais dénoncent le brigandage maritime que Charles XII impose170. Pour répondre à ces critiques, Palmquist rédige deux documents anonymes sous forme de lettre qui paraissent en 1715. Il s’efforce d’y démontrer que son roi est dans son droit en interdisant aux neutres le commerce des ports conquis par le tsar, en raison de l’aide que les Anglais et les Hollandais lui apportent pour développer sa marine de guerre. Les sujets des Puissances Maritimes sont accusés d’avoir introduit dans les ports baltes « non seulement tout ce qui était de la convenance des ennemis pour leur subsistance, mais aussi des officiers mariniers et de terre, matelots, armes, munitions, même des vaisseaux de toutes sortes de grandeur armés de toutes pièces171 ». Comme « les lois de la neutralité […] condamnent une telle connivence », les Suédois sont fondés à prendre des mesures pour se prémunir des transferts de bâtiments que les Hollandais pourraient faire sous prétexte de commerce, « eux qui sont si habiles à se masquer que, dans leurs guerres avec la France, ils trouvoient le secret de munir leurs vaisseaux de toutes les preuves requises par elle, & de passer tête levée pour sujets des puissances neutres172 ». Enfin, Palmquist en vient à la liberté de commerce que les neutres réclament comme « une suite du droit de la nature & des gens », pour avancer que cette liberté « n’est pas une obligation indispensable, mais un pur effet de traitez & de convention173 ». Elle peut légitimement être suspendue si les circonstances l’exigent. Or, pratiquer un commerce avec des places bloquées revient à favoriser l’un des belligérants aux dépens de l’autre, « est-ce la neutralité ? s’interroge Palmquist, vous y avez ce semble renoncé174 ». Sur le fond, les Suédois adoptent une position de légitime défense face à des neutres qui ont négligé leurs devoirs en permettant à l’ennemi de se renforcer. Le blocus décrété par Charles XII renvoie à la délicate question de la limite entre le droit légitime des neutres au commerce avec des parties en guerre, et celui non moins légitime des belligérants de veiller à leur conservation.
82Bien que le pavillon français soit moins présent en Baltique que celui des Anglais et des Hollandais, il subit tout de même le blocus des ports baltes. Par l’intermédiaire de Michel Amelot de Gournay, le Conseil de Commerce dénonce les rigueurs que les Suédois imposent au commerce de la Baltique jugées « contre le droit public au-delà des bornes du pouvoir de chaque souverain, et par conséquent tout à fait insoutenables175 ». Pontchartrain admet que les bâtiments français soient visités pour vérifier qu’ils ne transportent pas de marchandises de contrebande, mais rien de plus. Le ministre reconnaît que pendant la guerre entre la France, l’Angleterre et les Provinces-Unies, « chaque nation a pris en même temps des précautions pour troubler le commerce de ses ennemis et pour faire en sorte qu’ils ne puissent se servir du masque des nations amies, mais n’ont jamais été plus loin […] interdire indéfiniment tout commerce avec ces pays-là [les régions baltes], c’est ce que le roi de Suède ne peut s’arroger non plus qu’aucune puissance de l’Europe, et le roi ne veut l’approuver ni le tolérer176 ».
83La nature des protestations des Puissances Maritimes et de la France montre qu’il s’est formé au cours du XVIIe siècle un droit coutumier du blocus qui fait le partage des prérogatives des belligérants et des neutres. Au début du XVIIIe siècle, il est une pratique légitime de guerre qui s’impose à tous à condition qu’il soit effectif, ce qui contraint à le concentrer autour de quelques ports, et donc à laisser libre la fréquentation d’autres places. La reconnaissance des saisies en un lieu réellement bloqué est contrebalancée par la liberté de navigation laissée par ailleurs à ceux qui ne transportent pas de contrebande. Dans ces conditions, la coexistence du neutre et du belligérant devient possible, même si les interdictions unilatérales ne disparaissent pas.
84Pendant la guerre de Sept Ans, les Anglais font savoir qu’ils tiennent les arsenaux de Brest et de Rochefort bloqués, même si ce n’est pas toujours effectivement le cas, et saisissent les bâtiments scandinaves qui s’y destinent. Parallèlement au conflit franco-anglais, la Russie et la Suède sont en guerre contre la Prusse de Frédéric II. En 1758, Stockholm déclare les ports prussiens en état de blocus. Les relations se tendent avec le Danemark lorsque deux navires transportant des vivres sont saisis par la marine suédoise au motif qu’ils se rendaient à Stettin. Les bâtiments sont relâchés avec leur cargaison, mais leurs capitaines ne reçoivent aucune indemnité pour les pertes qu’ils ont subies. Bien que le cas soit rapidement réglé, l’incident, peu important en lui-même, génère un véritable contentieux entre les deux voisins du Nord.
85Le cœur de la discorde porte sur le commerce de Stettin. Les Danois sont prêts à en reconnaître le blocus, à la condition qu’il soit effectivement fermé et qu’ils en aient été informés177. Or, ce n’est pas le cas pour le ministre danois des Affaires étrangères, Johann Hartvig von Bernstorff, qui livre alors sa vision de ce qu’est une place bloquée :
« Une place est estimée bloquée lorsqu’elle est enfermée, c’est-à-dire lorsqu’elle est investie par terre et qu’elle l’est encore par mer de manière que des batteries établies d’un côté du port et de l’autre se croisent en tirant ou que des vaisseaux en nombre suffisant stationnés exprès pour cet effet en interdisent absolument l’entrée. La croisière de quelques navires ne suffit point pour former un blocus et bien moins encore lorsque la place n’est point investie par terre, parce qu’alors la dite place pouvant estre pourvue de tout ce qu’il lui faut sans que ces navires puissent y porter empêchement, il n’est ni utile d’interdire aux nations neutres un commerce qui devient indifférent, ni juste de s’arroger sur elles un pouvoir que la seule nécessité de la guerre peut colorer. Ces règles que vous trouverez dans tous les traités que toutes les nations reconnoissent et que la France elle-même soutient et a toujours soutenu, ces règles, dis-je, sont celles que le roi reconnoit et qu’il réclame178. »
86Le cœur de la contestation de Bernstorffporte sur le lien entre le siège terrestre et le blocus maritime. Selon lui, ces deux opérations militaires procèdent du même objectif, celui de la reddition de la place attaquée. L’encerclement maritime ou terrestre vise à interdire tout ravitaillement contraignant, tôt ou tard, les assiégés à ouvrir leurs portes. Dans cette perspective, en effet, le blocus maritime doit s’accompagner d’un encerclement sur terre, sinon les seuls qui se trouvent pénalisés sont ceux qui apportent des vivres par la mer, c’est-à-dire les négociants neutres. Dès lors, le blocus est non seulement inutile et improductif sur le plan militaire, mais aussi injuste. La position de Bernstorffse comprend d’autant mieux que les Danois transportent surtout des vivres (poissons et sucre) à Stettin179. Mais pour les Suédois, qui ont échoué à briser ses défenses, l’objectif n’est pas tant de prendre la ville que d’affaiblir Frédéric II en tarissant la branche la plus lucrative de son commerce extérieur180. Ils entreprennent de se justifier en faisant valoir que leurs bâtiments de guerre contrôlent bien les accès à la ville. Ils ajoutent qu’ils respectent la neutralité de la Baltique, puisqu’ils n’arrêtent pas de navires neutres en pleine mer mais seulement dans les eaux appartenant à leur ennemi181.
87Le duc de Choiseul, qui est alors ministre des Affaires étrangères, cherche à jouer les médiateurs dans le différend entre les Danois et les Suédois en se livrant à un examen critique de leurs positions respectives. Le premier point est la prétention danoise de pouvoir, malgré tout, apporter des vivres à Stettin. Choiseul la juge insoutenable car, comme dans le cas d’un siège, elle serait « contraire à toutes les règles de la guerre et à l’usage constamment observé par les nations. Dès qu’une place est assiégée ou bloquée par terre, tout commerce et toute communication doivent être interdits aux nations neutres, la proposition ne souffre aucune réplique182 ». Le second point porte sur le rapport entre le siège terrestre et le blocus maritime. Choiseul estime que cette revendication danoise « n’a aucune sorte de fondement » et qu’il est « universellement reconnu » que l’un ne conditionne pas l’autre183. Enfin, le ministre français reconnaît que les opinions divergent sur les conditions mêmes du blocus. Si la présence de plusieurs vaisseaux croisant au large d’un port peut suffire à l’estimer fermé, Choiseul admet que « ce dernier sentiment [qui] paraît le plus conforme aux règles générales de la guerre [est] en même temps le plus combattu par les nations commerçantes184 ». Il estime que la croisière de navires à l’entrée de la lagune de Stettin suffit à en bloquer l’accès, comme le montre l’incapacité de la marine prussienne à gagner la Baltique à cause du barrage des vaisseaux suédois.
88Pour rapprocher les points de vue divergents, l’ambassadeur de France à Stockholm, Havrincourt, remet aux Suédois une proposition de conciliation imaginée par Choiseul. Le ministre suggère d’élargir la notion de contrebande aux matériaux de marine et à certains vivres, mais de permettre les autres commerces185. Cette proposition se situe dans l’entre-deux séparant le blocus, qui prohibe absolument tout commerce, de la contrebande qui ne comprend que le matériel directement utilisable à la guerre. Ainsi, les Suédois pourraient empêcher que leur ennemi se renforce, et les Danois continuer leurs exportations.
89Mais la proposition pose deux questions auxquelles il n’est pas apporté de réponse : la première, peut-on encore parler d’un blocus ? La seconde, comment les parties prenantes peuvent-elles élargir la notion de contrebande alors que tous leurs traités limitent le commerce interdit au matériel de guerre ? Malgré tout, l’ambassadeur de France à Stockholm se montre optimiste sur les chances de parvenir à une réconciliation entre les deux cours du Nord, pourvu que les Suédois consentent à laisser les Danois transporter du sucre et du poisson à Stettin186. L’accord se fait effectivement sur cette base, Frédéric V de Danemark ordonne à ses sujets de ne plus transporter de céréales et autres vivres à Stettin, mais de se contenter des sucres et des harengs qui sont les seules marchandises dont le commerce demeure libre187.
90De manière générale, chaque État pouvant être, tour à tour, acteur ou victime du blocus, il a fallu trouver des solutions praticables pour concilier le droit au commerce du neutre et celui du belligérant. La solution qui se dessine au gré des traités internationaux consiste en une concentration de l’interdiction totale de commerce en certains points et sous certaines conditions. À ce titre, le fait que Bernstorffcite l’article 9 du traité austroespagnol de 1725 qui, le premier, a caractérisé le blocus par la notion de danger manifeste, montre que cet accord bilatéral a un écho qui dépasse les signataires pour devenir une référence. Effectivement, cette règle tend à s’imposer au XVIIIe siècle illustrant l’exigence de la réalité du blocus et imposant un effort militaire réel à celui qui prétend l’exercer alors que, par défaut, le commerce neutre conserve tout sa légitimité. La reconnaissance générale du principe selon lequel un blocus valide doit être effectif, permanent et notoire est consacrée par la Neutralité armée de 1780, repris par celle de 1800 puis, après l’épisode des guerres de la Révolution et de l’Empire, par le traité de Paris de 1856.
La parole du neutre : l’immunité des convois
91L’escorte de bâtiments de guerre permet de dissuader ou de repousser les pirates et les ennemis qui tenteraient de s’emparer d’une flotte marchande. Pour les neutres, l’escorte de vaisseaux de guerre n’a pas tant pour but de repousser un ennemi par la force, que de contenir dans des bornes raisonnables les exigences des belligérants fondées sur leur droit de visite.
92Au XVIIe siècle, les Scandinaves sont accoutumés à faire escorter leurs navires de commerce. Pour eux, les deux principaux dangers sont les corsaires dunkerquois qui sévissent à l’entrée de la Manche et les pirates barbaresques188. Mais ce sont les déprédations subies lors de la première guerre anglo-hollandaise qui conduisent Christine de Suède, le 16 août 1653, à ordonner l’organisation d’escortes pour protéger le commerce de ses sujets. Les commandants suédois doivent veiller à ce que les bâtiments escortés ne transportent que des marchandises compatibles avec la neutralité en procédant à une inspection des chargements. En cas de rencontre avec un belligérant, il revient au commandant du convoi de donner la garantie, au nom de la reine, de la licéité du transport ce qui doit dispenser les navires marchands de toute visite189. Même si la mesure n’a aucun effet, puisque la paix est signée avant la mise en place des escortes, elle n’en est pas moins une nouveauté qui fait date190. Les Provinces-Unies adoptent les principes suédois en 1654 pour protéger leurs bâtiments des visites anglaises191. Christian V de Danemark prend des mesures similaires dans son code maritime promulgué trente ans plus tard. Il prévoit qu’un navire armé ne doit pas tolérer que les bâtiments qu’il accompagne soit abordés « sous quelques prétexte que ce soit même pour voir les passeports ou les papiers et il doit le repousser autant que possible192 ».
93Le bâtiment de guerre doit s’interposer entre les navires marchands et l’étranger aussi bien pour garantir la sincérité des transports que, le cas échant, pour repousser manu militari le corsaire qui voudrait effectuer des vérifications. L’escorte que le souverain accorde est une parole royale dont le belligérant doit se contenter sans prétendre la mettre en doute par une inspection des bâtiments marchands. La guerre de la Ligue d’Augsbourg est le baptême du feu pour les convois neutres scandinaves. L’union maritime entre les deux voisins permet l’organisation d’escortes communes. À partir de Flekkerø, au sud de la Norvège, les bâtiments scandinaves sous la protection d’une ou deux frégates prennent la direction du sud. Mais elles n’évitent pas que des vaisseaux hollandais visitent le convoi de 1691 et découvrent que plusieurs bâtiments sont en fraude, à cause de faux papiers ou parce qu’ils transportent des marchandises de contrebande193. La tromperie et la dissimulation du commerce ennemi fonde les prétentions à l’inspection des bâtiments sous convoi. Malgré les proclamations et les protestations des Scandinaves, de fait, leurs convois n’offrent pas une protection totale aux navires marchands, mais au moins ils échappent aux corsaires. En se portant garante de la nature innocente des bâtiments convoyés, la puissance neutre déclare prendre en charge l’interdiction du transport de la contrebande, mais elle ne peut en aucun cas servir de protection aux pavillons impliqués dans la guerre. À l’été 1693, un convoi suédois est arraisonné par des corsaires anglais qui demandent au commandant de faire sortir les navires français se trouvant au sein de la flotte qu’il escorte. Les Français refusant d’obéir tant qu’ils seront menacés d’être pris, le commandant suédois utilise le feu de sa frégate pour les expulser de son convoi194.
94Le commandement d’un convoi peut être contraint à faire usage de la force pour protéger les bâtiments escortés, au risque de créer des incidents avec les belligérants. Pendant la guerre de Sept Ans, le gouvernement danois doit accorder une protection aux navires mettant les voiles vers la France et la Méditerranée, tout en sachant que les Anglais refusent de reconnaître le droit des convois195. L’amirauté danoise ordonne aux commandants de repousser fermement les visites des belligérants, mais leur demande également de céder face à une force supérieure. En octobre 1761, un convoi danois de trois bâtiments de commerce revenant de Smyrne, sous protection du Grønland (50 canons), est intercepté en Méditerranée par le vaisseau anglais Shrewsbury (74 canons). Sous la contrainte, le commandant danois accepte la visite qui aboutit au détournement de l’Ange volant vers Gibraltar, au motif que son chargement est composé de marchandises françaises196. Le coup de force anglais provoque de vives réactions des Danois. Bernstorff évoque « une insulte hostile, si atroce qu’il suffit de l’indiquer pour en faire connaître l’iniquité » car elle « blesse directement les droits de tout pavillon indépendant et souverain ». L’ambassadeur danois à Londres, Hans Caspar von Bothmer, reçoit ordre d’obtenir des réparations et de confier au juriste Martin Hübner le soin de rédiger des mémoires à ce sujet197. Comme le droit des convois n’a pas encore intégré la doctrine, Hübner ne peut évoquer que le droit des gens coutumier pour la défense de l’Ange volant198. Bothmer présente un mémoire au gouvernement anglais dans lequel il avance que l’escorte de navires de guerre place les bâtiments de commerce sous l’autorité de leur roi dont la présence symbolique atteste la sincérité du transport. Dans ces conditions, la parole du commandant du convoi doit suffire, et toute visite sous la contrainte est un viol de souveraineté199. Le secrétaire d’État Holderness répond en rappelant le droit naturel d’un belligérant à saisir les marchandises ennemies partout où elles se trouvent. Ensuite, il en vient à « une prétention toute nouvelle que jamais une nation neutre n’a formulée jusqu’ici, ou du moins, dont jamais aucune puissance belligérante n’est convenue savoir que le droit de convoy est tel qu’il exempte de toute visite les vaisseaux convoyés200 ».
95Cette réplique éclaire le processus de formation et de maturation du droit de la neutralité par la coutume et le consentement explicite des États. L’immunité des convois n’apparaît formellement que dans les traités postérieurs à la guerre d’Indépendance américaine. Les États-Unis et la Russie, qui signent le plus grand nombre de traités dans les années 1780, ne manquent pas de faire préciser que la parole du commandant de l’escorte exonèrera les bâtiments qu’il convoie de la toute visite201. À la veille des guerres révolutionnaires, le principe de l’escorte qui permet d’épargner la visite des bâtiments de commerce commence à s’imposer, même s’il n’est reconnu ni par l’Angleterre, ni par l’Espagne. La revendication des neutres de soustraire leurs bâtiments de commerce aux visites des belligérants en retour d’une parole royale crée une nouvelle source de contentieux à l’origine de bien des tensions lors des conflits de la Révolution et de l’Empire.
96La pratique du convoi est une manière pour la puissance neutre d’affirmer sa détermination à poursuivre un commerce innocent et une riposte aux prétentions jugées excessives des belligérants, mais c’est aussi un engagement d’impartialité. La décision de faire escorter des navires de commerce est un acte politique, comme le montre la rivalité opposant les diplomaties française et anglaise autour de la formation de convois aux Provinces-Unies. La décision des États généraux de 1756 de former des escortes est interprétée par l’ambassadeur anglais à La Haye comme le résultat des manœuvres de son rival français202. L’incident qui éclate en août 1756 entre un convoi hollandais et trois vaisseaux de guerre anglais, montre les limites de la protection des escortes. Malgré la parole donnée à ses assaillants que les navires marchands qu’il escorte ne transportent aucune contrebande, le commandant hollandais est contraint de céder à la force et laisse saisir plusieurs bâtiments qu’il devait protéger203. D’autres incidents du même type se reproduisent en 1762 avec une canonnade qui fait plusieurs morts avant que des bâtiments hollandais ne soient finalement amenés en Angleterre204. Dans les derniers jours de 1779, lors de la guerre d’Indépendance américaine, le contre-amiral hollandais Bylandt doit ouvrir le feu sur des frégates anglaises, sans toutefois parvenir à éviter que plusieurs des bâtiments qu’il escorte soient amenés à Portsmouth205. Le droit des convois repose davantage sur le symbole de l’autorité d’un État que sur la force véritable qu’il mobilise. D’ailleurs, lors des incidents de la guerre de Sept Ans ou de celle d’Indépendance américaine, les neutres ont systématiquement le dessous. Et pour cause, il ne s’agit pas pour eux de mobiliser une flotte de guerre comme ils pourraient avoir à le faire s’ils étaient belligérants, ce qui serait la négation même de leur non-implication dans le conflit.
97Au XVIIIe siècle, l’organisation des convois scandinaves se perfectionne sous la double influence de la recrudescence de la piraterie barbaresque et de la volonté des deux États du Nord de développer leur commerce en temps de guerre. En 1724, simultanément au Produktplakat, les Suédois organisent un système de financement des convois au moyen d’une taxe alimentant un fonds spécial, la konvojkassa. Un commissariat des convois est instauré regroupant des membres de l’amirauté et des marchands206. À l’origine, cette organisation sert à protéger le commerce des temps de paix, mais elle s’avère utile durant les périodes de neutralité, même si les coûts des convois dépassent les ressources de son fonds. Pendant la guerre d’Indépendance américaine, Gustave III ordonne la formation de quatre convois dans l’année avec des départs les 29 mai et 31 août pour la Méditerranée, les 14 juillet et 30 septembre pour les destinations plus lointaines. Pour les retours depuis l’Europe méditerranéenne, un premier rendez-vous est fixé à Malaga le 1er septembre pour revenir dans le Nord avant la mauvaise saison, un second convoi doit rassembler les candidats au retour au mois de février de l’année suivante. Dans tous les cas, le roi rappelle à ses sujets leur obligation de respecter les règles de la navigation neutre en prohibant le transport de la contrebande ou l’approvisionnement de places bloquées207. Les Suédois, comme les Danois, portent une grande attention à la sincérité du transport effectué sous leurs pavillons. En 1783, le consul suédois à Marseille, Frans Filip Fölsch, affirme qu’avec son homologue danois ils ont bien vérifié les chargements et les papiers de bords de quatre bâtiments devant regagner le Nord sous escorte de la frégate Illerim, afin de pouvoir garantir la sincérité de leur navigation208. Le fondement de l’immunité du convoi est la confiance en la parole du prince neutre qui doit respecter son impartialité.
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98Le commerce et la navigation neutres se trouvent à la rencontre de deux droits également naturels et incontestables, celui du belligérant qui veut affaiblir l’économie de son ennemi, celui du neutre qui ne doit pas subir les conséquences d’un conflit qui ne le concerne pas. S’il doit bien se conformer au devoir impérieux de ne favoriser aucune des parties en guerre, encore faut-il déterminer ce qu’est un commerce impartial ou, au contraire, favorable à un belligérant. Cette interrogation centrale connaît plusieurs déclinaisons qui touchent au simple transport, à la nature du chargement, en particulier s’il s’agit de fournitures de marine, et à sa destination. La réponse mobilise deux éléments qui peuvent se compléter ou se contredire. Le premier est la parole juridique qui s’appuie sur les écrits des théoriciens du droit et sur la teneur des traités. Ils forment un ensemble de références qui influencent et conditionnent les législations des prises définissant l’espace de l’activité des neutres. Plus que pour la guerre sur terre, la guerre sur mer est un domaine de juristes car les neutres sont soumis à des décisions de justice qu’ils peuvent contester en appel. Le second élément est la constellation des pratiques, des compromis et des pressions qui permettent de donner de la souplesse, voire d’aller à l’encontre des règles de droit. Cette culture de l’accommodement est au cœur des tensions qui entourent l’exercice du commerce neutre. Elle nourrit sa capacité d’adaptation aux circonstances mais porte aussi ses contraintes.
Notes de bas de page
1 Accarias de Serionne J., Intérêts des nations de l’Europe dévelopés relativement au commerce, Leyde, Elie Luzac, 1766, p. 299-300.
2 Clark G., « The Character of the Nine Years War, 1688-97 », Cambridge Historical Journal, vol. 11, no 2, 1954, p. 172.
3 Saupin G., Nantes au XVIIe siècle, Rennes, PUR, 1996, p. 225, Carrière C., Négociants marseillais au XVIIIe siècle. Contribution à l’étude des économiques maritimes, Institut historique de Provence, 1973, p. 512.
4 Accarias de Serionne J., Intérêts des nations de l’Europe dévelopés relativement au commerce, op. cit., t. 2, p. 300.
5 Lespagnol A., Messieurs de Saint-Malo. Une élite négociante au temps de Louis XIV, Rennes, PUR, 1997, p. 222 et Bromley J., « Le commerce de la France de l’Ouest et la guerre maritime (1702-1712) », Annales du Midi, vol. 65, 1953, p. 59.
6 Butel P., La croissance commerciale bordelaise dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, 2 t., service de reproduction des thèses, Lille III, 1973, p. 726. À Marseille, à Rouen et au Havre, l’évolution des entrées du pavillon ostendais suit la même chronologie qu’à Bordeaux.
7 Lüthy H., La banque protestante en France de la révocation de l’édit de Nantes à la Révolution, Paris, SEVPEN, 1959, t. 2, p. 649, note 95.
8 Parmentier J., « The Sweets of Commerce: the Hennessys of Ostend and their Network in the Eighteenth Century », dans Dickson D., Parmentier J. et Ohlmeyer J. (dir.), Irish and Scottish mercantile networks in Europe and overseas in the seventeenth and eighteenth centuries, Gand, Academia Press, 2007, p. 76.
9 Les Huguenots réfugiés en Suède avaient conservé des liens avec leurs anciens coreligionnaires marchands armateurs et banquiers des ports français et à Paris, voir Bedoire F., Hugenotternas värld. Från religionskrigens Frankrike till skeppsbroadelns Stockholm, Albert Bonniers Förlag, 2009, p. 161-166 ; Jørgensen D., Danmark-Norge mellom stormaktene 1688-1697, op. cit., p. 241 et Pourchasse P., « Les Huguenots et l’élite négociante scandinave au XVIIIe siècle », Histoire, Économie et Société, vol. 29, 2010, p. 85-96.
10 Rigsarkivet, TKUA, Frankrig, vol. 24, Hanssen de Liliendahl à Bernstorff, 28 septembre 1756.
11 Le bâtiment est aperçu sous pavillon turc, puis hisse celui de la France, de l’Angleterre et enfin de Gênes, AN, G5/260, fol. 232, 27 avril 1757.
12 AN, Marine B1/485, Hanssen à Maurepas, 30 avril 1744.
13 AAE, CP, Hollande, vol. 494, fol. 122, Affry à Rouillé, 1er avril 1757.
14 AN, Affaires étrangères, B1/61, fol. 586, Castries à Garnier, 23 novembre 1778.
15 Filippini J.-P., Il porto di Livorno e la Toscana (1676-1814), Naples, Edizioni Scientifiche Italiane, 1998, vol. 2, p. 208.
16 Carrière C. et Courdurié M., « Les grandes heures de Livourne au XVIIIe siècle. L’exemple de la guerre de Sept Ans », Revue historique, no 515, 1975, p. 44-45.
17 Ibid., p. 42-47 et 56-59.
18 Ibid., p. 40.
19 Filippini J.-P., Il porto di Livorno e la Toscana (1676-1814), op. cit., p. 211-212.
20 Pfister C., « Dunkerque-Ostende : quelques jalons sur l’évolution de leurs rapports au XVIIIe siècle » Frontières et limites de 1610 à nos jours, Actes du 101e Congrès national des sociétés savantes, Lille, 1976, Paris, Bibliothèque nationale, 1978, p. 45.
21 Everaert J., « Le pavillon impérial aux Indes occidentales. Contrebande de guerre et trafic neutre depuis les ports flamands (1778/1785) », Bijdragen tot de internationale maritieme geschiedenis, Collectanea Maritima, IV, 1988, Bruxelles, p. 45-46.
22 « Résumé de la navigation générale du Sund depuis 1771 et compris 1784 », par Brosseronde, AN, Affaires étrangères, B3/420.
23 Parmentier J., « Profit and Neutrality: The Case of Ostend, 1781-1783 », dans Starkey D., Eyck van Heslinga E.S. et de Moor J.A. (dir.), Pirates and Privateers: New Perspectives on the war in the Eighteenth and Nineteenth Centuries, Exeter, University of Exeter Press, 1997, p. 206-207.
24 AN, Affaires étrangères, B1/930, fol. 118, Garnier à Sartine, 8 mai 1778.
25 Everaert J., « Le pavillon impérial aux Indes occidentales », art. cit., p. 47.
26 Parmentier J., « Profit and Neutrality: The Case of Ostend, 1781-1783 », art. cit., p. 209-210.
27 Parmentier J., « The Sweets of Commerce: the Hennessys of Ostend and their Network in the Eighteenth Century », art. cit., p. 79. Voir également Lüthy H., La banque protestante en France, op. cit., p. 653 et 658.
28 « Ostende, ci devant une très mince ville, jouera bientôt un rôle à l’égal des ports les plus fréquentés », AN, Affaires étrangères, B1/930, fol. 291, Garnier à Castries, 15 juillet 1778.
29 Propos rapportés par le ministre de France à Bruxelles, Jean-Balthazar Adhémar, AAE, CP, Pays-Bas autrichiens, vol. 172, fol. 394, Adhémar à Vergennes, 29 juin 1781.
30 AN, Affaires étrangères, B1/931, fol. 16, Garnier à Castries, 11 mai 1783.
31 Bezons à Pontchartrain, Contrôleur Général des Finances, 18 septembre 1691, dans Boislisle A.-M. de (éd.), Correspondance des Contrôleurs Généraux des Finances, vol. I, 1638-1699, Paris, 1874, p. 259.
32 En 1689-1690, 21,95 % du tonnage d’entrée du port flamand est danois, 5,83 suédois, Pfister-Langanay C., Ports, navires et négociants à Dunkerque, Dunkerque, société dunkerquoise, 1985, p. 201.
33 Huetz De Lemps C., Géographie du commerce de Bordeaux à la fin du règne de Louis XIV, Paris-La Haye, Mouton, 1975, p. 66 et Johnsen O., « Le commerce entre la France méridionale et les pays du Nord sous l’Ancien Régime », Revue d’Histoire Moderne, mars-avril 1927, p. 87-89.
34 « Observations sur les mémoires envoyés par M. de Bonrepaus et présentés par le sieur de Meyerkron au nom du roy de Dannemark touchant le règlement du 17 fevr 1694 », AAE, CP, Danemark, vol. 51, fol. 38.
35 Jørgensen D., Danmark-Norge mellom stormaktene 1688-1697, op. cit., p. 46.
36 Moseng O. G., Opsahl E., Pettersen G., Sandmo E., Norsk Historie, 1537-1814, Oslo, Universitetforlaget, 2003, p. 307.
37 Müller L., Consuls, Corsairs and Commerce, op. cit., p. 142, et Moseng O. et alii, Norsk Historie, 1537-1814, op. cit., p. 308.
38 Jørgensen D., Danmark-Norge mellom stormaktene 1688-1697, op. cit., p. 46.
39 AAE, CP, Danemark, vol. 40, fol. 160, Bonrepaus à Pontchartain, 30 septembre 1693.
40 Ibid.
41 Bonrepaus assure quant à lui que les trois quarts des maîtres de vaisseaux danois sont Hollandais, Bonrepaus à Pontchartain, 24 aout 1694, dans Johnsen O. (dir.), Rapports de la légation de France à Copenhague relatifs à la Norvège, t. I, op. cit., p. 177.
42 Jørgensen D., Danmark-Norge mellom stormaktene 1688-1697, op. cit., p. 242 et Kellenbenz H., « Les passeports maritimes du roi de Danemark pour l’année 1691 », dans Mollat M. (dir.), Les sources de l’histoire maritime en Europe du Moyen Âge au XVIIIe siècle, Paris, SEVPEN, 1962, p. 393-394.
43 AN, F12/51, fol. 125, 10 février 1708.
44 Campredon J. de, « Mémoire de M. de Campredon sur les négociations dans le Nord, 1679-1719 », Cabinet historique, t. v, 1859, p. 46.
45 Ce sont des passeports délivrés par les autorités danoises et suédoises pour tout voyage au-delà du cap Finisterre, au nord-ouest de l’Espagne.
46 Graphique réalisé à partir des chiffres donnés par Müller L., « Nordic Neutrals and Anglo-French Wars, 1689-1815 », The Northern Mediterranean, XIVth International Economic History Congress, Helsinki, 2006, ww. helsinki. fi/iehc2006/papers1/Muller36. pdf, p. 21.
47 Andersen D. et Pourchasse P., « La navigation des flottes de l’Europe du Nord vers la Méditerranée, XVIIe-XVIIIe siècles », Revue d’histoire maritime, 2011, no 13, p. 34.
48 « Résumé de la navigation générale du Sund depuis 1771 et compris 1784 », par Brosseronde, AN, Affaires étrangères, B3/420.
49 Andersen D., The Danish Flag in the Mediterranean, op. cit., p. 331.
50 Rigsarkivet, TKUA, Frankrig, vol. 284, Mémoire de Wedel-Friis, ambassadeur de Danemark en France, à Machault d’Arnouville et Rouillé, 8 février 1757.
51 Rigsarkivet, TKUA, Frankrig, vol. 295, Tableau des navires danois pris par les corsaires français au cours de la guerre de Sept Ans, par Wedel-Friis.
52 L’affaire dure pratiquement trois ans, Riksarkivet, Diplomatica, Gallica, vol. 532, Mémoire du 11 novembre 1759 remis par Havrincourt, ambassadeur de France à Stockholm, à von Höpken, chancelier de Suède et vol. 509, Butini à von Höpken, 9 et novembre 1759.
53 À la fin du XVIIIe siècle, il faut un homme pour 20 à 23 tonneaux sur les navires suédois, alors qu’il y en a un pour 10 à 18 tonneaux chez les Anglais, les Hollandais et les Français, Müller L., « Commerce et navigation suédois en Méditerranée à l’époque moderne, 1650-1815 », Revue d’histoire maritime, 2011, no 13, p. 62 et 67.
54 Riksarkivet, Diplomatica, Gallica, vol. 340, Maurepas à Scheffer, 4 juillet 1745. Bertellet est nommé consul de Suède, tout en exerçant la même fonction au service du roi de France, ce qui est théoriquement interdit par l’ordonnance de la Marine de 1681, Mézin A., Les consuls de France au siècle des Lumières (1715-1792), Paris, ministère des Affaires étrangères, 1997, p. 13.
55 Riksarkivet, TKUA, Frankrig, vol. 281, Bernstorffà Wedel-Friis, 7 juillet 1761.
56 Müller L., « Neutralitet och svensk sjöfart, 1770-1815 », art. cit., p. 125 et Jägerskiold O., Den svenska utrikes politikens historia, vol. II: 2: 1721-1792, Stockholm, Norstedt & Söners, 1952, p. 285.
57 Müller L., « Neutralitet och svensk sjöfart, 1770-1815 », art. cit., p. 119-120.
58 Müller L., « Nordic Neutrals and Anglo-French Wars, 1689-1815 », art. cit., p. 11.
59 Par exemple, dans une dépêche du 13 avril 1759, le consul danois à Bordeaux signale un navire danois qui, faute de fret, va devoir prolonger sa navigation avant de revenir dans le Nord, Rigsarkivet, TKUA, Frankrig, vol. 24, Hanssen de Liliendahl à Bernstorff.
60 Boulanger P., « Le commerce maritime des huiles durant les guerres de la seconde moitié du XVIIIe siècle », dans Vergé-Franceschi M. (dir.), Guerre et commerce en Méditerranée IXe-XXe siècles, Paris, Veyrier et Kronos, 1991, p. 248.
61 Il assure que parmi les quarante bâtiments qui se trouvent alors dans le port provencal, la moitié va se résoudre à charger du sel et renoncer au transport plus rémunérateur des produits méridionaux, Riksarkivet, Diplomatica, Gallica, vol. 511, Fölsch à Scheffer, 21 février 1783.
62 Carrière C., Négociants marseillais au XVIIIe siècle, op. cit., p. 497.
63 Felbæk O., Dansk søfarts historie, vol. 3: 1720-1814: Storhandelens tid, Copenhague, Gyldendal, 1997, p. 13.
64 Jespersen K. et Felbæk O., Dansk udenrigspolitik historie 2, op. cit., p. 300-303. Sur le réseau consulaire danois voir Pourchasse P., « Les consulats, un service essentiel pour le monde négociant : approche comparative entre la France et la Scandinavie », dans Ulbert J. et Le Bouëdec G. (dir.), La fonction consulaire à l’époque moderne, Rennes, PUR, 2006, p. 191-209.
65 Jespersen K. et Felbæk O., Revanche og neutralitet, op. cit., p. 391.
66 Högberg S., Utrikeshandel och sjöfart på 1700-talet, Lund, Bonniers, 1969, p. 28-29 et Johansen H. C., « Scandinavian shipping in the late Eighteenth century in a European perspective », Economic History Review, 1992, vol. 45, no 3, p. 483.
67 Riksarkivet, Kommerskollegium, Huvudarkivet, Skrivelser från svenska konsuler, huvudserie, E VI aa, vol. 347, « Réflection sur l’avantage du commerce de Suède », Jean-Christian Stierling, 22 septembre 1756.
68 Nordin J., « L’esprit de paix ou la naissance de l’opposition à la guerre dans la Suède du XVIIIe siècle », Revue d’histoire nordique, vol. 14, 2012, p. 111-117.
69 Essén Å., Johan Liljencrantz som handelspolitiker. Studier i Sveriges yttre handelspolitik, 1773-1786, Lund, Gleerup, 1928, p. 78-85.
70 Müller L., « Sweden’s neutral trade under Gustav III: The ideal of commercial independence under the predicament of political isolation », dans War and Trade: The Neutrality of Commerce in the Inter-State System, op. cit., p. 147.
71 « Le fret considérable que les navires suédois ont obtenu et obtiennent encore, vu la neutralité de leur pavillon, fait que l’on a grand soin de s’en pourvoir autant qu’il est possible », « Remarques pour servir d’éclaircissement aux listes ci jointes et observations relatives au commerce particulier de Goteborg et à celui de la Suède en général. 1781 », AN, Marine, B3/418.
72 Johansen H. C., « Scandinavian shipping in the late Eighteenth century in a European perspective », art. cit., p. 482.
73 « Mémoire contenant des détails et des observations… », 18 février 1783, AN Marine, B3/418, fol. 22 ; AN, Affaires étrangères, B1/606, fol. 66, Delisle à Castries, 1er janvier 1783 et Moseng O. et alii, Norsk Historie, 1537-1814, op. cit., p. 309.
74 Voir le graphique reproduit dans Müller L., « Commerce et navigation suédois en Méditerranée à l’époque moderne, 1650-1815 », art. cit., p. 64.
75 Huetz De Lemps C., Géographie du commerce de Bordeaux, op. cit., p. 66.
76 Carrière C., Négociants marseillais au XVIIIe siècle, op. cit., p. 557.
77 Cité dans Dumas A., « Le Conseil des Prises sous l’Ancien Régime », art. cit., p. 623.
78 Rigsarkivet, TKUA, Frankrig, vol. 286, no 40, Wedel-Friis à Bernstorff, 14 novembre 1755.
79 Riksarkivet, Diplomatica, Gallica, vol. 403, Mémoire de Scheffer à Bernis et Massiac, 13 juin 1758.
80 Rigsarkivet, TKUA, Frankrig, vol. 298, Wedel-Friis à Berryer, 12 novembre 1760 et Berryer à Wedel-Friis, 17 mars et 25 avril 1761.
81 AN, Affaires étrangères, B3/419, Lanmary à Maurepas le 28 août 1744.
82 Ibid., du même au même 16 octobre 1744.
83 Ibid., du même au même 2 octobre 1744.
84 Chance J. F. (éd.), British Diplomatic Instructions, Sweden, Londres, Office of the Royal Historical Society, 1928, t. 2: 1727-1789, p. 232.
85 Le jugement du Conseil des Prises se trouve dans AN, G5/261, fol. 174-179.
86 Les documents relatifs à l’affaire de La Providence se trouvent dans Rigsarkivet, TKUA, Frankrig, vol. 296. On y trouve, parmi différents textes, pas toujours datés et signés, des mémoires et des lettres émanant du capitaine Pollans, de l’avocat Rony, un échange de correspondance entre Wedel-Friis et les ministres français, également une série de lettres des consuls de Suède à Marseille, Butini et Fölsch.
87 Grotius H., Le droit de la guerre et de la paix, op. cit., p. 648-649.
88 Zouche R., Explication du droit entre les nations, D. Gaurier (éd.), Presses universitaires de Limoges, 2009, trad. de l'édition de 1650, p. 240-241.
89 Mattéi J.-M., Histoire du droit de la guerre, op. cit., p. 578.
90 Bijnkershoek C. van, Les deux livres des Questions de droit public (1737), Gaurier D. (éd.), Presses universitaires de Limoges, 2010, p. 150-154.
91 Vattel E. de, Le droit des gens, vol. II, op. cit., p. 60.
92 Ibid., p. 91-92
93 Sur la pensée de Hübner voir Schnakenbourg E., « From a right of war to a right of peace: Martin Hübner’s contribution to the reflection on neutrality in the eighteenth century », dans Alimento A. (dir.), War, Trade and Neutrality, op. cit., p. 203-216.
94 Le titre complet est De la saisie des batimens neutres ou du Droit qu’ont les Nations Belligérantes d’arrêter les Navires des Peuples Amis, publié en deux tomes.
95 Rigsarkivet, TKUA, Frankrig, vol. 301, Mémoire de Veron de Forbonnais, 1756, voir également, « Mémoire sur la navigation des neutres », anonyme (Forbonnais ?), AN, Marine, B7/515, fol. 144.
96 Abreu F. de, Traité juridico-politique sur les prises maritimes, op. cit., p. 116-117.
97 Vattel E. de, Le droit des gens, op. cit., t. 2, p. 91.
98 Galiani F., De’doveri de’principi neutrali verso i principi guerreggianti, op. cit., p. 158-173.
99 Lampredi G. M., Du commerce des neutres en tems de guerre, Paris, 1802, p. 105-135, traduction de l’original italien de 1788. D’autres auteurs critiquent la territorialisation du pavillon qui fonde la sauvegarde des marchandises ennemies selon Hübner, par exemple Azuni D. A., Système universel de principes du droit maritime de l’Europe, Paris, Digeon, 1797, vol. 1, p. 89-91, traduction de l’original en italien de 1795.
100 Valin R.-J., Nouveau commentaire sur l’ordonnance de la Marine, t. 2, op. cit., p. 252.
101 « Règlement du roi pour les prises faites en mer et pour assurer la navigation des États neutres et alliés pendant la guerre » 23 juillet 1704, ibid., p. 248-249.
102 Article 19 du traité de paix franco-espagnol des Pyrénées (1659), articles 13 et 22 du traité de Nimègue conclu entre la France et les Provinces-Unies (1678), repris à Ryswick (1697) et à Utrecht (1713) pour les Provinces-Unies et l’Angleterre. H. Vast, Les grands traités du règne de Louis XIV, op. cit., vol. 1 p. 103, vol. 2, p. 69 et 72 et 199, vol. 3 p. 101.
103 Article 3 du traité de 1655, et article 22 du traité de 1716, Hauterive P.-L. (d’) et de Cussy F. de, Recueil des traités de commerce et de la navigation de la France, op. cit., vol. 3, p. 406 et 423.
104 Ibid., pour les Provinces-Unies, vol. 2 p. 352 et pour le Danemark, vol. 1 p. 314 et 319.
105 Carter A., Neutrality and commitment, op. cit., p. 327.
106 « Lettre du roi à l’amiral concernant la navigation des bâtiments suédois », 7 décembre 1744 dans S. Lebeau, Nouveau Code des prises, t. 1, op. cit., p. 481-482.
107 Article 25 du traité franco-américain, Hauterive P.-L. (d’) et de Cussy F. de, Recueil des traités de commerce et de la navigation de la France, op. cit., vol. 1, p. 471
108 Le règlement est reproduit dans Lebeau S., Nouveau Code des prises, t. 2, op. cit., p. 59-63.
109 Pour des développements plus approfondis voir Schnakenbourg E., « From “hostile infection” to “free ship, free goods”: Changes in French neutral trade legislation (1689-1778) », dans Stapelbroek K. (dir.), War and Trade: The Neutrality of Commerce in the Inter-State System, op. cit., p. 95-113.
110 Roscoe E., A History of the English Prize Court, London, Lloyds, 1924, p. 33-34.
111 Helfman T., « Commerce on Trial: Neutral Rights and Private Warfare in the Seven Years’War », dans Stapelbroek K. (dir.), War and Trade: The Neutrality of Commerce in the Inter-State, op. cit., p. 21-22.
112 Roscoe E., A History of the English Prize Court, op. cit., p. 40-43.
113 C’est notamment le cas avec l’Empereur Constantin de Venise et l’Ascension de Gênes naviguant vers Ostende, avec un équipage neutre, lors de la première guerre anglo-hollandaise. « I must confess that all this have offered is no more than a matter of presumption against the ships » reconnaît le juge Jenkins. Il revient aux propriétaires de démontrer que le chargement leur appartenait pour récupérer leurs biens, Llewelyn Davies D. J., « The Development of Prize Law under Sir Leoline Jenkins », Transactions of the Grotius Society, vol. 21, 1935, p. 154-157.
114 « Rules for the Admiralty court in the adjudication of prizes », dans Marsden R. (éd.), Law and custom of the sea, vol. 2, op. cit., p. 53-57.
115 Le modèle exact du passeport est indiqué dans le corps de l’article, Chalmers G., A collection of treaties between Great Britain and other powers, vol. 1, Londres, J. Stockdale, 1790, p. 53-57.
116 Ibid., p. 86-89
117 Ibid., p. 96.
118 Ibid., p. 177. L’article 8 confirme cette disposition « All that which shall be found in the ships belonging to the subjects of the Lords the States shall be accounted clear and free, although the whole lading, or any part thereof, by just title of propriety, shall belong to the enemies of his Majesty », p. 181-183.
119 Par exemple « The ships belonging to the subjects of Sweden being provided with passeports and certificates according to the 12th article of the treaty betwixt England and Sweden shall not be molested… », « Instructions for privateers against France, 27 juin 1693 », article 10, Marsden R. (éd.), Law and custom of the sea, vol. 2, op. cit., p. 416.
120 Basily A., De la contrebande de guerre, Paris, Cotillon, 1868, p. 11.
121 Marsden R. (éd.), « Early Prize Juridiction and Prize Law in England », art. cit., p. 689-691.
122 « Certificate by the Lord High Admiral that, since the proclamation of 1589, all food, warlike and shipping stores, in neutral ships voluntarily carried to Spain have been condemned as prize, and that no freight has been allowed to the carrier », Marsden R. (éd.), Law and custom of the sea, op. cit., vol. 1, p. 317-320.
123 Marsden R. (éd.), « Early Prize Juridiction and Prize Law in England », art. cit., p. 253.
124 Grotius H., Le droit de la guerre et de la paix, op. cit., p. 584-585.
125 Kleen R., De la contrebande de guerre, op. cit., p. 25.
126 « Les armes, poudres, boulets & autres munitions de guerre, même les chevaux & équipages qui seront transportés pour le service de nos ennemis, seront confisqués en quelques vaisseaux qu’ils soient trouvés & à quelque personne qu’ils appartiennent, soit de nos sujets ou alliés », Valin R.-J., Nouveau commentaire sur l’ordonnance de la Marine, t. 2, op. cit., p. 264.
127 « Factum pour André Nilson, negociant Suédois de la ville de Gottembourg, propriétaire du navire, La Petite Balance de fer… » Riksarkivet, Diplomatica, Gallica, vol. 195.
128 Vast H., Les grands traités du règne de Louis XIV, vol. 3, Paris, Alphonse Picard, 1899, p. 101-102 et Hauterive P.-L. (d’) et de Cussy F. de, Recueil des traités de commerce et de la navigation de la France, op. cit., vol. 2, p. 104-105, et vol. 3, p. 471-473.
129 P. Jessup et F. Deák, Neutrality: its History, Economics and Law, vol. 1, Octagon books, New York, 1976, p. 80-81.
130 Hauterive P.-L. (d’) et de Cussy F. de, Recueil des traités de commerce et de la navigation de la France, op. cit., vol. 3, p. 404-405 et p. 421-422 et vol. 1, p. 282 et p. 318.
131 Chalmers G., A collection of treaties between Great Britain and other powers, op. cit., vol. 1, p. 179.
132 « et autres matériels utiles et nécessaires à la guerre », Laursen L. (éd.), Danmark-Norges Traktater 1523-1750, vol. 6, Copenhague, Carlsbergfondet, 1923, p. 319.
133 Kulsrud C., Maritime neutrality to 1780. A history of main principles governing neutrality and belligerency to 1780, Boston, Little, Brown and Company, 1936, p. 284. Les Turcs considèrent également les matériaux de marine comme de la contrebande, « Mémoire sur le commerce de la mer Noire par le comte de Vergennes », Constantinople, 29 janvier 1767, AAE, MD, Russie, vol. 7, fol. 198.
134 Pratt F., The law of contraband of war, Londres, Benning, 1856, p. 198.
135 E. Satow, The Silesian loan and Frederick the Great, Oxford, Clarendon Press, 1915, p. 12-13 et 47-48.
136 Ibid., p. 20-22.
137 Bourguignon H., Sir William Scott, Lord Stowell: Judge of the High Court of Admiralty, 1798-1828, Cambridge University Press, 2004, p. 188.
138 Rigsarkivet, TKUA, Frankrig, vol. 23, Abraham Compigné à Bernstorff, 8 jun 1760.
139 « Large masts, yards, anchors and cables of a size to be used on board ships of war » doivent être saisis au profit des arsenaux de la Navy, Instructions des Lords de l’Amirauté, 22 mars 1746, Marsden R. (éd.), Law and custom of the sea, op. cit., vol. 2, p. 322 et Kent H., War and trade in Northern Seas, op. cit., p. 138-139.
140 Roscoe E. (éd.), Reports of Prize Cases determined in the High Court of Admiralty, 1745 to 1859, vol. 1: 1745-1808, Londres, Stevens and sons, 1905, p. 15.
141 Grotius est encore évoqué dans le jugement du Renard en décembre 1778, ibid., p. 18.
142 Bijnkershoek C. van, Les deux livres des Questions de droit public (1737), op. cit., p. 121.
143 Ibid., p. 123, voir Akashi K., Cornelius van Bynkershoek: his role in the History of International Law, La Haye, Kluwer, 1998, p. 121-133.
144 Abreu F. de, Traité juridico-politique sur les prises maritimes, op. cit., p. 140.
145 Vattel E. de, Le droit des gens, op. cit., vol. 2, p. 88.
146 Hübner M., De la saisie des bâtiments neutres, op. cit., t. 1, p. 182-183.
147 Ibid., p. 193 et 195.
148 Hübner examine plusieurs traités conclus par le Danemark depuis les années 1740, d’où il ressort l’impression d’une incohérence du droit conventionnel : les traités de 1742 signés avec la France et l’Espagne, de 1756 avec Gênes inclus les matériaux de marine dans la contrebande, alors que celui de 1748 avec le roi de Sicile les exclut, ibid., t. 2, p. 168-171.
149 Galiani F., De’doveri de’principi neutrali verso i principi guerreggianti, op. cit., p. 324-325 et 363-364.
150 Toze E., Essai sur un code maritime général Européen, pour la conservation de la liberté de la navigation et du commerce des nations neutres en tems de guerre, Leipzig, 1782, p. 48-51.
151 Lampredi G. M., Du commerce des neutres en temps de guerre, op. cit., p. 71-72.
152 Gessner L., Le droit des neutres sur mer, Paris, Guillaumin & Cie, 1876, p. 82.
153 Martens F. de, Traité de droit international, t. 3, Paris, Maresq, 1887, p. 283.
154 Traité de paix de Knäred entre le Danemark et la Suède, 20 janvier 1613, Dumont J., Corps universel diplomatique du droit des gens, vol. 5, op. cit., partie 2, p. 642.
155 Article 5 du traité d’alliance entre la Suède et les Provinces-Unies, 5 avril 1614, ibid., partie 2, p. 245.
156 Söderqvist N., Le blocus maritime. Étude de droit international, Stockholm, Centraltryckeriet, 1908, p. 26-31.
157 Bijnkershoek C. van, Les deux livres des Questions de droit public, op. cit., p. 128 ; E. de Vattel, Le droit des gens, op. cit., t. 2, p. 88 et p. 92 ; Hübner M., Essai sur le droit naturel, t. 2, op. cit., p. 118.
158 Article 9 du traité de navigation et de commerce fait entre l’empereur Charles VI et le roi d’Espagne Philippe V, 1er mai 1725, Dumont J., Corps universel diplomatique du droit des gens, op. cit., vol. 8, partie 2, p. 115.
159 Scott J. B. (éd.), The Armed Neutralities of 1780-1800: A collection of official documents proceded by the views of representative publicists, New York, Oxford University Press, 1918, p. 642.
160 Au XVIIIe siècle, le rayon d’action de l’artillerie navale s’établit autour de 1600 mètres, même si son efficacité réelle n’est que de 600 mètres, Boudriot J., Artillerie de mer, France 1650-1850, Paris, Ancre, 1992, p. 89.
161 Schnakenbourg E., La France, le Nord et l’Europe, op. cit., p. 94-95.
162 La principale étude sur cet épisode est Ericson Wolke L., Lasse i Gatan. Kaparkriget och det svenska stromaktsväldets fall, Lund, Historiska Media, 2005.
163 AAE, CP, Suède, vol. 134, fol. 37 à 39, « Ordonnance du roi de Suède pour régler la course des capres pendant la présente guerre contre les Danois et les Moscovites », 19 février 1715.
164 AN, Affaires étrangères, B1-1071, fol. 334, Campredon à Pontchartrain, 5 mars 1715.
165 AAE, CP, Danemark, vol. 74, fol. 27, Poussin à Torcy, 29 juillet 1710 et AN, Marine, B7/11, fol. 185, Campredon à Pontchartrain, 23 septembre 1711. En mai et juin 1719, le tsar Pierre fait saisir 23 navires anglais et hollandais se rendant à Stockholm, AAE, CP, Suède, vol. 145, fol. 135, Lagau à La Marck, 1er juillet 1719.
166 Murray J., George I, the Baltic and the Whig Split of 1717, Londres, Routledge, 1969, p. 49.
167 AAE, MD, France, vol. 2008, fol. 54-55, « Mémoire pour Monseigneur en particulier, Mémoire donné par Hogguer le jeune », 1717; Israel J., Dutch Primacy in World Trade, 1585-1740, Oxford, 1989, p. 359; Clark G., « War Trade and Trade War, 1701-1713 », Economic History Review, vol. 1, no 2, 1928, p. 280; Aldridge D., Sir John Norris and the British navals expeditions to the Baltic sea 1715-1727, Lund, Nordic Academic Press, 2009, p. 66. Il existe cependant des estimations plus importantes des captures suédoises, Lars Ericson Wolke estime les seules prises anglaises à 136, Lasse i Gatan, op. cit., p. 276.
168 Townshend à Jefferyes, 8 mars 1715, dans British Diplomatic Instructions, Sweden, t. 1, op. cit., p. 72.
169 Haverling S., « Huvuddrag i svensk och antisvensk propaganda i Västeuropa på 1700-talet », Karolinska Förbundets Årsbok, 1952, p. 87.
170 Ericson Wolke L., Lasse i Gatan, op. cit., 174 et 176.
171 « Mémoire de la princesse de Suède et du Sénat de Suède pour justifier le blocus des ports baltes » (1714) Riksarkivet, Diplomatica, Gallica, vol. 196.
172 « Lettre d’une personne de distinction de Rotterdam à un Ami à Amsterdam, au sujet du Règlement du Roi de Suède publié le 19 février 1715 », datée de Rotterdam le 10 mai 1715, G. de Lamberty, Mémoires pour servir à l’histoire du XVIIIe siècle, op. cit., vol. 9., p. 221.
173 « Seconde lettre d’un Ami à Dantzig à [un] Ami à Amsterdam, du… décembre 1714, où l’on montre que la prétendue liberté de navigation & de commerce sur les villes suédoises occupées par les Russes est mal fondée », p. 232, voir également Söderqvist N., Le blocus maritime. op. cit., p. 43.
174 « Seconde lettre d’un Ami à Dantzig à [un] Ami à Amsterdam… », art. cit., p. 233.
175 AAE, CP, Russie, vol. 6, fol. 99, Amelot à Pontchartrain, 2 avril 1714.
176 AN, Marine, B7/99, fol. 107 et 109, Pontchartrain à Torcy, 11 avril 1714.
177 AAE, CP, Danemark, vol. 139, fol. 187, Ogier à Bernis, 31 octobre 1758.
178 Rigsarkivet, TKUA, vol. 280, Frankrig, Bernstorffà Wedel-Friis, 16 décembre 1758.
179 AAE, CP, Danemark, vol. 139, fol. 438, Ogier à Choiseul, 12 décembre 1758.
180 Säve T., Sveriges deltagande i Sjuåriga kriget åren 1757-1762, Stockholm, Beijer, 1915, p. 80-81 et 146-147.
181 AAE, MD, France, vol. 2022, fol. 62-63, « Prétentions de la Suède sur les conditions de port bloqué » extrait d’une lettre de Havrincourt de Stockholm, décembre 1758.
182 « Sur la question si tout commerce doit être interdit aux nations neutres dans un port bloqué et dans quel cas on doit regarder un port comme bloqué », AAE, MD, France, vol. 2022, fol. 55, Carlquist G., Carl Fredrik Scheffer och Sveriges politiska forbindelser med Danmark, åren 1752-1765, Lund, H. Ohlssons, 1920, p. 209-214.
183 AAE, CP, Danemark, vol. 139, fol. 506, Choiseul à Ogier, 27 décembre 1758.
184 AAE, MD, France, vol. 2022, fol. 56.
185 Riksarkivet, Diplomatica, Gallica, vol. 532, note remise à par Havrincourt le 15 janveir 1759.
186 AAE, CP, Danemark, fol. 140, fol. 133, Copie d’une lettre de Havrincourt à Choiseul, transmise à Ogier le 1er mars 1759.
187 Rigsarkivet, TKUA, Frankrig, vol. 280, Bernstorffà Wedel-Friis, 30 janvier 1759.
188 Degn O. et Gøbel E., Dansk Søfarts Historie 2 : 1588-1720 : Skuder og kompagnier, Copenhague, Gyldendal, 1997, p. 87-89.
189 Bring O., Neutralitetens uppgang och fall, Stockholm, Atlantis, 2008, p. 48.
190 Gihl T., « Nordisk samverkan på neutralitetsrättens område », Nordisk Tidskrift, vol. 14, 1938, p. 4-5.
191 « Tous les capitaines [des bâtiments de guerre] doivent recevoir pour instruction de ne pas se soumettre aux ordres des étrangers et de ne pas permettre la visite de leurs navires », déclaration des États généraux du 10 août 1654, Gordon E., La visite des convois neutres, Paris, Pedone, 1935, p. 15-17.
192 Pardessus J.-M., Collection de lois, maritimes antérieures au XVIIIe siècle, vol. 3, Paris, Imprimerie Royale, 1834, p. 305.
193 Degn O. et Gøbel E., Dansk Søfarts Historie 2 : 1588-1720 : Skuder og kompagnier, op. cit., p. 89-92.
194 Riksarkivet, Diplomatica, Gallica, vol. 174, Clork à Palmquist, 12 juillet 1693.
195 Andersen D., The Danish Flag in the Mediterranean, op. cit., p. 94.
196 Feldbæk O., Konvoy, Copenhague, Orlogsmuseet, 1992, p. 15-16; Jespersen K. et Feldbæk O., Dansk udenrigspolitik historie 2, op. cit., p. 308 et Andersen D., « Linieskibet Grønland. Historien bag en konvoy i Middelhavet 1761 », Marinehistorisk Tidsskrift, 1991, vol. 22, n° 3, p. 23-31.
197 Bernstorffà Bothmer, 21 novembre 1761 dans P. Vedel (éd.), Correspondance ministérielle du comte J.H.E. Bernstorff, op. cit., t. 1, p. 389-391.
198 Rigsarkivet, TKUA Almindelig del, Realia, 3-015, Hübner à Bernstorff, 19 décembre 1761.
199 Rigsarkivet, TKUA, England, vol. 282, « Mémoire pour servir de réplique à la note remise à monsieur le comte de Bothmar, envoyé extraordinaire du roi en cour de Londres par S E M le comte de Bute en réponse à celle de ce ministre du 17 déc dernier ».
200 Ibid., Holderness à Bothmer, 5 mai 1762.
201 Gordon E., La visite des convois neutres, op. cit., p. 37. Par exemple, l’article 31 du traité de commerce franco-russe du 11 janvier 1787 prévoit les cas de visite et précise « en cas que ces navires marchands fussent escortés par un ou plusieurs vaisseaux de guerre, la simple déclaration de l’officier commandant de l’escorte, que lesdits navires n’ont à bord aucune contrebande de guerre, devra suffire pour qu’aucune visite n’ait lieu », Hauterive P.-L. (d’) et de Cussy F. de, Recueil des traités de commerce et de la navigation de la France, op. cit., vol. 3, p. 258.
202 Carter A., The Dutch Republic in Europe in the Seven Years War, op. cit., p. 65.
203 AAE, CP, Hollande, vol. 492, fol. 160, 168, 316, 340-341, 345, Bonnac à Rouillé, 25 juin, 2 juillet, 27 et 31 août 1756.
204 Gordon E., La visite des convois neutres, op. cit., p. 20 et Rigsarkivet, TKUA Almindelig del, Realia, 3-015, Hübner à Bernstorff, 31 août 1762.
205 Syrett D., The Royal Navy in European waters during the American Revolutionary War, Columbia, University of South Carolina Press, 1998, p. 100-102.
206 Müller L., « The Swedish Convoy Office and Shipping Protection Costs » dans Forssberg A. M. et alii, Organizing History. Studies in Honour of Jan Glete, Lund, Nordic Academic Press, 2011, p. 255-275.
207 « Kongl. Amiralitets-Collegii Kungörelse, angående de detta år til Sjöfartens beskydd utgående Convoyer », 12 mars 1780, reproduite dans http://www.bruzelius.info/Nautica/ SOT/plakat(1782-03-12).html. Gustave III fait une déclaration similaire en date du 17 avril 1781, http://www.bruzelius.info/Nautica/SOT/plakat (1781-04-17).html. Ce type de déclaration se retrouve dans les pays neutres au début de chaque guerre.
208 Riksarkivet, Diplomatica, Gallica, vol. 511, Fölsch à Scheffer, 6 avril 1783. Le convoi quitte Marseille le 24 mars.
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