Chapitre IV : Les turbulences sociales
p. 205-237
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Texte intégral
Les soudeurs
La naissance d’un monde
1« Or vichar vat a vei hag ar re a noe desket anei yaouank tre a va ‘vel just blivarc ‘h a c ‘houneyen mat, met er gon ue na va ke labour evito. Or faer a va gato hag or vazhig sten en o dorn ha gad ar faer a raen teuzin ar sten penn ‘a benn ar golo. Pugur ar golo nani vie lakeet… Ar vouest vie karget tre ar fons, tre ar strad. Ha goude vien bouilotet, lakeet da virvin, ha ma vi on toullig er vouest, a feye, setu an drae vie bouestou kollet. En hanv, pa vie kalz sardin, a laboure an dud koulz a lavar nouz-de. Ar zouderien a ranke be kaset deo o c ‘hoan deus an nouz pugur a labouren alies betek unnek or-hantar nouz da grogin en-dron deus ar mintin matreze da faec’h or ma vie prest ar bouestou. » (Hor yezh, 1979.)
2« C’était un bon métier et ceux qui l’avaient appris étant jeunes étaient bien sûr plus rapides. Ils gagnaient bien, mais en hiver ils n’avaient pas de travail. Ils travaillaient avec un fer et un petit bâton d’étain. Avec le fer, ils faisaient fondre l’étain, tout le long du couvercle. Ensuite. Les boîtes étaient ébouillantées, et s’il y avait un petit trou dans une boîte, ça sifflait, et la boîte était perdue. En été, quand il y avait des sardines, les gens travaillaient pour ainsi dire, nuit et jour. Il fallait porter leur souper aux soudeurs le soir, puisqu’ils travaillaient souvent jusqu’à onze heures et demie pour recommencer le matin à six heures quand les boîtes étaient prêtes » (Tud ha bro, 1982).
3Les boîtiers-soudeurs naissent avec les fritures et grandissent avec elles. En 1866, est bâtie l’usine symbole, le fleuron de l’industrie douarneniste : l’usine Wenceslas Chancerelle, appelée « Wences ». Immédiatement, bien sûr, des apprentis soudeurs sont embauchés. Les premiers brevets d’apprentissage, heureusement conservés, nous indiquent assez clairement le profil de ces jeunes ouvriers. Donnant l’âge, la profession antérieure ou l’origine de l’apprenti, ces documents sont précieux. Saisissantes images des tâtonnements patronaux, des premiers pas d’un nouveau prolétariat industriel, ils nous parlent de mentalités, de hiérarchie sociale, et nous dressent le portrait des acteurs d’un conflit qui éclatera en 1902.
4C’est pourquoi il paraît important de citer un cas type in-extenso1.
5« Le 20 janvier 1866. Brevet d’apprentissage entre M. Wenceslas Chancerelle, 32 ans, Douarnenez, et Jean-Yves Doaré, tonnelier, stipulant au nom de Jean-Yves Doaré, 16 ans et Eugène Doaré, 13 ans, ses fils mineurs.
Art. 1er : M. Chancerelle s’est engagé :
- à faire enseigner le métier de soudeur, savoir : au mineur Jean-Yves Doaré pendant l’espace de 2 ans qui commenceront à courir le 19 février prochain et finiront à pareille époque de l’année 1868. Au mineur Eugène Doaré pendant l’espace de 4 ans qui commenceront à courir le 19 février prochain et finiront à pareille époque de l’année 1870.
- à leur faire enseigner progressivement et complètement le métier de soudeur et à leur donner tous les moyens de devenir de bons ouvriers.
- à se conduire envers les dits-apprentis en bon père de famille.
- à ne les employer qu’aux travaux et services qui se rattachent au métier de soudeur et dans la limite de leurs forces.
- à se conformer au règlement concernant l’apprentissage pour les heures de travail à exiger d’eux.
Article II : Jean-Yves Doaré, père des apprentis, oblige ses enfants à se conduire envers M. Chancerelle avec fidélité, obéissance et respect et à l’aider par leur travail dans la mesure de leur aptitude et de leurs forces.
Article III : En considération de l’engagement contracté par J.-Y. Doaré pour ses enfants, M. Chancerelle s’est obligé de payer : au mineur J.-Y. Doaré, 30 francs par mois la première année et 40 francs par mois la deuxième ; au mineur E. Doaré, 20 francs par mois la première année, 30 francs la deuxième, 40 francs la troisième et quatrième année.
Article IV : M. Chancerelle aura la faculté de suspendre le travail et le salaire un mois par an à son choix pour chacun des engagés.
Article V : Au cas où l’un ou l’autre des engagés viendrait à s’absenter sans autorisation, pendant le cours de son apprentissage, il lui sera retenu sur son salaire cinq francs par jour d’absence, hors la saison de pêche et 10 francs pendant la saison de pêche.
Article VI : Si l’un ou l’autre des engagés vient à faire pendant le cours de son apprentissage une maladie, dont la durée excède quinze jours, il lui en sera tenu compte sur son salaire, ou s’il le préfère, il pourra, à la fin de son apprentissage remplacer le temps qu’il aura perdu dans le cas ci-dessus prévu. »
6Nous avons là le libellé type de la maison Chancerelle, s’appliquant à des mineurs (pour des apprentis majeurs, l’article II est modifié dans la forme).
7L’article 1er alinéa 3 est à noter. Témoignage du paternalisme patronal de l’époque, assez courant dans les contrats d’embauche, il n’est stipulé, à Douarnenez, que dans l’entreprise de Wenceslas Chancerelle. Ainsi, majeur ou mineur, plus âgés parfois que Wenceslas, tout apprenti est, à l’usine, parternellement entouré (comme Hervé Guillou, de la ferme de Kerléguer signant son brevet le 24 mai 1866, à 33 ans). Mais toute médaille a son revers… et les autres usiniers de Douarnenez qui, jamais ne signent cet article, paient toujours les apprentis 5 francs mensuels de plus…
8Les contrats suivants sont toujours riches de renseignements de valeur2. Le 21 janvier 1866 signent, toujours chez « Wences » Henri Kersalé, 24 ans, cultivateur de Pouldergat ; Fortuné Rolland, 27 ans, cultivateur de Kermerrien-Ploaré ; Jean Rivière, 23 ans, aide-jardinier de Douarnenez ; Jean Guéguen, 15 ans, fils d’agriculteur de Pouldergat ; Pierre Pensec, 16 ans, fils de tailleur d’habits de Lesperbé-Ploaré ; Joseph-Louis Quiniat, 17 ans, fils de préposé en retraite de Douarnenez ; Guillaume Maréchal, aide-sabotier de 20 ans, Kerandraon-Poullan ; Corentin Pensec, 16 ans, fils de cultivateur de Brehuel-Ploaré. En mai 1866, Abel Larrour, Henri Le Gall, Nicolas Guillou, signent à leur tour avec le fils de Plommet, le perruquier, et le fils Ollivier, tailleur d’habits.
9Le contrat est toujours le même. Il le reste jusqu’en novembre 1868 ; les apprentis sont alors payés à la pièce et non plus au mois. Les boîtes sont payées au cent, suivant leur taille : 70 centimes le cent de boîtes 1/4 vides ; 70 centimes le cent de boîtes 1/2 vides ; 80 centimes le cent de boîtes 2/3 vides ; 80 centimes le cent de boîtes 4/4 vides ; 7 francs le cent de boîtes triples.
10Le « soudage » des boîtes pleines est également payé au cent : 70 centimes le cent de boîtes 1/4 ; 80 centimes le cent de boîtes 1/2 ; 90 centimes le cent de boîtes 2/3 ; 1 franc le cent de boîtes 4/4.
11Pour éviter que les salaires n’enflent trop et pour retenir les meilleurs ouvriers, Wenceslas Chancerelle invente une nouvelle clause :
« M. Chancerelle paiera tous les quinze jours pendant les travaux et fera, sur le solde de chaque quinzaine, sans toutefois la réduire au-dessous de 20 francs, une retenue d’un tiers. Si le solde de la quinzaine, déduction faite du tiers dépasse 30 francs, il en retiendra encore l’excédent. Les sommes ainsi retenues seront remboursées, sans aucun intérêt, à X par M. Chancerelle à la fin de l’année. »
12Quel raffinement ! Les usiniers, secrétant une nouvelle corportation, piétinent et aménagent. Un prolétariat masculin organisé se met lentement en place. Années décisives !…
13Dès décembre 1868, les prix sont modifiés. Ils ont tenu un mois. Le cent de boîtes triples vides descend à 5 francs ! mais le « soudage » augmente considérablement, passant respectivement à 1 F, 1,10 F, 1,20 F, 1,30 F. Ils en resteront là jusqu’en 1874, date d’une légère augmentation.
14Chez Le Guillou de Pénanros, le mode de paiement est tout aussi complexe :
« À partir du 1er mai, le salaire de X sera réglé comme suit : il aura,
- jusqu’au 1er janvier 1868, 50 centimes par cent de boîtes qu’il fabriquera ; 62,5 centimes par 100 de boîtes qu’il soudera, tant pour les 1/4 que pour les 1/2 et par cent de triples : 1,50 francs à la fabrication et 1,87 au soudage.
- à partir du 1er janvier 1868 jusqu’au 1er janvier 1870, 66 centimes 66 millimes par cent de boîtes à la fabrication, 83 centimes 33 millimes par cent de boîtes au soudage tant pour les 1/4 que pour les 1/2 et par cent de triples : 2 francs à la fabrication et 2,50 francs au soudage.
M. Pénanros s’engage à donner du travail à X et à le mettre à même de gagner au moins 330 francs pendant la première année et 500 francs pendant chacune des deux autres années. »
15Une chose est sûre, M. Le Guillou de Pénanros savait compter.
16Une étude rapide des contrats d’apprentissage entre 1866 (le premier contrat, signé par Wenceslas Chancerelle, date de janvier 1866) et 1874, donne plusieurs renseignements. Malheureusement, ces contrats, souvent incomplets, ne permettent pas une étude systématique. Rares, en effet, sont les registres présentant à la fois, l’âge, le lieu d’origine et la profession de l’apprenti.
17Sur 104 communes d’origine, 59 boîtiers-soudeurs, plus de la moitié, proviennent de Douarnenez. Ce sont, principalement, des journaliers mais aussi des enfants de commerçants, « tailleur d’habits », « débitant de boisson », « tonnelier » ou « perruquier ». Le plus jeune de ces apprentis a 13 ans, c’est Eugène Doaré, déjà cité.
18Dans l’ensemble, majeurs et mineurs semblent être en nombre égal. Encore faut-il n’y attacher qu’une valeur toute relative… Ces indications d’âge sont au nombre restreint de 31 (15 majeurs, 16 mineurs). Si le benjamin a 13 ans, l’aîné en a 34. Les plus âgés sont, en général, des journaliers, venant des communes rurales limitrophes, essentiellement de Ploaré d’où sont issus 26 apprentis. Suivent, Poullan 10 apprentis, Pouldergat 4, Pouldavid 3, Tréboul et Mahalon, 1. Ploaré dépend, déjà, de l’influence industrielle et portuaire de Douarnenez…
19L’aide-cantonier de Ploaré quitte son métier en mai 1873, pour rejoindre l’usine ; un scieur de long, de Douarnenez, se fait ferblantier ainsi qu’un garçon voiturier, Henri Pichavant en 1872. Un aide-sabotier de Poullan, Guillaume Maréchal entre chez « Wences » en 1866 et un boulanger de Douarnenez, René Boulic en 1870.
20Tous vont former « l’aristocratie du prolétariat ouvrier douarneniste. Relativement bien payés, leur sort varie cependant selon les usines, et ils n’hésitent pas à cesser le travail dès que la sécurité de l’emploi leur paraît menacée » (Lucas, 1975).
21Payés régulièrement, moins soumis que les ouvrières aux aléas de la pêche saisonnière… ils sont aussi plus organisés et, logiquement, plus présents dans les temps forts de l’agitation sociale.
22Jusqu’en 1880, période de prospérité de la conserverie bretonne, les revendications ouvrières concernent les salaires. Ces mouvements « offensifs » sont souvent couronnés de succès.
23Mais la crise des années 1880 bouleverse la donne. Un coup d’arrêt est porté à l’expansion ; les conserveurs s’installent sur les côtes ibériques et en Bretagne tentent de baisser, autant que faire se peut, le prix de revient de leurs produits. Les salaires ouvriers sont alors comprimés, ce qui entraîne plusieurs mouvements de défense. Pire, la mécanisation apparaît.
Le temps des menaces, déjà
24En décembre 1894, puis en janvier 1895, des mouvements se développent, principalement à Poulgoazec et à Audierne, contre l’introduction de machines à fabriquer les boîtes. Après quelques jours de grèves, soldées par un douloureux échec, le travail reprend.
25En septembre 1895, des mouvements apparaissent à Douarnenez afin d’obtenir des augmentations de salaires. Mais la satisfaction obtenue à cette occasion ne peut faire oublier le premier échec de la lutte contre la mécanisation.
26Devant les lourdes menaces qui pèsent sur leur avenir, apparaissent les premiers ouvriers syndiqués qui adhèrent à la « Chambre syndicale des ouvriers ferblantiers-boîtiers », créée, à Douarnenez, le 5 mars 1896. À sa suite, les syndicats se développent sur l’ensemble de la côte sud et, le 1er avril 1896, est fondée, à Chantenay, la Fédération des ouvriers ferblantiers-boîtiers de France qui regroupe 1600 membres (Geslin, 1990).
27En juin 1896, les soudeurs employés chez Pichery, Saulnier et Tessier, Théophile de Pénanros, Ouizille, Delécluse, Ramell, de Winck et Caugant (ces deux derniers sont des gérants d’usine), cessent le travail pour exiger une augmentation de 0,25 F de l’heure. Une autre revendication est mise en avant : les conditions de travail. « …Les soudeurs firent une nouvelle règlementation des conditions de travail et un tarif nouveau… Bien avant le 1er juillet, plusieurs (patrons) faisaient savoir aux ouvriers qu’ils voulaient bien accepter les nouveaux tarifs, mais pas les nouveaux règlements. D’autres, enfin, déclaraient qu’ils refusaient d’accepter et le règlement et le tarif. Devant cette attitude des patrons, les ouvriers soudeurs continuaient à faire des grèves partielles. Ce fut à ce moment-là, le 28 juin, que les ouvriers-soudeurs déclarèrent la grève générale… Les fabricants de conserves durent cesser tout achat de poisson… Les pêcheurs de Douarnenez cessèrent de travailler, pendant huit jours. » (Lucas, 1975.)
28Des 19 usines existantes alors, 18 sont en grève, avec 230 soudeurs grévistes sur les 232 qu’elles emploient (Geslin, 1990). Le syndicat des soudeurs de Nantes délègue à Douarnenez, les 12 et 13 juillet, un représentant, Pierre Pacaud.
29Les usiniers Dandicolle et Gaudin de Bordeaux, qui possèdent une usine à Douarnenez, reprochent au préfet de manquer d’énergie pour rétablir l’ordre. Ce fait se reproduira souvent… La tension est telle, entre usiniers et ouvriers, que le syndicat remet une note au juge de paix dans laquelle il déclare décliner toutes responsabilités en cas de troubles. Les troupes ont été requises mais n’entrent pas dans la ville. De plus, les relations marins-soudeurs sont très tendues.
30À Tréboul, les soudeurs voulant manifester devant l’usine Chancerelle se retirent devant l’attitude hostile des marins.
31À Penmarc’h, les grévistes demandent avec insistance la présence de la gendarmerie par crainte des pêcheurs.
32Avec l’élaboration d’un compromis, le 6 juillet, la grève prend fin. Partout, dans tous les ports, les patrons font des concessions sur les salaires et les retenues diverses. Aussi, à Douarnenez, le succès est-il assez probant. Le nombre d’apprentis pouvant être embauchés à la place des ouvriers soudeurs est limité. Les femmes soudeuses, souvent employées à la place des hommes en raison de leurs salaires moindres, sont renvoyées… Claude Geslin insiste sur l’influence nantaise qui s’exerce sur l’ensemble du Sud-Finistère et à Douarnenez en particulier. Pierre Pacaud, secrétaire de la fédération, délégué de la bourse du travail de Nantes, séjourne alors, régulièrement, dans ce port.
33Néanmoins, à partir du 24 novembre 1899, quelques soudeurs partent, pour l’hiver, travailler en Belgique, comme les Douarnenistes L’Hériennat et Hascoët. En 1901, ils seront beaucoup plus nombreux, les Moreau, Quintrec, Salaün, Ascoët, Prigent, Moan… qui rejoindront la mer du Nord, pour quelques mois.
34Au début du siècle, la persistance de la désertion de la sardine et les évolutions du machinisme projettent les ouvriers soudeurs, organisés et craints, sur le devant d’une scène qu’ils ne quitteront plus. Dès 1901, ils mènent de nouveaux mouvements de grève contre le travail des apprentis et l’embauche des femmes. Ces femmes, embauchées à Nantes à 0,60 franc pour cent boîtes soudées contre 1,60 franc pour les hommes… À Douarnenez aussi les patrons les appellent pour remplacer des soudeurs jugés trop revendicatifs.
35« Met merc ‘hed rae a vicher-se ivez. Kemeromp an Itron K. He mamm a va souderez. He zad a va ivez, met he mamm neus bet soudet pell er fritur. E forzh peseurt fritur a va merc ‘hed o soudin. Met gwel a rit, merc’hed souderezed war ‘r maez atav. Nebeutoc’h a verc’hed kreizenn vartoloded. Ar merc’hed martoloded a va da ambouetin. Ha goude eo deut “les sertiseuses”. Aze zo bet reuz. » (Hor yezh, 1979.)
36« Oh, il y avait des femmes soudeuses aussi. Par exemple Mme K… Eh bien sa mère était soudeuse. Son père soudait également, mais sa mère a longtemps travaillé à l’usine comme soudeuse. Et quelle que fût la conserverie, on y trouvait des soudeuses. Mais surtout d’origine campagnarde. Peu d’entre-elles venaient du milieu marin. Celles-ci s’occupaient de l’emboîtage. Par la suite sont venues les sertisseuses. Et avec elles, la grande bagarre alors. » (Tud ha bro, 1982.)
37Devant les avancées de la mécanisation qui, à terme, les menace directement, les combats des soudeurs deviennent purement défensifs. Il s’agit de protéger les emplois et, pour cela, de maintenir un aménagement particulier du temps de travail : traditionnellement, durant la saison d’été, ils ferment les boîtes de sardines fabriquées durant l’hiver. Peu à peu, à partir de 1895, les machines les remplacent et les soudeurs ne gardent que la fabrication des couvercles en saison hivernale ainsi que la fermeture des boîtes pleines. Ce travail devient leur raison d’être.
« Ah, ça ira, ça ira, ça ira, toutes les machines on les brisera ! »
38Aussi, lorsqu’en 1902, Ramell innove en faisant fabriquer ses boîtes à Quimper, selon une méthode qui élimine le travail hivernal des ouvriers, la grève est immédiate. Elle commence le 13 février 1902, dans les usines Ramell de Douarnenez et de Concarneau. Ramell, patron parisien, lointain et intransigeant ne cède pas. Son indifférence fait traîner un conflit dans lequel germe la violence. D’autant plus que court, alors, le bruit qu’une ancienne usine Amieux, rachetée par Masson3, doit s’ouvrir pour fabriquer des boîtes à la machine. Il faut néanmoins attendre le 30 juin pour que la rumeur devienne réalité : l’usine Masson installe effectivement des « machines à souder », sertisseuses qui ferment mécaniquement les boîtes. Le 14 juillet, à l’occasion de la fête de la République, cinq cents à six cents personnes sont installées salle Lozac’h. L’ambiance est assez calme et le drapeau rouge portant pour inscription « Vive la main-d’œuvre » et « À bas les machines » est vite replié. Le secrétaire du syndicat, Le Gall, rassure même le commissaire présent, il n’envisage « aucun désordre ni hostilité à qui que ce soit » (Geslin, 1990). La manifestation s’ébranle alors calmement au son de deux clairons qui ouvrent la marche. Sur le port, on passe à proximité de l’usine Masson et là, en quelques minutes, sans préméditation, les ouvriers soudeurs saccagent le bâtiment et ses machines. Plusieurs d’entre eux sont arrêtés, puis sanctionnés par diverses peines de prison. Les dégâts sont estimés à 75 000 francs. 250 000 boîtes ont été défoncées.
39Les ouvriers soudeurs restent longtemps sur la place du « Leurré », proche de l’usine, eux-mêmes étonnés par le geste commis. Avec des sentiments de fierté et de crainte mêlés (Lucas, 1975).
40Ces nouvelles machines, ou sertisseuses, travaillent 300 à 400 boîtes à l’heure, quand un bon ouvrier en ferme 60 à 70… La concurrence est, pour le moins, défavorable ! Le prix de revient d’un soudage à la main est également largement supérieur. Le soudage manuel d’un cent représente 0,95 F de soudure, 1,75 F de main-d’œuvre et 0,15 F de gaz. Le total s’élève donc à 2,85 F. Pour le sertissage, on compte 100 bagues de célosine, 0,19 F ; la pose de ces 100 bagues, 0,06 F ; une plus-value sur le prix de revient de fabrication de 0,35 F ; un amortissement de 0,04 F, une main-d’œuvre de 0,21 F ; un coût de force motrice de 0,04 F. Soit un total de 0,89 F. 2,85 F contre 0,89 F, les chiffres parlent d’eux-mêmes.
41À noter que les boîtes manuellement mal soudées, ou bombées, sont imputées à la charge de l’ouvrier fautif. Les soudeurs signent, en effet, toutes les boîtes d’un trait de poinçon personnel. Mais ces boîtes, ressoudées, sont néanmoins vendues, en sardines de seconde qualité !
42L’implantation des machines à souder, stoppée en cette année 1902 à l’usine Masson, désormais célèbre, revient à l’ordre du jour avec la persistance de la crise. Pour les usiniers, en effet, quand le poisson fait défaut il est nécessaire de réduire les coûts de fabrication, afin de tenter de rétablir la rentabilité de l’entreprise. Au besoin, on s’installe au Portugal ou au Maroc. Nous y reviendrons. En attendant, le cinquième congrès des fabricants français de conserves de sardines, réuni en avril 1908, vote le texte suivant4 :
« Considérant qu’il est de l’intérêt des pêcheurs, autant que celui des fabricants, que ceux-ci puissent se mettre en mesure de fermer rapidement des quantités importantes de boîtes de conserve lorsque la pêche est très abondante ce qui n’est possible qu’en fermant mécaniquement les boîtes ; qu’il est, de plus, indispensable que l’industrie française soit munie d’un outillage qui lui permette de lutter contre l’industrie étrangère ; que la 1re usine, sur la côte bretonne où l’on ait tenté d’installer un outillage de fermeture mécanique a été saccagée ; émet le vœu que les pouvoirs publics prennent les mesures nécessaires pour protéger les usines et le personnel des fabricants qui voudraient installer chez eux des machines à fermer les boîtes… Depuis le pillage, en juillet 1902, de l’usine Masson, à Douarnenez, pillage qui fut accompagné d’une tentative d’incendie, et qui coûta à la ville de Douarnenez la somme de 75 000 F, tout essai nouveau s’est heurté à une opposition à peu près identique, alors que, cependant, l’intérêt des pêcheurs et des ouvriers exige la transformation immédiate des moyens de fabrication surannés encore actuellement employés sur les côtes de Bretagne. »
43Il ne fait aucun doute, dès lors, que l’année 1909 sera le théâtre d’un conflit majeur entre des usiniers confrontés à une situation économique difficile et des soudeurs, dont l’existence même est maintenant menacée.
Les acteurs du drame
44Conscients du drame qui se joue, les quotidiens régionaux multiplient alors les études sur ce problème. Chacun est interrogé et appelé à faire part de ses intentions5.
45Les usiniers sont nombreux à s’exprimer. Si Eugène Jacq affirme qu’il se bornera à suivre les indications du syndicat patronal, Charles Chancerelle, lui, va plus loin et s’engage : il trouve aux sertisseuses un avantage très substantiel, car « la machine permet de maintenir plus facilement l’autorité patronale dans l’usine : les ouvriers n’obéissent plus, ils menacent de grève à chaque instant, l’autorité est totalement ébranlée. La machine est un remède à cette situation6. » Charles Chancerelle a le mérite de la clarté !
46Un autre conserveur installé à Douarnenez, Ouizille, fait part dans La Dépêche de Brest du 30 janvier 1909, de ses positions ; elles tranchent avec le caractère irrévocable des idées de Charles Chancerelle :
« Nous sommes disposés à assumer les frais, les complications considérables d’une double installation de ferblanterie dans les cinq usines que nous exploitons en Bretagne : fabrication à la main, fabrication mécanique ; nous sommes disposés à conserver tous nos ouvriers actuels à leurs salaires actuels, tant qu’ils voudront travailler dans nos ateliers… Mais quand nous essayons de nous mettre en rapport avec les syndicats…, on ne nous répond même pas !… Si vraiment notre contrat ne doit pas être signé, très prochainement, et si nous devons être amenés à envisager la fermeture mécanique de nos boîtes, j’ose dire que ce sera un grand malheur pour les ouvriers ferblantiers. »
47Ouvriers ferblantiers auxquels Ouizille écrit, reconnaissant légitime leur inquiétude et leur volonté de protéger leurs intérêts. Il leur ouvre même une porte sur d’éventuelles négociations, estimant que :
« les machines ne doivent fonctionner que les jours et dans la mesure où les quantités reçues dans nos usines dépasseraient la production des ouvriers… Les chemins de fer ont remplacé les voitures, le métier a pris la place du tissage à main, chaque jour, dans les grandes villes, les automobiles se substituent aux fiacres : qu’on le veuille ou non on n’échappe pas à la loi du progrès qui fait plier, devant les intérêts du plus grand nombre, les intérêts particuliers, mais nous comprenons fort bien que ceux qu’une transformation risque d’atteindre essaient d’obtenir des garanties. »
48Les « propositions Ouizille », jugées onéreuses, laissent bien circonspects les autres usiniers. Eugène Jacq lâche un « on en causera » bien laconique. Le syndicat régional, lui, adopte une position dure visant à répondre à une grève, même partielle, par un lockout régional. Ouizille semble bien isolé. Les conserveurs remettent dans ce sens une motion à M. Viviani, ministre du Travail :
« Les fabricants ne reculent devant aucun sacrifice… C’est ainsi que, notamment, ils n’ont pas hésité, en pleine crise sardinière… à créer des dortoirs et à les organiser de manière à attirer dans les centres de fabrication le personnel feminin qui était insuffisamment fourni par la population locale… Ils demandent qu’il ne soit pas toléré que des moyens illégaux soient employés pour retarder les améliorations d’outillage qui sont devenues une absolue nécessité pour notre industrie. »
49Le maire de Concarneau, l’usinier Billette de Villeroche, prolonge ce propos et apporte quelques précisions sur la volonté patronale à l’égard des soudeurs. Il souhaite la suppression totale de l’apprentissage et le non-remplacement des soudeurs quittant le métier, « on procéderait par voie d’extinction ».
50À Douarnenez, le maire, M. Pencalet, et le président du syndicat des marins ont la même pensée : l’arrivée des sertisseuses est inéluctable.
51Mais ce grand débat sur l’avenir même d’une profession et sur l’avancée du machinisme industriel déborde largement le cadre souvent étriqué des ports de pêche.
52Pour Marc Sangnier, du Sillon, il serait antisocial d’empêcher un progrès industriel sous prétexte qu’il supprime la main-d’œuvre : « Tout progrès doit en définitive profiter au consommateur… Mais il serait inhumain de ne pas se soucier des premières et immédiates répercussions de l’invention nouvelle sur la vie même des travailleurs. »
53Gustave Hervé lui-même prendra part au débat, quelques années plus tard, dans un éditorial-bilan de La Guerre Sociale, sous le titre « La Faim en Bretagne7 » :
« Un prolétariat averti aurait compris qu’on ne lutte pas contre le machinisme. Pêcheurs et soudeurs bretons auraient accepté le nouvel outillage dans les usines et dans les bateaux de pêche. Bien mieux, ils l’auraient exigé dans la mesure de leur faire des conditions de travail supportables… Pêcheurs et ouvriers sardiniers bretons du xxe siècle ont fait contre le machinisme le geste impulsif des Canuts lyonnais de 1830 contre les premières machines à tisser… en un temps où il n’était pas question dans le peuple, ni de syndicalisme ni de socialisme, où les grands précurseurs du social, Saint-Simon et Fourier basaient tout leur système sur le développement infini du machinisme. En réalité si la catastrophe se produit en Bretagne, ce n’est pas parce que le socialisme et le syndicat y ont ameuté le peuple contre le machinisme ; c’est parce qu’ils n’ont malheureusement pas eu encore assez de prise sur les travailleurs de la côte bretonne pour leur donner une mentalité moderne et leur faire comprendre que l’introduction du machinisme le plus perfectionné était, pour leur industrie, une question de vie ou de mort. Le socialisme et son frère siamois le syndicalisme ne disent pas “À bas la machine”. Ils disent au contraire “Vive le machinisme !” car il est la condition même du développement capitaliste qui est lui-même la condition matérielle de l’existence de la cité socialiste. »
54Laissons le mot de la fin au président du syndicat des soudeurs de Concarneau qui s’exprime dans Ouest-Éclair, le 8 juin 1909 :
« Les soudeurs s’opposeront par tous les moyens légaux si cette transformation doit avoir pour résultat la suppression radicale et immédiate des soudeurs… Si, au contraire, il existe une machine assez perfectionnée pour que l’intérêt du consommateur soit parfaitement sauvegardé… et s’ils obtiennent la certitude qu’ils ne seront remplacés que par extinction… Ils ne pourront alors s’opposer aux évolutions. »
55Le syndicat demande qu’un salaire minimum soit garanti par les patrons et qu’une convention collective soit signée : « Nous ne sommes pas des loups, mais nous ne nous laisserons pas tondre pour autant. »
1909 : l’année terrible
56« Extinction », mot lancé par l’usinier Billette et repris par le président des soudeurs de Concarneau. C’est bien de cela qu’il s’agit, cinquante années après l’apparition massive de cette très puissante « aristocratie ouvrière ». C’est dans ce climat pour le moins tendu que la saison sardinière de 1909 se déroule, à partir du mois de juin.
57Dans la nuit du lundi 28 au mardi 29 juin, des machines à sertir sont introduites dans les usines de M. Ouizille, à Audierne et à Douarnenez, sous la surveillance des commissaires de police et de leurs agents. Ouizille, celui-là même dont les propos calmes et conciliants tranchaient avec ceux, plus radicaux, de ses collègues.
58Dans les premiers jours de juillet, les industriels de Douarnenez font apposer une affiche sur les murs de la ville :
« Les industriels préconisent l’entente entre patrons et ouvriers, tout en faisant ressortir que le droit strict leur permet de faire un usage immédiat des machines sans rechercher l’avis des soudeurs. Ils apprennent aux boîtiers que l’emploi des machines ne se généralisera pas tout de suite et les engagent à entrer dans la voie d’un commun accord. Si contrairement à leurs prévisions, la résistance venait à naître, tous, employant ou non la machine, resteraient solidaires les uns des autres et prendraient les mesures les plus énergiques pour défendre leur droit. »
59Aux mêmes moments, six usiniers concarnois introduisent les machines à sertir. Les soudeurs demandent qu’elles ne servent qu’une fois leur propre travail assuré. Mais les fabricants passent outre et, au besoin, expédient leurs boîtes à Nantes où elles sont fermées.
60À Douarnenez règne une certaine effervescence à la suite de la lecture de l’affiche patronale. Par précaution, un détachement de quarante soldats du 118e régiment d’infanterie et dix gendarmes commandés par un officier arrivent le samedi 10 juillet. Mais c’est à Concarneau que la fureur des soudeurs va se manifester avec une extrême violence, dans la nuit du 11 au 12 juillet. De véritables scènes d’émeute sont vécues à travers la ville. Chez Ouizille d’abord, où les machines sont saccagées ; puis chez Caille ; chez Bouvais ; chez Cassegrain ; chez Teyssonneau ; chez Chatelard. Là, la besogne est terminée. Il n’existe plus de machines à souder sur le territoire de la commune. Georges Le Bail décrit cette manifestation, à la tribune de l’Assemblée nationale :
« La marche des populations vers les usines a été calme. Ce fut, comment dirais-je, une explosion soudaine, un phénomène éruptif, une vague de fond, en tout cas un phénomène de psychologie des foules… Immédiatement notre pays est soumis à un régime militaire : dans tous les ports de pêche les usines sont occupées ; chaque usine est transformée en caserne ; les places, les monuments publics deviennent des bivouacs… »
61Le ministre Viviani conclut le débat en déclarant : « sans doute, vous n’avez pas le droit, vous, ouvriers, de briser des machines ; mais vous, patrons vous n’avez pas le droit de briser des existences humaines. »
62À Concarneau, en réponse aux exactions, les patrons décident de fermer leurs usines jusqu’à l’installation de nouvelles machines.
63Dans tous les ports de pêche l’heure est à la lutte contre la mécanisation que l’on voit rôder dans tous les secteurs de la vie maritime.
« Aux marins-pêcheurs on fait entrevoir que leur industrie sera sans tarder détrônée par les bateaux à moteur à pétrole et par les grandes sennes et cette menace en gagne quelques-uns à la cause des soudeurs… On fait prévoir aux femmes l’arrivée prochaine des machines à étêter et à étriper la sardine qui forceront au chômage la plupart des filles d’usines. Or, ces machines qui n’existent que dans l’imagination des meneurs ne sont même pas inventées, par conséquent leur concurrence n’est guère à craindre… On présente à tous la machine comme l’ennemie qu’il faut combattre et annihiler8. »
64Partout on chante, dans les manifestations ouvrières, une Carmagnole réactualisée : « Ça ira, ça ira, ça ira, toutes les machines on les brisera. »
65Partout on commente, avec animation, les événements de Concarneau qui rappellent très précisément l’action du 14 juillet 1902 contre l’usine Masson. Les comportements des manifestants, tels qu’ils nous sont rapportés, nous montrent, en effet, que l’attitude des soudeurs fut d’une impressionnante et méthodique froideur. La machine n’est plus l’ennemie, c’est la mort.
66En attendant, tous les ports de pêche sont militairement occupés. Certes, les « soldats se plaisent bien à Douarnenez, ils sympathisent volontiers avec les petites sardinières et bavardent gentiment avec cellesci9. » Certes, une salle de l’école maternelle est mise à disposition du chef de bataillon, Du Guiny, commandant d’armes, pour servir d’infirmerie aux soldats légèrement malades. Certes… mais l’ambiance est bien électrique. Suffisamment pour que le ministre du Travail et de la Prévoyance sociale, Viviani, vienne à Quimper étudier avec les différentes parties concernées les solutions à mettre en œuvre. Auguste Chancerelle de Douarnenez, Arthur Benoît de Concarneau, Amieux de Nantes, Rodel de Bordeaux et Ouizille de Lorient, ces trois derniers étant également propriétaires d’usines à Douarnenez, forment la délégation patronale. Parmi les ouvriers, deux Nantais de la Fédération des ouvriers boîtiers, et Guichaoua de Douarnenez.
67Un compromis est défini pour la saison de pêche en cours ; les machines ne seront pas introduites avant le 1er septembre, date à laquelle une nouvelle réunion est prévue.
68Ce 1er septembre, Teyssonneau à Concarneau, introduit ses nouvelles machines. La grève est immédiatement relancée. Un escadron de chasseurs de Pontivy est dépêché en ce port et deux torpilleurs s’en approchent.
69Douarnenez aussi est investi par sept cents militaires ; pour la même raison, bien évidemment, mais aussi parce que les marins sont en grève de protestation contre les prix trop bas. Car, après des années de misère noire, la sardine donne enfin. Mais quand la pêche est abondante, les prix s’écroulent. Des contrats sont certes passés entre les marins, qui limitent leurs prises, et les usiniers, qui s’engagent à acheter la totalité des pêches, mais ils sont rarement respectés.
70Début octobre, la salle de Venise retentit, une fois encore, de la voix des orateurs qui haranguent la foule. À la suite de la réunion un cortège se forme derrière François Stéphan, « Fanch Al Lagad », responsable du syndicat des marins. Les manifestants rentrent dans les usines pour y appeler les femmes au débrayage, mais le préfet, présent devant l’usine René et Robert Chancerelle, s’oppose à eux, entouré de quinze gendarmes. Dans la bousculade, des gendarmes et des marins sont blessés. Le maire de la ville, François Pencalet, marin-pêcheur, donne immédiatement sa démission estimant que le préfet et les forces de l’ordre ont excité les manifestants et attiré leur fureur. C’est la grève générale dans la ville, où les sept cents militaires présents sont rejoints par trois cents dragons de Nantes et quatre cents fantassins.
71Tout se mêle, revendications anti-mécanisation des soudeurs, grève des marins qui, après des années de crise les entraînant à la famine, sont alors confrontés à un effondrement des prix, lié à une surproduction bien passagère.
72Le sous-secrétaire d’État à la Marine, M. Chéron, vient à Douarnenez et permet la signature d’un contrat entre usiniers et marins-pêcheurs, le 10 octobre : les uns limiteront leurs productions, les autres maintiendront les prix. Mais sur la mécanisation, rien…
73Aussi les usines restent-elles gardées par l’armée ; mille deux cents hommes de troupe restent cantonnés à Douarnenez. La gravité des événements vécus par la ville est telle que M. Chéron rencontre, à ce sujet, M. Briand, le président du Conseil.
74Mais le contrat signé le 10 octobre et la fin de la saison ramènent peu à peu le calme. Le 19 octobre les gendarmes quittent la ville. En novembre, le général Jourdy, commandant le XIe corps d’armée, cite, à l’ordre du corps d’armée, les militaires et gendarmes qui ont maintenu l’ordre dans les ports de pêche.
75La démission de François Pencalet, la vacance d’un autre poste de conseiller entraînent une élection partielle qui voit le succès de Fanch Stéphan et de son colistier Guyader, les candidats socialistes, qui bénéficient ainsi des retombées de leur action en faveur des pêcheurs, menée tout au long de cette année 1909, l’année terrible.
76Cette année de toutes les violences est aussi celle du chant du cygne. Inexorablement, reviennent les machines. Devant cet éternel recommencement, les énergies s’épuisent, les solidarités occasionnelles se disloquent.
77Les mouvements s’effritent. Isolés, les soudeurs sont bientôt convaincus qu’ils ne pourront rien contre les avancées du machinisme. L’extinction annoncée aura bien lieu.
781910 est relativement calme. Quelques machines apparaissent, des grèves éclatent mais elles ne se développent plus.
79À Douarnenez, au début de la saison 1911, chez Jacq et Laurent, des sertisseuses sont installées, sans grande opposition. Le syndicat qui hier se raidissait à chaque étape de la mécanisation, après un long combat défensif, s’est peu à peu incliné. Et puis est venue l’estocade, la mise à mort.
80Des soudeurs vaincus, parmi les plus jeunes, quittent alors Douarnenez pour le Portugal, la Belgique, La Rochelle ou ailleurs… « An dud ranke redek gwechall, an ! », « les gens devaient courir autrefois, hein ! » (Mémoire de la ville, n° 3, 1984.)
81Ces cinquante années de la vie des soudeurs, à Douarnenez comme ailleurs, forment une trame passionnante et tragique. Nous avons ici la parfaite théâtralisation d’une singulière épopée ouvrière. Unité de lieu et de personnages, temps bien délimité. La naissance, le développement, l’apogée, les restrictions, la mise à mort programmée, les chants du cygne, exaspérés et mouvementés. Mais, outre les faits, deux phénomènes attirent notre attention. La révolution industrielle engendre un Douarnenez nouveau, parsemé d’ateliers de friture où se confrontent, quotidiennement, les soudeurs et les patrons. Les soudeurs d’un côté et non encore les femmes d’usine, pourtant bien plus nombreuses. Les soudeurs, seuls éléments masculins du monde ouvrier de la conserve. Unis autour d’un savoir-faire partagé. Ils apprennent vite à monnayer ces compétences techniques indéniables. Ils apprennent vite à se syndiquer.
82Ils font face à d’autres hommes, les patrons de la deuxième génération. Rien à voir avec les pionniers des temps passés, exaltés par leurs inventions, leurs investissements nouveaux, leurs aventures. Ces patrons de la deuxième génération, nés dans une certaine opulence, confient leurs usines à des gérants et vaquent à des occupations dégagées des odeurs et des miasmes de la friture. Le regard qu’ils portent à leurs ouvriers est marqué de distance, voire de mépris. Fini le temps du paternalisme badin. Voici le temps du conflit.
83En ces temps nouveaux, l’espace partagé n’est que ponctuellement marqueur d’identité. L’identité du soudeur puise sa force dans les solidarités ouvrières, dans le mouvement social, bourse du Travail ou syndicats. Nul lieu à défendre mais une corporation. Nulle unité douarneniste à promouvoir mais des acquis sociaux obtenus à force de luttes. L’altérité n’est pas l’ailleurs. L’altérité a les traits des Chancerelle, des Béziers. Et ils vivent, étrangers, à trois pas.
84Le deuxième phénomène à noter réside dans cette forte présence militaire qui inonde les ports de pêche dans ces grands spasmes sociaux. Ce n’est pas la première fois, ce n’est pas la dernière. Le soldat vient régulièrement prendre la place du policier local pour maintenir l’ordre. Pour protéger les outils de travail et les propriétés privées. Pour éviter que le bras de l’ouvrier ne s’abatte sur les usines, sur les machines. Reprenons les faits vécus par Douarnenez en 1909 : il y a jusqu’à 1400 hommes de troupe, fantassins ou dragons. 1 400 ! Dans un port qui compte alors 13 500 habitants. Un militaire pour dix Douarnenistes, enfants et vieillards compris…
85La troupe symbolise le pouvoir. Dans ces années effervescentes, l’identité émergente se forge dans la confrontation. Avec les patrons, avec l’armée. Conséquence logique, l’élection de candidats socialistes amorce une radicalisation qui trouvera concrétisation parfaite après la première guerre.
86D’autres ports de pêche, villes ouvrières, connaissent cette même évolution. Syndicalisation, revendications, confrontations. L’image des villes rouges est en gestation. Elle éclatera bientôt.
Les grandes grèves
1905 : le travail à l’heure
871905 reste une année marquante dans l’histoire sociale de Douarnenez.
88Un grand mouvement ébranle la cité sardinière et expose, aux premières lignes de ses revendications, les femmes et filles d’usine. Des femmes qui se lèvent et crient leur révolte… l’événement n’est pas mince.
89Depuis l’automne 1904 une grande idée fait, chaque jour, son chemin. Les femmes d’usine, on le sait, sont payées au mille de sardines travaillées. Le mille ! Comment savoir, comment compter ? Les cotes sont forcément mal taillées, les irrégularités nombreuses, les évaluations subjectives. Le paiement à l’heure serait de nature à aplanir toute injustice. Le travail à l’heure ! Elles sont bientôt deux mille, un jour de juin 1905, à se réunir pour adhérer au syndicat qui luttera pour le travail à l’heure. Elles sont alors deux mille à manifester derrière le drapeau rouge.
90Le 11 février 1905, Charles Chancerelle, bien isolé parmi ses pairs, accepte le principe de ce paiement nouveau. Le 16, ses confrères le suivent. Le travail à l’heure est institué. Mouvement trop général pour être durablement évité.
91Avec le paiement au mille, chaque ouvrière, qu’elle soit étêteuse, cuiseuse ou femme de bouillotte, gagne la même somme. Mille sardines travaillées en début de chaîne donnent, peu ou prou, mille sardines en boîte, au sortir de l’usine. Seulement, le mille peut s’avérer mille cent ou mille deux cents, allez savoir, et là, précisément, le bât blesse. Car la suspicion est générale… Mais le système a un avantage : toutes les femmes sont égales devant le décompte.
92Avec le travail à l’heure, tout change. Quand les étêteuses, emboîteuses, sécheuses ou femmes de bouillotte, travaillent dix heures sur un stock de poisson, les saleuses, cuiseuses ou manœuvres, elles, ne travaillent que quatre heures.
93Avant, le stock primait. Même quantité de sardines, même salaire. Maintenant, le temps de travail est devenu le facteur dominant. À quantité égale, temps de travail différent, salaire différent. Les usiniers prennent prétexte des discussions, voire des dissensions, entre ouvrières pour ne pas appliquer l’accord. En fait, ils restent favorables au travail au mille et ont, maintes et maintes fois, l’occasion de l’affirmer. Charles Chancerelle licencie la trésorière du syndicat ; Xavier de Pénanros, trois ouvrières hostiles au travail au mille. Parmentier refuse, purement et simplement, d’appliquer l’accord. L’agitation est permanente, sur fond de grèves multiples, d’action socialiste très vindicative et d’élections municipales à venir. Persuadés d’avoir gain de cause, quatre usiniers prennent l’initiative d’un référendum sur cette épineuse question des salaires. Le syndicat « jaune », qui leur est proche, multiplie les actions dans une impitoyable guerre d’affiches. Les prêtres refusent l’absolution aux femmes soupçonnées de vouloir le travail à l’heure. Ambiance ! Marie Belbéoch signe une affiche : « Je suis Enfant de Marie et je crois en Dieu, personne ne m’empêchera de pratiquer. Néanmoins, je suis venue à votre syndicat “rouge” parce que les patrons, qui se disent religieux, ne le sont pas ; ce qui le prouve, c’est qu’ils nous ont volées. Je suis venue au syndicat parce que je crois que le travail à l’heure est le seul moyen de ne pas être volées. Faites comme moi, syndiquez-vous pour soutenir vos intérêts mais sans renoncer à vos croyances. » (Lucas, 1975.)
94L’argumentation patronale s’enracine dans la terrible crise que connaît leur industrie depuis plusieurs années. Concurrence étrangère, désertion de la sardine, prix de la rogue, tout a été dit… Rajouter une crise sociale, des grèves, des mouvements divers à cette situation, ne fait que l’aggraver… Seulement voilà : « Nous ne demandons pas à habiter des hôtels somptueux comme nos patrons, à avoir de belles robes comme leurs femmes, nous ne demandons pas à passer notre temps à la chasse ou en voyage à Paris ou ailleurs ; nous demandons du pain, et encore, comme quantité, le strict nécessaire… Nous affirmons que si les usiniers veulent maintenir le travail au mille, c’est que ce mode de travail leur permet de nous voler de 30 à 40 % de notre travail. » (Lucas, 1975.)
95Le climat est lourd. Quarante gendarmes à cheval et une compagnie du 118e régiment d’infanterie arrivent à Douarnenez. Le 17 juillet, les résultats du référendum sont connus, 965 femmes sont favorables au travail à l’heure, 21 au paiement au mille. « Un vent de révolution soufflait sur la ville10. »
96Eugène Jacq est clair, dans la Libre Pensée, journal antisémite d’Édouard Drumont, quand il écrit : « Jamais une femme, jamais un homme ne travaillera aussi vite à l’heure qu’à la pièce, qu’au mille. C’est indiscutable. » Mais un de ses confrères, dont l’identité n’est pas dévoilée par le journaliste qui l’interroge, donne, dans Le Matin une réponse à ce vote des femmes d’usine :
« Après qu’il eut, avec complaisance, considéré le vermouth doré qui emplissait son verre, un sourire vint aux lèvres de l’industriel : “En somme, corrigea-t-il, ce sont toujours eux qui paieront ; si nous donnons aux femmes un salaire supérieur, nous achèterons à leurs maris, à leurs frères, les pêcheurs, le poisson à prix plus bas. Voilà tout11.” »
97Éternel problème auquel la population maritime sera toujours confrontée. L’usinier achète aux marins, aux maris et emploie les femmes, leurs femmes… Ce qui est gagné d’un bord peut être perdu de l’autre…
98En attendant, les femmes ont su imposer le travail à l’heure. Certes, il faut attendre le 25 août pour que Louis de Pénanros en accepte le principe et pour que l’accord ait, partout, force de loi. Mais cela n’est qu’épiphénomène. L’essentiel est ailleurs. Dans une dignité conquise. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Être payé à l’heure, c’est avoir l’impression d’être mieux respecté. Que dire quand d’évidence le mille du patron comprenait 1200 sardines ? Que dire ? Rien, courber l’échine et travailler encore. Une heure, c’est soixante minutes. Et ça, personne ne peut rien y changer.
Douarnenez comme au temps de Zola
99En 1927, à l’occasion du 10e anniversaire de la Révolution d’octobre, une Douarneniste, Catherine Gloaguen, veuve de pêcheur, est reçue par le président de la République des Soviets, Kalinine. L’imagerie militante présente alors une femme d’usine, une sardinière de Douarnenez, servie, à table, par un grand de notre monde. La CGT unitaire, qui organise le voyage, et les autorités soviétiques, saluent en Catherine Gloaguen la victoire des sardinières bretonnes à l’issue d’une « grève de la misère » qui tint la France en haleine et mobilisa les ministères, l’Assemblée nationale, comme l’ensemble des médias, en l’hiver 1924-1925.
100Extraordinaire moment de l’histoire sociale où s’affrontent le jeune parti communiste, des patrons de droit divin, des factieux attirés par Mussolini, sur fond d’insolence et de panache, de fêtes, de pleurs et de sang. Et tout cela à Douarnenez, devenue « la ville rouge ».
101Douarnenez compte alors vingt et une usines. Le travail du poisson reste le maître du temps. Dès son arrivée, les femmes s’affairent autour de lui. En saison, les ouvrières, rentrées chez elles à minuit ou une heure, reviennent, tôt le matin, à l’usine, pour reprendre un travail interrompu par de courts moments de sommeil. Certaines font 80 heures de labeur en 5 jours, et gagnent alors entre 64 et 72 francs. Les heures de nuit valent celles du jour, pas davantage ! Le temps d’attente n’est pas intégré au salaire, bref, c’est Zola ! Une note transmise au préfet du Finistère en dit long sur les conditions de vie des familles douarnenistes : « Les marins pêcheurs et ouvriers se nourrissent en hiver de pain, pommes de terre, poisson salé. Le pain entre pour 60 % de la nourriture de familles pauvres qui ne pourront équilibrer leur budget qu’en diminuant la ration de pain12. » Sans commentaire.
102La vie politique locale est la logique traduction de cette situation sociale. En décembre 1919, les socialistes, très influents en cette cité ouvrière depuis l’avant-guerre, accèdent à la mairie. Le maire, un professeur, responsable départemental de son parti, Fernand Le Goïc, a cependant de sérieuses difficultés à maintenir l’unité de son conseil, partagé entre ceux qui soutiennent la révolution bolchevique, et les autres… À l’issue du congrès de Tours, fin décembre 1920, une majorité des conseillers douarnenistes adhère à la section française de l’Internationale communiste, la SFIC, alors que le maire, Le Goïc, reste fidèle à la « vieille maison », la section française de l’Internationale ouvrière, SFIO. La lutte entre les deux tendances du conseil rend son fonctionnement impossible. De plus, le 25 février 1921, Le Goïc est démis de son mandat par le Conseil d’État, pour non-résidence. De nouvelles élections, partielles, ont lieu, pour remplacer trois conseillers démissionnaires et le maire démis. Le Goïc, qui entre temps, habite Douarnenez est réélu, avec deux socialistes et un libéral. Mais les communistes restent majoritaires dans le conseil qui élit le nouveau maire, Sébastien Velly. C’est la première fois en France qu’un maire communiste est élu. Il est tapissier, a 43 ans et est membre du comité fédéral de son parti.
103Malheureusement pour Velly, il ne pourra gérer Douarnenez bien longtemps. Le 9 juillet 1924, on apprend qu’il est frappé d’une phtisie galopante. Son état empire très rapidement et il meurt, le 18 juillet. Consternation à Douarnenez. Consternation au parti communiste. Une figure, un pionnier, quitte la scène.
104Les nouvelles élections partielles sont remportées, au début de l’automne, par les candidats communistes, dont le secrétaire départemental du parti, Daniel Le Flanchec, qui devient maire de Douarnenez, le 7 octobre 1924. À 43 ans, Le Flanchec, né à Trédrez, près de Lannion, ayant passé sa jeunesse à Landerneau, est un communiste libertaire, gouailleur, orateur exceptionnel, chanteur à la voix de feu, proche des ouvrières de la conserve dont il a partagé, déjà, de nombreux combats. Il vient de Lambézellec, où il s’était installé. Avant-guerre, il s’était fait remarquer pour son soutien affiché à la Bande à Bonnot. Il avait fait les 400 coups, lui qui, jamais, ne passait inaperçu. Borgne, tatoué, il arbore « mort aux vaches » sur la main droite et « entre quatre murs, j’emmerde la sûreté » sur la main gauche. Souvenirs de Chine, où il avait traîné sa misère dans les bouges et les tripots, ou souvenirs des prisons qu’il avait fréquentées ? Le Flanchec, connu dans tout le Finistère pour ses extraordinaires capacités de bretteur, outrancier, formidable grande gueule, prend alors rendez-vous avec l’histoire de Douarnenez. Pour le commissaire, très inspiré, cette élection est accueillie dans « une quasi indifférence, la plus grande partie de la population ayant fini par se désintéresser de la crise municipale13 ». Le commissaire déchantera.
105En cet automne 1924, l’atmosphère, dans les usines, est tendue. Les femmes, les soudeurs, parlent des salaires et souhaitent des augmentations. À la mairie, Le Flanchec s’impose et s’oppose à tous les symboles du pouvoir, qu’ils soient politiques et institutionnels, comme le préfet, économiques, comme les usiniers, ou spirituels, comme les prêtres, « ces corbeaux, ces sacs à charbon ».
106À la CGTU, un jeune permanent régional, Charles Tillon, est en tournée, et passe à Douarnenez, début novembre, appelant à la syndicalisation. À son appel, le 7 novembre, une cinquantaine de marins créent, d’ailleurs, un syndicat de la pêche.
La grève de la misère
107La tension est vive, alors, en plusieurs usines et chez Ramp, l’usine métallurgique, une grève partielle éclate. Chez Roussel, une friture, les manœuvres cessent le travail, comme un groupe d’ouvrières de chez Béziers, où quatre licenciements sont annoncés. Le 20 novembre, chez Carnaud, l’autre fabrique de boîtes vides, les femmes débrayent. Leur demande de rendez-vous avec le directeur a été refusée par le contremaître, Trellu. Elles auraient pourtant bien voulu lui parler, au directeur, de leurs salaires horaires.
108Les 21, 22, 23, après de nouvelles démarches, toujours infructueuses, les femmes de chez Carnaud font connaître leurs revendications dans les autres usines de la ville. Elles réclament 1 F de l’heure pour les ouvrières et 1,50 F pour les manœuvres, au lieu de 0,80 F et 1,30 F. Le 24, le mouvement se généralise. Le 25, l’ensemble des usines de Douarnenez est en grève.
109Revient à la hâte à Douarnenez, un homme jeune, il a vingt-huit ans, qui a déjà connu une mutinerie, en mer Noire, et le bagne pour récompense, dans le Sud marocain, un certain Charles Tillon. Il retrouve là des amis douarnenistes, dont Daniel Le Flanchec et François Billoux, « envoyé de Paris ». Avec Charles Tillon, Marie Le Bosc, déléguée syndicale des tabacs arrive de Nantes. Puis, peu après, deux « Parisiens », Simonin, du syndicat de l’alimentation et Lucie Colliard, institutrice révoquée, responsable du travail des femmes à la CGTU, membre du comité directeur du parti communiste. Lucie Colliard, est très connue et très respectée. N’a t-elle pas été déléguée au troisième congrès de l’Internationale communiste, avec Souvarine et Vaillant Couturier ? Elle connaît Lénine. Elle connaît la musique.
110Le 23 novembre, vingt usines sont en grève et un comité provisoire est désigné, comprenant un bureau de quinze membres dont onze grévistes et quatre représentants des organisations syndicales. Le 24, la grève est générale. Unanimement, un slogan est crié, chanté, applaudi : « Pemp real a vo », vingt-cinq sous nous aurons…
111Notons immédiatement un fait exceptionnel : si Marie Le Bosc ou Lucie Colliard viennent ainsi à Douarnenez, c’est que les femmes y sont en première ligne. Le comité de grève élu comporte d’ailleurs six femmes sur quinze membres. Minoritaires, certes, mais pas silencieuses, loin de là. N’oublions pas qu’alors elles n’ont même pas le droit de vote… Le 26, le juge de paix convoque les parties adverses à une réunion de conciliation. Mais… les patrons ne se déplacent pas, et, de conciliation il n’y en a guère.
112Le même jour pourtant, Béziers, leader usinier, démontre sa détermination en portant plainte contre Le Flanchec, pour atteinte à la liberté du travail, violation de domicile, débauchage par la violence et la menace. Les choses sont claires. Le préfet s’en inquiète suffisamment pour alerter le président du conseil sur le dossier Douarnenez, le 28 novembre.
113Déjà, une obsession à l’esprit des responsables syndicaux : il faut tenir, tenir, encore tenir. Novembre est un mois creux dans l’activité du port et des usines. Une grève longue est, alors, moins difficile à supporter qu’en pleine saison, quand on travaille 10, 12, ou 14 heures. La saison de la sardine est terminée, le port attend maintenant la sardine de dérive, le maquereau ou, à l’occasion, le sprat. Moins difficile à supporter, oui, encore faut-il que la solidarité joue et que les enfants puissent manger…
114Le comité de grève, la municipalité, les syndicats, tous, se mobilisent, et mettent en œuvre les moyens permettant aux grévistes de tenir. La situation de ces femmes gagnant 0,80 F de l’heure, heure de nuit comme heure de jour, sans indemnité pour les heures supplémentaires, travaillant et travaillant encore, va être connue dans la France entière. « Et là, ce que j’avais lu de Zola me remonte au cœur », dira Charles Tillon. La raison de la mobilisation exceptionnelle, trois mille ouvriers et ouvrières en grève, réside là, tout simplement.
115« C’était le besoin. On n’arrivait pas. Douarnenez a eu beaucoup de misère. Douarnenez a été pauvre. La grève, c’était le besoin… »
116« Quand j’avais mangé ma soupe, ma mère m’envoyait chercher un peu de café à l’épicerie. Quand je voyais toutes les boîtes de conserve sur l’étagère ! J’avais faim, j’aurais bien mangé tout ça. »
117« C’était une grève pour le besoin. On n’était pas politique. On allait à la messe de neuf heures. Chacun avait son opinion, mais on n’avait pas l’opinion des riches, par exemple ! » (Martin, 1994.) Ce « par exemple », dont on imagine l’intonation, vaut mieux que nombreux discours…
118Chez les usiniers, l’approche est différente. Certes, apparemment, ils sont unis. Mais comment comparer Béziers et Mme Quéro ? Le premier est à la tête de onze usines, dont six dans le Finistère. Amieux dirige quatorze fritures, Saupiquet, dix. Pour eux, le manque à gagner d’une grève à Douarnenez est compensé par un travail à plein rendement dans un autre port. Les marchés signés seront honorés. Mais Mme Quéro, Désiré Guy, Lozac’hmeur, Parmentier ou Pennamen, eux, n’ont qu’une usine. Et quand celle ci manque de poisson, l’équilibre de l’entreprise est aussitôt menacé.
119En attendant, la grève est terrible car elle est unanime. Les marins organisent des tours de rôle pour aller en mer et affirment ainsi leur solidarité.
120Pour eux aussi, novembre est préférable à l’été. Alors, ils soutiennent leurs femmes. Et s’il est ainsi possible de gagner quelques sous… ce sera toujours ça de pris sur des conserveurs qui n’achètent jamais le poisson à sa juste valeur… Les marins, les maris, apportent donc le sprat pour la soupe populaire qui reçoit, dès le premier jour, le 29, quatre cent treize grévistes dans la cantine scolaire mise à leur disposition par la municipalité. Chaque jour, une manifestation est organisée. La ville s’emplit des chants, des martèlements de sabots, des rires et des cris de toute une jeunesse qui, pour la première fois, ose. Le soir, les halles s’emplissent des déclarations des responsables. Une voix s’élève, au-dessus de toute autre : Le Flanchec, véritable tribun au discours émaillé de mille anecdotes, Le Flanchec, au discours parsemé d’histoires et de flèches assassines, s’épanouit et trouve, enfin, le public fidèle qu’il cherchait depuis près de vingt ans.
121Charles Tillon sait que pour tenir il faut occuper les grévistes, ne jamais les laisser inactifs. « Le matin : contrôle, timbrage des cartes de grève pour toucher les secours que l’on payait à la salle de la Justice… Tous les jours : la “procession”. Toutes les femmes âgées à l’avant, les cheveux blancs de la misère, ça existait, le drapeau rouge, le commissaire de police, le garde-champêtre. Et on chantait, on chantait… »
122« Il y avait ceux et celles qui surveillaient les usines… Ceux qui s’occupaient des cantines à l’ancienne école… Il fallait acheter des vivres ou en “chiner” dans les campagnes. Il y avait ceux qui s’occupaient du poisson, le sprat, avec lequel on faisait la soupe. Ceux de l’intendance, comme disait de Gaulle14. »
123Le 4 décembre, un événement grave vient rompre le rythme régulier des jours de grève. Un camionneur tente de déposer des stocks de conserves, à la gare située au bout du pont qui, enjambant la ria du Port-Rhu, relie Douarnenez à Tréboul. Des grévistes barrent le chemin, sur le pont. Le Flanchec et Henriet, député de Paris, ceints de leurs écharpes, tentent d’arrêter les chevaux et, ainsi, d’empêcher le transporteur d’acheminer sa marchandise. Bruit, cris, bousculades, le tumulte enfle rapidement. Le Flanchec prétend que les gendarmes chargent quand il tente, lui, de maintenir le calme. Les gendarmes affirment l’inverse, évidemment. On parle même de rébellion. Le préfet du Finistère estime qu’il y a là entrave à la liberté du travail. Le 5 décembre, à 18 heures, il suspend Le Flanchec pour un mois. Son adjoint, Le Cossec, assure l’intérim.
124Le Flanchec, suspendu, ne quitte évidemment pas la rue. Celle-ci est son domaine. Sa voix y triomphe de toutes les disputes, les plaintes ou les conflits. Cette grève est son affaire. Sa popularité est au zénith. Chaque jour, les cortèges qui s’ébranlent entonnent des chants à son honneur : « C’est Le Flanchec, c’est notre maire… » Néanmoins, ce 4 décembre, la grève de Douarnenez prend tournure nouvelle. Elle déborde Douarnenez. Elle devient enjeu national.
125À peine Le Flanchec suspendu, Daniel Renoult, journaliste à L’Humanité, arrive à Douarnenez. Lui, comme les autres militants de passage, loge chez la « belle Angèle », gérante du petit et vieil hôtel de Bretagne, près de la place de la Croix, à deux pas de l’hôtel de France, rue Jean-Bart, où se réunissent les patrons. Renoult, chaque jour, alimente la chronique de son journal où la grève de Douarnenez s’inscrit en première page.
126Ils sont nombreux les militants de passage, qui se retrouvent chez la « belle Angèle », Henriet, le député, Simonin, Lucie Colliard, Charré, des Jeunesses communistes, qui en profite pour créer une section… et beaucoup d’autres, dont nous reparlerons. Ils organisent la grève, subviennent aux innombrables besoins et entourent Le Flanchec, ce maire déchu à la voix de stentor.
127Le 9 décembre, une réunion paritaire est organisée à l’initiative des maires voisins de Tréboul, Ploaré et Pouldavid qui offrent leur arbitrage, accepté par les grévistes. Mais Béziers et d’autres conserveurs ont une partie de chasse, comment pourraient-ils discuter du salaire des femmes d’usine ? Béziers et le syndicat patronal refusent même, quelques jours plus tard, l’arbitrage du préfet. Il est vrai que la grève est « communiste et révolutionnaire ».
128C’est pourquoi, le 12 décembre, Justin Godard, ministre du Travail du cartel des gauches alors au pouvoir, décide de convoquer les deux parties à son bureau. Aussitôt, les responsables syndicaux acceptent la tenue de cette réunion, suivis par les dirigeants patronaux. Ces derniers, jusqu’alors unis, sont confrontés, le 13 décembre, à une nouvelle qui fait grand bruit. Mme Quéro, propriétaire d’une friture, accepte les demandes d’augmentation salariale des grévistes. C’est une grande victoire pour ces derniers qui accompagnent en un immense cortège, ils sont trois mille, la délégation qui, le 15 décembre, prend le train pour Paris. Elles sont trois, les femmes de la saumure, à rencontrer Justin Godard. Mmes Anna Julien, caoutchouteuse chez Carnaud, Morvan et Alexia Pocquet. Elles sont accompagnées par deux secrétaires locaux de la CGTU, Jequel, surnommé le « bolomig », et Vigouroux. Lucie Colliard et Simonin sont également de la partie. Tous posent pour la une de L’Humanité. Ce jour là, la mer, qu’on aurait presque tendance à oublier, se rappelle aux souvenirs des Douarnenistes, de tous les Douarnenistes. Un langoustier est perdu en Mauritanie. Trois matelots et un jeune mousse ne reverront plus jamais le port du Rosmeur.
129Très vite, à Douarnenez, on connaît l’issue des négociations parisiennes. Rien, les patrons n’ont rien lâché. Rien de rien. Ils ont même refusé de discuter. Ils attendent le 3 janvier, le retour de la pêche… À ce moment-là, quand le poisson sera de retour, les marins devront le prendre, le vendre.
130La discorde naîtra dans les foyers et le calme reviendra. Le quotidien communiste titre « Incroyable bravade des patrons ».
131Tenir, toujours tenir. Tel reste le mot d’ordre du mouvement ouvrier. Tenir avec les marins pleinement solidaires, même si le poisson est là. Tenir avec l’ensemble de la côte pour que les patrons n’en profitent pas en augmentant, ailleurs, leurs marges, pour récupérer le manque à gagner douarneniste. La colère est immense, sur les quais du Rosmeur, la tension vive, très vive. Pour la CGTU, Douarnenez est devenue une grève symbole, un événement national. Chacun se mobilise encore davantage. Le parti communiste, bien sûr, mais aussi le parti socialiste et son journal Le Quotidien, mais aussi les radicaux… Chacun organise sa souscription par l’intermédiaire des collectivités, des journaux, des réseaux militants de toutes sortes. L’Humanité publie quotidiennement des reportages très documentés. Le Cri du Peuple, socialiste, titre sur ce « drame de la misère ». La ville est couverte d’affiches de toutes les couleurs, issues du comité de grève, du comité patronal, des « bons conseillers » ou de Daniel le Flanchec.
132Le 17, Mme Quéro entre en discussion avec les délégués. C’est une victoire pour les grévistes. Mais la douche froide est pour le lendemain, avec un projet de délibération proposée à la chambre de commerce de Quimper sur le mouvement « révolutionnaire communiste », organisé par des « étrangers à la région ». Un appel à la Nation est lancé pour sauver l’organisation sociale. Le commissaire spécial Dominici, nommé par le préfet, écrit un rapport sur le « véritable soviet » de Douarnenez et les gendarmes sont réquisitionnés. Le même jour, le projet de délibération, non encore examiné par la chambre de commerce, est expédié au journal Le Temps, qui, bientôt, le publie.
133Le 18, enfin, arrive à Douarnenez, un certain Raynier, responsable de « L’Aurore Syndicale », syndicat « jaune ». Le conflit monte en intensité et un nouvel incident, sur le pont menant à la gare, oppose mareyeurs et conserveurs à la foule des grévistes.
134À Paris, Le Quotidien nous apprend que Léon Blum, Vincent Auriol, Paul Langevin, Félix Gouin, les députés bretons Masson et Goude, comme l’ensemble du groupe parlementaire socialiste, ont participé à la souscription nationale en faveur des grévistes de Douarnenez. Le 20, au Pré-Saint-Gervais, un grand meeting national est organisé par le parti communiste, « pour l’unité syndicale, contre le fascisme ». Grande place y est donnée à la lutte douarneniste par les orateurs Jacques Doriot, Paul Vaillant-Couturier, Marcel Cachin. D’après L’Humanité, les 20 000 manifestants rassemblés acclament « Daniel Le Flanchec qui parle au nom de ses camarades bretons ». Le Flanchec goûte incontestablement là un grand moment de sa vie de tribun…
135Racamond, secrétaire général de la CGTU, arrive à Douarnenez le 20 décembre. Il insiste pour que les ouvriers signent le contrat Quéro, marquant ainsi une brèche dans la solidarité patronale. Il obtient satisfaction le 22. Le contrat Quéro porte l’heure à 1 F pour les femmes et à 1,50 F pour les hommes, avec 50 % d’augmentation après minuit ou après la dixième heure de travail. L’usine Quéro ouvre à nouveau ses portes le 23 décembre.
136Et voilà Marcel Cachin, figure emblématique du jeune mouvement communiste, qui rejoint Douarnenez. « Le père Cachin parlait breton. Il était du pays et du temps de Jaurès… Les femmes de Douarnenez raffolaient de Cachin qui émaillait ses discours de mots qui faisaient rire. » (Tillon, 1977.) Marcel Cachin se promène longuement aux Plomarc’h, racontant, devant la baie, la légende de la ville d’Ys, brandissant sa canne en revivant la destinée tragique de Dahut et de Gradlon.
137Chaque jour qui passe accroît la popularité du mouvement de Douarnenez. La raison en est simple et explique, à elle seule, la si forte participation de la population maritime : les salaires sont scandaleusement faibles. Les députés démocrates du Finistère, peu suspects de sympathie pour le mouvement communiste, s’expriment en ces termes dans Ouest-Éclair, le 31 décembre 1924 :
138« Nous tenons à dire très nettement que les salaires étaient insuffisants. Dès lors, quand les patrons s’obstinent à refuser des augmentations la grève est légitime », d’autant qu’ils n’ont pas tenté « le moindre effort en vue de rechercher un arbitrage impartial. Il faut adopter de justes salaires qui correspondent aux nécessités de la vie chère. » Cette position arrive, le 31 décembre, à point nommé. Elle a un impact certain sur la population conservatrice du département. Mieux, Ouest-Éclair ajoute : « Cet appel, nous le faisons nôtre, au nom de la Raison et de la Justice. »
« L’assassinat » de Le Flanchec
139Il pleut sur Douarnenez, le jour de l’an. Il pleut même dru. Dans les cafés, on chante, on boit et puis, surtout, on discute. Vont-ils céder ? Qui va céder ?
140Raynier, de L’Aurore syndicale est revenu à Douarnenez, avec quinze de ses amis. Ils vont casser la grève, qu’ils disent. Bien sûr, on en parle, puisqu’ils ont distribué des tracts et des journaux. Le Flanchec, lui, est radieux. Les « jaunes » ne lui font pas peur. Et quand il s’agit de chanter il est toujours présent. Alors, un jour de l’an…
141D’ailleurs, ce jour de l’an 1925, à 18 heures, il est là, au bistrot, à L’Aurore, devant la Croix, à l’angle des rues Duguay-Trouin et Jean-Jaurès, avec son neveu et ses amis, comme Henriet, le Parisien. Et il chante. Soudain, on le demande. Des « jaunes ».
142Quand Le Flanchec s’approche, des coups de feu claquent et l’abattent. Il est au sol, gisant dans son sang. Il est mort, c’est sûr, Le Flanchec est mort. Son neveu est allongé près de lui, gravement blessé. C’est la panique générale. Le maire est amené à l’étage, perdant beaucoup de sang. Vite, il est transporté à Quimper. Il vivra.
143Alors, la colère qui grondait depuis des semaines explose brutalement. C’en est trop. Ils exploitent et exploitent encore, mais voilà maintenant qu’ils tuent. La foule envahit l’hôtel de France et le met à sac. La foule est déchaînée. La nuit est terrible. Il faudra bien des renforts de police ; il faudra, surtout, le calme des dirigeants syndicaux, qui improvisent un grand meeting aux halles, pour détourner le peuple de la rue des maisons d’usiniers. Quelques mois plus tard, en juin 1926, le préfet attestera cette « attitude responsable des leaders communistes » après le drame. « Les gens étaient désireux d’éviter une échauffourée sanglante15. »
144On apprendra, le 4 janvier, alors que les nouvelles de Le Flanchec sont rassurantes, que Béziers et Jacq, deux conserveurs, avaient, en décembre, rencontré les « briseurs de grève » et demandé une intervention musclée. Ce jour-là, le 16, ils avaient été bien silencieux devant Justin Godard, le ministre.
145À Paris, les réunions publiques, les meetings, se multiplient en faveur des Douarnenistes avec le père Cachin, Vaillant-Couturier et tous les leaders du moment. Les municipalités de la banlieue, les organisations ouvrières, les coopératives, la presse… la mobilisation est très forte. Charles Tillon dira que Douarnenez était « la bataille de toute la Bretagne ouvrière ».
146Sur six colonnes à la une, L’Humanité crie « À Douarnenez : première flaque de sang fasciste ! » Le 3 janvier, toute la première page est consacrée à cette « journée sanglante, la tragédie de Douarnenez ». Le lendemain, dimanche 4, une déclaration du Bureau politique est publiée, appelant à la discipline dans cette lutte engagée contre le fascisme.
147Le 5, Le Flanchec revient, silencieux, attendu à la gare par dix mille manifestants.
148« Dire l’accueil réservé à Le Flanchec est impossible. Le courageux militant, debout sur une estrade est privé de l’usage de la parole et doit se faire remplacer16… » La balle lui a traversé le cou endommageant sérieusement les cordes vocales. Mais aucune lésion grave n’est redoutée. Un véritable miracle ! Un millimètre peut-être entre la vie et la mort. Et Le Flanchec vit.
149Suite à l’injustifiable, le préfet multiplie les interventions auprès des conserveurs afin qu’ils cèdent. Le plus vite serait même le mieux. La tentative d’assassinat du maire fait mauvais genre. C’est le moins que l’on puisse dire. D’autant que la suspicion enfle. Les conserveurs n’ont-ils pas été jusqu’à financer les nervis ? La suspicion, puis les preuves. Oui, le 16 décembre, messieurs Béziers et Jacq ont remis, à Raynier et aux siens, une première somme, 12 000 F, complétée ensuite, le 29 décembre par 8 000 F, versés à Quimper. Le préfet menace alors de porter plainte contre le syndicat des usiniers qui pousse, le 7 janvier, les plus durs de ses membres à la démission. Le lendemain, le nouveau bureau du syndicat patronal accepte de signer le contrat, posant une seule condition : que le syndicat ne soit pas mêlé aux suites judiciaires découlant du crime du jour de l’an.
150Le conflit prend fin. Le contrat est signé. Les ouvrières de Douarnenez ont gagné, au 46e jour de grève. « Il y a des moments où il fait bon vivre », écrit Daniel Renoult.
151Une fois de plus, L’Humanité consacre toute la première page à cette victoire ouvrière : « Le Flanchec, cet extraordinaire gaillard est rétabli mais sa belle voix qui tonnait sous les halles est réduite à un souffle. » Pour lui cependant, c’est à plein poumons que chantent les femmes de la saumure :
« On racontait dans Douarnenez,
Que Le Flanchec était enterré
Non, non, non, non,
Notre maire n’est pas mort
Car il vit encore… »
152Et, sur l’air d’un cantique,
« C’est Le Flanchec,
C’est notre père,
C’est Le Flanchec,
C’est notre Roi. »
Débat à l’Assemblée nationale
153Les événements de Douarnenez reviennent en débat à l’Assemblée nationale, le 15 janvier, dans un indescriptible vacarme. Le président Painlevé ne peut maintenir l’ordre. À la gauche et à l’extrême gauche qui crient : « Assassins ! Assassins ! », la droite répond : « Nous ne laisserons pas saboter la République17. »
154D’exclamations en interruptions, le député socialiste Masson, après tumulte, pugilat et suspension de séance, s’adresse aux élus communistes : « Nous félicitons, pour une fois, nos ex-camarades communistes, non pas d’avoir fait la révolution à Douarnenez… »
- Marcel Cachin : « Pas de plaisanterie ! Ce n’est pas le moment. »
- Masson : « Je dois constater, en vous félicitant, qu’à Douarnenez, vous vous êtes conduits, non pas en révolutionnaire… »
- Marcel Cachin : « Nous nous sommes conduits en excellents révolutionnaires. »
- Masson : « Mais en pâles réformistes… Vous avez prêché le calme et l’ordre. Vous avez été, je le répète et je vous en complimente, pour une fois, de pâles réformistes. »
155Le député de Paris, Henriet, présent à Douarnenez tout au long du conflit lui répond, expliquant l’attitude du comité de grève et des responsables communistes et syndicaux au soir de l’attentat contre Le Flanchec, canalisant la violence et évitant les drames :
« Si nous sommes intervenus, ce n’est pas parce que nous sommes opposés à la révolution et que nous voulions être réformistes… Ce n’est pas par humanité pour les gendarmes… Mais parce que nous savions que si la population ouvrière de Douarnenez avait couru ces excès, elle aurait été obligée de rentrer dans les usines sans avoir satisfaction… Et qu’aurait-on dit s’il y avait eu une usine brûlée, cinquante gendarmes mis hors de combat ? Quel admirable prétexte pour incriminer la dictature communiste et nos amis de Douarnenez ! On aurait dit “Voilà à quoi aboutissent les mouvements organisés par les communistes !” Nous aurions été emprisonnés et notre parti décapité. Nous ne l’avons pas voulu. »
156De cette très vive, très tonique séance parlementaire, retenons trois autres interventions.
157Celle de Jean Jadé, républicain démocrate, accusé par la gauche et l’extrême gauche d’être lié aux conserveurs et « aux assassins » :
« Nous tenons à dire nettement que les salaires étaient insuffisants et qu’ils justifiaient de la part des ouvrières une demande d’augmentation. Les travailleurs ont droit à un salaire qui les fasse vivre, eux et leurs familles, et quand les patrons s’obstinent à le leur refuser la grève est légitime. »
158Celle de Georges Le Bail, ensuite, figure du radicalisme, qui développe l’attitude des conserveurs :
« Si je prends les statistiques de ces sept dernières années, je constate que cent dix différends ont été réglés par l’entremise du ministre du Travail. Et lorsque je remonte plus loin dans le passé, je me rappelle que, lors de la grève du Creusot, en 1899, alors que le sort de douze mille ouvriers était en jeu, M. Schneider, comme les organisations ouvrières, a accepté l’arbitrage du ministre de l’Intérieur d’alors… Ce que M. Schneider avait fait, M. Béziers, roi de la conserve, pouvait le faire à son tour. »
159Enfin, celle de Camille Chautemps, ministre de l’Intérieur du cartel des gauches alors au pouvoir :
« Il est hors de doute, lorsqu’on constate le taux des salaires dans ce petit port de Douarnenez, que la revendication d’une augmentation de ces salaires était pour le moins naturelle et légitime […]. J’indique à nos collègues communistes que notre doctrine, à nous, est qu’il eût été préférable de ne pas s’emparer de la grève pour des fins politiques. Mais je suis obligé, après M. Masson, de leur rendre cette justice […]. Qu’ils ont fait, à plusieurs reprises, très opportunément, appel au calme […]. Le maire a été, constamment, en plein accord avec l’autorité préfectorale pour assurer le maintien de l’ordre et de la paix publique. »
160Pour le reste, avec toutes ces invectives, interruptions, incidents divers et insultes de toutes sortes, de nombreux orateurs insistent sur la « menace fasciste ». Doriot, « le grand Jacques », en particulier…
161Les briseurs de grève étaient bien connus des services de police, étant repris de justice, l’un d’eux quatorze fois condamné… Agents de mouvements œuvrant afin de « réaliser l’union de toutes les forces saines de la démocratie capables de tenir tête aux tentatives révolutionnaires du parti communiste », et déclarant, à l’occasion, « nous aurons, à l’heure venue, des fusils et des mitrailleuses ». Ces hommes dépendent des ligues fascistes, et, à Douarnenez, onze sont arrêtés.
Originalités et leçons du conflit
162Pour le parti communiste, pour la CGTU, pour Charles Tillon et tant d’autres, Douarnenez est, en 1924, la ville de l’expérimentation. Nombre de ceux, les « Parisiens », qui viennent sur le port du Rosmeur et chez la « belle Angèle », feront ensuite carrière importante. Outre Cachin ou Lucie Colliard, Billoux, qui a alors vingt et un ans, sera bientôt secrétaire général des Jeunesses communistes, député puis ministre du général de Gaulle, à la Libération, avec Charles Tillon… Garchery sera député de Paris, Gauthier député de la Seine-Inférieure, Renoult, truculent et rabelaisien, maire de Montreuil… Citons encore d’autres visiteurs célèbres : Clamamus, inamovible élu de Bobigny, Jacques Sadoul, ami de Lénine et Trotsky, ancien inspecteur général de l’Armée rouge, véritable mythe de l’époque, et d’autres encore, envoyés de l’Internationale, comme Jacob Kalmanovich, alors appelé Coron ou Calman, futur dirigeant des Brigades internationales, ou Vital Gayman, ardent propagandiste russe. Tous viennent à Douarnenez, fréquentent Le Flanchec et assistent aux meetings tenus sous les halles.
163Rajoutons un nom, jamais cité dans les publications traitant des événements de Douarnenez et pourtant bien présent : Alfred Kurella, sous son pseudonyme d’Alfred Bernard. Alors âgé de 29 ans, allemand, il rencontre Lénine en 1919 et sillonne ensuite l’Europe centrale pour aider à la mise sur pied de jeunesses communistes. Il séjourne à Vienne, à Berlin, puis, à partir de 1924, à Paris, où il crée la première école centrale de cadres du parti communiste. Il mène, par la suite, carrière à Moscou puis en Allemagne de l’Est, devenant même personnalité culturelle importante. Lui aussi vient à Douarnenez, attiré par cette grève de la misère qui mobilise tant le jeune mouvement communiste.
164À l’issue du conflit, Renoult et Simonin rédigent un opuscule publié par la Librairie de L’Humanité18 et diffusé dans toute la France. Ils y développent les clés du succès et font de la grève de Douarnenez un exemple que chaque communiste doit connaître. « Dans cette lutte si compliquée, semée d’événements dramatiques, le comité de grève ne cessa jamais de penser aux sous, à la bouchée de pain qu’il fallait à tout prix arracher. C’est là le secret de la victoire »… « On n’a jamais pensé “faire la révolution”, mais à gagner, sur un terrain bien délimité. » Les buts étaient concrets, les revendications immédiates.
165Mais Renoult et Simonin vont plus loin :
« Le comité de grève fut un véritable soviet, dirigeant toute la ville pour le bien du mouvement ouvrier. En Russie, en 1905, ce sont les comités de grève qui donnèrent naissance aux soviets. La petite expérience de Douarnenez a sa valeur et doit être retenue pour le jour où nous serons en présence d’un mouvement général, en France. »
166La force des grèves de Douarnenez tient en des mots simples exprimés par les femmes d’usine : « C’était le besoin. » Renoult et Simonin le développent :
« Douarnenez est la grève des travailleurs les plus mal payés de France, effort des attardés pour rattraper, sur la dure route, ceux qui, depuis longtemps, avaient atteint d’autres étapes. […] On peut soutenir que la grève de Douarnenez égale ou dépasse la grève de la verrerie d’Albi, celle des cordonniers de Fougères… elle marque, pour une région, pour une race, une date historique. Douarnenez, première levée du vieux peuple breton, qui réclame accès aux salaires normaux, aux conditions de vie moderne, à la civilisation ! Voilà ce qu’il fallait comprendre et qui a été compris. »
167Les événements de 1924-1925 vont ainsi prendre une dimension symbolique, tant les éléments fondateurs d’une saga coexistent : filles ou femmes d’usine, proches de la misère, face à un patronat intransigeant ; joie de la rue et du nombre, force de la jeunesse, face à un syndicat patronal replié sur lui-même ; émotion, événements dramatiques, sang et larmes, sans lesquels il n’est pas de mythe possible.
168À ce terreau fécond s’ajoute une organisation adaptée. Charles Tillon le développe dans On chantait rouge : « La grève a tenu parce que toutes les décisions étaient prises par le comité de grève… Et ce n’était pas le syndicat qui le nommait. Il le faisait nommer par la foule des grévistes. Là réside le secret du succès. Nous avons réellement écarté tout ce qui pouvait diviser les grévistes. Toutes allaient à la messe. » (Tillon, 1977.)
169Une revendication simple, comprise et acceptée par tous. Une organisation où place est laissée à l’initiative locale.
170À l’esprit local, plutôt. À l’Assemblée nationale, Jadé, député du Finistère, rapporte que « Mme Lucie Colliard s’étant laissée aller à faire de l’anticléricalisme au cours d’une réunion, une petite ouvrière sardinière lui dit : “Ne touchez pas à la religion, madame, parce que si je suis gréviste, je suis Enfant de Marie.” » Chacun rappelle cette presque image d’Épinal de la carte du syndicat marquant les pages du missel…
171« Il y avait un meeting aux halles, allez, on chantait : “C’est la lutte…” Il y avait quelque chose à l’église ? On allait toutes à l’église chanter : “Je suis chrétien, voilà ma gloire”… C’étaient les mêmes ! Toutes les femmes allaient à la messe. Toutes les femmes allaient aux meetings. C’est la vérité ! » (Martin, 1994.) Les « Parisiens » de passage ne remettent pas en cause ces particularismes locaux : « Les militants qui venaient de Paris se moquaient bien de leurs sections ou de leurs cellules à ce moment-là, ils prenaient l’air19. »
172La grève a tenu, enfin, en raison de la formidable solidarité. De toute la France, des aides financières ont permis de nourrir Douarnenez. Chaque jour, en décembre, de deux mille à deux mille deux cents repas complets sont servis. À partir du 27 décembre, les lundis, mercredis et vendredis, des vivres à emporter sont distribués. Et cela, grâce aux souscriptions des quotidiens, aux aides des syndicats, aux mobilisations multiples. « La grève, on en parlait tous les jours, en Bretagne, puis toute la France en parla… Tant la grève de la misère serrait le cœur20. »
173Enfin, ajoutant du sang aux larmes, il y eut « l’assassinat ». Et là, la messe fut dite, inventant à l’occasion, une victime, « Flanchec », devenant symbole. Lui, le maire, ceint de son écharpe, assassiné par des « apaches ». Le dragon tentant de terrasser la justice. Elle se relèvera…
174Les lendemains de la grève de Douarnenez chantent de bien diverses manières. Charles Tillon revient vivre à Douarnenez. De là, pour le syndicat, il entreprend une mission sur l’ensemble du littoral breton. Aux élections municipales, qui plébiscitent Le Flanchec et les communistes, il est élu, puis invalidé, avec Joséphine Pencalet, veuve de marin. Cette élection est exemplaire et place, de nouveau, Douarnenez à la une de l’actualité nationale. Dix femmes sont élues, en France, lors de ces municipales des 3 et 10 mai 1925. Elles sont les dix premières. La Bretagne Communiste salue l’événement par un titre en première page : « Nous saluons le nom de Marthe Tesson, à Bobigny, bravo Clamamus ! Et de Joséphine Pencalet, à Douarnenez, bravo Le Flanchec21 ! » Ainsi, dans ce vaste mouvement engagé dès le xixe siècle en vue de la participation des femmes à la vie démocratique de la Nation, Douarnenez, ville humble et ouvrière, a joué un rôle de pionnière. Grèves des femmes en 1905 ou 1924, élection d’une femme en 1925.
175Joséphine Pencalet est l’une des très actives responsables syndicales du conflit passé. Elle est veuve d’un marin, Le Ray. Pour Charles Tillon, le problème ne fut pas de la faire élire, « mais de trouver une citoyenne qui consentit à jouer les suffragettes, comme en Angleterre ! Pas un ménage n’accepta le sacrifice. Seule, une avenante veuve, Joséphine Pencalet, se dévoua. Elle avait souvent tenu le drapeau rouge par les rues. Elle sut se moquer des menaces du préfet, trinquer avec les pêcheurs et rembarrer les blagueurs… » (Tillon, 1977.) Avant d’être invalidée, Joséphine Pencalet participe à six conseils municipaux, dont les délibérations n’ont jamais été remises en cause…
176Notons qu’à ces municipales de 1925, vingt et un élus, sur les vingt-sept qui composent le conseil, travaillent sur le port, dont dix-neuf marins…
177Notons encore un phénomène intéressant, débusqué au hasard d’une anecdote. Un des arguments développés par les adversaires de Le Flanchec mérite en effet d’être cité. Le reproche lui est formulé de ne pas être originaire de Douarnenez. On parle, sur une affiche, du « laissé pour compte de Lambé22 » (Lucas, 1975). Sa réponse est significative de l’époque, quand l’identité se forge davantage au sein d’une classe sociale ou d’un parti politique que dans les lieux de vie partagés. Communiste avant d’être Landernéen ou Douarneniste, Le Flanchec répond : « Ils disent : pas d’étrangers à la mairie. Tas de farceurs, alors que le recteur, le percepteur, le receveur, les mareyeurs et les voleurs sont soit de Saint-Thégonnec ou de Tombouctou, mais défendent l’intérêt de leur classe et nous autres, le nôtre23… »
178En octobre, une tentative de grève est lancée dans les entreprises contre la guerre du Maroc. Tentative plus politique que le mouvement de novembre 1924. Trop, sans doute. Un premier échec. Puis, en octobre toujours, vient le procès des « assassins du premier janvier ». Devant douze jurés, douze léonards, aucun ouvrier, et des témoins malmenés, les « jaunes » sont acquittés. Qu’en serait-il advenu si Le Flanchec n’était pas revenu ? Devant ce jugement toute la gauche, les syndicats et même Ouest-Éclair s’indignent et s’indignent encore. Rien n’y fait.
179En 1926, le contrat de Douarnenez, après de nouvelles grèves, est signé à Concarneau.
180Des conserveurs quittent la région, s’installent au Maroc, en péninsule Ibérique. Le prix du poisson baisse. Ce qui avait été gagné par les femmes est alors perdu par leurs maris. Puis la pêche se modernise, le chalutage s’impose. La roue tourne.
181Charles Tillon est inculpé, une fois, deux fois, trois fois. Après le bagne, la prison. Bientôt la guerre et les FTP, qu’il crée et préside. Bientôt les ministères. Destinée d’homme. Destinée de roman. Comme celle de Le Flanchec, constamment réélu et adulé par les Douarnenistes, qui quitte le parti qu’il avait créé en Finistère, suit un court moment son ami Jacques Doriot, abat, à Douarnenez, le Front populaire, avant de tenter une synthèse originale, mélange de relents anarchistes, de soutiens radicaux, d’autoritarisme intransigeant et d’individualisme forcené. Tout au long de ses mandats, il confond caisses publiques et biens privés, pratiquant allégrement les prévarications de toutes sortes. Des décès douteux parsèment sa route, lui qui, borgne et entièrement tatoué, vit ses dernières années avec une authentique comtesse en chapeau. Sa dernière bravade est la plus belle : deux fois, il refuse de ramener le drapeau français, à l’arrivée des Allemands dans sa ville, le 20 juin 1940. Acte rarissime, d’une conscience, d’une volonté, d’un courage, aussi. Cette insoumission magnifique lui vaut évidemment destitution immédiate. Il fuit alors Douarnenez et vit près de Lannion avant d’être trahi par sa maîtresse, la comtesse, qui le vend aux nazis, par deux fois. Le Flanchec meurt dans des conditions atroces, à Buchenwald, où il est « accueilli » par ses anciens camarades de parti. Une destinée tragique, invraisemblable.
182Pour toujours, ou plutôt pour longtemps car en matière d’histoire et de mémoire il ne faut jurer de rien, les grèves de 1924 resteront les « grandes grèves ». Jamais mouvement social n’a, depuis, atteint cette ampleur exceptionnelle. Même le Front populaire n’a pas connu à Douarnenez intensité comparable. Loin s’en faut. Certes, quelques arrêts de travail, quelques grèves dans la conserve ou chez Ramp et Carnaud, les usines métallurgiques… Comme ailleurs, et dans le flot du mouvement national des augmentations salariales et la reconnaissance du droit syndical sont obtenus.
183Chez Ramp, pour prendre un exemple, le minimum horaire des mécaniciens est porté à 4,70 F, celui des manœuvres à 3 F et celui des femmes à 1,85 F, augmentés d’une prime au rendement. Le salaire des femmes est encore loin, bien loin, de celui des hommes… Les sanctions pour fait de grève sont annulées, et le travail reprend. Il faut dire qu’alors, les esprits se mobilisent autour du formidable conflit engagé par Le Flanchec contre ses anciens camarades… et passe le Front populaire.
184La mémoire collective organise, depuis, son œuvre de construction d’un mythe. Le Front populaire est événement important, c’est l’évidence, mais au Panthéon de Douarnenez, rien ne remplace les grèves de 24, les « grèves de la misère ».
Notes de bas de page
1 Archives notariales, étude de Maître Malette, Douarnenez.
2 Ibidem.
3 Jacques Masson est, en fait, le directeur général de la Compagnie générale d’alimentation des franches montagnes, présidée par M. Ducreux.
4 Archives départementales du Finistère. Série J, fonds Louis Hémon.
5 Ibidem. Louis Hémon, député du Finistère, a bâti un véritable dossier, riche de dizaines d’articles de presse, sur cette affaire. Sauf notation spécifique, tous les extraits qui suivent sont issus de ce fonds, déposé aux archives du Finistère.
6 Ouest-Éclair, le 8 juin 1909.
7 La Guerre sociale, le 8 janvier 1913.
8 L’Union agricole et maritime, le 16 juillet 1909.
9 Ibidem, le 25 juillet 1909.
10 Le Matin, le 20 juillet 1905.
11 Ibidem, le 16 juillet 1905.
12 Archives départementales du Finistère, 1 M 149.
13 Ibidem, 1 M 142.
14 Mémoire de la ville, n° 2, 1984, interview de Charles Tillon.
15 Archives départementales du Finistère, 10 M 55.
16 L’Humanité, le 15 janvier 1925.
17 Journal Officiel de la République Française, 16 janvier 1925.
18 Renoult et Simonin, La grève de Douarnenez, ses enseignements, son histoire, Librairie de L’Humanité, 1925.
19 Mémoire de la ville, n° 2, 1984, interview de Charles Tillon.
20 Ibidem.
21 La Bretagne Communiste, le 15 mai 1925.
22 Pour Lambézellec, commune proche de Brest, où Le Flanchec était précédemment installé.
23 Archives départementales du Finistère, 3 M 490.
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