Chapitre 6. Le village, les pouvoirs et les villageois
p. 287-348
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Index géographique : France
Texte intégral
1Les temps qui s’écoulèrent du xie au xiiie siècle furent incontestablement un âge seigneurial et paroissial. L’encadrement des hommes qui en résulta ne put rester sans influence sur leur habitat et le mouvement de réorganisation que nous avons vu se dessiner très tôt, mais s’accélérer alors, entretient obligatoirement des relations avec lui, reste à les identifier et à savoir quel fut le rôle respectif des deux principales formes de pouvoir. Ce chapitre voudrait essayer de le faire, ainsi s’éclaireraient, sans doute, la genèse et un certain nombre de traits adoptés par le regroupement très particulier qui se produit. Les puissants ont-ils délibérément tenté de rassembler pour contrôler ou n’ont-ils fait qu’accompagner un phénomène né sans eux ? Leur volonté ne paraît pas toujours claire. En d’autres termes, le projet aurait-il en partie échoué ou le but visait-il à d’autres formes de contrôle ? Le résultat n’aboutit pas à un regroupement général mais à une situation plutôt originale à laquelle la seigneurie et la paroisse ne sont pas étrangères.
2Discrets dans les sources mais présents, les villageois ne se limitent pas à subir et leur action s’affirme dans le village qu’ils habitent mais qu’ils ont aussi contribué à créer. Quelques bribes de leur vie et de leur rôle se laissent appréhender même si nous n’avons que la vision portée sur eux, peu amène et déformée au prisme de l’idéologie et des préjugés sociaux. Au travers de leur diversité se profilent des liens sociaux originaux qui ne se limitent pas à un individualisme vague et leur intervention dans un processus dont ils sont pleinement partie prenante.
L’encadrement paroissial
3Ce n’est que fort indirectement, presque par effraction, que la documentation pourtant abondante sur les églises et la paroisse aborde vraiment la vie religieuse. Il faut attendre le xiiie siècle pour découvrir des textes circonstanciés traitant de l’encadrement religieux des paroissiens Auparavant, l’église et ses annexes font une entrée remarquée dans les actes à l’occasion de la réforme grégorienne, plus exactement pour les très importants transferts qui s’effectuent au bénéfice des puissances ecclésiastiques. Il ne faudrait pas y voir une simple coïncidence, si les restitutions ne créent sans doute pas le village, elles jouent certainement un rôle de tout premier plan dans son affirmation.
L’impact de la réforme grégorienne
Les églises du xie siècle
4Les chartes de restitution permettent de se faire une idée du statut des églises paroissiales dans le courant du xie siècle. Fort divers, il ne peut se réduire à la formule rapide : « aux mains des laïcs »1. Il est évident que ces derniers détiennent beaucoup d’églises paroissiales et les véritables usurpations existent, sans qu’il soit toujours facile de les identifier. La confiscation violente de celle de Chahaigne par Geoffroy de Mayenne par droit de conquête est exceptionnellement documentée. Le prieuré de Marmoutier à Château-du-Loir l’avait obtenue de l’évêque Gervais, seigneur du même lieu, mais, venant s’installer à la Chartre, Geoffroy confisqua l’église pour la donner à l’un de ses fidèles, montrant ainsi, d’ailleurs, que celle-ci est un bien intégré à la seigneurie, susceptible de devenir un fief2. Dans beaucoup de cas, cependant, il s’agit d’un véritable bien familial. Hugues, seigneur de l’église de Bazouges, donne à Saint-Serge le sanctuaire bâti par ses ancêtres et plusieurs églises de haute-Bretagne sont aux mains de lignages étendus, provoquant d’ailleurs des situations complexes3. Les progrès de la mise en valeur provoquent aussi l’apparition de nombreux sanctuaires, chapelles et églises, dont bon nombre sont l’œuvre de laïcs. Foulques le Réchin offre ainsi à Saint-Serge, une église qu’il vient d’ériger sur sa terre avec les habitations qui commencent à apparaître4. La construction d’un sanctuaire répond aux besoins d’organiser les hommes autour d’un point de référence, symbole religieux nécessaire, dont l’aura s’accroît du prestige de reliques soigneusement recherchées5.
5Ces églises, au moins dans les textes précoces, n’agglomèrent encore pas ou peu de population. Le bâtiment et son cimetière établis au milieu de terres non construites ne manquent pas, pour autant, d’atouts que les bénéficiaires qui les recevront en don pourront faire fructifier. L’ensemble totalement intégré dans la seigneurie constitue déjà le pivot de tout un système de redevances et de prélèvements qui en font, l’évolution de la sensibilité religieuse relative aux sépultures aidant, un instrument possible de concentration ou tout au moins d’identification.
6L’église souvent donnée avec le cimetière, partiellement ou en entier, s’accompagne de droits divers souvent appelés droits de l’autel : altare. L’autel, en ce cas, devient une entité bien distincte de l’église elle-même. Un certain nombre de prélèvements et d’usages s’y rattachent : prémices des récoltes, offrandes plus ou moins définies, en particulier à l’occasion de certaines fêtes et casuel lié aux célébrations diverses. Les dîmes, dans la mesure où elles sont données, figurent alors ainsi que le presbiteratus, le pouvoir du curé et ses droits. Ce dernier contient aussi le fief presbytéral : une maison et des terres, souvent une mansura en Bretagne6. L’élément toujours cité est la sepultura, le droit de sépulture, dont la portée est déjà visiblement considérable. Vers 1050, à Saulges, une limite de quatre deniers est fixée mais pour la part du desservant, ce qui signifie que le donateur ne tient pas à se déssaisir de la totalité d’un droit rémunérateur mais, encore plus peut-être, signe d’une emprise d’où le caractère seigneurial n’est pas exclu7.
7Les formules de donation, pour variées qu’elles soient, reprennent les mêmes dispositions dont deux cas retenus permettent de se faire une idée. À la fin du xie siècle, l’église de Courdemanche est offerte à Saint-Vincent, avec le prebyteratus, les oblations, plus un manse de terre qui représente le fief presbytéral, un autre donateur ajoute les deux tiers du cimetière8. L’acte concernant Bouère développe une description exceptionnellement détaillée. Foulque de Bouère donna à Marmoutier l’église en 1062, précisant qu’il offrait :
« […] l’église de ce lieu construite en l’honneur de saint Cyr et sainte Julitte, exceptées deux parts du droit de sépulture et le tiers des prémices qu’il avait dans sa seigneurie et, à l’inverse, le tiers de toute l’oblation de 13 fêtes […] Néanmoins le tiers de l’oblation et des prémices de toute la paroisse appartient au fief du prêtre que lui-même a remis à notre pouvoir et, en même temps, la terre de l’autel, presque la moitié d’un bordage à Montaigulfe, la dîme d’une charrue de Foulque et la mansura dite de Chanteloup. Ainsi est constitué le fief du prêtre, sauf les autres oblations de toute l’année et les reliefs que coutumièrement le prêtre qui tient l’église a obtenu […] »9.
8L’ampleur du fief dit l’importance que pouvait prendre alors la fonction de curé dans une très vieille église, il est vrai, et de plus, située au centre d’une puissante seigneurie.
9Les paroisses sont déjà en nombre, et des liens se sont tissés avec les communautés humaines qui occupent les alentours. Les habitudes du culte se trouvent renforcées par les obligations de cadeaux, plus spécialement aux grandes fêtes qui attirent sans doute plus de monde, les prémices des récoltes qui établissent des rapports de plus en plus évidents avec le territoire et les droits de sépulture dont nous avons dit l’importance pour la définition de la communauté et de son espace. Une esquisse se dessine mais les conditions du moment annihilent en grande partie les effets qu’elle peut produire. Si dans un certain nombre de cas, l’église est donnée par un seul personnage, la totalité des droits, en règle générale, se disperse sur plusieurs têtes pour des raisons fort variées : les partages successoraux aussi bien que des concessions en fief. L’église, ses revenus et son cimetière voient s’additionner sur eux une gamme de pouvoirs divers qui expliquent d’ailleurs les nombreuses contestations. Les branches multiples de lignages détenant les églises bretonnes de Chasné ou Romazy subdivisent les droits tout comme les concessions de parties de cimetières à des chevaliers. Des participes se partagent celui de Tramel, dépendance de Combourg, tandis que des milites détiennent des plateae dans celui de Combourg même et Girois de Beaupréau a doté ses chevaliers de la sepultura de celui d’Andrezé10. Enfin, l’église de Montreuil, près de Vitré, est donnée à Saint-Serge, vers 1056-1082, en trois tiers : un par le curé, l’autre par son fils, le troisième par le seigneur. Les droits de chacun ne devaient guère être équivalents mais l’acte dit bien leur division11. En raison de tout cela, le cadre mis en place ne joue encore que faiblement et explique l’aspect étique de beaucoup de centres paroissiaux mais il va exprimer son efficacité grâce à la réforme grégorienne.
Les restitutions
10Le mouvement grégorien a fait l’objet de travaux suffisamment nombreux et approfondis pour en avoir une idée assez précise, au moins en ce qui concerne les restitutions, aspect fondamental pour notre étude12. Le terme restitution, conservé parce que d’usage traditionnel, ne convient que médiocrement. Beaucoup d’églises n’étaient pas usurpées et, bien souvent, l’acte de donation était soumis à des conditions relevant plus de la vente que de l’abandon. Outre les retours sprirituels compréhensibles, les retours en argent étaient très fréquents. Les premières manifestations se font sentir très tôt, sans qu’il soit toujours facile de déceler un souci de réforme. Dès les premières années du xie siècle, Guiddenock donne à Marmoutier le monastère de Gahard pour le reconstruire et le duc offre à la même abbaye un tiers de l’église de Servon13. Dans la première moitié du siècle, l’évêque du Mans, Gervais de Château-du-Loir, n’illustre sans doute pas l’idéal du prélat réformateur mais ne fait pas l’économie d’un certain zèle. Il faut attendre quand même son successeur, le moine angevin Vulgrin, pour que la réforme se développe vraiment. Dès 1050, le pape Léon IX met sur le siège pontifical de Nantes, l’un de ses proches, Airard qui introduit vigoureusement les principes réformateurs. Son départ forcé ne constitue cependant pas un échec puisque son successeur poursuit dans le même sens14. Dans la seconde moitié du xie siècle, l’arrivée de prélats réformateurs et l’impulsion vigoureuse des légats portent le mouvement à sa pleine intensité. En fait, des décalages aux conséquences importantes se décèlent. Si la Bretagne a connu tôt les prémices de la réforme, il faut attendre pour qu’elle s’épanouisse à Rennes, l’épiscopat de Marbode, au début du xiie (1093-1123), et à Dol, le plein xiiie. Le mouvement de donations des églises suivra ce rythme spécifique.
11Le transfert massif du contrôle de l’église accompagnée du cimetière et du presbiteratus modifie complètement les perspectives. Le mouvement se déploie dans le Maine dès la fin du xie siècle, il monte en puissance après 1060, culmine dans les années quatre-vingt-dix avec le passage du pape en 1096 au Mans et se termine pratiquement vers 1140. À Angers, les restitutions se déclenchent un peu plus tard et battent leur plein sous l’épiscopat d’Ulger (1125-1148) pour s’éteindre lentement par la suite. En Bretagne, les dons d’églises n’interviennent massivement qu’avec un évident retard. Dans les diocèses de Rennes, Dol et Saint-Malo, tout comme celui de Nantes, le courant est moins soutenu au xie siècle et trouve son apogée plus tard, encore que des chartes pour le Rennais et le Nantais fassent pencher pour un début assez précoce. En basse-Bretagne bien des indices montrent des actes tardifs, souvent de la première moitié du xiiie siècle, pour les diocèses de Saint-Brieuc et Quimper.
Les conséquences de la réforme
12Au cours du processus qui se déploie quand même sur pratiquement deux siècles, la façon de concevoir la paroisse a sensiblement évolué. Au départ, cette structure religieuse présente tous les traits d’une dépendance seigneuriale y compris pour l’autorité épiscopale comme le montre J. Avril pour le diocèse d’Angers. Progressivement, la spécificité religieuse apparaît au premier plan, déterminant ainsi une relation sans doute différente entre les paroissiens et l’entité religieuse. De façon beaucoup plus nette, la mainmise des autorités ecclésiastiques change considérablement les données.
13Très majoritairement, les églises paroissiales passent aux mains des moines. De véritables empires monastiques voient ainsi le jour, évêques et chapitres devant se contenter d’une part réduite, sauf exception. Dans le diocèse du Mans, pour 368 églises confiées à des ordres religieux, on n’en compte que 33 pour l’évêque et son chapitre, la différence est écrasante. La consultation des pouillés du xve siècle atténue cependant le déséquilibre puisque 170 paroisses sont alors à la présentation de l’évêque et du chapitre pour 384 à celle de religieux. À Angers, la domination monastique se fait moins forte, l’influence de l’évêque Ulger venant contrebalancer les puissantes abbayes. Le chapitre et l’évêque ne s’attribuent cependant que 60 paroisses quand les religieux en détiennent plus de 300. Le rapport change en Bretagne et de plus en plus à mesure que l’on progresse vers l’ouest. À Rennes, le patronat épiscopal à la fin du Moyen Âge atteint le tiers des paroisses, mais les 2/5e à Saint-Malo, plus de la moitié à Dol et la très grande majorité à Saint-Brieuc et Quimper. Le retard pris par les restitutions et la faiblesse de l’encadrement monastique expliquent la préférence pour l’évêque.
14Ce constat purement arithmétique ne rend cependant pas complètement compte de la réalité des pouvoirs. Même dans les diocèses où dominent les religieux, l’évêque ne disparaît pas. Le prélat retrouve une autorité qu’il ne possédait plus sur les paroisses et même quand il en donne lui-même à un monastère, il n’abdique pas tout pouvoir. Dans nombre de cas, don ou vente, il occupe la place d’intermédiaire et il garantit de son autorité. L’évêque de Nantes, Airard, rappelle que Marmoutier pourra jouir de l’église de Béré à condition de verser à l’Eglise de Nantes « à la fête des apôtres Pierre et Paul deux deniers de l’or le plus pur… en reconnaissance de son droit et à titre de cens »15. Ailleurs, se trouvent mentionnés très régulièrement les droits de synode et de circata (visite) ainsi que de relevamentum (relief)16. Bien entendu, les abbayes se taillent la part du lion. C’est par dizaines que Marmoutier, Saint-Serge ou Saint-Vincent possèdent des églises17. Les vieilles maisons bénédictines viennent largement en tête et les grandes abbayes ligériennes, Marmoutier ou Saint-Florent, en particulier, rayonnent sur l’ensemble de l’Ouest, occupant une place de premier plan en Bretagne18. Une part beaucoup plus faible des paroisses échoit aux nouvelles fondations du xiie siècle, en particulier aux communautés de chanoines dont la pastorale s’affiche nettement comme un souci de premier plan. La Roë obtient ainsi la direction d’une soixantaine et Toussaint d’Angers, 2919. En Bretagne, le rôle des chanoines, non négligeable, n’a pas fait l’objet d’études approfondies, mais ils avaient une dizaine de maisons qui possédaient chacune quelques paroisses20.
15Sur place, les changements furent profonds mais sans doute pas brutaux. Le personnel ecclésiastique évolua peu à peu vers plus de dignité mais ce ne fut pas le souci primordial des nouveaux maîtres bénédictins. En ce qui concerne la réalité villageoise, la paroisse se trouva renforcée de manière indubitable. Même si cela prit du temps – les donations partielles, les confirmations et les contestations ralentirent les choses – elle se retrouva sous une autorité unique. La perception des droits, mises à part les dîmes, fut beaucoup plus centralisée et le cimetière ne fut plus aux mains d’une poignée de gens différents. Progressivement, se fit jour aussi dans l’esprit des autorités ecclésiastiques le souci de mieux cerner et affirmer la réalité paroissiale pour mieux encadrer les chrétiens. On comprend ainsi le souci de délimiter le territoire, de définir le cimetière dans son étendue et ses droits. Par ailleurs, le centre paroissial acquiert une autorité beaucoup mieux affirmée. Le pôle religieux reçoit plus de visibilité et donc d’attraction. Fréquemment, la reconstruction d’un édifice en pierre plus digne et plus imposant est la condition première de la donation mais en même temps, la réforme grégorienne coïncide avec les deux phénomènes des prieurés et des bourgs21. Le constat établi depuis longtemps par E. Zadora-Rio pour l’Anjou peut s’étendre à l’ensemble de l’Ouest. Non seulement la restitution d’églises, la fondation de prieurés et de bourgs affichent des chronologies sensiblement proches mais, bien fréquemment, elles figurent dans le même acte, se présentant comme trois aspects de la même opération. S’il n’est pas exclu que les moines aient pu solliciter dans certains cas la générosité, la volonté seigneuriale, celle de détenteurs du ban, se trouve à la source de ces fondations. La renonciation à l’église s’intègre dans un ensemble souvent complexe et non dénué d’intérêt pour le donateur. En installant un prieuré et un bourg, il crée un pôle attractif, et, s’il renonce aux revenus de l’église, il gagne des hommes nouveaux qui seront soumis aux coutumes dont il ne s’est pas dépouillé entièrement. Le calcul n’est guère économique, vision trop étrangère à un dominus des xie ou xiie siècle, mais elle est politique, il s’agit pour lui de renforcer son emprise.
16L’Église, abonde dans son sens mais pour d’autres raisons. La réforme grégorienne déclenche une évidente volonté de distinguer le domaine ecclésiastique et de renforcer l’encadrement. Le centre paroissial bénéficie d’une attention privilégiée au détriment des autres lieux de culte. À la fin du xie et au xiie siècle, s’affiche le net souci de réserver les droits paroissiaux à l’église-mère et de brider les velléités des chapelles secondaires, d’où les refus de bénir des cimetières, les restrictions des actes du culte, voire des suppressions. Outre les chapelles de prieuré, celles de château sont étroitement contrôlées. Leur création soumise désormais à l’agrément épiscopal suppose le respect d’engagements stricts : limitation du service liturgique et parfois même interdiction de recevoir des paroissiens comme à Champtocé et Villegué au diocèse d’Angers22. La distinction ecclesia, capella devient plus rigoureuse et il est alors logique que la parrochia devienne le centre de référence, le jus parrochiale affirme sa prééminence au xiie siècle. En ce sens, la réforme se présente comme un maillon essentiel dans la définition et l’affirmation du village, elle caractérise désormais beaucoup mieux, le centre et les hameaux et permet l’affirmation d’une polarisation.
Le souci pastoral et ses conséquences au xiiie siècle
17Par la suite, l’Église va favoriser la cohésion en tissant tout un réseau qui organise l’ensemble des villageois désormais confondus avec les paroissiens. Au xiiie siècle, un souci de plus en plus évident se manifeste afin de bien intégrer tous les hommes dans la trame de la structure paroissiale et de préciser de mieux en mieux l’encadrement. Les statuts synodaux de l’Ouest inspirés de ceux d’Études de Sully à Paris apparaissent sous une première forme à Angers en 1224 puis sont adoptés par tous les diocèses avec peu de variantes, les évêques de la province de Tours les ayant élaborés ensemble23. Un rôle nouveau y est dévolu au curé. Outre les recommandations évidentes de bonnes mœurs et de piété, le synodal brosse de lui un portrait très neuf. Il se distingue nettement de ses ouailles pour qui il doit devenir une référence et un guide. Profondément respectable, cultivant l’honestas, il n’est plus seulement l’individu important chargé des relations avec le sacré mais aussi celui qui instruit, dirige et contrôle, un personnage essentiel dans la vie du village, l’animation de la vie communautaire et sa direction. Il s’occupe de tous les gestes du culte mais, en plus, il doit instruire les enfants des vérités de la Foi, aussi le synodal lui fournit-il un petit commentaire du credo. Il veille à la moralité et surveille donc le tavernier, fait respecter la dignité du sanctuaire et du cimetière, ce qui rompt passablement avec les habitudes. Surtout, il est l’unique dispensateur des sacrements pour ses paroissiens qui ne peuvent avoir affaire qu’à lui. Par ce biais, il veille sur les mariages, accompagne les mourants, rien de la vie du village ne doit lui échapper. Il doit même servir de relais pour la justice d’Église et rappeler les excommunications.
18Un tel programme relève de l’idéal, surtout quand on sait le niveau modeste de formation de bien des curés24. Reconnaissons cependant que, malgré les critiques de censeurs acerbes comme Adam de Perseigne et des cas d’indignité évidente, les situations scandaleuses ont disparu. L’enquête de 1245 sur les droits du chapitre du Mans voit intervenir certains des curés nommés par ce dernier, la plupart sont issus du clergé de la cathédrale et jouissent d’une honnête formation intellectuelle, suffisante pour les rendre aptes à remplir correctement leur fonction25.
19En conséquence, le curé tend à moins s’intégrer dans la population villageoise mais il devient de plus en plus un personnage pivot, emblématique du village et de la communauté. En même temps, il est de mieux en mieux relié à l’autorité épiscopale. Les évêques n’ont pas récupéré le patronat des paroisses mais ils contrôlent plus ou moins bien le recrutement et exigent du candidat un serment de fidélité et surtout des liens réguliers s’établissent par les réunions synodales qui, deux fois par an, réunissent le clergé diocésain autour de son chef. Le fait bien attesté au Mans doit se répéter dans les autres diocèses. De plus, archidiacres et doyens assurent une autorité plus proche, relayant l’évêque qui demeure encore loin de la vie du simple paroissien.
20Pour ce dernier, la paroisse offre un lieu de sociabilité par excellence. Les obligations du culte, la messe dominicale en particulier, dépassent le simple rôle religieux pour devenir un élément essentiel de la vie communautaire. La messe c’est la communauté entière réunie pour honorer Dieu mais c’est aussi se retrouver et éventuellement régler quelques affaires, importantes ou pas. Cette unité, s’établit dans la sépulture dans le cimetière, désormais unique espace consacré au repos des morts de la communauté. Bien plus, c’est par une manifestation religieuse que s’affirme l’unité de la paroisse et nous avons évoqué les cas de chapelles secondaires dont les usagers doivent se rendre aux grandes fêtes à l’église-mère comme à Trimer, éventuellement en procession.
21La paroisse s’exprime aussi dans un ensemble d’obligations et de taxes qui contribuent à organiser la vie. Les textes évoquent fréquemment tous ces prélèvements désormais codifiés. Il n’est pas habituel de découvrir une liste complète, les mentions provenant de conflits ou de dons ne portant que sur l’un d’entre eux, bien souvent la dîme. Aussi, la sentence de l’évêque de Saint-Brieuc rappelant les obligations des paroissiens de la petite paroisse de Bréhand prend-elle tout son relief. Malgré quelques particularités liées à la Bretagne, le tableau qui en émane traduit bien la situation commune des paroisses rurales. En 1220, les villageois doivent les dîmes de toutes leurs récoltes, céréales et produits du jardin tout comme celle des animaux et elles seront versées à l’occasion des grandes fêtes. Lors de la confession pascale, sera remise l’offrande de la Pentecôte pour la cathédrale, le lendemain de Noël, un pain sera donné et, pour leur purification, les femmes donneront un cierge d’un denier. Lors d’un mariage, le marié versera 13 deniers plus une offrande et les assistants donneront ce qu’ils voudront. De plus, sera versé le droit de past soit 12 deniers26. Des offrandes seront faites lors des baptêmes et de l’extrême-onction. Enfin, est exigé le droit détesté du tierçage, prélèvement d’un tiers des biens mobiliers d’un défunt intestat27. On le voit, la paroisse encadre tous les grands moments de la vie, la structure est bien présente pour contrôler mais aussi organiser la vie religieuse et sociale.
22Les dîmes passent alors seulement aux mains des ecclésiastiques. Elles n’avaient fait l’objet, jusque-là, que de transferts limités. Une grande offensive est lancée et, plus que de dons, il s’agit souvent d’achats. Le meilleur exemple étant offert, sans doute, par le chapitre de la cathédrale du Mans qui se livre alors à une campagne systématique d’acquisitions, n’hésitant pas à dépenser de fortes sommes28. Là aussi, la dîme, perçue par l’Église et de façon plus unifiée contribue à concrétiser le territoire paroissial et à rendre plus sensible l’identité communautaire, d’autant plus que ce sont les curés qui prennent souvent à ferme la levée de ces redevances.
23Sur de multiples aspects, aussi bien matériels que spirituels et psychologiques, les autorités religieuses, en voulant enraciner au mieux les hommes dans le christianisme, ont favorisé le développement du village, tant par le regroupement autour du pôle religieux que par la prise de conscience de la communauté formée par la paroisse. Sans projeter les mêmes buts, elles rencontrent cependant la volonté seigneuriale.
L’encellulement seigneurial
24Réunir les hommes pour mieux les dominer, la formule ne manque pas de pertinence mais simplifie les faits. La question de la seigneurie a été repensée par D. Barthélemy qui, à la place d’un modèle mutationniste, d’ailleurs modéré chez les historiens de l’Ouest, propose une lecture beaucoup plus continue de l’évolution mais ne lie pas vraiment la question du village à sa lecture de la société, n’excluant pas un regroupement des habitats autour de l’église développé à partir du xie siècle29. Une certaine congregatio hominum se produit bien mais dans quelle mesure coïncide-t-elle avec l’extension du système seigneurial qui encadre la société et celui-ci, qui en profite, en est-il l’initiateur ? Si l’on soupçonne, dès l’abord, une implication seigneuriale dans le regroupement des hommes, il faut s’interroger beaucoup plus précisément sur l’interférence avec le village. La seigneurie ne recoupe pas obligatoirement la réalité villageoise et, de toute façon, tous les hommes ne se rassemblent pas, ce qui soulève la question de la portée de l’encadrement social mis en place. La dispersion en grande partie maintenue peut-elle être alors interprétée comme l’absence de cet aspect de l’encellulement ou son échec ?
La seigneurie et le cadre du village
25L’étude du finage a montré les distorsions fortes qui peuvent séparer village et seigneurie mais aussi les cas fort nombreux de recoupement et même de totale adéquation. De multiples notations manifestent que cette dernière ne se limite pas à une identité d’espace mais que les manifestations du pouvoir qui découlent de la seigneurie, jouent un rôle non négligeable dans la constitution du village et la cohésion de la communauté humaine. Dès le xie siècle, de nombreux domini portent le nom d’une paroisse. Leur autorité banale peut s’étendre au-delà mais il y a un fort indice d’identification. Dans la plupart des cas, il s’agit de seigneurs châtelains et nous tenons là des cas peu fréquents mais réels d’incastellamento. Autour du seigneur de Laval, gravite une série de familles commandant des châteaux, centres de seigneuries. Les Entrammes, Bouère ou Anthenaise appartiennent à cette catégorie mais rien n’indique dans le premier cas que le château était au cœur de l’habitat ce qui se vérifie pour les autres30. Près de Rennes, la famille d’Acigné, citée aussi dès le xie siècle, occupe une forte motte dans la paroisse dont elle porte le nom31. Certaines familles de milites qui peuvent éventuellement porter tardivement le titre seigneurial se rencontrent aussi. L’absence du titre laisse penser que la désignation peut n’être alors qu’à caractère géographique, ce qui n’est pas absolument certain. Les Saint-Berthevin, particulièrement puissants et implantés au moins dès le xe siècle ne se disent pas domini. En fait, malgré la détention d’un certain nombre de coutumes, ils sont victimes de leur trop grande proximité avec les seigneurs de Laval qui les ont vassalisés et, parmi les proceres qui forment la cour seigneuriale de Laval lors d’un plaid, trois portent le nom d’une paroisse : Foulque de la Cropte, Foulque du Bignon et Lisiard d’Arquenay32.
26Quelques cas s’inscrivent dans une continuité remarquable, au moins du cadre, car il n’est pas aisé de trancher en ce qui concerne la réalité d’un regroupement. Une charte énumérant les différents possesseurs de la terre de Champagné-sur-Sarthe devenue prieuré de Saint-Aubin permet de reconstituer l’histoire depuis la fin du xe siècle. Ce fut d’abord une curtis donnée par le comte d’Anjou. Elle fut partagée par son bénéficiaire au profit de deux de ses chevaliers. On discerne alors, un domaine avec réserve. Une église apparaît et des vasvassores, le tout étant donné à Saint-Aubin. Un véritable village avec bourg est cité à la fin du xie siècle. La curtis donnée en fief est devenue village mais le domaine initial en constitua vraisemblablement le noyau33.
27En Bretagne, quelques indices ont permis à N.-Y. Tonnerre d’établir une filiation entre les machtierns qui dirigent les communautés pendant le haut-Moyen Âge en jouissant de droits à caractère régalien et certains seigneurs de village du xie siècle. Il constate même la survivance de certaines circonscriptions machtiernales dans des seigneuries. Ruffiac où apparaissait un machtiern devient une seigneurie. Non loin de là, à Sixt-sur-Aff, des donateurs, en 1037, portent les mêmes noms que les machtierns antérieurs, peut-on y voir l’origine de la famille qui, au xiie siècle, portera aussi le nom de la paroisse34. Par ailleurs, de rares mentions de machtierns ou de principes plebis, voire de tyranni, tous termes désignant le même personnage à l’époque carolingienne, signalent encore leur survivance au début du xie siècle, certains étant maîtres de paroisses. Bien sûr, leurs pouvoirs ne sont pas les mêmes et une évolution s’est certainement dessinée. Toute généralisation à partir d’éléments trop minces serait dangereuse, néanmoins, une piste s’ouvre, au moins en ce qui concerne l’origine de certaines seigneuries de village. Celles-ci se multiplient sans doute à la fin du xiie siècle mais beaucoup de seigneurs sont installés dans une position éminente dans les villages dès le xie ou le début du xiie siècle.
28En conséquence, assez souvent mais sans doute de plus en plus, la seigneurie établit son organisation et ses perceptions en fonction du village constitué en paroisse. Le fait n’est pas général et surtout nécessite un processus qui se développe dans le temps. Les conditions de l’habitat ne sont pas non plus sans influence. La recension des coutumes perçues à Tinteniac vers 1060 adopte le cadre du hameau. Il faut reconnaître qu’à cette époque, il s’agit d’une énorme paroisse primitive qui ne va pas tarder à se scinder. Le recueil décline successivement les droits pour Tramel, Pregnabat, Trama- chel, Treslagal, Lisucen etc.35. D’autres cas fort nombreux pourraient être présentés et pas seulement en Bretagne. Quand de telles mentions sont relevées tardivement, elles révèlent la forte présence des hameaux mais cela peut aussi s’interpréter comme une adaptation à la situation pour une meilleure efficacité. Maintes fois, la seigneurie épouse la paroisse et calque sur elle ses structures qui vont ainsi conforter le réseau des liens qui encadrent les hommes mais qui aussi les constituent en groupe organisé.
29Cependant, malgré l’incontestable influence seigneuriale, le château et la simple motte ne sont que des agents finalement secondaires de la réunion des hommes. Il faut distinguer. Le château né au xie siècle et siège d’un seigneur banal a systématiquement un rapport avec un habitat. Château et bourg castral échappent néanmoins au monde du village. Sauf un certain nombre de cas non négligeables quand même, l’incastellamento de l’Ouest concerne d’abord les petites villes naissantes. L’histoire de Castennec vient cependant illustrer l’impact castral sur un site qu’il est difficile de qualifier d’urbain. Sur un éperon protégé par le Blavet et dont l’intérêt n’avait pas échappé aux populations protohistoriques puis gallo-romaines, un château vint s’installer et, sans regrouper totalement la population, provoqua un mouvement qui vit la création d’un petit bourg et de trois prieurés dispersés aux alentours. Sans réussir pleinement, la congregatio hominum a incontestablement atténué la dispersion antérieure et pouvait donner naissance à une petite agglomération. L’abandon du château par Alain de Porhoët pour Rohan, au début du xiie siècle, provoqua la décadence et la quasi disparition de ce rassemblement humain36.
30La position sociale des maîtres varie donc du puissant détenteur du ban à un simple chevalier fieffé, le seigneur n’est souvent, quand même, qu’un personnage modeste qui adopte le titre de dominus tardivement dans le cours du xiie siècle et qui dispose d’une motte ou d’une maison forte. Son rapport à l’habitat villageois, sans être inexistant, ne possède évidemment pas la même force que les châteaux. Cela n’interdit pas cependant de faire peser le ban et les coutumes sur le village. L’encellulement, sans l’exiger absolument, ne peut qu’encourager, sinon provoquer, le regroupement des hommes.
La force des coutumes
31Le pouvoir de rassembler tient donc largement plus à l’aspect banal de la seigneurie qu’à son aspect foncier. Même si les deux s’additionnent souvent, les seigneurs uniquement détenteurs de droits fonciers n’accèdent guère au commandement des villages. L’examen des coutumes peut donc fournir un moyen de compréhension du mécanisme de domination. Il ne s’agit pas de dresser un tableau complet des droits, consuetudines et autres exactiones mais bien plutôt de tenter de discerner dans quelle mesure ils ont pu favoriser la réunion des hommes, volontairement ou pas. Si la seigneurie banale domine les hommes, elle aurait un intérêt évident à les regrouper pour mieux les contrôler et les exploiter. La réponse n’autorise pas, en fait, une conclusion aussi tranchée.
Les coutumes et le village
32Les coutumes suscitent un premier effet qui crée des conditions favorables au rassemblement. Sous le même maître, les statuts et conditions évoluent vers une certaine uniformisation, la coutume a un effet égalisateur qu’il ne faut cependant pas s’exagérer sous peine de percevoir la population villageoise comme une masse indifférenciée et plus ou moins égalitaire ce qui s’avère, nous le verrons, quelque peu simplificateur et erroné. L’encellulement étroit des dépendants se développe sans que se crée obligatoirement le village, mais le réseau serré de liens ainsi établi y pousse indubitablement.
33Les obligations à caractère militaire et défensif ne font qu’une apparition discrète. Quelques textes évoquent des églises ou cimetières plus ou moins bien défendus par un fossé mais cela n’a rien de systématique et relèverait de l’exception. Quelques talus et fossés ne transforment pas les villages de l’Ouest en castra, par contre, malgré les dénégations de R. Latouche, les bourgs castraux s’intègrent sans surprise dans le système de défense du château. Les moines de Bazougers en refusant de fortifier le leur s’opposent, en fait, à une pratique courante que veut faire respecter le seigneur du lieu37. Non loin de là, à Bouère, la fortification du bourg est reconnue sans problème. En fait, les bourgs castraux bâtis par les seigneurs étaient fortifiés, pour les autres, la situation pouvait varier et les bourgs ruraux devaient ignorer, pour la plupart, les travaux de défense. Les bourgs des religieux échappent généralement aux obligations militaires avec des nuances, suivant les cas, mais il y avait là un avantage que ne possédaient pas les bourgs des seigneurs laïques. Le prieuré de Gahard qui n’a pas de bourg mais jouit de privilèges importants, se fait confirmer en 1216, par le duc de Bretagne, l’exemption ancienne de ses hommes à l’égard du service militaire, signe que de simples villages n’étaient pas exclus de ces charges38.
34En fait, dans tout l’Ouest, la moindre énumération de droits fait apparaître en position privilégiée la vicaria qui peut adopter, par la suite, une série de variantes : villicatio, villicaria sans que le contenu connaisse de grand changement. Vers 1046-1049, Geoffroy Martel donne à Saint-Serge ses droits sur Saint-Melaine, la vicaria se place en tête et se dégage, « Sur tout le territoire appartenant à Saint-Melaine, toute la vicaria, le bian et toutes les coutumes sauf le feurre et la levée générale ». À la même époque, l’évêque Hubert remet à Saint-Serge les droits qu’il peut détenir sur les terres du monastère et il énumère : « la vicaria et toutes les coutumes »39. Globalement l’analyse de B. Lemesle qui voit dans la vicaria, l’ensemble de la justice, mais qui se divise éventuellement, peut se généraliser à l’ensemble de l’espace étudié. L’importance de ce droit qui semble exprimer l’essence même du ban le fait donc figurer à part dans l’évocation des formes du pouvoir, d’autant plus que la justice constitue sans doute l’expression la plus manifeste et la plus achevée du pouvoir40. Profondément constitutive de la seigneurie, elle ne s’applique pas spécifiquement au village en tant que tel mais le jeu des donations et des exemptions fait souvent coïncider le droit de vicaria avec un bourg, par exemple, et l’exemption du territoire du cimetière contribue à accentuer l’intérêt qu’il présente. En fondant le prieuré de la Madeleine du Brossay, Bellay, seigneur de Montreuil, exempte la terre concédée pour établir le bourg : « il institua les hommes de sa terre et du bourg libres de toute coutume et vicaria » et Hugues de Juvardeil donnant le prieuré de Souvigné au Ronceray abandonne le bourg et sa vicaria41.
35De la même façon, les droits relatifs à la protection peuvent s’adapter au cadre villageois, d’autant plus qu’ils sont levés préférentiellement sur des groupes. La taille apparue dès la fin du xie siècle ne se généralise, en fait, qu’au xiie. Elle pèse sur des exploitations, des terres mais, très vite, le cadre des bourgs peut servir de référence comme cela semble se préciser au xiiie siècle, au moins pour des bourgs castraux comme Bouère, Chemillé42. La commendise, beaucoup plus rare, bien que citée très tôt, se rencontre surtout dans le Val de Loire et s’applique, elle aussi, à des groupes43. En 1049, Geoffroy Martel donne à la cathédrale d’Angers la commendise des habitants de Montfort près de Doué-la-Fontaine. Les villages appartenant à La Trinité de Vendôme connaissent cette protection par des seigneurs souvent de haut rang mais elle peut aussi être inféodée à de plus petits personnages. La commendise disparaît après 1150 mais elle a pu jouer un rôle important dans la congregatio hominum44. La communauté y gagne une relative sécurité favorable à l’installation d’habitants et il est notable que le prieuré de la Madeleine du Brossay qui incarne une tentative d’établir un noyau de peuplement reçoit la protection du vicomte de Thouars. Avec le temps, la commendise peut se rapprocher des franchises si rares dans l’Ouest sans se confondre pourtant avec elles45. Finalement, ces droits et coutumes liés à la protection favorisent éventuellement certains regroupements, en particulier par des exemptions, mais pas systématiquement, et l’impression se dégage plutôt que c’est la perception ou l’exercice de ces droits qui se calquent progressivement sur le village. Ils ne le font pas naître mais contribuent à son renforcement.
36Un domaine étroitement rattaché à l’exercice du ban, prend plus de relief, celui des droits économiques, cela se faisant plus visible dans les bourgs. Le contrôle des échanges économiques, peut amener à l’établissement de péages, points privilégiés pour développer un habitat et les sites de gué ou pont ont pu en retirer un surcroît d’avantages. Les droits de marché et de foire influent de façon très profonde sur l’organisation du peuplement : tous les marchés, et encore plus les foires, ne se placent pas systématiquement dans un site d’habitat mais le fait s’avère des plus fréquents et, si la création de ces lieux d’échanges peut se révéler bien antérieure à certains bourgs, il est incontestable que bien des bourgs en ont tiré un bénéfice non négligeable, voire essentiel. Cela est d’autant plus vrai que, pour certaines fondations, s’accumulent le péage, le marché et le droit de mesure dont l’usage accroît aussi l’influence de la bourgade. Geoffroy de Moutiers en donnant à Saint-Serge l’église de Gennes-sur-Seiche, ajoute sa part des ventes dans le cimetière et dans le bourg mais le moine résidant ne pourra établir une foire ou un marché sans son autorisation. Le bourg apparaît fortement lié aux échanges dont le contrôle demeure en main seigneuriale46. Dans le Maine, les décomptes de H. Miyamatsu identifient 52 localités hébergeant foires et marchés. 33 bourgs sont concernés dont un certain nombre sont castraux, ce qui tend à démontrer que le marché, au moins, mais aussi les foires, ne sont pas l’apanage des sites castraux47. En Anjou, la moitié des 31 marchés sont installés dans de simples villages, souvent des bourgs. De toute évidence, ces lieux d’échanges ont favorisé le regroupement des hommes, l’activité économique régulière était un facteur de développement. L’intérêt manifeste est révélé par la précision des règlements et des partages de droits rédigés essentiellement pour des bourgs castraux. L’enjeu était de première importance et, souvent, les seigneurs ne s’en séparaient que pour une part, préférant une division qui, si le bourg s’accroissait sous l’impulsion monastique, pouvait se révéler des plus fructueuses. Les renseignements concernant les villages modestes sont rares mais on y constate bien l’importance attachée au marché. Raoul de Montrevault, par exemple, donne un bourg mais se réserve le tonlieu et les coutumes du marché48. La restriction n’est pas toujours aussi manifeste mais s’établit souvent une partition des revenus de cette activité qui contribue à animer le bourg-centre.
37Les banalités jouent un rôle du même ordre, d’autant plus qu’elles sont instituées souvent pour équiper le village, même si elles sont conçues aussi comme un élément de l’encadrement. Certes, le moulin ne participe qu’assez modérément à la réunion des hommes, son emplacement étant, par définition, d’abord tributaire de la force hydraulique. Par contre, le four, sans doute moins fréquent mais présent dans bien des centres paroissiaux, se présente comme un élément plutôt indispensable que l’on érige au cœur de l’habitat créé ou envisagé. À Brigne, le bourg fondé dans le cimetière est aussitôt équipé d’un four dont le revenu sera partagé par les fondateurs et, si les habitants s’accroissent, un four uniquement aux moines sera construit. Dans ce cas, l’élément banal est délibérément conçu comme un atout pour le succès du bourg49.
38Il faut ajouter, le contrôle des terres du saltus et de la forêt. Les droits d’usage accordés avec plus ou moins de latitude mais moyennant versement de taxes diverses contribuent à fournir au noyau de peuplement le moyen de se développer. On ne peut concevoir un habitat sans les usages indispensables sur les landes et la forêt. La cueillette et surtout l’élevage s’ajoutent au bois, tant de chauffage que de construction. On comprend l’abondance des mentions et des conflits relatifs à l’exercice de ces droits et la moindre donation de bourg ne peut se concevoir sans un règlement à ce sujet.
39Nous constatons que taxes et droits tendent de plus en plus à s’instaurer dans le cadre paroissial, souci d’efficacité peut-être mais aussi constat grandissant de l’existence de cette réalité. Cela présente d’autant plus de facilité et d’intérêt que l’évolution de la seigneurie semble suivre globalement, durant le xiie siècle, une nette fiscalisation que perçoit D. Barthélemy dans le Vendômois. De nouvelles taxations, souvent en argent et plus régulières, installent une « nouvelle génération de consuetudines » qui s’appliquent préférentiellement dans un cadre paroissial50. Le résultat est un encellulement de plus en plus étroit qui s’appuie sur cette réalité. En 1072, les seigneurs de Combrée, en Anjou, établissent un partage de leurs droits avec les moines faisant apparaître une énumération instructive :
« […] et de tout le bourg et du cimetière pareillement les moines ont un tiers et les susdits seigneurs un tiers, de même pour le droit de sépulture, les droits de ventes, le cens, le péage, le pasnage, la prévôté, la voirie (vicaria) et toutes les coutumes […] »51.
40En plein xiiie siècle, la confusion des droits seigneuriaux et du cadre paroissial est acquise. Le duc de Bretagne donne, en 1221, à Alain, vicomte de Rohan, la paroisse de Mohon, « avec ses dépendances » (pertinenciis), la donation équivaut au don de droits seigneuriaux sur la paroisse d’autant plus que s’y ajoutent des droits d’usage en forêt et, à Plumaudan, certains droits sont expressément dits de la paroisse52. Il arrive donc qu’une coutume soit désignée comme celle du village. L’évolution s’est vite dessinée : une femme donnait, dès la fin du xie siècle, à Marmoutier, un moulin à Chauvigné « avec toute la moûte de toute la paroisse de Chauvigné », le ban du moulin s’identifiait déjà au territoire paroissial53.
41Il n’est pas exclu que la prolifération du titre seigneurial adopté par de petits lignages, souvent maîtres de villages, ait pu jouer un rôle en cela. La seigneurie de village prend, au xiie siècle, plus de force, peut-être parce que la petite chevalerie relâche ses liens avec les châteaux et renforce ses positions qui n’étaient pas inexistantes dans les villages, soit au centre, ce qui pourrait expliquer l’arrivée de certaines mottes, soit en périphérie vers les marges encore neuves où leur puissance pouvait se développer. On doit pouvoir découvrir bien des cas analogues à celui de Gautier de Souday dit l’Abbé. Ce vassal de Rotrou IV de Montfort, dit « dominus et miles », est seigneur du village dont il porte le nom mais n’est pas châtelain, habitant seulement, sans doute, une maison forte. Il partage la justice sur les hommes du village avec le prieur du lieu et ses droits semblent découler d’une ascension récente. Ses origines peu claires paraissent remonter à de simples chevaliers fieffés à Souday54. D. Barthélemy souligne avec raison pour ce groupe le renforcement de son pouvoir judiciaire qui relève en général de la moyenne justice et du poids des taxes qu’il perçoit55.
Le pouvoir au village
42Logiquement, l’exercice des droits et la perception des coutumes suscitent l’apparition d’un personnel divers. Beaucoup de ministériaux : sergents et autres prévôts évoluent dans une circonscription qui épouse délibérément le cadre paroissial. Ainsi se profilent un certain nombre de représentants du pouvoir seigneurial, maîtres de villages. Le cartulaire de Saint-Georges de Rennes contient un dossier particulièrement riche concernant la paroisse de Pleubihan, aujourd’hui dans les Côtes d’Armor. Avant 1040, le duc Alain III donne aux religieuses la paroisse entière qui se révèle être aussi une seigneurie à travers les détails énumérés
« […] avec toutes les coutumes qui nous y appartiennent, avec les cavaliers, et les vilains, avec la terre cultivée et la terre inculte, avec aussi les charrues et les bœufs ainsi que tout le pouvoir »56.
43Les coutumes, comme à Tinteniac, sont perçues selon un découpage de l’espace propre aux grandes paroisses bretonnes. À ces perceptions, servent de cadre au moins six treu ou tres, cantons découpés dans l’espace paroissial et qui pourraient être centrés sur des hameaux que l’on ne peut identifier aujourd’hui57. Un responsable unique assure cependant la représentation du pouvoir et il apparaît au grand jour à la faveur d’un conflit tout à fait classique en la personne de Gautier, le prévôt, à titre héréditaire, « [L’abbesse] lui concéda la préfecture de Pleubihan que tint son père »58.
44Le contenu d’un contrat met exceptionellement en lumière l’étendue de ses fonctions et de ses responsabilités qui le placent très au-dessus de la masse des villageois.
« […] Qu’il soit le défenseur et le protecteur de sa paroisse dans la fidélité à Saint-Georges et le très juste persécuteur des voleurs et des malfaiteurs ; le juge très équitable des accusés dans tous les plaids. Qu’il n’ait un droit de manger ou boire ou de faire des procès en dehors de sa juridiction »59.
45Si l’acte insiste sur les fonctions essentielles de maintien de l’ordre et de justice, on comprend bien qu’il est avant tout l’administrateur du village avec un large pouvoir. D’autres personnages, beaucoup plus discrets, paraissent ici ou là exercer leur charge dans le cadre paroissial. Dans le bourg de Locronan, vers 1031 et à Combrée en 1072, se rencontre un responsable, semble-t-il, comparable60. Si le perfectionnement de l’encellulement peut donc avoir des effets évidents, il ne vise pas vraiment à un regroupement systématique. Aussi faut-il poser la question de la volonté seigneuriale en ce domaine.
La volonté de regrouper ?
46Le développement des pôles d’habitat s’accentue au xie siècle, de pair avec l’affirmation de la seigneurie mais, si elle influe bien sûr l’organisation de l’habitat, dans quelle mesure s’agit-il d’une politique voulue et définie ou seulement de ses effets ? Nous connaissons mieux les actions ecclésiastiques mais ces dernières n’excluent pas une sollicitation laïque. La fondation de Brigne résulte d’une association entre deux seigneurs laïques et l’abbaye de La Couture, configuration que l’on ne manque pas de retrouver à maintes reprises61. En 1098-1106, Saint-Aubin obtient de Gaudin de Malicorne, une terre « située devant la porte de son château », pour éteindre une dette. Les moines y construisent un bourg, amorce de l’agglomération62. En règle générale, ce sont les plus puissants qui peuvent se lancer dans de telles entreprises ou tout au moins les contrôler. Si Gaudin de Malicorne appartient incontestablement à un lignage de haut rang, les deux donateurs de Brigne, Robert Chalopin et Hervé Garmerelle, affichent une bien moindre condition. Sur la terre qu’ils donnent, ils ne peuvent guère envisager que d’installer un four banal et ils doivent solliciter l’autorisation du caput dominus, Garsile du Bignon. Paroisse et seigneurie se rencontrent souvent et s’épaulent. Là se situe sans doute la clef pour comprendre les comportements. La mise en valeur n’intéresse guère les laïcs, surtout au début, ils l’abandonnent volontiers aux moines dont il ne faut d’ailleurs pas exagérer, non plus, les ambitions en ce domaine, mais la volonté d’exercer le ban peut déterminer des initiatives.
47Dès le xie siècle, les seigneurs titulaires du ban accompagnent au moins l’évolution ou l’encouragent et inscrivent leurs actes dans le mouvement de renforcement des centres, qu’ils soient castraux, ce qui n’étonne guère, ou simplement ecclésiaux, ce qui surprend plus. Le peuplement et même le lotissement des cimetières apparaissent fortement comme des initiatives seigneuriales. Le simple fait d’y trouver des chevaliers, sans parler de la résidence de certains seigneurs en atteste la preuve. Si la paix et certaines protections contribuent à attirer des habitants, dans beaucoup de cas, voire la totalité, la puissance seigneuriale se profile derrière et le phénomène de lotissement se rapproche alors du système des bourgs.
48La multiplication des bourgs, où l’initiative est en large partie seigneuriale a pour conséquence de rassembler des hommes souvent autour d’un pôle. Si dans certains cas, il s’agit d’entériner un état de fait ou de simplement encourager un mouvement qui se dessine, on ne peut ignorer l’aspect novateur de nombreux bourgs. Les créations en forêt ou sur des sites de défrichement envisagent une arrivée d’hommes, à moins que ne se précise aussi le souci de mieux fixer une population de pionniers, plus ou moins divagante et donc incontrôlable et à Frossay, on prévoît clairement une immigration locale63. Par la suite, les objectifs se compliquent, les fondations affichent ce souci de contrôler les hommes aussi bien que l’espace, c’est tout le sens de créations comme la Lande-Huan ou La Gravelle mais, de plus en plus, l’intérêt de la mise en valeur n’échappe pas aux initiateurs. Malgré tout, la volonté seigneuriale de fixer les hommes se manifeste principalement dans certaines chartes de bourg.
49Seulement dans les bourgs castraux, en général, sont précisées les modalités de recrutement des bourgeois. Quand deux bourgs, l’un laïque, l’autre monastique, coexistent, il arrive fréquemment que le seigneur refuse à ses bourgeois d’aller dans le bourg des moines. Cette crainte peut provenir d’un statut plus enviable mais, en fait, cette clause se comprend car la fondation d’un deuxième bourg doit attirer de nouveaux habitants et le passage d’un bourg à l’autre est parfaitement en contradiction avec le projet seigneurial. À Bouère, la situation est claire. Le moine de Marmoutier qui tient le prieuré ne recevra pas les bourgeois du seigneur Foulque mais il accueillera sans aucune réticence des gens venus de plus ou moins loin. Le texte envisage même, de la civitas ! C’est-à-dire de l’extérieur de la seigneurie64. Cela peut prendre la forme d’une concurrence entre seigneurs, le bourg étant un moyen d’affaiblir l’autre en attirant ses hommes65. Il peut même se produire dans ce cas des surenchères et il s’agit moins de réunir des hommes que de capter ceux d’un concurrent, politique non négligeable pour l’exercice du ban dans un contexte de faible peuplement.
50Quand on examine de près, le statut des bourgeois, les libertés qui sont accordées, la modération des concessions frappe dès l’abord. Les exemptions totales de coutumes se montrent peu fréquentes et quand un seigneur laïque les abandonne c’est pour les donner aux moines qui vont alors les percevoir66. À vrai dire, les lignes précédentes prouvent que le bourg pouvait quand même devenir attirant. Le statut ne constituait pas le seul attrait. La protection éventuelle, des avantages économiques ou autres devaient être pris en considération, sans compter que le fondateur pouvait moduler les avantages concédés en fonction de sa volonté et des atouts dont le bourg pouvait jouer. Cela ajouté au fait que les seigneurs titulaires du ban et fondateurs ou donateurs de bourgs ne se départissent pas souvent de la totalité de leurs coutumes, manifeste l’essence du projet. Le bourg fondé, si tout se passe conformément au dessein, se peuple, accueillant des hommes soumis aux coutumes dont le seigneur perçoit la totalité, si c’est un bourg laïque, une part, s’il s’est associé ou a donné une part des revenus. Mais dans tous les cas de figure, il est gagnant. Moyennant un investissement limité, là où il n’y avait personne ou presque, viennent s’installer des hommes qui vont rendre quelques services et verser les redevances. On comprend que soit préféré qu’ils puissent venir de l’extérieur de la seigneurie.
51Avec des nuances, la politique est la même pour les bourgs castraux ou ruraux mais en va-t-il de même pour les simples villages ? Le fait est moins net et la politique sans doute moins soutenue mais si la volonté d’exploiter le ban se place bien à la source de la volonté seigneuriale, nul doute que le rassemblement soit souhaité lui aussi. Le lotissement de cimetières, l’installation de nombreux prieurés ruraux y participent et favorisent donc la création des noyaux ecclésiaux. Rappelons que quand le mouvement se dessine vraiment, c’est-à-dire dans la seconde moitié du xie siècle, le noyau ecclésial reste dans les mains de l’aristocratie et très globalement de maîtres du ban. Paroisse ou seigneurie, la distinction n’a alors guère de sens. Le but majeur réside donc dans l’exercice du ban, les bourgs réunissent les hommes pour mieux les contrôler. Ils servent à favoriser l’exercice du ban et c’est avec raison que André Chédeville les considère comme autant de petites seigneuries banales et les simples villages suivent le modèle sur un mode atténué67. Visiblement pourtant, on n’envisage pas ou l’on ne peut envisager de réunir tous les habitants. Il y a donc bien une politique de regroupement basée sur la mise en œuvre du ban mais qui n’est pas poussée à l’extrême.
Puissance et limites d’une politique
52Si le regroupement ne va pas jusqu’à réalisation complète, phénomène observable dans d’autres régions comme le Limousin, la conjonction de la paroisse et de l’encellulement le favorise mais s’agit-il d’une véritable alliance ? De plus, si celle-ci existe comment expliquer les limites de la réussite ?
L’alliance des pouvoirs
Des actions communes
53L’un des facteurs du succès réside dans la conjonction de l’action de la seigneurie qui tente d’encadrer les dépendants en établissant ce que R. Fossier a proposé de nommer encellulement et de l’Église qui tente de les organiser dans le tissu paroissial. Il ne faut pas se laisser aveugler par les textes monastiques et les calumpniae. Les conflits, pas obligatoirement graves, ne pouvaient disparaître et la fonction des cartulaires était d’en garder la mémoire. Globalement, une évidente entente, voire collusion, serait plutôt à noter. Les prieurés se sont multipliés et la majorité a prospéré. B. Lemesle a démontré les liens étroits qui unissaient les familles avec une maison religieuse précise et le recrutement monastique qui en découlait68. Si elles espéraient de légitimes retours spirituels, elles gardaient aussi un œil sur leurs dons. Il fallait faire vivre le prieuré au long des années et les membres de la famille entrés au monastère maintenaient un rapport entre le lignage et le patrimoine concédé. Il s’agit alors bien plus que d’une alliance.
54Cette relation conduit même jusqu’à une certaine confusion. Aucune distinction ou presque ne s’établit entre la sepultura, le cens et les redevances du four banal. L’église peut s’intégrer, pour ses détenteurs, à l’ensemble des banalités69. Cette situation va durer et surtout exister au moment où le regroupement des hommes et le développement des noyaux d’habitat prennent un tournant crucial. Bien plus, si la réforme grégorienne et les restitutions provoquent une séparation et même un début de distinction entre les domaines, toute liaison n’a pas disparu et le seigneur laïque n’a pas abdiqué toute influence sur l’église paroissiale. Des contestations se font jour, soit chez les donateurs, soit dans les générations suivantes, et Jean Chaorcin, malgré l’abandon de l’église d’Astillé, exige encore, vers 1171, que le prieuré et l’église soient tenus de lui. L’abbé transige, les biens demeurent à Saint-Serge mais un cadet de la famille obtient la cure, ce qui constituait peut-être le but de la manœuvre70.
55En effet, les curés conservent longtemps un rapport avec les familles seigneuriales du village. Quand il est possible de les identifier, souvent, on découvre un lien étroit de parenté avec les descendants des donateurs. Encore au xiiie siècle, deux curés du bas-Maine manifestent le maintien de cette relation71. Un dossier un peu fourni permet d’approcher la stratégie du lignage de Juillé, sans doute assez commune. Cette famille aristocratique de rang relativement modeste, encore à la fin du xiie siècle, attachait du prix au contrôle de la cure de Juillé qu’elle avait donnée avec l’église dès la fin du xie siècle. En 1186, l’évêque du Mans refuse de céder à l’exigence de Hugues de Juillé qui la réclamait pour son fils. Le motif invoqué est édifiant. Le candidat n’a pas l’âge canonique, le prélat ne semble donc pas totalement rejeter le droit revendiqué. L’analyse proposée par B. Lemesle est parfaitement vraisemblable. Hugues se heurte à l’évolution de l’Église qui, désormais plus soucieuse du recrutement du clergé paroissial, rompt avec une pratique sans doute poursuivie pendant plusieurs générations, celle de nommer un membre de la famille bienfaitrice qui, pour sa part, n’avait guère conscience d’avoir abandonné toute autorité sur ce bien72. Si l’on ajoute que les dîmes ne furent que très progressivement abandonnées et plutôt par vente, on constate que l’intérêt seigneurial pour l’église ne s’est pas démenti. Néanmoins, l’indépendance de l’Église ira en s’accentuant et l’influence laïque en diminuant mais sans se réduire à rien. Ainsi le village confondu avec la paroisse est-il sous l’autorité en partie conjointe du seigneur et du curé.
56Cette association a bien d’autres occasions de se manifester, en particulier dans les accords de fondation de bourgs qui peuvent constituer de véritables co-seigneuries. Les deux puissances, laïque et monastique s’unissent alors pour fonder un centre de peuplement, accueillir et regrouper des habitants, moyennant un partage soigneux des avantages retirés de l’opération. Le schéma bien rôdé voit le seigneur fournir la terre et se départir de quelques droits tandis que les moines s’occupent de la mise en œuvre. Le cas de Brigne, fondation totalement nouvelle, en constitue un bon exemple mais ce travail en étroite coopération est aussi celui de la fondation des prieurés qui, pour une part, recouvre les mêmes objectifs73. Les deux pouvoirs possèdent le même désir de fixer les hommes et de les encadrer, le pouvoir laïque ayant sans doute plus d’intérêt à un véritable regroupement ; pour le pouvoir religieux, le cadre paroissial encourage, mais sans plus, néanmoins, c’est le prestige du pôle religieux qui peut déclencher le regroupement des hommes.
Réseaux et hiérarchie
57Allant plus loin et débordant le cadre du simple village, ils entreprennent, sinon en accord, du moins avec une certaine harmonie, une vaste opération de hiérarchisation des pôles d’habitat et d’organisation du territoire. Jusque-là, le village n’a été envisagé que pour lui-même. L’étude exigeait de focaliser l’intérêt sur lui mais bien des choses ne peuvent être vraiment comprises qu’en prenant du recul, en replaçant ce village dans un ensemble plus large, dans lequel il évolue et qui détermine, pour une part, son existence. L’importance des villages est fort variable et, si cela tient pour partie à des raisons qui leur sont propres : situation, qualité du terrain, accessibilité etc., influent aussi largement des considérations extérieures. Le mouvement de regroupement et l’organisation des seigneuries redéploient le peuplement et mettent en place un système qui, progressivement, se hiérarchise, tout comme à l’intérieur de la paroisse, se hiérarchisent les différents sites d’habitat. À priori, les objectifs respectifs peuvent déterminer des organisations différentes. En fait, un pôle, par sa force d’attraction cumule les fonctions et, en raison de la faible distinction des domaines, les deux hiérarchies vont assez bien se recouvrir et intégrer les villages dans un système achevé au xiiie siècle. La fin des créations de prieurés et de bourgs, même si elle dépend d’autres facteurs, symbolise bien cet achèvement.
58Dans les grandes seigneuries comme Fougères, Vitré, Laval, Château-du-Loir, le château central est relayé par une série de châteaux secondaires confiés à des gardiens ou à des vassaux. En règle générale, lui seul bénéficie d’une ou de plusieurs fondations de bourgs. Autour de chaque château, s’organise le territoire, en particulier pour l’exercice des droits et des sortes de circonscriptions apparaissent, à moins que parfois, ne survivent en elles de vieilles entités74. Dans le Rennais, la seigneurie de Fougères voit ainsi se créer les châteaux d’Antrain, Saint-Brice, Chauvigné et surtout Marcillé-Raoul, tandis qu’un nombre important de mottes s’organise autour. Celle de Vitré fonctionne sur un mode similaire et le baron contrôle plusieurs châteaux75.
59L’étude menée par J.-C. Meuret pour le Craonnais met en évidence un système hiérarchique. Autour du château principal d’un puissant baron qui dispose de quelques autres forteresses comme celles de Peltrée ou de Ballots se déploient un certain nombre de très grosses mottes castrales, bâties sur le même modèle76. Elles sont le siège des grands vassaux comme les Chaorcin ou les La Lande Balisson. À ces gros ouvrages, se rattache un réseau de petites mottes, identifiées comme les résidences de la petite aristocratie des chevaliers vassaux. Les premiers dateraient du milieu xie, les secondes de la fin ou du début xiie siècle.
60Le terme castellania n’apparaît qu’assez tard et indique une organisation plus élaborée du territoire que démontre bien D. Barthélemy pour le Vendômois et que l’on retrouve avec plus ou moins de correspondance chronologique dans d’autres régions. La castellania de Mathefelon est citée dès la première moitié du xiie siècle et les grandes baronnies du bas-Maine se structurent alors, elles aussi, en châtellenies. Outre Laval, les barons du lieu en ont centrées sur Olivet, Meslay, Montsûrs et sans doute Auvers. Chacune forme une circonscription sous la responsabilité d’un sénéchal. Ces personnages possèdent des attributions judiciaires et contrôlent sans aucun doute la levée des taxes et redevances de plus en plus confiées à des fermiers au xiiie siècle. Les grandes rentes données sur les cens sont aussi assises sur des centres castraux de perception77.
61Les villages se trouvent intégrés dans ces ensembles et, éventuellement, très tôt puisque, dès 1040-1047, Main de Fougères, en donnant le prieuré de Louvigné-du-Désert à Marmoutier, définit la villicatio de Louvigné qui s’étend sur neuf paroisses78. Ce prieuré qui servira de nécropole à la famille seigneuriale vient s’installer sans doute là où fut le berceau de la puissance de cette dernière et vraisemblablement dans un ancien centre de pouvoir qui déclinera par la suite, entraînant une recomposition des espaces. Le pouvoir du château détermine souvent une plus puissante agglomération qui bénéficie de son influence et de son prestige et concourt aussi à établir sa suprématie sur les environs en accueillant dans un bourg gens de pouvoir et marchands, le tout valorisé par un prieuré. Ainsi se trouve atteint, plus par les fonctions que par l’importance de sa population, le stade urbain ou presque. Les paroisses environnantes sont soumises à cette autorité et en subissent l’influence. Le seigneur peut d’ailleurs orienter leur développement en instituant dans certains prieurés et bourgs ruraux.
62Une hiérarchie s’établit sans doute dès ce moment. Dans le nord du haut-Maine, s’organise au sud de la forêt de Perseigne une zone neuve sous la direction des Bellême. Un nouveau château se bâtit à Lurson qui sert de résidence au sénéchal de Saosnois, le responsable seigneurial. Logiquement, le château crée une paroisse. Elle se dédouble pour donner naissance à un village de défrichement : Neufchâtel-en-Saosnois, dénué de château malgré son nom mais qui reste sous l’influence de Lurson comme plusieurs autres villages79. Non loin de là, sur les mêmes confins normanno-manceaux, La Ferté-Macé semble développer un projet beaucoup plus précis. Le château, au cœur d’une zone de défrichement sur la forêt d’Andaine, se dote classiquement d’un bourg castral avec tous les éléments habituels et, avant la fin du xie siècle, une série de bourgs ruraux attestés mais non identifiés viennent constituer une couronne de satellites tout autour80.
63Il n’est pas impossible de retrouver l’esquisse de tels réseaux dans d’autres contrées. Les nombreux bourgs du nord-ouest du bas-Maine pourraient bien s’assimiler à cela et la tentative avortée de La Tannière voit quand même ce qui est sans doute un bourg castral faire naître sur les paroisses voisines deux minucules bourgs qui échoueront mais le dessein pouvait plus ou moins pencher vers une réalisation de ce genre. En fait, le pouvoir châtelain organise l’espace et en particulier l’habitat, mettant en place de nouveaux réseaux dans lesquels s’inscrit une nouvelle hiérarchie villageoise. Le succès du développement ou du regroupement est donc à prendre en compte dans ce cadre. Le choix seigneurial a privilégié certains centres leur donnant une position prédominante. N’en concluons cependant pas à l’impact de la seule volonté des puissants. Ils ne pouvaient faire abstraction des réalités et les échecs le montrent bien. Trop proche de la petite ville d’Évron issue de son abbaye, le château de Sainte-Suzanne n’a jamais regroupé d’habitants de façon significative et un modeste centre ne prendra quelque consistance que fort tardivement81. En prenant acte des héritages subsistants et des lignes de force du moment, les domini ont pu établir non seulement une trame mais un véritable réseau dont les éléments d’ensemble ont perduré jusqu’à nos jours.
64Parallèlement et souvent en étroite connexion, se tisse le réseau d’une hiérarchie religieuse soucieuse, elle aussi, de tenir l’espace et les hommes. Elle ne se contente pas de couvrir les diocèses d’une trame serrée et complète de paroisses mais elle les insère aussi dans une pyramide hiérarchique. Les archidiacres et les archidiaconés se précisent très nettement aux xie et xiie siècles. Leur nombre s’accroît et le diocèse de Rennes en compte bientôt deux comme celui de Nantes82. Dans le diocèse du Mans, en 1230, l’évêque Maurice décrète une refonte totale des circonscriptions et les anciens archiprêtrés sont remplacés par sept archidiaconés aux limites bien définies83. Ces vastes circonscriptions ne tiennent guère compte des seigneuries, pourtant l’archidiaconé de la Mée dans le nord du diocèse de Nantes semble avoir été créé pour coïncider avec un territoire de marche faisant face au Rennais.
65La question se fait plus cruciale avec les doyennés, beaucoup plus petits et dotés d’un responsable résidant : le doyen. Le découpage se fit progressivement avec des tâtonnements et varia au cours des siècles comme dans le diocèse de Rennes où leur nombre évolua. Il passa de onze au xiie siècle à neuf puis huit, au xive84. Si, bien souvent, ces doyennés semblent assurer l’héritage de très anciennes circonscriptions, d’anciens pagi minores par exemple dans les diocèses de Quimper ou de Rennes, beaucoup d’autres tentent de se calquer sur la carte politique des châtellenies dont le caractère souvent instable pose problème. Des doyennés adoptent pour centre celui d’une seigneurie comme Ancenis dans le diocèse de Nantes dont le territoire n’a rien d’ancien. Dans le diocèse du Mans, la carte des doyennés présente de grandes parentés avec celles des grandes châtellenies. Des doyens se fixent à Ballon, Montfort, Beaumont, Fresnay-sur-Sarthe, Château-du-Loir etc.85. Les hésitations décelables dans le bas-Maine renforcent l’hypothèse de la volonté de faire coïncider les doyennés et les grandes châtellenies. Des doyens éphémères apparaissent à Villaines-la-Juhel, puissant château du baron de Mayenne mais à proximité du vieux centre de condita en perte de puissance qu’est Javron. La tradition l’emportera et le doyenné restera à Javron. De la même façon, au xiie siècle, des tentatives seront faites à Sainte-Suzanne et Bazougers mais, là aussi, sans succès86. Laval, Ernée, Lassay, sites castraux d’importance, auront leur doyenné. Dans le Rennais, une situation tout à fait identique se développe. Si le Vendelais très ancien se survit dans un doyenné, une grande identité se retrouve entre châteaux et doyennés. Dans certains cas comme Vitré, la forteresse s’est implantée cependant au cœur d’une vieille circonscription, le bouleversement est loin d’être total.
66Les prieurés, eux aussi, contribuent à organiser des réseaux dont ils sont partie prenante. Ces établissements déterminent une aire d’influence considérable pour certaines grandes abbayes mais, sur place, ils étaient souvent le pouvoir seigneurial et, au-delà de leur village d’implantation, ils organisent des réseaux d’influence. Les prieurés contrôlent souvent plusieurs églises paroissiales après les restitutions et ces dernières apparaissent dans leur mouvance. Dès 1038-1050, Rouaud du Pellerin donne à Marmoutier toutes les églises de son domaine en fondant le prieuré du Pellerin. À cette occasion, il stipule, calquant sans doute la hiérarchie religieuse sur celle de son pouvoir, que l’église du Pellerin sera la tête des cinq autres qui sont données87.
67Les deux pouvoirs recherchent visiblement à faire coïncider en un même lieu l’affirmation de leur pouvoir respectif, ce qui se comprend parfaitement. Le cumul des fonctions assure les possibilités réelles d’exercice de l’autorité et les seigneurs ont donc tout intérêt à renforcer le prestige et l’attraction de leur centre par l’installation d’un doyen. Cependant, le jeu de la polarisation de l’espace y pousse largement et le résultat produit un véritable réseau en cours de hiérarchisation. L’ensemble est à peu près fixé au xiiie siècle et, ainsi, se trouve définie la place de chaque village et son rapport à l’autorité. L’encellulement, par le biais de la seigneurie comme de l’Église, prend donc aussi la forme d’un certain quadrillage du territoire sans pour autant parvenir à un regroupement absolu. Si cette politique produit ou plutôt favorise le regroupement des hommes qui, d’ailleurs, y trouvent sans doute un certain intérêt, le résultat demeure très partiel. Le processus connaît donc des limites marquées mais est-ce en raison d’obstacles qu’il ne peut surmonter ou de la faiblesse de la volonté ou des moyens mis en œuvre ?
Limites du processus ou autre choix ?
68Sauf quelques zones limitées où le peuplement prend vraiment un caractère groupé, tout l’Ouest voit une population dispersée exprimant a priori l’échec d’une certaine forme de l’encellulement. En fait, cet encadrement étroit d’une société, profite évidemment du regroupement des populations qui favorise le contrôle mais ce dernier n’est peut-être pas obligatoire, d’autres moyens peuvent être envisagés et il est nécessaire de vérifier si la politique des puissants tendait bien à une concentration absolue.
Les limites d’une volonté
69Les obstacles ne manquent pas mais ceux que pourrait opposer le milieu ne sont pas insurmontables. Certes, il est facile de constater que l’habitat dispersé prospère sur les terres froides et peu favorables où l’homme est rare, sur ce point une comparaison avec le Limousin ou le Bourbonnais ne serait pas sans intérêt mais la géographie, pour influente qu’elle soit, ne peut devenir déterminante88. Elle propose un cadre, établit des contraintes que les sociétés prennent en compte pour établir leurs propres structures. L’évolution historique vient le confirmer. La faiblesse du peuplement, par contre, doit être retenue comme élément d’importance, elle conditionne très certainement les possibilités et les formes de l’encadrement. L’examen de la carte des communes actuelles en France met en lumière la superficie beaucoup plus réduite de celles qui connaissent un habitat groupé, particulièrement sur des sols favorables89.
70Il faut prendre en compte aussi les obstacles liés aux hommes, les résistances. Toutes les églises paroissiales n’ont pas réussi à agglomérer une population. Conscients ou non de ces données, les hommes de pouvoir de la période féodale se sont adaptés. En fait, il ne faut sans doute pas songer à un plan prémédité, ni à une entreprise générale. Un certain nombre de chartes de « fondation » ne font qu’entériner et organiser un peuplement plus ou moins spontané. La charte du bourg Saint-Martin de Laval suppose une arrivée bien antérieure des bourgeois90. De plus, la dimension des bourgs ne permettait absolument pas de regrouper toute la population, signe que le projet n’envisageait pas un tel aboutissement. En fait, au-delà d’une certaine timidité, il faut aussi retenir les échecs mais surtout les entreprises qui vont à l’encontre d’un regroupement. Toutes les fondations n’ont pas rencontré le succès. Le savoir-faire, le contexte plus ou moins favorable, un peu de chance aussi, ne furent pas obligatoirement au rendez-vous. Combien de petits bourgs ou de prieurés ont périclité après des débuts plus ou moins brillants, à moins qu’ils n’aient jamais connu de succès, condamnés à végéter. Guillaume de Gorron a beau mettre un maximum d’atouts pour développer un bourg castral à la Tannière, il n’atteindra pas le stade paroissial. Les deux bourgs annexes, Bourg Tourné et Bourg Philippe, entreprises encore plus tardives de personnages de rang médiocre étaient quasiment voués à l’échec (Fig. 33)91.
71Globalement, bien des créations du xiie siècle, n’ont guère connu de succès. Toute la génération des nouvelles paroisses de ce siècle, en Anjou, a végété92. Après le xie siècle qui connaît les grandes réussites parce que sont mises en place les fondations les plus favorisées et les plus viables, les périodes suivantes voient des entreprises plus limitées et moins assurées. Les bourgs viennent beaucoup moins étoffer un centre paroissial et aboutissent souvent à un simple hameau. D. Barthélemy note la progressive décroissance en taille des fondations qui ne deviennent, en Vendômois, que des sites très restreints au xiiie siècle93.
72Sans chercher beaucoup, il n’est guère difficile de découvrir que les puissants ne suivent pas une politique très conséquente. Dans un certain nombre de cas, les conflits entre moines et seigneurs laïques ont certainement nui à la solidité de la seigneurie. S’il serait dangereux de percevoir à travers les cartulaires un affrontement permanent, il n’en demeure pas moins qu’il serait inconséquent d’envisager des rapports totalement iréniques. Les moines, en voulant souvent acquérir une véritable immunité en élargissant leurs droits, se sont heurtés à un certain nombre de domini qui se sentaient menacés dans leur pouvoir. L’étude de B. Lemesle met bien en relief la vigueur de quelques calumpniae et leurs conséquences. Des conflits très âpres, pouvant s’étaler sur des années, se sont déroulés, opposant des monastères et l’aristocratie châtelaine ou subchâtelaine, en général, à propos des coutumes, le seigneur se refusant à voir sa domination remise en cause de façon radicale. Ainsi s’explique l’affrontement de Guillaume Braiteau avec Marmoutier à propos du bourg de Saint-Célerin ou surtout celui de Gervais II de Château-du-Loir avec Saint-Vincent portant sur la vicaria des hommes de Sarcé94. De tels conflits ne pouvaient que nuire à l’efficacité de l’encellulement mais ils sont loin d’être généraux et l’on ne peut en faire une spécificité de l’Ouest.
73Combien de seigneurs contribuaient à contrecarrer les buts envisagés ! Une exploitation trop forte des hommes les fait déguerpir. Le fait demeure rare mais les fondations de bourgs destinées en priorité à ruiner celui d’un concurrent risquent de perturber beaucoup plus sérieusement le schéma de peuplement95. Plus globalement, cette politique n’est pas suivie très consciemment et peut donc être victime de quelques aberrations mais surtout, elle n’intéresse vraiment que les titulaires du ban, concernés au plus haut point par la domination des hommes, or ils ne sont pas nombreux. Toutes les études sur l’Ouest s’accordent pour constater qu’il n’y a pas une dilution du ban mais qu’il reste concentré dans les mains de quelques-uns96. En conséquence, ceux qui n’en ont que les formes secondaires, en particulier économiques, n’ont rien à gagner d’un regroupement et, tout au contraire, ils accentuent la dispersion en s’installant systématiquement à l’écart, n’hésitant pas à encourager le développement de hameaux au pied de leur motte ou de leur maison forte. Cette politique contribue nettement à la dispersion, sans doute encore plus au xiie siècle.
74Les grands, détenteurs du ban, eux-mêmes, n’adoptent pas toujours une attitude très logique. Ils n’hésitent pas à installer leurs métairies et gagneries sur l’ensemble des terroirs, contribuant à la dissémination de l’habitat. Le cas du village de Liré est exemplaire mais en rien exceptionnel (Fig. 47). De manière plus grave, la dispersion se trouve accentuée par les puissantes métairies qui s’affirment contre le centre, participant ainsi à son affaiblissement. La vision proposée par D. Barthélémy dans le Vendômois, diffère quelque peu. La multiplication des métairies aurait moins pour conséquence de neutraliser le centre que de réduire les villae à peu de chose en tant qu’habitat, poussant les hommes à fuir vers le centre97. Les deux mouvements contradictoires ne s’excluent pas. L’hypothèse de D. Barthélemy peut se révéler recevable dans une région d’habitat médiocrement dispersé comme celle qu’il étudie, dans les zones de grande dispersion, les métairies contribuent à saper la force des centres déjà peu doués de rayonnement.
75L’Église elle-même entérine quelques accrocs à sa politique générale. Si les réformes ont valorisé les églises paroissiales, tous les centres secondaires, chapelles et oratoires divers, sont bien loin d’être réduits. On sent à travers certaines chartes qui essaient de réglementer les problèmes suscités et les tensions qui en découlent, au moins sur le plan financier98. Même les précautions prises contre les chapelles de prieurés et surtout de châteaux n’empêchent pas des empiétements fréquents, l’oratoire se substituant pour partie à l’église-mère99. Les évêques d’Angers doivent, au xiiie siècle, réitérer les mises en garde contre les mariages et autres célébrations pratiquées dans les chapelles de prieurés ou de châteaux. Plus graves sans aucun doute, sont les créations de paroisses que l’on pourrait qualifier « de complaisance ». Les évêques ne veulent ou ne peuvent refuser cette faveur à certains ordres religieux et c’est ainsi que sont nées les minuscules paroisses bretonnes érigées sur les domaines des ordres militaires et dont la plupart ont disparu. Le Temple près de Carentoir, Vildé-la-Marine, Vildé-Bidon et Le Croisty relèvent de ce type de création100. Des laïcs bénéficient de ce véritable privilège. La paroisse d’Épineu-le-Seguin se voit ainsi préléver le minuscule territoire de Varennes où était établi l’hébergement de Foulque l’Enfant, puissant vassal de l’évêque du Mans. Son désir d’y créer un prieuré-cure pour l’abbaye de Château-L’Hermitage aboutit à l’érection d’une paroisse101. La charte de fondation règle soigneusement les revenus de cette paroisse qui ne correspond à rien suivant les critères définis à l’époque.
76Dans le domaine religieux, le risque peut provenir des ordres monastiques. Si les bénédictins de vieille fondation ont globalement joué un rôle actif dans le développement des villages, les Cisterciens peuvent avoir eu des effets inverses, en tout cas, bien des granges ont perturbé l’organisation et la vie des terroirs, les distrayant de la pratique habituelle. Plus curieusement mais assez logiquement, les ermites prédicateurs, porteurs d’une parole véhémente de réforme, ont fortement inquiété les autorités épiscopales, pourtant en général acquises au programme grégorien. Leur radicalisme les portait à accorder assez peu de cas aux cadres institutionnels et E. Werner a noté avec justesse que l’érémitisme a trouvé ses terres d’élection dans les zones de « faible quadrillage féodal et monastique »102. De plus, ils critiquent avec violence le clergé paroissial peu conforme à leur idéal, allant, pour certains, comme Bernard de Tiron, jusqu’à nier la validité des sacrements délivrés par les curés indignes. Les foules enthousiastes les suivaient, délaissant les prêtres en place et refusant de leur payer la dîme103. Quand Marbode, évêque de Rennes, prend la plume pour s’adresser à Robert d’Arbrissel, sa position est en fait bien embarrassée. Tout en ayant de la compréhension pour un homme au charisme incontestable et ancien dignitaire du diocèse de Rennes, qui plus est, l’homme de l’institution ne peut laisser cette dernière mise en péril. Les prédicateurs risquent de remettre en cause l’encadrement paroissial qui devient la grande affaire. Paradoxalement cependant, Marbode a tort de s’inquiéter. Robert va fonder La Roë, une abbaye dont les chanoines vont se montrer soucieux de pastorale et deviendront une communauté toute dévouée à la desserte des paroisses, puisqu’une soixantaine passera sous leur autorité104. Ils deviendront les meilleurs garants de la politique pastorale et l’un des ermites proches de Robert, et futur abbé, Quintin, était aussi, sans doute, curé de la Celle-Guerchaise105.
77Échecs et inconséquences assument donc un rôle certain mais dont il ne faut pas s’exagérer l’importance. Ils indiquent surtout que les puissants ne songèrent sans doute pas à réunir l’ensemble de la population et s’accommodèrent, finalement, assez bien de la dispersion. Il ne faut pas négliger, aussi, que l’initiative du mouvement de concentration ne vient que partiellement des puissants, les humbles l’avaient esquissé sans la force de la contrainte. L’observation de ces conditions oblige à interroger les structures profondes qui régissent les rapports sociaux : ceux qui organisent le pouvoir, ceux de la seigneurie.
Le poids de la contrainte seigneuriale
78Si les titulaires du ban ne parvinrent pas à un regroupement poussé des populations, c’est sans doute qu’ils ne l’ont pas voulu mais, ce faisant, ne prenaient-ils pas acte de leur propre force, en d’autres termes, la seigneurie, principal cadre de l’encellulement, avait-elle assez de puissance dans l’Ouest pour atteindre ce but ? L’intensité de l’encadrement seigneurial et le poids du prélèvement se situent au cœur de la réflexion et le médiéviste se heurte alors à la fois à la faiblesse des sources et au faible nombre des travaux qui ont envisagé la question sous cet angle. Une telle analyse fournirait pourtant une clé pour expliquer l’incapacité des grands au regroupement mais, pour le moment, on ne peut guère retenir que la convergence d’indices significatifs106.
79Il est notable, au premier abord, que le système ne s’appuie pas ou guère sur la violence. Bourgs et prieurés fonctionnent plus comme des incitations ou entérinent des situations acquises. Des interdictions sont bien posées mais, en général, pour sauvegarder les bourgs seigneuriaux, les déplacements forcés n’apparaissent pas dans les sources, sans doute furent-ils rares. Malgré quelques divergences d’interprétation, les historiens notent l’absence ou la rareté de la servitude, encore faut-il s’entendre sur son contenu. Comme nous le verrons, la liberté est le régime habituel et cela depuis le xe siècle. La modération générale des corvées et pratiques contraignantes renforce l’argument. Terre de liberté, l’Ouest les connaît peu. Certes, elles ont pu rapidement s’affaiblir suivant un mouvement assez général mais, en fait, elles ne furent jamais très fortes et c’est avec raison que plusieurs historiens invoquent pour expliquer cette faiblesse la très faible implantation du système classique de la villa durant le haut Moyen Âge. Les mentions de corveia ne sont pas absentes mais n’abondent pas et surtout, quand il est possible de les mesurer, elles apparaissent limitées, d’autant plus que bien souvent, leur existence réaffirmée n’entraîne pas obligatoirement leur mise en œuvre. Le comte d’Anjou abandonne les siennes désignées par le terme de bian sur les terres de Saint-Melaine et Huillé au milieu du xie siècle et le duc de Bretagne exempte les hommes de Savigny en 1148107. On en retrouve occasionnellement en Bretagne ou en Anjou, souvent liées à la taille et à la justice, ce qui signifie une origine plutôt publique et une réalité sans doute à caractère militaire108. Certaines, par contre, ont une fonction beaucoup plus nettement domaniale, charrois ou quelques jours de travail lors des grands moments de la vie agraire : moissons, vendanges etc… On en remarque quelques traces réduites. Par exemple, Hamelin de Chaources exige des hommes d’Évron : « […] huit jours avant les moissons et huit après les vendanges »109. De façon générale, ces mentions, plutôt rares, ne semblent pas pesantes. Exception peu fréquente mais certainement exigée et pénible, le charroi des meules nouvelles des moulins suscite des résistances ou des protestations110.
80Les droits et prélèvements relevant de l’exercice du ban demeurent difficiles à évaluer, n’étant souvent réduits qu’à un nom. Cependant, la taille, expression majeure de la présence seigneuriale, ne paraît pas excessive. Elle apparaît tôt, dès la fin du xie siècle mais ne semble généralisée que dans le courant du xiie siècle111. Les sommes ne s’affichent pas comme particulièrement lourdes : une masura est taxée à cinq sous dans le cartulaire de La Roë, montant non négligeable s’il est perçu de façon fréquente mais il semble que cette taille puisse alors s’assimiler plus ou moins à l’aide au quatre cas, ce qui exclut qu’elle soit annuelle. Très vite, elle devient abonnée, cas habituel pour la Bretagne et, de toute façon, pratique générale dans le courant du xiie siècle. Une taille citée dans le cartulaire de Quimperlé à la fin du siècle ne s’élève qu’à douze deniers que l’on retrouvent sur des masures du Maine112. La somme globale perçue sur les bourgeois de Bouère à la fin du xiie siècle, mais après négociations, se monte à 30 sous mansais113. La justice se révèle aussi fort rentable par le biais des amendes. Certes, elles sont payées par les délinquants mais sans parler de crimes de sang qui ne concernent pas tout le monde, il est facile de contrevenir aux multiples contraintes qui se multiplient, ne serait-ce que dans le domaine des usages forestiers.
81Les taxes prélevées sur la production et les échanges : pasnage, tonlieux, ventes et banalités diverses, ou du droit de mesure, ajoutent quelques sous chacune qui offrent des revenus d’importance au seigneur mais, individuellement, sont perçues sans doute comme relativement indolores. Il est à noter cependant, que la démultiplication des taxes, à mesure que l’on s’avance vers le xiiie siècle, se traduit par un encadrement accru et sûrement comme un net appesantissement des charges. Globalement, malgré tout, on ne peut que remarquer une relative modération du prélèvement seigneurial, au moins à l’échelle de l’époque. Le seigneur tire profit de son ban mais le flux montant et continu de l’essor médiéval suffit à accroître les revenus sans pressurer trop un homme d’autant plus précieux qu’il est rare.
82Le pouvoir foncier, qui concerne beaucoup plus de personnages, alimente largement les revenus de beaucoup de petits ou grands. Il s’imbrique profondément dans la vie villageoise et y joue un rôle fondamental mais plus économique et, s’il établit un rapport de domination c’est, dans l’Ouest, avec une certaine singularité. Le régime de la censive, très général, ne se montre guère contraignant. Partout, les cens qui avaient sans aucun doute une valeur économique notable lors de leur mise en place, s’affaiblissent, en raison de leur fixité et se réduisent, pour les plus anciens, à quelques deniers, la majeure partie étant rendue en argent114. Les nouveaux cens peuvent atteindre des sommes plus élevées, mais de façon générale, ces redevances ne grèvent pas lourdement les terres comme le confirment tous les censiers conservés. Les 263 tenanciers de Lucé au Maine paient 15 deniers en moyenne à la fin du xiiie siècle, chiffre encore relativement élevé par rapport à ce que versent ceux de Saint-Vincent à Sarcé, autour de 1100 : un peu plus de huit deniers mais avec des écarts importants. Si beaucoup se limitent à moins de dix deniers, 16 atteignent ou dépassent le sou et les tenanciers de Saint-Georges à la Chapelle-Jeanson, au xiie siècle, paient des sommes tout à fait comparables115. De plus, très vite, les droits du tenancier s’affirment et l’hérédité, comme le pouvoir d’aliéner, ne tardent pas à se faire jour, instituant celui-ci quasi maître de sa terre116. D’autres redevances diverses et surtout en nature peuvent se greffer sur le cens. Le fromentagium ou avenagium qui pèsent sur la production n’ont rien de symboliques mais d’autres se réduisent à des poulets ou des œufs. Globalement, la conclusion de R. Niderst pour l’Anjou, peut-être un peu optimiste, vaut pour l’ensemble de l’Ouest, la tenure n’est grevée que de faibles charges117.
83Les réserves peuvent faire l’objet de contrats. Leur examen montre à la fois les liens étroits qui se nouent entre seigneur et preneur mais aussi les droits importants que ce dernier obtient. La plus grande originalité réside dans le système de la métairie qui n’est pas encore vraiment élucidé. Les métayers apparaissent dès le xie siècle mais nous ne connaissons pas alors la véritable nature du contrat qui les lie à leur maître, le fait qu’ils figurent comme témoins établit, peut-être, déjà une certaine importance. Au xiie siècle, des contrats à mi-fruit sont passés mais pas obligatoirement sur des métairies. J.-C. Meuret conclut à la diffusion du métayage sur les terres de La Roë mais tous les exemples donnés ne permettent pas de mettre en corrélation une métairie et la redevance à mi-fruit. Par contre, la fourniture de bœufs pour les labours semble indiquer une implication forte du maître dans la mise en valeur du bien, caractéristique du métayage118.
84De façon générale, existe un décalage entre métairie et métayage, d’autant plus que bien des contrats portant sur les métairies apparaissent au xiie siècle comme étant des mises à ferme plus ou moins nettes119. À cette époque, beaucoup doivent une redevance fixe, importante, en céréales ou en argent. Dans ce cas, le chiffre oscille entre 20 et 100 sous tournois. Cependant, le vrai métayage n’est pas éliminé. Il apparaît en pleine lumière dans les contrats passés par Eustache de Beauçay, dame d’Olivet. On y suit, entre 1335 et 1339, une gestion sourcilleuse. Elle installe sur ses exploitations des paysans déjà expérimentés et fournit la moitié des semences ainsi qu’une part du troupeau qui fait l’objet d’un contrat spécifique de cheptel120. On peut supposer que la métairie, du fait qu’elle soit un morceau de la réserve, est plus étroitement liée au seigneur, quel que soit le mode de faire-valoir. Dans un certain nombre de cas, le terme même de medietaria doit s’appliquer, sinon à un vrai métayage, du moins à une association plus ou moins poussée. Quand le terme ne désigne plus qu’une grosse exploitation souvent prise à ferme, un lien particulier doit subsister, ne serait-ce qu’à cause de son statut. Il y a donc une liaison forte mais qui ne pousse en aucune manière au regroupement.
85D’autres contrats se diffusent, souvent proches, malgré la diversité des noms. L’affaiblissement des cens entraîne la diffusion de contrats de fermage, firma perpetua, dans le Maine ou afféagement en Bretagne. Il s’agit, avec des variantes, d’une prise à ferme perpétuelle. L’abbaye Saint-Melaine pratique cela pour une exploitation sans doute assez importante en Vignoc et La Mézière. Les deux preneurs paieront un feudagium de 30 sous en deux termes, ils s’obligent, de plus, à payer les redevances et accomplir le service121. Par contre, partout, les contrats à temps demeurent rares, peut-être est-ce, en partie, un effet de la documentation – les contrats échus n’étaient pas conservés – mais il s’agit quand même d’un choix assez délibéré. Il est remarquable que de grosses exploitations souvent prises par des clercs soient alors sous l’effet d’un contrat à vie, substitution évidente à un contrat perpétuel impossible122.
86Au terme de cette enquête, la modération relative du prélèvement seigneurial semble devoir être retenue. Après une étude analytique, l’examen de quelques cas où figure l’énumération de droits, même incomplète, ne pourrait que le confirmer123. L’ensemble assure certainement des revenus importants à la seigneurie, d’autant plus que l’essor démographique et économique les fait augmenter, ce qu’accroît une nette tendance à l’alourdissement. Par contre, le contrôle des hommes, l’exercice du ban, ne paraît pas apte à instaurer une contrainte poussée et cette relative faiblesse peut avoir contribué à l’inachèvement du regroupement.
Un autre modèle d’encellulement ?
87Que la politique conjointe des autorités ait poussé au contrôle des hommes et à leur rassemblement est incontestable mais cette volonté n’avait pas envisagé un regroupement total. L’encellulement n’est pas l’incastellamento. Enserrer les hommes dans les rets complexes de la dépendance n’exige pas obligatoirement de les rassembler, même si cela autorise plus d’efficacité. Quelques indices permettent d’esquisser une autre hypothèse qui reste à confirmer. Les seigneurs laïques ont effectivement voulu rassembler une part de la population dans des noyaux autour de leur résidence éventuellement pour manifester leur pouvoir et leur prestige social, s’associant pour cela à l’Église qui servait ainsi ses visées paroissiales. Les uns comme les autres ne voulaient ou ne pouvaient aller plus loin. Par contre, ils ont accompagné ces noyaux indispensables d’un véritable quadrillage du terrain pour rendre effectifs leur pouvoir ou leur influence. De véritables réseaux ont été identifiés entre les châteaux et les mottes, les bourgs, les églises et les prieurés. D’une certaine façon, la motte ou le prieuré expriment et manifestent une part de l’autorité et de la puissance sociale. Dans cette région d’habitat dispersé, le nombre d’ouvrages terroyés, de mottes et de maisons fortes est, de toute évidence, important, plus qu’ailleurs, n’est-ce pas là l’expression d’une mainmise sur le territoire qui permettait de contrôler les hommes. Si toutes les mottes ne créent pas un hameau, leurs occupants sont bien les maîtres de quelques paysans dont ils sont physiquement particulièrement proches. Ces mottes sont absentes des terres monastiques mais, dans ce cas, abbayes, prieurés et dépendances assument une fonction analogue. On ne rassemble pas les hommes mais on disperse les formes du contrôle.
88Sans vouloir envisager une continuité trop étalée dans les siècles, il n’est pas indifférent de remarquer une situation qui n’est pas sans offrir certaines analogies dans les régions qui sont les mieux documentées et qui forment un Ouest intérieur dont les caractères ont été dégagés, naguère, par A. Siegfried124. Michel Denis a donné une analyse sociologique et politique très fouillée pour les xixe et xxe siècles de l’une de ses composantes, le département de la Mayenne125. Il y discerne une très forte emprise noble dans les campagnes reposant sur de nombreux châteaux disséminés à travers les finages. Après la révolution de Juillet, les légitimistes ont imposé leur influence basée sur la puissance foncière mais aussi la captation de certaines mairies et un encadrement social et idéologique profond. La situation diffère par bien des aspects mais elle montre qu’un encadrement réel, sans pression violente est possible et s’est trouvé réalisé, le modèle s’appliquant sans difficulté à une partie de l’Anjou et de la haute-Bretagne, c’est-à-dire une portion notable du champ d’étude. Cela suppose d’envisager le rôle des villageois. Dominés mais libres, peu nombreux mais indispensables, ils sont les partenaires obligés dans la réorganisation qui se dessine.
La place des villageois
89Le village se définit en tant que communauté humaine organisée et se reconnaissant comme telle. Il y a village vraiment quand, ainsi que le dit très justement R. Fossier, il y a « prise de conscience des convivialités »126. Au-delà de la dispersion, se dessine un réseau de liens sociaux qui passent pour bien ténus dans l’Ouest, l’individualisme, d’abord agraire, ayant tendance à déborder largement le domaine des champs chez bon nombre de ceux qui se sont penchés sur le problème. L’image, plutôt négative des sociétés de l’Ouest a besoin sans nul doute d’être revue. Ne prend-on pas pour archaïsme ce qui n’est peut-être qu’un mode original d’organisation de la vie sociale. L’habitat demeure dispersé car la population non seulement s’en accommode mais bien plus l’organise ainsi. La dispersion reflète les conditions d’exercice des pouvoirs et tout à la fois les liens qui régissent une société.
La société villageoise, face à elle-même et à l’extérieur
90La diversité qui s’exprime dans la société villageoise se traduit par des clivages qui se répercutent sur la vie même de la communauté, aussi s’avère-t-il nécessaire d’en définir, autant que possible, les grands traits, plutôt que de tracer les contours, trop flous et fluctuants des principaux groupes qui tissent la réalité sociale. Au-delà des clivages que l’on peut retrouver dans d’autres régions, se pose la question beaucoup plus spécifique mais dont il faut essayer de percer l’étendue exacte : l’isolement qui pour bien des travaux caractérise, avant tout, les sociétés d’habitat dispersé.
Groupes et clivages
91Une combinatoire dont nous ne maîtrisons pas tous les éléments qui varie en fonction des lieux et joue aussi dans la durée permet d’élaborer une ébauche de classification, incomplète et largement liée à la problématique développée mais, cependant, indispensable127. Le village ne se conçoit pas sans un petit groupe fondamental, les maîtres au sens large, dont l’influence sociale dépasse très largement la seule domination seigneuriale, bien présente de toute évidence. L’aristocratie laïque ne se réduit pas au seigneur strictement mais on peut découvrir sur le même finage villageois plusieurs familles de rang inégal le plus souvent. Au xie siècle, on rencontre surtout quelques seigneurs châtelains et des personnages plus modestes, de rang chevaleresque mais difficiles à situer socialement, certains pouvant, bien sûr, être des vassaux. Plus tard, surtout au xiiie siècle, les textes montrent l’installation de nombreuses familles sur les terroirs. Dans chaque village, on compte au moins un lignage aristocratique mais il s’en trouve fréquemment plus. Pour 13 paroisses du bas-Maine, on en identifie au moins 16 et sans doute 20. En Deux-Évailles, trois familles chevaleresques ont des intérêts et sans doute leur résidence128. À Availles, deux mottes, l’une au bourg et l’autre au Grand Ossé semblent attester la présence de deux familles à la même époque129.
92Ces lignages représentent peu de personnes mais agrègent un groupe relativement développé qui marque fortement le village : les membres de la famille dont les cadets peuvent occuper des postes religieux, curé ou moine d’un prieuré, et toute la familia : serviteurs et ministériaux assumant les charges les plus diverses. Ils tranchent éventuellement par leur genre de vie et leurs occupations mais, même la cour d’un seigneur installé sur une motte n’a rien de spécialement luxueux. Les petits seigneurs n’ayant guère que des droits fonciers présentent une image encore plus discrète. Celui de Deux-Évailles, se montre surtout soucieux d’agrandir son domaine, ce qu’il fait avec beaucoup de patience et de prudence. Il pratique des alliances matrimoniales habiles et, semble-t-il, fructueuses mais il ne se démarque guère des gens du village. À la fin du xiiie siècle, ce personnage qui réside dans un manoir près du bourg, semble entretenir des rapports sociaux assez étroits avec les villageois aisés et Pierre de Deux-Évailles conserve un attachement suffisant pour son ancienne nourrice, la femme du meunier, pour que celle-ci en fasse son héritier. Ce sire a comme un parfum de Gouberville avant l’heure. À ce moment, beaucoup de petits seigneurs ne portent pas le titre chevaleresque mais adoptent celui d’écuyer, montrant peut-être ainsi moins leur affaiblissement de fortune, possible pour certains, qu’une réticence à l’égard du métier des armes. En 1300, la réunion des paroissiens de Saint-Sauveur-des-Landes compte huit armigeri, vraisemblablement la totalité des hommes de lignages aristocratiques. Quatre appartiennent à la famille Pinel et, en tout, ils semblent représenter quatre lignages130.
93Le poids et l’influence des domini jouent un rôle considérable, au moins au xie siècle, quand le village s’affirme. Si le pouvoir n’a pas contraint les hommes, il les domine et apporte aussi protection et éventuellement abri. Les cimetières qui accueillent en Bretagne ceux qui veulent fuir la guerre sont aux mains de seigneurs et la basse-cour du château demeure un refuge où s’installe éventuellement un bourg. Le nom du lieu porté par ce puissant personnage n’est pas, non plus, dénué de signification quand on sait l’importance que le Moyen Âge accordait à la désignation. Le seigneur est partie prenante dans la prise de conscience du village mais il n’est pas le seul.
94Au xie siècle, le curé, souvent marié et père de famille, apparaît comme un personnage majeur. Le fief presbytéral lui assure, éventuellement mais pas toujours, une position assez enviable au milieu de ses paroissiens auxquels il est très intégré. À Montreuil-des-Landes, en haute-Bretagne, au milieu du xie siècle, le curé Guy paraît une puissance. Il dispose partiellement de son église, a deux fils, Geoffroy et Rivallon, des noms qui évoquent l’aristocratie seigneuriale des environs, dont l’un engage sa part pour un cheval de prix et possède des dîmes dans la paroisse voisine de Taillis qu’il fait tenir par un écuyer. Cependant, Guy n’est pas le seul prêtre sur la paroisse, car un autre presbyter, sans doute installé dans le village, Odo, est témoin d’un acte131. À Martigné-Ferchaud, vers la même époque, les actes font apparaître, Irricus presbyter, son fils Guingoneus, presbyter, un autre prêtre Girbertus. Les deux derniers vivent en même temps et si Girbertus a des droits sur l’autel, Guingoneus en a sur les dîmes132. Nous sommes donc en présence à la fois d’une dynastie de prêtres et d’un partage ? Des fonctions sur la paroisse. Il ne faut donc pas réduire la présence ecclésiastique au seul curé, d’autant plus qu’il faut ajouter éventuellement celle de desservants de chapelles et, en particulier, celle d’un chapelain seigneurial. À Tinténiac, vers 1060, coexistent visiblement un curé et un chapelain de la chapelle castrale133.
95S’intègrent à ce groupe, les prieurs et moines qui vivent dans les nombreuses fondations créées dans les villages. Peu nombreux, réduits souvent à un religieux, leur présence est plus discrète que celle des laïcs mais ils appartiennent au même milieu, quand ce n’est pas aux mêmes familles. Un moine peut assurer le culte mais ce n’est pas la solution qui s’impose. Néanmoins dans les villages à prieuré, la proximité ou même la confusion de l’institution monastique et de l’oratoire paroissial donne une solide assise au personnel religieux.
96Par la suite, l’évolution renforcera l’emprise religieuse. Les prieurés-cures tenus par au moins deux chanoines comme ceux de La Roë et le renforcement du rôle et du prestige du curé vont donner une place nouvelle et plus dominante au groupe religieux. Ce dernier s’étoffe, sans doute, de tout un personnel de chapelains mais il n’est pas certain, comme le montrent bien des actes épiscopaux, que les rapports soient toujours iréniques entre curés et desservants des chapelles secondaires ou encore plustréviales134. Beaucoup de curés, cependant, ne résident pas et font assurer leur charge par un vicaire délégué dont le poids et la fortune sont sans commune mesure avec ceux d’un curé titulaire135. La condition des curés les plus mal dotés s’améliore pourtant au xiiie siècle. Les décrets du quatrième concile de Latran, le souci pastoral des évêques et les réclamations de certains curés obligent les patrons à leur accorder une part plus importante des revenus paroissiaux, ce qui fait accéder une bonne part à une aisance certaine, au moins à l’aune des fortunes villageoises136. Une grande diversité règne donc au sein du clergé présent au village, le seul point commun réside dans l’affirmation de plus en plus marquée de la différence à l’égard des laïcs, mais ces quelques hommes et éventuellement femmes contribuent puissamment à l’identité de la communauté villageoise.
97Tout un groupe qui exerce des responsabilités, peu nombreux, certes, mais essentiel, occupe une place charnière. Exerçant l’autorité sur les villageois, ils contribuent à fixer l’ossature du village et se montrent indispensables au fonctionnement de la communauté. Très divers, ils se retrouvent dans la même affirmation d’une supériorité sociale, même si leur statut, a priori, devrait les diminuer. On y compte principalement les ministériaux : prévôts, meuniers ou sergents. Les uns, comme Gautier de Pleubihan et ses équivalents gouvernent le village et y imposent une lourde autorité, ils sont souvent les représentants de maisons religieuses qui ne peuvent pas entretenir sur place des membres de la communauté. Les autres, moins puissants, bénéficient de leur fonction pour acquérir une position sociale majeure, même s’ils participent par leur tenure souvent importante à la vie agricole du village. Vers 1008-1033, Rivallon le Vicaire, fonde un prieuré près de son château à Marcillé-Robert et le dote en lui donnant « Un homme qui tient en bénéfice la terre d’une charrue et un moulin »137. Deux meuniers prennent à ferme les moulins de Saint-Jacut en 1325 pour la forte somme de 52 livres138. On pourrait ainsi multiplier des exemples qui tous démontrent l’éminente position du meunier qui occupe une position stratégique. Par la force des choses, il établit son contrôle sur les récoltes, est admirablement renseigné et perçoit lui-même le prélèvement banal de la mouture, non sans laisser planer sur lui des soupçons sans doute justifiés. Sa charge le conduit à faire appliquer les règles coutumières, verser les rentes souvent assises sur des moulins, gérer au mieux les relations éventuellement difficiles entre des maîtres différents. C’est un homme clé et sa place de témoin dans nombre d’actes est là pour le prouver139. Celui de Deux-Évailles, a une position enviable et semble un familier de son maître1400.
98Fortement impliqué dans l’exercice concret du pouvoir dont il profite non sans excès, ce groupe des ministériaux représente, non seulement l’encadrement mais aussi une sorte d’élite dirigeante, relativement privilégiée de la fortune qui va évoluer au cours des siècles mais qui sauvegardera sa position dominante, au moins en tant que groupe, car la continuité biologique n’est pas totalement sûre.
99Si les scribes amalgament dans la même masse l’ensemble des homini, des dominés, la réalité est bien plus complexe et évolue très vraisemblablement vers une plus grande distinction, approfondissant les écarts de fortune et le rôle de chacun au village. En ce domaine, l’importance de la tenure et le rôle de l’argent jouent un rôle dominant qui s’ajoute à l’état de dépendance, l’arrivée récente dans le village, l’appartenance à un canton particulier du terroir peut-être. Il en va ainsi des bourgeois dont il faut se garder de faire un groupe homogène. Le terme burgensis évolue et se sépare assez nettement du burgus en signifiant de plus en plus, au xiiie siècle, la réussite sociale et en privilégiant des habitants des villes141.
100Si l’on se place au xiiie siècle, époque à laquelle la vision que nous avons de la société se fait un peu plus claire, des clivages très nets se dessinent, n’excluant pas des tensions difficiles, cependant, à percevoir. Fort proche du milieu des administrateurs, se détache un groupe de gens aisés qui sont à la tête de biens assez importants avec les conséquences que cela implique. Un certain nombre de personnages prennent à ferme, de grosses exploitations comme les métairies mais aussi des prieurés trop éloignés de leur maison-mère et qui connaissent, alors, de sensibles difficultés. Dès le milieu du xiie siècle, Saint-Aubin afferme ceux de Courchamps et Trèves, Saint-Serge agit de même et donne à moitié fruit celui de Saint-Melaine142. Les preneurs, parmi lesquels figurent nombre d’ecclésiastiques et de clercs ne travaillent pas eux-mêmes ces domaines mais pratiquent largement l’utilisation de contrats qui les instituent rentiers, situation sans doute assez nouvelle au village143. On peut y voir les débuts de l’investissement foncier de la bourgeoisie mais il ne s’agit encore pas d’un mouvement massif et les preneurs peuvent être des curés ou des petits nobles144. Ce groupe, n’est pas obligatoirement issu de la communauté et ne réside pas obligatoirement au village.
101À un moindre niveau social, se situent les gros tenanciers et les métayers. L’importance de leurs exploitations, la possession d’un ou de plusieurs trains de culture et surtout l’emploi qu’ils fournissent à nombre d’habitants du village les mettent en position dominante mais les textes citent rarement bouviers et conducteurs de charrues, véritables salariés agricoles145. Sans doute, ces gros agriculteurs ne sont-ils pas nombreux mais leur poids dans la vie sociale se révèle sans commune mesure avec leur importance numérique.
102Il est difficile de situer dans l’échelle sociale le groupe en développement des marchands et artisans. D’abord parce qu’ils ne représentent pas des types sociaux bien individualisés. Moins présents dans les simples villages que dans les bourgs castraux, ils sont aussi polyvalents. Ces individus n’ont pas quitté le travail de la terre. Ils conservent une tenure qui leur offre une part de revenus difficile à apprécier et qui va sans doute s’amenuisant avec le temps. Deux forgerons de la fin du xie siècle tiennent une censive et un bordage dans des paroisses du haut-Maine146. Peu de villages abritent beaucoup de ces artisans ou marchands mais on en identifie un certain nombre. En ce qui concerne les artisans, celui qui se répand le plus est le forgeron et ce n’est guère étonnant encore qu’il ne se généralise pas encore, sauf dans les grandes zones de travail du fer mais nous ne sommes pas là en face d’un artisan de village. Il faut, en effet, distinguer les regroupements d’artisans pour une production spécifique à une assez grande échelle comme les travailleurs du fer dans les environs de Châteaubriant ou les potiers du village de Fontenay qui constituent des groupes assez importants et déterminent même l’originalité de leur village et les artisans plus ou moins isolés qui peuvent occuper une position sociale bien supérieure, leur présence parmi les témoins des actes en constitue une preuve assez flagrante tout comme la représentation de deux forgerons sur un chapiteau des églises de Saint-Georges-de-la-Couée et de Trôo147.
103Des marchands, sans doute de peu d’ampleur, apparaissent aussi dans quelques villages mais on les devine plus qu’on ne les voit vraiment et H. Miyamatsu n’a pas tort de soupçonner que les bourgeois du seigneur de Mayenne domiciliés dans de petits hameaux de Bourgnouvel et bénéficiaires de remises de coutumes du marché de Couptrain sont de petits marchands ambulants car le lieu est distant de plus de 40 kilomètres de leur domicile148. Malgré sa discrétion, ce monde original par la diversité de ses activités contribue grandement à l’ouverture du village.
104Le groupe beaucoup plus nombreux des tenanciers modestes nous échappe largement. Cette majorité est trop souvent silencieuse et sa vie n’apparaît que par bribes difficiles à interpréter. Sans doute, une masse importante vit-elle sur des bordages ou des exploitations comparables, dans un cadre familial. Ils profitent de la croissance et leur multiplication en est la meilleure preuve mais il n’est guère possible de dire ce qu’ils conservent de leur récolte et de leurs animaux quand toutes les redevances sont versées. Tout au plus peut-on supposer légitimement une amélioration de leur sort au xiiie siècle. Parmi eux, viennent se placer ceux qui vivent de l’exploitation des produits de la mer en s’occupant des salines ou en pratiquant la pêche. Sans se couper de l’exploitation de la terre, ils y consacrent une part de leur activité sans atteindre une réelle aisance. De telles productions retiennent déjà beaucoup de gens sur la baie de Bourgneuf et les paroissiens de Bréhat tirent assez de revenus de la pêche pour que la dîme soit prélevée aussi bien sur les céréales que sur le poisson149.
105Dénués ou presque de terre, vivant de travaux épisodiques et des droits d’usage ou survivant plus ou moins difficilement, les plus faibles, aux limites de la pauvreté ont recours à la charité monastique, le cas échéant. Une charte du Ronceray montre l’aboutissement possible des situations les plus tragiques. Ernulfus de Seiches réduit à la pauvreté se donne avec ses deux fils en abandonnant sa terre aux religieuses qui les entretiendront : illustration certes d’un problème social mais démonstration aussi du rôle complexe assumé par les prieurés dans la vie du village150.
106Ce monde paysan si discret dans les textes s’étale paradoxalement sur bien des murs d’églises. Les moines ont affiché une véritable prédilection pour le thème du calendrier et ces images du cycle de l’année, autant et plus, sans doute, qu’un simple témoignage sur la vie des campagnes, sont un véritable discours idéologique et théologique. Ces paysans bien vêtus, penchés sur leur travail, relèvent d’une conception harmonieuse de la société voulue par Dieu151. Le village n’est en fait ni ce lieu d’harmonie ni, non plus, le champ d’affrontements permanents. Comme toute société, il est traversé par des tensions et des conflits qui, parfois, se laissent deviner. Des rixes éclatent, des meurtres même se produisent qui ne relèvent pas obligatoirement du fait divers. Une haine inexpiable oppose les Deux-Évailles aux Neuvillette et se traduit par un procès faisant suite à une violente agression des seconds qui sont condamnés à 600 livres tournois d’amende152. Si l’on ressent bien l’animosité qui peut se faire jour à l’égard des ministériaux, il n’est guère possible de discerner les tensions qui existent certainement entre paysans de fortunes diverses. Le gros métayer n’a pas les mêmes intérêts que celui qui vit difficilement d’un lopin, droits d’usage et prêt de matériel, emploi épisodique doivent faire naître des acrimonies. La marginalité et l’exclusion ont aussi leur place et il ne faut pas voir le village comme une communauté totalement soudée.
107Les aubains, étrangers arrivés depuis plus ou moins longtemps, ont du mal à s’intégrer et le maintien d’un statut original le dit clairement. De la même façon, bien des métiers de la forêt doivent souffrir d’un manque de considération sans parler d’une marginalité plus ou moins assumée et diverse dans ses formes. La vogue de l’érémitisme a sans doute permis à certains de fuir les pesanteurs d’une société mal supportée153. Les derniers ermites de Fontaine-Géhard errant à la suite de leur troupeau évoquent fortement cette image, encore faut-il prendre en compte que la charte qui les décrit est rédigée par un évêque qui veut, de force, les intégrer dans un prieuré de Marmoutier154. Le vol et le banditisme expriment le refus extrême qui n’est pas si rare, les routes ne sont pas toujours sûres et les Vitae recèlent toujours des voleurs, tels ceux qui tentent de piller les troupeaux de Vital de Savigny. L’évocation n’a rien de fantaisiste car plusieurs textes de La Roë montrent des vols de bétail bien organisés, puisque les animaux sont rapidement vendus de l’autre côté de la limite provinciale, en Bretagne155. Ces derniers exemples viennent confirmer que le village n’est pas un microcosme enfermé sur lui-même, il établit des relations avec l’extérieur et fait partie d’un certain nombre d’ensembles qui le déterminent aussi.
Ouverture
108Même si la circulation n’est sans doute pas facile, le village n’ignore pas le monde qui l’entoure, le proche surtout, bien évidemment, mais aussi le plus lointain. La population accueille de nouveaux arrivants, pas toujours facilement, mais les mouvements sont plus forts qu’on ne le soupçonne. Beaucoup de bourgs du xie siècle ne se peuplent pas qu’en rassemblant la population des alentours. Il ne s’agit pas d’agglomérer la population éparse. C’est ainsi qu’au xie siècle, les bourgs d’Arquenay et de Bouère reçoivent des extranei (étrangers)156. Les bourgeois peuvent effectuer ainsi des déplacements non négligeables mais la désignation de ces hommes ne permet que rarement d’identifier leur origine. Au hasard de textes, se dévoilent quelques habitants dont le nom atteste une origine distante de quelques dizaines de kilomètres mais, le plus souvent, cela concerne des bourgeois urbains. Au xiiie siècle, Garin d’Évron s’installe à Beaumont-sur-Sarthe, ce qui ne représente pas un grand déplacement mais au xie siècle, Gautier de Chemillé venait de Chartres157. Il est difficile de tirer des conclusions d’exemples aussi minces, il apparaît comme le plus probable que les bourgs ruraux n’eurent qu’un rayon d’attraction modéré, une aire d’influence locale. Des nouveaux venus s’installent dans les villages de défrichement comme les hôtes de Lesbois158. L’identification de mouvements migratoires demeure difficile mais des bretons se signalent dans le Maine et l’Anjou, témoins, dès la fin du xie siècle, d’un courant qui voit des départs assez marqués159. Les mariages peuvent aussi provoquer des déplacements. Nous ne savons pas si les unions extérieures au village étaient fréquentes mais elles existaient puisque l’évêque de Saint-Brieuc en évoque la possibilité dans son règlement concernant la paroisse de Bréhand.
109Éventuellement, le monde extérieur peut venir perturber le déroulement de la vie courante. La guerre, les pillards inquiètent les habitants et les campagnes militaires se traduisent par des destructions des récoltes et des villages. Malgré leur ton impersonnel, les chroniques laissent entrevoir les ravages des troupes, que ce soit lors des guerres du xie siècle qui voient s’affronter Normands et Angevins pour la domination du Maine ou les campagnes de conquêtes du même Maine en 1204 par les armées royales.
110Sans que les gens de guerre interviennent, ce sont les éléments qui s’acharnent aussi sur les hommes et les chroniques d’Anjou sont pleines de tempêtes et d’hivers catastrophiques160. Les famines brisent les liens sociaux et provoquent des exodes telle celle de 1161.
« La famine se leva si bien que les mères abandonnaient leurs nouveaux-nés aux portes des monastères. Les bourgeois qui avaient été riches, ayant perdu leurs jardins, leurs vignes et biens, fuyaient en d’autres régions, cherchant leur nourriture, alors que le setier de froment se vendait 35 sous à Angers, 15 à Vendôme »161.
111D’autres irruptions de l’extérieur se présentent comme moins tragiques sans être obligatoirement agréables. Les maîtres qui ne résident pas au village y viennent occasionnellement, ce qui peut se traduire par l’exigence d’un droit de gîte ou de repas au prieuré, obligations unanimement détestées que l’on cherche à abolir ou racheter. L’évêque, quant à lui, vient rarement – la pratique des visites ne s’est pas encore implantée – tout comme l’abbé, mais leurs rares passages, souvent pour une bénédiction fournissent l’occasion de grandes cérémonies162.
112Les villageois peuvent enfin être appelés à se déplacer et pour des raisons fort diverses. Les cadres de l’organisation seigneuriale ou ecclésiastique obligent à regarder au-delà des limites du monde étroit de la paroisse. La justice contraint à des déplacements limités, certes, mais indispensables. Dans le Bas-Maine, le bailli royal tient ses assises à Sacé et à Chémeré163. Les corvées peu nombreuses exigent aussi assez fréquemment des charrois. Aller chercher les meules de moulin dans la forêt de Pail nécessite pour certains des trajets pénibles de plusieurs dizaines de kilomètres et la dame d’Olivet exige de certains métayers des expéditions en Anjou pour aller chercher du vin et à Redon pour le sel164. La structuration progressive des châtellenies et la mise au point des divisions des diocèses incluent le village dans la vie d’espaces beaucoup plus grands sans parler de l’intégration au domaine royal, au moins en ce qui concerne l’Anjou et le Maine, au xiiie siècle, mais dès le xiie, ces deux comtés étaient déjà dans le vaste ensemble Plantagenêt. Sans doute cela ne bouleverse-t-il pas la vie des villages reculés mais des effets doivent se faire progressivement sentir.
113Enfin, pour leurs propres affaires, les villageois quittent momentanément leur résidence pour des déplacements ou des voyages à plus ou moins grande distance. Les multiples foires qui se déroulent souvent dans des villages ou même des lieux en dehors de toute habitation réunissent des marchands venus de plus ou moins loin mais aussi des acheteurs, sinon de simples curieux. Les bourgeois d’Oizé paient la coutume des foires de Château-du-Loir, distant de 24 kilomètres165. Les marchands sillonnent la région : petits marchands comme ceux, peut-être, de Bourgnouvel ou plus gros mais qui vivent de préférence dans les petites villes. Enfin, sur un tout autre mode, les pèlerinages très communs provoquent de multiples voyages. Les grands, comme celui de Saint-Jacques ou de Terre Sainte n’ont guère laissé de traces dans les documents en ce qui concerne les simples villageois, pour l’aristocratie, ce n’est pas la même chose. Numériquement, ce sont les saints locaux ou régionaux qui attirent le plus. Le Livre des saints de Savigny présente plus de 400 cas de miracles concernant des gens établis dans un rayon d’une trentaine de kilomètres autour du sanctuaire. Les paysans sont particulièrement bien représentés et une bonne partie viennent des villages des alentours, en masse semble-t-il, même s’il faut rester prudent face à l’enthousiasme du scribe166. On ne peut donc conclure à l’isolement et à la fermeture du village, sans exagérer cependant l’importance des relations établies avec l’extérieur. De la même façon, l’isolement de l’individu à l’intérieur du village doit être réexaminé.
L’individu et la communauté
De l’individualisme agraire à l’individualisme des villageois
114L’Ouest et l’individualisme agraire ont depuis longtemps partie liée et l’affaire semble entendue. La faiblesse des contraintes communautaires dans le travail des champs ne résume cependant pas tout et M. Bloch dans ses Caractères origiraux de l’histoire rurale française demeurait nuancé : « Ne disons point que le régime de l’enclos était tout individualiste »167. Or, une extension notoire du concept a figé l’Ouest dans une forme exacerbée de celui-ci. Par commodité pédagogique, les pays de bocage ont été perçus comme les exactes antithèses des pays d’open-field, espaces d’individus profondément isolés, aux relations sociales réduites au minimum. Une telle vision, discutable pour les périodes plus récentes, ne peut que susciter des réserves en ce qui concerne le Moyen Âge. Il convient de ne pas exagérer l’isolement de populations égaillées sur tout le territoire villageois mais pas de façon inconsidérée. Une bonne part se retrouve dans des hameaux et écarts qui, sous le nom local de villages, constituent bien des regroupements secondaires de plusieurs dizaines de personnes. Bien plus, même pour les fermes et maisons vraiment isolées, le voisin le plus proche n’est en général distant que de quelques centaines de mètres, un kilomètre tout au plus, et les mauvais chemins qui ne sont pas encore creux n’interdisent pas toute circulation à une population qui se déplace principalement à pied et utilise encore massivement le portage168. Trop souvent, l’image des campagnes de l’Ouest est puisée dans les cahiers de doléances de 1789 qui, par définition, ne tendaient pas à un tableau objectif de la situation169.
115Il est légitime de s’interroger sur la validité du concept de village dans de telles zones mais cette façon de voir dérive aussi de l’image initiale bien ancrée qu’il n’y a de village que groupé. Ce qui est en jeu ici, ce n’est pas seulement le degré d’individualisme mais bien plutôt la forme d’une sociabilité originale qui s’est instituée dans le cadre d’un peuplement éclaté. Dispersion ne signifie en rien dilution ou atomisation et la vie sociale s’organise sur des bases spécifiques. L’alliance du bocage et de l’isolement doit être remise en question d’abord parce que dans la société féodale l’individu n’a qu’une marge de manœuvre limitée et ensuite parce que le bocage n’existe qu’à l’état embryonnaire et ne correspond alors en rien aux descriptions classiques. Dans un petit ouvrage qui ne lui permettait pas de développer cet aspect, M. Le Mené écrivait en 1977 :
« Les pratiques communautaires ne furent ni le fruit d’un déterminisme éthique ou géographique absolu, ni spécifique des seuls pays d’habitats groupés. Dans les pays d’habitat dispersé, la vie connut d’autres formes communautaires mieux adaptées aux réalités économiques »170.
Les petites communautés : la famille et le hameau
116Le village dans son ensemble ne peut offrir un cadre de sociabilité tout à fait satisfaisant en raison de son éclatement géographique. Des solidarités, mais plus généralement les manifestations de la vie sociale, peuvent s’exprimer à l’échelon de la famille et aussi du hameau. Avant le xive siècle, les renseignements n’abondent pas mais tout indique la domination de la cellule conjugale. Les tenures apparaissent aux mains de couples accompagnés de leurs enfants tel ce Garinus qui tenait une censive avec sa femme et ses deux fils cités dans le cartulaire de Saint-Vincent du Mans171. Les fouilles bretonnes de « villages » ont mis en évidence le phénomène de la maison mixte qui, par ses dimensions, correspond à ce type d’organisation familiale. C’est le cas à Pen-er-Malo ou Lann-Gouh, au Goënidou, le module de quatre bâtiments en comporte deux avec foyer, les autres étant dévolus aux activités agricoles (Fig. 39). La puissance de cette cellule familiale est indubitable et se manifeste particulièrement par un évident contrôle de sa terre. Les milliers de toponymes en erie ou ais construits sur un nom d’homme en portent la marque172. Si certains proviennent d’une fondation aristocratique, la très grande majorité sont issus de l’installation d’une famille paysanne173.
117Cependant, limiter le monde paysan à des unités familiales réduites, installées sur leurs bordages fausse quelque peu la perspective car rien ne dit que toutes les exploitations étaient mises en valeur uniquement par ce biais. Les contrats ou simplement certaines donations montrent des structures beaucoup plus complexes et, fréquemment, apparaissent des groupes à caractère familial. À Landivy dans le bas-Maine, vers 1200, la masura de Gautier du Teil est tenue par Guillaume, Richard, tous deux fils de Gautier et Fromont, fils de Guillaume, celle de la Ailleharderia par Guillaume, Eudes et Robert Aillehart ainsi que Baherel, sans doute épouse du dernier nommé. Les deux masures sont occupées par des frères, certains pouvant être mariés et avoir des enfants. L’acte précise bien qu’à la Aillehardière, les trois frères « avaient héritage dans la dite masure »174. Cela ne signifie pas obligatoirement habitation commune mais sans doute voisinage. Un tel type de situation se révèle fréquent et l’est peut-être plus qu’on ne le croit si l’on admet qu’il en va ainsi quand plusieurs personnes effectuent le même don ou la même vente, le texte excluant dans sa forme une simple laudatio parentum (accord de la parenté).
118En 1297, cinq personnes visiblement affiliées : Herbert Trochet et Luce, sa femme, Pierre, frère d’Herbert et Guillaume de la Bencerie ainsi que Béatrice, sa femme, de la paroisse de Vilaines, vendent ensemble deux journaux de terre et un courtil175. Dans ce cas, se pose la question de l’indivision. Assez fréquemment, plusieurs membres d’une même famille exercent des droits indivis sur une terre dont ils sont héritiers en commun, comme les frères de la Aillehardière ou les trois frères Goulegate qui tiennent la Goulegatière, aussi à Landivy176. En Anjou, dans les grandes borderies de Saint-Lambert-du-Lattay, les familles ont gardé longtemps un régime d’indivision177. Vers la fin du xiiie siècle, enfin, apparaît le terme de fresche qui connaîtra une fortune croissante plus tardivement mais on en repère une mention dans le bas-Maine dès 1269 et la coutume d’Anjou rédigée au xiiie siècle traite, dans un de ses articles, des associations de parçonniers « qui ont terre ensemble »178. Si la vie familiale s’organise autour du couple conjugal, l’implication dans le monde de la terre et du travail voit les liens familiaux jouer un rôle évident et la solidarité familiale s’imposer avec prégnance.
119À la famille s’ajoute le réseau des amici, groupe indéterminé, qui forme un filet de protection de l’individu. On ne les voit agir qu’autour de gens relativement importants, au rang des ministériaux, au minimum, mais rien n’exclut ce genre de relation dans les milieux plus modestes. Ils se manifestent le plus souvent à l’occasion d’une difficulté, tels ceux de Guidifen, un famulus de Saint-Georges à Pleubihan179. Ses indélicatesses et récriminations le conduisirent en prison jusqu’à ce que ses amici négocient un accord pour le sortir de ce mauvais pas. Ce groupe, sans doute d’égaux, sensible aux mêmes intérêts, joue un rôle informel mais fondamental dans l’équilibre de la société.
120Au-delà des limites familiales, une entraide de voisinage peut intervenir, sans codification particulière et un enfant peut garder, par exemple, le bétail180. Six vicini accompagnent Etienne Chavin du Theil qui va implorer le secours des saints de Savigny181. Un tel déplacement en groupe pour un pélerinage illustre bien la solidarité qui relie les voisins. Celle-ci se renforce dans des cas un peu exceptionnels ou bien localisés. Dans le marais de Dol, quelques paysans sont associés pour l’assèchement d’une terre en 1241 et l’abbaye de Montmorel la reçoit alors de deux hommes et de leurs participes (associés)182.
121Ces liens débordent sur les hameaux. Si l’on ne peut invoquer pour eux une origine systématiquement familiale, il est vrai écarts et « villages » accueillent souvent des membres d’une même lignée. À l’occasion, on saisit deux frères qui ne connaissent pas l’indivision mais néanmoins voisinent étroitement. En 1237, Hamelin le Rebuté vend sa terre qui n’est séparée de celle de son frère Raoul que par une route183. Si au Teil de Landivy, les cinq masurae citées ont des tenanciers différents, sauf deux qui ont le même, il est possible qu’une même masura crée plusieurs habitations. Dans les rentiers de la cathédrale de Quimper qui datent du début du xive siècle, les tenanciers couchés sur les listes se regroupent pour une bonne part dans des « villages » où se repère la présence de plusieurs membres d’une même famille, encore ne pouvons-nous pas les saisir tous. Dans le « village » de Lestrefguenc résident « Rivallon fils d’Alain et ses frères et sœurs, Daniel fils d’Henri Castreuc, Guillot Castreuc, Alain, gendre de Lenoir et les héritiers de Gui Lenoir »184.
122Plus généralement, le « village » se présente comme une cellule sociale fortement identifiable, ce que confirme toute une tradition qui a perduré des siècles. L. Laurent étudiant la commune d’Iffendic en Ille-et-Vilaine a constaté l’importance de l’échelon du hameau dans le système de convivialité alors que la polarisation au bénéfice du bourg était devenue nettement supérieure certainement à ce qu’elle était au Moyen Âge185. De même, Bernard Derouet, analysant pour l’époque moderne surtout, les relations existant entre territoire et parenté s’est penché sur le fort sentiment d’identification que l’appartenance à un lieu donnait à une communauté restreinte qui avait pu avoir une origine familiale. Ancrée dans le hameau, elle peut constituer une véritable entité186. Cette réalité demeure difficile à identifier à la période féodale mais l’observation faite sur les terroirs permet d’orienter l’enquête en ce sens. La terre et son travail fondent pour une bonne part cette identité du groupe. Dans le territoire paroissial, le « village » s’individualise par un finage propre, bien caractérisé qui, pour la Bretagne, oscille entre 50 et 100 hectares187.
123Fréquemment, une part de ces terres n’était pas enclose, l’absence d’un minimum d’accord dans le travail est alors difficile à imaginer. C’est ce que suggèrent fortement des hameaux et leur finage en lisière de la forêt de Paimpont. Certains portent un nom désignant une origine médiévale probable comme Villeneuve, Vieille-Ville188. Le paysage est formé de larges ensembles laniérés et clos uniquement sur leur pourtour près de « villages » formés de maisons alignées évoquant des défrichements et une mise en valeur collective. Des chartes nourrissent une telle interprétation dans d’autres lieux. À la Lande-Huan, le contrat d’association aboutit, à la fin du xie siècle, à un défrichement dont le parcellaire rayonnant peut, lui aussi, laisser supposer un minimum d’activité commune, au moins au départ189. Une telle coopération dut être le lot de bien des petits bourgs ruraux de ce type mais nous ne savons rien des travaux menés.
124Par contre, le hameau détient un certain nombre de droits sur l’espace inculte, lande et forêt, qui se traduisent par des usages concédés par les seigneurs moyennant des taxes plus ou moins légères. Ces droits ne sont pas obligatoirement accordés à une communauté villageoise mais souvent à des groupes beaucoup plus réduits. On les précise pour de simples terres ou pour quelques paysans qui peuvent correspondre à la population d’un hameau. C’est bien l’impression que donne un acte de Saint-Vincent du Mans dans lequel dix-sept personnes, dont plusieurs ont des affinités familiales, revendiquent des droits d’usage dans les bois de Blandan190. Ailleurs, une fabrication artisanale fonde la cohésion. C’est sans doute le cas pour les potiers et aussi les travailleurs du fer. L’extraction du minerai comme l’élaboration du métal créent l’activité de multiples unités humaines disséminées dans les contrées favorables comme la marche de Bretagne-Anjou191.
125Une vie sociale se développe dans ce cadre du hameau et les fouilles de Lann-Gouh en Melrand ont montré une organisation de l’espace qui va en ce sens. Les maisons se déploient autour d’une sorte de place, lieu de convergence où s’élève un four destiné, sans doute, à l’usage de tous192. Pour des hameaux d’importance, le cadre religieux vient étayer l’identité du groupe et une chapelle, desservie par un chapelain, lui donne une évidente cohésion. Les bourgs ruraux qui ne sont pas centres paroissiaux peuvent se grouper autour d’un lieu de culte comme à la Lande-Huan ou à Carcraon, éventuellement un petit prieuré rural peut servir de point d’ancrage, comme le prieuré d’Origné, dépendance de Marmoutier dans le bas-Maine193. La démarche des quelques paysans établis sur l’écart de défrichement nommé la Censive à Saint-Denis-de-Gâtines est révélatrice194. Habitant un canton éloigné du centre paroissial, ils demandent l’établissement d’un prêtre. Pour peu qu’un petit cimetière soit autorisé comme à la Chapelle-saint-Aubert dans la paroisse de Saint-Sauveur-des-Landes, un destin paroissial se profile195.
126En Bretagne celtique, une institution originale, connue surtout à la fin du Moyen Âge, commence à se distinguer : la frairie. Il s’agit d’une association à caractère d’abord religieux mais qui dépasse ce cadre pour atteindre une convivialité très étendue. Centrée sur un hameau et dotée d’une chapelle, elle s’étend sur une fraction de paroisse et, quand elle apparaît en pleine lumière, elle se manifeste comme le lieu d’une solidarité marquée. Selon N.-Y. Tonnerre, le fait que ces frairies nombreuses, une douzaine à la fin du Moyen Âge, à Avessac, soient établies fréquemment sous le patronage d’un saint breton dans des lieux où le breton n’était plus parlé depuis longtemps, tend à faire remonter l’origine de certaines à une date fort haute et à constater leur existence à la période féodale196.
127Si les liens familiaux et de voisinage ne présentent qu’une originalité réduite mais qui joue son rôle dans le cadre de la dispersion, à bien des égards, le hameau, important ou pas, voit se déployer une sociabilité propre, dans le travail, mais difficile à cerner, et dans les autres aspects des relations sociales de façon souvent plus nette. Une telle situation risque, bien sûr, d’affaiblir les liens de l’ensemble de la communauté villageoise.
Quelle communauté villageoise ?
128Incontestablement, le village, dans l’Ouest, est marqué par une certaine faiblesse des liens sociaux et, traditionnellement, c’est la paroisse qui est considérée comme le principal vecteur de la communauté, garant d’une certaine cohésion. C’est loin d’être inexact mais des nuances s’imposent. Ceux qui estiment que la paroisse est une sorte de cadre venu de l’extérieur ne reflétant guère l’unité du groupe vont, sans doute, un peu vite et négligent l’existence, très tôt, de paroisses primitives, entités bien réelles même si elles diffèrent passablement de celles des siècles postérieurs. Les plou bretonnes illustrent ce cas et l’on peut remarquer l’évidente répugnance à les diviser, aux xiie et xiiie siècles, il n’est pas prouvé que cela ne provienne que des autorités ecclésiastiques. En effet, dans tout l’Ouest, un minimum de sentiment communautaire se manifeste dans l’appartenance à une paroisse. Dès la fin du xie siècle, ou un peu plus tard, la parrochia se présente comme le cadre de référence systématique pour situer toutes les terres et les parrochiani en groupe figurent à des manifestations particulières, telles que des donations solennelles. De tels faits traduisent sans aucun doute l’encadrement mais rien n’interdit de penser que cette unité est parfaitement consentie et vient étayer quelque chose d’esquissé ou de souhaité.
129Certes, cette paroisse peut parfois apparaître comme un cadre surimposé mais l’analyse se révèle plus complexe. La notice qui raconte en détail la bénédiction du cimetière de La Roë, en 1098, montre clairement une volonté de donner une structure institutionnelle aux pionniers dispersés dans les chantiers de défrichement nombreux dans la région. L’évêque demande : « qui étaient les autres habitants des forêts d’alentour qui pourraient être librement paroissiens de ce cimetière ». Outre le fait que les paysans ont pu souhaiter ce cadre sécurisant, il faut constater aussi un réel esprit de communauté. En effet, l’événement fait grand bruit et attire les foules. « Accoururent alors rapidement presque tous les habitants des paroisses voisines avec leurs prêtres ». Les gens sont venus en paroissiens sous la houlette de leur pasteur, or, pour certains, la structure est pourtant toute récente. Ils trouvent donc dans la paroisse l’expression de leur groupe, même si tous n’habitent pas au bourg, loin de là. L’enclos ecclésial s’affirme fortement comme le point d’ancrage de la communauté prise dans le déroulement des générations, morts et vivants mêlés car le cimetière est unique et obligatoire comme deux actes épiscopaux bretons cités précédemment viennent le rappeler en plein xiie siècle197. Le système bien défini de taxes et de prélèvements divers vient ajouter des éléments contraignants et la réforme pastorale de la première moitié du xiiie siècle approfondit les liens qui tissent la communauté paroissiale198. Logiquement, cela suscite ou favorise le développement d’une organisation propre. Des interventions montrent le corps des paroissiens uni dans une action. Au début du xiie siècle, ceux de Saint-Aignan-de-Gennes demandent de remettre une dîme au curé en promettant que les services seraient mieux rendus199. L’acte met en évidence une restitution dans laquelle les villageois sont nettement partie prenante.
130La voie s’ouvre vers des associations religieuses, des fraternités, signalées dans les textes dès le xiie siècle dans de gros villages dotés de prieurés comme Bazougers, Brûlon ou Grez-en-Bouère, dans le Maine200. Il est difficile de préciser leurs activités avant la fin du Moyen Âge mais, en 1220, à Bréhand, au diocèse de Saint-Brieuc, sont évoqués, déjà, le repas rituel lors de la fête du saint-patron, les prières et messes dites pour les confrères défunts et l’association demeure bien encadrée par le prêtre201. Cela préfigure la mise en place des fabriques citées de plus en plus à partir de la première moitié du xiiie siècle202. Peut-être sont-elles progressivement nées des assemblées paroissiales réunies à de grandes occasions. Dès les environs de 1030, les habitants de Vieux-Vy obtiennent la transformation de coutumes données à Marmoutier, la compétence des paroissiens, dans ce cas, déborde le champ religieux, peut-être est-ce l’héritage d’une longue histoire car il s’agit d’un vicus, par contre, l’intervention des habitants de Saint-Aignan-de-Gennes, un siècle plus tard, paraît s’inscrire dans cette voie203. Bréhand est clairement doté d’une fabrique en 1220, c’est l’une des premières mais à la même époque, rien qu’en Bretagne, existent aussi celles de Silfiac et Plussulien204.
131Sans doute encore fortement contrôlées par le curé, elles gèrent déjà des biens qui leur sont légués et doivent participer à l’entretien de l’église. En 1229, les habitants de Saint-Méloir-des-Ondes baillent à rente à leur curé un champ pour une demie mine de froment à payer à leur église205. L’un des premiers textes précis se place, en 1300, à Saint-Sauveur-des-Landes, au diocèse de Rennes. Un acte passé entre le prieur et les habitants devant l’official règle leur participation à la remise en état de l’église. L’assemblée des parrochiani limitée à la « major et sanior pars » réunit 53 personnes, chefs de feux, sans doute, c’est-à-dire une très grande part de la population. Ils constituent procuratores trois écuyers, deux clercs, quatre simples paroissiens et ajoutent, évidemment, le curé : « Ils les instituèrent comme leurs procureurs solidairement »206. Ils sont chargés de veiller au bon entretien de l’église et aux réparations nécessaires pour la partie qui revient aux paroissiens, c’est-à-dire la nef, les fonts et les cloches, le chœur, une chapelle et l’ala (aile) qui touche le prieuré revenant aux moines207. On constate par cet acte exceptionnel la forte participation des paroissiens à l’assemblée ainsi que la composition de cette dernière qui incorpore la petite aristocratie, d’ailleurs surreprésentée dans le groupe des procureurs. Par le biais de la fabrique, la communauté villageoise s’affirme en tant que corps et assume des responsabilités qui n’ont rien de secondaires mais il est difficile de savoir si son champ de compétence débordait les questions purement liées au domaine religieux. Par contre, l’affirmation de l’institution contredit quelque peu l’autonomie dont les « villages » semblent disposer, à moins que déjà ne se produise, au moins en Bretagne, ce qu’affirme M. Planiol, l’existence de fabriques pour certaines grosses chapelles208.
132En fait, la cohésion paroissiale souffre de la concurrence des « villages » et de certains lieux de culte secondaires. Le cas est flagrant pour les trèves bretonnes qui accèdent presque à des responsabilités paroissiales. Certaines paroisses pourraient bien ressembler à des fédérations très lâches de plusieurs groupes humains réunis par un minimum de facteurs communs et l’on peut aussi douter de la réalité de communautés formées par des ensembles de gros hameaux sans véritable centre bien marqué dont la structure paroissiale présente un caractère plaqué. Cependant, ces cas mis à part, entre la force d’attraction du centre paroissial, garant de l’unité communautaire, et les effets centrifuges venus des hameaux, un rapport de force s’installe dans lequel, les atouts de l’union ne sont pas négligeables, au point de renforcer progressivement une institution qui, malgré tout, ne peut prétendre à une cohésion totale.
133L’évolution dessinée au Moyen Âge sauvegarde l’unité à moins que, et ce n’est pas rare, un gros village, une trève n’accède par partition à son indépendance. C’est ainsi que sont nées bien des paroisses nouvelles, entérinant un état de fait qui rendait une vie commune difficile. Pour les autres, la tendance à l’autonomie des écarts va plutôt en s’atténuant. Comme l’a bien montré J. Avril pour le diocèse d’Angers, mais la même chose se retrouve ailleurs, une politique systématique renforce la position dominante de l’église-mère209. La réalité paroissiale n’est donc pas seulement imposée même si, dans certains cas, cela n’est pas complètement exclu, mais une forme particulière d’organisation s’est adaptée à une structure d’habitat et à une réalité sociale. Malgré l’effort de concentration sur l’église paroissiale, l’autorité ecclésiastique a reconnu, pour une part au moins, l’existence de regroupements intermédiaires, peut-être est-ce là la raison de certaines tolérances. La cohésion doit donc être moins forte qu’en habitat groupé mais elle n’en existe pas moins. Par contre, si le domaine religieux a nettement suscité une forme de sociabilité, celle-ci s’étend à d’autres domaines moins aisés à percevoir.
134La seigneurie banale contribue à souder le village et ses habitants et est, peut être même, en partie responsable de son origine. Le regroupement dans les centres paroissiaux ou autour des châteaux est bien souvent lié à une puissance seigneuriale mais il semble que l’attitude des hommes y soit assez favorable. L’habitat dans les cimetières, par exemple, encouragé par les seigneurs rencontre un éventuel souci de sécurité chez les dépendants. D’ailleurs, comme pour la paroisse, le pouvoir laïque, souvent, ne fait que renforcer un mouvement né avant la généralisation de la seigneurie banale. L’autorité seigneuriale unit d’une certaine façon les hommes en les faisant hommes du seigneur soumis aux mêmes obligations.
135Les textes parlent plus souvent des bourgs castraux, quelle que soit leur importance. Une taille globale est fixée par le seigneur de Vitré sur le bourg de Marmoutier, au pied de son château, en 1158, mais on retrouve aussi un montant défini de 30 sous mansais à Bouère, un demi-siècle plus tard210. Si le prieur supervisait sans aucun doute les versements, la part de chacun devait faire obligatoirement l’objet d’un accord. En 1241, les bourgeois de La Chèze se voient accorder un abonnement de taille fixé à 60 livres. L’absence d’un prieuré laisse toute latitude aux bénéficiaires pour organiser le paiement211. Les corvées, à certaines occasions, contraignent le monde paysan à un évident travail en commun, que ce soit lors d’une réquisition pour l’entretien ou la garde d’un château ou lors du charroi de meules212. Les chartes relatives à certains petits bourgs castraux détaillent la liste de ces obligations qui contribuent à un minimum d’entente entre les bourgeois et des situations analogues se rencontrent certainement dans de simples villages.
136Il n’est pas nécessaire de revenir sur les banalités, le moulin et le four au moins, le pressoir dans le sud du Maine et en Anjou constituent vite des éléments indispensables de la vie villageoise. Les usages en forêt et sur les landes peuvent parfois être concédés au village dans son ensemble mais les concessions particulières qui sont accordées aux hommes d’un établissement religieux divisent éventuellement les paysans. L’abbaye d’Évron obtint pour ses hommes de la paroisse de Cigné de larges droits sur les landes de Baugé qu’ils pouvaient utiliser comme de véritable communs. Il s’agit cependant de droits réservés à certains et non à tous les paroissiens puisque le seigneur refuse d’abord de reconnaître ce droit puis l’accorde, mais aux hommes d’Évron à la date du procès en 1225, pas à ceux qui pourraient s’y ajouter. Il faut constater que ces droits n’étaient pas minces, il est question de champs défrichés et de prairies, si bien que derrière le seigneur se profile la silhouette de paysans jaloux de leurs privilèges213.
137Il est d’ailleurs difficile de saisir clairement le sens que l’époque accordait au mot communitas qui s’applique à la jouissance des usages. S’il est exclu d’y voir de véritables communaux, il s’agit quand même de biens dont l’usage est commun et qui nécessitent obligatoirement des accords et des ententes. Faut-il aller jusqu’à un embryon de gestion collective ? Le texte des landes de Baugé le laisserait entendre214. Si l’usage peut en demeurer individuel, que ce soit pour le bois ou pour l’élevage, il est évident que certaines pratiques supposent quelque entente et que, surtout en ce qui concerne les troupeaux, des pratiques un peu communes ne sont pas à exclure. Les textes citent parfois des bergers, il n’est pas impossible de formuler l’hypothèse d’un seul, commun au village, qui apparaît plus tardivement dans les textes mais son existence peut avoir anticipé ces écrits215.
138Mais c’est peut-être par la résistance ou l’opposition aux exigences seigneuriales que se soude le mieux une certaine unité. Certes, il ne s’agit pas de révoltes, en général, mais des mouvements se traduisent par des procès qui peuvent en dire long sur la volonté manifestée par des communautés. En 1225, le chapitre de Dol doit affronter ses hommes de la paroisse de Sains qui obtiennent une sentence du sénéchal de Rennes. L’affaire demeure obscure mais les habitants protestaient contre les « dommages causés par le seigneur Olivier de Quoyquen et ses serviteurs »216. Cependant, il est possible d’entrevoir d’autres types de rapports. En 1265, le seigneur de Mayenne, Alain d’Avaugour, qui comme ses prédécesseurs avait opéré une large politique de défrichement dans sa forêt se heurte à l’opposition ou plutôt à la requête de ses villageois qui lui demandent d’arrêter pour sauvegarder la forêt. On pourrait envisager une relation un peu analogue à celle du conseil telle que la définit S. Reynolds mais il semble ici que la décision seigneuriale résulte d’une pression bien organisée217.
139Cependant, au-delà des contraintes des institutions, des solidarités se font jour, entrevues plus ou moins clairement dans des textes évidemment peu bavards puisque cela ne concerne que le milieu paysan. Au village, l’entraide existe dans des circonstances un peu exceptionnelles telles que la construction d’une maison. Au xiiie siècle, dans un village nommé la Bazouge, au diocèse de Rennes, un charpentier tomba d’une échelle sur le chantier d’une maison en construction auquel participait « une grande part des hommes du village »218. Plus communément, la vie agraire entraîne certaines pratiques. Outre l’utilisation des terrains de parcours, quelques textes montrent que des usages communs existent telle que la vaine pâture. Les bourgeois du bourg Saint-Martin de Beaupréau doivent aux moines de Saint-Serge, à la fin du xie siècle, le pasnage de leurs porcs pour la vaine pâture sur les chaumes après la moisson, en août219. Cela devait être inégalement répandu et était lié au degré d’enclôture. Les terres monastiques et nobles, sans parler des grosses exploitations, échappaient à ces pratiques collectives.
140La solidarité villageoise peut s’exprimer aussi par la mise en place d’un réseau dense de petites institutions d’assistance, léproseries, hôpitaux, aumôneries qui se créent jusque dans de modestes villages. Dans le bas-Maine, on en découvre à Châtillon-sur-Colmont, Prez-en-Pail ou Quelaines et la toponymie tend à en signaler bien d’autres qui n’ont pas laissé de traces220. Enfin, assez logiquement, la communauté apparaît parfois en corps dans des décisions la concernant. Ici et là, des prévôts ou maires semblent exercer l’autorité seigneuriale, mais il n’est pas impossible que, parfois au moins, une plus grande autonomie soit acceptée. Lors de la fondation du prieuré de Brossay, en 1097, Bellay, seigneur de Montreuil, accorde la fondation d’un bourg dont l’étendue des libertés suffit à l’appeler Franche Ville221. André Chédeville a fait remarquer que les franchises sont fort rares dans l’Ouest et que les libertés sont des privilèges octroyés, ce qui ne signifie pas obligatoirement la force de l’encadrement seigneurial, bien au contraire, et G. Sivery établit une relation étroite entre les pays d’élevage et d’habitat dispersé et des libertés marquées222. Quelques applications, somme toute timides, émergent de la documentation. Dès 1089, les anciens de Livré en Bretagne, sont appelés à définir les limites de la paroisse et affirment qu’une part de la forêt relève de l’abbaye de Saint-Florent223. Au xiie siècle, une procédure identique fait intervenir le témoignage des anciens de Corseul sur les dîmes de Saint-Magloire224. Beaucoup plus tard, en 1252, à Argentré, dans le diocèse du Mans, un accord entre l’évêque et les chevaliers Vivien et Hamelin l’Enfant définissant l’attribution de la vicaria et de la haute justice sur les hommes du bourg est rédigé « avec le commun accord et la volonté des hommes vivant alors dans le bourg »225.
141Sans être impressionnants, tous ces témoignage convergent pour mettre en évidence la réalité de maintes communautés villageoises. Si leur cohésion peut paraître assez lâche, la réalité du développement des liens sociaux les plus divers à un degré non négligeable s’impose. Le terme d’individualisme est donc à employer avec une certaine prudence en ce qui concerne l’ouest de la France et une interrogation précise des sources oblige à reconsidérer des positions qui seraient trop radicales. Si comme le notait M. Bloch « l’empire de la collectivité s’arrêtait devant les labours », ce qui d’ailleurs exigerait une étude approfondie, de vastes domaines de la vie des champs peuvent rester liés à un degré ou à un autre à la vie communautaire226. Les communs, la vie du troupeau en relèvent en particulier. Les communautés villageoises, non plus, ne sont pas vraiment des coquilles vides, simples cadres posés par l’autorité ecclésiastique ou seigneuriale.
* * *
142Le rôle du pouvoir est donc déterminant dans le schéma de peuplement qui s’organise. La seigneurie pas assez douée d’influence pour tout déterminer joue de la mise en place du cadre ecclésiastique. Cependant, par leur choix et leur politique, les deux puissances contribuent à l’établissement d’un réseau hiérarchisé pour peu que leurs initiatives s’intègrent dans une certaine logique d’organisation de l’espace. Néanmoins, les conditions originales de l’Ouest n’autorisent pas l’efficacité que l’encadrement aurait réclamé et il rompt donc avec un schéma de population groupée. Prenant acte des réalités plus ou moins consciemment, il est possible que la seigneurie ait opté pour un système plus complexe, acceptant la dispersion en essayant de la contrôler.
143De telles conclusions font intervenir de façon évidente les hommes qui peuplent les villages. Loin de simplement subir un encadrement bien réel, ils ne sont pas sans poids dans le jeu des forces sociales. Les structures d’encadrement pèsent certainement moins lourd qu’ailleurs mais la population villageoise s’est organisée et son regroupement, fruit d’une longue évolution, a plus rencontré la tentative de réunion des détenteurs du pouvoir qu’elle ne l’a globalement subie. En conséquence, elle demeure tiraillée entre les tendances contraires d’une sensibilité poussant à une réunion favorable à l’assise d’un certaine identité du groupe et l’usage d’une liberté qui s’exprime sans doute plus dans le petit groupe que dans un individualisme prononcé ; à ce titre se dégage le hameau ou « village » qui acquiert une véritable personnalité et intercepte à son profit une part des liens sociaux ailleurs dévolue à l’ensemble paroissial.
144Enfin, l’individualisme étant souvent mis en relation avec le bocage, il faut bien constater que ce dernier n’est qu’en gestation aux siècles qui ont retenu notre attention et s’il est le fruit d’une société, est-ce bien l’individualisme paysan qu’il faut invoquer quand on peut soupçonner la naissance, ou tout au moins un certain développement de celui-ci, d’abord sur les terres monastiques et seigneuriales. Ce bocage devenant vraiment réel à partir du xve et du xvie siècle, il faudrait alors s’interroger sur un éventuel affaiblissement des liens communautaires qui lui serait associé.
Notes de bas de page
1 Dillay Madeleine, « Le régime de l’église privée du xie au xiie siècle, dans l’Anjou, le Maine, la Touraine », RHDFE, 1925, p. 253-294.
2 « Gaufredus de Meduana violenter nobis auferens, cuidam [servo ou militi ?] suo eam dedit », Cart. Manceau de Marmoutier, Château-du-Loir, 12. La lecture militi semble préférable. Chahaigne (Sarthe, cant. La Chartre-sur-le-Loir).
3 « Scripturus igitur qualiter Sanctus Sergius ecclesiam de Basolgiis habuerit ab Hugonis ipsius ecclesiae domini antiqua conventione initium sumam. […] et antecessorum suorum qui ecclesiam edificaverant. », Cart. St.-Serge, I, 184 (1082-1093) ; Bazouges-sur-Loir (Sarthe, cant. La Flèche). Duval M., « En Bretagne : recherche sur la formation des paroisses… », op. cit.
4 « Fulco, comes Andegavorum, […] volens ex suo honore aliquod beneficium servicio […], fecit quandam ecclesiam in sua terra, loco qui Vendengiacus nuncupatur, in honore sancte Marie genitricis Dei ; quampostmodum salubri accepto consilio, Deo et sanctis martiribus Sergio et Bacho et monachis Deo in eorum monasterio deservientibus, cum domibus et omnibus edificiis, que ad eandem ecclesiam pertinebant dedit ». Cart. St-Serge, I, 188. (1067-1082). Vendengé, cne de Guedéniau (Maine-et-Loire, cant. Baugé).
5 Il n’est pas indifférent de noter le souci de seigneurs fondateurs de doter leur église de reliques dont la force protégera le groupe et assurera sa prospérité. Le chevalier Turpin s’engage à ne donner l’église de Saint-Pont de Marigné en Anjou à Saint-Serge que si les moines acceptent de se départir de quelques reliques, Cart. St-Serge, I, 285, et, à la même époque, à la fin du xie siècle, le père d’Hamelin d’Anthenaise avait construit l’église de la Chapelle-Anthenaise pour honorer des reliques prestigieuses, Cart. St-Vincent, 465.
6 Chédeville A. et Tonnerre N.-Y., La Bretagne féodale, op. cit, p. 347.
7 « Sciendum est quod presbyter et omnes successores habebunt partem sepulture que nunquam ultra quatuor denarios crescat », Cart. La Couture, 13.
8 « [...] Wiscelinum de Vallibus dedisse… quicquid habebat in ecclesia Sancte Marie de Curte Dominici, presbiterium, oblationem cum primitiis et duas partes decimarum, unam masuram terre quam habuit presbyter », Cart. St-Vincent, 428. Courdemanche (Sarthe, cant. Grand-Lucé).
9 « [...] ecclesiam ejusdem loci in honorem sanctorum Cyrici et Julitte constructam, exceptis duabus partibus sepulture et tertia parte omnium illarum primitiarum quas habebat in dominium et tertia rursus parte totius oblationis XIII festorum […]. Cujus scilicet oblationis et primitiarum totius parechie pars nihilominus tertia pertinet ad fevum presbyteri quem et ipsum nostre tradidit ditioni et terra simul altaris, dimidium fere burdagium apud Montem Agulfi, decima quoque unius carruce Fulconis et mansura que vocatur Cantalupe. Hec sunt fevus presbyteri, exceptis aliis oblationibus totius anni et reliquis que consuetudinarie presbyter de ecclesia quam tenet assequitur […] », Cart. manceau de Marmoutier, Bouère, 1, (Mayenne, cant. Grez-en-Bouère).
10 « [...] et alii milites qui in cimiterio plateas habent », Guillotel H., « Du rôle des cimetières… », op. cit., pièce annexe, 2. « Participes cimiterii concesserunt partes suas », ibidem 1 ; « Pro parte vero sepulturae quam sui milites tenebant dedit terciam partem denariorum de sua parte sepulturae ecclesiae Sancti Martini », Cart. St-Serge, I, 151. Combourg (Ille-et-Vilaine, cant. de), Andrezé (Maineet- Loire, cant. Beaupréau).
11 Ibidem, I, 25. Montreuil-sous-Pérouse (Ille-et-Vilaine, cant. Vitré).
12 Bienvenu J.-M., Recherches sur le diocèse d’Angers au temps de la réforme grégorienne, thèse de troisième cycle, Paris, 1968, ms, « Les caractères originaux de la réforme grégorienne dans le diocèse d’Angers », BPH, année 1968, Paris, 1971, p. 545-560 ; Chédeville A., « Les restitutions d’églises en faveur de l’abbaye de Saint-Vincent du Mans. Contribution à l’étude de la réforme grégorienne », CCM, 1960, p. 209-217 ; Pichot D., « Le temps des réformes », dans dom Oury G. M) (dir.), Histoire religieuse du Maine, Tours, 1978, p. 59-82, « Histoire du diocèse du Mans du xe au xive siècle », MAH, n° 21, 1998, p. 54-92 ; Poquet du Haut-Jussé B., « Les prodromes de la réforme grégorienne en Bretagne », BPH, Congrès de Rennes, 1960, vol.2, p. 871-891, Guillotel H., « La pratique du cens épiscopal dans l’évêché de Nantes. Un aspect de la réforme ecclésiastique en Bretagne dans la seconde moitié du xie siècle », MA, t.80, 1974, p. 5-49, Devailly Guy, « Une enquête en cours. L’application de la réforme grégorienne en Bretagne », AB., n° 2, juin 1968, t.75.
13 Guillotel H., Actes, 10, 19. Servon (Ille-et-Vilaine, cant. Châteaugiron).
14 Idem, « La pratique du cens épiscopal…», op. cit., Pichot D., « Histoire du diocèse », op. cit., p. 59.
15 Brunel Ghislain et Lalou Elisabeth, Sources d’Histoire médiévale, ixe-milieu du xive siècle, Paris, 1992, p. 153.
16 Chédeville A., « Les restitutions… », op. cit.
17 Dans le diocèse d’Angers, Saint-Serge en a 54, Saint-Florent 49, Saint-Aubin 33, dans celui duMans, La Couture, 80, Saint-Vincent 65. En Bretagne, les grandes abbayes locales peuvent posséder des paroisses mais Saint-Melaine fait un peu figure d’exception avec 70.
18 Dufief A., Les Cisterciens…, op. cit., p. 196-211.
19 Comte François, L’abbaye Toussaint d’Angers des origines à 1330, Angers, 1985, p. 54.
20 Chédeville A. et Tonnerre N.-Y., La Bretagne féodale, op. cit., p. 238.
21 En Anjou, sur 32 bourgs dont nous possédons les actes de fondation, 28 ont été créés à l’occasion de la restitution de l’église, Zadora-Rio E., « Bourgs castraux et bourgs ruraux…», op. cit., p. 176.
22 Avril J., « Églises paroissiales et chapelles de châteaux aux xiie et xiiie siècles », dans Seigneurs et seigneuries au Moyen Âge, Paris, 1993, p. 461-479.
23 Pontalo., « Les statuts synodaux angevins et leur extension dans l’Ouest », RHEF, 1960, p. 52-67 ; Avril J., Le gouvernement des évêques…, op. cit., p. 585 et suiv.
24 Sur les curés du xiiie siècle, Ibidem, quatrième partie, chap. 3 ; Pichot D., « Curés du Bas-Maine au xiiie siècle », MAH, n° 10, 1987, p. 49-62.
25 Chappée J. et Ledru A., (ed.), L’enquête de 1245 relative aux droits du Chapitre Saint-Julien du Mans, Paris, Laval, 1922.
26 Le past était la redevance versée au curé en raison du repas de noces, représentant le casuel pour un mariage.
27 Cette charte de Saint-Melaine est éditée dans Anciens évêchés, t.3, p. 337-339. Traduction dans Merdrignac B., La vie religieuse en France au Moyen Âge, Paris, 1994, p. 157-158. Bréhand-Moncontour (Côtes d’Armor, cant. Moncontour).
28 Pichot D., Le Bas-Maine, op. cit., p. 319, Barthélemy D., La société…, op. cit., p. 914-918.
29 Ibidem, p. 184-186.
30 Pichot D., Le Bas-Maine, op. cit., p. 136-137, 157. Angot, Dictionnaire, art. Bouère.
31 Brand’honneur M., Manoirs et châteaux…, op. cit., p. 265.
32 Pichot D., Le Bas-Maine, op. cit., p. 312. Cart. manceau de Marmoutier, Laval, 10.
33 Cart. St-Aubin, 87-89. Champagné-sur-Sarthe (Maine-et-Loire, cant. Châteauneuf-sur-Sarthe).
34 Chédeville A. et Tonnerre N.-Y., La Bretagne féodale…, op. cit., p. 128 ; Tonnerre N.-Y., Naissance…, op. cit., p. 372, 452-453.
35 Cart. St-Georges, 2.
36 Naas Patrick, « Prospections archéologiques dans le Morbihan intérieur », Archéologie du paysage. Actes du colloque de Melrand, 28-29 mai 1991, Penn ar bed, n° 148-149, 1993, p. 3-15.
37 « Hamelinus de Altanosia conventionem requirebat a monachis qui Basogerii morabantur ut burgum suum clauderent de bono fossato sicut suum, monachi contradicentes […] hoc facere […] non esse rectum ut castellum facerent qui ad eorum ordinem non pertinebat… », Cart. St-Vincent, 459 (fin xie siècle). À Bouère, en 1199-1214, Savary d’Anthenaise exempte les hommes des moines de service de guerre : « nisi in tempore guerre et hoc tantummodo ad claudendum burgum monachorum », Cart. manceau de Marmoutier, Bouère, 16 ; Latouche R., « Un aspect de la vie rurale dans le Maine…», op. cit.
38 « Petrus dux Britanniae […] Cum nos, ad quorundam suggestionem, in hominibus prioris de Gahardo exercitum peteremus, ut pote qui antecessores nostri dicebantur aliquando habuisse, nos, recensito tenore cartularum suarum et antiquorum virorum inquisita assertione, certissime comperimus nos ibidem exercitum habere non debere […] », La Borderie, Actes, 90 (1216).
39 « de toto territorio ad Sanctum Melanium pertinente vicariam totam et bidampnum, et totas consuetudines, excepto fodrio et proelio generali », « vicarias et omnes consuetudines », Cart. St-Serge, I, 50, 20.
40 Tous les historiens de l’Ouest ne s’accordent pas totalement sur le contenu de la vicaria mais y reconnaissent l’affirmation de la justice. Seul, Boussard J. y voit seulement un pouvoir de police mais il reconnaît son assimilation fréquente au droit de ban. Dans une abondante bibliographie, on peut mettre en évidence, Koch A.C.F., « L’origine de la haute et de la moyenne justice dans l’ouest et le nord de la France », Revue d’histoire du droit, 1953, vol.21, p. 420-458 ; Boussar D J., « Le droit de vicaria à la lumière de quelques documents angevins et tourangeaux », Études en hommage à E. Labande, 1974, p. 39 ; Barthélemy D., La société…, op. cit., p. 324-327 ; Lemesle B., La société aristocratique dans le haut-Maine, p. 190-193.
41 « Homines vero terre ipsius vel burgi liberos esse constituit ab omni costuma et vicaria », Cart. St-Aubin, 140 (1097). « [...] Burgum et burgi villicationem », Cart. Ronceray, 419, (vers 1110).
42 Miyamatsu H., « Bourgs et Bourgeois », op. cit. p. 169-170.
43 Duparc P., « La commendise ou commende personnelle », BEC, t.119, 1961, p. 50-112.
44 Barthélemy D., La société…, op. cit., p. 328-329.
45 Le prieuré de la Madeleine reçoit une série de libertés qui le fait dénommer Francheville. Cart.
St-Aubin, 140.
46 « [...] et suam partem de vendis in eodem cimiterio et in burgo qui tunc erat et excrescet circa cimiterium et monasterium. […] Et mercatum aut forum monachus nisi ejus licentia faciat », Cart. St-Serge, I, 315 (1056-1082).
47 Miyamatsu H., op. cit., p. 183-184.
48 « Tota consuetudo erit canonicorum, praeter vendam tantum in foro meo, in die quo forum est », Cart. noir, 63.
49 « Furnum autem si ibi fuerit factum commune inter monachos et illos erit. Quod si locus creverit et homines abundeverint, monachi suum furnum in sua parte habeant ». Cart. La Couture, 31.
50 Barthélemy D., La société…, op. cit., p. 735-745.
51 « [...] et de omni burgo et de cimiterio similiter tertiam partem monachis, et tertiam supranominatis senioribus, scilicet de sepultura, de vendis, de censu, de furnili, de pedagio, de pasnagio, de prefectura, de vicaria et de omnibus illis consuetudinibus […] », Cart. St-Serge, I, 103.
52 Anciens évêchés, livre IV, 71 ; « [...] cum duabus partibus decimae et omni botellagio et pressoragio parochiae de Pleumodan », ibidem, 73 (1224).
53 « [...] cum omni molta totius parrochie Calviniaci […] », arch. dép. Ille-et-Vilaine, 6H33. (vers 1040- vers 1070), Chauvigné (Ille-et-Vilaine, cant. Antrain).
54 Lemesle B., La société aristocratique…, op. cit., p. 762. Souday (Loir-et-Cher, cant. Mondoubleau). Ces domini ne sont guère faciles à saisir. Dans le bas-Maine, quelques lignages de ce genre se distinguent, en particulier celui qui porte le nom d’Averton dont on peut suivre l’ascension au service de seigneurs supérieurs, PICHOTD., Le Bas-Maine, op. cit., p. 311. Averton (Mayenne, cant., Villaines-la-Juhel).
55 Barthélemy D., La société…, op. cit. p. 912.
56 « […] cum omnibus consuetudinibus nobis inde pertinentibus, cum equitibus et villanis, cum terra culta et inculta, cum carrucis etiam et bobus, omnique dominio », Cart. St-Georges, 15.
57 Ibidem, 16 (xie siècle).
58 « [...] prefectura de Plubihan quam pater ejus tenuit ei [abbatissa] concedit […] », Ibidem, 19. L’éditeur date l’acte des environs de 1060. L’exemplaire des Archives départementales d’Ille-et-Vilaine est annoté de la main d’A. de La Borderie qui propose avec des arguments convaincants : 1065-1067.
59 « [...]in fidelitate Sancti Georgii, ipse plebis ejus sit defensor et protector, latronum etiam malefactorum justissimusque persecutor ; universorumque placitorum reorum hominum rectissimus judicator. Nec sit ei jus manducandi vel bibendi, aut ullam querelam faciendi nisi in suo dominio », Cart. St-Georges, 19.
60 La Borderie A., Actes, 10. À Combrée (Maine-et Loire), un commune mancipium qui a prêté fidélité aux moines et aux seigneurs rend la justice, Cart. St.-Serge, I, 103.
61 Cart. La Couture, 31.
62 « ante portam ipsius castelli », Cart. St-Aubin, 326.
63 « [...] eadem libertate fruantur in burgo predicto omnes illi quos monachi non de illa sed de extranea parrochia poterint inibi adducere », Cart. Redon, 396.
64 « Hoc convenisse inter nos et et Fulconem de Boeria de burgo quem feceramus apud Boeriam in terra ab ipso nobis donata, ut monachus qui rebus nostris in eo loco prefuerit, non recipiati eumdem nostrum burgum burgenses Fulconi ipsius ad habitandum preter illius voluntatem assensumque gratuitum […] Porro autem quicumque extraneus de quocumque veniens loco habitare voluerit in eodem burgo nostro sive de villa sit ille, sive de civitate, sive de castello, sine ulla calumnia vel contradictione Fulconis recipiatur a monacho », Cart. manceau de Marmoutier, Bouère, 4 (vers 1065).
65 Chédeville A., « La guerre des bourgs », op. cit., p. 505-511.
66 Cette idée a été fortement défendue par Chédeville A., Chartres et ses campagnes (xie-xiiie siècles), Paris, 1973, p. 343, 348 et Debord A., La société laïque dans les pays de la Charente, xe-xiiie siècles, Paris, 1984, p. 437.
67 Chédeville A., « Étude de la mise en valeur… », op. cit.
68 Lemesle B., La société aristocratique…, op. cit., chap. 3.
69 Un acte de Saint-Serge mêle sans distinction redevances et droits liés au ban et les redevances de l’autel, Cart., I, 56.
70 Avril J., Le gouvernement…, op. cit., p. 291. Astillé (Mayenne, cant. St-Berthevin).
71 Il s’agit des curés de Charné et Lesbois, Pichot D., Le Bas-Maine, op. cit., note 268, p. 387.
72 Lemesle B., La société aristocratique, op. cit., p. 274-275.
73 Cart. La Couture, 31.
74 Brand’honneur M., Manoirs et châteaux, op. cit., p. 216-220.
75 Ibidem., p. 186-194.
76 Meuret J.-C., Peuplement…, op. cit., p. 351-373.
77 Cart. Ronceray, 129. Une castellania de Dinan est citée à la fin du xie mais le sens est encore mal défini, c’est le territoire du château, Dom Morice, Preuves, t. I, col. 439. Pichot D., Le Bas-Maine, p. 314, notes, 129 à132
78 « Hae sunt autem supradicti terrae libertatis consuetudines, quas ego simul cum conjuge mea et filio, Beati Martini monachis perpetuo jure confirmo. Per omnes enim novem circum jacentes parrochias. Hoc est quantum extenditur Lupicini villicatio que etiam vulgari vocabulo Viatura dicitur […] », arch. dép. Ille-et-Vilaine, 6H16.
79 Louise G., La seigneurie de Bellême…, op. cit., p. 77-78.
80 Ibidem, p. 87-88.
81 Pichot D., Le Bas-Maine, op. cit., p. 248.
82 Chédeville A. et Tonnerre N.-Y., La Bretagne féodale, p. 260-262.
83 Pichot D., « Histoire du diocèse du Mans… », op. cit., p. 77.
84 Chédeville A. et Tonnerre N.-Y., op. cit., p. 262-263.
85 Longnon Auguste, Pouillés de la province de Tours, Paris, 1903.
86 Pichot D., Le Bas-Maine, op. cit., p. 248.
87 « [...] ea sane ratione ut horum omnium locorum sit caput jam dicta ecclesia sancte Marie de Peregrino », Guillotel H., « La pratique du cens épiscopal », op. cit., p. 30. Le Pellerin (Loire-Atlantique, cant. du).
88 Tricard Jean, « L’habitat dispersé en Limousin aux xive et xve siècles : le témoignage des textes », Flaran, repris dans idem, Renaissance d’un « pauvre pays », Etudes sur le Limousin du xive au xvie siècles, Tours, 1998, p. 143-154 ; Germain René, Les campagnes bourbonnaises à la fin du Moyen Âge, 1370-1530, Clermont-Ferrand, rééd. 1997.
89 Duby G., Meynier A. et alii, « La carte, instrument de recherche… », op. cit.
90 Cart. manceau de Marmoutier, Laval, 1, 2. La charte des environs de 1060 ne crée pas un habitat près du château car celui-ci est bien antérieur de plusieurs dizaines d’années et parle de bourgeois déjà établis et organisés.
91 Pichot D., « L’occupation du sol en pays bocager », op. cit.
92 Zadora-Rio E., « L’église et le regroupement… », op. cit., p. 147.
93 Barthélemy D., La société…, op. cit., p. 197-198.
94 Lemesle B., La société aristocratique…, op. cit., p. 203-208. Saint-Célerin (Sarthe, cant. Montfortle-Rotrou), Sarcé (Sarthe, cant. Mayet).
95 Chédeville A., « La guerre des bourgs… », op. cit.
96 Même s’ils diffèrent dans l’interprétation de la seigneurie banale, tous les historiens de l’Ouest s’accordent pour nier une forte dilution du ban. Guillot O., Le comte d’Anjou… ; Tonnerre N.Y., Naissance…, p. 453 ; Pichot D., Le Bas-Maine, p. 178 ; Lemesle B., La société aristocratique…, p. 182-183.
97 D. Barthelemy ne développe guère cette hypothèse dans, La société…, op. cit., p. 186.
98 Si l’archevêque de Tours limite les manifestations liturgiques de la chapelle du prieuré de Saint-Serge à Pornic (Loire-Atlantique), il ne peut déplaire à la puissante abbaye et délivre une autorisation bien embarassée : « Ad cujus nos humiliter non flexi petitionem vestrae caritatis obedientiam non dedegnamus super tali re obsecrare et etiam apostolica nostraque auctoritate inflectere quatenus ei et vos quantum ad nostrum pertinet ministerium hoc concedatis et pro nostro amore ad haec et ad alia ubicumque vestro opus ei suisque fuerit auxilio, prompti adjutores adsitis », Cart. St-Serge, I, 133 (1073-1118).
99 Avril J., « Églises paroissiales et chapelles de châteaux », op. cit., p. 477-478.
100 Chédeville A. et Tonnerre N.-Y., La Bretagne féodale, p. 285. Le Temple et Le Croisty, étaient dans le Morbihan, les deux Vildé en Ille-et-Vilaine.
101 « Fulco Infans constituit quamdam capellam in masura sua de Varennis cum assensu meo et assensu Hugonis Machefer persone ecclesie Despino […] et ita concessit Hugo Machefer persona ecclesie de Spino cappelle de Varennis omne jus parrochiale quod habebat in masura de Varennis […] », arch. dép. Sarthe, H 581, fol. 41, recto et verso. Epineu-le Seguin (Mayenne, cant. Meslay).
102 Werner Ernst, Pauperes Christi. Studien zu sozial-religiösen. Bewegungen im Zeit alter des Reformpapsttums, Leipzig, 1956, p. 40 et repris par Dalarun Jacques, L’impossible sainteté, la vie retrouvée de Robert d’Arbrissel (v. 1045-1116), fondateur de Fontevraud, Paris, 1985, p. 140-141.
103 « Videmus egentes presbyteros a suis desertos gregibus velut indignos. Videmus turbas ab undique confluentes tibi tuisque honores, quos propriis debent pastoribus impendantes », Lettre de Marbode, Patrologie latine, t.170, p. 1184. Commentaire, Devailly G., « Un évêque et un prédicateur errant au xiie siècle : Marbode de Rennes et Robert d’Arbrissel », MSHAB,, t.57, 1980, p. 163-170.
104 Avril J., Le gouvernement des évêques…, op. cit., 2e partie, chap.4.
105 Meuret J.-C., Peuplement…, op. cit., p. 471-472 ; Bienvenu Jean, « Genèse d’une abbaye canoniale, Notre-dame de La Roë au tournant des années 1100 », MAH, n° 14, 1991, p. 9-37. La Celle-Guerchaise (Ille-et-Vilaine, cant. La Guerche), la paroisse est en fait très proche de La Roë.
106 Sée Henri, Étude sur les classes rurales en Bretagne au Moyen Âge, 1re éd. 1896, rééd. 1995 ; Chédeville A., « Étude de la mise en valeur… », op. cit., p. 243-245. Pichot D., « Le prélèvement seigneurial dans l’ouest de la France (xie-xiiie s.) », Presses de la Sorbonne, à paraître.
107 « [...] vicariam totam et bidampnum », Cart. St-Serge, I. 50 ; « hec omnia libera et quieta ab hostico et tallia et corvea et omnibus aliis consuetudinibus et serviciis secularibus ». Guillotel, Actes, 171.
108 La Borderie, Actes, 65, 90. Sée H., op. cit., p. 84 et suiv. ; Niderst R., « Occupation du sol…», op. cit., p. 559 et suiv. ; Pichot D., Le Bas-Maine, op. cit., p. 173-174.
109 « [...] octo diebus ante messionem et octo post vendemias », Cart. Evron, 15 (1178).
110 Les exigenges liées au moulin banal sont précisées ainsi pour les hommes de Couptrain « [...] cum biannio et corvea hominum meorum ad reparandum et faciendum fossatas et exclusas et calciatas et ad ducendum ligna et molas et alia necessaria… », Cart. de Montguyon, 4 (1198) Couptrain (Mayenne, cant. de) ; « Dicti homines […] ad reparationem molendini supradicti et molam portare tenebant », arch. dép. Mayenne, ms 35, n° 358. ; un procès oppose à Savigny ses hommes de Montenay en ce qui concerne les obligations coutumières. Montenay (Mayenne, cant. Ernée) ; Pichot D., «Moulins et société dans le Bas-Maine (xie-xiiie siècles) », MAH, n° 19, 1996, p. 39-53, « Le moulin et l’encellulement dans l’Ouest français (xie-xiie s.) », Flaran, 21, à paraître.
111 Les premières apparitions accompagnent l’émergence des coutumes dans les textes, une mention dans le Maine date de 1083-1094, en Bretagne de 1088 et ce ne sont peut-être pas les plus anciennes. Maison de Laval, 87 ; La Borderie, Actes, 22.
112 Cart. Quimperlé, 28, (1167) et Tonnerre N.-Y., Naissance…, op. cit., p. 393-394 ; Sée H., Etudes sur les classes rurales…, op. cit., p. 81-84. Cart. La Roë, 147.
113 Cart. manceau de Marmoutier, Bouère, 16.
114 Pour une étude des cens, Niderst R., « L’occupation du sol…», op. cit., p. 559 ; Pichot D., Le Bas-Maine, op. cit., p. 166-169 ; Tonnerre N.-Y., Naissance…, op. cit., p. 460-461.
115 Cart. St-Vincent, 324 ; St-Georges, 61. Vers 1150, les cens d’Origné varient de quelques deniers à 20, Cart. Ronceray, 232.
116 Pour le Bas-Maine, Pichot D., op. cit., p. 176 ; Pour la Bretagne, Chédeville A. et Tonnerre N.-Y., La Bretagne féodale, op. cit., p. 211-212.
117 Niderst R., « L’occupation du sol… », op. cit., p. 611.
118 Meuret J.-C., Pouvoir…, op. cit., p. 543-546.
119 Barthélemy D., La société…, op. cit., p. 929-935 ; Pichot D., Le Bas-Maine, op. cit., p. 167, 343-344 ; Antoine A. et Pichot D., « Le métayage dans le Bas-Maine au Moyen Âge et à l’Époque Moderne », à paraître dans les actes du colloque, Les contrats agraires, Caen, 1997 ; Chédeville A., « Métairies et métayage… », op. cit.
120 Le Mené M., « Métayage et bail à cheptel dans l’ouest de la France (1335-1342) », Campagnes médiévales, op. cit., p. 697-707.
121 « Raginaldus et Laurencius de Haia, fratres, recognoverunt se recepisse a religiosis viris, abbate et conventu monasterii Sancti Melanii Redonensis in perpetuam teneuram et feudagium quandam terram arabilem cum pratis et clausis eadem terre pertinentibus sitam in parrochia de Vignoc et in parrochia de Maceria apud hospitalariam eisdem Raginaldo Laurencio et eorum heredibus perpetuo habendam, possidendam et tenendam, reddendo annuatim dictis religiosis nomine dicti feudagii triginta solidos monete currentis… Tenentur insuper reddere annuatim redevancias et alia servicia que de premissis debentur, et ipsos religiosos et eorum monasterium indempnes servare », Cart. St-Melaine, cité dans Sée H., op. cit., note 2, p. 151. Vignoc et La Mézière (Ille-et-Vilaine, cant. Hédé).
122 Pichot D., Le Bas-Maine, op. cit., p. 317-318.
123 Par exemple : Cart. St-Aubin, 103, Cart. Château-du-Loir, 69.
124 Siegfried André, Tableau politique de la France de l’Ouest sous la Troisième république, 1913.
125 Denis Michel, Les royalistes de la Mayenne et le monde moderne (xixe-xxe siècles), 1977.
126 Fossier R., « La naissance du village », dans Delort R. (dir.), La France de l’an Mil, 1990, p. 162-168, repris dans Hommes et villages d’Occident au Moyen Age, p. 371-376.
127 Béaur G., « Les catégories sociales à la campagne : repenser un instrument d’analyse », dans Antoine A. (dir.), Des animaux et des hommes, ABPO, t.106, 1999, n° 1, p. 159-176.
128 Pichot D., Le Bas-Maine, p.271-272, « Les Deux-Évailles », op. cit.
129 Meuret J.-C., Peuplement, op. cit., p. 354-357.
130 « Guillelmus de Rocha, Foquetus Pinel, Johannes Pinel, Hamelinus Pinel, Robinus Lecerf et Silvester ejus frater armigeri », il faut ajouter les deux qui deviennent procurateurs « Colinum Pinel, Johannem Villicum », arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1F 543, 38.
131 Cart. St-Serge, I, 25-26, (1056-1082). Montreuil et Taillis (Ille-et-Vilaine, cant. Vitré).
132 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 6H33. Martigné (Ille-et-Vilaine, cant. Retiers).
133 Cart. St-Georges, 6.
134 Guillotel H., « Du rôle des cimetières », op. cit., pièce annexe 3 ; Cart. St-Melaine, 293, cité par Duval M., « Recherche sur la formation des paroisses », op. cit., p. 103.
135 Pichot D., « Curés du Bas-Maine », op. cit., p. 54. Le neveu de l’évêque du Mans, Hamelin, cumule les bénéfices et ne réside pas dans la petite paroisse de Saint-Germain-d’Anxure. En tant que curé, il engage Robert contre une ferme annuelle de 15 livres d’angevins. « [...] tradidimus […] ecclesiam Sancti Germani super Anxuram ad annuam firmam XV libras andegavensium », Cart. évêché du Mans, 97 (1194).
136 Chédeville A., « L’application d’un canon de Latran IV relatif à la portion des desservants de paroisse dans les diocèses d’Orléans, de Chartres et du Mans », Mediaevalia christiana (xie-xiie siècles), Mélanges Raymonde Foreville, Tournai, 1989, p. 193-200.
137 « virum unum qui terram unius carrucae et molendinum unum tenet in beneficium », Guillotel, Actes, 23. Marcillé (Ille-et-Vilaine, cant. Retiers).
138 Anciens évêchés, livre 4, St-Jacut, 27.
139 Pichot D., « Moulins et société… », op. cit., p. 51.
140 Idem, « Les Deux-Évailles », p. 482.
141 Miyamatsu H., « Bourgs et bourgeois », op. cit., chap.4.
142 Idem., p. 56.
143 Sée H., Études…, op. cit., p. 160-161.
144 Le curé de la Trinité de Laval, Pierre de la Marié, issu de la petite aristocratie, prend à ferme la grange de Savigny à Saint-Berthevin avec les dîmes, Pichot D., Le Bas-Maine, p. 386.
145 Gervais Berout d’Hambers emploie un buburcus au xiiie siècle. Querimoniae…, op. cit., p. 89 K.
146 Cart. St-Vincent, 247-287.
147 Un faber est cité à Lézigné en Anjou, Cart. St-Serge, 181 ; Pichot D., Le Bas-Maine, p. 372-373. Un des rares villages faisant apparaître plusieurs artisans est Sarcé où un acte de 1096 cite, deux fabri, un pelliparius, un macerarius et un carpentarius, Cart. St-Vincent, 317.
148 Miyamatsu H., Bourgs et bourgeois, op. cit., p. 239.
149 Dès le xiiie siècle, nombre de tenanciers paient des redevances en sel sur la Baie de Bourgneuf, Sarrazin Jean-Luc, « Un exemple d’urbanisation limitée : les agglomérations de la baie de Bourgneuf à la fin du Moyen Âge (xiiie-xve siècles) », dans Mondes de l’Ouest, op. cit., p. 329-337 ; « Concessimus [episcopus] quod parrochiani de Brihiat habeant presbiterum residentem in eadem insula, qui eis divinum officium exibeat sicut debetur : ipsi vero juraverunt quod de cetero redderent decimas piscium, bladi et omnium rerum suarum cum oblacionibus et aliis dedditibus debitis et consuetis… », Anciens évêchés, t.4, Beauport, 48 (1219).
150 « Ernulfus fuit quidam homo de Cepia et ad paupertatem venit. Et ea paupertate, venit ad Theodosiam elemosinariam et ad Adrianum famulum elemosine et petivit ut se ipsum et duos filios inter elemosinam mitterent et inde curarent eos ; et propriam linqueret elemosine terram unam quam habebat », Cart. du Ronceray, 148 (fin xie siècle).
151 Mane Perrine, « Iconographie et travail paysan », dans Le travail au Moyen Age, une approche interdisciplinaire, Publications de l’institut d’études médiévales, Louvain-la-Neuve, 1990, p. 251- 262 ; Pichot D., « Le médiéviste et les images, calendrier, travail, société », Atala, t.3, p. 49-70
152 Pichot D., « Les Deux-Évailles… », op. cit., p. 482.
153 Vers 1100, les coutumes de Château-du-Loir, stipulent que les aubains relèvent directement du seigneur, le comte. « Et in omnia terra de Castrolidi cujusque terra sit, hominibus aubani sunt comitis…”, Cart. Château-du-Loir, 69.
154 « [...] homines apud Fontem Gehardi habitantes, victum sibi labore manuum suarum et pecudibus suis acquirentes more pecudum passim vagantes absque regula […]”, Cart. manceau de Marmoutier, Fontaine-Géhard, 6 (1147).
155 Vita Sancti Vitalis, citée dans Pichot D., Le Bas-Maine, op. cit., p. 272, note 303 ; Cart. La Roë, 208. L’acte 10 évoque le vol d’une jument rachetée dans des conditions douteuses par un paysan et un autre paysan qui retrouve son âne dans le bourg de Ballots.
156 Cart. manceau de Marmoutier, Arquenay, 2, Bouère, 4. Arquenay, Bouère (Mayenne, cant. Meslay, Grez-en-Bouère).
157 Miyamatsu H., op. cit., p. 311-312.
158 Catalogue des actes de Philippe-Auguste, 1177. Lesbois (Mayenne, cant. Gorron).
159 Chédeville A., « L’immigration bretonne dans le royaume de France du xie au début du xive siècle, AB, t.81, 1974, p. 301-343.
160 Halphen Louis, Recueil d’Annales angevines et vendômoises, Paris, 1903, passim.
161 « Fames exorta ut matres projicerent infantulos ad portas monasterium. Burgenses qui ante divites extiterunt, relictis hortulis, vineis et praediis in alienas regiones fugiebant, victum quaerentes, quippe tunc vendebatur sextarium frumenti apud… Andegavam XXXV solidos, Vindocino XV soloidos », Chronicon Vindocinense, Cart. Trinité de Vendôme, t.4, p. 469.
162 Bénédictions de cimetière, Cart. La Roë, 1, Cart. Ronceray, 151.
163 Querimoniae, n° 215, 244, Pichot D., op. cit., p. 298. Sacé, Chémeré (Mayenne, cant. Mayenne, Meslay).
164 Joubert R., La vie agricole dans le haut-Maine, op. cit., p. 24.
165 Miyamatsu H., op. cit., p. 239.
166 Pichot D., Les cartulaires manceaux de l’abbaye de Savigny, essai d’étude économique et sociale, 1976, p. 106, 111-112.
167 Bloch Marc, Caractères originaux de l’Histoire rurale française, réed. 1952, p. 58.
168 Au xviiie siècle, la distance entre voisins n’excède pas le kilomètre. Antoine A., Fiefs et villages…, op. cit., p. 38.
169 Idem, « Archéologie du paysage et histoire culturelle… », op. cit.
170 Le Mené Michel, L’économie médiévale, Paris, 1977, p. 89.
171 Cart. Saint-Vincent, 79.
172 Angot, Dictionnaire, t.1, p. 36-37.
173 Souillet G., « Chronologie et répartition des noms de lieux en ière et en ais », op. cit. ; Barthélemy D., La société…, op. cit., p. 248.
174 « [...] masuram Galteri de Theilleio quam tenebant Willelmus Galteri, Ricardus Galteri et Fromundus filius Willelmi […] masuram de Ailleharderia quam tenebant W. Aillehart, Odo Aillehart, Robertus Aillehart et Baherel […] », « hereditarium haberent in predicta masura », arch. dép. Mayenne, ms. 33/105 et voir 106, 107. Landivy (Mayenne, cant. de).
175 Arch. dép. Sarthe, H 388 (1297), Vilaines-la-Juhel (Mayenne, cant. de).
176 Angot, Dictionnaire, art. Goulegatière
177 -Le Mené M., « La forêt du Lattay… », op. cit., p. 52.
178 Cart. de la Beschère, 10 ; « 115. De genz qui ont terres ensamble. Si aucuns avoient terres ne rentes qui fussent parçonniers ensamble, et l’un venist à l’autre et daist : “Beau sire, parton noz terres que nous avon ensamble” », Beautemps-Beaupre M.C.J., Coutumes et institutions de l’Anjou et du Maine antérieures au xvie siècle, 4 vol., Paris, t.1, p. 133.
179 Cart. St-Georges, 21 (après 1034).
180 Pichot D., Le Bas-Maine, op. cit., p. 268.
181 « Stephanus Chavin, quartana laborabat. […] Videntes hoc sex homines vicini ejus, qui cum eo veniebant, […] », Ex Libro de miraculis sanctorum Savignacensium, Recueil des Historiens des Gaules et de la France, t.23, p. 594.
182 Chédeville A., « La mise en valeur des marais de Dol », op. cit., p. 108.
183 « Vendidi […] totam terram meam sitam inter cheminum de Ambrières et terram de Monte Acuto […] sicut separatur a terra Radulfi fratris mei », Arch. Nat., L972/693.
184 « Rivallonus Alanus ejus fratres et sorores, Daniel Henrici Castreuc, Guillotus Castreuc, Alanus gener Nigri, heredes Guidonis Nigri », Cart. Quimper, cité Sée H., Étude, op. cit.
185 Laurent L., « L’emboîtement des espaces homogènes », op. cit. Ce regroupement familial se retrouve, au xixe siècle dans les hameaux de l’Orne étudiés dans, Corbin A., Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot, sur les traces d’un inconnu, Paris, 1998, p. 58-62.
186 Derouet B., « Territoire et parenté. Pour une mise en perspective de la communauté rurale et des formes de reproduction familiale », AHSS, mai-juin 1995, p. 645-686.
187 Le Mené M., op. cit., ; Pichot D., « L’occupation du sol dans le bas-Maine… », op. cit., fig. 4.
Flatrès P., « L’étendue des finages villageois… », op. cit.
188 Deniaud Annick, « Champs ouverts à la lisière de la forêt de Paimpont », op. cit.
189 Chédeville A., « Un défrichement… », op. cit., p. 429-444.
190 « [...] qui usagium habere se dicebant in nemoribus dictorum abbatis et monachorum, que nemora dicuntur de Blandaz […] », Liber controversiarum, 211, (1210).
191 Meuret J.-C., Peuplement…, op. cit, p. 518-523.
192 André P., « Un village médiéval breton… », op. cit.
193 Chédeville A., op. cit. ; Guillotel H. et Meuret J.-C., « Chartrel et Carcraon, les enjeux d’une mise en valeur dans la vallée de la Seiche entre Moutiers et Visseiche au xiie s. »., BMSAIV, t. 97, 1995, p. 35-69 ; Pichot D., Le Bas-Maine…, op. cit., p. 268, Cart. manceau de Marmoutier, chap. Origné.
194 Cart. Abbayette, 22, (fin xiie s.)
195 Guillotel H., « Du rôle des cimetières… », op. cit.
196 Tonnerre N.-Y., Naissance…, op. cit., p. 454-457.
197 Cart. Morbihan, 210.
198 Pontal O., Les statuts synodaux français, op. cit. ; Pichot D., « Curés du bas-Maine…», op. cit. ; idem, « Histoire du diocèse du Mans », op. cit., p. 81.
199 « [...] Postea, concessione et peticione parrochianorum, Guiburgis de Villona et Gaufridus Bellus concesserunt sacerdoti quartam partem illius decime : tali pacto et tali lege ut parrochiani legitime servirent et sacerdos firmius et melius quereret et esse proprius sanctimonialium ad ponendum et deponendum », Cart. Ronceray, 412.
200 Pichot D., le Bas-Maine, op. cit., p. 270.
201 « In confraria sacerdos accipiat in singulis cibis tanquam unum par, et de uno quoque pari confrarie pro orationibus consuetis sacerdoti unus denarius persolvetur ; quando frater confrarie obierit, pro oblacione misse quisque frater unum denarium solvet sacerdoti », Anciens évêchés, t.3, p. 338.
202 Bretagne, Chédeville A. et Tonnerre N.-Y., La Bretagne féodale, p. 266 ; Maine, Pichot D., « Histoire du diocèse du Mans… », op. cit., p. 83.
203 Planiol M., op. cit., t.3, p. 197. Vieux-Vy (Illle-et-Vilaine, cant. St-Aubin-d’Aubigné).
204 Anciens évêchés, t.3, p. 339. Silfiac (Morbihan), Plussulien (Côtes d’Armor, cant. Corlay).
205 Planiol M., op. cit., p. 197. Saint-Méloir-des-Ondes (Ille-et-Vilaine, cant. Cancale).
206 « procuratores suos constituerunt et eorum quemlibet in solidum », arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1F 543/38.
207 « [...] ita quod non sit melior condicis occupantis, dantes eisdem procuratoribus et eorum cuilibet in solidum potestatem et speciale mandatum obligandi ipsos parrochianos et eorum heredes et successores religiosis viris abbati et conventui Majoris Monasterii Turonensis et priori prioratus ipsorum Sancti Salvatoris de Landis ad tenendum de cetero, propriis eorum sumptibus et expensis, in statu competenti ecclesiam ipsorum religiosorum Sancti Salvatoris de Landis una cum fontibus et campanis dicte ecclesie, prout se extendit et comportat, exceptis choro monachorum capella beate Marie et ala ipsius ecclesie versus prioratum predictum existente, sibi ab eisdem religiosis tradictam et concessam ad divinum officium celebrari in ea faciendum […] », ibidem.
208 Planiol M., op. cit., t.3, p. 197 et suiv.
209 Avril J., Le gouvernement…, op. cit., chap.4, p. 291-310.
210 Vitré, « vocatus ad hoc prior Sanctae Crucis de ipsis C libris congruam partem super homines suos, prout eis visum, distribuat, et hoc semel in anno », Dom Morice, Preuves, I, col. 632. À Bouère, il s’agit d’un abonnement de la taille après des négociations avec le seigneur. Même si les moines sont intéressés à la question, la définition d’une somme globale suppose une répartition selon les feux opérée par les bourgeois. Cart. manceau de Marmoutier, Bouère, 16 (1199-1214).
211 « [...] Ego quitavi omnibus burgensibus nostris de villa Chesie praesentibus et futuris omnes tallias quas habeo in villa Chesie super eos et habere poteram et eorum heredibus in perpetuum reddendo nobis et nostris heredibus annuatim sexaginta libras monetae tunc temporis cursualis… », Dom Morice, Preuves, t.I, col. 1010.
212 Pichot D., Le Bas-Maine, p. 174,176, 324.
213 « [...] ego Hugo de Corterna […] asserente me quod homines dictorum abbatis et monachorum manentes in parrochia de Cingneio nullam communitatem in praefatis landis haberent, tandem ex utraque parte ad pacem devenerunt sub hac forma. […] Praeterea recognovi quod nec ego, nec aliquis meorum hominum in praefatis landiis aliquid exemplare poterimus vel colere, excepto hoc quod a quadraginta annis et infra fuit exemplatum. […] Quod si etiam contigerit praedictos abbatem et monachos alios homines post hanc concessionem acquirere in parrochia de Cingneio, illi post acquisiti in dictis landiis nullam reclamare poterunt communitatem », Cart. Evron, 96.
214 Un texte breton du xiiie siècle définit clairement le statut de ces terres du saltus. En 1225, un chevalier donne les droits d’usage en Saffré et il précise : « [...] ita quod homo qui predictas elemosinas tenebit et successores ejus usagia sua percipiant in nemoribus, landis, pascuis et aliis communibus terre ubicumque predictus Willelmus Brezic et predictus gener ejus usagium suum antea percipere solebant », Anciens évêchés de Bretagne, Livre 4, 84. Les exécuteurs testamentaires du duc Jean le Roux rendent une terre à l’abbaye Saint-Gildas de Rhuys en précisant que « sed nemus spectat ad commune », La Borderie, Actes, 265.
215 Pichot D., Le Bas-Maine, p. 356. Un berger du village apparaît au xive, ibidem, p. 269.
216 « damnis illis illatis a domino Oliverio de Quoyquen et servientibus suis », La Borderie, Actes, 100. Sains (Ille-et-Vilaine, cant. Pleine-Fougères).
217 Reynolds S., op. cit., p. 128, 144.
218 « magna pars hominum villae », Ex Libro de miraculis sanctorum Savignacensium…, op. cit., p. 592.
219 « [...] et pasnaticum porcorum post messionem segetum in stipulis in augusto […] », Cart. St-Serge, II, 1. Beaupréau (Maine-et-Loire, cant. de).
220 Arch. dép. Mayenne, ms 32, 10 ; Cart. La Couture, 364 ; Cart. La Roë, 82 ; Pichot D., Le Bas- Maine, op. cit., p. 392-393.
221 « Propter hanc igitur maximam libertatem locum ipsum, qui prius dicebatur Brociacus, Franchiam Villam nuncupavit. » Cart. St-Aubin, 140.
222 Chédeville A., « Immunités, franchises et communes : les libertés dans l’ouest de la France (xie-xiiie siècles) », Liberté et libertés, viiie centenaire de la charte des franchises d’Aoste, 1993, p. 55-72 ; Sivery G., Terroirs et communautés rurales dans l’Europe occidentale au Moyen Âge.
223 Guillotel H., Actes, 96.
224 « [..] per testimonia et sacramenta antiquorum hominum de Corsot », Anciens évêchés, t.4, p. 360.
225 « de communi assensu et voluntate hominum in burgo prefato tunc temporis existencium », Maison de Laval, 447.
226 Bloch M., Caractères, op. cit., p. 58.
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