Chapitre XIII. Le traitement des maladies
p. 101-112
Texte intégral
1Les malades riches ou aisés, soit une petite minorité, ont à leur disposition en ville des médecins, dans les campagnes des chirurgiens. L’appel à leurs services témoigne de la part de leur clientèle et d’un certain niveau économique et d’un niveau certain de leur rang social et culturel. Visites, consultations, remèdes sont d’un prix élevé. Ils nécessitent des revenus relativement considérables, même si le praticien ne se fait pas payer immédiatement mais en plusieurs fois. Par ailleurs, le corps médical, à son vif regret sinon avec courroux, subit la concurrence des empiriques sédentaires et des charlatans itinérants. Enfin, l’appel préférentiel à un représentant du corps médical témoigne d’une culture écrite, voire savante qui ne constitue pas forcément l’apanage de tout en chacun.
2Une visite de médecin à domicile (de jour) coûte deux livres, celle d’un chirurgien une livre, la visite de nuit 6 livres pour un médecin. Ce qui équivaut, ou à peu près, pour la visite de jour d’un chirurgien, à une journée de travail agricole et beaucoup moins pour un commerçant ou pour un artisan d’une ville ou d’un bourg. Il faut aussi compter avec le prix des remèdes délivrés par un apothicaire de la ville et avec celui des déplacements du praticien. En 1785, Pasquet, maître d’armes à Saint-Malo doit à sa mort au « sieur Fanonel », apothicaire, 120 livres et 12 sols, et 27 livres au docteur Bougourd pour sa dernière maladie du 27 mai au 5 octobre.
3Quant aux accouchements pratiqués par un chirurgien ou par un médecin, ils sont, littéralement, hors de prix pour l’immense majorité de la population. En janvier 1807, le docteur Blachier demande 18 livres « pour l’accouchement de Madame le 12 et 9 visites les jours suivants ». Le recours à une sage-femme et plus fréquemment à une matrone est, quant à lui, beaucoup moins coûteux. Il reste cependant uniquement à la portée d’une minorité privilégiée pour ce que concernent les sages-femmes, la majorité requérant une matrone.
4Dans ces conditions, c’est la partie la plus nombreuse, la moins fortunée ou la plus pauvre de la population, masculine et féminine, la plus touchée aussi par les épidémies et les endémies qui ne peut avoir accès à la médecine ayant pignon sur rue. Je veux parler ici du « petit peuple », citadin à Saint-Malo et à Saint-Servan, rural dans les écarts, les hameaux, les villages et les bourgades du Clos-Poulet ; soit les trois quarts de la société. À cet égard, la situation de Saint-Malo et du Clos-Poulet n’a rien alors d’exceptionnel. Le fait original est que la subdélégation de Saint-Malo, dont le Clos-Poulet, est bien davantage urbaine que rurale : 19 000 citadins et 13 000 ruraux, dont un fort nombre de marins sur la côte. Autre originalité, quant à elle favorable, dans la ville et son faubourg, les emplois ne manquent pas et l’argent est abondant du fait des armements, du commerce maritime et de la pêche lointaine et côtière. Sur la côte, la pêche, les huîtres (de Cancale), les engagements dans les deux Marines sont sources de revenus.
5Dans ces conditions, les efforts du gouvernement de l’intendant et du subdélégué local pour secourir les plus pauvres complètent la charité locale ou bien fournissent, à la fin du siècle, des secours et proposent des traitements aux malades les plus pauvres et les plus délaissés : ceux du Clos-Poulet rural. 2 des 3 hôpitaux de Saint-Servan et de Saint-Malo (l’Hôtel-Dieu et l’hôpital général) reçoivent les miséreux et les pauvres malades principalement issus du Clos-Poulet, des quartiers populaires de la ville et, en temps de guerre, comme celle d’Amérique, les soldats des campements établis non loin de Paramé à partir de 1778 – 1779 ; et cela tandis qu’un cours d’accouchement est enfin établi à Saint-Malo (1789) pour des matrones, s’ajoutant à la pratique des 3 ou 4 sages-femmes reçues par la Communauté des maîtres en chirurgie.
L’organisation de la luttre antiépidémique, la théorie
6Faute de disposer d’archives privées sur le traitement des maladies et des malades dans le cadre de l’exercice libéral de la médecine en ce qui concerne Saint-Malo et le pays malouin, force est de se limiter à l’étude des secours, des remèdes et des traitements prescrits par le corps médical et payés par les pouvoirs publics en cas de « maladies épidémiques » qui peuvent être meurtrières, en particulier dans les campagnes.
Les remèdes du roi
7Fort de l’expérience acquise dans la lutte organisée contre la peste jusqu’au début du XVIIIe siècle, le pouvoir central, conscient des ravages opérés par les épidémies et désireux de les combattre en vue d’assurer la puissance du royaume, tente d’y parer, à partir de 1710, en distribuant gratuitement secours et remèdes. Il prend ainsi en compte l’intérêt général au nom de la raison d’Etat. Le Contrôle général [le ministère des Finances] veille à être informé de l’état sanitaire du royaume grâce aux rapports que lui adressent les intendants des provinces. Pour lors, surtout dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et plus encore après 1770, la bureaucratie versaillaise évince de la protection de la santé publique les « municipalités » urbaines qui agissaient jusque-là en fonction de la situation locale. Une politique globale se met peu à peu en place. Cette intervention de l’Etat, qui témoigne du centralisme louis-quatorzien, reste inégale selon les provinces, souvent sporadique et insuffisante jusque vers 1750. Elle inclut la nomination, dans chaque intendance, dont celle de Bretagne, d’un « médecin correspondant des épidémies ».
8En 1710, Louis XIV, « touché de compassions pour les pauvres malades de la campagne qui périssaient la plupart faute de secours », avait ordonné qu’il soit « envoyé tous les ans à Messieurs les intendants des provinces, une quantité de remèdes du sieur Helvétius [le Premier Médecin du roi] pour être distribués sous les ordres desdits intendants à leurs subdélégués, et par les subdélégués aux sœurs grises, chirurgiens et autres personnes intelligentes, dans les villes, bourgs et villages de leurs départements ». De la sorte, le rôle des maîtres en chirurgie comme des personnes charitables frottées de médecine, se trouva officialisé. En cas de péril sanitaire, de fléaux épidémiques dont le Pouvoir connaissait la fréquence et l’imprévisibilité, un arsenal thérapeutique se trouvait mis gratuitement à la disposition des plus pauvres un an à l’avance. L’ancienne politique « du coup par coup » se trouvait abandonnée, pour être remplacée par une politique de prévention.
9Une « grande boëte » de remèdes est envoyée dans chaque province, dont la Bretagne. 350 « prises » sont censées faire face à toute éventualité. Conformément à la notice jointe à la boîte, il convient d’abord de saigner le malade 2 ou 3 fois. Ensuite, en fonction du diagnostic opéré par le médecin-en-chef des épidémies de la province, il convient aux chirurgiens de suivre le traitement qu’il a prescrit. Des prises de poudre purgative, de poudre fébrifuge purgative, de poudre vomitive, de pilules purgatives dites universelles, de pilules hydragogues purgatives, de poudre spécifique d’ipécacuanha [un vomitif puissant], de poudre de corail anodine, de pâte sudorifique, de fioles d’or potable, d’élixir thériacal, de quintessence d’absinthe et 2 onces de thériaque sont mises à la disposition du corps médical et de ses assistants bénévoles.
10En 1710, la médecine moquée par Molière reste d’actualité : purgare, saignare, deinde clysterium donare. De manière générale et conformément au système de la pensée médicale de l’époque, en utilisant des évacuants, saignées, purges et vomitifs, il s’agit, précisément, de faire s’évacuer le tropplein « d’humeurs pernicieuses » génératrices de toute maladie ; et cela afin, en rétablissant l’équilibre des humeurs, de refaire recouvrer la santé aux patients. Plus précisément, thériaque mise en part, les remèdes mis à disposition constituent des spécifiques ; et ils sont indiqués comme tels dans la notice jointe à la « grande boëte ». Ainsi, l’ipécacuanha est prescrit contre les « cours de ventre, flux de sang, dysenteries », l’élixir thériacal contre la « petite vérole » [variole], la poudre fébrifuge purgative contre les « fièvres intermittentes » [paludisme ?], etc.
11Chaque remède est étiqueté et accompagné d’une notice explicative « pour guider le distributeur et le malade même ». Leurs « doses » y sont exactement marquées suivant l’âge, les forces et le tempérament ». De ce fait transparaît la logique qui anime la distribution de ces remèdes par des « sœurs grises » et des « personnes intelligentes ». Toutes précautions sont prises pour qu’ils soient efficaces. Le seul problème, vu depuis notre siècle, est précisément qu’à cause d’une étiologie non scientifique et d’une nosologie de type symptômatique, ils n’ont que très peu de chances d’être efficaces pour traiter et guérir les patients, qu’ils soient Bretons ou autres !
Les traitements en cas d’épidémie
12À partir de la décennie 1740, la distribution des remèdes du roi se trouve limitée aux seules paroisses des campagnes et uniquement en cas d’épidémies. Vers 1770, le système est au point et fonctionne presque partout de la même manière. « La machine bureaucratique » aura précédé les révolutions médicales des premier et second XIXe siècles.
13En 1786, sur l’ordre exprès du Contrôleur général, l’intendant de Bretagne, Bertrand de Molleville publie à Rennes un Mémoire sur l’administration des secours accordés par le gouvernement, pour le traitement des Épidémies rurales, des Maladies des Pauvres et des Femmes enceintes qu’il adresse à chacun de ses 64 subdélégués, dont celui de Saint-Malo. En ce qui concerne le « traitement des Maladies épidémiques dans les Paroisses de Campagne », « pour assurer la célérité des secours, et prévenir les funestes effets des mauvais médicaments, il sera déposé chez chaque Subdélégué, une ou plusieurs boîtes… » Les remèdes ne seront distribués que sur les ordonnances du médecin ou chirurgien chargé du traitement des épidémies ». Quand ces boîtes seront épuisées, le subdélégué est chargé d’obtenir de nouvelles « petites boîtes » auprès de l’intendant.
14« Lorsqu’une maladie quelconque se manifeste dans une Paroisse, et que 4 ou 5 personnes, tout au plus, en sont attaquées avec les mêmes symptômes essentiels, le Recteur doit en informer le subdélégué, qui, sur le champ, envoie le Médecin et le chirurgien de la subdélégation, pour administrer les premiers secours, et dresser un exposé des symptômes caractéristiques de la maladie. » Le médecin de la subdélégation adresse alors son mémoire à l’intendant qui le fait parvenir au médecin en chef chargé par le gouvernement royal du traitement des « maladies épidémiques » de Bretagne. Ce dernier rédige « une méthode curative » qu’il envoie au chirurgien traitant de la subdélégation, par exemple celle de Saint-Malo.
15Outre la distribution de remèdes adéquats, il est prévu de distribuer des secours alimentaires « en faveur des plus pauvres dénués de toute ressource » d’après la liste certifiée par le recteur.
« Le pain, le bouillon et la viande cuite seront délivrés en nature par les Recteurs, qui sont autorisés pour cet effet à établir chez eux une marmite, et même à porter sur l’état des fournitures de chaque quinzaine le prix du bois qu’ils auront employé, s’ils ne sont pas en état d’en faire les frais. L’état de ces fournitures contiendra aussi le nom des malades et des convalescents auxquels ces différents secours auront été distribués ; et le compte de la dépense qui en résultera, sera arrêté à la fin de chaque quinzaine par Monsieur l’intendant qui en procurera le remboursement aux recteurs. »
16Telle est l’organisation alors à son acmé prévue par le gouvernement royal et par l’intendance de Bretagne. De la théorie à la pratique, quel est l’écart, du moins celui qu’est à même, sur archives, d’observer l’historien, plus de 2 siècles après, dans le cas de la subdélégation de Saint-Malo ?
La pratique dans la région de Saint-Malo, les boîtes de remèdes du roi
17Le 29 avril 1776, le subdélégué de Saint-Malo demande à l’intendant l’envoi de 2 petites boîtes de remèdes pour les paroisses de Saint-Servan, partie campagne, et de Cancale et une « 3e boîte pour la paroisse de Saint-Méloir-des-Ondes (où elle procurera bien du soulagement) et sera confiée ou au recteur ou à un gentilhomme très instruit et très bienfaisant de cette Paroisse ». Destinées aux pauvres malades des campagnes, ces boîtes sont commandées par les 45 subdélégués de Bretagne, dont celui de Saint-Malo en avril de chaque année pour l’année suivante. Le subdélégué de Saint-Malo, en 1778, n’en a pas demandé pour 1779. Cependant, la paroisse de Cancale en reçoit une en 1779, les « environs de Saint-Servan » une également en 1780, « promise en 1779 par Petiet [le subdélégué général de Bretagne qui seconde l’intendant de Rennes] au subdélégué de Saint-Malo ».
18Chaque « petite boîte » contient 11 remèdes différents provenant de la « grande boîte » fournie par le Contrôleur général à l’intendance de Bretagne.
19« 1 – Poudre fébrifuge purgative, 5 onces, 120 prises. 2 – Poudre purgative universelle 5 onces, 3 gros, 86 prises. 3 – Poudre hydragogue purgative, 2 onces, 3 gros, 63 prises. 4 – Poudre incisive, fondante, tonique pour la coqueluche, le catharre, l’asthme-humoral, le rhume invétéré, les glaires, la pituite, le relâchement de l’estomac et des entrailles, 1 once 4,5 gros, 150 prises. 5 – Poudre spécifique pour la dysenterie, pour les cours de ventre et pour les pertes de sang, 2 onces, 2 scrupules, 200 prises. 6 – tartre émétique, 1 once, 1 scrupule, 300 prises. 7 – Quinquina en poudre choisi, 4 onces. 8 – Thériaque, 4 onces, 9 – emplâtres de Nuremberg, 2 onces. 10 – Quintessence d’Absinthe, 4 gros. 11 – Boule médicamenteuse, une. Mémoires instructifs imprimés : deux ». À ce compte, en l’état des connaissances médicales de l’époque, il échoit aux « pauvres malades » les mêmes remèdes que ceux attribués aux patients en mesure de faire appel à la médecine savante de l’époque. Quinquina mis à part, relativement efficace contre le paludisme, il est permis aujourd’hui de mettre en cause leur efficacité thérapeutique. Cependant, le fait est là. En cas de maladie les « pauvres malades des campagnes » ne sont plus délaissés. Les pouvoirs politique et médical sont appelés à les pourvoir en remèdes et en traitements alors estimés adéquats. Reste à savoir si les quantités de remèdes envoyés ont été suffisantes en cas de crise épidémique.
20On pourrait en douter au vu du nombre de prises contenues dans l’envoi annuel d’une « petite boîte ». En fait, il apparaît que les subdélégués, dont celui de Saint-Malo, en demandent une deuxième ou même une troisième, en cas de nécessité, notamment entre 1775 et 1787. C’est aussi bien le cas à Saint-Malo qu’à Dol (4 boîtes) en juin 1777, ou qu’à Pléneuf (subdélégation de Saint-Brieuc) en 1776 ou encore à Roscoff(subdélégation de Saint-Pol-de-Léon) en 1775. Quant à leur distribution dans le pays malouin, comme partout ailleurs en Bretagne, elle est assurée par des religieux, religieuses (à Saint-Servan, les sœurs grises) et par des « personnes de qualité » (sondage pour l’année 1780).
Traitements et secours en temps d’épidémie L’exemple de la dysenterie de 1779
21Les traitements et les préconisations prescrits par les médecins des épidémies, dont le docteur Chifoliau pour le Clos-Poulet, dépendent de leur diagnostic et de l’étiologie qu’ils attribuent aux maladies dont ils sont chargés, eu égard au système médical de l’époque. Même si, d’un médecin à l’autre, les traitements sont susceptibles de nuances et de variations, un même objectif les anime : chasser la maladie pour tenter de guérir les patients que sont « les pauvres malades ». Dans cette perspective, il importe d’évacuer la maladie, vomitifs et purgatifs à l’appui, si ce n’est en usant de la saignée. Ils y procèdent à proportion de l’état, du tempérament, du sexe et de l’âge du malade et aussi en tenant compte des effets bons ou néfastes qu’ils observent, fait nouveau marquant quant à l’évolution de la médecine. Et, parce que selon la tradition antique, un bon régime alimentaire fait partie du traitement, ils s’emploient à le prescrire, eu égard aux mêmes critères, afin de relever les forces du patient face aux assauts de la maladie, dans l’étiologie de laquelle entrent les mauvais aliments.
22Le traitement ordonné dans le Clos-Poulet aux « pauvres malades » par le docteur Chifoliau n’échappe pas à ces règles, par plus que ceux conseillés par le docteur Mallet de la Brossière et par le docteur Réad, lors de l’épidémie de dysenterie de 1779.
23En ce qui concerne la « dysenterie épidémique bénigne » de 1779, soit une probable gastro-entérite, le docteur Réad déclare : « Les vomitifs et les purgatifs arrêtent ordinairement les progrès de la maladie dès le lendemain que l’on en fait usage. » Le premier jour, il prescrit un vomitif, le tartre stibié ; le second,
« je purge écrit-il, avec deux onces de manne et une once de catholicum double ; le soir de cette purgation, le malade prend un julep composé de deux onces d’eau d’orge, d’une demie once de sirop de Diacode et de six gouttes de laudanum liquide. Le lendemain de la médecine [du remède], je prescris à mes malades une boisson abondante de décoction blanche de Sydenham, du petit lait, ou une tisane faite avec les racines de guimauve et la réglisse, des lavements huileux et mucilagineux toutes les trois heures. Je réitère la purgation une ou deux fois en mettant un jour d’intervalle entre chacune et prescrivant pour le soir le julep anodin dessus formulé ; les crèmes de riz à l’eau, les panades, les gruaux, sont les aliments que je permets aux malades à la dernière purgation ; j’y joins après cette époque les soupes, les œufs mollets, les farineux en bouillon jusqu’à ce que la terminaison de la maladie permette de mettre les malades à un régime plus nourrissant, dont il faut cependant proscrire la viande jusques à la parfaite convalescence […]. Presque tous les malades conservent leurs forces et ont une convalescence prompte et exemple de rechutes ».
24Cette heureuse guérison est provoquée par un traitement qui use de la réhydratation des anti-diarrhéiques (riz, orge, guimauve, réglisse) d’un calmant (laudanum) et d’évacuants, le tout à base de médecine par les plantes !
25En revanche, le traitement prescrit par ce même médecin dans le cas des « dysenteries épidémies malignes » paraît ne pas avoir eu l’effet escompté. À cela rien de surprenant pour la médecine de notre époque. En tout cas, le docteur Réad, ne trace aucun bilan du traitement qu’il prescrit, pas plus qu’il ne souffle mot de la quantité des décès qui l’ont suivi. S’il pratique la saignée, c’est avec prudence : « Si l’état du pouls, la quantité du sang mêlé aux évacuations, la chaleur de la peau et la violence des douleurs indiquent la saignée, elle ne sera que de huit onces au plus et ne sera répétée que dans le cas que la première aurait développé le pouls, sans diminuer la violence des symptômes. » Et il poursuit, toujours avec prudence : « Le lendemain, si les douleurs de la région de l’estomac ne sont point augmentées, on purgera le malade avec deux onces de manne et un demi-gros de rhubarbe. Si l’irritation des intestins et de l’estomac était excessive, on se contenterait de trois onces de manne. »
26En fait, le traitement préconisé dans le cas présent diffère peu de celui prescrit pour la dysenterie bénigne : purge, vomitifs, lavements, réhydratation, calmants, adaptation de la posologie à l’âge du patient. Seule la thériaque et le quinquina, l’un ancien, l’autre moderne, le premier en tant que remède universel, le second en tant que spécifique de fait du paludisme, viennent s’ajouter, comme en désespoir de cause, à la maige panoplie thérapeutique de l’époque.
27Toutefois, un souci apparaît clairement : celui, plutôt nouveau, de « l’hygiène » des patients.
« Il est essentiel de nettoyer souvent les pieds et les mains des malades et de les tenir en général dans la plus grande propreté possible, ainsi que les chambres où ils sont couchés ; on emploiera dans les chambres quatre fois par jour des fumigations […]. L’usage de ces parfums [on pense alors que la contagion se transmet par l’air…], la propreté, l’abstinence des cidres aigres [pour cause de putridité], la précaution de faire bouillir l’eau [sa composition chimique a été découverte en 1770], la respiration et les lotions de vinaigre [un ancien remède antipesteux] sont les préservatifs les plus sûrs contre cette maladie.
Il est important que l’on ne laisse point séjourner dans les maisons les excréments des dysentériques, qu’on les dépose dans les endroits les plus déclives des villages et les plus éloignés des puits et fontaines [contagion fécale]. Il faudra avoir la même attention pour le blanchissage des linges qui auront servi aux malades. La paille qui aura été employée dans les lis de ceux qui seront morts de la dysenterie sera brûlée immédiatement après leur décès. »
28Prévenir l’extension du mal, le circonscrire dans ses foyers, à défaut de savoir le guérir : telle est la politique sanitaire et non pas médicale de l’époque. Elle ne date pas, on le sait, de la fin du XVIIIe siècle mais du temps de la peste. La « dysenterie maligne » [bacillaire] se trouve parfois qualifiée de « peste » à Saint-Malo [fléau], sinon de « maladie pestilentielle » en d’autres régions. Pour autant, ni le dévouement de bien des médecins, ni plus encore, celui des chirurgiens n’est en cause, pas plus que la volonté politique « cohérente et résolue » (F. Lebrun) du gouvernement royal associé à la toute jeune Société royale de médecine.
29Seules, la situation sociosanitaire des lieux et la faible efficacité pratique de la médecine, même savante, sont en cause. Enfin, il est loisible de se demander si le traitement de la « dysenterie maligne » préconisé par le docteur Réad a été susceptible d’être appliqué aux « pauvres malades » du Clos-Poulet dans son détail et dans son intégralité. Pour en décider, archives en main, du moins celles qui échoient à l’historien, il reste à passer de la thérapeutique et de la prévention médicales à l’étude de la pratique dans les bourgs et les campagnes du Clos-Poulet, au chevet des « pauvres malades ».
Secours et remèdes destinés aux « pauvres malades » dans le Clos-Poulet
30L’argent étant le nerf de la guerre, antiépidémique dans le cas présent, il importe de calculer les dépenses effectuées au nom du roi et sous les ordres de l’intendant par le subdélégué de Saint-Malo en faveur des « pauvres malades » du Clos-Poulet lors de la « dysenterie épidémique » de 1779. Ces dépenses comportent 3 chapitres : les secours alimentaires, les remèdes et les honoraires du corps médical, pour la période allant du 15 août au 3 décembre 1779, date de la fin déclarée de cette épidémie que le docteur Chifoliau dénomme « une dysenterie putride vermineuse pestilentielle ».
31Pour les 13 paroisses concernées, la dépense en matière alimentaire comprend le pain, la viande, le vin, le bois et « autres dépenses ». Entre les dates susdites, soit durant 3 mois et demi, il a été fourni 8183 livres de pain, à un prix variant de 2 sols 3 deniers à 2 sols 6 deniers, à 11 paroisses, les recteurs de Châteauneuf et de Saint-Jouan-des-Guérets « n’ayant pas donné les renseignements demandés ». Durant la même période, la fourniture en viande est de 5 635 livres (poids) à des prix allant de 5 à 6 sols la livre. Les autres dépenses, très faibles comprennent du bois (68 livres) et un peu de vin pour la somme de 28 livres pour 3 paroisses. Le bois étant destiné, en raison de la modicité du revenu des Recteurs de Saint-Guinoux et de Saint-Père à faire cuire les viandes dans la marmite des « pauvres malades » située au presbytère. Au total, pour le chapitre des secours alimentaire, la dépense a été d’environ 2600 livres, dont 1650 pour la viande, 830 pour le pain, pour 2720 « pauvres malades » et 96 livres pour les « autres dépenses ». Grosso modo, la dépense aura été d’un peu moins d’une livre par personne. Soit nettement plus que la dépense quotidienne d’un(e) pauvre bien portant(e).
32L’effort financier consenti est donc important. Il est justifié selon la doctrine médicale de l’époque qui associe aliments et remèdes. Il est aussi légitimé par la politique de santé publique novatrice poursuivie par le gouvernement royal et par le subdélégué « éclairé » qu’était Lorin ; et cela sans oublier le fait que le docteur Chifoliau, médecin des épidémies pour la subdélégation et correspondant de la Société royale de médecine, avait envoyé « l’histoire de l’épidémie » à cette même société.
33Le second poste de dépenses est constitué par les honoraires attribués au corps médical. Il se monte au total respectable de 4970 livres. Pour ses 91 journées occupées au traitement des « pauvres malades », le docteur Chifoliau perçoit 1 092 livres, soit environ 12 livres par jour. Quant aux chirurgiens, ils ont droit à un tarif de 4 à 9 livres par jour, soit pour chacun une somme comprise entre 155 et 352 livres, eu égard au nombre de journées passées ; lequel varie de 26 à 82. Chaque paroisse avait son chirurgien local à l’exception de Saint-Ideuc et de Saint-Coulomb qui n’en avaient ensemble qu’un. Seule la densité exceptionnelle du corps médical dans les paroisses du Clos-Poulet, laquelle tient probablement à leur ancienne profession de « chirurgien navigant », est en mesure d’éclairer des soins médicaux aussi nombreux qu’exceptionnels en Bretagne rurale, dans un petit « pays » nettement moins pauvre que la majorité des autres, principalement situés dans l’intérieur de la province. Enfin, le fait qu’un médecin malouin docteur en médecine de Montpellier se déplace au domicile des pauvres malades durant 91 jours est tout aussi exceptionnel.
34Le troisième poste de dépenses concerne la fourniture des remèdes. Le 3 septembre, « Monsieur Daignan, médecin des armées et Monsieur Chifoliau, médecin de Saint-Malo se transportèrent dans les paroisses pour en reconnaître la nature [celle de l’épidémie]. Le même jour, ils demandèrent des Remèdes. Le 1er envoi qui en a été fait à Saint-Malo n’y arriva que le 21 : il était insuffisant, ainsi que ceux faits depuis. De là les deux Mémoires des Sieurs Moulin et Chédeville, apothicaires à Saint-Malo, et il a fallu prendre de plus d’autres fournitures chez l’épicier ». Au total, il faut fournir pour 2331 livres 11 sols de remèdes : 938 livres 2 sols au sieur Moulin, apothicaire à Saint-Malo, 213 livres 8 sols à Madame Rouillé, marchande-épicière et 1 180 livres 1 sol au sieur Chédeville à Saint-Malo. Forte de ces 3 postes, la dépense totale se monte à 9 901 livres, soit 3 livres 12 sols par « pauvre malade ». Voilà qui n’est plus de la charité, pas encore de l’assistance, à coup sûr de la bienfaisance, une livre d’alors équivalent à 1 franc-or. Même si l’efficacité de la médecine était bien faible à l’époque, le volontarisme affiché par la bureaucratie aux ordres du politique, tout comme le zèle d’au moins certains médecins, tel un Chifoliau et les chirurgiens du Clos-Poulet, méritent le respect.
35Voici le traitement préconisé par Chifoliau pour les « pauvres malades » du Clos-Poulet (en 1779), tel qu’il le rapporte au subdélégué de Saint-Malo dans sa lettre datée de Bonaban (septembre 1779).
« Monsieur,
L’épidémie qui ravage le Clos-Poulet mérite les plus grandes attentions ; elle paroist être répandüe du plus au moins dans les villes, bourgs et villages de ce département ; j’ai visité Châteauneuf, Bonaban, Le Gouesnière, St-Suliac et les villages qui en dépendent, je ne puis vous exprimer avec quelle rapidité cette maladie se propage que par le nombre de malades attaqués de ce fléau dans les deux paroisses de Bonaban et La Gouesnière, qui monte à plus de 140. Bientôt ces malheureux ne seront plus dans le cas de s’aider, par la crainte qui leur lie les bras. Néanmoins je regarde cette maladie à son plus haut en cette période dans ces deux dernières paroisses ; c’est à elle que j’ai le plus donné mes soins, comme en ayant plus besoin. Je m’en suis occupé en homme compatissant, au reste mon traitement s’est trouvé conforme à la manière de voir de Mr Daignan premier Médecin de l’armée qui a bien voulu visiter avec moi les malades de Châteauneuf, où la maladie commence, et plusieurs de St-Suliac où j’en comptai 50 dans le Bourg seulement.
Après avoir mûrement réfléchi sur la nature de cette épidémie, nous avons jugé que c’étoit une dysenterie humorale et vermineuse, quelle ne se présentait pas toujours avec les mêmes symptômes, que par conséquent le traitement ne pouvait être général. Néanmoins nous avons décidé que la saignée ne convenoit que dans très peu de sujets, que le traitement le plus convenable étoit le suivant :
1°) faire vomir avec l’épicacuanha, dosé suivant l’âge, etc., et cela dans les 4 premiers jours ;
2°) de purger doucement le lendemain avec la manne, les tamarins, fondus dans une décoction plus ou moins forte de Semen contra ;
3)° de donner plusieurs lavements adoucissants au malade chaque jour, et s’il ne peut les prendre par-là de les lui faire prendre par la bouche ;
4°) Le lendemain de la médecine je donne la Rhubarbe ;
5°) j’insiste sur les lavements et les fomentations variés suivant les circonstances ;
6°) les ptisanes dans le commencement sont faites avec l’orge ou le Riz et la corne de cerf dans les derniers temps j’y joins le Simarouba et l’Epicacuanha comme altérant. »
36En dépit des efforts consentis, 3 chirurgiens du Clos-Poulet moururent à la tâche et « deux femmes courageuses, qui se prêtaient au soulagement des pauvres, ont péri malheureusement de cette « peste » (Chifoliau, 1779). Osant pratiquer l’anatomopathologie via deux « ouvertures de cadavres », le docteur Chifoliau s’enorgueillit de son « courage » et de son « zèle », qui n’est pas qu’épistémologique. Son « amour du bien public » ainsi qu’il l’écrit en 1779, lui vaudra sous le premier Empire la légion d’honneur et l’accès, comme chevalier, à la noblesse impériale (1809), indice significatif d’une continuité de la préoccupation quasi constante de divers régimes politiques à partir de la fin de « l’Ancien Régime » jusqu’au Premier Empire. Mieux encore, le contact avec « le terrain », avec les réalités, je veux parler des « pauvres malades » dans les campagnes, fit que certains médecins, tels Chifoliau et Mallet de la Brossière en tirèrent leçon et profit. Soit une leçon sociale et un profit médical. À la « médecine d’observation » qui tend à devenir clinique et anatomopathologique dès les décennies 1770 et 1780, y compris à Saint-Malo, se joint une médecine ouverte sur la société. Ce ne sont plus désormais les maladies qui sont traitées, mais aussi les malades situés dans leur culture et dans leur société locales. Dès lors, l’analyse des causes des maladies se tourne chez certains médecins, dont les Malouins, vers une approche globale de la santé/maladie. Le décèlement des maux sociaux s’en vient à engendrer une critique sociale, voire politique. Il signe les prodromes du réformisme si ce n’est de la Révolution, sous la plume d’un Mallet de la Brossière dans sa Topographie médicale de Saint-Malo et du Clos-Poulet (1790).
37De la sorte, le contact à titre professionnel (médical) avec la Mort sous les traits de maladies meurtrières se double d’un affect, je veux parler d’ici d’une sensibilité humaniste, chez certains médecins, entre autres malouins. À ce double titre, les réflexions engendrées par le sens de l’observation provoquent un changement dans « l’air du temps ». Soit un refus de l’inéluctable, d’un destin imposé qui s’exprime avec le souci de « Bien public ». Un glissement se donne à lire qui amène la première Révolution : celle de 1789-1790, vive et dynamique dans certaines villes de Bretagne, dont Rennes et, à un moindre titre, à Saint-Malo.
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