Chapitre XI. La mortalité dans l’agglomération de Saint-Malo
p. 89-90
Texte intégral
1Tandis que la subdélégation de Saint-Malo affiche un taux de mortalité de 33 pour mille (1780-1785), la cité malouine connaît alors un taux estimé à 38 pour mille. À Saint-Servan, aux mêmes dates, le taux de mortalité s’élève à 34 pour mille. Un écart en faveur de Saint-Malo apparaît clairement par rapport à la moyenne des villes bretonnes de la Bretagne tout entière : le taux de mortalité urbain tourne autour de 48 pour mille, celui des bourgs et des campagnes de 34 pour mille. Entre 1770 et 1790, se manifeste une « dépopulation » de la Bretagne, pour reprendre l’expression d’époque ; et cela contrairement à l’ensemble du royaume. Elle peut se chiffrer à 3,7 % environ en 15 ans (1770-1784) ; en supposant exact l’enregistrement des baptêmes et des sépultures et en se fondant sur le seul « mouvement naturel » (baptêmes/sépultures), courants migratoires exclus.
2Saint-Malo et son fauxbourg servannais constituent un cas particulier. Il mérite explication. « La moins bretonne des villes bretonnes » est un port maritime doté d’un trafic local et, surtout, international. Une partie des décès échappe au démographe. Un certain nombre de marins, les uns occupés à la grande pêche – les morutiers – les autres peu nombreux, voyageant outre-mer, mouraient en mer. En 4 ans, de 1766 à 1769 par exemple, le nombre des « péris en mer » s’élève à 66 : 20 en Afrique, 18 en Amérique du Nord, 4 Amérique du Sud et aux Antilles.
3En second lieu, un nombre élevé de jeunes enfants est mis en nourrice, par exemple à Saint-Briac et à Châteauneuf (une dizaine par an). Et leurs décès sont enregistrés hors de Saint-Malo. Voilà qui, cette fois encore, tend à minimiser le taux de mortalité malouin.
4En troisième lieu, à la suite du traité d’alliance passé en 1778 avec les « insurgés » américains, un camp militaire est établi au nord-est de Saint-Malo dans le but d’envahir Jersey. Après l’échec du débarquement conduit par le prince de Nassau, on dénombre (en 1779) 582 décès, dont 93 soldats enregistrés à Saint-Malo, contre 350 en moyenne annuelle de 1751 à 1800. Or, c’est un pourcentage infime qui est originaire de Saint-Malo. Enfin, il convient de pouvoir prendre en compte non seulement les « péris en mer » et les décès durant la traversée, mais aussi ceux qui moururent à leur arrivée à Saint-Malo au retour de longues traversées, après avoir été touchés par le scorbut, par la mort au combat et surtout par des maladies dites exotiques.
5Le sous-enregistrement des hommes dans les actes de sépulture trouve ici explication, par exemple en 1770, 1771, et 1772. Tout comme la surmortalité masculine de la tranche d’âge 20-29 ans entre 1751 et 1800. Tout comme, cette fois encore, la longévité féminine au-dessus de 60 ans : 15,3 % pour les hommes, 32 % pour les femmes. « Ce n’est pas l’homme qui prend la mer, c’est la mer qui prend l’homme. » Elle l’use, le meurtrit et même le tue : la moitié des hommes meurt avant 29 ans. Et l’âge moyen au décès des hommes se situe à 27 ans, contre 44 ans pour les femmes.
6Le cas de Saint-Servan présente, quant à lui, des caractéristiques distinctes, mais il est vrai que le nombre des hommes morts en mer n’est pas mentionné dans les registres paroissiaux, tout comme à Saint-Malo. On retiendra cette observation du subdélégué de Saint-Malo à propos de Saint-Servan (1774) : « C’est la navigation qui fait que le nombre de femmes surpasse toujours celui des hommes. » Qui plus est, les services d’enterrement pour les morts en mer célébrés à Saint-Malo, port d’attache principal, ne mentionnent pas l’origine géographique des défunts. Dernier indice, la présence de veuves 4 à 5 fois plus nombreuses que les veufs, alors que leur âge moyen au décès atteint 51 ans (contre 55 ans pour les femmes). Il prouve le sous-enregistrement de décès masculins, ce dernier nettement plus élevé qu’à Saint-Malo. La mortalité à Saint-Malo doit ainsi son existence au tribut masculin payé à la mort civile (commerciale et maritime, Terre-Neuviers inclus) et militaire (marine de guerre).
7Pareil écart tient, selon toute vraisemblance, à la situation sociale de Saint-Servan et à sa population nettement plus modeste, en moyenne, que celle de Saint-Malo. À preuve les cotes de capitation payées par les Malouins en 1780. La moyenne malouine s’élève à 12 livres par contribuable contre 4 livres 5 sols pour Saint-Servan. À preuve aussi le nombre des contribuables : 2885 pour Saint-Malo sur une population estimée à 9 000 habitants (soit 32 %) et 1406 imposés pour Saint-Servan (soit 15,6 %). Dès lors, il est probable que l’effectif des terriens, « Messieurs de Saint-Malo », bourgeois, artisans et boutiquiers était nettement plus élevé que celui des « gens de mer » servannais (quelques exceptions mises à part). De la sorte, le tribut payé à la mer, et partant le fort sous-enregistrement des hommes de Saint-Servan trouveraient là une explication. Mais alors, à quoi attribuer le fait que les Malouins meurent en moyenne beaucoup plus jeunes (âge moyen au décès : 27 ans) ? À leur participation à des navigations au long cours ? Au surplus de décès enregistrés à l’Hôtel-Dieu de Saint-Malo ? À une plus grande fragilité de leur santé, à des causes de décès distinctes de celle de Saint-Servan ? Ou encore à des enregistrements des actes de sépulture de qualité variable selon les paroisses ?
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