Chapitre X. Médecins et chirurgiens des épidémies
p. 83-85
Texte intégral
1Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la Bretagne, entre autres intendances, bénéfice de l’action (rétribuée par le roi) de médecins et de chirurgiens chargés de traiter les « maladies épidémiques ». Au devoir de charité de type religieux viennent ainsi s’adjoindre des secours en aliments et en remèdes distribués pour la 1ère fois au domicile des « pauvres [tombés] malades ». Sur les ordres du Contrôle général, obéissant aux directives du roi, l’intendant nomme un médecin-en-chef des épidémies à Rennes, qui opère le diagnostic et prescrit le traitement. À son tour, chaque subdélégué, dont celui de Saint-Malo, choisit dans le corps médical du chef-lieu de sa subdélégation un médecin et plusieurs chirurgiens qui en reçoivent commission. Le médecin désigné se rend sur place, là où sévit l’épidémie, ici le docteur Bougourd et le chirurgien de l’Amirauté Le Mesle (1786 ou 87). De façon régulière à partir de 1775, il établit un diagnostic et prescrit traitement, régime alimentaire et remèdes idoines. Ensuite, il charge plusieurs chirurgiens d’appliquer régime alimentaire et traitement, l’un et l’autre étant liés à cette époque selon les critères de la médecine savante.
2Il en va ainsi à Saint-Malo en 1749, 1758, 1765, 1777, 1779 et 1783, notamment. Plusieurs chirurgiens diligentés dans la subdélégation de Saint-Malo se rendent au domicile des « pauvres malades » et y déploient leur activité. Leurs déplacements leur sont rétribués, de même que leurs tournées, à hauteur, pour ces dernières, de 3 livres par journée, grâce aux fonds mis à la disposition de l’intendant par l’État royal. L’intendant en fait bénéficier chaque subdélégation concernée, dont celle de Saint-Malo. Quant aux « pauvres malades » qui reçoivent secours et remèdes sur l’ordre du roi, ils sont notamment désignés par les curés de paroisses, dont ceux du Clos-Poulet, qui se chargent d’établir des listes nominatives. Près de 1 200 livres en 1777 et 2400 en 1779 sont ainsi réglées par le gouvernement royal, dont plus de la moitié servent à la rétribution du corps médical pour la subdélégation de Saint-Malo.
3Qui plus est, certains médecins, nombre de chirurgiens aussi, selon ce qui le leur est formellement recommandé à partir de 1786, adressent à l’intendant depuis la subdélégation locale des Mémoires de type médical. Ils y indiquent, outre la rétribution qui leur est due, les ravages causés par l’épidémie dans les populations de l’endroit. Ils marquent le nombre des « pauvres malades » traités par leurs soins, celui de ceux qui sont « convalescents », celui de ceux qui sont décédés et de ceux qu’ils considèrent avoir guéri ou bien qui en ont réchappé. C’est là la justification de leur présence, comme des bienfaits rendus possibles par la volonté du gouvernement royal.
4Forts de leur expérience sur le terrain, certains s’emploient à adresser à l’intendant et à la Société royale de médecine dont ils sont ou pas les correspondants occasionnels ou attitrés, un Mémoire de type (pré) scientifique. C’est notamment le cas du docteur Réaud, natif de Saint-Malo (médecin de l’hôpital de Metz, médecin au Val-de-Grâce, médecin des Armées de Bretagne en 1779-1780), en ce qui concerne « les causes et le traitement des maladies épidémiques qui ont régné pendant l’armée de 1779 dans les environs de Saint-Malo et Saint-Brieuc ».
5À l’exercice libéral de la médecine savante ou moins savante, à celle pratiquée dans les établissements hospitaliers civils et sur le pied militaire – en l’absence d’hôpitaux militaires fixes à Saint-Malo – est adjointe, de par la volonté de deux rois, Louis XV et Louis XVI qui s’appuient sur la bureaucratie des intendances et, à partir de 1776, à l’instigation de la Société royale de médecine, elle aussi fondée sur ordre du roi, pour faire pièce à l’immobilisme des facultés de médecin, une politique qui annonce un système de santé publique. À la traditionnelle pyramide sociale et médicale correspondent la population placée dans les hôpitaux, les riches citadins traités par des médecins et des maîtres en chirurgie « de grande expérience », aux personnes aisées – plus ou moins – soignées dans les bourgs ruraux, se trouve adjointe la catégorie des « pauvres malades » traités à domicile ; et cela avec l’assentiment et avec le zèle de médecins et de chirurgiens, notamment à Saint-Malo et dans sa subdélégation, dont les 13 paroisses sur 16 relèvent du Clos-Poulet.
6Le médecin et les chirurgiens rédigent ainsi à la fin de chaque « maladie épidémique » un Mémoire comportant leurs frais de déplacement et leurs honoraires. Il en va ainsi pour le docteur Chifoliau et pour 9 chirurgiens (1779) dans le cadre de la subdélégation de Saint-Malo : Masselin à Saint-Suliac, Gocleau à Châteauneuf, Masselin à Saint-Guiniou, Desnoyer Le Coq à La Gouesnière, Hermon Touné à Saint-Méloir, Bel Issüe Fortin à Saint-Benoît-des-Ondes. Saint-Aubin Pelchien à Saint-Coulomb et Saint-Ideuc, Le Koph à Paramé, Le Biais et Guyot à Saint-Jouan, Fougeray à Langrollay. Leur indemnité, pour les chirurgiens, se monte à 3 livres par jour. Ils sont rétribués avec retard. Certains s’en plaignent, de même que du tarif que certains trouvent « trop modique ». Ils arguent parfois – et c’est le cas de 11 chirurgiens du Clos-Poulet – que cette activité les empêche de pratiquer l’exercice – plus rentable – de leur pratique « libérale ». Toujours est-il qu’ils ne se soustraient pas à la charge qui leur incombe. Certains paraissent même être honorés de cette « faveur » et du titre qui leur est reconnu par le représentant local de l’administration royale ; et ils disent leur satisfaction de participer au « Bien public » durant la décennie 1780. Et cela même si 2 sur 17 meurent de maladie « en service commandé », en septembre 1779, dans le Clos-Poulet.
7Pareille organisation, ébauchée entre 1750 et 1780 (dates rondes) trouve son apogée en 1786. Un édit royal la rend alors officielle et la Société royale de médecine, consultée à maintes reprises depuis sa fondation (1776) s’en est réjouie dès 1779, lors de « la dysenterie épidémique qui règne dans plusieurs Provinces du Royaume ». Ses « Réflexions », lues dans la séance tenue au Louvre le « 12 octobre 1779, et publiées par ordre du gouvernement », tendent à le prouver.
8Certes, l’historien ou le philosophe en chambre est en droit de penser, aujourd’hui il est vrai, qu’il s’agit là d’un quadrillement sanitaire du royaume, d’une surveillance qui vise au contrôle social de la population. Mais comment ne pas voir, même s’il est question de la puissance du royaume, entre autres démographique et fiscale, qu’en se rendant au domicile des « pauvres malades », quelques médecins et de nombreux chirurgiens ont, de leurs yeux, vu la misère sociale si fréquente notamment en Bretagne et à deux pas d’une cité opulente ou aisée comme celle de Saint-Malo ? S’il est vrai qu’aux yeux de médecins, fût-il maître en chirurgie même de légère expérience – « la vie du puissant ou du riche ne leur est pas plus précieuse que celle du faible ou de l’indigent » (Cabanis, 1798), pareille attitude morale trouve dans la visite au domicile des « pauvres malades » un fondement qui n’a pas échappé à certaines gens de médecine. La politique réformiste d’un Turgot et d’un Neker, bien relayée en Bretagne par les intendants Caze de la Bove et Bertrand de Molleville à Rennes, dûment appliquée par Lorin, subdélégué à Saint-Malo aboutira à une division politique du corps médical malouin. Le docteur Bougourd reste royaliste sous la Révolution. Il est démis par de ses fonctions de médecin de l’Hôpital en octobre 1793 par le scruteur du département d’Ille-et-Vilaine. Le docteur Chifoliau, accusé de fanatisme royaliste est guillotiné (1794). Le docteur Mallet de la Brossière est partisan, dès 1790, d’une monarchie constitutionnelle. Du réformisme à la révolte, enfin à la Révolution, certains ont franchi le pas, d’autres non.
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