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Chapitre IX. Les chirurgiens navigants de Saint-Malo

p. 81-82


Texte intégral

1S’ils ne traitent pas à terre, en principe, les habitants de Saint-Malo et du Clos-Poulet, les chirurgiens navigants, à bord de navires marchands et négriers le font à bord auprès d’équipages composés pour deux tiers de Bretons et pour partie de gens du pays malouin, notamment de Paramé dont le curé a recensé les nombreux morts en mer de sa paroisse en 1781. Qui plus est, les chirurgiens navigants sont particulièrement nombreux à être issus du pays malouin. Et, une fois avoir « posé leur sac à terre », vers l’âge de 30 à 40 ans, ils s’établissent à demeure dans la douzaine de paroisses du Clos-Poulet, fournissant ainsi un personnel médical expérimenté au pays malouin. L’inventaire de 6700 rôles d’équipage à Saint-Malo au XVIIIe siècle livre les noms de 1790 « chirurgiens navigants ». Issus du Clos-Poulet, du pays d’Avranches, de Dinan et de Rennes notamment, ils sont les deux tiers (1296) à embarquer à Saint-Malo. Quant aux 617 autres, soit un tiers du total, 14 % embarquent aussi à Saint-Malo. Le plus célèbre, Jacques François Broussais (le père) accomplit 15 voyages avant de s’établir à Pleurtuit à l’âge de 41 ans. Le second, connu quant à lui au niveau régional, n’est autre que Jean Guillaume Chifoliau (1716-1799), qui « pose son sac à terre » à Saint-Malo pour ses 32 ans, après une dizaine d’années de navigation (dont certaines à la compagnie des Indes de Saint-Malo), avant de devenir, on l’a vu, lieutenant du Premier chirurgien du roi à Saint-Malo et chirurgien en chef de l’Hôtel-Dieu de la même ville. Moins connu, moins titré, ancien apprenti du précédent, François Guyot (1742-1816) présente cependant un parcours hors pair. Il est né à Paramé au château de la Chipaudière en Paramé. Ses parents y étaient jardiniers de « Monsieur Magon, Armateur et banquier ». Il est deux fois chirurgien navigant sur un navire corsaire (1761 et 1781) en tant que 5e et dernier chirurgien (1761) et en tant que 1er chirurgien (1781), puis à bord de navires négriers (1766-1776). Il va 8 fois en Angola et une fois en Guinée : d’abord comme second chirurgien (1766), puis comme premier chirurgien. En 1783, il finit par s’installer à terre (il a 48 ans) à 1 km de Saint-Malo, puis en 1796 à la Ville Martère, en Saint-Méloir-des-Ondes, dont il devient maire en 1800. Non seulement il a acquis une solide pratique à bord de ces navires, mais il peut être fier de son efficacité médicale ; et cela dans la mesure où, au fil de ses 14 voyages à bord de navires négriers, le taux de mortalité des « nègres » se monta seulement à 8,30 % sur un total de 4 405 personnes de couleur, contre 16,8 % en moyenne pour ses confrères de la même catégorie. Doué pour les études et doté d’une certaine ambition, le pécule amassé grâce à ses traversées lui vaut de s’inscrire à l’École de chirurgie de Paris (1778), de suivre (1779) les cours de savants renommés (Pierre Fabre, Süe, Sabatier) et d’effectuer un stage à l’hôpital militaire de Strasbourg, l’un des plus réputés du royaume. Mieux encore, il témoigne du haut niveau atteint par certains Maîtres en chirurgie de grande expérience, et il peut être considéré comme l’un des précurseurs de la parasitologie. Observateur perspicace d’une maladie typique des esclaves noirs embarqués à bord des navires « négriers », il en rapporte des observations du type scientifique. En 1781, il présente sa découverte à l’Académie royale de chirurgie avec un vif succès : celle de la filaire (un ver conjonctival), qui frappe de cécité notamment les Noirs du Gabon. 158 mois à exercer à bord de navires négriers, 177 en moyenne pour ses confrères à la même époque ! À condition d’en réchapper, à condition d’être persévérant et économe, la réussite est au bout du chemin ou plutôt de la navigation. Si la Bretagne, et tout particulièrement les pays malouin, rennais et nantais comptent autant de chirurgiens, ils le doivent aux qualités tant humaines que professionnelles d’hommes de courage et de valeur que contribuèrent à faire de la Bretagne la 1ère province maritime de France au XVIIIe siècle et de Saint-Malo en particulier, le 3e port de France à la même époque.

2La « fortune » aura souri aux audacieux et aux entreprenants : au plus haut niveau à ces « Messieurs de Saint-Malo », beaucoup plus modestement, il est vrai à la profession médicale : à Saint-Malo, mais aussi à Nantes et à Bordeaux.

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