Chapitre VIII. La pratique hospitalière
p. 75-80
Texte intégral
1À la pratique libérale de la médecine s’ajoute son exercice dans les établissements à caractère hospitalier. Dotée, à la fin du XVIIIe siècle, de trois d’entre eux, l’agglomération malouine forte de 18 000 habitants, se trouve dans une situation favorable. Avec Nantes, Brest, et Lorient, elle fait, en Bretagne, figure d’exception. Le réseau hospitalier breton est l’image du réseau urbain breton, bien plus littoral que terrien, à l’exception de Rennes. La relative aisance de l’agglomération malouine tranche également avec la pauvreté générale de la paysannerie bretonne, frange côtière et villes exceptées. Il n’empêche. Parce que Saint-Malo est une capitale internationale et locale, celle du « pays malouin », elle compte alentour nombre de pauvres et de miséreux. À une époque où sévissent, souvent en même temps, nombre de maladies meurtrières, un fort effectif de pauvres ruraux, plus souvent que d’autres, tombe malade plus fréquemment que les citadins malouins et servannais.
2En prendre soin, pour cette cité comme pour bien d’autres en France, relève du devoir de charité ancien et toujours présent à l’époque. À ce titre, médecins et chirurgiens, tous catholiques, participent à ce devoir, en particulier après la Contre-Réforme du XVIIe siècle. D’un côté donc, la pratique dite libérale, celle-là payante et d’un coût élevé et, de ce fait, privilège de gens riches ou aisés prompts, par leur culture urbaine, à faire appel à la médecine savante. De l’autre, les effectifs, au total plus nombreux, des pauvres, des miséreux, des infirmes, des orphelins, des vieilles gens, des bâtards, des enfants trouvé sans ressources. C’est à eux que les hôpitaux sont destinés. Ce sont eux que médecins et chirurgiens soignent à Saint-Malo comme ailleurs en Bretagne et en France, à titre gratuit : au nom de la charité.
Pauvres malades et médecins dans les hôpitaux
3La présence de trois établissements hospitaliers à Saint Malo aux XVIIe et XVIIIe siècles trouve son explication, Hôtel-Dieu excepté, dans la fortune amassée par certains « Messieurs de Saint-Malo » dans la seconde moitié du XVIIe siècle. L’hôpital général (Saint-Yves) doit sa création (vers 1660) puis son aisance à la donation par testament d’Alain Magon de la Gervais (fils ; 1601-1683). L’hôpital du Rosais en Saint-Servan, est redevable de sa fondation à Julienne Danycan (1653-vers 1720), l’une des deux filles de Noël Danycan, sieur de l’Epine (1618-1688), épouse de Jean Prouvost, sieur de la Roche, négociant malouin (décédé en 1717). Seul, l’Hôtel-Dieu est une fondation médiévale d’origine épiscopale. Elle constitue un cas particulier d’un renouveau marqué dans toute la France ; d’un renouveau tant économique et urbain que spirituel, notamment en ce « beau XIIIe siècle ». Il tire son origine d’un autre ordre : celui de la théologie de la miséricorde. Et la bourgeoise urbaine, dont font partie les chanoines lui emboîte le pas. Donations, dons, legs, testaments affluent, preuves des libéralités bourgeoises sous l’influence de l’essor de la spiritualité. La représentation du pauvre souffrant, image du Christ, le salut par les œuvres aussi, le désir pour les nantis d’assurer leur Paradis virent la floraison de « Maisons-Dieu », dites aussi « hôtels-Dieu ». Cinq siècles après coup, la tradition reprend vie dans la très catholique cité malouine. À ceci près que l’image du Pauvre a changé. Un souci d’ordre social et sanitaire est apparu. L’hôpital général non seulement reçoit les pauvres, mais il les isole dans un monde séparé. Or, sur ce point, l’hôpital général de Saint-Malo, en cette fin du XVIIIe siècle, non seulement renferme et éduque les laissés pour compte de la société, mais aussi il leur assure un « service médical ». C’est là, jusqu’à plus ample informé, une exception.
L’Hôtel-Dieu de Saint-Malo
4L’Hôtel-Dieu de Saint-Malo fondé, comme beaucoup d’autres en France au XIIIe siècle par un évêque, est placé sous le contrôle d’un chanoine chargé de vérifier ses comptes tous les trois mois. Il a, dès l’origine, pour mission d’apporter « les secours nécessaires » « dans leur langueurs » aux « indigents, aux infirmes, aux étrangers, aux femmes en couches et autres nécessiteux ». En 1789, il dispose d’un médecin en chef, le docteur Bougourd et d’un chirurgien en chef, le sieur Lechauff. À la différence de l’hôpital général, médecins et chirurgiens de l’Hôtel-Dieu sont nommés par les administrateurs, touchent un traitement fixe et perçoivent en sus des gratifications. Hôpital civil et non pas militaire (Saint-Malo n’en a pas, à la différence de Brest ou du Folgoët), l’Hôtel-Dieu est appelé à recevoir en temps de guerre et/ou d’épidémies, des soldats. Ainsi en 1779, le ministre de la Guerre envoie un aide-major chirurgien, chargé, sous les ordres du chirurgien de l’hôpital de « donner ses soins aux soldats et [de] se transporter dans les forts lorsque les soldats malades ne pourront être transportés à l’Hôpital ».
5À la fin de l’Ancien Régime, l’Hôtel-Dieu est le seul type d’hôpital, en principe, à être un établissement à caractère médical ; et cela dans la mesure où il accueille uniquement des malades. Les hôtels-Dieu sont implantés pour les deux tiers dans des villes de plus de 2000 habitants. Saint-Malo ne fait pas exception ; loin s’en faut ! Même si la cité appartient à une France de l’Ouest défavorisée en ce qui concerne l’équipement hospitalier, contrairement à celle des 2 Midis et au Bassin parisien. Comprenant une quarantaine de lits (à partir de 1771), il se situe dans la catégorie des hôtels-Dieu disposant de 30 à 50 lits (20 % du total national des Hôtels-Dieu). À Saint-Malo comme ailleurs en France, les pauvres malades affluent vers la ville, supposée riche de possibilités de charité, de réserves alimentaires et de soins médicaux. D’après les « États des Hôpitaux » adressés en 1752 par l’intendant de Bretagne « à Monsieur de Boullongne, Conseiller d’État, intendant des finances chargé de tout ce qui concerne l’administration des hôpitaux », on y compte « 112 malades ou invalides et 140 enfants trouvés ou autres ». D’après une enquête diligentée par l’intendance de Bretagne (1774), le relevé des morts hospitalisés à Saint-Malo ne serait que de 5 à l’Hôtel-Dieu.
6À la veille de la Révolution, cet Hôtel-Dieu dispose d’un personnel médical de qualité : le médecin Jean Guillaume Chifoliau, puis, à partir de 1787, le docteur Bougourd, tous deux correspondants attitrés de la Société royale de médecine. Ils y remplissent le rôle de « médecin en chef ». Servent sous leurs ordres, et cela successivement, deux chirurgiens en chef : Le Chauffà partir de 1762 (il succède à ce poste à Chifoliau père), puis à partir de 1790, Le Mesle, chirurgien de l’Amirauté de Saint-Malo.
L’hôpital général Saint-Yves établi au Grand-Val en Saint-Servan
7Le 16 novembre 1646, une fondation privée, en d’autres termes une maison de charité, est créée à Saint-Malo. Resserrée entre les remparts et l’Hôtel-Dieu, mal organisée à ses débuts, sans autres ressources que les secours charitables des habitants, elle périclite rapidement. Une trentaine d’années plus tard vers 1680, deux membres de l’élite négociante décident d’acquérir (1679) une grande propriété baignée par la mer, au Grand Val, en Saint-Servan (paroisse rattachée à Saint-Malo en 1753). Il est construit vers 1680-1700, grâce notamment aux donations faites dans leur testament par de riches négociants : ceux d’Alain Magon de la Gervoisais (1683) et de Pierre de la Haye (1703).
8L’hôpital général Saint-Yves accueille et entretient les marins, les pauvres mendiants « natifs et originaires de la ville de Saint-Malo » et les orphelins. Il donne le toit, le vivre et le couvert aux infirmes, aux mendiants, aux marins âgés, à leurs veuves et à leurs enfants, parfois à une veuve de chirurgien moyennant paiement (1782), aux orphelins qu’il élève et qu’il instruit. Etabli en principe pour les seuls bien-portants et les infirmes, l’hôpital général malouin, à rebours des hôpitaux généraux, affiche une « mission médicale ». Il dispose, à titre provisoire, d’un « service médical » depuis 1679 ; et il engage alors le sieur des Landes, médecin et chirurgien de la ville de Saint-Malo, avec des gages de 60 livres par an. Dès l’année suivante la direction de l’hôpital Saint-Yves, vraisemblablement par souci d’économie, trouve des médecins et des chirurgiens bénévoles, prodiguant alternativement leurs soins à titre gratuit aux « pauvres malades » dudit hôpital pour « leur soulagement et traitement ». Ce principe de charité et de gratuité perdure jusqu’en 1782, un incident mis à part (1761). Un Maître en chirurgie de Saint-Malo, le sieur Quesnel, sur sa demande, est nommé par le Bureau de l’hôpital général. Il a la charge de « faire au moins une visite par semaine, pour s’assurer de l’état des pauvres de la maison, de s’y transporter toutes les fois que les maladies ou les accidents le réquéreront, et même de proposer à Saint-Servan un de ses confrères pour le suppléer dans les événements ou les accidents qui peuvent arriver de nuit ». Quesnel reçoit 75 livres par an à partir du 1er avril 1782. En 1786, il demande et obtient un congé de 2 ans pour affaires pressantes à « l’Isle de France ». Le Bureau, sur la demande de Quesnel, le fait remplacer par un autre chirurgien, Malouin lui aussi, le sieur Martin, lequel continue de remplir ses fonctions en 1794.
9En 1724 ce grand hôpital général reçoit au total 296 personnes, 320 en 1749. A différence des hôpitaux généraux du royaume censés accueillir exclusivement des « bien-portants », celui de Saint-Servan bénéficie aussi des services d’un Maître en chirurgie et d’aides-chirurgiens. Jusqu’à plus ample informé, il s’agit là d’un cas exceptionnel, dû à la générosité de grands négociants malouins.
L’hôpital du Rosais en Saint-Servan
10L’hôpital du Rosais a été officiellement fondé par lettres patentes du roi en août 1711. Comme pour l’hôpital général Saint-Yves et conformément à une tradition à l’origine médiévale, il s’agit d’une fondation privée. Jean Prouvost, négociant (mort à Saint-Malo en 1717), sieur de la Roche et Julienne Danycan, sa femme (1653-1723), une des filles de Noël Danycan, sieur de l’Épine (1618-1688), sont autorisés par le roi, à fonder en la paroisse de Saint-Servan, « sur un fond et emplacement leur appartenant, un Hôtel-Dieu pour loger douze pauvres malades de l’un et l’autre sexe, originaires du faux-bourg de Saint-Servan ». Par traité passé avec la Supérieure de leur ordre (28 avril 1714), les sœurs de la Charité sont les hospitalières du Rosais. De 12 lits pour les pauvres en 1712, il passe à 30 lits par la suite ; puis leur nombre est réduit à 24 en juin 1770.
11Le Rosais, reconstruit après l’incendie du 8 avril 1767, comporte à la veille de la Révolution 85 lits. En cas de guerre ou d’épidémie, il est prévu d’augmenter de moitié sa capacité. C’est à titre gratuit, comme à l’hôpital général Saint-Yves jusqu’en 1782, qu’exerce le chirurgien Bougourd (grandpère), puis le chirurgien Bougourd (père), ce dernier jusqu’en 1767, et Bougourd (le petit-fils et le fils) durant 2 ans. Outre le médecin précité, deux chirurgiens de Saint-Servan y exercent : les sieurs Charpentier et Masson.
12Le docteur Bougourd, se trouvant vite en butte à des difficultés avec ses confrères, quitta Saint-Servan et s’établit à Saint-Malo. Le conflit est provisoirement réglé en 1770 par une délibération du Bureau de l’hôpital, de façon à maintenir entre eux l’union et à procurer aux malades les soulagements utiles. Le 31 décembre 1770, l’accord est rompu. Le nom du docteur Bougoud est absent des délibérations ; et le Bureau alloue une indemnité (comme à l’Hôtel-Dieu 1782 pour le chirurgien Quesnel) à ses successeurs, les chirurgiens Charpentier et Masson. Soit une somme de 150 livres « à partager par eux par chaque année à commencer du 1er janvier 1771 ». « Attendu qu’il ne retient aucune rétribution pour leurs soins, le Bureau avait considéré que les “occupations qu’entraîne nécessairement l’état de chirurgien de Messieurs Charpentier et le Masson…” mettaient “un obstacle à leurs visites aussi fréquentes et journalières qu’exigent les maladies des pauvres mis à l’hôpital” ». En outre, « ils sont chargés (4 février 1771) de rendre compte à chaque assemblée du bureau de ce qu’ils auront remarqué de contraire au bien de la maison, soit pour cause de la mauvaise qualité des remèdes, soit pour quelques autres causes que ce soit concernant les malades, afin d’être à bien d’y mettre ordre ». Comme l’hôpital général Saint-Yves, qui reçoit la veuve d’un chirurgien malouin (1782) pour 120 livres par an, l’hôpital du Rosais accueille des malades payants. Le prix de journées est de 10 sols (une demi-livre) par jour à la mi-XVIIIe siècle et passe à 15 en juin 1770.
13L’hôpital du Rosais dispose en 1712 (à son origine) de 12 lits, puis vers 1740 de 30 lits. Après sa reconstruction (1767), sa capacité se trouve augmentée : il comporte 85 lits « avec la possibilité d’en augmenter le nombre de moitié en cas de guerre ou de maladie épidémique ». La leçon avait été ainsi tirée de l’épisode meurtrier de 1758-1759. Le surcroît de malades dû à la guerre d’Amérique à partir de 1778 (militaires et marins), puis à la dysenterie épidémique de 1779 prouve l’utilité de cette disposition. Les lits supplémentaires furent occupés chacun non pas par un mais par deux malades. Et on installa des lits jusqu’au grenier. Durant la décennie 1780, on plaça des lits pour les militaires malades stationnés à Saint-Servan et à Paramé jusque dans le couvent des Récollets de Saint-Servan ; et le ministère de Guerre dut indemniser les Récollets « par forme d’indemnité des dépenses extraordinaires qu’ils ont été obligés de faire à l’occasion de l’établissement d’un hôpital militaire dans leur maison » (28 octobre 1788, lettre de Necker à Caze de la Bove, intendant de Bretagne). En 1783, le roi paie un supplément pour les dépenses occasionnées pour les soins des militaires hospitalisés à Saint-Servan (1 637 livres) et à Saint-Malo (9 719 livres).
14Durant les décennies 1770 et 1780, nombreux sont les bataillons ou les régiments logés à Saint-Servan : le Royal des vaisseaux à Saint-Servan en 1771 (un bataillon), le régiment d’Agenais en 1777, le régiment de Forez en 1788. Leurs hommes y sont traités sous la direction du chirurgien-major du régiment, par des chirurgiens militaires, de la gale. Cette maladie représente le quart, et souvent davantage, de l’ensemble des soldats malades à la fin du XVIIe siècle et, vraisemblablement, même si manque un état statistique, un siècle plus tard. À la différence de Lorient et de Brest notamment, Saint-Malo ne dispose pas, étant donné sa fonction commerçante et donc civile, d’hôpital militaire fixe. Cependant, en raison de la conjoncture militaire (guerre de sept Ans, en particulier en 1758 et 1759 ; guerre d’Amérique de 1778 à 1783), les soldats et les marins malades et blessés des régiments stationnées dans la région malouine ont à leur disposition des « hôpitaux militaires ambulants », qui peuvent faire partie de leurs campements. Ou bien les ministères de la Guerre et de la Marine font obligation à des hôpitaux civils ou à des couvents de les recevoir « sur le pied militaire » aux frais du roi. 76 pour la gale du 25 mars au 31 août 1777 (régiment d’Agenais), 85 « traités et guéris » de la gale du 1er septembre au 31 décembre 1788 (régiment de Forez). La durée du traitement se monte à 10 ou 15 jours en moyenne pour un coût total de 187 livres, 7 sols, 6 deniers, dont 127 livres 10 sols de frais médicaux.
15Les maladies sexuellement transmissibles, telles que la syphilis, la blennorragie – moins grave – et la gonorrhée, se propagent rapidement, de même que la gale (maladie parasitaire) très répandue dans les armées françaises, dont 21 régiments sont stationnés en Bretagne en 1783. Cependant, dans le cas de la région de Saint-Malo, aucun document consulté ne prouve qu’elles aient atteint les militaires et les marins traités dans ce secteur.
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