Chapitre I. La maladie, avertissement et châtiment divins
p. 27-30
Texte intégral
1Face à la maladie, les attitudes des Malouins, pour autant qu’on sache aujourd’hui, ne différent pas fondamentalement de celles des Français à la veille de la Révolution. Dieu est la cause première, la nature humaine la cause seconde. Les peines que méritent leurs péchés, sont les guerres, les maladies, les famines, les afflictions. Voulue par Dieu, la maladie est à la fois un châtiment individuel ou collectif en cas d’épidémie et un avertissement salutaire d’avoir à faire pénitence et à se préparer à bien mourir dans l’espérance du Salut.
2Prônes dominicaux et sermons s’emploient à le démontrer. Les maladies sont des châtiments salutaires par lesquels un Père aimant corrige ses enfants. C’est la maladie de l’âme qui cause celle du corps. C’est le dérèglement de l’esprit et du cœur qui sèment le désordre dans les humeurs ou qui font la force du tempérament. Si l’Homme est livré à un fort nombre d’infirmités et de maladies, elles sont le juste châtiment de ses révoltes et de ses infidélités. Ses prières, sa repentance, l’espoir du pardon doivent guider ses pas dans l’adversité.
3Le fléau que représente l’épidémie, non plus de peste mais de dysenterie (1779) dans la région malouine conforte avertissement et châtiment divins. Il nécessite prières et ferveur, afin de se purifier des péchés. Traditionnelle invocation remontant au temps de la peste, la prière de demande recèle quelque puissance : « Libera nos Domine, a malo, a peste, a bello et a fame » (libère-nous Seigneur, du mal, de la peste, de la guerre et de la faim).
4Pareille prière retentit-elle à Saint-Malo lors du typhus de 1758 et de la dysenterie épidémique de 1779 ? On ne sait. En tout cas, elle est confortée dans l’opinion par l’impuissance du corps médical. En tout cas aussi, à chaque départ pour un lointain pays, qu’il s’agisse de Terre-Neuve, de la Guinée ou de la Chine, les marins du pays malouin invoquent Dieu, la Vierge et les saints et en attendent protection. Tant ils connaissent les dangers, dont la mort et les maladies, auxquels les exposent leurs expéditions.
5Notre-Dame de la Grand’Porte, sur les remparts, Notre-Dame de la Croix-du-Fief1 dans la cathédrale sont priées de les protéger. À leur retour, elles reçoivent leurs actions de grâces. Dédiée à Notre-Dame de la Garde ou bien à Notre-Dame du Verger, telle ou telle chapelle de la côte reçoit les remerciements des « marins au teint hâlé, la tête découverte et les pieds nus ». Et ils décorent l’endroit de leurs ex-voto en forme de navires. Toutefois, en cas de péril ou de maladie, que ce soit à terre ou bien sur mer, si un chrétien de Saint-Malo doit commencer par répondre à l’avertissement de Dieu en songeant à son âme, il se doit de pourvoir à la guérison de son corps par tous les « moyens licites » selon la parole de l’Église qui exclut tout recours à la sorcellerie. Or, la liste de « ces moyens licites » est plus que longue. Elle inclut l’automédication, la médecine par les « simples » (plantes), le recours aux empiriques, celui aux croyances traditionnelles, celui à la médecine instituée, mais aussi celui aux saints guérisseurs.
6À Saint-Méloir-des-Ondes, « près du manoir de Beauregard […] coule la fontaine de Sainte-Radegonde, but de pèlerinage pour les enfants malades, surtout ceux dont la dentition ne se fait qu’avec peine ». Or, on le sait, la période de la dentition est alors regardée par les mères comme une « période orageuse » : celle qui fait du bébé allaité un enfant mâchant les solides. Etape jugée cruciale, parmi quelques autres, dont celle de la marche.
7« À Saint-Malo, on croit fermement qu’en laissant deux petits innocents s’embrasser, c’est-à-dire deux tout petits bébés ne sachant pas encore parler, l’un d’eux sera muet. Les mères recommandent aux nourrices de veiller à ce que les enfants ne s’embrassent pas. » Autour de Saint-Malo, dans les bourgades du Clos-Poulet, l’envoi en nourrice est alors fort pratiqué, comme le prouvent des recherches récentes en matière de démographie historique et le témoignage du docteur Chifoliau (1785). Patron de Cancale, saint Méen, est censé guérir le « mal de Saint-Méen » par l’eau de sa fontaine. Selon les auteurs, il s’agirait de la dartre, de la gale ou de la lèpre.
8Redoutant « l’ire de Dieu » et son influence sur le cours de la vie et de la nature, les Bretons de la région malouine prennent garde à son courroux, conséquence de leurs péchés. Pour tenter de le conjurer, ils mettent à profit divers recours pour s’en protéger, que ce soit contre la maladie, l’orage ou la tempête, tous trois signes d’un dérèglement.
« Le dimanche de la chandeleur […], le prêtre bénit les cierges. Les familles chrétiennes ne manquent jamais d’en faire bénir un qu’elles emportent dans leur demeure. Ce cierge est allumé lorsqu’un malade est mis en extrême-onction. Dans les campagnes, on allume aussi le cierge de la chandeleur lorsqu’éclate un orage. Il doit éloigner la foudre de la maison dans laquelle il brûle. […] Aux environs de Cancale, on met un tison du dernier feu de la Saint-Jean à tremper dans le bénitier accroché au fond du lit. Ce tison était destiné à protéger de la foudre. »
9Orage de la dentition, orage de la tempête à terre et en mer, orage de la maladie. Le terme a pour lors valeur symbolique et non pas seulement factuelle. Il manifeste une rupture de l’équilibre, qu’il s’agisse du corps ou de la nature environnante. Lorsque l’un ou l’autre se dérègle, se manifeste un avertissement divin. L’Homme le prend en compte et il tente de se prémunir ou bien, il essaie de le contrecarrer : par ses prières, par ses gestes, par son verbe. Certains n’y voient aujourd’hui comme hier que des « superstitions ». C’est là, de fait, un aveuglement sur l’originalité d’un système de références qui possède sa logique. L’équilibre du Corps et de la Nature, selon lui, manifeste l’ordre institué par Dieu. Et les usages du temps, en pareils cas, visent à prier Dieu de le conserver ou de le restaurer.
10Si la Vierge est alors particulièrement révérée à Saint-Malo et dans le pays malouin en tant qu’intercesseur et que dispensatrice de toutes grâces, il est vraisemblable que, comme d’autres régions de Bretagne, celles-là bretonnantes, des saints spécialisés pour telle ou telle affection y ont été invoqués aux XVIIe et XVIIIe siècles : pour les maux de tête, de la bouche, des dents, des yeux, des oreilles, de la gorge, du ventre, des intestins ; pour des maladies de la peau, les « fièvres », et les maladies que nous dirions neurologiques, dont la chorée et l’épilepsie. Effectuée et publiée, l’enquête a été menée dans les Côtes d’Armor, le Morbihan et le Finistère, elle reste à faire pour la région malouine. Il apparaît que le nombre des saints thérapeutes paraît bien moindre en pays malouin, de même qu’en Ille-et-Vilaine, que dans les régions bretonnantes.
11Quoi qu’il en soit, les « spécialités » des saints thérapeutes ne sont pas distribuées au hasard. Elles tiennent sinon à l’histoire spécifique de chacun d’eux, du moins à l’hagiographie qui leur est attribuée. Pour ne citer qu’un seul exemple, la spécialité (dentition), sainte Apolline (avérée dans le Clos-Poulet) découle de son martyr. Des tortionnaires romains lui auraient fracassé la mâchoire, brisant toutes ses dents. La légende dit que tandis qu’on lui détruisait les mâchoires, elle aurait adressé à Jésus cette prière : « Que tous ceux qui feront mémoire avec dévotion de l’intensité de la douleur que j’éprouve ne ressentent jamais ni douleurs de dents ni douleurs de tête ». Un ange lui serait apparu pour lui signifier que sa prière était exaucée.
Le culte des saints guérisseurs
12Très répandu en Bretagne, et spécialement dans le Finistère et dans le Morbihan au XIXe siècle, le culte des fontaines guérissantes et des saints guérisseurs l’est à un moindre degré en Ille-et-Vilaine au XVIIIe siècle. D’après Banéat, 75 fontaines sont alors dédiées à des saints (XIXe siècle) en Ille-et-Vilaine. Selon H.-F. Buffet nombreux et variés sont les saints guérisseurs dans le Clos-Poulet. Ainsi, saint David, à Saint-Père-Marc-en-Poulet, aurait fait jaillir des sources miraculeuses. Et, en Ille-et-Vilaine, comme dans le Morbihan, l’usage était d’y tremper la hampe de la croix processionnelle.
13Les saints invoqués en cas d’inquiétudes, de maux et de maladies ne manquent pas dans le pays malouin : saint Denis à Saint-Père, afin de faire accéder les enfants à la marche ; saint Charles à Saint-Méloir-des-Ondes, saint Lantic à Cancale et à Saint-Jouan-des-Guérets pour les voyages en mer ; sainte Anne au Bosq en Saint-Servan, saint Joseph à Paramé et à Saint-Servan, Notre-Dame de la Grand’Porte à Saint-Malo, et Notre-Dame du Verger en Cancale et nombre d’autres en tant que saints protecteurs.
14D’autres saints étaient censés guérir certaines maladies : sainte Radegonde contre la « rôche » à Saint-Méloir-des-Ondes, saint Pair à La Bouexière, saint Suliac à Saint-Suliac contre les « fièvres », saint Lunaire à Châteauneuf contre les maux d’yeux.
15En tout cas, la ferveur religieuse est de mise dans le pays malouin. Elle est évoquée par Chateaubriand dans ses Mémoires d’outre-tombe (I, 1), lorsqu’il conte son enfance dévote à Saint-Malo :
« J’étais conduit aux stations avec mes sœurs aux divers sanctuaires de la ville, à la chapelle Saint-Aaron, au couvent de la Victoire ; mon oreille était frappée de la douce voix de quelques femmes invisibles : l’harmonie de leurs cantiques se mêlait aux mugissements des flots.
Lorsque, dans l’hiver, à l’heure du salut, la cathédrale se remplissait de la foule, que de vieux matelots à genoux, de jeunes femmes et enfants lisaient, avec de petites bougies, dans leurs havres ; que la multitude, au moment de la bénédiction répétait en chœur le Tantum ergo ; que, dans l’intervalle de ces chants, les rafales de Noël frôlaient les vitraux de la basilique, ébranlaient les voûtes de cette nef que fit résonner la mâle poitrine de Jacques Cartier et de Duguay-Trouin, j’éprouvais un sentiment extraordinaire de religion. […] Je voyais les cieux ouverts, les anges offrant notre encens à nos vœux. »
16La douce quiétude de ce lieu de recueillement et de prière protège du ciel en courroux, du grand vent, de la tempête qui sévissent sur le Rocher malouin. Elle témoigne de la foi des Malouins. Ce faisant, elle s’apparente à un rituel thérapique. Celui qui procure les maux est en mesure de les soulager. Les Malouins présentent à Dieu leurs « vœux », leurs souhaits propres à assurer et leur âme et leur corps, l’un et l’autre si fragiles durant le cours de leur vie terrestre. Confiants, ils s’en remettent à Dieu et à la rédemption par la douleur.
Notes de bas de page
1 Cf. figure 5, Notre Dame de la Croix-du-Fief, cahier iconographique.
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