Chapitre IX. Lyon, Cadix et les Indes espagnoles
p. 273-315
Texte intégral
1Tout au long du XVIIIe siècle, les échanges entre la France et l’Espagne constituent certainement une composante essentielle du commerce européen et s’inscrivent naturellement parmi les flux majeurs qui animent alors l’économie atlantique. Les travaux les plus récents conduits sur le commerce franco-espagnol aux temps modernes ont d’ailleurs montré l’importance du rôle joué par les ports de la façade atlantique et leurs réseaux marchands dans l’organisation et l’animation des échanges entre les deux royaumes Bourbon1. Alors qu’au XVIe siècle le moteur de ce commerce était en Espagne, au XVIIIe les choses se sont inversées et on a assisté, entre 1570 et 1670, à un renversement de situation. Au XVIe siècle, les échanges entre les deux pays avaient pour objet la satisfaction des besoins élémentaires des deux économies et portaient essentiellement sur les matières premières agricoles et minières ainsi que sur la laine et les toiles, tandis que les leviers de commande étaient entre les mains des grands marchands de Castille. Les grandes foires se trouvaient au centre du dispositif, d’un côté celles de Burgos et de Medina-del-Campo et de l’autre celles du Poitou2 et de Lyon. Mais la révolte des Pays-Bas, la montée en puissance de l’économie coloniale américaine et les besoins croissants de la monarchie française en or et en argent modifièrent considérablement les relations commerciales entre les deux pays au cours du XVIIe siècle. On assista alors à une réorganisation complète de ce commerce, marquée notamment par la montée en puissance de l’Andalousie occidentale autour du pôle sévillan qui vint supplanter la Vieille Castille et les ports de la côte cantabrique, à sa prise de contrôle par les marchands français, et en particulier par ceux des grandes places portuaires de la façade atlantique – au premier rang desquels les entreprenants Malouins – et surtout à l’élargissement de ses horizons avec l’affirmation des marchés de l’Amérique espagnole. Le commerce entre la France et l’Espagne s’affranchit donc de l’espace péninsulaire, prit une dimension très clairement océanique et l’Atlantique, qui n’avait été jusqu’alors qu’un simple espace de liaison à travers le golfe de Gascogne, devint un acteur à part entière et même un élément constitutif majeur des échanges entre la péninsule et son voisin du nord. Impliquée dès l’origine dans le commerce avec l’Espagne du fait de la dimension européenne de ses foires, Lyon subit bien évidemment le contrecoup de ces changements.
Lyon et le commerce d’Espagne au XVIIIe siècle
« Il n’y a point de plus riches mines au monde »
2Au XVIIIe siècle l’Espagne est incontestablement devenue le premier partenaire commercial de la France. Vers 1775-1777, la valeur annuelle des échanges entre les deux pays dépasse les 78 millions de livres en moyenne, ce qui représente alors 11,5 % de la valeur globale du commerce français. Et la France tire un bénéfice non négligeable de ces échanges avec un solde positif moyen de 12,6 millions de livres par an, puisque la valeur moyenne annuelle des exportations atteint alors 45,7 millions contre 33,1 millions pour les importations. En 1775, ce solde atteint même 24,5 millions. à l’échelle des négoces atlantiques, les gains du commerce espagnol sont alors supérieurs de 20 % à ce que rapporte le commerce avec les colonies des Antilles, dans la mesure où, pour la même période, la valeur moyenne des marchandises chargées pour les Îles ne dépasse que de peu les 38 millions de livres par an3. Quant à Arnould il évalue à 33,3 millions de livres la valeur des importations d’Espagne « au moment de la Révolution » – « non compris les piastres et quadruples en or ». Il estime alors le solde de la balance commerciale entre les deux royaumes à 11,1 millions au bénéfice de la France et souligne le doublement de la valeur des exportations françaises depuis la fin du règne de Louis xiv4. Cependant depuis le début du siècle, le poids relatif du commerce avec l’Espagne s’est quelque peu tassé puisqu’en 1726-1728, il représentait 18,11 % du commerce de la France. Mais la valeur de ces échanges double entre cette époque et le milieu du siècle et, à partir de 1750, elle dépasse les 70 millions de livres. En 1777, dans un « mémoire sur le commerce d’Espagne » malheureusement non signé, un négociant français installé à Cadix évalue de son côté les importations françaises en Espagne à « 32 millions dans les plus fortes années, c’est-à-dire celles des Flottes qui ne s’expédient, comme on sait, que tous les trois ans » et estime que, dans l’autre sens, « la France tire de l’Espagne pour 7 ou 8 millions de fruits, soit du cru ou de l’Amérique. Le solde de ce commerce, écrit-il, est donc de 20 à 24 millions. En espèce, il n’y a point de plus riches mines au monde5 ».

Tableau X. – Le commerce entre la France et l’Espagne au XVIIIe siècle6
3Quant à la structure des échanges entre la France et l’Espagne, elle n’évolue guère au cours du XVIIIe siècle : la laine, la cochenille, la soude, le fer et les cuirs dominent parmi les importations, tandis que les toiles de Bretagne l’emportent à la vente devant les soieries et les articles de mercerie. Voilà donc qui ne peut que donner à Lyon un rôle de premier plan dans le commerce d’Espagne. D’ailleurs, dans son Dictionnaire universel de commerce, Savary des Bruslons cite en premier lieu, parmi les marchandises que la France fournit à l’Espagne, avant même les « toiles de toutes sortes, particulièrement de celles de Bretagne », « des étoffes d’or, d’argent et de soie ; des velours pleins et façonnés, des pannes, des dentelles d’or et d’argent fin et faux ; des chapeaux de castor et de vigogne, des bas de soie et de laine » ; puis plus loin : « beaucoup de papier pour l’écriture, pour l’impression et pour d’autres usages ; des cartes à jouer, de la mercerie et quincaillerie de France ; des dentelles de fil et de soie, noires, assez grosses, mais d’un bon débit7 ». À la fin du siècle, Arnould évalue à 26,5 millions de livres la valeur des « articles de toute sorte, manufacturés, fabriqués et ouvragés » exportés de la France vers l’Espagne, ce qui représente alors pratiquement 60 % de la valeur globale de ces exportations8. Le marché espagnol est incontestablement le premier marché à l’exportation pour les soieries françaises, capable d’absorber plus d’un tiers des ventes au milieu du XVIIIe siècle (38,8 %) et un quart (25,7 %) à la veille de la guerre d’Amérique, le seuil du tiers étant de nouveau atteint en y ajoutant les bas et les rubans de soie. Quant aux articles de mercerie, ils trouvent eux aussi un débouché majeur outre-Pyrénées, puisqu’en 1775-1777, un quart des exportations de la mercerie française (26,3 %) se fait en direction de l’Espagne9.
La place de l’Espagne dans l’aire commerciale de Lyon
4Dans son étude déjà citée sur l’aire du commerce lyonnais dans les années 1763-1771, Garden a montré qu’à Lyon le commerce d’Espagne n’est pas l’apanage des seuls négociants, mais que les marchands-fabricants et les simples marchands y prennent part également, ce qui n’est pas toujours le cas quand il s’agit des échanges avec l’étranger car, de manière générale, alors que les créances des négociants et des marchands-fabricants sur l’étranger représentent en moyenne entre 20 et 25 % de leur actif, elles ne pèsent que pour 10 % dans les bilans des marchands10. À partir de l’échantillon des 67 bilans de faillites sur lesquels il appuie sa réflexion, il a pu en effet déterminer que les ventes en Espagne représentaient 52,5 % des affaires traitées à l’étranger par les marchands-fabricants, 24,7 % de celles des négociants et... 44,8 % de celles des marchands, et que si on y ajoutait les affaires conclues au Portugal, alors elles constituaient un peu plus de la moitié (50,6 %) des ventes effectuées par les maisons de ce panel, l’Espagne comptant à elle seule pour quatre cinquièmes (41,6 %). Pour les seuls marchands-fabricants de soieries, les marchés ibériques absorbent même plus de 70 % de leurs exportations11. Nous pouvons compléter ces observations en constatant qu’avant 1740, l’essentiel des actes de procuration concernant le commerce d’Espagne sont signés par des marchands et non par des négociants, ces derniers devenant majoritaires ensuite, ce qui permet de penser qu’à Lyon comme ailleurs l’adoption du nom de négociant révèle un changement d’échelle dans la pratique du commerce. La première place de l’Espagne dans le commerce extérieur lyonnais apparaît donc incontestable dans les années qui suivent la guerre de Sept ans, bien loin en tout cas devant l’Allemagne, second partenaire qui n’entre qu’à hauteur de 13 % à peine dans le bilan des exportations, tandis que les ventes vers les Antilles représentent de leur côté un peu moins de 7 % des ventes du négoce lyonnais dans son ensemble.
5La structure des échanges entre Lyon et l’Espagne est assez simple à saisir. Si la Fabrique lyonnaise n’utilise guère de soie espagnole, qui ne représente guère plus de 5 % des quantités de matière travaillée12, elle sollicite par contre les marchés espagnols pour se fournir en matières d’or et d’argent indispensables à la fabrication de ses fils, de ses rubans, de ses galons et de ses plus précieuses étoffes. Aussi, nombreuses sont les maisons lyonnaises qui pratiquent le commerce des piastres et des matières d’argent et qui, à l’instar de Cusset et Cie à la fin des années 1720, disposent de nombreux « amis de Cadix13 » qui leurs expédient régulièrement, par la voie de Marseille ou par celle de Bayonne, des caisses de piastres et de vaisselle.
6Mais l’Espagne est surtout un client de premier choix pour l’industrie textile lyonnaise. Ses étoffes de soie, or et argent ont définitivement pris le pas sur leurs rivales tourangelles et rivalisent désormais avec les soieries italiennes et les productions nationales, malgré les droits élevés qui grèvent certains articles comme les brocards d’or et d’argent. Les correspondances marchandes dont nous disposons révèlent également le goût des élites espagnoles pour les robes et les habits de fabrication lyonnaise, pour les articles de mercerie et pour les chapeaux made in Lyon. « Il se fait une grande consommation [des étoffes de Lyon], écrit Partyet, consul à Cadix en 1727, parce que les femmes leur donnent de beaucoup la préférence sur celles du pays auxquelles elles s’accoutumeront difficilement14. » Un « Estat des marchandises du commerce de Lyon en Espagne » conservé aux archives municipales de Lyon dresse à cet égard une liste de toutes les marchandises que le commerce lyonnais exporte vers l’Espagne. Sans surprise, il fait la part belle aux soieries et à la mercerie, mais souligne également les défaillances de la fabrique qui ne produit ni « seda joyauté », ni satin damassé, ni taffetas de couleurs, des étoffes pourtant réclamées par le marché espagnol.
« Estat des marchandises du commerce de Lyon en Espagne »15
– Dentelle blanche de fil façon du Puy.
– Galon, dentelle, frange de fil d’or et d’argent : 5 l.t. 5 s. à 5 l.t. 10 s. pour les galons d’or et 4 l.t. 5 s. à 4 l.t. 10 s. pour ceux d’argent. – Cartes à jouer.
– Papier fin.
– Brocards à fond d’or et d’argent ; brocards d’or et d’argent. Une caisse envoyée de Lyon de la valeur de 4 350 l.t. payera, passant au royaume d’Aragon, 1 541 réaux de platte anciens à 8 s. 9 d., montant à 616 l.t. 8 s. ; 2 005 réaux pour l’entrée de Castille, qui font 877 l.t. 3 s. ; 761 réaux pour l’entrée de Madrid, qui font 332 l.t. 18 s., soit au total pour 1 826 l.t. 9 s. de droits exorbitants qui ne peuvent être comparés à ceux qui s’exigent à la douane de Lyon où les droits se perçoivent sur le pied de 5 % sur les marchandises étrangères et 2 ½ % sur les ordinaires, en sorte que cette caisse de brocards ne payerait à Lyon que 223 l.t. si elle venait du pays étranger, 113 l.t. 10 s. si elle était du royaume.
– Chapeaux de vigogne et demi vigogne : 136 réaux la douzaine.
– Cire blanche : jusqu’à 112 réaux le quintal.
– Futaine.
– Soie appelée Seda joyauté : on n’emploie point à Lyon cette qualité de soie et l’on n’en envoie point en Espagne.
– Satin léger à fleurs pour doublures : on n’en fabrique pas à Lyon de cette qualité.
– Soie à coudre : ce sont des soies que l’on appelle à Lyon des soies cordelettes et perlées, qui ne coûtent la livre teinte que 11 l.t. 10 s. ; les droits en sont trop considérables, sans compter plusieurs autres droits que l’on exige à Cadix.
– Satin damassé : il ne s’en fait point à Lyon.
– Boutons d’or et d’argent.
– Rubans larges et étroits d’or et d’argent.
– Rubans de soie appelés colonias y liston.
– Bas de soie à hommes appelés de Varielle.
– Gaze simple ou double.
– Boutons de poil de chèvres.
– Boutons de soie.
– Bas de laine à hommes appelés de Varielle : la Fabrique des bas à Lyon ne travaille qu’en soie et point en laine ; on les tire principalement de Nîmes pour les envoyer en Espagne.
– Ceintures de laine : on n’en fait pas à Lyon.
– Taffetas d’Avignon.
– Taffetas lustré et taffetas double : on ne fait pas de taffetas de couleur à Lyon ; ils sont tous noirs et ceux que l’on en voie en Espagne ne valent qu’environ 50 s. l’aune.
– Bas de soie à coins d’or et d’argent.
– On ne peut pas s’empêcher de faire mention dans ce mémoire d’un article considérable que la ville de Lyon fournit à l’Espagne et surtout au royaume de Valence. Ce sont les toiles de différentes qualités et de différents noms qui se fabriquent dans la généralité de Lyon, dont l’Espagne fait une grande consommation. Les deux articles principaux s’appellent toiles de Saint-Jean et de Tarare. – Mercerie et quincaillerie : lunettes, peignes de corne, boites à tabac, épingles, écritoires en corne ou de cuivre, boutons, éventails, chapelets, cordes de violon, lacets et cordonnets, cuillères de corne, miroirs de poche ou de toilette, pinceaux, sabliers, ciseaux, rasoirs, couteaux, mouchettes, cadenas de fer, tranche plumes ou canifs, fers de broche, tranchets, clous et pinces de cordonniers, épées, compas, boucles, éperons, limes pour orfèvres, fusils, racloirs et tire bourre d’arquebuses, marteaux, estocs, cisailles, pincettes, tenailles, fers à passer le linge, ferrures et gonds de portes.
7Outre ses soieries, Lyon exporte également vers l’Espagne des toiles de lin et de coton blanc produites par les manufactures de son arrière-pays et de Suisse. Mais ses négociants intègrent aussi les circuits de distribution de toute la gamme des toileries de France demandées par les marchés ibériques, comme le fait remarquer, en 1749, un mémoire des députés du commerce :
« Il y a quantité de toiles en France. Les unes sont destinées au commerce des Indes occidentales et d’Espagne. Telles sont les rouens, caffres, fleurets et blancards, les toiles de Quintin que l’on nomme communément bretagnes, les crées et autres sortes qui se fabriquent en Bretagne, les toiles de Laval, de Vitré, de Coutances, de Cholet et autres. Il s’envoie aussi en Espagne et à l’Amérique beaucoup de toiles appelées cambray, qui sont les batistes et linons16. »
8À l’exemple de la maison Cuentz auprès de qui les négociants gaditans Gilles Pain et Guillaume Macé se fournissent en sangalles et en toiles peintes entre 1714 et 172117, certains négociants lyonnais sont sollicités par leurs correspondants de Cadix, parfois pour leur fournir des toiles de Bresse et du Beaujolais, le plus souvent pour répondre à une commande de toiles de Normandie ou de Picardie. Mais, après la levée de la prohibition sur les cotonnades, les marchands toiliers membres de la Nation suisse de Lyon achèvent de mettre la main sur cette branche du commerce de leur ville d’adoption. Parmi les plus actifs d’entre eux, nous avons pu repérer, à travers les actes de procuration passés auprès de leurs notaires, le nom des Zellweger. Originaires de Trogen dans le canton d’Appenzell en Suisse orientale, ils se sont d’abord spécialisés dans le commerce des cotonnades blanches, élargi ensuite aux indiennes après 1755 et la levée de la prohibition qui les frappait. Que ce soit sous la raison sociale de Zellweger et Ougster dans les années 1740, de Zellweger frères ou de Zellweger frères et Cie entre 1749 et 177318, ils expédient des « toiles de linge » et d’autres étoffes de coton vers tous les ports de la façade méditerranéenne, Barcelone, Valence, Alicante et Murcie, ainsi qu’à Grenade. À deux reprises au moins dans les années 1760, ils envoient même en Espagne un de leur commis, Ulrich Sehtopffer en 1762 et Jean Conrad Honerlag en 1765, pour « se transporter dans tous les lieux où ils ont des affaires et exiger et recevoir tout ce qui leur est dû par différents particuliers19 ». Le dépouillement des fonds notariaux nous a permis d’identifier au sein de cette Nation suisse d’autres acteurs de ce commerce toilier à destination de l’Espagne : Laurent Councler et Cie (1743-1756), Eglof et Speisser dit Zuniguer (1756), Ougster frères (1749-1769), cousins Weguelin et Felz (1757-1764), frères Speisser dits Zuniguer (1754-1762), Scheidlin d’Erberz et Cie (1755), Jean Conrad Neuviller (1756-1765), Daniel Horntener et Cie (1757-1763), Devillas et Cie (1758), Jacques Dafflon (1759-1760), Solicoffre et Felz (1760), Meuricoffre Wehrlin et Daller (1761), Scheidelin Finguerlin et Cie (1749-1774), veuve Horntener et Neuviller (1764-1775), Zellweger l’aîné Zouberbuller et Cie (1766). Notons toutefois que si ces noms reviennent très régulièrement parmi les signataires de procurations pour Barcelone, Valence, Alicante, Carthagène ou Murcie, ils sont par contre rarement présents dans notre corpus de procurations pour Cadix, qui accapare pourtant l’essentiel du trafic entre Lyon et l’Espagne : hormis Devillas et Cie et frères Speisser dits Zuniguer, pour qui nous n’avons repéré qu’une seule référence20, la maison Scheidelin Finguerlin et Cie paraît alors être une des rares maisons suisses de Lyon à conclure des affaires régulières sur la grande place andalouse, notamment avec les maisons Casaubon Behic et Cie, Behic Tavernot et Cie, et Gilly frères et Fornier frères, en association avec qui elle charge également pour les Indes et contracte des prêts à la grosse21.
9À partir des fonds des notaires Bertholon, Cabaret et Patrin, nous avons pu isoler, pour la période 1730-1774, 308 actes de procuration relatifs aux affaires traitées par des marchands lyonnais en Espagne. Il apparaît qu’ils concernent à plus de 90 % quatre régions : le royaume de Valence (107 actes ; 34,6 %), l’Andalousie occidentale ou atlantique (86 actes ; 27,9 %), la Catalogne (54 actes ; 17,5 %) et l’Andalousie orientale, méditerranéenne et intérieure (43 actes ; 13,9 %). Neuf actes seulement (2,9 %) concernent la côte nord (Pays basque, Cantabrie et Galice), trois les Canaries, deux les Baléares, Saragosse et Madrid. Cinq villes se détachent nettement : Cadix (81 actes ; 26,3 %), Valence (55 actes ; 17,8 %), Barcelone (43 actes ; 14 %), Alicante (41 actes ; 13,3 %) et Carthagène (28 actes ; 9,1 %).

Graphique VII. – Répartition des actes de procuration entre les villes espagnoles (1731-1774).
10Désormais les principaux partenaires espagnols du négoce lyonnais semblent donc être les bourgeoisies marchandes des grandes places portuaires, principalement sur la façade méditerranéenne et en Andalousie, et non plus les marchands de Vieille Castille ou les Catalans qui avaient l’avantage deux cent ans plus tôt. Cadix s’impose alors comme la ville avec laquelle les Lyonnais entretiennent le plus de relations commerciales, ce qui ne peut étonner dans la mesure où la cité andalouse est en ce XVIIIe siècle la capitale commerciale de l’Espagne et, jusqu’en 1778, l’unique porte d’entrée de l’immense empire américain.
Le commerce de Cadix
11Par une ordonnance du 12 mai 1717, le roi Philippe vi ordonne le transfert de Séville à Cadix de la Casa de contratación et du Consulat des Indes, les deux institutions qui, depuis leur fondation respective en 1503 et 1543, organisaient le commerce avec l’Amérique espagnole. Cette décision royale vient entériner une situation établie de fait depuis le milieu du XVIIe siècle et scelle pour les décennies à venir le destin de celle que le frère Gérónimo de la Concepción avait déjà, en 1690, qualifiée d’« Emporio del orbe », l’emporium de l’univers. Depuis plusieurs décennies déjà, les lourds galions qui s’apprêtaient à traverser l’Atlantique avaient en effet pris l’habitude de venir constituer leurs cargaisons aller autant que de décharger leurs retours dans la magnifique et sécurisante baie de Cadix, à l’abri derrière la langue de sable à l’extrémité de laquelle, sur un îlot rocheux, se dressait la cité, telle une vigie face à l’immense étendue de l’océan. Véritable Siglo de Oro de l’histoire gaditane, le XVIIIe fait de manière incontestable du port andalou l’antichambre des Indes espagnoles et ce au-delà même de 1778 et de la suspension du monopole de la Carrera de Indias, dans la mesure où l’instauration du commerce libre ne parvient pas à remettre en question sa main mise sur le commerce transatlantique. Entrepôt des Indes, Cadix voit affluer toutes sortes de marchandises provenant de presque toute l’Europe, de la Baltique à la Méditerranée orientale, marchandises destinées à la fois au marché colonial et au marché intérieur de la péninsule et, parallèlement, devient pour le monde du grand négoce maritime européen la place sur laquelle il faut être représenté à tout prix afin de pouvoir profiter de cette formidable manne que sont, depuis le début de leur mise en valeur, les terres et les mines des colonies espagnoles de l’Amérique.
12Cadix est assurément, dans l’Espagne du XVIIIe siècle, la ville qui offre le plus de débouchés aux produits de la Grande Fabrique de Lyon. La présence sur place d’une communauté de marchands et de négociants qui, tant au lendemain de la guerre de Succession d’Espagne que dans les années qui suivirent celle de Sept ans, figure parmi les plus importantes de nation française l’atteste pleinement. Mais les activités de ces négociants ne résident pas que dans le commerce des étoffes, des rubans et des galons de soie, or et argent qui contribuent au rayonnement international de Lyon. Ils participent également au commerce des toiles, de loin le plus fructueux des négoces français, à l’extraction des matières d’argent rapportées par les flottes et les galions, avant de s’impliquer pleinement dans le commerce de la Carrera de Indias en prenant directement part au chargement des vaisseaux, mais aussi en investissant des capitaux dans les sociétés d’assurance maritime et dans les contrats de prêt à la grosse aventure, un commerce de liquidités qui caractérise alors toutes les économies portuaires ouvertes sur le grand commerce atlantique.
Les objets du commerce
13Dès 1686, l’intendant de marine Patoulet signale, dans le rapport qu’il établit sur le commerce de Cadix à la demande du ministre Seignelay, la présence d’articles de Lyon dans le très long inventaire qu’il dresse des marchandises entrant dans la composition des cargaisons chargées à bord des flottes et des galions. Gros de Naples, brocards de soie, d’or et d’argent, moires d’or et d’argent, dentelles du Puy, boutons d’or et d’argent fin, « merceries et quincailleries de toutes sortes » sont cités, tandis que la valeur globale de ce que ces marchandises représentent est globalement évalué.
14Ainsi apprend-on qu’il se charge, à bord des galions, pour environ 35 à 40 000 l.t. de gros de Naples « qui se font à Tours et Lyon », et pour 15 à 20 000 l.t. à bord des navires constituant les flottes de Nouvelle-Espagne, mais que si le marché gaditan absorbait « autrefois » pour plus de 500 000 l.t. de brocards de soie de Lyon et de Tours, autant que de ces « méchantes petites dentelles » du Puy, et qu’il se faisait « un débit très considérable » de brocards d’or et d’argent, la concurrence hollandaise aurait réduit ce commerce à néant. Quant aux articles de mercerie et de quincaillerie, leur objet n’est que « peu considérable et tout le commerce qui s’en fait pour les Indes et pour le pays peut aller environ à 100 000 l.t. ». À ces productions de la manufacture lyonnaise il faut aussi rajouter des toiles de Saint-Gall, dont Patoulet nous dit qu’elles « s’achètent à Lyon et à Marseille », des toiles « fort fines et fort claires » dont les exportations atteignent les 100 000 l.t., les galions en faisant passer 7 à 8 000 pièces pour les Indes contre 2 à 3 000 pièces pour les flottes22. Quelques mois plus tard, « les brocards et étoffes d’or et d’argent de Lyon » sont également mentionnées dans les instructions remises au comte de Rébénac, nouvel ambassadeur à Madrid, comme comptant parmi les productions des manufactures de France qui faisaient l’objet d’un commerce important en Espagne23. En 1691, c’est un « mémoire touchant le commerce des Indes occidentales » qui confirme la présence, parmi les articles dont les Français font le commerce à Cadix, d’étoffes de soie – « tabis haute laize et étroits, panes, velours, brocards de soie, brocards d’or et d’argent, moire de soie, moires d’or et d’argent, taffetas imprimés, taffetas d’Avignon, taffetas lustrés, soie torse et plate » –, de boutons d’or fin, d’argent fin et de soie et de « merceries et quincaillerie de Lyon et du Forez ». Mais il évoque aussi la concurrence des Hollandais qui, « par l’industrie des ouvriers en soie de la Religion Prétendue Réformée de Tours et de Lyon qui sont passés chez eux, ont depuis quelques années établi des manufactures de pannes, de brocards de soie et même d’or et d’argent, qui ne sont ni de la beauté ni de la bonté de celles de France. Mais leur bas prix les fait préférer aux autres »24. À cette époque, l’essentiel des exportations françaises vers le marché gaditan transite par Saint-Malo. Le port breton règne en maître incontesté sur la route de Cadix et chaque année une vingtaine de frégates emporte vers l’Espagne tout ce que les manufactures du royaume sont en mesure de fournir pour répondre aux besoins des marchés de l’Amérique espagnole. Plusieurs rapports et mémoires cités par André Lespagnol évoquent donc la présence à bord des navires malouins, de dentelles or et argent, de soieries de Lyon, d’articles de mercerie, de chapeaux et de dentelles de soie du Puy. La solide implantation des Malouins sur ce rocher gaditan qui, par bien des aspects, rappelle leur ville d’origine, leur parfaite maîtrise technique de la « ligne de Cadix », mais aussi des rouages du commerce gaditan et du fonctionnement du système de la Carrera, sont très certainement les principales raisons qui incitent les négociants lyonnais à se tourner vers leurs confrères bretons pour assurer leurs envois. Avec une vingtaine de maisons de commerce avérées dans le dernier quart du XVIIe siècle, le négoce malouin pèse lourd au sein de la communauté marchande française alors établie autour de la baie, à Cadix et au Port-Sainte-Marie où ces « Messieurs », qui ont pour nom Magon, Le Fer, Éon, Macé ou Le Duc25 et leurs réseaux sont, de loin, les plus à même de travailler à l’exportation vers l’Amérique espagnole des riches productions de la Fabrique lyonnaise.
15Au début du XVIIIe siècle, la nature des exportations lyonnaises vers Lyon ne change pas. Soieries, passementeries, articles de mercerie et toiles constituent toujours le plus gros de la demande gaditane. Cadix étant d’abord un grand marché toilier, il n’est pas étonnant de trouver des marchands de toiles parmi les premiers Lyonnais qui établissent des relations directes avec le port andalou. François Chalut et son cousin Félix Borrel, dit Lamure, associés avec Louis Sabot de Luzan sous la raison Chalut-Lamure, font partie de ces pionniers26. Marchands commissionnaires, ils achètent et revendent toutes sortes de marchandises pour le compte d’autres marchands, mais font rapidement du commerce des toiles une de leurs spécialités, en liaison avec des confrères établis en Angleterre, en Hollande, en Allemagne, en Suisse, en Italie et, bien sûr, en Espagne. Ils se fournissent en toiles dans les régions productrices du nord et de l’ouest du royaume, en Bretagne et en Picardie notamment, et expédient vers Cadix autant que vers l’Italie une large gamme des toiles de lin et de chanvre, ainsi que des toiles peintes et des cotonnades des Indes acquises auprès de leurs partenaires anglais et hollandais. Mais ils n’en négligent pas pour autant les productions lyonnaises et doublent bientôt leur activité toilière par un important commerce de soieries portant surtout sur les taffetas, tant lyonnais que piémontais, une de leurs étoffes de prédilection. À la même époque, Sébastien et David Cuentz s’essayent également au commerce des toiles avec Cadix. Sur place, ils sont en relations avec le Malouin Guillaume Macé et avec le Rouennais Gilles Pain dont l’essentiel des activités consiste à vendre sur place des toiles de Bretagne et de Normandie et à charger en retour, pour Nantes, Le Havre et Rouen, des huiles, du vin de Xérès et des fruits destinés au marché parisien. Ils leur expédient des sangalles et des toiles peintes, mais Pain rencontre de grosses difficultés à les vendre, que ce soit à Cadix ou à Séville où on leur préfère de loin les rouens, les bretagnes et les crées. Il ne peut alors que les inciter à se tourner vers « les étoffes de Lyon et les dentelles du Puy et autres manufactures de soie », dont la demande sur le marché américain devrait repartir, d’une part en raison du rétablissement de la paix, après la courte guerre franco-espagnole de 1718-1719, et d’autre part parce que la monarchie espagnole vient d’interdire « l’introduction des étoffes de soie de la Chine à la Nouvelle Espagne27 ». Au-delà des années 1720, on ne retrouve plus guère de traces d’exportations de toiles depuis Lyon vers Cadix. Les maisons françaises installées sur place préfèrent désormais se tourner directement vers les grandes régions toilières pour assurer leurs approvisionnements, tandis que la production lyonnaise de toileries n’est pas en mesure de faire face à la concurrence des toiles de Bretagne et de leurs rivales silésiennes. Aussi le négoce lyonnais se concentre-t-il désormais sur les productions de sa Fabrique, les étoffes de soie, or et argent, la mercerie et la passementerie qui, progressivement, s’imposent comme des objets incontournables du commerce français avec Cadix.
À la conquête du marché gaditan
16Le rétablissement de la paix en 1713 paraît donc marquer le démarrage du commerce direct entre Lyon et Cadix. Sur place, Jean Boschet, natif de Lyon et commis de Louis Robin, un des principaux marchands français de la ville, constate d’ailleurs dès 1714 l’arrivée d’une « grande quantité de Lyonnais », qu’il s’enhardit à comparer, de manière très imagée, à un débordement de la Saône. Mais à le croire, le contexte de misère dans lequel se trouve alors la ville ne se prête pas à l’installation de ces nouveaux arrivants qui, selon lui, se trompent en venant faire si tôt des affaires à Cadix, à un moment où aucun commerce n’est encore possible « à cause de la grande quantité de marchandises que les étrangers ont introduit et introduisent journellement aux Indes, où elles sont à aussi bon compte qu’en Europe, ce qui détruit entièrement le commerce de cette place ». Aussi déconseillet-il à son beau-frère, le marchand de draps Raymond Moulins, de se risquer pour le moment dans le commerce de Cadix28. D’ailleurs, quelques mois plus tard, la maison Robin et Cie fait faillite et Jean Boschet en est quitte pour un séjour de huit jours dans un couvent, le temps que les créanciers de Louis Robin puissent s’assurer de « [sa] bonne foi et de [sa] droiture29 ». Malgré les mises en garde de Boschet, un certain nombre de négociants lyonnais se lancent donc, dès cette époque, dans le commerce de Cadix et, dans les mois qui suivent le traité d’Utrecht, les effectifs de la petite communauté de marchands lyonnais installés dans la ville doublent. Ils sont ainsi une douzaine à être recensés en 1714 par le consul De Mirasol, qui confirme les impressions de Boschet30. Le transfert à Cadix de la Casa de Contratación laisse alors présager la possibilité d’y réaliser de fructueuses affaires. Malheureusement, l’épidémie de peste qui frappe Marseille en 1720 interrompt pour de longs mois les liaisons maritimes entre Cadix et les ports français. Les mesures imposées par les autorités espagnoles pour se prémunir contre le « mal contagieux » ont sans conteste un impact sur les activités des marchands lyonnais installés dans la ville, comme du reste sur celles de l’ensemble de la communauté française. En 1723, ils ne sont plus que trois Lyonnais, les sieurs Lambert, Athénas et Palerne, parmi la quinzaine de négociants qui assistent à l’assemblée de la Nation française, dans la maison consulaire le 20 janvier31. Les liaisons maritimes entre Marseille et Cadix ne sont rétablies qu’en 1723 et les dernières mesures de quarantaine levées en avril 172432. Mais comme ce sont les mouvements des flottes qui rythment la vie et l’activité du port andalou, l’annonce du départ d’un nouveau convoi en 1723, réveille les ambitions et invite les marchands gaditans à se remettre en quête d’articles de Lyon. C’est le cas, par exemple, de Jean Capieig Paissas qui, en 1722, démarche Benjamin Cabanes, un marchand épicier lyonnais qui tente alors de diversifier ses activités et à qui il propose de passer commande de brocards, de bas, de gants et de galons en compte à demi, jusqu’à concurrence de 24 000 l.t., « pour le débouché au départ de la prochaine Flotte ». Il joint alors à sa lettre une intéressante « note des marchandises qui ont le plus de débouchés dans ce pays », qui mentionne, en les détaillant, des « brocards assortis et des soies de couleur brodées de fleurs d’or et d’argent », des galons de soie, des cordonnets d’or, des bas de soie en argent, des « gants de soie brodés et dorés pour femmes », mais aussi, conclue-t-il, « ce que vous trouverez et de mode comme des rubans et toute autre chose33 ».
17Dès le mois de mars 1724, les articles de Lyon, « toutes sortes d’étoffes et merceries », réapparaissent à Cadix, à bord d’un des tous derniers navires français astreint à la quarantaine, le Saint Jean-Baptiste et Constantin de Marseille34. Mais en novembre 1723, un édit du roi d’Espagne « touchant la réformation du luxe » a interdit le port d’étoffes de luxe d’origine étrangère. Le coup est rude pour la Fabrique lyonnaise, dans la mesure où il est désormais « interdit de porter aucune étoffe de soie, ou de laine comme damas, droguets, dentelles, franges, rubans, boutons, broderies ni aucune espèce de mercerie où il entre de l’or et de l’argent filé de quelque manière que ce soit [...], aussi bien que les dentelles de fil blanc qui ne seront pas fabriquées en Espagne, de sorte que si ces défenses subsistent, nos manufactures de soie de Lyon, de Paris, de Tours et celles de dentelles du Puy, du Havre, de Dieppe, de Valenciennes et de Flandres en souffriront infiniment35 ». Pour autant le marché gaditan s’adapte à la « pragmatique » et, en 1724, les lettres de Charles Lachasse nous donnent un aperçu de ce qui se vend alors sur la place andalouse :
« [...] les damas et les persiennes sont ici fort demandés, y en ayant très peu en ville, et surtout des couleurs convenantes. Si vous êtes dans le dessein d’en envoyer, ne tardez pas de le faire mais prenez garde que ce soit dans un assortiment. Le bleu céleste et vif et l’incarnat vif y dominent [...], ensuite une pièce fond blanc, une jonquille, une gris de perle, point de vert, les boutiques en étant remplies et personne n’en veut. L’assortiment étant ainsi, on peut trouver à s’en défaire bien vite et fort avantageusement. Mais s’il y a des pièces défectueuses qui pèchent en couleur ou mal fabriquées, l’on n’en veut absolument point à moins que ce ne soit à 20 ou 25 % moins que la marchandise de satisfaction. Les Espagnols sont à présent très difficiles. J’en ai vendu ces jours passés deux caisses qui ont donné 35 % de bénéfice à leur maître et j’en ai qui, pour être légères et mal assorties et de couleurs fades, à peine se vendront-elles ce qu’elles coûtent. Encore ne m’en a-t-on fait aucune offre.
Si vous voulez donner dans un article qui nous donne du profit considérablement, vous devriez monter des étoffes dans le goût des vestes faites, dont les devants et parements et les poches étaient tissés en argent. Et comme l’argent est défendu, les faire faire en soie blanche sur des fonds lilas, ponceau, incarnat, bleu céleste, jonquille. Et encore plus des jupes pour femmes dans le même goût, c’est-à-dire le bas du jupon. Mais il faut que la hauteur du jupon soit au moins d’une aune moins un six, et la largeur ou rondeur de trois aunes et un quart à un tiers. Cet article est un des meilleurs dans lesquels vous puissiez donner et il y a de quoi y gagner gros. Faites en un essai et vous verrez que nous n’en serons pas fâchés [...]. Les damas à cordonnet sont très demandés aussi36. »
18« Pour tirer plus de fruit [du commerce de ce pays] il faut donner dans le nouveau et être des premiers à envoyer, et il est certains articles qui donnent des profits assez considérables et qui, quelquefois vont jusqu’à doubler37. » Aussi regrette-t-il que les négociants Lyonnais tardent à s’engager dans le commerce de Cadix, car l’interdiction des étoffes en dorures ne compromet pas la perspective de réaliser de confortables profits estimés autour de 20 à 30 % pour les articles les plus « médiocres », de 50 à 60 % en moyenne pour les articles de confection comme les jupes et les vestes et même jusqu’à 300 % sur les taffetas noirs lustrés et la mercerie chargés pour les Indes, d’autant qu’à Buenos Aires, où « de Lyon il ne faut que quelques soieries, rubans unis et façonnés, bas de soie, mercerie et quincaille et dentelles du Puy [...], il ya des marchandises qui paient presque le double de ce qu’elles coûtent d’achat38 ».
« Je suis surpris que Messieurs d’Orléans, de Tours et plusieurs autres lieux de France fassent ce commerce ici avec tant de fruit et qu’il y ait si peu de Lyonnais qui y donnent. S’ils le connaissaient parfaitement, je crois qu’ils abandonneraient tout autre pour celui-ci. Mais il le faut connaitre comme moi, Riverieux et quelques autres. Le sieur Cusset, depuis qu’il s’y est mis, n’a pas eu lieu je crois d’en être mécontent, du moins si ses correspondants le servent fidèlement39. »
19Jean-Baptiste Roubaud, négociant originaire « du Lyonnais » et député de la Nation française, constate de son côté que « les négociants français continuent de faire le peu de commerce qu’il y a [...] nonobstant le petit nombre de navires qui viennent des ports de France40 ». Mais les vœux de Lachasse sont bientôt exaucés. C’est au cours de la décennie suivante que les exportations lyonnaises vers Cadix prennent réellement leur envol et, avant même 1740, la structure des échanges entre Lyon et Cadix est donc posée : soieries, articles de confection, mercerie et passementerie constituent le plus gros des exportations à destination du port andalou, tant pour répondre à la demande locale que pour participer à la constitution des cargaisons des flottes et des registros, tandis que dans l’autre sens « fruits des Indes » et surtout « matières d’argent » font l’objet d’une active spéculation de la part des négociants lyonnais impliqués dans ce fructueux commerce de Cadix.
Tentative d’estimation
« Une longue expérience a fait voir qu’on peut estimer, année commune, notre commerce qui se fait par la voie de Cadix à six millions de piastres, sans comprendre les profits qu’on peut faire sur les marchandises qui sont envoyées aux Indes par nos négociants sous le nom des Espagnols, qui ne peut être évalué à cause de l’incertitude de ces profits. Et la même expérience apprend qu’on peut tirer en compensation soit des fruits du pays, dont les principaux sont huile et laines et quelque vin pour la Compagnie des Indes, soit en fruits de l’Amérique consistant principalement en cochenille, quelques indigos et cacaos qu’un million de piastres en tout. »
Mémoire sur le commerce de France en Espagne, 174741.
20Entre 1748 et 1753, la valeur des marchandises apportées à Cadix par des navires français aurait, selon les estimations du Consulat, varié entre 2,5 et 8,7 millions de piastres par an, c’est-à-dire entre 10,3 et 34,9 millions de livres tournoi42. Dans les cargaisons débarquées, les marchandises françaises entrent en moyenne pour près de 85 % de la valeur déclarée. Il apparaît alors que si les toileries constituent le premier poste parmi ces importations venues de France, puisqu’elles en représentent en moyenne la moitié de la valeur, les soieries viennent se placer en deuxième position avec, en moyenne, 13 % de leur valeur globale déclarée, tandis que les articles de mercerie et de quincaillerie, dont une partie peut être expédiée par le biais des réseaux du négoce lyonnais, entrent pour seulement 3 % dans la composition des cargaisons de marchandises françaises alors débarquées à Cadix. Quelques années plus tard, en 1754, le consul de France, Bigodet de Varennes, détaille les marchandises qui sont au cœur de l’activité des négociants et des marchands français installés dans la ville. « Les principales branches de ce commerce, explique-t-il, sont les toileries, les dentelles du Puy, les lainages, les soieries, la mercerie et la quincaillerie, les drogues, les denrées et provisions de France et les fruits de nos colonies d’Amérique43. » Dans ce mémoire, il présente les « soyeries » comme la « branche de notre commerce la plus considérable après celle des toileries. Elle consiste en velours, pannes pluches ou velours d’Utrecht, connues ici sous le nom de pluches, brocards en soie, damas, serges de soie, moires, satins, gros de Tours, taffetas, tissus en draps d’or et d’argent, gazes et rezous, galons d’or et d’argent, rubans or et argent, rubans de soie, bas de soie et de filoselle ». Les principales productions de la Fabrique lyonnaise réclamées sur le marché gaditan seraient les damas et les serges de soie, même si « il s’en débite moins à présent qu’autrefois, la mode leur ayant fait substituer d’autres étoffes qui ont différents noms » et qui viennent à la fois de Paris et Lyon. Les moires trouvent également preneurs, bien que « moins belles que les anglaises », ainsi que les satins « de toutes les couleurs », les taffetas, les incontournables galons et rubans or et argent, les rubans de soie et les bas de soie pour femmes, car les bas pour hommes viennent plutôt de Nîmes44, d’Angleterre, d’Italie et d’Espagne. Outre le commerce des étoffes de soie, celui des « merceries et quincailleries » et celui des dentelles du Puy sont eux aussi aux mains des exportateurs lyonnais. « Les dentelles font un objet considérable, explique-t-il. Il en vient du Puy et de Flandre. Il se fait une grande consommation des premières dans le Mexique et c’est un bon article. Celles de Flandre se débitent mieux dans le Pérou, où on est plus magnifique. On y envoyait autrefois des dentelles du Havre, mais on s’en est dégoûté parce que, quoiqu’elles paraissent belles étant neuves, elles perdent beaucoup au premier blanchissage et elles sont d’un mauvais usage45 ».

Graphique VIII. – Composition des importations de marchandises de France à Cadix (1748-1753). Part des soieries et des articles de mercerie et de quincaillerie.

Tableau XI. – Importations de soieries de France à Cadix (1748-1753).

Tableau XII. – Importations d’articles de mercerie et de quincaillerie de France à Cadix (1748-1753).
De Lyon à Cadix : « par la voie de Marseille »
21Lorsqu’en 1724 Charles Lachasse invite De Vitry et Gayet à se lancer dans le commerce de Cadix, il leur conseille d’expédier leurs marchandises par Marseille, sinon de les diriger vers Le Havre « où il ne manque jamais de navire pour cette ville46 ». Alors que les dernières craintes liées au « mal contagieux » qui a durement touché Marseille s’éloignent, la route du Havre est encore « la voie la plus prompte » pour qui veut faire commerce avec Cadix. « Je reçois à présent plus de marchandises par Le Havre, quatre fois plus que par Marseille », écrit Lachasse : « et surtout, à présent, il ne coûte un peu plus de voiture de Lyon au Havre, mais aussi on ne paie point de douane de Valence ni Table de mer, ainsi l’un revient à l’autre47 ». Mais sitôt le spectre de la peste disparu, la géographie reprend ses droits et Marseille ne tarde pas à reprendre la main sur Le Havre. L’axe Marseille-Cadix s’impose désormais comme un des axes majeurs du négoce phocéen et le port provençal devient la plaque tournante du commerce entre Lyon et Cadix : les marchands lyonnais y font charger la plus grande partie des étoffes qu’ils destinent au marché andalou, tandis que leurs commissionnaires gaditans y adressent les marchandises réclamées par la Fabrique, comme la cochenille et les « matières d’argent ».
22« La voie de Marseille est sans contredit la plus courte et la moins dispendieuse quand les vaisseaux se trouvent prêts » écrit Louis Feyt en 1763, même si, pour sa part, ce marchand de Cadix, consignataire de la maison Rey Magneval, préfère que les « marchandises fines de Lyon » lui parviennent par voie de terre, sans courir le risque, malgré les toiles cirées qui enveloppent les caisses et les caissons dans lesquels elles sont conditionnées, d’être tachées par l’humidité qui règne à bord des navires48. Soieries, toiles, rubans, articles de mercerie, livres, quincaillerie dans un sens, piastres, cochenille et parfois aussi laine de vigogne dans l’autre, trouvent donc place à bord des navires qui assurent les liaisons entre les deux ports, y compris le petit épagneul que Barthélemy Magneval souhaite offrir à sa jeune épouse Louise, en 1750, et que Charles Benoist confie à une « personne sûre à bord d’un navire pour Marseille49 ». Seule la présence des corsaires barbaresques ou, pendant la guerre de Sept ans, la crainte des croisières anglaises, peuvent venir raviver temporairement la voie de terre par Limoges, Bayonne et Madrid. Rey et Magneval l’utilisent ainsi en 1761 et 1762, pour faire parvenir des étoffes à leur consignataire Charles Benoist et aux maisons gaditanes Verduc Vincent et Cie et Malibran et Martin50, tout comme Dupré et Poncelet en 1759 et 176151. Mais le Roi d’Espagne ayant décidé de supprimer l’exemption des droits accordée aux marchandises transitant par Ágreda, cette option terrestre est abandonnée en 1763. Verduc Vincent et Cie proposent alors à Rey Magneval de prendre contact avec Vincent frères à Saint-Malo, avec Mouchet frères au Havre ou avec Feris et Payan à Marseille pour leur expédier une commande de 534 douzaines de rubans de velours52. Si les trois caisses sont finalement chargées à Marseille, d’autres comme J. Poncelet et Cie se replient sur l’option havraise pour envoyer à Antoine Granjean un assortiment de mantelets et de jupons :
« Nous vous l’avons expédié le 15 du présent. Nous vous l’aurions expédié plus tôt mais, premièrement, il n’y avait pas de vaisseau en charge à Marseille ; secondement, n’étant point en temps de foire, ces marchandises devaient payer la douane de Valence et les droits de sortie ; et, troisièmement, le Bey d’Alger ayant fait mettre le consul de France aux fers et toute la nation française, on nous marquait de Marseille qu’en conséquence l’on ne trouverait pas à assurer à 6 %, ce qui nous a fait prendre le parti de vous l’expédier par Le Havre de Grâce en Normandie, dans une caisse marquée AG n ° 4, à l’adresse de messieurs Guillaume Prier et Prier frères, avec ordre aux dits sieurs de vous l’expédier sans perte de temps par le premier vaisseau qui mettra à la voile pour votre baie53. »
23Malgré les menaces qui pèsent sur la navigation en Méditerranée occidentale, la « voie de Marseille » reste pourtant active, notamment grâce au recours à des navires neutres. Ainsi, en 1757, Miremont et Cie fait charger une commande de mites, de mitons et de gants de soie à bord d’un vaisseau ragusain54, tandis que le passementier Linossier, pourtant usager régulier de la route de Bayonne, expédie ponctuellement un petit caisson de rubans à bord d’un vaisseau hollandais en avril 1760, à la consignation de son beau-frère Antoine Granjean55. Au même moment, ce dernier estime à « environ 14 % depuis Lyon jusqu’ici » les frais occasionnés pour l’acheminement de deux caissons contenant des étoffes en dorures, des mites, des bas de soie et des boutons d’or et d’argent56. La route maritime entre Marseille et Cadix n’est rouverte qu’en mars 1763 et la noria des navires reprend presque aussitôt. Mais elle reste encore risquée pendant quelques mois, sous la menace de pirates barbaresques « croisant sur les bâtiments français du cabotage57 ». Il en résulte alors une augmentation des primes d’assurance, jusqu’à 8,5 % au lieu de 2,5 %, un surcoût qui incite Verduc Vincent et Cie à préférer « courir les hasards » sur les trois caisses de rubans chargées à bord de l’Emmanuel en octobre 1763, bien que la marchandise leur ait coûté près de 10 000 l.t.58.
24La plupart des bâtiments qui assurent les liaisons entre Cadix et Marseille et transportent les caisses de soieries de Lyon jusqu’à leurs destinataires gaditans sont désignés dans nos correspondances sous les termes de barques, pinques, polacres, brigantins, senaults et tartanes. Ce sont des unités de commerce à deux mâts, de taille intermédiaire et de tonnage moyen, gréées en voiles latines et en voiles carrées, parfaitement adaptées à la navigation de cabotage59. La durée de la traversée est variable en fonction des aléas de la navigation. En août 1763 Louis Feyt se réjouit que la pinque La Marseillaise ait fait le voyage en 18 jours, en se jouant des pirates saletins60. Les Âmes du Purgatoire qui quitte Marseille à la mi-juin de la même année fait son entrée dans le port de Cadix le 3 juillet suivant61. La norme semble alors être comprise entre quinze et vingt jours pour effectuer la traversée. Par contre, le 14 avril 1772, Antoine Granjean informe son neveu André Linossier de l’arrivée de L’Heureuse Clairon qui avait quitté Marseille le 3 mars précédent62. Ces estimations nous sont confirmées par les échanges de correspondance. Auxiliaire indispensable à la conduite des affaires à moyenne ou longue distance, le courrier est alors essentiel à l’activité de nos négociants. En nous basant sur une liasse de lettres reçues en 1714 par les négociants lyonnais Specht et Gonzebat, des plis au dos desquels les dates d’expédition et de réception sont soigneusement notées, nous avons pu calculer une moyenne de 25 jours pour acheminer la correspondance entre Cadix et Lyon, la lettre la plus rapide ayant été portée en 19 jours et les plus lentes en 31 jours63.
L’engagement des Lyonnais dans le commerce de Cadix
Différents formes d’engagement : l’exemple de la maison Rey Magneval
25Les maisons lyonnaises qui choisissent d’orienter la plus grande partie de leurs activités vers Cadix peuvent opérer de trois manières sur le marché gaditan. La première et certainement la plus courante consiste à établir des relations privilégiées avec un négociant français établi sur place, à qui elles consignent leurs marchandises et qui s’emploie, moyennant commission, à leur trouver des débouchés auprès des négociants et des boutiquiers de la ville et des alentours, au Port Sainte-Marie, à San Lúcar ou à Séville par exemple. Cette relation peut être renforcée par des visites ponctuelles, des voyages qui offrent alors l’occasion d’établir un contact direct avec les clients, de se faire connaître dans l’entourage de son commissionnaire et de se constituer ainsi un premier réseau de correspondants susceptibles d’acquérir des marchandises et de procurer à leur tour, grâce à leurs relations, de nouveaux clients. La deuxième réside dans l’association directe avec un marchand établi à Cadix à qui on octroie l’exclusivité pour le débit de ses marchandises, en compte partagé, au tiers ou à demi, moyennant un partage des bénéfices et des pertes. La troisième consiste à établir directement sur place un correspondant chargé de représenter les intérêts de la maison à laquelle il est lié et, en cas de succès de l’opération, de constituer à terme une filiale gaditane de la maison mère.
26La maison Rey Magneval, qui opère sur la place de Cadix pendant deux décennies, entre 1748 et 1767, semble avoir franchi chacune de ces trois étapes. Dans un premier temps, Antoine Rey, son beau-frère Barthélemy Magneval et leur associé Dumas traitent l’essentiel de leurs affaires avec deux commissionnaires : d’abord Charles Benoist, originaire de Lyon ; puis Louis Feyt, un négociant natif de Montpellier installé à Cadix depuis 1740, domicilié calle Vestuario dans le quartier de Santa Cruz au sud de la ville, dans une « maison neuve faisant coin de M. Delabat » et enregistré au sein de la troisième classe de la Nation64. En 1761, Rey Magneval et Feyt concluent devant notaire un acte d’association, malheureusement perdu depuis. Il semblerait, à la lecture d’une abondante correspondance qui couvre les années 1762 à 1765, que Feyt soit rémunéré à hauteur de 4 % pour les ventes directes effectuées sur le marché gaditan, mais qu’il s’engage pour un tiers ou pour moitié lorsqu’il en charge pour l’Amérique pour le compte de ses commettants. En retour, il adresse à ses associés du « jus de limón » et du vin d’Andalousie, ainsi que de la cochenille ou de l’indigo achetés en compte partagé – mais qui ne semblent dégager que de modestes bénéfices sur le marché lyonnais – ainsi que des piastres, dont il obtient le droit de faire commerce en août 1763 et pour le débit desquelles il associe ses partenaires lyonnais « en compte à demi », charge à eux de leur trouver alors un débouché à Marseille ou à Lyon. La troisième étape est franchie en 1763 avec l’arrivée à Cadix de Guillaume Rey, que son père place d’abord auprès de Louis Feyt qui accepte de « l’occuper à quelque chose pour ne pas le rendre oisif65 ». Il s’agit sans nul doute d’initier le jeune homme aux subtilités du commerce d’Espagne et des Indes afin de le préparer à prendre un jour la succession de son père et de son oncle à la tête de l’affaire familiale, mais aussi de lui permettre de nouer des contacts directs avec ceux qui, sur place, animent le commerce de la Carrera, d’intégrer les réseaux qui l’organisent, et d’asseoir solidement et durablement la réputation de la maison Rey Magneval comme fournisseur de soieries et autres marchandises de Lyon. Dès les premiers mois de son séjour gaditan, Guillaume Rey doit régler quelques affaires pour le compte de ses parents, notamment en récupérant des créances ou des marchandises auprès de divers débiteurs espagnols et français comme Blasco Guerra y Cia, Boissier et Cie, Mestrezas et Liotard, Riecke et Behrmann, Regnet et Cie, J. F. Gache, Thomas Hervias et Louis Feyt lui-même, dont il suit les affaires de près et ne manque pas de rapporter fidèlement les agissements, notamment quand ils déplaisent à Rey et Magneval. Moins d’un an et demi après son arrivée à Cadix, le jeune Rey franchit le pas et décide de voler de ses propres ailes : « engagé par ses affaires autant que pas ses arrangements de maison [il] m’a laissé le regret de le voir sortir de la mienne, écrit Louis Feyt en mai 1765. Je lui souhaite le plus heureux succès dans son établissement et à moi les occasions d’y concourir66 ». Le mois suivant, Guillaume Rey s’associe au chargé d’affaires suédois à Cadix, Jean-Frédéric Brandenbourg, également consul de Russie, et au beau-frère frère de ce dernier, Jean Kabatskoy, natif de Saint-Pétersbourg. Il est fort probable que, depuis Lyon, Rey et Magneval aient participé eux mêmes au capital de cette société. Cette association ouvre de nouveaux horizons à Guillaume : prendre part aux échanges entre la Méditerranée et la Baltique, dont Cadix est devenue la plaque tournante, et s’engager davantage encore dans le commerce avec l’Amérique, mais aussi diversifier ses activités en ne se limitant plus aux seuls articles de la Fabrique lyonnaise et en spéculant sur tous les produits manufacturés réclamés par les marchés américains. La mort d’Antoine Rey, survenue au cours d’un voyage à Madrid en décembre 1765, compromet certainement le projet de filiale gaditane mais n’incite pas pour autant son fils à rentrer à Lyon.
L’engagement des Lyonnais dans la Carrera de Indias
27Pendant la première moitié du XVIIIe siècle, les négociants lyonnais semblent montrer quelques hésitations à s’impliquer directement dans le commerce avec les Indes espagnoles. Ils préfèrent de loin vendre leurs toiles et leurs soieries sur le marché gaditan, aux principaux négociants de la place ou aux boutiquiers de la ville, contre un paiement à courte échéance, et on perçoit chez eux une certaine réticence à laisser leurs commissionnaires charger pour les Indes les articles qu’ils peinent à écouler sur le marché gaditan. Leur préoccupation majeure est en effet de récupérer au plus vite le produit de la vente de marchandises dont ils aiment apprendre qu’elles ont été vendues « comptant ou à bons débiteurs, à courts termes67 ». D’ailleurs, Charles Lachasse rappelle en 1724 que « la soierie se vend ordinairement ici pour deux mois de terme et les boutiquiers ne payent que dans le troisième mois. Cela ne va pas plus loin68 ». Or, charger pour les Indes revient au minimum à immobiliser sa marchandise pour 14 ou 15 mois, parfois davantage si elle prend la direction du Pérou ou de Buenos Aires, un délai que nombre de Lyonnais ne sont pas disposés à attendre, pas plus qu’ils ne sont enclins à courir les risques inhérents à ce type d’affaires. Dans ces conditions, confier ses marchandises à un passager qui s’embarque pour la Vera Cruz ou Carthagène ou les y expédier à la consignation d’un marchand établi sur place fait figure, aux yeux des négociants et des fabricants lyonnais, de solution ultime à laquelle beaucoup ne souhaitent pas arriver. Aussi, Ils préfèrent de loin les savoir cédées à un marchand ou à un détaillant de la ville, quitte à sacrifier une partie de leur profit, à l’instar de Jean-François Rouge qui préfère voir Antoine Granjean vendre ses étoffes « à moindre bénéfice [mais au comptant] que de garder ces marchandises jusqu’au temps où l’on fera des achats pour le départ de la flotte69 ». Quant au marchand fabricant Fiard, qui demande à J. F. Gache de récupérer des étoffes auprès de son cousin Jean-Baptiste Chillet, il ne cache pas ses réticences à l’idée que ses précieuses soieries puissent prendre la mer :
« Je vous en conjure de vous en défaire le plus promptement et le plus avantageusement et à plus court terme que faire se pourra, afin qu’elles ne se gâtent pas davantage. Je m’en rapporte entièrement à tout ce que vous ferez, pourvu que vous ne les embarquez pas, à moins que ce ne fut pour votre propre compte. Si vous ne trouvez pas à les vendre comptant ou à de bons débiteurs pour un court terme et que vous trouviez qu’il y a plus d’avantages à les troquer contre de la cochenille, de la laine de vigogne ou du cacao, vous me rendrez service de le faire70. »
28Nous avons pu extraire des fonds des notaires lyonnais, pour la période allant de 1730 à 1778, une centaine d’actes de procuration ayant un rapport direct avec le commerce de Cadix. Si les trois quarts d’entre eux se rapportent à des recouvrements de créances et qu’une quinzaine sont établis dans le but de récupérer des marchandises toujours détenues par un client, quelques uns seulement, une dizaine tout au plus, évoquent la participation directe ou indirecte de négociants lyonnais au commerce avec l’Amérique espagnole. Le plus ancien date de 1745 : le marchand Jacques Delachenal charge Sobia Vande et Cie de recueillir auprès de Louis Cosme, comme eux négociant à Cadix, « le produit de retour des marchandises quincailles » qu’il avait confiées en septembre 1739 à son confrère lyonnais Jean Mathieu Cosme, « pour expédier aux Indes71 ». Dans la plupart des cas les signataires ne sont associés que de manière indirecte à ces expéditions. Certains ne feraient d’ailleurs que subir les conséquences de décisions prises par leurs consignataires, à instar de Joseph Fabre et Roland qui cherchent à récupérer en 1753 le produit de marchandises que Jean Benac aurait pu charger « sur des vaisseaux pour la Vera Cruz, pour les Indes ou pour d’autres endroits72 ». Mais on peut raisonnablement supposer que, la plupart du temps, ils sont tous dûment informés par leurs correspondants de l’usage qu’ils font des marchandises tenues en consignation. Ainsi Jean Mathieu Juille a-t-il sollicité l’approbation de Claude Ravachol avant de confier à Guillaume Macé fils et Cie cinq caisses de marchandises pour être chargées pour le Mexique ou d’expédier à la consignation de Charles Romero, à la Vera Cruz, un ballot contenant dix cartons de dentelles du Puy73. C’est en cas de faillite ou de disparition du consignataire que les choses se compliquent. Il leur faut activer leurs réseaux pour faire rentrer le produit des marchandises que ce dernier a pu confier ici où là. L’aide des grandes maisons gaditanes peut alors s’avérer précieuse et c’est dans ce but qu’en 1758 Devillas et Cie se tournent vers Gilly frères et Fornier pour « correspondre au Mexique et autres parties des Indes espagnoles » afin de faire rentrer toutes les créances qui leur sont dues par les sieurs Cordero et Archimbaud74.
29À la même époque, la maison Rey Magneval se lance elle aussi dans le commerce des Indes. En adressant leurs premières marchandises à Charles Benoist en 1748-175075, ils visent d’abord une clientèle de marchands boutiquiers et de chargeurs (cargadores) de la Carrera de Indias. Les consignes délivrées à leur consignataire privilégient alors les ventes à peu de risques, auprès de maisons gaditanes sûres et capables de leur assurer des rentrées à court terme.
« Je conviendrai que les maisons à qui vous enverrez votre ballot [...] sont extrêmement solides [...]. Il faut aujourd’hui une prudence et une sagesse extrêmes et l’on est obligé malgré soi d’examiner la conduite, manœuvre et pas d’un chacun plus que les siens propres, sans quoi l’on tombera à chaque instant dans le précipice [...]. Vous pouvez dormir bien tranquille pour ce qui est de vos intérêts entre mes mains, car soyez bien persuadé que je ne lâcherai la marchandise qu’à bonne enseigne, car j’aime mieux des reproches de l’avoir existante que vendue à de mauvais débiteurs76. »
30Mais le marché gaditan est saturé et les articles de Lyon se vendent mal. En instaurant des liaisons plus régulières avec les colonies, les navires de registre pourvoient désormais à leur approvisionnement régulier en marchandises d’Europe et les débouchés se resserrent.
« De la Nouvelle-Espagne, on écrit généralement qu’il ne s’y vendait absolument rien, que l’on y offrait la marchandise au prix d’Europe, sans acheteurs, et qu’il n’y a point d’apparence que le commerce s’y rétablira de longtemps, par la grande abondance qu’il y a de tout et que l’on y continue à envoyer. De Carthagène, l’on m’écrit mot pour mot la même chose77. »
31Comme beaucoup de ses confrères, Benoist souhaite d’ailleurs vivement la suppression des « permissions des registres particuliers » et le rétablissement des flottes et des galions qui, à ses yeux, offrent l’avantage de réguler les marchés coloniaux78. En attendant, faute de mieux, Rey et Magneval doivent se résoudre à laisser une partie de leurs marchandises entre les mains de différents intermédiaires qui les emportent en Amérique. Dès 1752, ils prennent leurs premiers intérêts « dans différentes pacotilles pour la Mer du Sud », notamment auprès de Garnier Mollet et Dumas79. Même si ce premier essai n’apporte pas les résultats escomptés, car le navire sur lequel leurs marchandises avaient été embarquées, le Saint-Joseph, fait naufrage à l’entrée Rio de la Plata en janvier 175380, ils confient ensuite d’autres pacotilles à des marchands qui s’embarquent pour la Vera Cruz, comme Pedro Venel, ou pour le Pérou, comme Bourdas, moyennant à chaque fois un intéressement de l’ordre du quart ou du tiers81. Mais la saturation des marchés coloniaux en articles de Lyon ne permet plus de faire de gros profits et Benoist ne peut que les inciter à se replier, car « tout ce que l’on vend est à très long terme, à des débiteurs très peu solides et encore moins exacts, et à des prix au dessous de ceux d’Espagne, surtout les articles de vos fabriques qui sont absolument anéantis82 ». Entre temps, à Cadix même, la situation s’est encore détériorée avec notamment, en 1753, la retentissante faillite de Macé fils et Cie, l’une des plus anciennes et des plus importantes maisons françaises de la place, qui secoue rudement le monde des affaires et plonge « l’Europe dans la plus grande consternation83 ».
32L’annonce du rétablissement des flottes en 1762 relance les affaires de la maison Rey Magneval, désormais associée avec Louis Feyt. En attendant le départ du premier convoi, ce dernier s’emploie à faire charger pour le Pérou, Carthagène et Buenos Aires des caisses contenant du taffetas, du gros de Tours, des vestes de soie or et argent des rubans, des dentelles, prenant lui-même une part d’intérêt d’un tiers ou d’un demi quand la qualité des marchandises lui convient. Sinon, il recherche d’autres partenaires à qui les confier. Mais, pour s’engager dans le commerce des Indes, les négociants Lyonnais ont besoin de garanties, d’être rassurés sur la qualité de ceux entre les mains de qui sont placés leurs précieux articles. Ainsi, lorsqu’en 1762 Louis Feyt envisage de faire charger pour le Pérou quelques « articles de Lyon et d’autres marchandises propres à ce pays là », il prend la peine de préciser à Magneval qu’il les a remis à un de ses beaux frères, Juan Sabugo, qui part dans le but de « s’associer avec un très honnête homme, riche, intelligent et de la première protection, pour concourir ensemble au bien commun des affaires considérables qu’ils seront en état de faire pendant le cours des six années qu’il propose de rester là-bas84 ». Parti sur le Diamant au mois de janvier suivant, Sabugo s’installe à Callao en juillet et se met immédiatement en quête d’acheteurs. Dans les mois qui suivent, Feyt lui expédie d’autres articles de Lyon : deux caissons et quelques pacotilles, à bord de la Purissima Concepción et du Buen Consejo, en janvier 1764, puis des rubans, des galons, des coupons de vestes et des dentelles d’or et d’argent sur le Jésus Marie Joseph et le Matamoros quelques mois plus tard. En juillet 1764, à la grande satisfaction des associés, le Saint Michel et le Lièvre rapportent « des fonds considérables en piastres85 » sur lesquels Feyt peut reverser à ses partenaires lyonnais, au titre de leur participation, 52 652 l.t. 16 s. 6 d.86. Il n’est plus besoin d’autres arguments pour convaincre Rey et Magneval de renouveler l’opération, certes plus risquée que les ventes réalisées sur place à Cadix, mais beaucoup plus lucrative, malgré les 18 mois qui séparent les premiers retours des envois : « quoique les Indes présentent des longueurs, on éprouve aussi qu’elles ouvrent le plus court chemin pour des marchandises qui languissent à Cadix87 ». Mais il faut être prêt à supporter parfois de longs délais avant de rentrer dans ses frais. C’est ainsi que les retours de la vente de trois caisses de dentelles et de trois caissons de rubans que Feyt avait expédiés en 1760 à Pedro Venel, à la Vera Cruz, et qui avaient produit 21 000 piastres au total, s’échelonnent sur deux ans, entre juillet 1763 et juillet 1765, le solde n’étant délivré que cinq ans après l’expédition des marchandises88.
33Tant que dure son association avec Rey Magneval, Louis Feyt continue à charger des caisses d’étoffes, de rubans, de dentelles et de galons à bord des navires de registre en partance pour la Mer du Sud, Buenos Aires ou Carthagène mais aussi à bord des vaisseaux de la flotte de Nouvelle Espagne qui sort de la baie de Cadix au début de l’année 1765. Ils emportent à la Vera Cruz au moins trois caisses de dentelles et trois caissons de rubans sur lesquels Rey et Magneval possèdent cette fois un intérêt des deux tiers. Le commerce de la Carrera de Indias étant officiellement interdit aux étrangers, Feyt a recours, pour pouvoir expédier ses marchandises, au service de prêtenoms espagnols, de testaferros, comme Isabel Fernadez Reynal, sous le nom de qui il charge pour Lima, en octobre 1765, 45 pièces de galons et argent pour Juan Sabugo et 20 pièces de lustrine or et argent pour Bernardo Faxardo de la Vera Cruz89. Pour la seule année 1765, ces ventes pour les Indes rapportent à Rey Magneval 88 684 réaux et 4 maravédis, soit un peu plus de 46 % de ce que leur rapporte l’ensemble des ventes effectuées pour leur compte par Louis Feyt sur la place de Cadix90. Mais Rey et Magneval traitent aussi avec d’autres maisons gaditanes : à la maison Malibran, « qui fait continuellement de gros envois aux Indes », ils procurent des étoffes en dorures pour le Guatemala et le Mexique, et à Verduc Vincent et Cie des rubans de velours pour le Pérou91. Mais c’est bientôt à Guillaume Rey, le fils d’Antoine, venu s’installer à Cadix, qu’ils confient la responsabilité de traiter leurs affaires sur place. Dès la fin de l’année 1764, il est en mesure d’effectuer ses premiers chargements : des rubans pour Lima, des taffetas et des étoffes en dorure sur les navires de la flotte, puis des lustrines pour Buenos Aires92.
Le prêt à la grosse aventure
34Le prêt à la grosse aventure fut probablement, selon Manuel Bustos Rodríguez, le type de placement le plus rentable de la Carrera de Indias, car il assurait des bénéfices élevés aux prêteurs, même s’il leur fallait parfois faire preuve de quelque patience avant de les encaisser93. Tout au long du XVIIIe siècle le bon fonctionnement de l’économie gaditane fut extrêmement dépendant de cette forme de financement si particulière aux places maritimes et qui, en cas de sinistre, exemptait l’emprunteur de toute obligation envers ses créanciers, mais pouvait rapporter gros à ces derniers lorsque venait le jour, pour leur débiteur, de rembourser ses dettes. Pratiquement toutes les sources de l’histoire du négoce de la ville attestent d’ailleurs la généralisation de cette pratique. En 1738 un correspondant gaditan du négociant bordelais Jean Pellet écrit même que le meilleur commerce y consiste à prêter de l’argent à la grosse94. Sans ces apports, Cadix n’aurait pu armer ses Flottes et encore moins les centaines de navires de registre qui quittèrent sa baie pour voguer vers l’Amérique, les cales chargées de tout ce que l’Europe pouvait produire comme biens manufacturés. Toutes les maisons de commerce intéressées de près ou de loin au négoce des Indes y ont recouru, que ce soit à titre de prêteur ou d’emprunteur95. Et parmi les fonds colossaux engagés sur la Carrera figurent en première place les capitaux étrangers, notamment ceux d’origine française et hollandaise. L’amélioration des conditions de navigation et la sécurité relative de la route maritime transatlantique qui relie Cadix aux grands ports de l’Amérique espagnole font même de ce type d’investissement un placement de père de famille et il y a alors assez peu de risque à y engager ses économies ou les bénéfices de son négoce, surtout en temps de paix. Dans les années 1770, les gains seraient compris entre 6 et 16 %, un profit « à la fois sûr et modeste » comme l’écrit Charles Carrière96. Mais pour l’ensemble du siècle, il semblerait plutôt que les bénéfices enregistrés par les prêteurs aient été compris la plupart du temps entre 25 et 40 %, certains ayant même pu, dans des circonstances extraordinaires, faire une plus value de 70 %, voire même gagner le double de leur mise initiale97.
35Dans ce contexte il n’y a pas à Cadix une maison de négoce française qui ne se soit laissée tenter par cette forme de spéculation, passage obligé pour quiconque souhaite faire charger ses marchandises pour les Indes, dans la mesure où le système repose sur cette forme d’autofinancement qui permet tant aux chargeurs qu’aux commissionnaires établis en Amérique de se procurer auprès de ceux qui leur confient leurs marchandises les fonds nécessaires à leurs achats. Ces derniers peuvent alors jouer sur deux tableaux et spéculer à la fois sur les marchandises qu’ils exportent et sur l’argent qu’ils ont prêté à leur(s) consignataire(s). La plupart des contrats à la grosse portant sur des sommes inférieures à 5 000 piastres – 20 % d’entre eux engagent même moins de 500 piastres98 – ce type de prêt a donc bénéficié d’une large diffusion, tant dans la ville qu’au-delà, même si près de trois prêteurs sur quatre (74,6 % au XVIIIe siècle) sont des Gaditans99. Dans la communauté marchande française il n’est cependant pas rare que les négociants qui prêtent à la grosse intéressent à cette forme d’investissement leurs commettants ou leurs fournisseurs, en France comme à l’étranger. D’ailleurs, Guillaume Rey et ses associés Brandenbourg et Kabatskoy emploient un commis spécialisé pour traduire des contrats de prêt à la grosse en suédois et en hollandais100. Les risques en effet sont limités, seule une fortune de mer pouvant entraîner la perte de sa mise, dans la mesure où l’emprunteur n’est alors plus tenu de rembourser à son créancier le capital engagé. Et pour réduire encore ces risques et, le cas échéant, compenser la perte d’une cargaison, les mêmes prêteurs divisent leurs investissements entre plusieurs contrats portant sur différents navires, ce qui est très courant lors de l’armement d’une flotte. Quant aux délais, ils restent raisonnables et le plus souvent les prêteurs récupèrent leur capital et leurs bénéfices avant le terme d’une année. En effet, les prêts à la grosse courent du jour où le navire quitte la baie de Cadix au lendemain de son arrivée dans son port de destination quel qu’il soit, La Vera Cruz, Carthagène, La Havane, Buenos Aires ou El Callao. L’emprunteur a alors le plus souvent quarante jours pour rembourser son créancier, mais le délai peut aussi être de un mois ou de six mois, l’échéance moyenne étant de 98 jours en 1775101.
36Quelques actes notariés évoquent l’implication occasionnelle de négo-ciants Lyonnais dans ce type de contrats. En 1750, Rousseau, Simonnot, Tournier et Gaulne prennent un intérêt d’un tiers dans le contrat à la grosse aventure que Damien Louis Rives souscrit auprès d’Antoine Lambert, marchand lyonnais de Cadix, pour un montant de 40 897 réaux102. En 1759, les frères Colomb demandent à Bertrand Agniel Massus et Cie de leur rendre compte des contrats à la grosse passés par leur intermédiaire tout comme, en 1761, Miremont et Cie chargent Jean Antoine La Fuente de récupérer pour eux les 4014 piastres qu’ils avaient prêtés à Jean Blanc de Madrid « présentement établi à Lima sous le nom de Jean Blanco »103. Le commerce avec la Mer du Sud semble alors plus propice à l’établissement de contrats de grosse aventure. À partir 1762, Louis Feyt y intéresse à plusieurs reprises la maison Rey Magneval. Une première proposition leur est faite en août 1762 quand Feyt, qui déplore la rareté de l’argent sur la place de Cadix, les incite à engager des fonds en leur assurant un gain minimum de 5 % par an, et ce « sans faire aucun débours ni courir pres-qu’aucun risque », compte tenu de sa longue expérience de dix années de pratique récompensées par des gains de 10 % par an, « sans avoir éprouvé le moindre accident104 ». Ensemble ils prêtent ainsi 2 000 piastres à 36 % d’intérêt à « deux bons débiteurs » qui, en janvier 1763, s’embarquent pour le Pérou à bord du Torero, emportant avec eux des rubans fournis par une autre maison lyonnaise, Paul Barbier et Cie, chacun apportant un tiers du capital105. Au total Rey et Magneval engagent à la grosse 5 366 réaux et 10 maravédis dans l’armement du Torero ainsi que 10 220 réaux sur le Diamant qui l’accompagne et à bord duquel a embarqué Juan Sabugo106. Il est fort probable que d’autres contrats de ce type sont passés dans les mois qui suivent, que ce soit dans le cadre de la préparation de la flotte ou de nouvelles expéditions vers la Mer du Sud, comme celle du Matamoros sur lequel Rey et Magneval placent pour 6 000 piastres « dans la grosse de Sabugo107 ». Cette pratique n’est toutefois pas nouvelle pour les négociants lyonnais puisque déjà, avant la guerre, Charles Benoist les avait intéressés à hauteur de 701 réaux et 9 maravédis dans un contrat à la grosse passé avec Pedro Venel, qui allait devenir leur principal correspondant à La Vera Cruz, ce qui ne leur rapporta d’ailleurs qu’un bénéfice modique d’à peine 5 %108. Mais les plus beaux exemples de prêts à la grosse aventure contractés sur la place de Cadix par la maison Rey Magneval sont ceux dont les copies des actes notariés ont été conservées dans les fonds de la société109 :
- le 22 mars 1763, Rey Magneval et Dumas prêtent à la grosse et à un taux de 35 %, 10 150 réaux à Francisco Antonio de Vilanova, maître sur le Diamant. Le contrat est signé à Cadix, devant le notaire Mathias Rodriguez. Vilanova s’engage à leur rembourser 13 702 réaux six mois après son arrivée à El Callao, le remboursement devant se faire sur place auprès de Juan Sabugo, de Juan Albano ou, à défaut, de Diego Munoz qui ont ordre d’en faire le retour à Louis Feyt, mais à l’adresse d’Isabel Fernandez Reynal qui lui sert de prête-nom dans la mesure où, comme tous les étrangers, il n’est officiellement pas autorisé à commercer avec les colonies d’Amérique ;
- le 1er septembre 1764, en compte à demi avec leur associé Louis Feyt, Rey Magneval et Dumas prêtent à la grosse 18 270 réaux à Bernardo Faxardo, moyennant cette fois un intérêt de 15 %, puisque la destination de l’emprunteur est La Vera Cruz, ce qui présente un moindre risque. Le contrat est également signé devant Mathias Rodriguez et le prêt est remboursable à quatre mois de terme, soit auprès de Pedro Felipe Venel, soit auprès de Alexandro Nobo ou de Joseph de Échea, qui devront eux aussi en faire le retour au nom d’Isabel Fernandez Reynal ;
- le 28 février 1766, Rey Magneval et Cie prêtent 11 666 réaux à Thomas Rendon qui embarque pour Lima, moyennant un intérêt de 27 % et 44 438 réaux au taux de 26 % à Nicolas de Acha qui, lui, part pour Buenos Aires.
Le commerce des piastres
37Depuis le XVIe siècle et la mise en valeur des mines d’or de la Nouvelle-Grenade et du Haut-Pérou, puis la découverte et l’exploitation des grands gisements argentifères du Mexique et du Potosí, les métaux précieux sont devenus un élément clé de l’économie atlantique et chaque année d’importantes quantités d’or et d’argent traversent l’océan à bord des vaisseaux de la Carrera de Indias. Toute l’Europe a les yeux braqués sur Cadix et, sur le vieux continent, il n’est guère de grand centre financier qui ne frémisse à chaque fois que l’on annonce l’arrivée imminente de nouvelles cargaisons de « matières », de nouveaux « trésors des galions » comme l’écrit en 1729 le sieur Ciolany, ancien commis et successeur du banquier lyonnais Melchior Philibert110. Aussi ne manquons-nous pas dans nos correspondances marchandes d’exemples de notes et autres listes détaillant le chargement des flottes et des navires revenus d’Amérique, qui témoignent de l’intérêt porté jusque dans les villes de l’intérieur aux mouvements maritimes entre l’Espagne et ses colonies pourvoyeuses de métaux précieux111.
38Antonio García-Baquero González estime à 152,5 millions de pesos la valeur des cargaisons d’or et surtout d’argent rapportées dans le port andalou entre 1717 et 1738, et à près de 440 millions celles qui arrivent entre 1747 et 1778, 85 % environ de ces retours étant constitués d’argent sous des formes variées, en barres et en lingots, en vaisselle ou en monnaies, les pignes et les piastres de Lima ou du Mexique112. Manuel Bustos Rodríguez estime la valeur globale des retours entre 1 000 et 1 500 millions de réaux pour l’ensemble du XVIIIe siècle113. Cadix s’impose donc de manière incontestable comme la porte d’entrée en Europe de l’argent d’Amérique – il constitue en effet 85 % des arrivées de métaux précieux – et chacune des nations établies sur place s’emploie à redistribuer à travers le continent ces flux de métal blanc, dans la mesure où un tiers seulement de ces « matières » reste en Espagne. Par sa relative proximité et par l’importance de ses échanges avec Cadix, Marseille devient très tôt la plaque tournante du commerce des piastres114 – moins en temps de guerre, quand le transfert s’effectue par la route de Bayonne – et ce d’autant que le négoce phocéen en consomme beaucoup dans le cadre des relations qu’il entretient avec les Échelles du Levant. Mais les Marseillais utilisent aussi largement cette monnaie d’argent, devenue monnaie de référence dans tout l’espace atlantique, pour alimenter les îles françaises de l’Amérique en espèces métalliques et, à partir de 1769, pour établir des liaisons commerciales avec les comptoirs de l’océan indien. L’argent qui n’est pas réexporté vers ces espaces ultramarins est écoulé à l’intérieur du royaume, soit auprès des hôtels des monnaies soit sur le marché libre. À ce titre Lyon se pose d’emblée en partenaire privilégié de Cadix et de Marseille, dans la mesure où, pour la production des dorures, ses manufactures génèrent une demande importante de métaux précieux.
39Avant la paix d’Utrecht et jusque vers 1725, le trafic des piastres avait été pendant une quinzaine d’années au cœur des relations entre Lyon et Saint-Malo. Lorsque les Malouins s’étaient substitués aux Espagnols pour continuer, malgré la guerre, à assurer les liaisons avec les colonies de la Mer du Sud, ils avaient mis la main sur les fabuleux trésors du Potosí et, pendant deux décennies, leurs frégates avaient rapporté en Bretagne, tantôt à Saint-Malo tantôt à Port-Louis, de richissimes cargaisons composées quasi exclusivement de piastres et de lingots. Selon les relevés faits par André Lespagnol, chaque navire rentrant de la Mer du Sud ramenait alors pour un à deux millions de livres de métaux précieux, parfois bien davantage115. Si dans un premier temps la plus grande partie de cet argent fut confié aux hôtels des monnaies des grandes villes de l’ouest, à Rennes, Nantes, La Rochelle et Rouen, où le roi garantissait des cours plus élevés que ceux du marché, à partir de 1706, et plus encore après 1710, les flux métalliques furent réorientés vers le marché libre et Lyon mis à contribution par les armateurs malouins pour convertir leurs retours de la Mer du Sud. André Lespagnol donne deux explications à cette plus grande implication de Lyon dans la traite des piastres. D’abord le paiement des retours en billets de monnaie institué par le Contrôleur général Chamillart en 1706, qui entame la confiance des négociants malouins ; ensuite l’embargo ordonné en mars 1709 par son successeur Desmaretz sur une énorme cargaison d’argent ramenée à Port-Louis cette année là et estimée à une quinzaine de millions de livres. À la suite de ce « hold-up »116, pour préserver leurs profits, les Malouins décidèrent donc de détourner une partie de leurs retours en argent vers le marché libre et de mettre davantage en concurrence les hôtels des monnaies117. C’est ainsi qu’ils se tournèrent vers Lyon, ses affineurs et ses tireurs d’or. Dès lors, très régulièrement les principaux animateurs du commerce malouin firent remonter sur Lyon de riches cargaisons de pièces et de lingots, mais aussi des barres d’argent, de la vaisselle et des sacs de pignes. Ce fut vraisemblablement en septembre 1713 que Magon de la Balue adressa à Melchior Philibert un premier baril contenant une barre d’argent afin de pouvoir « profiter du haut prix que les matières ont chez [lui] »118. Beaucoup d’autres suivirent et des banquiers lyonnais comme Melchior Philibert, Dareste et Bona ou Dufau, pour ne citer que les correspondants de Magon de la Balue, furent régulièrement associés aux spéculations des Malouins, y compris quand il s’agissait de faire passer des fonds « à Genève à quelque maison sûre »119.
40Mais avec le retour de la paix, la voie phocéenne redevient « la plus sûre et la moins risquable », comme l’écrivait déjà en 1704 la veuve Des Ages120. Désormais les négociants français de Cadix dirigent donc directement leurs retours d’argent vers Marseille, où des commissionnaires prennent en charge la vente et la redistribution des piastres, notamment vers ce marché lyonnais qui garde la réputation d’offrir des cours plus élevés que ceux des ports et des principaux hôtels de la monnaie du royaume. C’est ainsi, par exemple, qu’entre 1713 et 1717, quelques 4 millions de piastres transitent entre les mains de Jean-Baptiste Bruny, en grande partie pour le compte de ces mêmes banquiers lyonnais qui font partie des réseaux d’affaires malouins, comme les Philibert, Jean Lacroix ou Riverieulx Rolland et Ravachol. Ces transferts sont considérables dans la mesure où, pour la seule année 1716 par exemple, ce sont 12 millions de piastres qui entrent dans le royaume, représentant à elles seules plus des deux tiers de la valeur des importations d’Espagne121.
41Tout au long du siècle Lyon conserve ce statut de place de premier ordre pour la revente des piastres et matières d’argent. En s’appuyant sur les papiers de la Monnaie de Paris, Michel Zylberberg évalue à 6 millions de livres la valeur des piastres qui, au milieu du XVIIIe siècle, arrivent annuellement dans notre ville, la moitié de cet argent au moins étant alors destiné à l’affinage122. En 1729, Jean Sellon père explique qu’à leur arrivée à Lyon les piastres peuvent être portées soit à l’hôtel de la monnaie « pour faire du comptant », notamment pour les paiements en foires, soit « aux affinages » pour être, avec la vaisselle, les menues monnaies et les barretons, transformées en lingots, une opération qui peut prendre de trois semaines à un mois, et au terme de laquelle le métal peut être revendu, ce qui nécessite quelques délais supplémentaires car, pour réussir la vente, il faut « choisir son monde [...] parce que dès que c’est en lingots il faut que les marchands de dorures les achètent, n’y ayant pas d’autres débouchés que par leur canal123 ». Les Sellon sont alors en relation avec les frères Roux de Marseille, neveux et successeurs des Bruny. Au cours des années 1730, les partenaires gaditans de Sellon et Cie renvoient vers Lyon d’importantes cargaisons de piastres neuves du Pérou et de piastres vieilles mexicaines, dont la plus grande partie transite par Marseille. En août et octobre 1734, Galibert Cayla Cabanes et Cie leur font ainsi passer 18 022 piastres en six envois124. L’année suivante, sous la raison de Cayla Cabanes Solier et Cie, ils leur expédient 7 000 autres piastres, puis encore 3 999 en mars 1736, ainsi que plusieurs sacs « de matières » contenant de la mitraille ou de la vaisselle d’argent que Pierre Honoré Roux fait suivre par les charrettes qui relient alors Marseille à Lyon125. De juin 1734 à juin 1736, Sellon et Cie reçoit ainsi par l’intermédiaire de la seule maison Roux pas moins de 32 698 piastres, de grandes quantités de vaisselle et plusieurs barretons et lingots expédiés par Cayla, Cabanes et leurs associés mais aussi par la maison Jamets Verduc Vincent et Cie, d’importants volumes qui témoignent à la fois de l’intensité des échanges entre Lyon et Cadix et de la grande activité des manufactures de dorures lyonnaises126.
Date | Quantité | Expéditeur |
Juin 1734 | 2703 piastres | Garnier et Cornabé |
Août 1734 | 150000 piastres | Galibert Cayla Cabanes et Cie |
septembre 1734 | 6000 piastres | Galibert Cayla Cabanes et Cie |
Octobre 1734 | 1992 piastres | |
Mars 1735 | vaisselle d’argent | Cayla Cabanes et Cie |
Avril 1735 | 7 barretons d’argent | Jamets Vincent Verduc et Cie |
Mai 1735 | 2001piastres | Cayla Cabanes Solier et Cie |
10 lingots d’argent fin | Jamets Vincent Verduc et Cie | |
Juin 1735 | 4006 piastres | Jamets Vincent Verduc et Cie |
Juillet 1735 | 3001 piastres mexicaines ; | Cayla Cabanes Solier et Cie |
1999 piastres 5 sacs de vaisselles | ||
Septembre 1735 | 3000 piastres | |
Février 1736 | 5 sacs de vaisselle ; | Cayla Cabanes Solier et Cie |
1 sac de patignes | ||
Mars 1736 | 3999 piastres mexicaines | Cayla Cabanes Solier et Cie |
Avril 1736 | 228 marcs « mitraille | Cayla Cabanes Solier et Cie |
vieille vaisselle » | ||
Mai 1736 | 3997 piastres mexicaines | |
Juin 1736 | 7 paquets de piastres | Cayla Cabanes Solier et Cie |
3 paquets de vaisselle | ||
3 sacs de « matières » | Jamets Vincent Verduc et Cie |
Tableau XIII. – Sellon et Cie : retours d’argent de Cadix par Marseille (juin 1734-juin 1736).
42Jusqu’au milieu des années 1770, les Roux se chargent ainsi de faire suivre sur Lyon les sacs de piastres que des maisons gaditanes leur adressent en consignation pour le compte de divers négociants lyonnais, parmi lesquels on peut signaler Cusset et Cie, Tronchin et Cie, Jean-Jacques Dareste et Cie, Simonnot Tournier et Gaulne, Roze frères, Riverieux Roland et Ravachol, Grivet l’aîné et Cie, Louis Dumas, Couderc et Passavant127. Le transport de ces précieuses cargaisons peut être assuré par des navires marseillais ou provençaux mais aussi, en temps de guerre, par des navires neutres, génois, ragusains ou hollandais. En 1763 et 1764 Louis Feyt confie même 9000 piastres au vaisseau de guerre anglais le Mont Réal puis 12 132 autres aux frégates Flamborough et Thames, trois unités jugées certainement plus aptes à échapper aux corsaires algérois qui croisent alors en Méditerranée occidentale128.
43Dès le rétablissement de la paix, en 1763, la maison Rey Magenval a entrepris de doubler son activité d’exportation d’articles de Lyon d’une spéculation sur les « matières » autant que sur les marchandises que ne manqueraient de rapporter les navires dont le retour à Cadix avait été retardé par la guerre. Faute d’avoir obtenu les autorisations nécessaires pour faire sortir des piastres d’Espagne, leur intérêt se porte d’abord sur la cochenille mais, après avoir appris que les Malouins Magon et La Balue avaient profité de la baisse des cours qui avait suivi la signature de la paix pour faire main basse sur tous les stocks disponibles « tant en Espagne qu’à Amsterdam129 », ils se rabattent sur l’indigo et la cannelle. C’est ainsi qu’en mai 1763 ils acquièrent, en compte partagé avec Feyt et Cazenove d’Amsterdam, un premier chargement de cannelle suivi, en novembre, de cinq barils de cochenille qu’ils expédient en Hollande et sur lesquels Feyt les intéresse pour moitié.
44Si la cannelle leur rapporte 25 485 réaux et 4 maravédis, la revente de la cochenille ne s’avère pas aussi lucrative qu’ils l’avaient espéré car Cazenove n’en obtient que 25 florins 1/2 la livre alors qu’ils en attendaient 27 ou 28 florins, leur bénéfice étant en outre amputé du montant de l’assurance à 3 % que leur associé avait contracté pour leur transport, « une prime trop forte sur un objet de cette espèce »130. Leurs spéculations portent aussi sur le jus de citron et le vin d’Andalousie : régulièrement, ils se font expédier par Malaga du « jus de limón qu’ils réexpédient ensuite à Marseille à la consignation de Maystre et neveu, une trentaine de demi pipes et/ou de demi bottes en 1762, 60 demi bottes en 1763, 100 bottes en 1764 et 56 en 1765, sur lesquelles ils sont le plus souvent intéressés au tiers, parfois à demi131. Mais le marché lyonnais ne semble pas être alors un marché porteur pour « cette liqueur » et les bénéfices restent modestes.
45En août 1763 Louis Feyt reçoit enfin de la Cour d’Espagne le droit d’exporter des piastres et propose aussitôt à ses associés lyonnais « d’en faire passer à Marseille et à Lyon132 ». Le 2 septembre suivant, il fait « partir sous bonne escorte 19 548 piastres et demi, à l’adresse de Jacques Combes et Caubotte de Bayonne », charge à eux de les faire suivre « promptement et avec sûreté » jusqu’à Lyon pour que Rey et Magneval les revendent « au plus haut prix qu’il [leur] sera possible ». Quelques jours plus tard, le 13 septembre, il expédie par la même voie 10 000 autres piastres. Les Lyonnais décident d’entrer en compte à demi dans l’affaire et, en novembre, revendent les précieuses monnaies sur le marché privé au cours de 48 l.t. 13 s. 6 d., malheureusement en deçà des espérances de Louis Feyt : « c’est le marché le plus avantageux de son époque, mais il est fort au dessous de mon espérance, regrette alors le marchand gaditan, et la différence est trop sensible pour ne pas la ressentir133 ». Pour autant d’autres opérations semblables ont lieu au cours des deux années qui suivent avec des résultats inégaux, parfois très avantageux lorsque la vente d’un barreton d’argent leur rapporte un peu plus de 20 000 l.t.134, parfois décevants lorsqu’ils ne retirent qu’une petite commission de 770 l.t. après avoir revendu, pour plus de 230 000 l.t. près de 80 000 piastres, 4 lingots d’argent et un barreton d’or135.
Les assurances maritimes
46Le premier risque que prennent les négociants lyonnais qui choisissent de conclure des affaires sur la place de Cadix reste lié aux conditions de la navigation, qu’il s’agisse de rallier Cadix depuis Marseille, Saint-Malo ou Le Havre ou de traverser l’Atlantique pour gagner l’Amérique. Les exemples ne manquent pas de marchands qui voient disparaître ainsi leurs précieux articles de Lyon ou leurs piastres à la suite d’un naufrage ou d’une capture. En se limitant au seul exemple de Rey et Magneval, nos sources épistolaires mentionnent au moins quatre fortunes de mer en dix ans. Ils perdent entièrement une pacotille de 1974 piastres lorsque le Saint Joseph est drossé sur des rochers à l’entrée du Rio de la Plata dans la nuit du 30 janvier 1753136. Le 11 octobre 1764, le vaisseau français Prince de Lamballe, à bord duquel Louis Feyt avait placé 2200 piastres, s’échoue aux environs de Carthagène alors qu’il fait route vers Marseille ; si une partie de la cargaison est sauvée, l’argent reste noyé en fond de cale137. Quelques mois plus tard, c’est la Reine des Anges, sur laquelle ils avaient fait charger au Havre deux caisses d’étoffes à l’adresse de Casaubon Behic et Cie, qui, « trompée par le brouillard », fait naufrage sur la côte du Portugal, à 15 lieues de Lisbonne138. La même année 1765, la Concepción, qui transporte quelques marchandises expédiées à Juan Sabugo de Lima, périt « sur le Cap Horn au bas des montagnes de feu139 ». Les conséquences de ces naufrages sont variables. Si Feyt semble peu optimiste quant à la probabilité de récupérer les piastres perdues dans le naufrage du Prince de Lamballe « dont le capitaine [qui] a trompé les chargeurs en ne les prévenant point qu’il devait relâcher à la côte [...] mérite la corde140 », les articles embarqués sur la Concepción sont assurés « à la prime de 80 %141 ». Quant aux six pièces d’étoffes chargées sans assurance à bord de la Reine des Anges, elles peuvent être récupérées par Guillaume Rey et revendues quelques mois plus tard à Cadix, bien qu’en mauvais état et encore humides142. Par contre, un an après le naufrage du Saint Joseph, la maison Rey Magneval reçoit à titre de dédommagement une lettre de change de 6092 l.t. de la part de ses chargeurs, Garnier Mollet et Dumas, qui avaient fait assurer leur cargaison à Rouen143.
47Pour minimiser les risques, la pratique de l’assurance maritime se répand certainement assez tôt dans les milieux du négoce lyonnais, même si les correspondances y font rarement allusion. En 1734, Rousseau Simonnot et Tournier font assurer à Marseille, à hauteur de 9 000 l.t. chacune, deux caisses d’étoffes de soie, or et agent, destinées à Étienne et Joseph Galart et Cie de Cadix, un contrat qui leur coûte 724 l.t. 8 s.144. Trois ans plus tard, ils demandent à Roux de Marseille des renseignements sur les taux, « dans le dessein de faire assurer une somme sur les retours de la prochaine flotte145 ». En 1741 Jean Jacques Dareste demande lui aussi à Pierre-Honoré Roux de faire assurer sur Marseille, au taux de 18 %, 30 000 l.t. de marchandises qu’il compte faire charger sur des registros destinés à la Vera Cruz146. Quant à Riverieulx Roland et Ravachol, ils préfèrent de leur côté faire assurer à Rouen et à Bordeaux les marchandises qu’ils placent à bord des galions147. Lorsqu’ils expédient leurs précieuses étoffes par mer, d’où que ce soit, les marchands-fabricants lyonnais prennent donc soin de les faire assurer, dans le port même où elles sont chargées voire, si les primes leur paraissent trop élevées, à eux ou à leur commissionnaire, sur une autre place offrant de meilleurs taux, surtout lorsque, en temps de guerre ou de menace « algéroise », les augmentations incitent à faire jouer la concurrence. C’est d’ailleurs dans ce contexte propice aux spéculations en tous genres qu’en 1762 Louis Feyt propose à Magneval de s’associer avec lui dans une société d’assurances qu’il envisage de créer. Les contrats passés sur les cargaisons se concluent alors à des taux de l’ordre de 30 % pour les voyages aller vers les Indes148, taux qui peuvent même atteindre 50 % pour les retours. Feyt explique à ses partenaires qu’il vient lui-même de prendre pour son compte personnel une part de « 1000 piastres à 50 % dans une police de 200 000 piastres » sur « [des] effets qui viendront dans le vaisseau espagnol nommé La Purissima Conception [...] qui, suivant les apparences, reviendra du Sud avec la nouvelle de la guerre entre l’Espagne et l’Angleterre et prendra ses précautions pour éviter les Anglais et gagner le premier port d’Espagne où il sera déchargé149 ». Dans la perspective de la reprise des liaisons entre l’Espagne et ses colonies américaines, le marché des assurances maritimes est alors en train de se relancer à Cadix. Quelques mois plus tard, avec la reprise du trafic maritime, le montant des primes revient à son taux habituel, entre 3 et 4 %, les risques s’étant amoindris, même si les menaces saletine et algéroise persistent au large des côtes andalouses150. C’est ainsi qu’en juin 1763 Louis Feyt fait assurer auprès de Magon et Le Fer de Cadix, au taux de 2,5 %, trois caisses d’étoffes expédiées par « la voie de Marseille » à bord des Âmes du Purgatoire151. Mais, quelques semaines plus tard, « la crainte des Algériens » fait brutalement doubler les primes qui, en quelques jours, passent de 3,5 – 4 % à 8 % pour les navires venant de Marseille, parmi lesquels la frégate l’Emmanuel, un vaisseau « fort riche » sur lequel Rey et Magneval ont chargé deux caisses de soieries152. Les assurances sont alors contractées auprès de quelques grandes maisons, parmi lesquelles l’élite de la Nation française qui, à l’époque, en contrôle le marché sur la place de Cadix, dans la mesure où ces négociants de premier plan sont alors les seuls capables de drainer vers Cadix des capitaux en provenance des plus grandes places financières du continent, Paris, Londres et Amsterdam notamment.
48Pourtant, en 1772, Antoine Granjean, négociant lyonnais installé depuis 20 ans à Cadix, conçoit le projet de fonder une société d’assurances maritimes et envisage de belles perspectives de profits sur la base de primes comprises autour de 2 % pour les cargaisons du grand cabotage européen, de 3 et 5 % pour les cargaisons et les vaisseaux de la Carrera de Indias, et susceptibles, en cas de retard ou de danger, de grimper jusqu’à 12 % sur une place où ce seul secteur de l’assurance pourrait rapporter annuellement près d’un million de piastres pour 27,5 millions de valeur assurée.
Idée générale du commerce actuel de Cadix, relativement à la chambre d’assurances qui s’y établirait153
Cette place reçoit par mer des marchandises d’Europe (à raison de celles qui entrent l’espace de trois années) pour environ 15 à 18 millions de piastres courantes. L’on suppose qu’il ne s’y en assurera que pour 6 millions chaque année, vu que les assurances se font souvent sur les mêmes places où elles s’embarquent et aussi parce que les intéressés veulent courir eux-mêmes leurs propres risques. La prime, qui ne doit pas rendre moins de 2 % dans la supposition qu’il n’y aura eu aucune perte de navire, produira chaque année 120 000 piastres.
Ces navires retournent dans leurs ports chargés des fruits des Indes et de ceux du pays. Ces derniers fruits n’exigent pas la plus grande attention, mais l’évaluation des autres peut se régler ainsi : 2 000 surrons de cochenille à 100 ducats l’arrobe valent 2,2 millions de piastres ; 2 000 surrons d’indigo à deux piastres la [ ?], 800 000 piastres ; 60 000 cuirs à cinq piastres, 300 000 piastres ; le bois de Campêche, la laine de vigogne peuvent s’évaluer à 100 000 piastres ; le sucre, le cacao se consomment dans le royaume et la majeure partie s’y transporte par terre ; dans la supposition cependant qu’il s’en expédie par mer pour 300 000 piastres qu’on le fera assurer, cet objet réuni aux autres en formeront un de 3,7 millions de piastres dont il est à présumer qu’il s’en assurera 2 millions qui, à 2 % de prime, produiront 400 000 piastres.
Le départ des Flottes est réglé de trois en trois années. Et l’on estime la valeur de chaque Flotte, vaisseaux compris, à 25 millions de piastres. Il se chargera donc sur les vaisseaux à raison de 8 millions de piastres par années. Les autres bâtiments qui sortent annuellement pour différentes parties des Indes chargeront cette même valeur ou environ. Ces deux objets en forment un de 16 millions de piastres dont la moitié, 8 millions, qui pourront se faire assurer à une prime de 4 %, produiront chaque année 320 000 piastres.
Le retour des Flottes et des autres vaisseaux des Indes apporte en or ou en argent à raison de 17 millions de piastres par année. Si la moitié, 8,5 millions de piastres, se fait assurer, la prime, qui vaudra moins sur les vaisseaux de guerre mais qui vaudra plus sur les autres vaisseaux du Sud et de Buenos-Aires, peut se régler à 3 % et rapporter annuellement un peu moins de 300 000 piastres (297 500 piastres). La cochenille, l’indigo, le sucre, le cacao et autres fruits des Indes que ces vaisseaux apporteront, ajoutés à la valeur de leurs coques et quilles, peuvent s’évaluer à 4 millions de piastres, dont 2 millions assurés à une prime de 5 %, produiront 100 000 piastres par année.
Le retard de ces mêmes vaisseaux pour arriver aux Indes ou pour revenir dans leurs ports pourrait peut-être occasionner pour un million de piastres d’assurances de plus qu’il n’en est porté ci-dessus. Et par la même raison ceux qui naviguent en Europe pourraient également, par leurs retards, occasionner pour 500 000 piastres de plus, dont la prime sur ces deux objets à 6, à 8, à 10 et à 12 % donnerait chaque année 120 000 piastres.
Les bleds, les huiles et l’argent effectif qui sortent, les vins, les eaux de vie qui viennent de dehors et qui se chargent, peuvent être de quelqu’attention, ainsi que d’autres articles dont on ne fait point le détail.
Par une récapitulation des marchandises et de l’argent qui entrent et sortent de Cadix, l’on voit que cette place pourra peut-être signer chaque année à raison de 27,5 millions de piastres d’assurances dont les primes rapporter 997 500 piastres. Il est à présent question de savoir comment une Chambre d’assurances diviserait les risques.
Pour acquérir à une Chambre d’assurances le crédit qu’elle doit avoir dans le public, il serait à souhaiter que les principaux négociants étrangers de cette place, et même quelques maisons des plus accréditées à Londres, à Amsterdam et à Paris, voulussent s’y intéresser. Le fonds de 600 ou 800 000 piastres que les intéressés souscriraient serait divisé en actions de 5, de 10, de 15 ou de 20 000 piastres. On pense que ce capital serait suffisant, attendu que les risques commencent et finissent chaque jour ; que ce ne serait qu’à l’expédition d’une Flotte que la compagnie se trouverait dans un découvert qui excéderait de beaucoup sa souscription ; et que dans d’autres temps elle ne serait qu’accidentellement dans ce cas, ou peut-être rarement à découvert de tout son capital.
49Pas plus le projet de Granjean que celui de Louis Feyt n’a pu voir le jour, Lyon ne faisant pas plus partie des places financières pourvoyeuses de capitaux vers les sociétés d’assurance maritime gaditanes que vers leurs homologues françaises. Certes, on ne peut exclure que très ponctuellement certains financiers lyonnais aient pu être contactés par des armateurs ou des négociants associés dans de telles compagnies, depuis Marseille notamment, mais il ne semble pas que les trop prudents Lyonnais se soient précipités en masse vers des placements dans lesquels la présence du risque était si affirmée. Cette attitude marque donc un changement par rapport à la grande époque des foires de Lyon, quand les grandes firmes génoises, florentines ou lucquoises établies au bord du Rhône assuraient des armements méditerranéens, ceux de Marseille notamment, mais aussi des cargaisons du grand cabotage atlantique chargées à Rouen, au Havre, à Dieppe ou à Bordeaux et à destination tantôt de l’Angleterre ou des Pays-Bas, tantôt de la péninsule ibérique ou de la Méditerranée occidentale.
50Le partenariat qui se met en place au cours du XVIIIe siècle entre Lyon et Cadix tient d’abord à la complémentarité des flux d’échanges qui existent entre une ville manufacturière dominée par l’activité textile et un port dépourvu d’industrie mais qui, par la grâce d’un monopole, bénéficie à la fois d’un marché réservé et d’une position unique en tant que fournisseur de matières premières – l’argent et les matières tinctoriales – justement utilisées par l’industrie textile lyonnaise. Mais la nature des relations qui s’établissent entre les deux villes tient aussi au fait que les productions des manufactures de Lyon n’ont que peu d’équivalents. Pas plus Nîmes que Tours, pas plus Gênes en Italie que Valence en Espagne ne sont en effet en mesure de produire dans une qualité semblable toute la gamme des soieries et des articles de passementerie venus de Lyon. Ce savoir-faire qui lui permet d’accrocher et de conserver des marchés aussi lointains que ceux du Mexique ou de la Mer du Sud est sans nul doute le principal atout de la Fabrique lyonnaise. Devenue incontournable dans la géographie des industries de luxe de l’Europe moderne, Lyon se devait de trouver en Cadix, la pourvoyeuse du Vieux Monde en métaux précieux et la plaque tournante du commerce avec les Indes espagnoles, une cliente et une partenaire de choix. Initiés au commerce de Cadix par les Malouins et les Marseillais, les Lyonnais sont donc présents dans l’aire d’approvisionnement du port andalou dès qu’il se substitue à Séville comme nouveau port des Indes. Mais ce sont des marchands-toiliers comme Jean Palerme ou Louis Robin à Cadix, les frères Cuentz ou Chalut-Lamure à Lyon, qui semblent à l’origine des premières initiatives de commerce direct entre les deux villes. Toutefois, avec l’essor rapide de l’économie atlantique, les précieuses étoffes et surtout les rubans de soie, or et argent que l’on apprécie tant et dont on use abondamment dans les sociétés hispano-américaines, ne tardent pas à prendre le dessus et se hissent rapidement au deuxième rang des importations venues de France. Au milieu du XVIIIe siècle la valeur des soieries et des rubans débarqués chaque année dans le port de Cadix pourrait même atteindre les 200 000 piastres, soit un peu plus de 800 000 l.t.154.
51Pour écouler ses marchandises sur un marché aussi concurrentiel que le marché gaditan, le négoce lyonnais peut compter sur la présence en terre espagnole de quelques marchands venus s’établir sur place pour nouer des relations directes avec ceux qui détiennent les clés du commerce des Indes, les cargadores et leurs commettants. Selon les années, nous pouvons recenser de cinq et dix maisons lyonnaises membres de la Nation française de Cadix et jusqu’à une trentaine de négociants natifs de Lyon qui pratiquent le commerce de gros ou de commission et participent à des degrés divers à ce que Antonio García-Baquero González appelle le commerce « collatéral »155. En mai 1751 Charles Benoist écrit même à Barthélemy Magneval que, lors de sa dernière sortie dominicale, « nous nous trouvâmes treize Lyonnais à la promenade et il en manquait plusieurs encore, ce qui fit croire à Renard qu’il était aux Terreaux et non à la Lamède156 ».
Notes de bas de page
1 Zylbergerg M., Une si douce domination. Les milieux d’affaires français et l’Espagne vers 1780-1808, Paris, 1993. Priotti J. P., op. cit.. Saupin G., Priotti J.-P. (dir.), Le commerce franco-espagnol. Acteurs, négoces et ports (XVe-XVIIIe siècle), Rennes, 2008.
2 Brumont F., « Les foires du Poitou et le commerce franco-espagnol au XVIe siècle », 2008.
3 D’après les estimations de la balance du commerce pour les années 1775 à 1777 ; les exportations vers l’Espagne représentent alors 15,9 % du total des exportations françaises et les importations en provenance d’Espagne 18,3 % des importations françaises ; Zylberberg M., op. cit., p. 87-89.
4 La valeur des exportations françaises vers l’Espagne serait passée de 20 millions de livres à 44,4 millions.. Arnould A. M, op. cit., t. 1., p. 140-145.
5 AN, AE, BIII 343, « mémoire sur le commerce d’Espagne » par un négociant français de Cadix, 1777.
6 Zylberberg M., op. cit., p. 75-76.
7 Savary des Bruslons J., op. cit., p. 238.
8 Arnould A. M., op. cit., t. 1, p. 144.
9 Zylberberg M., op. cit., p. 88-89.
10 « Il semble bien que le commerce étranger (même pour les soies) ait échappé au marchand lyonnais, sauf le grand marchand de soie plus ou moins banquier » : Garden M., « Aires du commerce lyonnais... », op. cit., p. 273 et 280.
11 Ibid., p. 282.
12 Peyrot J., « la manufacture des soieries de Lyon », 1980.
13 CCIM-P, L9-349, Roux, Lyon, Cusset et Cie, 22 avril 1729.
14 AN, AE, BI 232, CC, Cadix, Partyet, 20 janvier 1727, fo 21-25.
15 AML, HH 288, dossier sur le commerce de Lyon avec l’Espagne, XVIIIe siècle.
16 CCIL, reg. des délibérations (1749-1754), fo 66, mémoire des députés du commerce de Lyon, 23 août 1749.
17 ADR, 8B 800-2, Cuentz, Cadix, Guillaume Macé (1714), Gilles Pain (1715-1721).
18 ADR, Actes notariés, 3E 2859 à 3E 2870, Bertholon (1738-1749) ; 3E 3211a à 3E 3226, Cabaret (1753-1773).
19 ADR, Actes notariés, 3E 3219b, Cabaret, procuration de Zellweger frères et Cie à Ulrich Sehtopffer, 16 décembre 1761 ; 3E 3223, Cabaret, procuration de Zellweger frères et Cie à Jean Conrad Honerlag, 4 janvier 1765. Honerlag y est identifié étant comme « leur associé, mais qui n’a point la signature de la société ».
20 ADR, Actes notariés 3E 3216a, Cabaret, procuration de Devillas et Cie à Gilly frères et Fornier frères, 23 mai 1758 : pour « faire rendre compte aux sieurs Cordero et Archimbaud de toutes les parties de marchandises qu’[ils] leur ont envoyées pour être par eux vendues de compte à demi [...], recevoir le reliquat et retirer tous titres et pièces, correspondre au Mexique et autres parties des Indes espagnoles où les dites marchandises ou ce qu’il en reste peut se trouver ». ADR, Actes notariés, 3E 6917, Patrin, fo 231, procuration en blanc de frères Speisser dits Zuniguer, 23 novembre 1759 : pour « retirer généralement tous les effets [leur] appartenant qui se trouveront entre les mains des sieurs Bertrand Agniel Massu et Cie, négociants à Cadix ».
21 ADR, Actes notariés, 3E 6921, Patrin, fo 48, procuration de Scheidelin Finguerlin et Cie à Casaubon Behic et Cie, 14 mars 1767 ; 3E 6924, Patrin, fo 38, procuration en blanc de Scheidelin Finguerlin et Cie, 4 mars 1772.
22 Morineau M., Incroyables gazettes et fabuleux métaux. Les retours des trésors américains d’après les gazettes hollandaises (XVIe-XVIIIe siècles), Cambridge/Paris, 1985, réed. 2009, p. 328-330.
23 Ozanam D., Mézin A., Économie et négoce des Français dans l’Espagne de l’époque moderne, Paris, 2011, p. 28.
24 Sée H., Documents sur le commerce de Cadix, Paris, 1927, p. 46 et 49.
25 On recense ainsi 6 Malouins sur 16 marchands français installés à Cadix en 1670, 6 sur 14 en 1685 et 12 sur 27 en 1700 ; Lespagnol A., Messieurs de Saint-Malo..., op. cit., t. 1, p. 445.
26 ADR, 8B 738, Chalut-Lamure (1696-1732). ; Froment A., op. cit.
27 ADR, 8B 800-2, Cuentz, Cadix, Gilles Pain (1715-1721).
28 ADR, 8B 1063-10, Moulins, Cadix, Jean Boschet, 17 juin 1714.
29 Ibid., 9 avril 1717.
30 AN, AE, BI 221, CC, Cadix, De Mirasol, fo 18-19, 2 janvier 1714.
31 AN, AE, BI 228, CC, Cadix, procès verbal de l’assemblée de la Nation du 20 janvier 1723, fo 16.
32 AN, AE, BI 229, CC, Cadix, Partyet, 9 avril 1724.
33 ADR, 8B 720-3, Cabanes et Cie, Cadix, Capieig Paissas, 25 août 1722.
34 AN, AE, BI 229, CC, Cadix, Partyet, 2 avril 1724.
35 AN, AE, BI 228, CC, Cadix, Partyet, 12 décembre 1723, fo 285.
36 ADR, 8B 1281-2, De Vitry et Gayet, Cadix, Charles Lachasse, 29 août 1724.
37 Ibid., 14 septembre 1724.
38 Ibid., 14 septembre et 28 novembre 1724.
39 Ibid., 14 septembre 1724.
40 AN, AE, BI 230, CC, Cadix, J. B. Roubaud, 9 octobre 1725.
41 AN, AE, BIII 341, « Mémoire sur le commerce de France en Espagne, principalement sur celui qui se fait par la voie de Cadix, dans lequel il est fait mention des privilèges dont ce commerce jouit ou doit jouir et de leur état actuel, au mois de juillet 1747 », 4 septembre 1747.
42 Ibid., « Récapitulation des marchandises apportées de Cadix par les navires français, depuis l’année 1748 comprise jusqu’à l’année 1753 inclusivement ».
43 Ibid., « Mémoire du sieur des Varennes, consul de France à Cadix sur le commerce et la navigation des sujets du Roy dans ce département, où les différentes branches de ce commerce sont expliquées en détail », 1754.
44 Teisseyre-Sallmann L., L’industrie de la soie en Bas-Languedoc, XVIIe-XVIIIe siècles, Paris, 1995, p. 292-295.
45 AN, AE, BIII 341, « Mémoire du sieur des Varennes, consul de France à Cadix sur le commerce et la navigation des sujets du Roy dans ce département, où les différentes branches de ce commerce sont expliquées en détail », 1754.
46 ADR, 8B 1281-2, De Vitry et Gayet, Cadix, Lachasse, 14 septembre 1724.
47 Ibid., 29 août 1724.
48 ADR, 8B 1173-7, Rey Magneval, Cadix, Louis Feyt, 13 mai 1763.
49 Ibid., Benoist à Magneval, 17 novembre 1750.
50 ADR, 8B 1173-8, Rey Magneval, Cadix, Antoine Malibran et Martin, 30 novembre 1762 ; 8B 1173-25, reg. copies de lettres (1761-1762), Verduc Vincent et Cie, 31 octobre et 28 novembre 1761, Malibran et Martin, 7 novembre et 23 décembre 1761.
51 ADR, 8B 939-2, Granjean, Lyon, Dupré et Poncelet, avril et 9 août 1759, 19 août 1761.
52 ADR, 8B 1173-8, Rey Magneval, Cadix, Verduc Vincent et Cie, 31 mai 1763.
53 ADR, 8B 939-3, Lyon, J. Poncelet et Cie, 19 octobre 1763.
54 Ibid., Miremont et Cie, 11 juin 1757.
55 ADR, 8B 939-2, Granjean, Lyon, Antoine Linossier, 25 avril 1760.
56 ADR, 8B 939-10, Granjean, reg. copies de lettres, Dupré frères et Poncelet, 11 avril 1759.
57 ADR, 8B 1173-7, Rey Magneval, Cadix, Louis Feyt, 14 juin 1763.
58 ADR, 8B 1173-8, Cadix, Verduc Vincent et Cie, 21 octobre 1763.
59 Vergé-Franceschi M. (dir.), Dictionnaire d’histoire maritime, Paris, 2002 ; Buti G., Les chemins de la mer, Rennes, 2010, p. 433-435.
60 ADR, 8B 1173-7, Rey Magneval, Cadix, Louis Feyt, 30 août 1763.
61 Ibid., 14 juin et 5 juillet 1763.
62 ADR, 8B 939-10, Granjean, reg. copies de lettres, Linossier Peyrol et Cie, 14 avril 1772.
63 ADR, 8B 1237-6, Specht et Gonzebat, Cadix, Martelli et Pitti (1714).
64 ADR, 8B 1173-7, Rey Magneval, Cadix, Louis Feyt, 25 mai 1762.
65 ADR, 8B 1173-8, Rey Magneval, Cadix, Louis Feyt, 3 janvier 1764.
66 Ibid., 31 mai 1765.
67 ADR, 8B 939-2, Granjean, Lyon, Dupré et Poncelet, 12 mars 1761.
68 ADR, 8B 1281-2, De Vitry et Gayet, Cadix, Lachasse, 14 septembre 1724.
69 ADR, 8B 939-3, Granjean, Lyon, Rouge et Cie, 1er octobre 1763.
70 ADR, 8B 876, Fiard, reg. de copies de lettres, J. F. Gache, 21 décembre 1764.
71 ADR, actes notariés, 3E 6911, Patrin, fo 167 et 200, procurations de Jacques Delachenal à Sobia Vande et Cie, 27 août et 14 octobre 1745.
72 ADR, actes notariés, 3E 3211b, Cabaret, procuration de Joseph Fabre et Roland à Jean Vial, 26 juillet 1753.
73 ADR, actes notariés, 3E 7025, Perrin, procuration de Claude Ravachol à Sobia vande et Cie, 7 août 1753.
74 ADR, actes notariés, 3E 3216a, Cabaret, procuration de Devillas et Cie à Gilly frères et Fornier frères, 23 mai 1758.
75 Il s’agit principalement d’étoffes de soie (taffetas, droguet, gros de Tours, persiennes, pluches, étamines), de vestes et velours et à fond d’or et d’argent, de rubans et de galons, de dentelles du Puy et de draps d’Elbeuf. ADR, 8B 1173-7, Rey Magneval, Cadix, Benoist, 14 mai 1748, 12 et 18 mai 1750, 17 novembre 1750.
76 Ibid., 8 septembre 1750.
77 Ibid., n. d., 1750.
78 Ibid., 17 novembre 1750.
79 ADR, 8B 1173-8, Rey Magneval, Cadix, Garnier Mollet et Dumas, 4 avril 1752.
80 ADR, 8B 1173-7, Rey Magneval, Cadix, Benoist, 10 juillet 1753.
81 Ibid., 4 septembre 1753 et 14 janvier 1755.
82 Ibid., 14 janvier 1755.
83 Ibid., 10 juillet 1753.
84 Ibid., Louis Feyt, 7 décembre 1762.
85 ADR, 8B 1173-8, Rey Magneval, Cadix, Louis Feyt, 6 juillet 1764.
86 Ibid., 24 juillet 1764.
87 Ibid., 31 juillet 1764.
88 ADR, 8B 1173-7, Rey Magneval, Cadix, Louis Feyt, 14 juin, 2 août et 23 septembre 1763 ; 8B 1173-8, Louis Feyt, 10 et 17 août 1764, 6 août et 1er octobre 1765.
89 ADR, 8B 1173-20, Rey Magneval, papiers relatifs au chargement des vaisseaux et assurances.
90 Estimation calculée à partir d’un « compte détaillé des marchandises vendues en participation » avec Louis Feyt ; ADR, 8B 1173-8, Rey Magneval, Cadix, Louis feyt, 5 novembre 1765.
91 Ibid., Jean Malibran et neveux, 15 avril et 4 octobre 1763 ; Malibran frères, 13 mars et 22 avril 1764 ; Verduc Vincent et Cie, 15 avril 1763.
92 ADR, 8B 1173-7, Rey Magneval, Cadix, Guillaume Rey, 25 janvier et 8 février 1765 ; 8B 1173-8, Rey et Brandenbourg, 28 juin 1765.
93 Bustos Rodriguez M., op. cit., p. 432.
94 Ibid.
95 Au XVIIIe siècle, un peu plus des trois quarts des contractants de prêts à la grosse (77,5 %) seraient des marchands. Ibid., p. 410.
96 Carrière, C., « Renouveau espagnol et prêt à la grosse aventure (notes sur la place de Cadix dans la seconde moitié du XVIIIe siècle) », RHMC, 1970, p. 239.
97 Bustos Rodriguez M., op. cit., p. 424-425.
98 Au XVIIIe siècle, près de 81 % des contrats à la grosse aventure passés à Cadix portent sur des sommes inférieures à 5 000 piastres. Idem, p. 416.
99 Ibid., p. 414.
100 Ibid., p. 405.
101 Ibid., p. 429.
102 ADR, Actes notariés, 3E 6913, Patrin, procuration en blanc d’Isaac Tournier, 3 juillet 1750.
103 ADR, Actes notariés, 3E 3217b, Cabaret, procuration de frères Colomb à Joseph Mortuel et Cie, 22 novembre 1759 ; 3E 6918, Patrin, fo 49, procuration de Miremont et Cie à Jean Antoine La Fuente, 1er avril 1761.
104 ADR, 8B 1173-7, Rey Magneval, Cadix, Louis Feyt, 31 août 1762.
105 Ibid., 1er février 1763.
106 Ibid., 22 mars 1763.
107 ADR, 8B 1173-8, Rey Magneval, Cadix, Louis Feyt, 29 mars 1765.
108 ADR, 8B 1173-7, Rey Magneval, Cadix, Benoist, 4 septembre 1753.
109 ADR, 8B 1173-20, Rey Magneval, chargement des vaisseaux et assurances.
110 CCIM-P, L9-345, Roux, Lyon, Melchior Philibert, 18 mars 1729.
111 ADR, 8B 720-3, Cabanes et Cie, Cadix, Capieig Paissas et Merest, 16 février 1723 ; 8B 1281-2, De Vitry et Gayet, Cadix, Lachasse, 14 septembre 1724 ; 8B 876-10, Fiard, Cadix, J. B. Chillet et Cie, 19 juillet 1763.
112 García-Baquero González A, La Carrera de Indias, histoire du commerce hispano-américain (XVIe-XVIIIe siècles), Paris, 1997, p. 171-172.
113 Bustos Rodríguez M., op. cit., 2005, p. 389.
114 En 1779, Marseille aurait reçu pour 15 millions de livres en piastres et en lingots. Zylberberg M., op. cit., p. 213.
115 Lespagnol A., op. cit., t. 2, p. 824-827.
116 Cet anglicisme est utilisé par André Lespagnol pour dénoncer une opération financière à l’issue de laquelle les Malouins durent céder au roi la moitié de leurs cargaisons au cours plancher de 32 L. 10 s. le marc d’argent tout en se soumettant à une taxation de 6 %, tandis que l’autre moitié fut réglée en billets de monnaie ; Ibid., t. 2, p. 630.
117 Selon Arnould, pour cette seule année 1709 « les négociants de Saint-Malo portèrent aux hôtels des monnaies, afin d’augmenter le numéraire, pour 30 millions de piastres ». Arnould A. M., op. cit., p. 524.
118 La barre d’argent en question est vendue 6 982 l.t. ; ADIV, 11J 3, Magon de la Balue, reg. copies de lettres (1711-1717), Melchior Philibert, 20 septembre 1713 et 25 février 1714.
119 ADIV, 1F 1897, Magon de la Balue, reg. copies de lettres (1717-1721), Melchior Philibert, 31 janvier 1720.
120 Lespagnol A., op. cit., t. 1, p. 482.
121 Arnould A. M., op. cit., p. 141.
122 Zylberberg M., op. cit., p. 209.
123 CCIM-P, L9-349, Roux, Lyon, Sellon père et fils et Cie, 18 et 25 octobre 1729.
124 CCIM-P, L9-813, Roux, Cadix, Galibert Cayla Cabanes et Cie, 12, 15, 18 et 24 août et du 18 octobre 1734.
125 CCIM-P, L9-350, Roux, Lyon, Sellon et Cie (1735-1736).
126 CCIM-P, L8-349 et L9-350, Roux, Lyon, Sellon et Cie (1731-1736).
127 CCIM-P, L9 335, L9 338, L9 339, L9 341, L9 348, L9 356, Roux, Lyon (1728-1774).
128 ADR, 8B 1173-7, Rey Magneval, Cadix, Feyt, 13 septembre 1763 ; 8B 1173-8, Feyt, 15 mai et 28 août 1764.
129 ADR, 8B 1173-7, Rey Magneval, Cadix, Louis Feyt, 15 février 1763.
130 Ibid., 17 mai et 5 juillet 1763 ; 8B 1173-8, Louis Feyt, 17 janvier 1764.
131 Ibid., 8B 1173-7, Louis Feyt, 4 mai, 12 octobre et 16 novembre 1762, 15 février, 1er mars et 1er juillet 1763 ; 8B 1173-8, Louis Feyt, 24 janvier et 3 avril 1764, 12 et 26 mars et du 23 avril 1765.
132 Ibid., 8B 1173-7, Louis Feyt, 16 août 1763.
133 Ibid., 6 et 13 sept., 11 octobre et 20 décembre 1763.
134 Ibid. 8B 1173-8, Louis Feyt, 6 août et 10 septembre 1765.
135 Ibid., 28 décembre 1764, 8 janvier 1765.
136 ADR, 8B 1173-7, Rey Magneval, Cadix, Benoist, 10 juillet 1753.
137 ADR, 8B 1173-8, Rey Magneval, Cadix, Louis Feyt, 26 octobre 1764.
138 Ibid., Guillaume Rey, 25 janvier 1765.
139 Ibid., Louis Feyt, 3 et 10 décembre 1765.
140 Ibid., 26 octobre et 4 décembre 1764.
141 Ibid., Louis Feyt, 10 décembre 1765.
142 Ibid., Rey et Brandenbourg, 18 juin et 9 juillet 1765.
143 ADR, 8B 1173-7, Rey Magneval, Cadix, Benoist, 20 novembre 1753 et 8 janvier 1754.
144 CCIM-P, L9-348, Roux, Lyon, Rousseau Simonnot et Tournier, 24 août et 24 septembre 1734.
145 Ibid., Simonnot, Tournier et Gaune, 8 janvier 1737.
146 CCIM-P, L9-338, Roux, Lyon, Jean-Jacques Dareste et Cie, 13 juin 1741.
147 CCIM-P, L9-348, Roux, Lyon, Riverieulx, Roland et Ravachol, 30 mars 1745.
148 ADR, 8B 1173-7, Rey Magneval, Cadix, Louis Feyt, 2 février 1762.
149 Ibid., 22 juin et 13 juillet 1762.
150 ADR, 8B 1173-8, Rey Magneval, Cadix, Louis Feyt, 17 juillet 1764.
151 Ibid., 14 juin 1763.
152 ADR, 8B 1173-7, Rey Magneval, Cadix, Louis Feyt, 11 et 21 octobre 1763.
153 ADR, 8B 939-8, Granjean, papiers d’affaires, 18 janvier 1772.
154 AN, AE, BIII 341, « Récapitulation des marchandises apportées de Cadix par les navires français, depuis l’année 1748 comprise jusqu’à l’année 1753 inclusivement », années 1750 et 1751.
155 Garcia-Baquero GonzÁlez A., op. cit., p. 194.
156 ADR, 8B 1173-7, Rey Magneval, Cadix, Benoist, 4 mai 1751.
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