Chapitre III. Des opportunités : s’essayer au trafic des Isles
p. 83-121
Texte intégral
1En élargissant son aire de marché vers l’ouest et en captant la clientèle des grandes places maritimes ponantaises, le négoce lyonnais allait inévitablement être sollicité par les animateurs du commerce atlantique, et ce d’autant que se mettait progressivement en place dans les îles françaises de l’Amérique une société coloniale dont les élites, très attachées aux apparences, appréciaient les produits de luxe des manufactures européennes, tandis que leurs correspondants établis à Saint-Pierre ou au Cap-Français cherchaient aussi à alimenter l’interlope avec la Terre Ferme espagnole, les entrepôts hollandais de Curaçao et Saint-Eustache ou les colonies britanniques de la Jamaïque et d’Amérique du nord.
2Au cours du XVIIIe siècle, le commerce entre la France et ses colonies des Antilles connaît un essor fulgurant. Si, en 1716, les Îles ne représentent encore que 8 % de la valeur du commerce extérieur du royaume (6,5 millions de livres)1, dans la deuxième moitié du siècle elles y interviennent pour près d’un quart de la valeur, tandis que le montant des échanges ne cesse de progresser et double encore, passant de quelques 120 millions de livres par an au début des années 1750 à 286 millions en 1787. Sur l’ensemble de la période, la valeur des exportations vers les Îles est multipliée par 44 et passe de 2,1 millions de livres en 1716 à 93 millions en 17872. Si cette remarquable croissance du commerce antillais profite largement aux grandes villes portuaires et d’abord à Bordeaux, dont les puissants armateurs orchestrent une bonne partie des mouvements de navires entre la métropole et les Îles et qui, après la guerre de Sept Ans, assure seule les deux cinquièmes du trafic antillais, il est a priori peu probable que Lyon n’ait pas, à son échelle et malgré sa situation de ville de l’intérieur, subi elle aussi le contrecoup de cet essor de l’économie atlantique. D’abord parce que la cité du Rhône est, avec ses 150 000 âmes, un grand marché de consommation, mais aussi parce que ses activités manufacturières, récentes ou plus anciennes, utilisent des matières premières d’origine coloniale comme, par exemple, le coton et l’indigo. Ensuite parce que les produits textiles tiennent une place importante dans les cargaisons constituées pour les Antilles et représentent dans le dernier quart du siècle un bon tiers de la valeur des marchandises exportées vers ces îles. Bien sûr les toiles dominent largement, mais on constate aussi que les exportations de draps et d’autres d’étoffes, d’articles de mercerie, de bonneterie et de passementerie progressent notablement et, comme Jean Tarrade l’a montré en s’appuyant sur les états de la Balance du Commerce, doublent plus ou moins entre 1775 et 17893.
Des articles de Lyon difficiles à repérer
3Au lendemain de la révolution sucrière, une fois le système des plantations solidement implanté et la prospérité établie à Saint-Domingue et dans les îles du Vent, les sociétés ultramarines, reproduisant les modèles de consommation métropolitains, génèrent très naturellement une demande de soieries, de rubans et d’articles de mercerie. Réputés pour leur propension à vouloir mener grand train, parfois au-delà de leurs capacités, quitte pour cela à lourdement s’endetter auprès des négociants de Bordeaux qui ont la haute main sur le commerce d’avitaillement des Îles, désireux aussi de tenir leur rang face aux administrateurs venus de métropole, les planteurs constituent certes un groupe social aux effectifs limités, mais représentent aussi un marché non négligeable capable, à la fin de notre période, d’absorber pour près d’un million de livres d’articles des manufactures de soieries. Les rassemblements mondains sont l’occasion pour les riches créoles de porter de manière ostentatoire des robes à la dernière mode de Paris. Aussi, au Cap-Français ou à Saint-Pierre, les commissionnaires se tournent-ils très tôt vers leurs correspondants bordelais et marseillais pour réclamer les riches étoffes de soie, les articles de confection, vestes et robes de taffetas et de satin, mais aussi les bas et les gants de soie, les dorures et les rubans sans lesquels on ne saurait à l’époque se montrer en société, que l’on soit dans un salon parisien ou au théâtre de Saint-Pierre, du Cap ou de Port-au-Prince. Au-delà des mers un nouveau marché s’offre donc aux productions de la Fabrique lyonnaise.
4Il est extrêmement difficile de retrouver précisément la trace des étoffes et articles de Lyon dans le détail des cargaisons chargées pour les Antilles. La plupart du temps, les « états » dont nous disposons sont d’une lecture décevante, bien que les textiles constituent une part non négligeable des cargaisons chargées pour les Îles. En effet, quand des étoffes ou d’autres articles textiles sont embarqués à bord des vaisseaux du commerce antillais, leur nature et leur quantité ne sont pas toujours mentionnées de manière explicite – « une caisse d’étoffes » ou « un caisson de soieries » – et quand, enfin, un compte d’achat détaille de manière plus précise le contenu d’une cargaison au point de spécifier la présence à bord du navire de taffetas, de satins, de rubans, de dentelles ou de bas de soie, alors c’est la provenance qui fait défaut, le nom du fournisseur ne suffisant pas, loin s’en faut, à déterminer l’origine des marchandises. Quand la chance est au rendez-vous, il se peut que certains fonds, comme celui de la maison Roux de Marseille par exemple, délivrent des « connaissements de marchandises chargées pour les Isles » qui permettent alors de repérer à bord de tel ou tel navire la présence de ballots ou de petites caisses renfermant des soieries ou des petits articles de mercerie destinés, dans le cas présent, à des marchands commissionnaires installés à Saint-Pierre de la Martinique4. Quant aux sources lyonnaises, correspondances commerciales, papiers d’affaires et actes de procédures, elles ne permettent pas de faire nettement la part des choses, parmi les marchandises qui quittent Lyon pour Bordeaux, Marseille ou Le Havre, entre celles qui sont destinées aux marchés locaux et celles qui sont destinées au négoce des Îles. Rares sont en effet les allusions directes à une réexpédition vers les Antilles. Ainsi pour Bordeaux qui, à la fin de notre période, assure avec Marseille la quasi-totalité des embarquements de marchandises de Lyon pour les Îles5, nous n’en avons retrouvé aucune en parcourant les abondantes correspondances passives des marchands-fabricants de soieries Carret et Cie et Marin Fiard6, soit 332 lettres reçues de 47 maisons bordelaises entre 1766 et 1783, alors que le commerce colonial est à son apogée. Et, en poursuivant notre quête parmi les 187 lettres écrites par Antoine Ferlat, l’associé de Carret, à ses clients bordelais entre 1767 et 1771, nous n’avons découvert qu’une seule allusion à un chargement pour les Îles : trois demi-pièces de velours léger expédiées « avec acquit pour l’Amérique » à l’adresse de Labadie, négociant établi place Saint-Projet à Bordeaux, qui souhaitait recevoir sa commande sous trois semaines afin de pouvoir la charger sur un vaisseau qui devait appareiller au début du mois d’août 17717. Les sondages auxquels nous avons procédés dans les montagnes de correspondance marseillaise ne semblent guère plus probants. Nous n’en avons retenu que cet extrait de la lettre adressée à Fiard en 1777 par le négociant phocéen Paris :
« Ayant des occasions très fréquentes pour les isles d’Amérique, Cadix et l’Italie, j’ai cru pouvoir m’adresser à vous, étant retiré de la navigation et aujourd’hui travaillant dans le commerce, pour vous prier, Monsieur, de vouloir bien expédier par le courrier de la brouette six vestes en broderies de différentes couleurs. Et si elles sont de convenance en qualité et en prix, je vous commettrai la partie nécessaire pour les Isles, ayant un navire où je suis intéressé et qui doit partir à la fin du courant8. »
5C’est une démarche du même genre qu’entreprenait un demi siècle plus tôt le marchand de soieries Bernardin Garat auprès de Pierre Drouel à Nantes, afin de lui procurer des marchandises « pour envoyer aux Îles » :
« Soit pour la perfection de la marchandise que pour la juste valeur, et sans me flatter, vous pourrez hautement dire que vous envoyez des marchandises aussi belles qu’il y ait entré aux Isles9. »
6Il arrive aussi qu’au détour d’une de ses lettres, l’expéditeur lyonnais précise le nom du commissionnaire qui lui a passé commande des articles dont il annonce l’arrivée prochaine. Le 31 août 1750, les Bordelais Bethman et Imbert chargent sur le vaisseau Le Printemps cinq balles de toileries qu’ils ont reçues de Laurent Councler et Cie et qui sont destinées à Martel et Augeret, des négociants du Cap-Français10. Ces résultats, tout aussi décevants qu’ils puissent être, ne prouvent qu’une chose : les négociants des ports n’informent pas nécessairement leurs fournisseurs lyonnais sur ce qu’ils comptent faire de leurs marchandises ; d’ailleurs pourquoi le feraient-ils ?
7Les négociants des ports ne dévoilant que très rarement leurs intentions quant à la destination des marchandises qu’ils achètent à Lyon, seule leur identité nous permet de repérer des commandes destinées au marché américain. Ainsi, quand en 1728-1729 le grand armateur bordelais Jean Pellet acquiert plusieurs douzaines de chapeaux de castor auprès de la maison Mazard, le doute n’est pas permis. Tout indique que ces couvre-chefs doivent être chargés sur un de ses navires en partance pour la Martinique : les quantités commandées (seize douzaines), les précisions demandées par le fabricant à propos des ganses qui garnissent ces chapeaux, la nécessité d’emballer la marchandise dans des caisses en toile cirée et de joindre à la facture un acquit à caution11. Il en est de même quand Carret et Cie vendent des soieries aux armateurs Fégers frères, leur principal correspondant sur la place de Bordeaux12.
8La plupart des marchands et des négociants que nous avons identifiés comme entretenant des relations d’affaires avec ces marchés lointains choisissent donc de s’appuyer sur leurs confrères des ports rompus aux mécanismes du grand commerce maritime et habitués à en surmonter les contraintes, et préfèrent de loin limiter à la fois les délais et les risques pour garantir le produit de leurs ventes, quitte à se priver d’un bénéfice substantiel. Certains néanmoins se lancent dans la vente directe en répondant à une demande qui émane de négociants établis aux Îles et qui les contactent directement, le plus souvent pour passer commande de soieries, de toiles, d’articles de confection, de mercerie ou de passementerie. D’autres, des négociants davantage que des marchands-fabricants, s’engagent pleinement dans le jeu du commerce colonial en nouant des relations directes avec des commissionnaires établis sur place – et parfois eux-mêmes natifs de Lyon comme Jean-François Guinand à Saint-Marc, Nazaire Savarin au Cap-Français, Antoine Faure à la Grenade ou Henri Chevalier fils à la Martinique13 – à qui ils envoient « pour leur [propre] compte » ou « en compte à demy » les marchandises qui leur sont commises. Par leur intermédiaire, ils approchent alors au plus près ces marchés lointains et, forts des informations qu’ils en reçoivent, peuvent adapter au mieux leur offre aux évolutions de la demande et se prémunir davantage contre les aléas de la conjoncture. Ainsi, en 1764, Rey et Magneval apprennent-ils de Bioche, un de ces commissionnaires établi à Basse-Terre que les soieries lyonnaises se vendent mal à la Guadeloupe, d’une part parce que leurs prix ont augmenté et d’autre part à cause de « la grande quantité qu’ont apportée les Provençaux depuis trois à quatre mois14 ».
Deux options : Bordeaux ou Marseille ?
9Il est incontestable que, tout au long du XVIIIe siècle, Bordeaux se soit imposé aux yeux des négociants lyonnais comme le premier port vers lequel ils pouvaient expédier les marchandises réclamées par le marché antillais. Tant par le nombre de ses armements que par la puissance de ses réseaux marchands, le port aquitain avait acquis une maîtrise inégalée de ces circuits, et recourir aux services de ses chargeurs, c’était à la fois faire le choix de la prudence, de l’expérience et de la sécurité. Tout négociant lyonnais intéressé par ce commerce lointain savait qu’il y avait toujours, à moins de 30 jours de Lyon, un vaisseau prêt à partir dans les meilleurs délais pour la Martinique ou pour Saint-Domingue. Pourtant, à partir des années 1730, une deuxième option apparaît avec l’affirmation progressive de Marseille comme port colonial. Alors que le spectre de la peste s’éloigne des horizons provençaux, la cadence des départs s’accélère dans le port phocéen et les armateurs marseillais sont bientôt en mesure d’expédier vers les Îles de 25 à 34 vaisseaux par an, parfois plus de 40 comme en 1741 ou en 174315. Certes la première préoccupation du négoce marseillais est de répondre à la demande antillaise de farine, de vin et d’eau de vie, de viandes salées, de matières premières et de toute la gamme des productions agricoles et manufacturées de Provence. Mais, à côté des vins et des eaux de vie, de l’huile d’olive, du savon, des chandelles et des bougies, les produits textiles trouvent aussi leur place à bord des navires marseillais : d’abord les cotonnades produites par les manufactures locales, les chaussures et les chapeaux, mais aussi une grande variété d’étoffes et, comme le constate Gaston Rambert, « c’est naturellement Lyon et sa région qui fournissent, de loin, le plus de tissus pour les colonies16 ». Au début des années 1750, Marseille aurait ainsi exporté chaque année vers les colonies d’Amérique pour quelques 300 000 l.t. d’étoffes lyonnaises, ce qui représente alors un peu plus de 10 % de la valeur totale de ses exportations vers les Îles. Mais en 1788, alors que le total des exportations s’élève à 19 200 000 l.t., les étoffes lyonnaises n’y participent plus que pour 2 %, bien que leur valeur ait augmenté et atteint 370 508 l.t., en léger retrait toutefois par rapport à 1786, quand elles culminaient à 567 210 l.t. et représentaient alors un peu plus de 4 % de la valeur des cargaisons chargées pour les Antilles17. À ces tissus, il faut ajouter aussi les articles de bonneterie, les rubans et la mercerie, trois secteurs dans lesquels la prépondérance lyonnaise est écrasante, ainsi que les chapeaux même si, dans ce dernier domaine, Lyon doit s’incliner face à la concurrence marseillaise. Sur ces bases, en nous appuyant sur les données de la Balance du Commerce, reprises par Rambert, on peut tenter une première estimation de la valeur globale des marchandises lyonnaises chargées à bord des navires marseillais en 1788. Elle s’élèverait au moins à 1 200 000 l.t.18 et représenterait alors un peu plus de 6 % de la valeur totale des exportations marseillaises vers les îles françaises d’Amérique. Mais nous n’avançons là qu’une estimation basse qui se limite aux seules marchandises citées précédemment, sans prendre en compte d’autres produits à la commercialisation desquels aurait pu participer le négoce lyonnais comme, par exemple, les articles de librairie, les dentelles du Puy, la quincaillerie de Saint-Étienne, le papier d’Annonay ou le fromage de Gruyère.
10C’est au cours de la deuxième partie du siècle que les liaisons entre Marseille et les colonies d’Amérique se renforcent. Au cours de la période qui sépare la guerre de Sept ans de la guerre d’Amérique, entre 1763 et 1777, le nombre de départs annuels varie entre 71 et 118, le seuil de la centaine d’armements annuels étant dépassé au cours des quelques années qui précèdent la Révolution19. À cette époque la primauté de Bordeaux dans les expéditions d’articles de Lyon est très certainement remise en question. D’ailleurs, en 1764, Auguste Chambon conseille vivement aux armateurs marseillais de ne pas omettre, lorsqu’ils composent leurs cargaisons pour la Martinique, outre les chapeaux, les souliers et les toiles qui sont à la base de l’habillement dans les colonies, « [les] bas de fil de coton et de soie, étoffes de soie, étoffes en dorure et galons, mercerie ordinaire, ouvrages de mode20 ». Il rajoute également, concernant Saint-Domingue cette fois, qu’il est indispensable d’y envoyer « des assortiments bien choisis en étoffes d’or, d’argent et soieries, en toiles, mercerie, rubans et quincailleries [...] que du beau et du riche, parce que ce que les Espagnols achètent est très souvent destiné à passer aux Indes, où le luxe n’a point de bornes21 ».
11Nous pouvons avoir, à travers l’activité des maisons de Pierre-Honoré Roux puis de ses fils, un aperçu de la très grande diversité des marchandises que la place de Lyon fournit aux armateurs marseillais impliqués dans le commerce colonial avec les Îles. La série des lettres de voiture conservées dans le fonds Roux nous permet de dresser une première liste de marchandises que Lyon expédie à Marseille pour être chargées à bord des vaisseaux en partance pour les Îles. Sans surprise, ce sont d’abord les balles et les caisses de soieries qui descendent en grande quantité la vallée du Rhône, comme celle-ci, expédiée en décembre 1775 par Sepolina et Travi, commissionnaires à Lyon, et qui contient 155 livres d’étoffes et de rubans de soie « pour l’Amérique22 ». D’autres lettres de voiture mentionnent, comme étant également destinées « aux isles françaises de l’Amérique », des rubans et des galons de soie, or et argent, des gazes, mais aussi des étamines du Mans, des pannes d’Amiens, des draperies, de la toile, blanche ou rousse, de Laval, de Normandie et du Dauphiné, des pelleteries, des boutons or et argent, de la quincaillerie du Forez et des fromages de Gruyère. Les factures adressées aux Roux par leurs fournisseurs lyonnais peuvent aussi nous révéler la destination finale des marchandises : le 23 août 1748, Jean-François et Guillaume-Henri Sellon confient à un voiturier une caisse contenant douze pièces de taffetas d’Angleterre d’une valeur de 3 297 l.t. 7 s. 6 d. pour la remettre à Pierre-Honoré Roux, qui doit ensuite la charger à bord de la corvette La Colombe, en partance pour les Îles23. En mai 1767, c’est au détour d’une lettre que Couderc et Passavant rappellent aux frères Roux de charger pour « les isles françaises d’Amérique » les derniers rubans de soie qu’ils viennent de recevoir24. En juin 1773, Jean-Baptiste Roux leur propose à son tour de l’aide pour le chargement d’une caisse « d’effets destinés au Cap-Français » qu’ils ont confiée à Peschier et Cie, une autre maison marseillaise25. En août 1772, une autre maison lyonnaise, Guiraudet et Cie avait expédié aux frères Roux une très belle pièce de velours facturée 278 l.t. 9 s., dont ils avaient précisé à la commande qu’elle était destinée pour les îles de l’Amérique26. Nous avons aussi pu identifier, en dépouillant une longue série de connaissements, d’autres chargement de soieries lyonnaises que les Roux expédièrent à la Martinique, notamment à l’adresse de Marc Diant, leur principal correspondant sur place : le 26 août 1752, un ballot d’étoffes de soie est embarqué à bord du vaisseau Le Constant, pour Louis Piednoir, de Curaçao ; le 24 mars 1763, ce sont deux petites caisses contenant 125 livres de soieries de Lyon que les Roux envoient à Diant sur Le Martiniquain. Le 30 juillet 1767, ils chargent à bord du senault La Chaste Marie une petite caisse contenant diverses petites soieries destinées à Madame Chaumont de Ledoulx, à Saint-Pierre. Deux autres habitants de Saint-Pierre, Le Vacher de Boisville et Antoine Devalle, sont ensuite les destinataires respectifs d’un ballot contenant des étoffes de soie, six douzaines de boutons à olives et six paires de bas de soie chargé le 21 septembre 1772 à bord du senault Les Trois Frères et d’une caisse d’étoffes et de rubans embarquée le 5 janvier 1776 à bord du brigantin La Pauline27.
12Une dizaine d’années plus tard, on retrouve d’autres marchandises de la Fabrique de Lyon à bord des vaisseaux que Jacques Solier et ses associés Martin et Salavy arment pour les Antilles : des parasols fournis par Duffour et Martin, des rubans de chez Dugas frères et une balle de mousseline contenant quarante pièces d’une valeur de 1031 l.t. 9 s. expédiée par Puipaignon et Desgaches font partie de la cargaison de La Lucine qui appareille de Marseille le 6 juillet 1782 à destination des Cayes28. Moins de deux ans plus tard, Duffour et Martin font charger en compte à demi « un caisson contenant 593 aunes d’Angleterre noire » valant un peu plus de 3 000 l.t., à bord de L’Olympe, en partance pour la Martinique29. En 1785, pour son deuxième voyage aux îles, ce même navire emporte une caisse de cent parasols chargée au compte des armateurs et une autre caisse de marchandises de Lyon au compte de Duffour et Martin. En plus de ces articles textiles, Solier Martin et Salavy font également venir de Lyon 165 sacs de grenaille ainsi que des couffins à giboyer, tous embarqués à bord de L’Olympe, les premiers en 1785 et les seconds en 1786. Globalement, ces marchandises de Lyon ne représentent en valeur qu’une partie minime des cargaisons antillaises : ainsi les parasols et les étoffes emportés par L’Olympe en 1784 et en 1785 ne représentent-ils qu’entre 3 % et 6 % de tout ce que contient sa cale30. Mais ces comptes d’achat des cargaisons des navires des Solier, révèlent également la concurrence grandissante, à la fin de notre période, des productions foréziennes et surtout languedociennes. Les rubans et les lacets de Saint-Chamond ainsi que les taffetas d’Angleterre, la soie à coudre et les bas de soie de Nîmes se sont en effet imposés aux négociants marseillais comme une alternative aux productions lyonnaises.
Vaisseaux | Année | Détail des marchandises de Lyon (gruyère exclu) | Valeur des marchandises de Lyon1 | Valeur de la cargaison | Part des marchandises de Lyon dans la cargaison |
La Lucine | 1782 | Parasols rubans mousseline | 1 031 l.t. 9 s. | 92 841 l.t. | 1,11 % |
L’Olympe | 1784 | 593 aunes de taffetas d’Angleterre noir | 3 203 l.t. 10 s. | 106 733 l.t. 6s. | 3 % |
L’Olympe | 1785 | 165 sacs de grenaille 100 parasols une caisse d’articles de Lyon | 7 606 l.t. 18 s. | 108 000 l.t. | 7,04 % |
L’Olympe | 1786 | 12 couffins de plomb à giboyer | 238 l.t. 12 s. | 90000 l.t. | 0,26 % |
Tableau III. – Les articles de Lyon dans les cargaisons des navires antillais de Solier Martin Salavy (1781-1786).
13S’il est une autre marchandise que Lyon contribue largement à exporter vers les colonies françaises d’Amérique, c’est bien le fromage de Gruyère. On en retrouve ainsi à bord de tous les vaisseaux que les Solier arment pour la Martinique, Saint-Domingue et d’autres destinations antillaises au cours des années 1780 : « trois tonneaux de dix formes chacun pesant 1 969 livres », chargés sur La Paix en 178131 ; « 25 caisses contenant 25 formes » sur le même navire, l’année suivante, en 178232 ; 110 caisses, fournies par la maison Rigollet de Lyon, embarquées sur L’Olympe en 1784 et, l’année suivante, 120 pièces envoyées par Maradan frères33 ; au-delà, pour les autres armements antillais, la provenance lyonnaise n’est plus spécifiée. La valeur déclarée de ces cargaisons de gruyère, transport jusqu’à Marseille compris, varie de 599 l.t. 8 s. à 2 593 l.t. 10 s., ce qui ne contribue pas à augmenter substantiellement la valeur des cargaisons lyonnaises puisque, en y incluant le fromage, ces dernières ne représentent qu’entre 3,7 et 8,4 % des chargements34. Pierre-Honoré Roux aussi charge du gruyère pour les colonies d’Amérique. Il le reçoit de Jean Simon et Berrot qui lui en adressent huit balles pesant plus de 18 quintaux et une caisse contenant 63 quintaux en septembre et octobre 1748 ; puis à nouveau 128 quintaux en décembre et janvier suivants, en trois envois de six, cinq et neuf tonneaux. D’autres envois suivent : cinq tonneaux pesant 28 quintaux et 60 livres en avril 1749 et, en octobre 1751, neuf autres tonneaux ainsi qu’une caisse contenant en tout 60 quintaux et 50 livres de fromage35. En août 1766, ses fils passent commande de trente formes auprès de Couderc et Passavant, mais apprennent que la commande ne peut cette fois être honorée immédiatement car « il n’y a pas une pièce de fromage propre pour les îles dans toute notre ville36 ».
14Si Bordeaux et Marseille accaparent l’essentiel des expéditions lyonnaises vers les marchés insulaires, des armateurs ou des négociants d’autres ports peuvent aussi compléter leurs cargaisons avec des articles de Lyon. C’est par exemple le cas au Havre ou à Rouen, que le Dictionnaire universel du Commerce présente encore, dans son édition de 1741, comme un port spécialisé dans l’approvisionnement des Îles en « [tout] ce qui peut servir au vêtement et à l’entretien des habitants de ces colonies ». Parmi les marchandises chargées sur les navires rouennais, il cite comme pouvant être tirées des manufactures lyonnaises « des futaines, des basins [...], quelques étoffes de soie, sergerie et cameloterie [...], des jupes de femmes toutes faites, de diverses étoffes de soie, de laine, de coton, de toutes couleurs et façons, des habits et justaucorps pour hommes, des bas de soie et de laine de toutes sortes, des chapeaux garnis, de castor et de vigogne [...], toutes sortes de rubannerie unie ou à façon, avec or et sans or, de toutes couleurs et largeurs, enfin toutes autres espèces de menue quincaillerie et mercerie37 ». Mais dans ces deux ports, d’autres négociants font aussi appel aux articles de Lyon pour constituer des cargaisons destinées à Cadix, porte ouverte vers les colonies espagnoles d’Amérique. Ici, comme à Marseille ou à Saint-Malo, une partie des flux du grand commerce transatlantique se confond avec ceux du cabotage européen, ce qui rend encore plus difficile leur repérage.
Acteurs et méthodes du commerce entre Lyon et les Îles
15Pour Maurice Garden, le négoce avec les Îles aurait été davantage à Lyon l’affaire des négociants que celle des marchands, même s’ils devaient aussi en partager les fruits avec les marchands-fabricants38. Sans nous attarder sur ses estimations obtenues, rappelons-le, à partir d’un panel de 67 sociétés circonscrit à une période qui, bien que décrite comme « faste pour le commerce lyonnais », se limite à neuf années, entre 1763 et 1771, nous pouvons néanmoins confirmer cette première observation en insistant toutefois sur le fait que le commerce avec les Îles est bien, sur les bords du Rhône, l’affaire des négociants et des marchands-fabricants. Cependant, il faut préciser que si les premiers choisissent délibérément de s’orienter vers le grand commerce et de courir les risques qu’il suppose, les seconds y sont davantage amenés par une clientèle de chargeurs et de commissionnaires qui, en leur achetant leurs marchandises, les font participer de manière indirecte au commerce colonial et, en cas de changement de conjoncture, leur font supporter le contrecoup et les conséquences de leurs propres difficultés. Faute de correspondance entre les négociants des Îles et ceux des bords du Rhône, nous avons recherché la trace de ces exportations lyonnaises vers les Îles parmi les procurations passées devant les notaires en cas de litige commercial. Dans la masse des fonds explorés, nous en avons retenu trois : ceux du notaire Bertholon, riche pour la période 1738-1750 de 18 actes de procuration, de son confrère Patrin, qui contient 34 actes pour la période 1742-1774, et surtout de l’étude de Jacques Cabaret, fort de 65 actes couvrant deux décennies entre 1751 et 177139. Ce sondage nous a donc permis d’isoler une première série de 117 actes de procuration concernant les îles françaises de l’Amérique.
Une affaire de négociants
16Près de 95 % de ces procurations concernent Saint-Domingue (51 %) et la Martinique (43,5 %), et la grande majorité des procurateurs sont chargés de représenter leurs commettants ou de défendre leurs intérêts auprès de maisons ou de particuliers installés à Saint-Pierre de la Martinique (38,8 %) ou au Cap-Français (34,2 %). Les autres concernent surtout d’autres villes de Saint-Domingue, comme Saint-Marc (6 actes), Saint-Louis aux Cayes ou Léogane (3 actes chacun), Port-au-Prince, Port-de-Paix, Jacmel et le quartier d’Artibonite. Deux actes concernent la Guadeloupe, un seul Sainte-Lucie et un dernier l’île de la Grenade. Cette ventilation géographique des actes de procuration est en fait sans grande surprise, dans la mesure où Saint-Pierre et le Cap sont, en ce milieu du XVIIIe siècle, les deux premiers ports et les deux plus grandes villes des Antilles françaises, là où vit certainement l’essentiel de tous ceux qui, aux Îles, sont susceptibles d’acquérir les riches étoffes lyonnaises et les derniers articles de mode venus d’Europe comme, par exemple, ces étoffes de taffetas façonné de différentes couleurs (vert, rose, cerise, blanc, cannelle et rayé bleu), ces pièces de droguet café, gris, argent et cannelle, ce « gros de Tours bleu et argent broché nué à bordures » ou encore ces deux robes du même tissu, l’une en « blanc et argent broché cannelé » et l’autre en « vert celadon » que Jean Chareaux, marchand de Lyon installé à Saint-Marc, détient en 1741 de Gabriel Rigod et de la maison Flandrin et Teste40.
17Dans la plupart des cas, ceux qui signent ces procurations devant les notaires lyonnais cherchent à récupérer des créances ou des marchandises auprès de négociants mauvais payeurs, faillis ou décédés. Pour ce faire, ils chargent donc un autre de leurs correspondants antillais, dans la quasi-totalité des cas un négociant parfaitement au fait des affaires à régler, de les représenter et d’entreprendre en leur nom, auprès des autorités, des syndics ou des héritiers de leurs débiteurs, toutes les démarches qui sont nécessaires pour reprendre leurs biens ou pour rentrer en possession des sommes qui leur sont dues, à l’instar d’Antoine Tixerand, « marchand-fabricant en étoffes de soie or et argent » qui, en février 1749, signe une procuration en blanc pour « exiger et recevoir de la succession, héritiers, bien tenants ou exécuteurs testamentaires du sieur Chareaux, marchand décédé à Saint-Marc en amérique, la somme de 550 l.t. que ce dernier devait pour vente et envoi de marchandises41 ». entre 1751 et 1754, ce sont au moins sept marchands et négociants lyonnais qui font établir une procuration quand ils apprennent la mort de Paul Pierre Chaillou, négociant au Cap-Français, pour se faire représenter auprès de son associé Jean-Baptiste Symian, alors chargé de liquider la société, et lui réclamer le solde des affaires traitées avec la raison sociale Chaillou et Symian42. Quand ils ne savent pas à qui confier la défense de leurs intérêts ils peuvent toujours faire établir une procuration en blanc en attendant qu’une opportunité se présente pour trouver un procurateur. C’est par exemple ce que font les frères Collomb, en juillet 1752, dans le but de recouvrir deux créances de 8 431 l.t. et de 10 623 l.t. 15 s. auprès de deux négociants de Saint-Pierre, renaud Beaugin et Cie et Étienne Marchand43. L’éloignement ne facilitant pas la tâche, il faut parfois renouveler plusieurs fois une même procuration voire, lorsque le procurateur initialement choisi tarde à agir ou disparaît sans avoir pu remplir sa mission, la révoquer pour donner délégation à quelqu’un d’autre. En mars 1755, cinq ans et demi après avoir chargé Jean-François Balan d’Auxbourg, du Port-de-Paix, « de retirer et recevoir des mains du sieur de Longemalle », du Cap-Français, les sommes et les marchandises que ce dernier lui devait, le négociant lyonnais Antoine Joseph Duvernet révoque sa précédente procuration et confie à De Longemalle le soin de récupérer auprès de la maison Chaillou et Symian, ou « de tous autres auxquels le sieur Balan aurait pu conférer des pouvoirs à cet égard, toutes les sommes de deniers, effets et marchandises que le sieur de Longemalle leur aurait remis volontairement ou par autorité de justice pour le compte du dit sieur Duvernet44 ». Il arrive parfois que des négociants du bord du Rhône soient amenés à confier la défense de leurs intérêts à d’autres Lyonnais installés aux Îles, quand ils ne profitent pas de l’imminence du voyage d’un proche ou d’une relation d’affaires pour les charger, une fois arrivés à destination, de faire le tour de leurs débiteurs afin de les rappeler à leurs bons souvenirs, à moins qu’il ne s’agisse de recouvrir la succession d’un parent ou d’un associé décédé. C’est ainsi qu’en mars 1749 le marchand Jean-Baptiste Bauquis donne procuration à Claude Dainval fils, « marchand de cette ville [de Lyon] actuellement sur son départ pour l’isle de Saint-Domingue ou de la Martinique ou autres endroits », pour entrer en possession de la succession de son frère Pierre Benoît Bauquis, parti s’installer comme marchand à Léogane où il est décédé45.

Graphique I. – ventilation des actes de procuration Lyon-antilles (1738-1771).
18Le dépouillement des séries d’actes notariés citées plus haut, mais aussi d’autres appartenant à des fonds moins volumineux ou moins riches en procurations d’affaires, nous ont permis d’identifier provisoirement, pour la période 1738-1779, 52 noms de négociants ou de maisons de commerce lyonnaises exportant des marchandises vers les îles françaises d’Amérique, dont 42 dans les seuls papiers des notaires Bertholon, Patrin et Cabaret. De loin, les négociants – ou ceux qui disent l’être – sont très majoritaires (41) puisque nous n’avons, dans notre panel, que 11 marchands, dont trois ouvertement déclarés marchands-fabricants46, en l’occurrence François Devarenne et Cie, Flandrin Teste et Cie et Jean-Marie Guillot. Parmi les négociants qui signent des procurations, certains noms reviennent plus fréquemment que d’autres. Citons par exemple, pour les années 1750, Rieussec Charret et Maurel, les frères Colomb, les frères Ougster, Joseph Durbec et Cie, Scheidelin Finguerlin et Cie ou encore le marchand chapelier Pierre Duverney. On peut donc raisonnablement croire, de la part de ces maisons, à un plus fort engagement dans le commerce outre-mer... à moins qu’il ne s’agisse que d’une plus grande propension à choisir de mauvais clients. Précisons enfin qu’un certain nombre d’actes nous donnant l’adresse des maisons qui décident ainsi de déléguer leurs pouvoirs à autrui, il apparaît, concernant celles qui pratiquent le commerce des Antilles, qu’elles sont toutes situées sur la presqu’île, entre Saône et Rhône, en particulier dans les paroisses de Saint-Nizier et de Saint-Pierre-Saint-Saturnin : les frères Colomb sont installés rue grenette, tout comme Rieussec Charret et Maurel, les Coulaud place de la fromagerie, puis rue buisson, Durbec et Cie rue Tupin, les frères Ougster rue Sereine.
19Si nous rajoutons à notre premier panel les noms de tous les marchands et négociants que nous avons découverts au hasard de nos sources, correspondances commerciales, papiers d’affaires et actes notariés, nous arrivons temporairement à plus de 70 noms ou raisons sociales impliquées dans le grand commerce entre Lyon et les Antilles. Les observations faites à partir de notre premier échantillon sont confirmées : 1°) les négociants sont largement majoritaires devant les marchands-fabricants et les simples marchands ; 2°) Saint-Pierre à la Martinique et le Cap-Français à Saint-Domingue captent l’essentiel du commerce avec Lyon.
20Les actes de procuration permettent aussi de reconstituer en partie le réseau d’approvisionnement de tel ou tel négociant antillais. Ainsi, au tout début des années 1750, Chaillou et Symian, négociants associés au Cap-Français, possèdent dans leurs magasins des marchandises lyonnaises vendues à la fois par Rieussec Charret et Maurel, par les frères Collomb, par la dame Barbe Vorcanson, par Jean Bournichon, par Récamier et Cie, par Mirmond et Cie et par Gardelle père et fils, des maisons envers qui leurs dettes se montent à plus de 8 147 l.t.47. À la même époque, Boniface et Orcel détiennent dans leur maison de Saint-Pierre, à la Martinique, des étoffes et des chapeaux qui leur ont été vendus à terme ou confiés par Rieussec Charret et Maurel, Récamier et Cie, Clément Carié et Cie, Coulaud le jeune et Coulaud, François Devarenne et Cie, Caussanel et Cie, Flandrin Teste et Cie, sept sociétés à qui ils doivent encore plus de 33 000 l.t.48. Si certaines de ces marchandises ont bien été acquises par les négociants de Saint-Domingue ou de la Martinique, qui en ont passé commande sur la place de Lyon, d’autres leur ont été envoyées en commission par leurs correspondants lyonnais, soit à leur compte, soit en compte à demi. Cette dernière situation est intéressante à nos yeux, car le fait d’envoyer des marchandises aux Îles pour son compte propre ou en compte partagé avec un commissionnaire antillais, témoigne d’un réel engagement dans le négoce atlantique, d’une prise de risque volontaire et d’un élargissement assumé des horizons du grand commerce lyonnais. En 1749, Clément Carié et Cie expédie ainsi à la Martinique une balle de toiles d’une valeur de 2 224 l.t. à l’adresse de Jean-Baptiste Dejean, qui la lui a commandée en compte à demi49. Ce négociant saint-pierrais détient d’ailleurs une autre balle de toileries en compte à demi avec Joseph Durbec, également négociant à Lyon50. De la même manière, Jean Bournichon et Barbe Vorcanson, tous deux marchands, ont expédié à Chaillou et Symian, du Cap-Français, l’un de la toile de Troyes et des mouchoirs de Cholet, l’autre « deux parties de marchandises pour vendre pour elle de compte à demi51 ». Quant aux marchandises déposées chez Boniface et Orsel, une grande partie d’entre elles a été chargée pour la Martinique aux frais des négociants lyonnais qui les ont fournies. C’est aussi le cas des chapeaux que la maison Récamier et Cie et Claude François Reydellet ont envoyés à Nazaire Savarin et Cie du Cap-Français52, des toiles que Zellweger et Cie ont confiées à Terrier de la Borde53, des marchandises que Dutreuil Colomès et Grimaud « avaient en participation » avec la veuve Bonnaud, marchande dans la même ville54. Un nombre appréciable de procurations signées devant les tabellions lyonnais confirme donc, dès le milieu du XVIIIe siècle, l’intégration de l’espace antillais au sein de l’aire commerciale de Lyon. Bien sûr, la part de risque prise dans le cadre d’une forme de négoce susceptible de générer davantage de contentieux que le commerce conventionnel, peut expliquer une certaine surreprésentation de ce type d’échanges dans les sources notariales. Néanmoins, leur présence montre bien qu’il y a, dès les années 1740-1750, entre Saône et Rhône, des marchands et des négociants qui n’ont pas hésité à franchir le pas, à partir en quête de nouveaux débouchés pour leurs marchandises et à se lancer dans la conquête des nouveaux marchés de l’outre-mer.
La nature du commerce entre Lyon et les Îles : de la vente directe à la vente à risque
21Nos sources nous permettent d’avancer que la participation du négoce lyonnais au commerce des îles françaises de l’Amérique a pu prendre trois formes principales. La première est la vente directe, classique dans la mesure où la commande de marchandises émane d’un négociant installé aux Îles qui adresse à un négociant ou à un marchand-fabricant lyonnais un mémoire portant sur des étoffes, des pièces de vêtement ou des articles de passementerie ou de mercerie. Si ce dernier décide d’honorer la commande, la caisse ou la balle de marchandises est préparée puis expédiée vers Marseille ou vers Bordeaux, à l’adresse d’un consignataire qui, à réception, la charge à bord du premier navire en partance, non sans avoir pris le soin préalable de la faire assurer. Le paiement de la marchandise intervient généralement au terme de six mois et se fait par lettre de change, parfois tirée sur un confrère établi dans un port, sinon à Paris ou à Lyon même. Il se peut aussi que le règlement de la marchandise se fasse en denrées coloniales. C’est ainsi qu’au début de l’année 1754 Alligot et Cie, des marchands toiliers de la rue longue, reçoivent de Duhalay, marchand à Saint-Pierre, du café et du cacao en contrepartie d’une balle de toileries facturée 1 053 l.t. 12 s. 6 d., qu’ils lui avaient expédiée au mois de juillet précédent55. Nonobstant ce mode de paiement, ce type d’échange direct est certainement le plus courant et on peut en retrouver la trace dans la masse des actes de procuration signés devant les tabellions lyonnais. La formulation du document est à peu près toujours la même, le signataire de l’acte chargeant son procurateur « d’exiger et recevoir » de son débiteur telle somme « pour vente et délivrance de marchandises ». Malheureusement, ces documents ne nous renseignent presque jamais sur la nature des marchandises expédiées aux Îles par le négoce lyonnais, et se contentent de ne préciser que le montant des créances à recouvrer. Le plus souvent, ces dernières ne s’élèvent qu’à quelques centaines de livres et dépassent rarement les 3 000 l.t., ce qui laisserait penser que, pour un bon nombre d’entre eux, les négociants lyonnais qui envoient ainsi directement des marchandises aux Îles, sans intermédiaire ni associé établi sur place, ne le font que ponctuellement et que ce marché ne serait pour eux qu’un marché secondaire. Relever le montant des créances permettrait donc de repérer le degré d’engagement des marchands lyonnais dans le commerce avec les Îles, dans la mesure où ceux qui le connaissent le mieux effectuent les plus gros envois de marchandises. Ce serait le cas, par exemple, des frères Colomb qui, en 1752, cherchent à récupérer 8 431 l.t. auprès de Renaud Beaugin et Cie et 10 623 l.t. 15 s. 2 d. auprès d’Étienne Marchand, deux négociants de Saint-Pierre de la Martinique56. Quant aux marchandises, nous l’avons dit, elles sont rarement détaillées dans ces actes de procuration. On peut toutefois en avoir une idée quand la raison sociale du signataire de l’acte est clairement explicitée : ainsi Jean Durif l’aîné, marchand papetier, a-t-il pour clients les sieurs Fontaine de Lisle, à Saint-Pierre, et Étienne Marchand, à la Trinité57 ; Flandrin Teste et Cie sont « maîtres marchands-fabricants en étoffes de soie, or et argent58 », tout comme Antoine Tixerand59 ; Marc-Antoine Lambert et Dominique Portalet sont « marchands chapeliers en société » établis rue Thomassin60. En 1741 Flandrin et Teste réclament aux héritiers de Jean Chareau, un ancien marchand lyonnais qui s’était établi comme négociant à Saint-Marc dans l’île de Saint-Domingue, 2 082 l.t. 17 s. en paiement de six pièces de taffetas de différentes couleurs (« vert, rose, cerise, blanc, cannelle et rayé bleu ») et de trois pièces de droguet (« café, gris et cannelle ») qu’ils lui avaient envoyées61. Quant au marchand Gabriel Rigod, il lui réclame 929 l.t. pour deux robes de soie, une pièce de gros de Tours bleu et argent et une autre de droguet gris et argent qu’il lui avait vendues en 173262. Les procurations signées devant le notaire Cabaret nous ont permis de repérer à Saint-Pierre de la Martinique les négociants Boniface et Orsel qui, au début des années 1750, se fournissent sur la place de Lyon en étoffes et en chapeaux auprès de plusieurs maisons, parmi lesquelles les négociants Coulaud le jeune et Coulaud, Clément Carié et Cie, Rieussec Charret et Maurel, Sollicoffre et Felz, mais aussi les fabricants d’étoffes en soie, or et argent Flandrin Teste et Cie et les marchands chapeliers Récamier et Cie63. Ce sont là très vraisemblablement quelques unes des sociétés lyonnaises qui, à cette époque, sembleraient avoir intégré l’espace antillais dans leur aire commerciale. En effet, d’autres procurations nous donnent les noms d’autres négociants de Saint-Pierre, mais aussi du Cap-Français, avec lesquels ils sont également en affaires : Claude Dainual, Chaillou et Symian, les frères Fontenay, Nazaire Savarin et Cie ou Romain Metral, au Cap ; Jean-Baptiste Dejean, Mendes frères ou Lachoud cadet à Saint-Pierre. Mais au cours de ces années d’entre deux guerres, époque à laquelle les affaires entre Lyon et les Îles semblent connaître un réel essor, d’autres noms de maisons lyonnaises reviennent dans les actes notariés. Il s’agit surtout, comme nous l’avons déjà relevé, de négociants et de marchands-fabricants d’étoffes ou de chapeaux : Joseph Durbec et Cie, Ougster frères, Joseph Fabre et Cie, Pierre Maisonneuve, Devillas et Cie, Dutreuil Colomer et Grimaud, Zellweguer frères et Cie, Antoine Joseph Duvernet, Scheidlin Finguerlin et Cie, Jean et Pierre Duvernet.
22La deuxième forme d’échanges est la vente indirecte. Dans ce cas, la demande n’émane plus d’un marchand installé aux Îles, mais d’un négociant d’un port, Bordeaux ou Marseille par exemple, qui, de sa propre initiative ou à la demande d’un correspondant établi sur place, constitue une emplette. A priori, du point de vue lyonnais, rien ne différencie cette opération de n’importe quelle vente faite dans le royaume, si ce n’est que la commande doit souvent être honorée dans un délai fixé à l’avance par le client en fonction des mouvements de navires et qu’elle peut être expédiée dans une caisse ou une malle elle-même soigneusement emballée dans de la toile cirée. Le vendeur ne court aucun autre risque que celui lié au transport de la marchandise vers le port où elle doit être chargée et le paiement intervient dans les trois à quatre mois suivant l’envoi. Mais l’initiative d’une affaire peut aussi venir du fournisseur lyonnais, quand celui-ci démarche un chargeur susceptible d’être intéressé par des articles de Lyon. Nous l’avons vu précédemment, ce style d’opération peut être repéré au détour d’une correspondance quand l’un ou l’autre des partenaires fait allusion à un « envoi pour les isles » ou au départ prochain d’un bateau.
23Avant la guerre de Sept Ans, entre Lyon et les îles françaises de l’Amérique, le commerce indirect semble l’emporter sur l’engagement direct. L’avitaillement des colonies est alors la chasse gardée des négociants bordelais et, secondairement, de leurs confrères nantais et marseillais. Ils ont la haute main sur toutes les exportations d’articles manufacturés produits dans le royaume et, pour répondre à la demande des colonies en étoffes de luxe et compléter leurs cargaisons aller, ils se tournent vers les relations qu’ils entretiennent au sein de la Fabrique lyonnaise ou sur ses marges. Les négociants lyonnais y trouvent d’ailleurs leur compte, dans la mesure où la plupart de ces achats sont payables à six mois de terme – à douze mois maximum – et ne les engagent pas à courir d’autres risques que ceux liés au transport de la marchandise depuis Lyon vers le port où elle est chargée. Il nous semble alors qu’une grande partie d’entre eux ne sont pas encore prêts à courir tous les risques du commerce ultramarin et peu nombreux sont ceux qui se lancent dans l’aventure au point de nouer des contacts directs avec des commissionnaires établis dans les lointaines Antilles. Cependant, ce type d’engagement qu’est le commerce indirect amène fréquemment le solliciteur lyonnais à devoir accepter une part de risque en prenant une participation dans l’expédition de sa marchandise, le plus souvent à hauteur de la moitié de sa valeur, en compte à demi avec le chargeur. Cette vente en participation préfigure la troisième forme d’échanges qui se développe, semble-t-il, après la guerre de Succession d’Autriche. Alors seulement les Antilles font véritablement leur entrée dans l’aire commerciale de Lyon.
24Cette troisième forme d’échanges est bien plus révélatrice que les deux précédentes de l’engagement du négoce lyonnais dans l’économie atlantique. Elle est le fait de négociants qui, désormais, pratiquent directement le commerce colonial en association avec des commissionnaires installés aux Îles. En fonction de l’évolution de la demande et des besoins du marché sur lequel ils opèrent, ces derniers informent leur(s) associé(s) lyonnais qui, chaque année, leur adresse(nt) plusieurs caisses de marchandises, que ce soit en compte partagé ou pour leur propre compte. Cette fois le risque est total et le règlement n’intervient qu’après la vente de la marchandise sur place, opération qui peut prendre plusieurs mois et suppose donc l’immobilisation d’un capital pour une longue durée. Dans ce type d’opération, les négociants lyonnais prennent en charge eux-mêmes les frais d’expédition et d’assurance des marchandises qu’ils expédient aux Îles et partagent avec leur commissionnaire les frais induits à leur réception et, le cas échéant, pour leur réexpédition si leur associé décide, par exemple, de les écouler en interlope sur le marché ibéro-américain. Par ailleurs, les retours peuvent se faire en denrées des Îles, dont il faut ensuite s’assurer de la revente pour pouvoir conclure l’affaire et toucher les bénéfices de l’opération. Il est possible de retrouver la trace de certaines de ces opérations dans les actes de procuration, lorsque le signataire de l’acte charge son procurateur de « faire rendre compte [...] des marchandises laissées pour vendre en compte de participation entre les constituants64 » ou encore « des marchandises remises [...] pour vendre de compte à demy65 ». Ces actes de procuration font alors apparaître les noms de certains commissionnaires et de leurs fournisseurs et associés lyonnais. Ainsi en est-il, par exemple, de Chaillou et Symian, négociants au Cap-Français. Après la mort de Chaillou, en 1751, plusieurs maisons lyonnaises signent des procurations pour « faire rendre compte au sieur Symian (...) chargé de la liquidation de la société » des marchandises qu’ils détenaient en leur nom et qu’ils étaient chargés de vendre en compte à demi. Parmi les actants lyonnais figurent : Jean Bournichon, négociant rue Tupin, qui leur avait expédié « pour vendre de compte à demy » deux balles de marchandises « l’une de toile de Troyes le 14 novembre 1748 montant à 1 163 l.t. 6 s. 6 d., et l’autre de mouchoirs de sa fabrique de Cholet [...] le 18 décembre suivant montant à 980 l.t. 10 s.66 » ; Rieussec Charret et Maurel, négociants67 ; les frères Colomb, qui leur avaient fait deux envois de marchandises en novembre 1748 et en août 1749, pour 1 501 l.t. 10 s.68 ; Barbe Vorcanson, veuve du marchand Antoine Nallet qui leur avait confié en novembre 1748 et en décembre 1749 « deux parties de marchandises pour vendre en compte à demy » pour 4 680 l.t. 12 s. 9 d.69 ; Gardelle père et fils, négociants établis place Saint-Nizier70 ; Récamier et Cie, marchands chapeliers « demeurant derrière le concert de la place des cordeliers » qui avaient fait deux envois, l’un en compte partagé avec Mirmond et Cie, l’autre à leur propre compte71.
25Plus rares sont ceux qui endossent la totalité du risque en proposant leurs marchandises à des commissionnaires établis sur place pour qu’elles soient vendues « pour leur [unique] compte », moyennant une commission de 2 ou 3 %. Ainsi en est-il, par exemple, de Nazaire Savarin et Cie auprès de qui les maisons Ougster frères, Récamier et Cie, Mirmont et Cie et Reydellet, les uns négociants et les autres marchands chapeliers, entendent, en avril 1754, récupérer « des marchandises qu’ils leur ont envoyées pour vendre pour leur compte72 », tandis que Charles Cureau père entend, lui, « faire rendre compte aux sieurs Duboulloy et Bellanger, négociants au Cap, de toutes les marchandises qu’[il] leur a envoyées pour vendre pour son compte73 ».
26Il est également des négociants lyonnais qui installent eux-mêmes des commissionnaires aux Îles, souvent des membres de leur famille qui, sur place, se chargent d’informer la maison mère des besoins du marché et de vendre les marchandises qui leur sont envoyées une ou deux fois l’an. Ainsi en est-il par exemple, dès les années 1730, de Jean-François Guinand, fils du marchand Étienne Guinand qui, avec son associé Joseph Sarcey, expédient pour leur compte des marchandises à Saint-Domingue. Établi à Saint-Marc, sur la côte ouest de l’île, Jean-François reçoit par des navires bordelais les caisses que lui expédient ses associés et, moyennant commission, travaille ensuite à trouver preneur pour ce qu’elles contiennent. Il meurt à Saint-Marc le 20 août 174074. Quant à Empaire Ferlat, qui souhaite faire passer son fils aux Îles, il fait demander conseil auprès des frères Féger par son associé Carret :
« Il ne sera pas bien difficile de lui procurer un passage pour quelqu’une de nos colonies, répondent-ils à ce dernier. Suivant nous, il faut préférer Le Cap-Français, comme le chef lieu de Saint-Domingue et l’endroit qui offre les plus grandes ressources pour le commerce. Mais au Cap pas plus qu’ailleurs on ne vit pas de l’air du temps et, outre que ce serait manquer l’objet qu’on se propose en envoyant ce jeune homme dénué de toute ressource, ce serait aussi exposer sa jeunesse et absolument le sacrifier [...]. Nous ne voyons donc pas que M. Empaire Ferlat puisse envoyer son fils sans une petite pacotille qui pourra fructifier en ses mains, en même temps qu’il en retirera de quoi fournir à ses premiers besoins. Ce serait un objet de 3 000 l.t. à 3 500 l.t. que nous croyons nécessaire75. »
27Fort de ces judicieux conseils et de quelques bonnes recommandations, le jeune Ferlat embarque pour Saint-Domingue à la fin du mois de février 1771, sur Le Zéphyr, accompagnant un certain Dalfonse « qui va au Cap pour tenir maison » et qui, si « sa conduite lui plaît », se dit prêt à l’engager. Il emporte alors avec lui les indispensables pacotilles conseillées par Féger et que la maison paternelle s’est chargée pour l’occasion de lui fournir ainsi que, en bon Lyonnais qu’il est, une caisse... de saucissons76.
28Mais à la fin de notre période, le commerce lyonnais avec les Îles suscite également l’intérêt de commissionnaires qui, à l’instar de Pillichody et Reboul, travaillent « principalement par l’achat par commission des marchandises des manufactures de tous genres » et interviennent donc comme intermédiaires entre les fabricants lyonnais et les négociants des ports, moyennant une commission de 2 ou 3 % versée par leurs commettants, dont ils peuvent rétrocéder la moitié à leurs clients s’ils acceptent de traiter avec eux. Ainsi, en 1790, proposent-ils à Cordier Joly et Cie de Bordeaux des étoffes de soie « pour les armements et autres expéditions », moyennant un intérêt de 1 ou 1 ½ % représentant la moitié de leur propre intérêt77. Voilà qui confirme donc que le commerce entre Lyon et les Îles est bien passé entre les mains de réseaux d’intermédiaires et échappe désormais aux marchands-fabricants qui, dans ce domaine du commerce lointain, n’ont pas su garder la main sur la distribution de leurs productions et ont préféré laisser à d’autres le soin d’en supporter les risques et d’en retirer les profits.
Rey Magneval : l’engagement d’une maison lyonnaise dans le commerce des Îles
29Grâce au fonds des négociants conservé à la section ancienne des Archives départementales du Rhône, nous avons pu approcher d’assez près les activités d’une des maisons lyonnaises qui pratiquaient le commerce des îles d’Amérique, la société Rey Magneval. Fondée en juillet 1745 par Antoine Rey et son beau-frère Barthélemy Magneval, cette maison a pour vocation initiale de faire « le commerce de broderies, galanteries et commissions78 ». D’abord associés à Berger, un négociant français installé à Madrid, et au beau-frère de celui-ci, Louis-Michel Van Loo, premier peintre du Roi d’Espagne79, Rey et Magneval orientent assez vite leurs activités vers la péninsule ibérique et, par l’intermédiaire de leurs correspondants à Madrid et à Cadix, découvrent les potentialités du marché américain. En octobre 1748, ils s’associent « en compte à demi » avec Jean-Baptiste Joannès, un jeune négociant originaire d’Aix-en-Provence qui part s’établir à Saint-Pierre-de-la-Martinique. Pendant cinq ans, jusqu’à la mort de Joannès en avril 175380, la maison Rey Magneval approvisionne le négociant saint-pierrais en étoffes, soieries, articles de mode et accessoires divers, mais honore aussi des commandes de vin, de farine, de jambon et de fromage81. Quand elles ont été achetées « à Lyon ou aux environs », dans l’immédiat l’arrière-pays lyonnais mais aussi à Saint-Étienne, Saint-Chamond, Thiers et Genève, ces marchandises sont acheminées vers Marseille, sinon, pour celles qu’ils se procurent sur d’autres places comme Amiens, Rouen, Laval, Le Mans ou Paris82, elles sont directement dirigées vers « le port de mer le plus voisin », Nantes, Le Havre et, le plus souvent, Bordeaux, pour y être chargées à bord des navires qui assurent le commerce en droiture avec les Îles. Rey et Magneval engagent les fonds nécessaires à la constitution de ces cargaisons, Joannès se chargeant ensuite de vendre les marchandises et de leur faire expédier en retour des denrées des Îles, principalement du sucre et du café dont seule la revente permet à Rey et Magneval de dégager un profit. L’affaire n’est donc pas sans risques, ceux liés à la navigation n’étant pas les plus importants dans la mesure où, en négociants bien avisés, nos Lyonnais ont soin de faire assurer les marchandises qu’ils envoient par delà les mers.
Acte de société entre Rey Magneval et Cie et Jean-Baptiste Joannès (1748)83 Nous soussignés, Jean-Baptiste Joannès, d’Aix-en-Provence, allant s’établir à Saint-Pierre de la Martinique, et Rey Magneval et compagnie, négociants de Lyon, sommes convenus pour le bien et l’augmentation de notre commerce réciproque, de former un compte à demi en marchandises de France propres pour les Isles, suivant les instructions que nous fournira le sieur Joannès, auquel nous lui enverrons aux conditions ci-après. Savoir.
1°) Les marchandises que le sieur Joannès nous demandera seront par nous, Rey Magneval et Cie, achetées sans aucune provision et expédiées au dit sieur par Bordeaux ou tel autre port que nous trouverons bon, et en ferons assurer la valeur.
2°) Le dit sieur Joannès en fera la vente au plus grand avantage, également sans aucune provision, et à mesure qu’il en fera quelques ventes il en enverra les comptes et en fera les retours en denrées ou marchandises qu’il croira être de plus avantageuses de fait, qu’il passera à prix coûtant, de même sans aucune provision des retours, [lesquelles] seront par préférence adressées à Bordeaux ou, à défaut d’occasion pour ce port, à Marseille, Bayonne, Nantes ou Le Havre. Il sera tenu de nous donner avis des envois qu’il fera et de faire assurer en France leur valeur.
3°) Au cas que les retours n’arrivassent point et qu’ils ne soient point réalisés, et les fonds en mains des dits sieurs Rey Magneval et Cie avant les échéances des termes pour lesquels ils auront acheté les marchandises, le dit sieur Joannès payera aux dits sieurs l’intérêt de sa moitié, à raison de demi pour cent par mois. Il en sera de même pour celles qui auront été achetées comptant au jour de l’achat jusqu’à la rentrée des dits fonds, ce que nous avons promis réciproquement d’observer fidèlement de part et d’autre et d’agir avec toute la bonne foi et droiture pour le bien commun à peine de tous dépens, dommages et intérêts. Et pour commencer le dit compte à demi nous avons convenu d’acheter les marchandises suivantes. Savoir [des rubans, un assortiment de boutons d’or et d’argent, d’autres assortiments de droguets de soie, de taffetas d’Angleterre, de chapeaux, des jarretières d’or et d’argent, des manchettes brodées, des bas de soie pour hommes et pour femmes, des pièces de mousquetaire, des ganses pour chapeaux, des gants de soie pour femmes, des carreaux de batiste, des chemises, des parasols de toile cirée, un assortiment de bijouterie de Genève, des miroirs et des chandeliers].
Toutes lesquelles marchandises seront ou ont été achetées pour nous, Rey Magneval et Cie de Lyon, et seront expédiées à M. J.-J. Fournier de Marseille pour embarquer à la consignation du dit sieur Joannès qui en fera assurer la valeur au dit Marseille et nous enverra les polices d’assurance. Et du tout lui sera envoyée facture avant son départ pour la Martinique, déclarant nous, dits Rey Magneval et Cie, avoir reçu à compte à demi du dit sieur Joannès la somme de 4 420 l.t.
Fait double à Lyon, le 20 octobre 1748 et saisi. Signé Rey Magneval et Cie et Jean-Baptiste Joannès.
30Pendant les cinq années que dure leur association, Joannès adresse à ses associés lyonnais des mémoires portant sur tout ce qui peut trouver acquéreur sur le marché martiniquais, mais aussi se vendre dans « les îles voisines » et « à la côte d’Espagne ». Saint-Pierre est en effet, à cette époque, la plaque tournante du commerce français avec les îles du vent. C’est là que s’opèrent la plupart des déchargements de navires venus de métropole et que se forment les cargaisons de retour, les commissionnaires de la ville ayant en effet la mainmise sur toutes les exportations de la Martinique, mais aussi de la Guadeloupe et des autres îles voisines. Joannès se trouve donc à une position stratégique pour expédier à ses associés les meilleurs sucres, les meilleurs cafés ou les plus belles balles de coton et d’indigo. Comme tous les commissionnaires établis sur place, il élargit très vite ses horizons en trafiquant non seulement avec la Guadeloupe, Sainte-Lucie et la Grenade, mais aussi avec les possessions espagnoles où il est davantage susceptible de trouver une clientèle pour les plus précieuses des marchandises lyonnaises que lui envoie la maison Rey Magneval. En 1751, il confie même quelques vestes à un confrère, Armand, pour aller les vendre à la Nouvelle-Orléans84. Ces vestes avaient fait partie d’un des premiers lots reçus en 1749 après son installation à Saint-Pierre : dix vestes au total, « sept en broderies et trois peintes » pour lesquelles il avait eu beaucoup de mal à trouver des acheteurs sur place. Aussi s’attache-t-il à faire connaître à ses associés, de la manière la plus précise qui soit, les besoins du marché antillais : en mai 1749 il passe commande, par exemple, de plusieurs pièces de droguet de soie de couleurs variées qu’il prend le temps de détailler, « comme noir, bleu, cerise, cramoisi, jonquille ou jaune doré, brun et gris [mais] peu de vert ni [de] blanc », ainsi que d’un assortiment de rubans de Saint-Étienne et de jarretières de soie85. Six mois plus tard, alors « que les marchandises [de Lyon] sont extrêmement abondantes pour le pays » et que « les îles voisines en [sont] toutes pourvues », ce qui entraîne une diminution du prix de vente des soieries, il demande à ses associés de lui constituer une cargaison de nature radicalement différente : « 35 à 40 tonneaux de vin rouge du meilleur qu’on pourra trouver et de tonneaux de vin blanc en demi-barriques, 200 barils de farine de première qualité, 50 caisses de chandelles », ainsi que du fromage et du jambon86. Néanmoins, nous avons pu estimer qu’entre mars 1749 et juin 1752 la maison Rey Magneval et Cie aurait expédié à Joannès une quarantaine de caisses de marchandises, parmi lesquelles des étoffes de soie bien sûr mais aussi de la gaze, du basin et de l’étamine, des articles de confection comme des vestes, des chemises et des chapeaux, de la bonneterie – jarretières, bas et gants de soie, manchettes, mouchoirs de mousseline – divers petits articles de passementerie et d’ornementation comme des rubans, des ceinturons de soie, des bourses à cheveux, des boutons et des garnitures de boutons, des masques de velours mais aussi des parasols et des garnitures de buffets, ainsi que de la quincaillerie : des miroirs, des chandeliers, des cuillères à potage, des gardes d’épées, des ciseaux, des lames de sabres, des fers à repasser et des serrures ; le tout pour une valeur de 117 015 l.t. 18 s. 8 d.87. Si une partie de ces marchandises est effectivement vendue par Joannès, une autre partie fait l’objet d’échanges avec les clients. Ainsi en 1750 reçoit-il, pour le montant de trois vestes brodées qu’il avait envoyées à la Grenade, deux barriques de sucre pour une valeur estimée à 628 l.t. 11 s.88.
31Conformément aux termes de leurs engagements, Joannès fait charger en retour, pour le compte de ses associés lyonnais, du sucre, du café, du cacao de la Guadeloupe ainsi que des cuirs en poils, tantôt pour Marseille, tantôt pour Bordeaux. Les premiers retours consistent en sept barriques de sucre et douze quarts de café qui sont chargés en mai 1749 à bord de la Marie Brunette à destination de Bordeaux et en six barriques de sucre embarquées sur le Grand Saint Paul pour Marseille. La valeur globale de ces premières denrées coloniales renvoyées à Rey Magneval s’élève, à prix coûtant, à 5 812 l.t. 12 s.89. D’autres envois suivront : une barrique et un tierçon de café d’une valeur de 940 l.t. 7 s. chargés pour Bordeaux sur La Jeune Catherine en novembre 174990 ; deux barriques de sucre terré (684 l.t.) expédiées pour Marseille sur La Frégate du Languedoc en mai 175091 ; trois autres barriques de sucre terré et 41 sacs de café « expédiés par divers navires » à la fin de l’année 1750, envois dont la valeur s’élève à 7 826 l.t.. 12 s.92 ; 10 barriques de sucre, 8 sacs de café, 7 sacs de cacao, 36 peaux de cuir en poils et 215 piastres d’argent répartis sur quatre bateaux partis pour Marseille en juillet 1751, tandis que 21 autres barriques et un tierçon de sucre, 9 sacs de cacao et 28 sacs de café sont chargés sur un cinquième navire, l’Élizabeth, cette dernière cargaison étant à elle seule évaluée à 16 278 l.t. 6 s. 6 d.93 ; 12 barriques de sucre et un tierçon de café chargés pour Marseille sur Le Mentor en mars 1752, mais aussi 10 barriques et un tierçon de café, ainsi qu’une autre barrique de sucre et 105 cuirs de bœuf en poils embarqués en même temps sur La Providence pour être portés à Bordeaux94. Enfin, en juillet 1755, un peu plus de deux ans après la mort de Joannès, son exécuteur testamentaire, Claude Obrier, également négociant à Saint-Pierre, liquide la succession en faisant charger pour Bordeaux les dernières denrées qui reviennent à Rey Magneval et Cie : 10 barriques de sucre (3 662 l.t. 18 s.) embarquées sur l’Alexandre, 43 quarts de café (6 248 l.t. 14 s.) qui trouvent place sur La Paix et 8 barriques de sucre (« 3700 et quelques livres ») chargées sur le Saint-Julien95. Les quelques 13 600 l.t. auxquelles correspond la valeur de ces derniers retours des Îles constituent très certainement le produit des dernières affaires réalisées par Joannès en 1753 et de la vente des dernières marchandises qu’il détenait encore au moment de sa mort savoir, d’après l’inventaire après décès que fit dresser Obrier, diverses étoffes dont la nature exacte n’est pas précisée, ainsi que des articles de mercerie, de passementerie, et de bonneterie, le tout prisé à près de 3 000 l.t.96.
32Après la mort de leur associé, Rey et Magneval se détournent du marché antillais et quand quelques années plus tard, en 1759, ils sont sollicités par Balthazar David et Cie de Bordeaux qui, dans la perspective d’un prochain retour à la paix, préparent un nouvel armement pour Le Cap-Français, ils ne font guère preuve d’enthousiasme à l’idée de se réengager dans le commerce des Îles et se font, pour l’occasion, les porte-parole de milieux d’affaires lyonnais apparemment échaudés par leurs premières expériences en matière de négoce ultramarin et d’investissements à la mer et de ce fait très réticents à l’idée d’en courir à nouveau les risques, tant en raison des aléas conjoncturels que des contraintes structurelles de ce type de commerce, à moins d’être assurés d’en retirer des profits confortables :
« Nous connaissons peu la nature et l’avantage de ce commerce [avec Saint-Domingue], mais nous ne doutons point que ce ne soit par l’expérience que vous en avez fait que vous êtes déterminé à former ce projet, et que vos lumières et vos connaissances, ainsi que la position favorable de votre place pour les principaux articles et la célérité des dits armements, rendront cette affaire très bonne pour vous et tous ceux qui y prendront des actions. Votre plan nous paraît très bien concerté et, lorsqu’il y aura lieu, nous pourrons bien y prendre une action, et nous nous ferons un plaisir d’engager nos amis à en prendre aussi. Ce ne sera uniquement que dans la vue de vous obliger et non l’intérêt qui nous fera agir. Mais à vous dire notre avis, cette place [de Lyon] donne difficilement dans des pareilles affaires et, aujourd’hui, on en est dégoûté plus que jamais par la mauvaise réussite de presque tous les corsaires dans lesquels on a pris des intérêts. Vous nous dites que ce projet est bien différent et qu’il ne doit d’ailleurs s’exécuter que lorsqu’il n’y aura point d’ennemis à craindre. Tout cela est bien, mais néanmoins on ne se déterminera que très difficilement et sur un espoir moral d’un profit honnête. On a toujours vu dans tous les plans qu’on fait pour des affaires de cette espèce des grandes espérances de gains. L’événement est assez souvent contraire. Nous souhaitons que le vôtre ne soit pas dans le même cas97. »
33Leur correspondance ne laisse donc plus apparaître de relations suivies avec des marchands établis aux Îles. En outre, depuis 1749, ils ont progressivement intensifié leurs relations avec l’Espagne et en particulier avec Cadix. Désormais ils écoulent une partie de leurs marchandises sur les marchés de l’Amérique espagnole. Bientôt Guillaume Rey, l’aîné des fils d’Antoine, s’établit même dans le port andalou et y crée sa propre maison. Mais, après la guerre de Sept Ans, c’est par l’intermédiaire d’un autre de ses cadets, Philippe Rey, que la maison Rey Magneval tente de reprendre pied aux Antilles. D’abord garde-magasin à la Désirade, il devient en effet, en 1763, secrétaire de l’Intendant De Peinier à la Martinique. Mais, en l’absence de toute correspondance d’affaires, il semble que les quelques envois que put alors faire la société Rey Magneval, avant sa liquidation en 1767, se soient limités à des articles expédiés en pacotille à la consignation de Rey fils qui, parallèlement à ses activités administratives, se chargeait de les écouler auprès de marchands de Saint-Pierre ou de Basse-Terre, non sans difficultés en raison, par exemple, de la concurrence de « Provençaux » qui, d’après le marchand guadeloupéen Bioche, cassent alors le marché en apportant des soieries en grandes quantités, ne laissant espérer que « peu de bénéfices » à ceux qui s’aventurent alors dans ce commerce98.
La nation suisse de Lyon et le commerce ultramarin
34Alors qu’au début du XVIIIe siècle le grand commerce lyonnais est définitivement passé sous le contrôle de marchands du crû, qui ne tardent d’ailleurs pas, pour la plupart d’entre eux, à se qualifier de « négociants », parmi les nations étrangères implantées dans la ville, les plus nombreux sont les Suisses et les Genevois, qui occupent une place de choix au sein de la communauté marchande. La plupart sont originaires de Saint-Gall et contrôlent depuis plusieurs décennies déjà le commerce des toiles de lin qui, comme toutes les marchandises venues de Suisse, bénéficient depuis 1516 d’une exemption totale des droits d’entrée aux foires de Lyon. Ce régime de franchise perdure jusqu’à la fin de l’Ancien Régime et s’applique bientôt aux cotonnades, dont la Suisse devient au cours du siècle un des premiers centre de production en Europe. C’est dans les années 1670 que les premières manufactures d’indiennes sont apparues à Genève, pour se développer après la révocation de l’édit de Nantes, avec l’arrivée de blanchisseurs et d’imprimeurs venus du Dauphiné et du Languedoc, qui fondent alors les principales fabriques d’indiennes aux Eaux-Vives, au Pré-l’Évêque, à la Coulouvrenière et aux Pâquis99. Cette activité se développe ensuite dans le canton de Bâle et à Neuchâtel, où Pourtalès et ses associés contribuent à lui donner une dimension européenne100. À Saint-Gall, le tissage de la futaine – qui mêle fils de lin et de coton – commence dès les années 1720, mais c’est deux décennies plus tard que les manufactures saint-galloises commencent à leur tour à produire des indiennes. Après 1750, Lyon devient donc le premier entrepôt de l’industrie saint-galloise en Europe et c’est à partir de là que les marchands de Saint-Gall organisent leur commerce. Parmi les plus actifs de ces négociants, citons d’abord les Zellweger101 qui exportent leurs toiles de coton, futaines, mousselines, indiennes et dentelles dans toute l’Europe, de l’Espagne à la Russie, mais aussi au-delà des mers, vers les Amériques. Sur l’ensemble de notre période, Herbert Lüthy répertorie une quinzaine de noms de négociants saint-gallois établis à Lyon : Sollicoffre, Scherer, Sellonf, Fitler, Locher, Hogguer, Schobinger, Gonzebat, Horutener, Wegelin, Councler, Studer, Zellweger, Guiguer, Scheidlin et Finguerlin102. À leurs côtés, les Genevois renforcent leur présence et prennent une nouvelle importance dans la deuxième moitié du siècle, à la faveur de l’essor du commerce des indiennes, dont Genève est devenue un foyer de production majeur, notamment depuis que Jean Fazy y a fondé sa fabrique des Bergues, en 1729. Mais les Genevois concurrencent aussi de manière plus directe les productions de la Fabrique lyonnaise, en exportant également des soieries, des dorures et, davantage encore, des galons, des rubans, des franges, des tresses, des dentelles, des ganses et des boutons103, en sus des articles de joaillerie et d’horlogerie qui assurent eux aussi une solide réputation aux industries qui bordent les rives du Léman.
35À Lyon, les négociants suisses vivent plutôt au nord de la presqu’île, et d’abord dans la paroisse Saint-Nizier, quartier largement peuplé par les négociants, ce qui témoigne de leur bonne intégration dans la société mercantile lyonnaise. Ainsi la maison Zellweguer et Ougster se trouve-t-elle rue Sirène, Devillas et Cie et Weguelin et Felz rue neuve, Frauer et Weguelin place des cordeliers, Zellweguer frères et Cie rue du Buisson, tout comme Fitler et fils104. D’autres sont installés dans la paroisse voisine de Saint-Pierre et Saint-Saturnin comme Sollicoffre, rue du mulet, ou Laurent Councler et Cie, Scheidelin Finguerlin et Cie, Daniel Hourtener et Cie, rue du bas d’argent105. Bien que « Lyon n’[ait] jamais été une ville majoritairement protestante106 », ces négociants suisses et genevois se distinguent du reste du négoce lyonnais par leur appartenance à l’Église réformée. En effet, comme le fait observer Yves Krumenacker, « le protestant lyonnais type est donc un négociant d’origine suisse. Il appartient à une élite de la richesse [et] il joue un grand rôle économique107 ». Près des trois quarts des huguenots lyonnais seraient alors liés au monde du négoce108, entre le tiers et la moitié d’entre eux étant des Suisses, principalement originaires du canton de Berne, tandis qu’un autre quart est genevois109. « Le noyau de la communauté réformée est bien, pendant toute notre période, la bourgeoisie, et particulièrement celle qui est liée au négoce. C’est à la fois la catégorie la plus nombreuse et la plus stable ; c’est elle aussi qui fait vivre tous ceux qui travaillent le textile et une relativement importante domesticité. À côté d’elle subsiste une forte minorité de commerçants et d’artisans ainsi que toute une foule de métiers liés au textile110. » Krumenacker cite un mémoire de 1777 qui énumère, parmi les maisons suisses installées en France, 63 maisons lyonnaises, dont 15 de Berne, 11 de Saint-Gall et 10 de Neuchâtel111. Une de leurs originalités est alors de s’intéresser au commerce maritime, comme Feronce, Scherer, Delessert, Eynard, Devillas ou Couderc et Passavant, ces derniers ayant été les derniers correspondants de la Compagnie des Indes orientales avant sa disparition en 1769.
36Dès le début du siècle, ces négociants suisses ont donc contribué à ouvrir le négoce lyonnais sur de nouveaux horizons maritimes, et notamment sur le Ponant et les territoires ultramarins. Malgré leur envergure modeste, les maisons saint-galloises se sont très tôt montré les plus entreprenantes en la matière à l’instar, par exemple, des marchands toiliers Specht et Gonzebat ou des banquiers David et Sébastien Cuentz. Installés à Lyon vers 1700, les frères Cuentz pratiquent d’abord pendant une dizaine d’années le commerce des toiles, avant de s’orienter vers la banque, leur principale activité au lendemain de la guerre de Succession d’Espagne. Si, dans la décennie qui suit, entre 1715 et 1725, la Suisse, le sud de l’Allemagne, l’Italie du nord, le Lyonnais et la vallée du Rhône jusqu’à Marseille sont au cœur de leur espace commercial, ils traitent néanmoins des affaires dans la péninsule ibérique – on leur connaît des correspondants à Barcelone, Madrid, Lisbonne et Séville – à Amsterdam et à Anvers ainsi qu’à Saint-Malo112. Dans une lettre adressée à Sébastien Cuentz, qui vient de s’établir « dans la grande ville de Paris », on apprend que, pendant la guerre, la maison Cuentz expédiait des toiles « pour l’Amérique et les Indes espagnoles », en droiture depuis Nantes, certainement à bord des frégates malouines de la Mer du Sud. Dans cette missive, le nantais Struijkman informe son correspondant qu’il ne pourra plus désormais en être ainsi, « parce qu’il y a ordre de la Cour de Madrid et de la Chambre de Contractation et commerce de Séville dans tous ses ports d’arrêter et confisquer toutes sortes de vaisseaux, tant français que d’autres nations étrangères qui y iront à l’avenir » et que les exportations vers l’Amérique espagnole ne pourront donc plus se faire que « à la manière d’accoutumance comme ci-devant depuis cent ans, c’est-àdire par la voie de Cadix », à bord de navires espagnols, ce qui ferme d’ailleurs un débouché aux toiles d’Allemagne que la maison Cuentz pouvait charger jusqu’alors, puisque les Espagnols les font directement prendre à « la rivière de l’Elbe et Hambourg ». Cette lettre nous apprend également que les Cuentz font venir des ports du Ponant des matières tinctoriales depuis les colonies françaises de l’Amérique, puisque Struijkman propose de la cochenille, du rocou et de l’indigo de Saint-Domingue et ce, selon lui, à des conditions plus intéressantes qu’à Saint-Malo, La Rochelle et Bordeaux, dans la mesure, assure-t-il, où ces ports non seulement « ne font pas ou n’ont point fait tant de commerce comme nous autres ici dans cette ville depuis plusieurs années », mais ne disposent pas de « cette rivière de Loire qui traverse tout le cœur du royaume [...] et porte les bateaux jusqu’à Roanne qui n’est qu’à deux journées ou quinze lieues de Lyon113 ».
37Fondée en octobre 1717 par Jean Henri Gonzebat, marchand saintgallois, et son associé allemand Loth Specht, la maison Specht et Gonzebat pratique pendant six années le commerce des textiles, soieries et toiles notamment, des matières tinctoriales et des denrées coloniales, ainsi que des piastres114. Les deux associés s’investissent pleinement dans cette activité risquée et n’hésitent pas à préférer le commerce direct à leur compte ou en participation au commerce de commission qu’ils pratiquent peu. Si l’essentiel de leur espace commercial s’étire le long d’un axe qui va de Marseille à Nuremberg et prend appui sur les trois pôles que sont Marseille, Genève et Paris115, ils entretiennent aussi une correspondance d’affaires avec les principaux ports de la façade atlantique d’où ils font venir les marchandises d’Amérique, Bordeaux, la Rochelle, Nantes116, Saint-Malo et Rouen. De Bordeaux et de Rouen ils expédient des marchandises vers les marchés du nord, toiles, soieries et verdet en particulier, vers Amsterdam, Hambourg et Altona, d’où ils font venir parfois du fer blanc117. Par contre ils se tournent vers Saint-Malo, Nantes, La Rochelle et Marseille pour acquérir des piastres, de l’argent en barres, en pignes ou en lingots, à la fois pour financer leur commerce avec le Levant et pour répondre à la demande de la Fabrique de Lyon. Déjà, en 1714, Gonzebat, qui n’était pas encore associé à Specht et qui se présentait comme « banquier à Lyon », cherchait à acheter des piastres à La Rochelle auprès de Joseph Merle et Rocaut, mais aussi à Saint-Malo auprès de D’Ausseville, et à Nantes auprès de Lory118.
38Après 1750, les membres de la nation suisse de Lyon sont bien engagés dans le commerce ultramarin. Déjà très présents dans le commerce d’Espagne, ils expédient dorénavant leurs marchandises vers les îles françaises de l’Amérique. Les maisons Zellweger, Sollicoffre, Scheidlin, Weguelin et Councler sont alors, nous l’avons vu, de celles qui entretiennent des relations avec les Antilles qu’elles approvisionnent en toiles et d’où elles font venir les matières tinctoriales nécessaires aux industries linières et cotonnières mais aussi, à l’instar des Zellweger, des denrées coloniales comme le café de Saint-Domingue. Un certain nombre d’actes de procuration signés alors devant les notaires lyonnais témoignent de ces échanges. Sollicoffre et Felz envoient ainsi à plusieurs reprises des « marchandises » à la Martinique119. La maison Devillas et Cie a elle aussi des débiteurs à Saint-Pierre comme Laforcade et d’Argenton, Chapelle, Hébert frères, Goussoulin, Litée ou Bouché120. Ces exportations vers la Martinique semblent se faire par l’intermédiaire du port de Marseille, alors que ceux qui privilégient le marché dominguois, comme Zellweger et Ougster puis Zellweger frères et Cie, Scheidlin et Finguerlin, ou Laurent Councler et Cie, se tournent plutôt vers Bordeaux, où ils peuvent compter sur l’appui de commissionnaires suisses mais aussi de coreligionnaires protestants, hambourgeois et hollandais notamment. C’est ainsi qu’en août 1750 la maison Councler et Cie fait charger par Bethman et Imbert, de Bordeaux, cinq balles de toiles destinées à Martel et Augeret, négociants au Cap Français121. Quant à Scheidlin et Finguerlin, ils font transiter quatre balles de toiles par le port girondin en août 1743, pour les envoyer à Vivier, un autre négociant du Cap, tout comme celles qu’ils font charger en septembre 1748 à l’adresse de Carrère et Camy122. Il semble donc que la courte décennie de paix qui s’ouvre au lendemain du traité d’Aix-la-Chapelle ait joué un rôle important dans l’ouverture du négoce lyonnais sur les horizons maritimes ultramarins et que quelques uns parmi les plus importants négociants de la nation suisse de la ville aient contribué à cette ouverture, tout comme ils vont ouvrir, une vingtaine d’années plus tard, le négoce lyonnais au commerce avec l’Inde et avec la Chine.
Les exportations lyonnaises vers les Îles : tentative d’évaluation
39En 1729, Fontenay, un correspondant des frères Roux établi à Léogane, conseille aux armateurs marseillais de ne pas omettre dans leurs expéditions pour Saint-Domingue des « bas de Lion » et des « taffetas hunies de belles couleurs123 », ceci afin d’être en mesure de répondre aux nouveaux besoins des habitants, que l’essor de l’économie sucrière autorise désormais à réclamer aux négociants des ports des soieries, des étoffes brochées d’or et d’argent, des velours, des bas de soie et des dentelles124. D’ailleurs, une quinzaine d’années plus tard, toute bonne cargaison pour les Îles chargée à Marseille doit, selon Gaston Rambert, comprendre « six malles de souliers de luxe pour dames, deux malles de pommades, six malles d’ouvrages de mode, une malle de bijouterie fine, deux malles d’étoffes en dorure et galons, et 54 000 l.t. de soieries », marchandises toutes tirées des manufactures de Lyon et de Nîmes125.
40Mais quelles marchandises le négoce lyonnais envoie-t-il précisément aux Îles ? Un « mémoire sur l’approvisionnement des colonies », véritable plaidoyer contre l’ouverture du commerce colonial aux nations neutres, rédigé en avril 1756 par Parent, un des directeurs de la Chambre de Commerce de Lyon, nous apporte quelques éléments de réponse126. En effet, dans le dixième paragraphe, il dresse un « état des marchandises expédiées de Lyon aux isles françaises d’Amérique pendant l’année 1755 ».
Mémoire « contre la concession accordée à toutes les nations amies de transporter dans nos îles les provisions et marchandises dont elles pourraient avoir besoin »
Article10
Lu lors d’une session extraordinaire de la Chambre de Commerce de Lyon, mardi 13 avril 1756
« Il est temps de descendre à des objets plus immédiats et qui intéressent directement le commerce de cette ville, quelque modique que soit l’exportation de nos marchandises aux isles françaises, comparaison faite avec celle des autres provinces du royaume. Cet objet est cependant de trois ou quatre millions au moins en temps de paix, le relevé que nous avons fait des marchandises sorties de Lyon pour nos colonies pendant l’année 1755 – année que nous pouvons dire du commerce en temps de guerre, puisque les déprédations des Anglais ont arrêté tout d’un coup. Les expéditions se montent, suivant l’état à 1 019 689 l.t. [pour] 360 acquits pris à la Douane pour les isles françaises, tandis qu’on en délivrait 850 pendant l’année 1754, acquits [qui] comprenaient chacun plus du double de marchandises que les expéditions faites en 1755. Il faut observer que les marchandises qui peuvent jouir pour Marseille des exemptions accordées par les arrêts des 13 et 15 octobre 1743 ne sont point comprises dans les acquits, parce qu’elles y sont expédiées comme passant à l’étranger ; cet objet doit être au moins de 400 000 livres. »
État des marchandises expédiées de Lyon aux isles françaises d’Amérique pendant l’année 1755
Savoir | |
290 698 de fromage | 101 744 l.t. |
47 151 de toile | 141 453 l.t. |
1 255 draps et estimé | 13 530 l.t. |
488 douzaines de chapeaux | 35 136 l.t. |
8 405 étoffes de soie | 504 300 l.t. |
1 125 ¼ de dorures et galons | 112 300 l.t. |
27 742 mercerie | 83 226 l.t. |
Effets à l’estimation | 28 000 l.t. |
| 1 019 689 l.t. |
41Il apparaît donc – et cela ne saurait être une surprise – qu’à la veille de la guerre de Sept ans Lyon expédie surtout vers les Antilles des « étoffes de soie » dont la valeur équivaut à elle seule à la moitié de la valeur totale des exportations, soit 504 300 l.t. sur un peu plus d’un million. Viennent ensuite, mais loin derrière, puisque représentant respectivement 14 %, 11 % et 10 % du montant global, les toiles, les « dorures et [les] galons » et le fromage. Les articles de mercerie, quant à eux, ne représentent que 8 % des ventes et les chapeaux 3,5 %. Bien sûr, cette évaluation n’est que formelle et correspond à une année très particulière, prémices à une période de repli du commerce colonial. En outre, elle ne tient pas compte des marchandises qui, parce qu’elles sont expédiées par Marseille, n’acquittent par les droits de la douane de Lyon et dont la valeur, selon Parent, s’élèverait alors à quelques 400 000 l.t. Cependant, le contenu de ce rapport corrobore un trait majeur qui ressort également de la correspondance marchande, savoir que l’essentiel des exportations lyonnaises vers les îles françaises de l’Amérique, comme vers tous les marchés extérieurs, qu’ils soient européens ou ultramarins, consiste en des marchandises de luxe, soieries, mercerie et passementerie, qui pourraient en représenter jusqu’aux trois quarts de la valeur.
42On estime habituellement à 43 millions de livres la valeur des exportations vers les îles françaises de l’Amérique en 1754127, l’année qui précède le déclenchement de la guerre de Sept Ans. Moins de six mois après le coup de force de l’amiral Boscawen contre la flotte de commerce française, le mémoire du directeur Parent évalue « à trois ou quatre millions au moins en temps de paix » la valeur des marchandises que le négoce lyonnais expédie habituellement aux Îles128. En ce milieu du XVIIIe siècle, cela représente donc entre 7 et 9 % de la valeur globale des exportations vers les colonies antillaises. Aussi, en supposant que cette proportion n’ait guère changé au cours des décennies suivantes et en tenant compte des données de la Balance du Commerce relatives aux exportations d’étoffes et de mercerie129, on pourrait donc estimer a minima la valeur du commerce lyonnais avec les Antilles entre quatre et cinq millions de livres par an à la fin de notre période, pour atteindre peut-être les sept millions de livres les meilleures années. On retrouve là un ordre de grandeur à peu près équivalent à ce à quoi était parvenu Maurice Garden à partir de l’analyse, pour la période 1763-1771, de ses bilans de faillites. Il constatait en effet que si les sociétés de son échantillon réalisaient 6,7 % de leurs ventes à destination du marché antillais, cette part, très faible chez les marchands, avec seulement 2,1 % des ventes seulement, était de 7,4 % pour les marchands-fabricants et de 8,8 % pour les négociants qui, sans surprise, étaient fort logiquement les plus présents sur ce créneau130. Au regard de la place qu’occupe alors le commerce d’Espagne qui offre alors, et de loin, leur premier débouché aux marchandises de Lyon, avec plus de 40 % de la valeur des exportations dans les années qui suivent le traité de Paris – presque 51 % quand on prend en compte les exportations vers l’ensemble de la péninsule ibérique131 – le commerce antillais ne tient donc qu’une place secondaire dans l’économie lyonnaise, mais elle est cependant loin d’être négligeable.
43L’essor des échanges ultramarins qui caractérise le XVIIIe siècle français a donc eu des répercussions sur l’économie de la ville de Lyon, dont les exportations vers les Îles françaises de l’Amérique se sont développées, particulièrement à partir des années 1740. Après avoir travaillé un temps pour le compte de négociants bordelais qui se tournaient vers eux pour constituer leurs « emplettes », ne considérant les marchés ultramarins que comme le prolongement des marchés portuaires, les Lyonnais se sont progressivement émancipés de cette tutelle, jusqu’à intégrer pleinement l’espace antillais dans leur stratégie de conquête de nouveaux marchés. En nouant des contacts directs avec des commissionnaires établis sur place, au Cap-Français et à Saint-Pierre principalement, les négociants se sont toutefois mieux appropriés le commerce antillais que les marchands-fabricants d’étoffes, de rubans et de chapeaux qui, de leur côté, sont restés plus longtemps dans le sillage des négociants des ports et des Îles. À cet égard, la maison Rey Magneval nous paraît être un cas isolé de négociants polyvalents, mais ne semble pas avoir fait école. Passée la guerre de Sept ans, le commerce colonial devient, sur la place de Lyon, l’affaire de négociants spécialisés dans le commerce à longue distance et traitant à la fois avec les Îles, la péninsule ibérique, le Levant et les pays du Nord. Ainsi Étienne Devillas, installé rue neuve dans la paroisse de Saint-Nizier sous la raison Devillas et Cie, entretient à la fois des relations avec la Martinique, Cadix, Hambourg, Leipzig, Dantzig, Stockholm et Saint-Pétersbourg. Les négociants prennent donc le pas sur les marchands et les fabricants dont les horizons restent nationaux, ou tout au plus élargis aux États voisins. C’est ainsi qu’après 1763, parmi les 28 signataires d’actes de procuration relatifs au commerce antillais que nous avons identifiés, un seul, Louis Lorin, se dit marchand, tous les autres étant qualifiés de négociants. Le monde du négoce se saisit donc du commerce avec les contrées les plus lointaines et il y a bien un changement d’échelle par rapport aux deux décennies qui précèdent la guerre de Sept Ans, quand un signataire de procuration sur trois se disait soit marchand (23 %) soit marchand-fabricant (10 %). En outre, ces acteurs lyonnais du commerce avec les Antilles nous semblent désormais moins nombreux dans la mesure où, parmi les 84 raisons sociales que nous avons recensées parmi les signataires de nos actes de procuration, 60 le font avant 1763 et 28 seulement après cette date132. Cependant, la période pendant laquelle les échanges avec les Antilles paraissent être les plus dynamiques et semblent concerner le plus d’acteurs sur la place de Lyon, pourrait bien avoir correspondu aux années 1750 à 1756, au cours desquelles les deux tiers des maisons de notre panel – 54 sur 84 – expédiaient des marchandises vers les Îles. Même s’il est probable que l’affirmation progressive de Marseille comme concurrent direct de Bordeaux dans le commerce en droiture ait pu contribuer à renforcer l’engagement des Lyonnais dans le commerce des Îles, celui-ci reste souvent empreint de prudence, dans la mesure où beaucoup de ses acteurs ne sont pas disposés à prendre trop de risques, compte tenu des délais et des incertitudes que supposent les échanges ultramarins. Parmi les plus audacieux, les premiers à se lancer véritablement dans le commerce en participation, nous avons pu repérer très tôt quelques négociants et marchands de toileries membres de la nation suisse comme Scheidelin et Finguerlin, Sollicoffre et Felz, Ougster ou Zellweger qui, en envoyant leurs marchandises à leur compte ou en compte partagé à la consignation de commissionnaires établis à Saint-Pierre ou au Cap-Français, et en s’appuyant sur de solides réseaux disposant de relais à Bordeaux et à Marseille, ont ouvert la voie à une nouvelle génération de négociants qui, après le traité de Paris, prend en main une partie importante du commerce avec les Îles et fait preuve de davantage d’initiative, y compris en engageant ses marchandises dans l’interlope avec les colonies espagnoles du Golfe du Mexique et de la Terre-Ferme. Un certain nombre d’actes de procuration, nous l’avons vu, témoigne de cet engagement direct. Par ailleurs, on peut observer que bien peu de ces négociants lyonnais vont jusqu’à spéculer en retour sur les denrées des Îles, sucre, café, cacao ou indigo. Quant à savoir si le commerce antillais de Lyon est déficitaire ou excédentaire, nous aimerions nous prononcer en faveur de la seconde hypothèse, ne serait-ce que parce qu’une grande partie des marchandises expédiées est de grande valeur. Nos exportations sont en effet composées pour moitié d’étoffes de soie et pour un quart de toiles de lin ou de coton et de « dorures et galons », auxquels s’ajoutent des chapeaux de castor, de la quincaillerie du Forez et du fromage de gruyère. Si elles ont vu leur valeur presque doubler entre le milieu du siècle et la fin de notre période, passant en une trentaine d’années de 3 à 4 millions de livres annuelles à 5 ou 7 millions, elles sont parvenues à représenter en valeur 7 à 8 % de la totalité des exportations lyonnaises et pèsent presque autant dans la structure du commerce de notre ville que dans celle du commerce de Bordeaux même si, en valeur, ces exportations bordelaises sont estimées à une dizaine de millions de livres, soit le double de la moyenne des exportations lyonnaises133. Il n’est donc pas improbable d’envisager, en nous appuyant sur les estimations de la Balance du Commerce134, que les produits du commerce lyonnais aient pu représenter, sinon « au moment de la Révolution » au moins dans les meilleures années de la décennie 1780, près de 10 % de la valeur globale des exportations françaises vers les Îles, ce qui confère bien au commerce « de type colonial » une place à part entière dans la structure d’ensemble des échanges de la ville de Lyon au XVIIIe siècle.
Notes de bas de page
1 Le Dictionnaire Universel du Commerce estime qu’au début des années 1720 « il sort de France pour les îles françaises environ pour quatre millions de livres de toutes denrées, manufactures et marchandises, et qu’on en rapporte pour près de sept millions ». Savary des bruslons J., op. cit., t. I, p. 506.
2 Poussou J. P., Bonnichon P., Huetz de Lemps X., Espaces coloniaux et espaces maritimes au XVIIIe siècle, Paris, 1998, 368 p.
3 Entre 1775 et 1788, la valeur des « draps et étoffes » exportés vers les Îles passe de 1 083 981 l.t. à 1 905 000 l.t. et celle des « articles de mercerie, fils, dentelles, galons et rubans » passe de 806 116 l.t. à 1 793 000 l.t. Globalement la part de ces marchandises dans l’ensemble des exportations vers les Antilles diminue légèrement puisqu’elles représentent 4,82 % de leur valeur totale en 1788 contre 6,7 % en 1775. Mais cette baisse ne peut être que conjoncturelle, conséquence d’une saturation du marché qui aurait conduit les négociants des Îles à limiter leurs commandes. Tarrade J., Le commerce colonial de la France à la fin de l’Ancien Régime. L’évolution du régime de l’Exclusif de 1763 à 1789, Paris, 1972, 398 p.
4 CCIM-P, L9-1102, Roux, connaissements des marchandises sorties de Marseille en direction des Antilles (1748-1790).
5 En 1784, Bordeaux aurait assuré 50,5 % des exportations de soieries vers Saint-Domingue, contre 44 % pour Marseille, Nantes et Le Havre se partageant le reste à hauteur de 3,9 % et 1,6 %. Butel P., Les négociants bordelais..., op. cit., p. 34.
6 ADR, 8B 730-4, Carret, corresp. Bordeaux, 1766-1776 ; 8B 876-5, Fiard, corresp. Bordeaux, 1766-1783.
7 ADR, 8B 730-21, Carret, reg. copies de lettres no 2 (1769-1772), Labadie et Petiniaud de Bordeaux, 16 juillet 1771.
8 ADR, 8B 876-9, Fiard, corresp. Marseille, Paris, 10 mars 1777.
9 ADR, 8B 909, Garat, reg. copies de lettres (1727-1729), Pierre Drouel de Nantes, 19 octobre 1728.
10 ADR, Actes notariés, 3E 6913, Patrin, fo 239, procuration en blanc de Laurent Councler et Cie, 28 août 1751.
11 ADG, 7B 1801, Pellet, Lyon, Mazard (1728-1729).
12 40 des 187 lettres envoyées par Carret et Cie à des correspondants bordelais entre 1767 et 1772 (21 %) sont adressées à Féger frères. ADR, 8B 730-21 et 8B 730-22, Carret, reg. copies de lettres no 1 (1767-1769) et no 2 (1769-1772).
13 ADR, Actes notariés, 3E 2861, Bertholon, procurations de Joseph Sarcey et Guinand et d’Étienne Guinand à Jean-Joseph Bertrand, 3 et 4 décembre 1740 ; 3E 6913, Patrin, procuration de Savarin et Cie et de Zellweger et Ougster à Nazaire Savarin, 1er mai 1750 ; 3E 3220b, Cabaret, procuration de François Faure à François Larnat, 20 septembre 1762. 3E 2843, Bernard, acte de procuration de Henri Chevalier à Pierre Chevalier, 19 novembre 1777.
14 ADR, 8B 1173-14, Rey Magneval, Guadeloupe, Bioche, 18 juin 1764.
15 Rambert G., op. cit., t. VI, p. 298.
16 Ibid., p. 432.
17 Ibid., p. 380 et 432. La valeur des exportations marseillaises pour les Îles était de 13 645 132 l.t. en 1786, p. 361.
18 Nous relevons, pour l’année 1788, 370 508 l.t. d’étoffes, 241 675 l.t. de rubans, 245 096 l.t. d’articles de mercerie, 132 561 l.t. de chapeaux et, pour 1787, 274 599 l.t. d’articles de bonneterie. Ibid., p. 432-433.
19 Ibid., p. 342 et 355.
20 Chambon A., Le commerce de l’Amérique par Marseille, 1764, t. 1, p. 247-248.
21 Ibid., p. 257.
22 CCIM-P, 9L-1050, Roux, lettres de voiture, Lyon (1767-1814).
23 CCIM-P, 9L-1256, Roux, produits manufacturés, soieries, factures (1730-1790).
24 CCIM-P, 9L-334, Roux, Lyon, Couderc et Passavant, 12 mai 1767.
25 Ibid., 20 juin 1773.
26 CCIM-P, 9L-341, Roux, Lyon, Guiraudet et Cie, 7 août 1772.
27 CCIM-P, 9L-1102, Roux, connaissements des marchandises sorties de Marseille en direction des Antilles (1748-1790).
28 Dermigny L., Cargaisons indiennes, Solier et Cie, 1781-1793, Paris, 1960, t. 2, p. 122-137.
29 La valeur de cette pièce de taffetas est évaluée à 3 195 l.t. net, portée avec les frais d’emballage et de transport à 3 203 l.t. 10 s., Duffour et Martin étant intéressés dans cette affaire pour 1 521 l.t. 15 s. ; Ibid., t. 2., p. 176-190.
30 En 1786, le compte d’achat des marchandises de L’Olympe mentionne la présence à bord d’une caisse contenant 100 parasols de taffetas achetés 1 737 l.t. 10 s. à Duffour et Martin et d’une autre caisse, dont le contenu n’est pas spécifié, chargée pour le compte de Duffour et Martin. La valeur des articles contenus dans cette seconde caisse se monte à 5 788 l.t., mais une partie de ceux-ci étant embarqués à titre de pacotille, le compte d’achat n’en retient que pour 4 780 l.t. 18 s. Ibid., t. 2, p. 198-212.
31 Dermigny L., op. cit., t. 2, p. 4.
32 Ibid., t. 2, p. 97.
33 Ibid., t. 2, p. 176-190 et p. 198-212.
34 Valeur, tous frais compris, des cargaisons de fromage de Gruyère achetées à Lyon et embarquées sur les navires antillais de Solier Martin Salavy : 903 l.t. 19 s. sur La Paix (1,37 % de la valeur de la cargaison) en 1781 et 599 l.t. 8 s. (0,8 %) en 1782 ; 2 447 l.t. 11 s. (2,29 %) sur L’Olympe en 1784 et 2 593 l.t. 10 s. (2,4 %) en 1785. Ibid., t. 2.
35 CCIM-P, 9-1049, Roux, lettres de voiture, Lyon (1728-1767).
36 CCIM-P, 9L-334, Roux, Lyon, Couderc et Passavant, 8 août 1766.
37 Savary des Bruslons J., op. cit., t. I, p. 506.
38 Garden M., « Aires du commerce lyonnais... », op. cit.., p. 282.
39 ADR, Actes notariés, 3E 2859 à 3E 2871a, Bertholon, 1738-1750 ; 3E 6910 à 3E 6924, Patrin, 1742-1774 ; 3E 3209 à 3E 3225, Cabaret, 1751-1771.
40 ADR, Actes notariés, 3E 2862, Bertholon, procurations en blanc de Gabriel Rigod et de Flandrin et Teste, 3 mars 1741.
41 ADR, actes notariés, 3e 2870, Bertholon, procuration en blanc de antoine tixerand, 8 février 1749.
42 ADR, actes notariés, 3e 3209, Cabaret, procuration en blanc de Jean Bournichon, 10 novembre 1751 ; procuration de rieussec Charret et Maurel à tessel et Mireilles, 29 décembre 1751 ; 3e 3210, Cabaret, procuration des frères Colomb à tourre, 2 août 1752 ; procuration de Barbe vorcanson à tourre, 2 septembre 1752 ; 3e 3212a, Cabaret, procuration de récamier et Cie, Mirmond et Cie et Claude François reydellet à Lory frères, 29 avril 1754 ; 3e 6914a, Patrin, fo 83, procuration en blanc de Gardelle père et fils, 21 avril 1752.
43 ADR, Actes notariés, 3E 3210, Cabaret, procuration en blanc de frères Collomb, 17 juillet 1752.
44 ADR, Actes notariés, 3E 6912b, Patrin, fo 438, procuration de Antoine-Joseph Duvernet au sieur Balan d’Augsbourg, 29 novembre 1749 ; 3E 6915, actes notariés, Patrin, fo 46, procuration de Antoine-Joseph Duvernet au sieur de Longemalle du Cap-Français, 8 mars 1755.
45 ADR, 3E 2870, Actes notariés, Bertholon, procuration de Jean-Baptiste Bauquis à Claude Dainval fils, 15 mars 1749.
46 À la différence de Garden, il nous apparaît délicat de faire une nette distinction entre les marchands et les marchands-fabricants, dans la mesure où certains marchands qui revendiquent une spécialisation, comme les marchands chapeliers ou le marchand de papier Durif l’aîné, peuvent aussi être des marchands-fabricants.
47 Le montant des créances dues à Mirmond et Cie et à Gardelle père et fils ne nous est pas connu.
48 La somme due à Coulaud le jeune et Coulaud reste imprécisée.
49 ADR, Actes notariés, 3E 3213a, Cabaret, procuration de Martin Henry Carié à Lamy frères de Saint-Pierre, 18 juin 1755.
50 ADR, Actes notariés, 3E 3209, Cabaret, procuration de Joseph Durbec et Cie à Louis Aycard, « capitaine commandant le vaisseau le Saint-Dominique de Marseille », 30 juillet 1751.
51 ADR, Actes notariés, 3E 3209, Cabaret, procuration en blanc de Jean Bournichon, 10 novembre 1751 ; 3E 3210, Cabaret, procuration de Barbe Vorcanson au sieur Tourre du Cap-Français, 2 septembre 1752.
52 ADR, Actes notariés, 3E 3212a, Cabaret, procuration de Récamier et Cie, Mirmond et Cie, Claude François Reydellet à Lory frères, « négociants au Cap Saint-Domingue », 29 avril 1754.
53 ADR, Actes notariés, 3E 3213a, Cabaret, procuration en blanc de Zellweguer et Cie, 16 mai 1755.
54 ADR, Actes notariés, 3E 3222b, Cabaret, procuration de Dutreul Colomès et Grimaud à Nicolas Tavernier, négociant à Bordeaux, 19 octobre 1764.
55 ADR, Actes notariés, 3E 3212a, Cabaret, procuration en blanc de Alligot et Cie, 25 mai 1754.
56 ADR, Actes notariés, 3E 3210, Cabaret, procuration en blanc de Frères Colomb, 17 juillet 1752.
57 ADR, Actes notariés, 3E 3213a, Cabaret, procuration en blanc de Jean Durif l’aîné, 7 janvier 1755.
58 ADR, Actes notariés, 3E 3211b, Cabaret, procuration en blanc de Flandrin Teste et Cie, 26 octobre 1753.
59 ADR, Actes notariés, 3E 2870, Bertholon, procuration en blanc d’Antoine Tixerand, 8 février 1749.
60 ADR, Actes notariés, 3E 2871a, Bertholon père, procuration de Lambert et Portalet à Bonnefond Cairon et Cie, négociants au Cap-Français, 14 mai 1750.
61 ADR, Actes notariés, 3E 2862, Bertholon, procuration en blanc de Flandrin et Teste, 3 mars 1741.
62 Ibid., procuration en blanc de Gabriel Rigod, 3 mars 1741.
63 ADR, Actes notariés, 3E 3210, 3E 3211b, 3E 3212 a, 3E 3213a, Cabaret, actes de procuration, 1752-1755.
64 ADR, Actes notariés, 3E 3210, Cabaret, procuration de conjointe de Rieussec Charret et Maurel et de Palerne l’aîné fils et Cie à Jean-Baptiste Tinet, négociant au Cap-Français, 2 août 1752.
65 ADR, Actes notariés, 3E 3212a, Cabaret, procuration de Récamier et Cie, Mirmond et Cie et Claude François Reydellet à Lory frères, négociants au Cap-Français, 29 avril 1754.
66 ADR, Actes notariés, 3E 3209, Cabaret, procuration en blanc de Jean Bournichon, 10 novembre 1751.
67 Ibid., procuration de Rieussec, Charret et Maurel à Tessel et Mireilles, négociants au Cap-Français, 29 décembre 1751.
68 ADR, Actes notariés, 3E 3210, Cabaret, procuration de Frères Colomb à Toure, négociant au Cap-Français, 1er septembre 1752.
69 Ibid., procuration de Barbe Vorcanson à Tourre, négociant au Cap-Français, 2 septembre 1752.
70 ADR, Actes notariés, 3E 6914a, Patrin, fo 83, procuration en blanc de Gardelle père et fils, 21 avril 1752 ; 3E 6915, fo 51, procuration de Gardelle père et fils aux frères Raby, négociants au Cap-Français, 12 mars 1755.
71 ADR, Actes notariés, 3E 3212a, Cabaret, procuration de Récamier et Cie, Mirmond et Cie et Claude François Reydellet à Lory frères, négociants au Cap-Français, 29 avril 1754.
72 Ibid., actes de procurations, avril 1754.
73 Ibid., procuration de Charles Cureau père à Maupoint le jeune, receveur du domaine au Cap Français, 11 janvier 1754.
74 ADR, Actes notariés, 3E 2861, Bertholon, procurations de Joseph Sarcey et Guinand et d’Étienne Guinand à Jean Joseph Bertrand, négociant à Saint-Domingue, 3 et 4 décembre 1740.
75 ADR, 8B 730-4, Carret, Bordeaux, Féger frères, 22 décembre 1770.
76 Ibid., 2 mars 1771.
77 ADG, 7B 1220, Cordier Joly et Cie, Lyon, Pillichody et Reboul, 23 juillet 1790.
78 ADR, 8B 1173-27, Rey Magneval, acte de société, 24 juillet 1745.
79 Issu de la prestigieuse dynastie de peintres d’origine néerlandaise, Louis-Michel Van Loo (1707-1771) est un des grands portraitistes du siècle des Lumières. Nommé peintre officiel de la Cour d’Espagne, il séjourne à Madrid entre 1736 et 1753, y peint plusieurs portraits officiels de Philippe v et participe à la fondation de l’Académie de peinture en 1752. Revenu en France l’année suivante, il peint des portraits de Louis XV et de grandes personnalités du royaume comme le duc de la Vrillière, le duc de Choiseul-Stainville ou encore son ami, le philosophe Denis Diderot. Ce dernier tableau, sans conteste l’une de ses œuvres les plus célèbres, est aujourd’hui exposé au Musée du Louvre. En 1765, il succède à son oncle, le célèbre Charles-André Van Loo, lui-même premier peintre de Louis XV, comme directeur de l’École royale des élèves protégés. Plusieurs tableaux de Van Loo font partie des collections du Musée national du Château de Versailles. Associé dans la première société Rey Magneval et Cie au titre de commandité jusqu’à sa dissolution en 1751, Louis-Michel Van Loo conserve vraisemblablement quelques intérêts dans la seconde société jusqu’au terme de sa liquidation en 1757.
80 Jean-Baptiste Joannès meurt à l’âge de 31 ans, le 30 avril 1753, au domicile du sieur Maisonneuve chez qui il vit, au deuxième étage d’une maison « appartenant aux pères jésuites », située « sur le bord de la rivière » à Saint-Pierre. ADR, 8B 1173-20, Rey Magneval, copie du testament de Jean-Baptiste Joannès, 10 avril 1753.
81 L’État de la succession de Joannès nous révèle qu’il se fournit presque exclusivement auprès de la maison Rey Magneval et Cie. À sa mort le montant des sommes qu’il doit à ses associés lyonnais s’élève à 27 000 l.t. Il doit aussi 2 000 L. à un autre fournisseur lyonnais, le marchand chapelier Duvernet et Cie. Ibid., État de la succession du sieur Joannès, avril 1753.
82 Nous avons pu établir, par exemple, que Rey et Magneval envoient à leur associé, outre des rubans de Saint-Étienne et des dentelles du Puy, des bas de soie achetés à Nîmes, de l’étamine d’Amiens, des articles de mode de Paris et diverses variétés de toiles de Rouen, Laval, Le Mans, Saint-Quentin, Reims et Sedan.
83 ADR, 8B 1173-20, Rey Magneval, acte de société avec Jean-Baptiste Joannès, 20 octobre 1748.
84 ADR, 8B 1173-14, Rey Magneval, correspondance reçue de la Martinique, Joannès, 20 mars 1752.
85 Ibid., 10 mai 1749.
86 Ibid., 1er décembre 1749.
87 ADR, 8B 1173-20, Rey Magneval, « Compte de vente des marchandises de Rey Magneval et Cie à moitié profit avec Jean-Baptiste Joannès entre le 10 mars 1749 et le 20 juin 1752 ».
88 ADR, 8B 1173-14, Rey Magneval, Martinique, Joannès, 12 décembre 1750.
89 Ibid., 30 mai 1749.
90 Ibid., 1er décembre 1749.
91 Ibid., 6 mai 1750.
92 Ibid., 12 décembre 1750.
93 Ibid., 26 juillet 1751.
94 Ibid., 20 mars 1752.
95 Ibid., Obrier, 17 juillet 1755.
96 L’inventaire après décès de Joannès mentionne, outre quelques pièces d’étoffes, de la gaze, des paquets de fil, des boutons d’or et d’argent, des garnitures de boutons, des rubans, des jarretières et des gants de soie pour femmes, la valeur du tout étant évaluée à 2 913 l.t. 13 s. 3 d. ADR, 8B 1173-20, Rey Magneval, « Note des marchandises de la pacotille de messieurs Rey Magneval de Lyon vendues juridiquement à Saint-Pierre le 30 avril 1754, état dressé par Claude Obrier, négociant, exécuteur testamentaire de Joannès ».
97 ADG, 7B 1252, Balthazar David et Cie, Lyon, Rey Magneval, 12 mai 1759.
98 ADR, 8B 1173-14, Rey Magneval, Guadeloupe, de Bioche à « M. Rey » (Philippe ?), 18 juin 1764.
99 Piuz A. M., Mottu-Weber L. (dir.), L’économie genevoise, de la Réforme à la fin de l’Ancien Régime, XVIe-XVIIIe siècles, Genève, 1990, p. 455-466.
100 Bergeron L., « Pourtalès et Cie (1753-1801) : apogée et déclin d’un capitalisme », Annales ESC, 1970, vol. 25, no 2, p. 498-517.
101 Wanner-Jeanrichard A., « Cotton fabrics in the eastern part of Switzerland in the 18th century », CIETA Bulletin, 2003, no 80, p. 68-74.
102 Lüthy H., La banque protestante en France de la révocation de l’Édit de Nantes à la Révolution, vol. 1, Dispersion et regroupement (1685-1730), Paris, 1959, réimp. 1970, p. 57.
103 Apparue dans les années 1540, la soierie genevoise se maintient en activité au XVIIIe siècle, notamment dans le secteur de la passementerie. Piuz A. M., Mottu-Weber L. (dir.), op. cit., p. 423-474.
104 ADR, Actes notariés, 3E 2864, Bertholon, procuration de Zellweguer et Ougster à Foret, marchand à Valence, 26 juin 1743 ; 3E 3219b, Cabaret, procuration de Weguelin et Felz à Savy frères, négociants à Carthagène, 28 juillet 1761 ; 3E 3225, Cabaret, procuration en blanc d’Étienne Devillas, 3 juillet 1770 ; 3E 3223, Cabaret, procuration en blanc de Frauer et Weguelin, 5 février 1765 ; 3E 3225, Cabaret, procuration de Zellweger frères à Bonnardel et Simond, négociants à Barcelone, 17 mars 1770, procuration en blanc de Fitler et fils, 8 août 1771.
105 ADR, Actes notariés, 3E 6920, Patrin, fo 114, procuration en blanc de Daniel Bonaventure Sollicoffre, 28 mai 1768 ; 3E 6913, Patrin, fo 230, procuration en blanc de Laurent Councler et Cie, 28 août 1751 ; 3E 6914b, Patrin, fo 184, procuration en blanc de Scheidelin Finguerlin et Cie, 4 octobre 1753 ; 3E 6916, Patrin, fo 106, procuration de Daniel Hourtener et Cie à Rebuffat, négociant à Carthagène, 12 mai 1757.
106 Krumenacker Y., Des protestants au siècle des Lumières, le modèle lyonnais, Paris, 2002, p. 15.
107 Ibid., p. 141.
108 Ibid., p. 130.
109 Entre 500 en 1 400 Suisses protestants vivraient alors à Lyon, ce qui représente moins de 1 % de la population de la ville ; ibid., p. 164.
110 Ibid., p. 135.
111 Ibid., p. 186.
112 Léon P., Papiers d’industriels..., op. cit., p. 188.
113 ADR, 8B 800-1, Cuentz, Saint-Malo, Eon, 7 juillet 1715 ; Nantes, Struijkman, 19 octobre 1715 ; 8B 800-8, La Rochelle, Pierre Moutier, 20 octobre 1715-11 janvier 1716.
114 Fayollet J., Les milieux d’affaires protestants et la grande économie mondiale : la maison Specht-Gonzebat de Lyon, 1717-1724, mém. DES, Lyon, 1966.
115 Léon P., Papiers d’industriels..., op. cit., p. 421.
116 En 1719 et 1721, la maison Specht et Gonzebat reçoit deux lettres de Laurencin, négociant à Nantes, qui l’informe de l’arrivée dans le port ligérien d’indigo en provenance de Saint-Domingue. ADR, 8B 1237-1, Specht et Gonzebat, Nantes, Laurencin, 25 juillet 1719 et 18 janvier 1721.
117 En 1720, Specht et Gonzebat font charger à Rouen des soieries et du fil de chèvre pour Amsterdam. Ils attendent également l’arrivée d’un navire de Hambourg qui transporte pour leur compte vint-quatre barils de fer blanc. Mais le bateau fait naufrage et, même si l’essentiel de la cargaison est sauvé, 5 des 84 barils sont perdus, perte heureusement couverte par une assurance. ADR, 8B 1237-1, Specht et Gonzebat, Rouen, Pierre Lhéritier, 13 août et 22 décembre 1720. À la fin de l’année 1721, ils reçoivent plusieurs lettres de la maison Veuve Molinié et fils de Bordeaux, à propos de six balles de verdet qu’ils ont achetées à Troussel et Cie de Montpellier et qu’ils veulent charger pour Altona « à la consignation de Henri Van der Smissen ». Mais comme à la fin du mois de novembre il est « trop tard pour les charger pour Hambourg et Altona à cause de l’hiver », que « la quarantaine est ordonnée dans ce pays de façon que les vaisseaux [...] tomberont infailliblement dans les glaces » et que « le Danemark a rompu tout commerce avec la France », les six balles de verdet sont chargées pour Amsterdam à bord du Jeune Mouton, un navire hollandais, et assurées sur la base d’une valeur de 2 000 l.t., la prime se montant à 75 l.t. Ibid., Bordeaux, veuve Molinié et fils, 1er et 22 novembre 1721, 13,20 et 23 décembre 1721.
118 En quête de piastres, Gonzebat relance en vain plusieurs fois Lory à Nantes, lequel, pendant plusieurs mois n’est pas en mesure de lui en proposer, faute de retours de la Mer du sud. Mais quand, en juillet, après l’arrivée de navires à Saint-Malo, elles sont enfin disponibles, il ne peut en acheter malgré un cours de 34 l.t. 10 s. le marc, inférieur à ce que Gonzebat proposait, car « sur peine de confiscation il n’est point permis de les porter ailleurs qu’aux monnaies ». Aussi se tournet-il vers d’Ausseville, à Saint-Malo, sans plus de succès semble-t-il. Dans le même temps, il en recherche également à la Rochelle, prêt à accepter un cours compris entre 36 et 39 l.t. le marc. Mais elles se vendent beaucoup plus cher, à 42 l.t. le marc. Finalement, il en trouvera à Paris. Ibid., Nantes, Lory, janvier-oct. 1714 ; Saint-Malo, d’Ausseville, février-oct. 1714 ; La Rochelle, Joseph Merle et Rocaut, mai-juin 1714.
119 ADR, Actes notariés, 3E 3209, Cabaret, procuration en blanc de Sollicoffre et Felz, 3 mai 1751 ; 3E 3212a, procuration à Mande frères, 13 avril 1754.
120 ADR, Actes notariés, 3E 3212a, Cabaret, procuration de Devillas et Cie à Laranc frères, 16 mai 1754 ; 3E 3215a, procuration en blanc, 25 janvier 1757 ; 3E 3217b, procuration à Laforcade et Dargenton, 21 juillet 1759.
121 ADR, Actes notariés, 3E 6913, Patrin, fo 239, procuration en blanc de Councler et Cie, 28 août 1751.
122 Ibid., fo 80, procuration de Scheidlin et Finguerlin à Martel et Angeret, 10 mars 1751.
123 CCIM-P, L 9, Roux, Cul de Sac de Léogane, Fontenay, 15 avril 1729.
124 CCIM-P, H 29, Isles d’Amérique, État sommaire du commerce fait par Marseille pendant dix ans, 1735-1744.
125 Rambert G., op. cit., t. VI, p. 116.
126 42 CCIL, reg. délibérations (1756-1759), mémoire sur l’approvisionnement des colonies, 13 avril 1756, fo 3-11.
127 Cabantous A., Lespagnol A., Peron F. (dir.), Les Français la terre et la mer, XIIIe-XIXe siècle, Paris, 2005, p. 228.
128 CCIL, registre des délibérations de la chambre de Commerce de Lyon, du 13 avril 1756 au 5 décembre 1759, mémoire sur l’approvisionnement des colonies, 13 avril 1756, fo 5-11.
129 Tarrade J., op. cit.
130 Garden M., « Aires du commerce lyonnais... », op. cit., p. 282.
131 Ibid.
132 Quatre maisons déposent des procurations avant et après la guerre de Sept Ans : Devillas et Cie, Durbec et Cie, Dutreul Colomès et Grimaud, Scheidlin et Finguerlin ; et deux autres poursuivent leurs activités sous une raison sociale différente : Muguet et fils qui devient Muguet père et fils puis Mathieu Muguet et Cie, et Gardelle père et fils qui devient Gardelle fils et Morel.
133 Butel P., Les Négociant bordelais..., op. cit., p. 25.
134 Arnould A. M, De la Balance du Commerce, Paris, 1791, p. 327.
Notes de fin
1 Les chiffres indiqués correspondent à la valeur globale des articles de Lyon embarqués sur chacun des navires répertoriés dans le tableau, valeur qui inclut les frais d’emballage, de transport et de chargement.
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