La Résistance sans fiction ? L’Armée des ombres (1943)
p. 233-253
Texte intégral
1Dans son éditorial du 24 juin 1944, à 12 h 401, quatre jours avant d’être abattu par la Résistance, le célèbre speaker de Radio-Paris, le chantre de la collaboration, Philippe Henriot ironisait, implacable, contre L’Armée des ombres :
« J’ai souvent eu l’occasion de m’étonner de ce que les gens qui peignent la vie de la France dans des émissions radiophoniques ou des ouvrages sont des gens qui n’y vivent point, ce qui enlève un certain crédit à leurs affirmations. Quand c’est de New York ou de Boston qu’on fait aux Français le tableau de l’existence qui est la leur, on peut bien admettre que les informations ne sont pas de première main. Entre tant de reportages ainsi truqués et fabriqués de toutes pièces dans des officines de propagande juive, nous en avons un sensationnel.
Hier à 16 h 30, Londres a retransmis une émission de La Voix de l’Amérique en français. L’émission était une chronique d’un certain James Gray sur un livre que vient de publier Joseph Kessel et qui s’appelle L’Armée des Ombres. Tout le monde a lu des ouvrages de Kessel. Certains d’entre eux témoignent d’un talent d’écrivain d’une singulière puissance. Mais Kessel est juif. Dès la défaite, il s’éloigna de Paris mais demeura en France quelques temps avant de gagner Londres. Et voici comment monsieur Gray parlait hier de son livre : ce que fait la France, Kessel nous le dit de façon telle qu’il n’est pas possible de l’oublier. La France, nous dit Kessel, n’a plus de pain, plus de feu, mais elle n’a plus de lois. Le héros national est le hors-la-loi2. Entendre dire par Kessel que la France n’a plus de pain, c’est doublement scandaleux. D’abord parce que Kessel, réfugié sur la Côte d’Azur en 1941 et 1942, n’y a jamais manqué de pain. Il y était même une des plus célèbres figures du marché noir. Et si la France n’a plus autant de pain qu’elle en devrait avoir, la faute en est aux hors-la-loi qu’en bon israélite Kessel chérit particulièrement, qui se sont spécialisés dans la destruction des batteuses et des récoltes, dans le sabotage des transports, dans le pillage des boulangeries et des magasins. Mais on se demande avec curiosité de quelles énormités Kessel a bien pu bourrer son livre pour que le commentateur de La Voix de l’Amérique puisse ajouter : “Un des meilleurs journaux des États-Unis publie un très bon article sur le livre de Kessel. L’auteur en est une femme. ‘ Nous autres, en Amérique, dit-elle, nous avons besoin d’un livre comme celui-là. Il est nécessaire que nous connaissions le maître d’école lyonnais qui est si mal nourri. Ses élèves sont si faibles qu’il ne leur demande plus d’aller au tableau noir car il sait que leurs jambes ne les porteront plus jusque-là3’”… Comme on comprend cette tendre américaine qui s’apitoie sur ces malheureux enfants, mais qui ne se demande même pas comment dans ces conditions leurs jambes ont pu les porter pour aller jusqu’à l’école. Mais Kessel est un excellent commerçant. Il connaît le genre de littérature qui se vend à New York. Il la fabrique sur commande. Seulement que l’on laisse les Yankees déguster ses âneries, qu’on ne nous les expédie pas chez nous, c’est le moins que l’on puisse demander4 […] » [non souligné dans le texte].
2Cet éditorial jamais publié5 illustre la réactivité de Philippe Henriot : si L’Armée des ombres est parue chez l’éditeur de la France Libre, Edmond Charlot, en novembre 1943 à Alger, sur fort mauvais papier, dans une édition courante serrée par « deux grosses et laides agrafes métalliques6 », l’édition à laquelle le speaker de Radio-Paris fait explicitement référence est celle sortie des presses de Pantheon Books Inc. le 30 mars 1944, la maison d’édition que dirige Jacques Schiffrin à New York. Mais si Henriot connaît l’existence du livre, et comprend l’importance que revêt ce premier – et rare texte dans la production littéraire de l’Occupation7 – décrivant la situation présente de la France occupée, émanant de l’un des plus populaires écrivains d’avant-guerre, massivement diffusé à l’échelle internationale8, il est clair que ce livre, Henriot ne l’a pas lu. Sa haine du « juif » Kessel le conduit à en extrapoler le contenu, à faire croire à ses auditeurs que L’Armée des ombres est un livre qui dénonce la famine en France, décrit les Français affamés, devenus l’ombre d’eux-mêmes… Le contresens prête à sourire : L’Armée des ombres se préoccupe peu ou pas de marché noir, ou de ravitaillement. Les Françaises et les Français qui y sont décrits ont faim. Mais plus d’honneur que de soupe.
3L’Armée des ombres se donne à lire comme une « chronique objective, authentique de la Résistance9 ». On ne peut qu’être frappé, en effet, par le souci que manifeste Kessel dans ses diverses « préfaces10 » de rompre toute attache avec la fiction, en insistant sur la véracité absolue de son texte : « Il n’y a pas de fiction […]. On ne trouvera assemblés ici sans apprêt et parfois même au hasard, que des faits authentiques, éprouvés, contrôlés, et pour ainsi dire quotidiens. Les sources sont nombreuses et sûres11 » ; « Tout ce qu’on va lire est vrai12. » À l’affirmation réitérée de ce « vrai sans roman » s’oppose la lecture de certains historiens qui voient dans L’Armée des ombres une œuvre de propagande pure, un livre « d’agit’prop » :
« Par ailleurs livre admirable, L’Armée des ombres […] recèle tous les poncifs que l’on retrouvera dans les récits, témoignages ultérieurs puis les études historiques d’après guerre. De la solidarité qui cimente une Résistance messianique et l’unit au peuple de France unanime et soudé dans son patriotisme, aux militants qui chantent La Marseillaise sous les tortures les plus ignobles, des bilans impressionnants des attentats, à la force, la discipline, la méthode qui caractérisent les “professionnels” que sont les communistes : tous les éléments de la légende sont en place13. »
4Si L’Armée des ombres était un livre de propagande, encore conviendrait-il d’analyser la manière dont l’écrivain Joseph Kessel (1898-1979) fait de la propagande, en prenant exemple sur l’article qu’Hélène Mélat a consacré à ce presque double de Kessel, comme lui juif et russe, comme lui correspondant de guerre, comme lui auteur de fictions sur le présent de la guerre : Ilya Ehrenbourg (1891-196714)… Mais L’Armée des ombres n’est pas un livre de propagande, notamment à cause de la complexe psychologie des personnages à la fois héros positifs et traîtres potentiels. Loin d’illustrer un genre éculé, L’Armée des Ombres pose dans des termes d’une grande nouveauté, le problème-piège pour l’historien des rapports qu’entretiennent L’Histoire, la Littérature et le Témoignage. Comment utiliser « un écrivain pour produire de la connaissance historique15 », surtout quand, comme dans L’Armée des ombres, tout paraît militer en faveur de la simplicité, l’auteur invitant le lecteur à désinvestir le texte de sa qualité littéraire au profit de sa dimension documentaire et informative ?
5« Écrivain journaliste ou reporter romancier16 », l’écriture, comme le souligne Georges Walter17, est au centre de la vie de Kessel, faisant de lui tantôt un « écrivain » (le romancier), tantôt un « écrivant » (le journaliste18). Ces positions de journaliste et d’écrivain, Kessel ne les dissocie pas, ne les sépare pas, tel Jacques Laurent publiant son œuvre « littéraire » sous son nom, son œuvre « populaire » sous le pseudonyme de Cecil Saint Laurent. Kessel, à l’inverse, mélange les genres, fait exploser les frontières, utilise le matériau rassemblé par le journaliste pour nourrir l’inspiration et le travail de l’écrivain : « Il était capable, à partir d’une aventure entendue ou vécue, […] » écrit son biographe, Yves Courrière, « de la publier dans un journal, puis de faire dans un autre le récit de son reportage […] et enfin de la transformer en nouvelle […]. Il fallait seulement qu’aucune des trois étapes ne déflorât le sujet romanesque19. » L’Armée des ombres n’échappe pas à cette chaîne d’écriture redoutablement complexe puisqu’elle oblige à d’incessantes itérations entre les différentes versions des textes publiés par un même auteur aux intentions changeantes. Les archives Kessel étant soit dispersées, soit inaccessibles, l’œuvre de Kessel se travaille presque exclusivement en accès libre, sans que l’on puisse être jamais certain d’avoir repéré tous les textes par lui publiés, republiés, avant d’être repris et retravaillés sous la forme d’un livre.
6En 1943, Kessel a quarante-cinq ans et quarante-six volumes à sa bibliographie20. Il avoue avec L’Armée des ombres le livre le plus difficile de sa carrière : « Or de tous les ouvrages que j’ai pu écrire […], il n’en est pas un qui m’ait demandé autant de peines que celui-là. Et aucun ne m’a laissé aussi mécontent21. » Comprendre ce livre exige, en réalité, un effort dont l’article-modèle d’une époustouflante érudition consacré par David Bellos à « L’histoire cachée d’Éducation européenne de Gary22 » laisse entrevoir l’intensité.
7Prenons l’exemple du traitement des sources. Les histoires de résistants reprises par Kessel dans L’Armée des ombres sont d’une nature particulière puisque, pour répondre à l’impératif de sécurité d’un livre publié « à chaud » (Jacques Lecarme), pendant la guerre, ces histoires ne doivent être ni inédites, ni secrètes : « On ne pouvait parler librement que […] des histoires qui sont en France tellement familières qu’elles n’apprennent plus rien à personne23. » Autrement dit, pour qu’une histoire de la résistance se retrouve dans L’Armée des ombres elle doit être rapportée par plusieurs témoins. Dominique Desanti raconte : « Nous avons été huit à […] raconter [à Kessel] à peu de choses près la même histoire (et sans doute bien plus à l’avoir vécue)24. » Le brouillage, produit par la superposition de récits successifs d’acteurs différents, Kessel l’accentue encore en « enchevêtrant » les pistes, recherchant pour son récit non pas le vrai mais le vraisemblable, ce qu’il résume d’une phrase : « Il fallait que tout fût exact, et, en même temps, que rien ne fût reconnaissable25. » Et ce tour de force Kessel va le réussir, aux yeux des lecteurs résistants de l’époque en tout cas :
« […] les faits restent vrais, et ce n’est pas du camouflage qui peut dérouter ou choquer d’anciens clandestins. Je n’ai pu, naturellement, vérifier moi-même l’exactitude de tous les faits qu’avance M. Kessel. Mais les quelques recoupements que j’ai pu faire ont tous eu le même résultat : dans chaque cas M. Kessel avait dit la vérité et parlé d’actes authentiques […] le livre reste vrai, ce qu’il dit est vrai, même si le contenu est choisi26. »
8Les lecteurs résistants ont donné quitus à Kessel pour le « vrai ». Mais qui s’est jamais soucié de savoir quelle part jouait la fiction dans le premier récit consacré à la première résistance, celle antérieure au 2 septembre 1943, date de la fin de composition de L’Armée des ombres27 ? Si la Résistance est apparue aux yeux du monde comme un événement au moment où elle était très affaiblie sur le sol national à la suite d’arrestations multiples opérées en son sein par les Allemands depuis la mi-194328, c’est à l’action d’hommes et de femmes anonymes qu’elle le doit certes, mais aussi au roman immédiat qu’a écrit Joseph Kessel. L’Armée des ombres ordonne une collection d’histoires disparates en un récit qui trouve non seulement un sens, mais où « les enchaînements de faits réels [sont] présentés de façon à faire apparaître leur signification en tant qu’éléments d’un “drame moral29” ». La lâcheté de Dounat, la course de Gerbier, la fille de Mathilde : les actes accomplis par les résistants soulèvent tous des problèmes ontologiques. Seul l’art de romancier de Kessel leur insuffle cette « insoutenable légèreté » qu’atteste la riposte de Gerbier à toutes les situations difficiles : le demi-sourire30.
9« Kessel travaille sur des sujets si romantiques qu’au lieu d’avoir à les développer, à les amplifier, il doit les discipliner, les classiciser. Il sait qu’en restant en-deçà, en ne disant que la moitié du tout, il atteindra son lecteur à coup sûr » écrivait Benjamin Crémieux dans La Nouvelle Revue Française à propos d’un recueil de nouvelles, Les Cœurs purs, publié par Kessel en 1927 : « Mesure dans la manière [de traiter les sujets] » : « voilà le grand don de Kessel31 », aussi présent dans L’Armée des ombres que dans ses œuvres de fiction les plus abouties.
Un livre de commande
10Kessel n’en a jamais fait mystère : l’idée de L’Armée des ombres ne vient pas de lui, mais du général de Gaulle.
11Arrivé à Londres le 23 janvier 1943, Kessel signe son engagement dans les Forces Françaises Libres moins d’un mois plus tard, le 10 février 1943, « avec le grade de sous-lieutenant, grade qui m’a été octroyé le 14 juillet 1918, au titre étranger, à l’escadrille S 3932 ». Malgré son envie de voler, peut-être aussi de retrouver la fraternité d’armes de L’Équipage – livre qui le rendit célèbre en 1923 – Kessel ne rejoint cependant pas une unité combattante. Vingt ans après, toujours volontaire, il est, cette guerre-là, trop vieux pour être mobilisé… Le 17 février 1943, il est affecté « à l’organe de combat de la France Libre », l’hebdomadaire ultra-gaulliste que dirige à Londres François Quilici : La Marseillaise33.
12Quand Kessel a-t-il précisément rencontré le général de Gaulle ? Entre son engagement dans les Forces françaises libres (FFL) et son affectation à La Marseillaise ? C’est probable : « Je demandais à être reçu par le général de Gaulle qui résidait à Carlton Gardens. Il m’a reçu très vite car tous ceux qui venaient de France l’intéressaient particulièrement. Il m’a interrogé longuement sur la Résistance, et sur l’état d’esprit des Français34. »
13De cette entrevue avec le général, il existe de multiples versions. La version que je privilégie ici est la plus ancienne que je repère, celle issue de l’un des « entretiens » de Kessel avec Michel Droit, diffusés sur France Culture en septembre 1969 :
« La première chose que j’ai faite c’était naturellement, une fois finies toutes les formalités de dédouanement pour des gens qui arrivaient clandestinement en Grande Bretagne, ça a été de demander au général de Gaulle de me recevoir. Je l’ai vu dans ses bureaux de Carlton Gardens. Naturellement, c’est un souvenir inoubliable : pour moi, c’était un être mythique que j’avais entendu à la radio avec toutes les difficultés que cela comportait en France occupée, et dont la voix nous a tous soutenus, enfin ceux qui étaient pour la lutte contre l’occupant. Sa taille, son visage, tout m’a fait une très forte impression. Il a commencé par m’interroger sur la France pour savoir ce qui se passait. Il m’a écouté longuement, attentivement. Quand ça a été fini, j’ai commencé moi à lui poser des questions. La première assez bête d’ailleurs, mais toute naturelle : “Mon général, qu’est-ce que vous pensez de la guerre ?” C’est la première fois où j’ai eu le sentiment de ce survol abstrait de l’histoire qui s’est résumé là dans une formule que je n’oublierai jamais. Il m’a répondu : “Mais c’est gagné, voyons. Il y a évidemment encore quelques formalités à remplir.”
Il faut penser que c’était en janvier 1943, que Stalingrad venait à peine d’être libérée, que les Allemands étaient encore en Tunisie, qu’on n’avait pas débarqué non seulement en Italie, mais même pas en Sicile, et que le débarquement sur les cotes françaises n’allait se produire que 15 ou 16 mois après. Mais il savait étant donné sa vue prodigieuse, et rapide, et à l’avance, des choses et des événements, que la guerre était gagnée, que les Allemands l’avaient perdu […]. Il m’a demandé ce que je voulais faire. Je lui ai dit que j’aurais voulu être dans une unité combattante. Il m’a dit : “C’est difficile, on ne sait pas quoi…” Il m’a fait comprendre que je n’avais pas les qualifications, en effet je n’étais ni spécialiste de chars, ni spécialiste d’infanterie. Pour l’aviation militaire j’avais passé l’âge. Je n’avais pas d’entraînement. Alors il m’a dit : “Écoutez ce que vous pouvez faire, puisque vous avez vécu cette vie, puisque vous connaissez la vie de la résistance, c’est d’écrire un livre pour apprendre au monde ce qu’est la résistance française.” Et sur ce conseil, j’ai écrit L’Armée des ombres35 […] » [non souligné dans le texte].
14De Gaulle, pour les premiers résistants, c’est d’abord une voix. D’où le choc que représente la première rencontre physique du général, dont tous les interlocuteurs notent la taille, comme si ce corps majuscule amplifiait encore la « grandeur », indissociable de la hauteur de pensée, lui permettant de voir littéralement et métaphoriquement plus loin que ses contemporains. Dans son récit à l’intention de Michel Droit, Kessel omet deux détails significatifs, repérables en confrontant son témoignage de 1969 avec la même histoire racontée par lui à Yves Courrière (1985), puis à Jean-Marie Baron (2006). Kessel a beaucoup écrit. Il a aussi beaucoup raconté sa vie, et il convient de traiter les interviews comme les textes, en reconstituant des séries, afin de repérer les variantes faisant sens.
15D’après Courrière, le général de Gaulle s’adresse à Kessel en lui disant : « Mon cher. » Autrement dit au grade donné en début de conversation – « Mon général » –, ce dernier ne répond pas, comme on aurait pu s’y attendre, par : « Mon lieutenant », mais par une amabilité civile : « Mon cher. » De Gaulle fait ici preuve d’une délicatesse formelle, qui n’a d’égale que sa fermeté : Kessel rejoint la France Libre en tant que civil, pas en tant que militaire. Et c’est parce que Kessel a déjà été affecté dans son esprit à une tâche civile, la « propagande des Forces Françaises Libres36 », sous la forme de l’écriture d’« un livre pour apprendre au monde ce qu’est la résistance française ».
16Courrière ajoute que le général de Gaulle demande à Kessel « d’apporter [son] témoignage aux journaux37 ». Dès le 7 mars 1943, Kessel s’exécute : on trouve sa signature dans La Marseillaise, au bas d’un article intitulé : « Le visage de la grande espérance », patchwork de témoignages émanant « des hommes et des femmes, des ouvriers et des bourgeois, des enfants et des sages » rencontrés en France par Kessel lors de ses déplacements, alors qu’il travaillait pour l’un des premiers réseaux constitués en zone sud sous la direction d’André Girard, le réseau Carte38 :
« Depuis que je suis à Londres, on m’interroge sans cesse sur les sentiments du peuple français et singulièrement sur ceux qu’il nourrit à l’égard du général de Gaulle. Rien n’est plus émouvant […]. On se sent […] le messager d’un autre monde […] mais aussi rien n’est plus angoissant. Comment prétendre refléter ou même connaître l’opinion d’un pays tout entier ? […] Aussi plutôt que d’affirmer, interpréter ou déduire je préfère raconter ce dont je suis sûr39. »
17Si l’on cherche du Kessel de propagande, avec des personnages stéréotypés tenant des propos convenus, on tient là un fort bon exemple. Mais l’intérêt de ce premier reportage fictif est ailleurs : il permet de mesurer l’écart entre un Kessel empêtré dans le réel, obligé de produire du récit avec des faits bruts, insuffisamment décantés par les diverses formes d’écriture auxquels il les soumet habituellement, sans imaginer entre eux d’attache romanesque… La différence avec L’Armée des ombres saute aux yeux : là éclate le talent d’un Kessel s’étant réapproprié son devoir de commande.
18Enchâssant les souvenirs des gens côtoyés à Londres et les siens propres, Kessel a bâti une intrigue et donné naissance à des caractères, plus fictifs les uns que les autres, dont il parvient à convaincre le lecteur résistant qu’ils sont lui, que ce personnage fictif raconte son histoire. Cette histoire singulière, universalisée par la fiction, est devenue destin. Tout lecteur ayant été d’Artagnan sera un jour Gerbier. C’est dans ce pouvoir de convaincre comme le note Romain Gary, et non dans le report « scrupuleux » des faits comme l’écrit Joseph Kessel, que réside l’authenticité du récit L’Armée des ombres : « Il n’existe pas d’autre critère d’authenticité et de vérité dans la fiction que le pouvoir de convaincre40. » Et si l’on cherche l’ombre du Général, ce n’est pas tant dans les discours ou les stratégies des uns et des autres qu’elle apparaît41, mais dans le parti pris du « happy end42 ». En 1943, la guerre est « gagnée » selon le général. Cet optimisme vital, alors que se déchaînent les forces contraires, renvoie Gerbier, après un court séjour à Londres, reprendre en France son rôle de chef de réseau : « Il est reparti pour la France bien portant et très calme. Il avait retrouvé l’usage de son demi-sourire43. » Le message gaulliste de L’Armée des ombres c’est ce « tout ira bien » délivré à des milliers de clandestins acteurs d’un combat inouï – « Jamais la France n’a fait de guerre plus haute plus belle44 » –, guerre dont l’écrivain gaulliste qu’est Joseph Kessel, dans une compétition ouverte avec l’Histoire, leur dit qu’ils sortiront vivants…
19Le Kessel journaliste grand style, ce n’est toutefois pas La Marseillaise qui l’accueille, mais bien plutôt le journal France.
20En effet, le premier article publié par Kessel sur le sol anglais l’est non pas dans La Marseillaise, journal de stricte obédience gaulliste auquel il est affecté on l’a vu, mais dans France… « l’équipe la plus immédiatement et la plus foncièrement méfiante envers de Gaulle45 », sans que toutefois cet antigaullisme fût apparent pour d’autres que pour les happy fews46. À la décharge de Kessel, c’est à France que se trouvent les copains, et si certains liens, tels ceux l’unissant à Cocteau seront irrémédiablement distendus par la guerre, l’amitié prévaudra toujours sur les désaccords politiques.
21Animé par un ancien de Paris-Soir, Charles Gombault, avec comme signature le fidèle André Bernheim, le copain d’escadrille, de virées et l’agent de cinéma, France, pour Kessel, c’est la famille, les amis, la « bande », celle qui dans les années trente écumait avec lui les cabarets russes de Pigalle. C’est aussi, et de loin, le journal de la France Libre le plus abouti, alliant une culture du fait divers qui rend le quotidien de la France occupée proche, et la vie sous l’emprise de la collaboration familière, à un traitement de l’information à l’anglo-saxonne où la guerre est analysée dans sa dimension mondiale.
22Le reportage que Kessel offre de Marseille occupée, – « Ce matin là, Marseille se couvrit d’énormes poteaux indicateurs : Nacht Cannebière » –, publié à la une, ne passe pas inaperçu : France rompt pour l’accueillir avec la règle habituelle de l’anonymat des articles. « Seuls les très grands noms de la presse, de la politique ou de l’armée avaient droit à cet honneur47. » Kessel demeure affecté à La Marseillaise, ne rejoint pas la rédaction de France où il est simple « pigiste »48.
23Ainsi que l’atteste le tableau de la pré-publication des divers chapitres de L’Armée des ombres que l’on trouvera en annexe, la dissémination de ses articles (dans France, mais aussi dans la très anti-gaulliste revue d’André Labarthe et de Raymond Aron, La France Libre), fait apparaître Kessel comme le gaulliste le plus œcuménique, celui qui fait le trait d’union entre les diverses composantes pour ne pas dire factions des Français Libres de Londres. Partout, par le contenu de ses articles, le choix de ses lieux de publication, Kessel s’affiche comme le journaliste rallié à la cause du général de Gaulle. Et cette prise de guerre est pour les gaullistes inappréciable au moment où l’autre grande figure d’écrivain-aviateur, Antoine de Saint-Exupéry, joue les trublions.
24Depuis fin décembre 1940, Saint-Exupéry réside à New York. Dans une « Lettre ouverte à tous les Français » « publiée en traduction dans le New York Times Magazine du 29 novembre 1942, puis en français dans le journal de Montréal Le Canada et en Afrique du Nord » avant d’être radiodiffusée « par les postes américains émettant en français », autrement dit de connaître une diffusion internationale, Saint-Exupéry défend « une vision substantialiste de l’histoire de la France où les régimes ne sont que des strates superficielles49 », ce qui range Vichy du côté des accidents, plutôt que des catastrophes. Mais en publiant cette Lettre, Saint-Exupéry sort surtout, me semble-t-il, du rôle de l’écrivain ayant pris ses distances avec le gaullisme, ce « fascisme sans doctrine50 », pour se transformer en un journaliste militant, un anti-gaulliste virulent, incitant chacun de ses lecteurs à prendre position contre la France Libre, et à envoyer un télégramme à Cordell Hull, ministre des Affaires étrangères américain, ainsi rédigé :
« We ask the privilege of serving in any way whatever. We desire the mobilisation of all Frenchmen in the United States. We accept in advance any organization that may be deemed the most desirable. But, hating any spirit of division among Frenchmen, we ask simply that the organization be outside politics51. »
25Entretenir si ouvertement des dissensions parmi les Français exilés en vue de concurrencer et de délégitimer un peu plus la position du gouvernement de la France Libre auprès des Américains, cela a un nom aux yeux du général de Gaulle : cela s’appelle une trahison. Et il ne la pardonnera jamais à Saint-Exupéry52. Quand pour contrer cette trahison, on peut faire donner la plume de Jacques Maritain, c’est bien53, mais quand on peut mobiliser le talent d’un Kessel, c’est mieux.
26On ne comprendrait pas la chaleur de l’accueil que le général de Gaulle réserve à Kessel en février 1943, si l’on omet de placer Saint-Exupéry au centre de la toile. D’où – toujours selon Courrière – l’idée qu’exprime le général que la fonction de Kessel est en Amérique : « Vous y ferez la propagande des Forces Françaises Libres »… Il ne pouvait décemment pas lui dire : « Vous y jouerez les anti-Saint-Ex », ce d’autant moins que les deux hommes se connaissaient et étaient amis : « Mon général, je préférerais rester en Angleterre. Là seulement j’aurais l’espoir de participer à des opérations militaires concrètes54. » Le général donne son accord, mais à condition que Kessel écrive « un livre pour apprendre au monde ce qu’est la résistance française ». Autrement dit, que Kessel écrive un livre pour apprendre au monde quel chef de guerre il est, lui, le général de Gaulle ayant réussi l’exploit de ranger derrière lui l’ensemble des Français qui luttent contre l’occupant toutes tendances politiques confondues. Saint-Exupéry aurait fait, selon une certaine presse, en 1942, cadeau à Pétain de son Pilote de guerre en jouant le jeu du « défaitisme réactionnaire55 » : L’Armée des ombres sera le pilote de guerre du général.
27Et après ce rappel des conditions de production du texte l’on contesterait que L’Armée des ombres soit autre chose qu’un livre de propagande ?
La chaîne vécu-vrai-vraisemblable
28Deux exemples illustrent les deux grands mouvements présents dans l’écriture de L’Armée des ombres que l’on pourrait présenter ainsi : comment une histoire rapportée à/connue de Kessel, une histoire vécue par un résistant en France, devient une histoire fictive ? Symétriquement, Kessel intègre dans les histoires « vécues », l’élément de fiction qui transforme des individus réels en personnage de son œuvre. Les résistants de L’Armée des ombres deviennent ainsi membres de la grande famille des « cœurs purs », partagent « cette amitié fraternelle qui ne se forge qu’en présence de la mort56 », qui n’est pas fondée sur la souffrance commune, mais sur la jouissance de la transgression partagée.
Premier exemple : comment Kessel maquille le réel
29Gilbert Védy dit Jacques Médéric, l’un des « patrons » du mouvement Ceux de la Libération, est à Londres en même temps que Kessel. D’après Courrière, les deux hommes se rencontrent au printemps 1943 : « Un soir, [Kessel] dînait en compagnie de Charlie [Charles Gombault] au Waldorf avec Médéric “sanguin, ardent à rire et à vivre57 […]”. » Médéric est de retour en France le 18 mars 1944. Il se suicide au cyanure quelques jours plus tard, le 21, à la suite de son arrestation par la police française. Médéric est, avec le représentant du Parti communiste français arrivé à Londres le 11 janvier 1943 (peu avant Kessel), et Gilbert Renault dit le colonel Rémy58, l’une des sources du personnage Philippe Gerbier de L’Armée des ombres.
30L’histoire vraie, le « canevas59 » à partir duquel Kessel construit son récit, pourrait être la suivante :
« Porte d’Auteuil, à la sortie du métro, un cordon de policiers arrêtaient tous les hommes, demandaient les papiers, fouillaient. Avoir une arme sur soi, c’est être livré à la Gestapo pour être exécuté. Médéric avait un revolver sur lui. Il le sort de sa poche, l’enveloppe d’un journal et le tient à la main. Il arrive devant le barrage de policiers, lève comme tout le monde les bras en l’air, se soumet à la fouille, puis de l’air le plus naturel du monde, fait passer son paquet d’une main dans l’autre pour chercher sa carte d’identité, la montre au policier, et la remet dans sa poche60. »
31À partir de ce matériau-là, Kessel raconte non pas une mais deux histoires dans L’Armée des ombres :
32L’une avec Philippe Gerbier comme témoin :
« Mon train s’arrête en gare de Toulouse plus longtemps qu’il ne devrait. Des agents de la Gestapo examinent les pièces d’identité. Ils sont dans mon wagon (de troisième). Ils sont dans mon compartiment. Pas d’incident. Leurs pas s’éloignent. Mais un autre policier survient et fait signe à l’un des voyageurs de le suivre. Le voyageur tourne le dos à l’Allemand, se baisse comme pour ramasser le journal qu’il a laissé tomber. Et nous voyons tous qu’il prend un revolver suspendu sous son aisselle, enlève le cran de sécurité, et le remet dans la poche de son veston. Tout cela très naturellement, très vite. Un calme parfait. Le voyageur prend sa valise et sort. Le train se met en route. Le voyageur reparaît. “Il avait fait une erreur” dit-il en reprenant sa place. Il coupe une cigarette en deux, et fume une moitié. Les conversations recommencent dans le compartiment61 » [non souligné dans le texte].
33L’autre avec Jean-François, le petit frère du grand patron, Luc Jardie, dit Saint-Luc, comme protagoniste :
« […] il a été arrêté à la descente du train. Par des policiers français.
De son passage dans les corps francs Jean-François a gardé le goût des grenades. Il en avait trois dans sa valise. Comme ses deux gardiens et lui avançaient parmi la foule des voyageurs dans l’étroite sortie de la gare, Jean-François a pu défaire la fermeture de sa valise et en répandre le contenu sur le sol. En ramassant ses affaires, il a glissé les grenades dans ses poches. Tandis qu’on le conduisait au commissariat, il s’est baissé deux fois pour renouer les lacets de ses souliers. Les grenades sont restées dans le ruisseau du trottoir62 » [non souligné dans le texte].
34La façon dont Kessel utilise le détail pour dissocier le vraisemblable du vécu est d’un grand intérêt. L’histoire vécue est verticale (« les bras en l’air ») ; l’histoire vraisemblable, horizontale (X et Jean-François se baissent qui pour ramasser un revolver, qui pour faire glisser des grenades). Mais le détail remplit aussi une fonction plus politique : toutes les scènes ont lieu en présence d’un policier français, et non des seuls Allemands. On peut voir là très directement une volonté de propagande : influer sur le comportement de certains policiers, en leur tendant le miroir qui fait d’eux des auxiliaires de la politique nazie. On peut aussi penser qu’en décrivant l’audace ordinaire des résistants armés pour échapper à la police française, Kessel décrit des situations limites, où des Français de bords opposés, face à face, en lutte à mort entre eux, laissent se déployer un registre d’action, le comportement astucieux ou malin, auquel la brutalité nazie ne laisse aucune chance.
35Par la répétition, Kessel détruit enfin la figure de l’individu héros, seul à même d’accomplir certains actes qui, dans L’Armée des ombres, sont l’ordinaire, leur répétition l’atteste, de n’importe quel résistant.
Deuxième exemple : comment Kessel « fictionnalise » une histoire vraie
36Autre exemple toujours tiré de la vie de Médéric.
37L’élimination du traître Paul Dounat rapportée au chapitre « L’exécution » de L’Armée des ombres (chapitre ii) est, en réalité, l’affaire Louis Goron. « Ce jour à 7 h 30 à Sèvres au lieu-dit Les Bruyères, il a été découvert dans un boqueteau le cadavre d’un individu atteint d’une balle de revolver à la tempe droite et d’une autre balle au-dessus du sein droit. La mort paraissant remonter à quelques heures […]. Le cadavre fut identifié […] comme Goron, Louis […]. Il s’agit vraisemblablement d’un crime politique », peut-on lire dans le rapport de police rédigé le 18 avril 194363. Ce jeune-homme traître, c’est Médéric lui-même qui s’est chargé de l’éliminer :
« Médéric n’était pas cruel, mais dans le combat qu’il menait depuis 1940, il avait appris à être implacable. Il avait un jour fait entrer dans son mouvement un jeune homme qu’il connaissait et qui ensuite a trahi. Il l’a puni lui-même et s’est chargé de l’exécution : “Ce n’est pas un beau travail à faire, disait-il, mais j’étais responsable64.” »
38Médéric élimine Louis Goron d’un coup de pistolet ; arme que, pour des raisons indépendantes de sa volonté, Gerbier ne peut utiliser : il ordonne donc à un de ses lieutenants, Félix, d’étrangler le traître Paul Dounat : « Avec… les mains ?… demanda Félix. – Non, dit Gerbier, il y a un torchon dans la cuisine, qui fera très bien65. » La justification théorique de cet assassinat, Kessel la trouve dans l’état de nécessité, cette théorie limite du droit pénal qui autorise la commission d’un crime (l’élimination d’un homme) si et seulement si ce crime permet de préserver un bien égal ou supérieur à celui qui a été éliminé : « Ne pas tuer Dounat c’était tuer Félix66. » Mais tuer un homme reste un geste insoutenable sans le secours de la fiction. D’un grain de beauté que possède Dounat et qui faillit tout compromettre :
« Un petit grain de beauté situé au milieu de la lèvre supérieure attirait l’attention sur sa bouche qu’il avait belle et tendre67. »
« Au lieu de cette justice farouche… une chanson de petite fille, les pas de ses complices qui résonnaient à l’étage supérieur et devant lui cet homme aux cheveux châtain clair, jeune, de figure triste et docile, avec son grain de beauté au milieu de la lèvre et qui regardait obstinément un couvre-pied rouge68. »
« Mais au moment de saisir Dounat par les épaules, Gerbier hésita. Il venait de voir sur le cou de Dounat, un peu plus bas que l’oreille un grain de beauté pareil à celui que Dounat avait sur la lèvre supérieure. À cause de cette petite tache, la chair qui l’environnait semblait plus vivante, plus tendre, et friable, comme une parcelle d’enfance. Et Gerbier sentit que cette chair n’était pas d’un grain capable de supporter la torture. Par cette chair, la trahison de Dounat devenait innocente69. »
39Signe de la fragilité extrême de l’homme qui excède sa condition présente de traître, le grain de beauté atteste, dans l’œuvre de Kessel, l’humanité du bourreau.
40Dans « Le caveau no 7 », nouvelle de La Steppe rouge, un grain de beauté arrête la main de Ieremeï, interrogateur de la Tchéka :
« Il n’y eut pas de détonation. ; à l’épaule gauche de la femme, Ieremeï venait de reconnaître un grain de beauté qu’il y avait aperçu déjà un soir, un soir unique dans son existence, et il s’était soudain senti impuissant à tuer, plus faible qu’un enfant qui pleure, plus pitoyable qu’un chien à l’agonie […]. Pour la première fois depuis qu’il abattait les des hommes, Ieremeï avait perçu le sens de son œuvre de bourreau70. »
41C’est parce que Ieremeï s’est interdit de « porter la main sur une vie humaine », que Gerbier qui lui n’est pas à la solde d’un oppresseur, mais mène un combat pour la liberté, une guerre juste, trouve la force de tuer Dounat, en dépit de son grain de beauté. Le changement de statut du grain de beauté, d’obstacle insurmontable à la possibilité d’une faiblesse dangereuse, atteste la faille introduite par la Seconde Guerre mondiale dans la vision du monde de Kessel : « Jusqu’à la guerre de 1940, pour être franc, j’ai aimé la guerre […] ce goût du jeu, de la vie et de la mort et un attrait immense pour le courage physique71. » Tout bascule avec la Seconde Guerre mondiale. La guerre n’est plus acceptable que parce qu’elle met en jeu les valeurs fondamentales du peuple qui choisit de la faire librement, que parce qu’elle se fait résistance… Mais alors elle devient radicalement acceptable, et il est permis de faucher les grains de beauté, ou de tuer pour elle.
Le « nomos » kesselien : la fiction et la loi
42La question essentielle que pose Kessel dans L’Armée des ombres n’est toutefois pas celle de la mort, même si la mort est omniprésente, et qu’il la reconnaît pour « singulière » quand elle survient dans la résistance72. La question essentielle que pose Kessel est celle de la loi, du non-respect systématique de la loi par les résistants : « Aujourd’hui, c’est presque toujours la mort, la mort, la mort. Mais de notre côté, on tue, on tue, on tue73. »
« La France n’a plus de pain, de vin, de feu. Mais surtout elle n’a plus de lois. La désobéissance civique, la rébellion individuelle ou organisée sont devenues devoirs envers la patrie. Le héros national, c’est le clandestin, c’est l’homme dans l’illégalité74 »
43écrit-il dans la « Préface ». Et sous la plume de Gerbier :
« L’illégalité est une évasion extraordinaire. Les papiers ? On les fabrique. Les tickets d’alimentation ? On les vole, dans les mairies. Voitures, essence ? On les prend aux Allemands. Gêneurs ? On les supprime. Les lois, les règles n’existent plus. L’illégal est une ombre qui glisse à travers leur réseau. Plus rien n’est difficile, puisque l’on a commencé par le plus difficile : négliger ce qui est l’essentiel, l’instinct de conservation75. »
44Un illégalisme aussi radical n’est possible que parce ce qu’il se fonde sur une certaine idée de la mort, volontairement acceptée : « Je [Gerbier] fais prévenir les nouveaux qui veulent entrer dans l’organisation qu’ils ne doivent pas compter sur plus de trois mois de liberté, c’est-à-dire de vie76. » Mais l’intérêt que Kessel accorde à la question de la loi le conduit à dépasser la description circonstancielle du combat résistant, et confère à la lutte clandestine une dimension philosophique qu’aucun autre écrivain n’a abordé.
« Nous habitons un nomos, écrit le juriste américain Robert Cover. Constamment nous créons et faisons subsister un monde du bien et du mal, du légal et de l’illégal, du valide et du non-valide […]. Dans cet univers normatif, le droit et la narration sont inséparablement liés. Toute prescription exige d’être […] pourvue d’une histoire […]. Et toute narration exige sa […] morale. […] La marque d’une grande civilisation juridique, c’est la richesse du nomos dans lequel elle se situe et qu’elle aide à constituer77. »
45L’Armée des ombres est la forme littéraire la plus accomplie de l’angoisse qu’éprouvent les juristes de la France Libre, au premier rang desquels la clef de voûte juridique de la France Libre, René Cassin :
« Le non-respect des lois était devenu au fond une cause du non-respect de la France. C’est une des choses les plus tristes de dire que dans un pays comme le nôtre, la loi n’était pas respectée. […] Ce manque de respect effectif de la loi […] est une des choses que, malheureusement, au lieu de trouver améliorées, nous trouverons aggravées. N’oubliez pas qu’actuellement, nous faisons du non-respect des lois de Vichy un article fondamental. Nos jeunes gens sont élevés dans la fraude, dans le marché noir, dans la résistance aux ordres de l’autorité […]. C’est la nécessité de défense nationale […]. Mais il ne faut pas nier qu’au lendemain de la guerre, il y aura un besoin immense de rétablir le respect des lois78. »
46Au moment même où le Droit et la Littérature parviennent à un constat identique, le Droit s’efforce, une fois n’est pas coutume, non de négliger ou de combattre, mais de satisfaire la Littérature en recherchant de concert avec elle une solution normative juste. Le Législateur (le socialiste André Philip, commissaire à l’Intérieur, et Jean Abadie, commissaire à la Justice, l’Éducation nationale et la Santé publique de la France libre) va, chose inouïe, imposer la culture résistante de l’illégal à la légalité de la IVe République par l’ordonnance du 6 juillet 1943 « relative à la légitimité des actes accomplis pour la cause de la libération de la France et à la révision des condamnations intervenues pour ces faits79 ». En mobilisant la notion de « légitimité », la France Libre entreprend de remodeler le droit d’une France libérée dont la sphère légale doit intégrer les actes condamnés sous Vichy. Révélateur de la bienveillance du législateur, les actes poursuivis par les tribunaux de Vichy ne sont pas désignés comme ayant été « commis » (ce qui les qualifieraient négativement, et les feraient apparaître comme délictueux), mais « accomplis » par les résistants80. En légitimant, c’est-à-dire en annulant non pas toutes mais certaines des condamnations prononcées par Vichy contre les résistants, les juristes de la France Libre ambitionnent d’inscrire la résistance dans l’histoire de la République non comme une réaction politique ou culturelle, mais comme un phénomène normatif. La contemporanéité et la similitude des préoccupations de l’écrivain et du législateur font de L’Armée des ombres bien autre chose qu’une « chronique de la résistance ». L’Armée des ombres est le commentaire littéraire en temps réel de l’une des ordonnances les plus révolutionnaires de la France Libre, où se lit l’aspiration à inscrire la résistance dans l’avenir de la France libérée en la faisant littéralement entrer dans le droit.
*
47L’Armée des ombres est le récit le plus moderne – nouvelles mises à part – de la bibliographie de Joseph Kessel. Ce texte, qui naturalise les techniques du roman américain, adopte dans le chapitre qui représente le tiers du roman, les « Notes de Philippe Gerbier » – probablement le premier titre du livre81 –, la technique de la « restriction du champ » (Georges Blin) ou, pour reprendre les propres termes de Kessel, celle « du coin du voile » (Je ne connais de la guerre que ce que je vois se dérouler sous mes yeux, ou ce que d’autres me rapportent avoir vu : « Je n’ai pas eu l’ambition folle de peindre la Résistance. Tout ce que j’ai pu faire, c’est de lever un coin du voile82 […] ») et la technique « objective » de la narration, celle du camera eye ou de l’œil-caméra mise en œuvre par Dos Passos dans sa trilogie des années 1920, Le 42e Parallèle, 1919, La Grosse Galette, mais aussi par Ehrenbourg dans La Chute de Paris publiée par Edmond Charlot à Alger en 1945. En écho à ses devanciers ou contemporains, Philippe Gerbier écrit :
« Les opinions subjectives et les sentiments n’ont aucune valeur. La vérité est seulement dans les faits. Je veux, qu’en j’en aurai le loisir, tenir compte quelque temps des faits que peut connaître un homme placé par les événements à un bon poste d’écoute de la résistance. Plus tard, avec le recul, ces détails accumulés feront une somme et me permettront de former un jugement83. »
48Cette manière de « stratifier les détails sauvegardés84 » marquera l’écriture de la Seconde Guerre mondiale : celle des acteurs-témoins (Daniel Cordier, Jean-Louis Crémieux-Brilhac) qui, des années plus tard, choisiront de se faire historiens de la période85.
49Dès 1943, Kessel montre que seule la fiction est à hauteur de résistance, peut rendre compte de cette forme de guerre morale qu’est la résistance. N’est-ce pas la voie de la fiction, du journal fictif qu’empruntera Cordier pour écrire ses Mémoires, sous le pseudonyme de Caracalla à lui attribué par Roger Vailland dans Drôle de jeu (Buchet-Chastel, 194586) ? Caracalla est fils de Gerbier, tout comme l’est aussi le partisan Janek de Éducation européenne (1945).
50Plutôt que d’opposer « radicalement » Drôle de jeu à L’Armée des ombres comme le fait Christopher Lloyd87, je préfère l’idée du « miroir inversé », l’« Avertissement » de Drôle de jeu, jouant à fond la carte de la fiction, répondant terme à terme à la « Préface » de Kessel niant tout caractère fictif de son texte. Quant à l’auteur de Forest of Anger (Cresset Press, 1944), première version de Éducation européenne, David Bellos écrit : « Gary [ engagé dans les Forces Aériennes Françaises Libres et membre de l’escadrille Lorraine, RAF 324 Squadron] n’a pas besoin de lire [L’Armée des ombres] pour apprécier l’intérêt général du nouveau texte de Kessel, car il croise son ami et lui parle assez souvent. Si le récit qu’il compose n’a pas beaucoup de ressemblances de détail avec celui de Kessel, il en partage quand même l’esprit et la structure. La Forêt engloutie [titre français du livre de Gary], ou L’Armée des ombres polonaises88… »
51L’Armée des ombres illustre une littérature d’occasions (au double sens du terme vu le mépris dans lequel il est de bon ton de la tenir) où des écrivains ayant choisi de s’engager physiquement dans la guerre (Vailland est responsable d’un réseau de résistance ; Gary et Kessel, pilotes dans la RAF), dignifient le présent. Exigeant la reconnaissance positive par le droit d’actions imposées par les circonstances, et condamnées par Vichy, L’Armée des ombres se distingue par sa prise en charge d’un futur, dont Kessel pressent qu’il passe par une redéfinition des fondements du droit, l’ordre nouveau ne pouvant être juste que s’il intègre le désordre ancien, l’illégal d’hier. Si, comme l’écrit Robert Cover, « à chaque constitution correspond une épopée, à tout décalogue une écriture89 », alors, bien davantage qu’une « chronique », L’Armée des ombres est l’épopée de la juste et nécessaire illégalité, revendiquant pour elle droit de cité dans la République rétablie.
52L’Armée des ombres fait se lever une génération d’écrivains illustrant une littérature de morale et d’action, échappant à l’étiquette de « littérature engagée » parce qu’elle se revendique « gaulliste ».
53Pendant et dans l’immédiate après-guerre, être écrivain gaulliste bénéficie de circonstances atténuantes. Mais rester gaulliste, passera, dans les milieux de gauche, pour impardonnable. Et ne sera pardonné ni à Kessel, ni à Gary.
ANNEXE. Chronologie et lieux de la pré-publication de L’Armée des ombres pendant la guerre (1943-1944)
Ordre de publication L’Armée des ombres | Ordre de parution dans la presse | Variantes | ||
« Préface » | L’Arche (Alger), no 1, 1944 | |||
Chap. i | « L’évasion » | 1 | France (Londres) no 892, 12 juill. ; no 901, 22 juill. 1943 | Pure forme |
Chap. iv | « Ces gens-là sont merveilleux » | 2 | La France libre (Londres), vol. 6, no 34, 16 août 1943, p. 265-272 et dans « l’édition anthologique pour la France » no 1, sans date, p. 24-28. | Oui |
Chap. ii | « L’exécution » | 3 | La France libre (Londres), vol. VII, no 37, 15 nov. 1943, p. 44-50. | Pure forme |
Chap. vi | « Une veillée de l’âge hitlérien » | 4 | La Marseillaise, (Alger) no 57, 4 décembre 1943 | Aucune |
Chap.v | « Les notes de Philippe Gerbier » | 5 | La Marseillaise, (Alger) no 58, 11 décembre 1943 ; no 71, 11 mars 1944 | Oui |
Chap. iii | « Embarquement pour Gibraltar » | 6 | France (Londres), no 1133, 21 avr. 1944 ; no 1134, 22 avr. 1944 ; no 1144, 4 mai 1944 | Oui |
Chap. vii | « Le champ de tir » | 7 | Fontaine (Alger), no 30, 1944, p. 463-469. | Pure forme |
Chap. viii | « La fille de Mathilde » | - | Non retrouvé dans les journaux consultés | |
« Il est ici » | France-Amérique (New York), no 529, 31 oct. 1943. Non intégralement repris dans L’Armée des ombres |
Notes de bas de page
1 Je tire ces précisions du livre de François-René Nans, Philippe Henriot, Godefroy de Bouillon, 1996, p. 385, ouvrage dont l’intérêt principal est de fournir un éphéméride thématique des émissions de Henriot.
2 Citation quasi-exacte de la « Préface » de L’Armée des ombres [1943], Presses-Pocket, 2007, p. 8.
3 « Quant aux enfants, [l’instituteur] n’ose plus les envoyer au tableau noir. Leurs jambes ne les portent plus. Ils tombent de faim », ibid., p. 129.
4 Éditorial de Philippe Henriot, 24 juin 1944. Source : Archives INA.
5 Les Éditoriaux prononcés à la radio par Philippe Henriot, édités en quatorze volumes par le ministère de l’Information en 1944, s’interrompent le 15 juin 1944.
6 Témoignage de Hubert Bouccara, « le » libraire de Kessel à Paris, par courriel le 8 octobre 2009.
7 Jacques Lecarme, « Romans à chaud et après coup de la collaboration » (à paraître) : « Nos écrivains, poussant la réserve jusqu’à la schizophrénie ou la peur de la censure jusqu’à la paralysie, n’évoquent jamais la situation d’une France occupée […] », trahissant une véritable « inhibition face au présent ». Sur l’importance du temps présent pour les résistants, voir Alya Aglan, Le Temps de la résistance, Actes sud, 2008, p. 67-72.
8 Dès 1944, L’Armée des ombres est traduit en anglais : Joseph Kessel, Army of shadows, translated by Haakon Chevalier, London, Cresset Press, 1944. C’est chez Cresset Press que Romain Gary publiera en décembre 1944, la première version de Éducation européenne, sous le titre : Forest of Anger. Voir David Bellos, « Le malentendu : l’histoire cachée d’Éducation européenne », in Jean-François Hangouët et Paul Audi (dir.), Romain Gary, l’Herne, coll. « Cahiers », 2005, p. 150-151. La traduction de H. Chevalier est reprise, la même année, aux États-Unis : Joseph Kessel, Army of shadows, translated by Haakon Chevalier, New York, A.A. Knopf, 1944. L’année 1945 verra deux éditions en langue française de L’Armée des ombres : l’une à Paris en co-édition : Joseph Kessel, L’Armée des ombres, Charlot-Alger, Julliard-Paris, novembre 1945 ; l’autre à Londres : Joseph Kessel, L’Armée des ombres, Éditions Penguin, London, 1945. Cette édition était annoncée dans France, no 1144, 4 mai 1944 comme devant « paraître prochainement en librairie à Londres, dans une nouvelle collection française aux éditions Penguin ». Des problèmes de papier semblent avoir retardé la parution.
9 Alain Tassel, La Création romanesque dans l’œuvre de Joseph Kessel, thèse de doctorat nouveau régime, sous la direction du professeur Pierre Brunel, Université de Paris IV-Sorbonne, 1994, vol. 1, p. 77. Le mot « chronique » qui apparaît sur la couverture de l’édition Schiffrin, ne sera pas repris par les éditions de 1945.
10 J’ai repéré, au moment de la rédaction de ce texte, en décembre 2009 donc, trois préfaces publiées de L’Armée des ombres. L’une figure dans le volume L’Armée des ombres de 1943 aux éditions Charlot, et est citée dans la suite du texte « Préface » d’après l’édition Pocket d’avril 2007, p. 5-9 ; l’autre paraît dans le premier numéro de la revue L’Arche, février 1944, p. 69-72 avec comme titre, « Sur un livre de guerre » (couverture) et « Préface à un livre de guerre » (titre courant). La troisième intitulée « Avertissement », rédigée à Londres, le 8 septembre 1943, mais exclusivement publiée dans l’édition américaine, L’Armée des ombres. Chronique de la résistance, op. cit., p. 7-12.
11 « Préface » citée, p. 5.
12 « Avertissement », cité, p. 11.
13 Jean-Marc Berlière, Frank Liaigre, Liquider les traîtres. La face cachée du PCF 1941-1943, Robert Laffont, 2007, p. 468, note 497. Pour une vision autrement positive, voir Laurent Douzou, La Résistance française : une histoire périlleuse, Le Seuil, coll. « Points-Histoire », 2005, p. 36-37.
14 Hélène Mélat, « Ilya Ehrenbourg ou la griserie de l’écriture performative », Études littéraires, vol. 36, no 1, Écrivains encombrants, été 2004, p. 77-92. Accessible sur internet. Je remercie Jean-Pierre Salgas de m’avoir signalé cet article.
15 Christian Jouhaud, Dinah Ribard et Nicolas Schapira, Histoire Littérature Témoignage, Gallimard, coll. « Folio-Histoire », 2009, p. 90.
16 Pascal Genot, Du journaliste à l’écrivain : le reportage comme inspiration dans la création romanesque de Joseph Kessel, sous la direction du professeur Philippe Baudorre, Université Michel de Montaigne-Bordeaux III, 2005, p. 26.
17 Michel Ohl, Georges Walter, Un chalet sur la Neva. Michka et les Kessel, Atlantica, 2006, p. 21 et dans l’émission de Françoise Estèbe, Jean-Claude Loyseau, « Une vie, une œuvre », 25 septembre 2008, sur France Culture : « Kessel a été un grand journaliste parce qu’il était un grand écrivain avant tout » ; « Sans imagination, on n’est pas un grand journaliste. »
18 Roland Barthes, « Écrivains et écrivants », in Essais critiques, Le Seuil, coll. « Tel quel », 1964.
19 Yves Courrière, Joseph Kessel ou sur la piste du lion, Pocket, 1986, t. I, p. 257.
20 Précision transmise par Hubert Bouccara, libraire à « La Rose de Java », qui m’a également fourni une copie de la bibliographie intégrale de l’œuvre de Joseph Kessel qu’il est entrain d’achever.
21 « Préface », citée, p. 5.
22 David Bellos, « Le malentendu… », art. cité.
23 « Préface », citée p. 6.
24 Dominique Desanti, La Liberté nous aime encore, op. cit., p. 103.
25 « Préface à un livre de guerre », citée, p. 69.
26 Critique de L’Armée des ombres par L. Bruneau, La Voix de la Résistance, no 17, 23 novembre 1946.
27 Mention figurant dans l’édition Schiffrin, op. cit., p. 262.
28 James Steel, Littératures de l’ombre, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1991, p. 143.
29 Hayden White, « The Value of Narrativity in the Representation of Reality », in W. J. T. Mitchell (éd.), On narrative, Chicago Univ. Press, 1980, p. 20. Traduction de Françoise Michaut.
30 « Quand Gerbier regardait quelqu’un avec attention […] son éternel demi-sourire se fixait en un pli sévère et l’on eût dit que ses yeux se fondaient en un seul feu noir », in L’Armée des ombres, op. cit., p. 21.
31 Cité in Alain Tassel, La Création romanesque dans l’œuvre de Joseph Kessel, thèse citée, p. 12.
32 Dossier administratif militaire de Joseph Kessel no 6696. Source : Service Historique de la Défense, département Air.
33 Jean-Louis Crémieux-Brilhac, La France Libre [1996], Gallimard, coll. « Folio-Histoire », 2001, t. I, p. 501-502.
34 Joseph Kessel, Ami, entends tu… Propos recueillis par Jean-Marie Baron, [2006], Gallimard, coll. « Folio », 2008, p. 337.
35 Archives INA.
36 Yves Courrière, Joseph Kessel, op. cit., t. II, p. 68 et Joseph Kessel, Ami, entends tu…, op. cit., p. 338.
37 Ibid.
38 Thomas Rabino, Le Réseau Carte : histoire d’un réseau de la Résistance, antiallemand, antigaulliste, anticommuniste et anticollaborationniste, Perrin, 2008.
39 Joseph Kessel, « Le visage de la grande espérance », La Marseillaise (Alger), no 39, 7 mars 1943.
40 Romain Gary, Pour Sganarelle [1965], Gallimard, coll. « Folio », 2003, p. 58.
41 « Et puisqu’il y a des nains qui le discutent encore : “Est-il gaulliste ?”, la question n’est pas posée dans le livre de Kessel. Un émissaire arrive de Londres. Il s’égare. Il va être pris. Il dit à un inconnu chez qui il frappe : “Je suis un officier du général de Gaulle.” On le cache […] Jean-François, un des héros du livre, le frère du Patron, est poursuivi dans la rue. Il crie : Gaulliste ! Gaulliste ! La foule le sauve. On a honte d’avoir à prouver encore et contre des Français que la Résistance a choisi de Gaulle pour la représenter », PAW, France-Amérique, no 561, 11 juin 1944 et Joseph Kessel, L’Armée des ombres, op. cit., p. 157, 164-165 pour les deux histoires mentionnées.
42 Sur « le “happy end” loin d’être une facilité […] », Romain Gary, Pour Sganarelle, op. cit., p. 72.
43 Joseph Kessel, L’Armée des ombres, op. cit., p. 253.
44 Ibid., p. 8. Voir aussi les « Notes de Philippe Gerbier », ibid., p. 155 : « J’ai su que nous faisions la plus belle guerre du peuple français. Une guerre matériellement peu utile puisque la victoire est assurée même sans notre concours. Une guerre à laquelle personne ne nous oblige. Une guerre sans gloire. Une guerre d’exécutions et d’attentats. Une guerre gratuite en un mot. Mais cette guerre est un acte de haine et un acte d’amour. Un acte de vie. »
45 Jean-Louis Crémieux-Brilhac, La France Libre, op. cit., t. I, p. 252. Voir aussi Robert Belot, La Résistance sans de Gaulle, Fayard, 2006, p. 27-28 et p. 553.
46 Cité in Charles Gombault, Un journal, une aventure, Gallimard, 1982, p. 40.
47 France. Liberté, Égalité, Fraternité, no 782, 4 mars 1943.
48 Charles Gombault, Un journal, une aventure, op. cit., p. 37.
49 Emmanuelle Loyer, Paris à New York. Intellectuels et artistes français en exil 1940-1947, Grasset, 2005, p. 103-104.
50 Curtis Cate, Saint-Exupéry, [1973], Grasset, 1994, p. 362.
51 Saint-Exupéry, « An Open Letter to Frenchmen Everywhere », The New York Times magazine, 29 novembre 1942, p. 35. « Nous demandons le privilège de servir dans quelque domaine et de quelque manière que ce soit. Nous espérons vivement la mobilisation de tous les Français sur le sol des États-Unis. Nous acceptons par avance toute forme d’organisation la mieux adaptée qui soit. Mais, haïssant l’esprit de division parmi les Français, nous demandons simplement que cette organisation soit apolitique. » Ma traduction.
52 Le général de Gaulle a pendant toute la durée de la guerre témoigné la réserve la plus extrême envers Saint-Exupéry, quand ce n’est pas une franche aversion, comme lors de ce fameux discours du 30 octobre 1943 où, rendant hommage à Alger à la résistance des écrivains, il ne mentionne volontairement pas le nom de Saint-Ex. Voir Curtis Cate, Saint-Exupéry, op. cit., p. 362.
53 Jacques Maritain, « Il faut savoir juger », La Marseillaise (Le Caire), no 34, 25 avril 1943 et Emmanuelle Loyer, Paris à New York, op. cit., p. 104.
54 Yves Courrière, Joseph Kessel, op. cit., t. II, p. 68.
55 L’expression est d’Étiemble cité in Emmanuelle Loyer, Paris New York, op. cit., p. 103. Je ne comprends pas la réaction d’Étiemble : on peut trouver faibles les digressions philosophiques de Saint-Exupéry à la fin de ce volume consacré à ses dernières missions dans la bataille de France en mai-juin 1940, mais reprocher à ce texte son « défaitisme réactionnaire » n’a aucun sens.
56 Joseph Kessel, « La croix », in La Steppe rouge [1923], Gallimard, coll. « Folio », p. 145.
57 Yves Courrière, Joseph Kessel ou sur la piste du lion, Pocket, 1986, t. II, p. 75.
58 Ibid., p. 89 : « Philippe Gerbier, l’homme fort, le chef sans faiblesse, mélange de Rémy et de Médéric. »
59 Sur l’utilisation des « canevas » par Restif de la Bretonne dans Les Contemporaines du commun (1777-1784), consulter David Coward, « Aux sources du conte rétivien : les canevas », Études rétiviennes, no 21, décembre 1994, p. 31-33.
60 Lucie Aubrac, « Jacques Médéric », La France libre, no 44, 15 juin 1944, p. 100-101. Ce n’est pas de Lucie Aubrac, qui n’arrive à Londres que le 8 février 1944, alors que L’Armée des ombres est terminée, mais probablement de Médéric lui-même que Kessel tient l’histoire. Il se peut aussi très bien que Médéric ne soit pas la source unique de Kessel pour l’épisode fictif qu’en tire le romancier.
61 L’Armée des ombres, op. cit., p. 134-135.
62 Ibid., p. 157.
63 Source : AN, Fontainebleau 880 506 liasse 1, série 15 213, dossier 240. Je remercie Patrice Miannay pour son aide dans toutes les recherches concernant Médéric.
64 Lucie Aubrac, « Jacques Médéric », art. cité, p. 101.
65 Joseph Kessel, L’Armée des ombres, op. cit., p. 69.
66 Ibid., p. 71.
67 Ibid., p. 56.
68 Ibid., p. 66.
69 Ibid., p. 71.
70 Joseph Kessel, « Le caveau no 7 », in La Steppe rouge, op. cit., p. 176. Agafia, que le bourreau de la Tchéka, Ieremeï, s’apprête à tuer est une prostituée dont il est tombé fou amoureux. C’est pour avoir les moyens de coucher avec celle-ci qu’il a accepté de travailler pour la Tchéka.
71 Marion Renard, « Un entretien avec Joseph Kessel », Le Monde, 14 juin 1974.
72 Pierre Laborie, « Mort », in François Marcot, Bruno Leroux, Christine Levisse-Touzé (dir.), Dictionnaire historique de la Résistance, Robert Laffont, 2006, p. 957.
73 Joseph Kessel, L’Armée des ombres, op. cit., p. 132.
74 Ibid., p. 8.
75 Ibid., p. 134.
76 Joseph Kessel, L’Armée des ombres, op. cit., p. 209.
77 Robert M. Cover, « Nomos et narration ». Dans la traduction lumineuse de Françoise Michaut, Le Droit dans tous ses états à travers l’œuvre de Robert M. Cover, L’Harmattan, 2001, p. 69-71.
78 Allocution de René Cassin : « La Constitution de 1875 et sa réforme », le 10 juillet 1943. Source : AN, fonds René Cassin, 382 AP 72.
79 Journal Officiel de la République française (Alger), no 5, 10 juillet 1943, p. 23.
80 Intervention de Lauréline Fontaine, « Obéissances et désobéissances légitimes au droit ». Colloque « Droit et légitimité », Caen, 19-20 novembre 2009 (actes à paraître).
81 La Marseillaise, no 57, 4 décembre 1943, annonce la publication la semaine prochaine « d’un ouvrage plus important de l’auteur de L’Équipage : Notes de Philippe Gerbier ».
82 Joseph Kessel, « Avertissement ». L’Armée des ombres. Chronique de la Résistance, op. cit., p. 12.
83 Joseph Kessel, L’Armée des ombres, op. cit., p. 125.
84 Laurent Douzou, La Résistance française : une histoire périlleuse, op. cit., p. 37.
85 Ibid., p. 214-220.
86 Daniel Cordier, Alias Caracalla, Gallimard, coll. « Témoins », 2009.
87 Christopher Lloyd, « Roger Vailland et le roman de la résistance », Cahiers Roger Vailland, no 12, décembre 1999, p. 16 et p. 18-19.
88 David Bellos, « Le malentendu… », art. cité, p. 160.
89 Robert M. Cover, « Nomos et narration », art. cité, p. 70.
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