L’année 1942 dans les journaux intimes des écrivains français
Regards sur la question juive
p. 59-81
Texte intégral
1Le corpus des journaux tenus par les écrivains français sous l’Occupation est si vaste qu’il serait bien ambitieux de prétendre en donner une recension exhaustive, d’autant qu’un nombre non négligeable de ces journaux ne se trouve plus en librairie, hors occasion, sans compter ceux qui n’ont jamais fait l’objet d’une publication et qui dorment dans les fonds d’archives. Aussi nous a-t-il semblé raisonnable de nous en tenir au corpus édité et encore accessible au lecteur simplement curieux de les lire « chez soi », indépendamment du recours aux bibliothèques et autres lieux de conservation, quelle que soit la richesse de leurs collections. L’esprit qui nous anime, dans le cadre de cette réflexion collective – qu’est-ce qu’écrire en situation d’« occupé » ? –, en appelle en effet, d’abord et avant tout, au témoignage et, si la tâche des chercheurs est d’exhumer des documents ignorés du public, leur mission est de les lui faire connaître, le plus aisément possible. Nous ne prétendons pas, pour autant, avoir puisé dans l’ensemble des ouvrages disponibles, tel ou tel titre ayant pu nous échapper1 ; notre souci a été de couvrir un champ littéraire le plus étendu possible, aussi bien sur le plan chronologique qu’idéologique et de donner voix à des écrivains soit confirmés – voire célèbres –, soit en herbe, leur future carrière révélant, après coup, leur lucidité ou leur… versatilité. On trouvera ci-dessous la recension des journaux dépouillés, leur statut respectif sous l’Occupation ainsi que la situation de leur auteur au début de la Seconde Guerre mondiale.
2D’évidence, les milliers de pages que représentent ces dizaines de journaux, ne serait-ce que pour la seule période qui nous intéresse, ne permettent pas une étude précise de chacun des aspects pris par la présence des Allemands sur le territoire français si l’on veut s’en tenir aux limites imparties ; il a donc fallu choisir, c’est-à-dire privilégier un moment et une question. Le moment, c’est l’année 1942, véritable tournant de la guerre pour les raisons que l’on sait : la déportation massive des Juifs français2, le débarquement des Alliés en Afrique du Nord, l’invasion de la zone « nono », entre autres faits déterminants à l’échelle internationale. À la lecture des journaux tenus par nos écrivains au cours de cette « année terrible », on ressent un surcroît d’émotion, d’inquiétude mais aussi d’espoir quant à l’issue du conflit, après l’abattement des débuts de l’Occupation et avant les ténèbres de 1943. La question, qui se décline en divers modes, c’est celle de l’idée qu’on est capable de se faire de l’homme et de l’humanité en des temps où le mot « humanisme », tellement honoré pourtant au cours des années trente, paraît n’avoir plus aucun sens, moins du point de vue politique qu’ontologique. Se questo è un uomo, se demandera Primo Levi à son retour des camps, tout comme Robert Antelme s’interrogera sur L’Espèce humaine et Louis Martin-Chauffier sur L’Homme et la bête, eux aussi victimes du « concentrationnat », selon la formule de Jean Cayrol3, lui-même déporté. Nous avons ainsi donné la priorité à ces pages rédigées pendant l’année 1942, moins quotidiennes que d’autres, où le spectacle des mesures anti-juives, depuis le port obligatoire de l’étoile jaune jusqu’à la persécution la plus cruelle, a fait naître sous la plume des écrivains concernés des indignations, des perplexités, voire des méditations parfois insoupçonnées au regard de l’histoire littéraire telle que la doxa universitaire l’a parfois trop volontiers écrite.
3Un travail de plus longue haleine aurait de quoi prendre en considération non seulement l’ensemble de la période qui va du printemps 1940 à l’automne 1944 mais aussi la diversité des sujets peuplant les journaux de notre corpus : les péripéties de la politique intérieure, les événements majeurs du conflit mondial, les hauts faits comme les basses œuvres de l’activité artistique ; à titre d’exemple, le retour de Laval, le bombardement de Boulogne-Billancourt, la campagne de Russie, l’exposition Arno Breker à Paris, le voyage en Allemagne des peintres après celui des écrivains, la publication de L’Étranger ou la représentation des Mouches, la dignité ou l’avilissement d’untel – les noms sont légion, inutile d’y insister. Et même si le regard que chaque auteur porte sur son « confrère » ne manque pas de pertinence, au vu des personnalités, certes, mais également pour l’histoire de la littérature, cela relève toutefois d’une autre perspective que celle prise ici, résolument tournée vers l’Histoire tout court, si l’on ose dire.
Description du corpus
Les écrivains français sous l’Occupation
4À ce jour, l’enquête la plus minutieuse et la plus complète concernant l’attitude des écrivains français pendant les « années noires » a été menée par Gisèle Sapiro4 et nous ne pouvons qu’y renvoyer à propos des auteurs des journaux dont il sera question ci-après. Il faut toutefois commencer, pour mémoire, par donner un aperçu de la diversité des situations connues au moment où s’achève la « drôle de guerre ».
5Voici la première génération :
Auteur | Âge | Localisation | Statut littéraire | Statut professionnel |
Paul Claudel | 72 | Château de Brangues, Isère (résidence principale) | Notoriété internationale (futur académicien, 1946) | Ambassadeur à la retraite (depuis 1935) |
André Gide | 71 | Côte d’Azur puis Tunisie (hébergé par des amis) | Notoriété internationale (futur prix Nobel, 1947) | Homme de lettres |
Jean Schlumberger | 63 | Côte d’Azur ou Lyon (collaboration au Figaro) | Notoriété restreinte (malgré une vingtaine co-fondateur de d’ouvrages depuis 1906) | Homme de lettres, co-fondateur de La NRF |
Léon Werth | 62 | Saint-Amour, Jura (résidence secondaire) | Notoriété européenne | Homme de lettres, journaliste… |
Roger Martin du Gard | 59 | Nice (villégiature dans la sphère gidienne) | Notoriété internationale (prix Nobel 1937) | Homme de lettres, co-fondateur de La NRF |
François Mauriac | 55 | Paris (résidence principale) | Notoriété internationale (académicien, 1933 ; futur prix Nobel, 1952) | Homme de lettres, chroniqueur (Le Figaro) |
6On remarquera que des six noms mentionnés, quatre ont aujourd’hui une notoriété incontestable – Claudel, Gide, Martin du Gard et Mauriac – pendant que les deux autres, Schlumberger et Werth restent mal connus alors qu’ils ont joué un rôle essentiel dans l’histoire littéraire de leur temps, le premier comme l’un des pères fondateurs de La NRF, romancier et essayiste, le second comme mentor de la littérature engagée dès après la Première Guerre mondiale5 et bien avant les « existentialistes » ; c’est lui qui a laissé, pour notre corpus, le plus volumineux journal de l’Occupation, Déposition, après avoir retracé l’exode de juin 1940 dans 33 jours6.
7Passons à la deuxième génération7 :
Auteur | Âge | Localisation | Statut littéraire | Statut professionnel |
Jean Cocteau | 51 | Paris (résidence principale) | Notoriété européenne (futur académicien, 1955) | Homme de lettres (poésie, théâtre, cinéma…) |
Jean Guéhenno | 49 | Paris (résidence principale) | Notoriété européenne (futur académicien, 1962) | Professeur de lettres (khâgne) |
Jean Grenier | 42 | Nice, Lyon, Lille, Paris (postes d’enseignement) | Notoriété restreinte (Les Îles, Gallimard, 1933) | Professeur de philosophie |
Louis Guilloux | 41 | Saint-Brieuc (résidence principale) | Notoriété européenne (Le Sang noir, Gallimard, 1935) | Homme de lettres |
Julien Green | 40 | Baltimore, USA (origine familiale) | Notoriété restreinte 8 romans depuis 1926 (futur académicien, 1971) | Homme de lettres |
Michel Leiris | 39 | Boulogne-Billancourt puis Paris (résidence principale) | Notoriété très restreinte (L’Âge d’homme, Gallimard, 1939) | Ethnographe au Musée de l’Homme |
8Pour cet ensemble, les deux seuls auteurs qui peuvent être de moindre notoriété aujourd’hui sont Jean Grenier, philosophe, essayiste et romancier – son œuvre est pour l’essentiel publiée chez Gallimard, proche qu’il fut de Jean Paulhan et de Marcel Arland –, dont on se contentera de dire qu’il avait été le professeur d’Albert Camus en classes de terminale et khâgne au lycée d’Alger8. Par coïncidence, Louis Guilloux, qui fut un proche d’André Gide, était originaire, comme Grenier, de Saint-Brieuc, où il vivait régulièrement, mais il ne faudrait surtout pas le cantonner à cet espace provincial sachant d’une part le retentissement qu’eut son maître-roman, Le Sang noir, en 1935, de l’autre son implication dans l’action politique des intellectuels européens pour la défense de la paix9. Hélas, nous le verrons, son « journal de guerre » s’avère assez décevant.
9Venons-en à la troisième et dernière génération :
Auteur | Âge | Localisation | Statut littéraire | Statut professionnel |
Jean Malaquais (Vladimir Malacki) | 32 | Marseille | Notoriété nationale | Sans profession |
Henri Thomas | 28 | Paris | Notoriété très restreinte | Journaliste, traducteur d’Ernst Jünger |
Philippe Jullian | 21 | Bordeaux | Néant | Étudiant |
François Sentein | 20 | Paris | Néant | Sans profession (familier du milieu littéraire homosexuel) |
José Cabanis | 18 | Toulouse | Néant | Étudiant STO (1943-1945) |
10Dans ce cas, nous avons affaire à de (très) jeunes hommes, trois d’entre eux n’ayant encore rien publié à la veille de la guerre. Nous ne mettrons l’accent que sur Jean Malaquais, juif polonais arrivé à Paris dans les années 1920, qui, très encouragé par Gide, a connu un début de succès avec son premier roman mais représente un gibier de choix pour la Gestapo et rejoint à Marseille la colonie des candidats à l’exil, dans l’entourage d’André Breton10 ; il pourra s’embarquer pour le Nouveau Monde, titre de voyage payé par Gide, encore lui, juste à temps pour échapper aux « autorités ».
Typologie des journaux
11Nous distinguons ici, comme plus haut, trois catégories.
121/ Les journaux tenus pendant plus de trente ans et dont la période de l’Occupation ne couvre qu’une part plus ou moins importante :
Auteur | Titre | Dates extrêmes | Période concernée | Ratio |
Paul Claudel | Journal | septembre 1904 – 19 février 1955 | 14 juin 1940 | 184/1 902 |
André Gide | Journal | 4 octobre 1887 – 21 novembre 1950 | 8 juin 1940 | 290/2 366 |
Jean Schlumberger | Notes sur la vie littéraire | 6 juillet 1902 – 11 août 1968 | 10 juin 1940 | 43/340 |
Roger Martin du Gard | Journal | 14 avril 1892 – 31 décembre 1949 | 14 juin 1940 | 383/3 352 |
Louis Guilloux | Carnets 1921-1944 | mai 1921 – 29 août 1944 10 octobre 1944 – 1974 | 13 juin 1940 | 150/1 022 |
Julien Green 1900-1998 | Journal | 9 avril 1926 – 26 janvier 1981 | 21 juillet 1940 | 300/2 858 |
Michel Leiris | Journal | 27 octobre 1922 – 7 novembre 1989 | 7 juillet 1940 | 88/781 |
13Le constat est assez clair : pour une pratique diariste qui va d’une petite trentaine à une grosse soixantaine d’années, la période de l’Occupation ne dépasse guère les 10 %, ce qui tendrait à prouver que la « mobilisation scripturale » de nos écrivains ne connaît pas de plus forte intensité à ce moment-là, au moins sur le plan quantitatif.
142/ Les journaux tenus pendant moins de vingt ans et dans lesquels on note que la période de la guerre représente une forte proportion, du tiers aux trois-quarts du volume d’ensemble :
Auteur | Titre | Dates extrêmes | Période concernée | Ratio |
Henri Thomas | Carnets 1934-1948 | 25 juillet 1934 – 25 mars 1948 | 10 août1940 | 237/635 |
Philippe Jullian | Journal 1940-1950 | 18 octobre 1940 – 5 septembre 1950 | 18 octobre 1940 | 204/354 |
François Sentein | Minutes d’un libertin 1938-1941 | 21 août 1938 – 31 décembre 1941 | 4 juin 1940 | 711/1 117 |
153/ Les journaux tenus exclusivement pendant la guerre :
Auteur | Titre | Dates extrêmes | Écrit diariste antérieur * ou postérieur ** |
Léon Werth | Déposition Journal 1940-1944 | fin juillet 1940 – | ø |
Jean Cocteau | Journal1942-1945 | mars 1942 – 18 avril 1945 | Le Passé défini** |
Jean Guéhenno | Journal des années noires 1940-1944 | 17 juin 1940 – 25 août 1944 | Journal d’un homme de 40 ans* |
François Mauriac | Le Cahier noir | 1941 – 1943 | Journal*/** |
Jean Grenier | Sous l’Occupation | novembre 1940 – 20 septembre 1945 | Carnets 1944-1971** |
Jean Malaquais | Journal du métèque | 14 juillet 1940 – 8 octobre 1942 | Journal de guerre |
José Cabanis | Petit entracte à la guerre | 5 novembre 1940 – 26 juillet 1943 | L’Escaladieu. Journal |
16Contrairement à la première catégorie, on relève que, même chez des écrivains coutumiers de l’écriture diariste – Cabanis, Cocteau, Guéhenno, Grenier –, le journal de la guerre et de l’Occupation tient une place à part et a fait l’objet d’une publication séparée ; la proportion des pages consacrées à cette période, par rapport à l’ensemble, est par conséquent moins pertinente au plan documentaire puisque le volume spécifiquement publié suffit à indiquer la valeur que l’écrivain a voulu lui donner. Le cas de Mauriac est un peu plus compliqué dans la mesure où Le Cahier noir a d’abord été donné aux Éditions de Minuit clandestines, sous le pseudonyme de Forez, après avoir fait l’objet d’une première révision, puis repris dans ses Œuvres complètes12 sans qu’on puisse distinguer vraiment la part du spontané et du pris sur le vif. De même, mais c’est un cas beaucoup plus intéressant et nous y reviendrons, José Cabanis a « revisité » le journal qu’il avait tenu, tout jeune homme, sous l’Occupation pour l’augmenter de commentaires en 1980 : c’est le seul auteur, dans notre corpus, à proposer un double regard, « stéréoscopique » en quelque sorte, sur les événements vécus.
La question juive en 1942 dans les journaux intimes des écrivains français
17On a d’abord voulu donner une idée synthétique de la préoccupation liée, chez chacun des écrivains retenus, au drame vécu par les Juifs de France :
Auteur (ordre décroissant d’âge) | Importance du thème |
Paul Claudel | ++++ |
André Gide | ++ |
Jean Schlumberger | + |
Léon Werth | ++ |
Roger Martin du Gard | + |
François Mauriac | + |
Jean Cocteau | ++ |
Jean Guéhenno | +++ |
Jean Grenier | +++ |
Louis Guilloux | Ø |
Julien Green | +++ |
Michel Leiris | + |
Jean Malaquais | ++ |
Henri Thomas | Ø |
Philippe Jullian | + |
François Sentein | ++ |
José Cabanis | +++ |
18Notons que deux seulement des auteurs sont d’origine juive, Léon Werth qui est français13 et Jean Malaquais, polonais comme déjà signalé ; ce ne sont pas eux qui évoquent le plus fréquemment la condition qui leur est infligée, ce qui, d’ailleurs, est sans grande conséquence pour le premier alors qu’elle est de la plus grave menace pour le second14. Relevons surtout, nous y insisterons plus loin, que certains des écrivains catholiques15 – Claudel, Green – ou des catholiques qui deviendront écrivains – Cabanis – se révèlent particulièrement sensibles au sort réservé à leurs frères israélites ; de même que ceux qui sont idéologiquement engagés dans des luttes politiques et morales comme Grenier ou Guéhenno. On reste plutôt déçu du silence de Guilloux, de la réserve de Schlumberger, même s’il est vrai que son propos ne concerne que la « vie littéraire », plus nette que celle de son compagnon de toujours à La NRF, Martin du Gard, dont nous observerons la perplexité. Une dernière remarque, avant d’entrer dans le détail, au sujet de la discrétion dont Michel Leiris fait preuve, dans un pourtant très volumineux journal : sa femme était la fille adoptive de Daniel-Henry Kahnweiler, alors réfugié aux États-Unis, dont la fameuse galerie d’art portait désormais l’enseigne de « Louise Leiris ». Cela valait prudence, et nul ne s’en offusquera.
La place de l’étoile
19On se rappelle qu’en exergue à son roman La Place de l’Étoile, publié en 1968, Patrick Modiano a rapporté cette « histoire juive » :
« Au mois de juin 1942, un officier allemand s’avance vers un jeune homme et lui dit : “Pardon, monsieur, où se trouve la place de l’Étoile ?”
Le jeune homme désigne le côté gauche de sa poitrine. »
20Un quart de siècle après la promulgation du décret daté du 29 mai 1942, l’auteur, né en 1947 mais dont la famille avait été durement éprouvée par les lois anti-juives, se faisait le mémorialiste, dans la fiction, d’une des mesures les plus marquantes à l’encontre des Israélites de France, hormis la déportation que nous évoquerons ci-après. La réaction à cette contrainte, perçue de façon quasi unanime comme infâmante, est observable dans de nombreux journaux de notre corpus, sur des modes variés et, parfois, liés à des situations personnelles.
21Il est d’abord sensible que les auteurs hésitent sur la justesse du lexique à employer afin de désigner ce qui, finalement, va s’imposer comme « l’étoile jaune ». Jean Cocteau note, par exemple, le 8 juin : « L’insigne jaune. […] Les insignes jaunes. […] Les uns portent l’insigne sans la moindre gêne. Les autres ne les regardent pas16. » Ce terme d’« insigne », il l’emploie encore, à propos de Maurice Goudeket, le mari de Colette, qui ne veut plus le porter dès la fin de décembre17, mais on comprend vite qu’il sonne faux ; aussi, nos écrivains, dans leur majorité, ne parlent-ils que de l’« étoile », sans que jamais, notons-le, elle soit mentionnée comme celle de David, ce qui accentuerait l’amalgame entre racines familiales et religion. Claudel qui, malgré sa résidence habituelle à Brangues, se rendait régulièrement à Paris parce qu’une partie de son répertoire dramatique y était jouée, note le 23 juin :
« Paris plein de soldats all[emands]. Impression accablante d’oppression, d’humiliation et de terreur. Oppression et compression de matière humaine dans le métro. Mais dans t [ou] tes mes courses je revenais vers l’Étoile. […] La faim, phénom[ène] gén[éral], souffrance, humilité, charité de la masse opprimée et comprimée. L’étoile jaune des Juifs18. »
22C’est comme si cette association entre la cartographie parisienne et le signe distinctif avait inspiré la sinistre boutade évoquée plus haut. Du poète catholique, déjà âgé, dont le registre est commandé, au-delà de la consternation, par la célébration des vertus canoniques au jeune homme assez peu conformiste qu’était François Sentein à la même date, on peut remarquer une émotion comparable, évidemment plus naïve chez le second :
« 7 juin – Promenade du dimanche. L’absence d’autos nous permettant de marcher au milieu de la chaussée, nous voyons un Paris nouveau.
Cette ivresse de marcher dans la rue de Paris – ivresse de solitude, de nouveauté à chaque pas, de liberté, de tout ce spectacle gratuit – m’avait conduit jusqu’au Sacré-Cœur. Reprenant rue au bas des escaliers : un vieux couple portant sur le cœur dans une étoile jaune : JUIF ! Je ne savais pas… Ils se promenaient comme nous, tranquilles19. »
23Là encore, nous noterons la proximité de cette notation, quoique moins sobre – « sur le cœur » – avec la formule utilisée par Modiano, mais surtout la coïncidence orchestrée entre un haut lieu du catholicisme parisien, le Sacré-Cœur, et l’ostentation imposée à la judéité, plus originale, plus audacieuse aussi, que la précédente. Alors que son milieu familial, politique et littéraire situait Sentein plutôt du côté de l’extrême-droite xénophobe et antisémite, on appréciera ce « comme nous », plus convaincant dans sa simplicité que bien des pétitions de principe sur la fraternité entre les hommes, sans parler de la solidarité entre les générations. Ces réactions sont parmi les plus remarquables mais il faut en relever d’autres chez les diaristes du printemps 1942, entre autres à propos du comportement de la population parisienne ; de même que Cocteau s’exaltait : « Encore une fois Paris montre un tact extraordinaire20 », Jean Guéhenno relève le 16 juin :
« Depuis huit jours les Juifs doivent porter l’étoile jaune et appeler sur eux le mépris public. Jamais les gens n’ont été avec eux si aimables. C’est qu’il n’est sans doute rien de plus ignoble que de contraindre un homme à avoir à tous les instants honte de lui-même et le gentil peuple de Paris le sait. Comme le savait Nietzsche. “Épargnez, disait-il, à tout homme la honte.”
Rien qu’en voyant les Juifs de ce quartier, on peut vérifier à quel point ils sont “le capitalisme international” : la plupart sont dans une évidente misère et le petit peuple tout entier s’indigne qu’on s’applique à déshonorer ainsi la pauvreté21. »
24De la part de « Caliban », une telle idéalisation du peuple n’a pas de quoi surprendre – on appréciera la différence entre le « Paris » de Cocteau et le « peuple de Paris » de Guéhenno –, elle n’en est pas moins explicite, pour autant, quant à la solidité des convictions humanistes d’un intellectuel qui fut, au plein des années 1930, le défenseur de valeurs essentielles, notamment à la tête de la revue Europe. Plus de réserve du côté de Jean Grenier, malgré le drame qu’il laisse entrevoir :
« Avec Seghers aux Deux Magots.
Pour Résistance. Indigné, et sa femme encore plus, par la persécution des Juifs. Un enfant s’est suicidé parce que, devant porter l’étoile, a été moqué par ses camarades22. »
25Attitude qui contraste avec celle, ironique, de Jean Malaquais – « Décret enjoignant aux Juifs de la zone occu le port de l’étoile jaune. À quand le tour de la zone nono23 ? » – ou celle, pour le moins ambivalente, de Philippe Jullian, remarquant à Bordeaux le 31 mai : « Qu’ils sont laids les pauvres Juifs qui portent, cousue à leurs vêtements, l’ignoble étoile jaune24. » Comme chez François Sentein, et c’est plutôt réconfortant, on saisit que la fraîcheur du sentiment l’emporte sur le conditionnement de l’esprit, Jullian étant le seul à qualifier d’« ignoble » cette étoile qui d’insigne devient signe entre les signes.
26Puisque nous avons affaire à des écrivains, par conséquent à des êtres de culture, nous relèverons qu’après la question du vocabulaire vient celle des référents. Une image récurrente est empruntée à l’histoire médiévale, comme le font Cocteau – « Moyen Âge. Lépreux. Les lettres gothiques25 » – ou Léon Werth :
« La sonnette du lépreux n’était que sanitaire, non humiliante. On ne prétendait pas imposer au lépreux une officielle humiliation. Si j’étais contraint à cette humiliation, sans doute je la nierais. Mais dominerais-je vraiment la colère et la honte ? Serais-je, au fond de moi-même, dupe de cette annulation raisonnante26 ? »
27Rappelons que l’écrivain est, à ce moment, replié en zone libre et que l’éventualité d’une mise à l’index, au quotidien de la vie matérielle, se fait de plus en plus oppressante : la confrontation des deux journaux, celui d’un Cocteau, dont on sait les affinités avec l’occupant, avec celui de Werth, proie potentielle de ce dernier, fait prendre conscience de la solidité d’un fonds commun de connaissance, véritable trait d’union au-delà des différences de condition ou d’opinion. Et c’est bien cette faculté à transposer l’atroce réalité en souvenirs de lectures qui fait pardonner à ce même Cocteau sa faiblesse de caractère politique ; le 15 juin, il note ce propos : « Colette disait à son mari : “Comment allons-nous aller à ce restaurant, à pied ? en métro ?” Il lui répond : “Suis mon étoile”27. » Humeur humoresque pour temps sombre qui n’empêche pas le climat tragique, l’Ancien Testament succédant au Nouveau : « Assuérus méditant le massacre des Juifs. Mauvaise ou bonne étoile28 ? » L’Esther de Racine permet ainsi de marquer la continuité, dans la succession des siècles, de la nature humaine ; cela ne relativise rien, et n’excuse rien non plus, mais donne un champ de vue plus profond, perspective nécessaire à une intelligence réfléchie de l’histoire. Toutefois, pour refermer ce volet avec un écrivain au-dessus de tout soupçon, écoutons Julien Green nous confier le 10 juillet, depuis Baltimore, sa vision de l’étoile jetant sur le vieux continent sa lumière morte :
« Fait un rêve d’une grande beauté. Je rêvais qu’une femme assise tenait sur ses genoux une grande pièce de velours sur lequel elle cousait des lettres de métal jaune, des lettres hébraïques merveilleusement façonnées ; il m’a semblé que ces lettres étaient d’or. J’ai reconnu les paroles d’un psaume, et les ai lues tout haut, ajoutant celles qui venaient à la suite dans le texte biblique. Ces mots sont alors apparus sur la pièce de velours, cousus avec du fil d’or. La femme, d’une voix un peu sourde et avec un sourire mystérieux, a répété après moi les paroles que je venais de prononcer29. »
28Manière d’espérer, grâce à cette métaphore du texte comme tissu – étymologie oblige – et de la littérature comme couture, que la signature des choses30, lue en palimpseste, donne son sens réel à un tétragramme indéfectiblement lié à l’écriture du monde.
Les représailles
29Au-delà de l’emblème que le port de l’étoile a pu représenter, les écrivains diaristes se montrent sensibles, dans leur majorité, aux mesures anti-juives décrétées tant par l’occupant que par le gouvernement de Vichy et, encore une fois, soit pour des raisons personnelles, soit pour des questions d’éthique, quand elles ne se conjuguent pas.
30Parmi les auteurs résidant principalement à Paris, on peut relever deux réactions complémentaires quoique différentes dans leur cause. Jean Guéhenno note le 31 janvier :
« Mon coiffeur était un petit ouvrier juif. Mais il n’a plus le droit de couper les cheveux. C’est la peste ; il lui est interdit d’exercer un métier qui le mette en contact avec le public. La nuit tombée, il s’en va, pour vivre, couper à domicile les cheveux de ses coreligionnaires du quartier31. »
31L’image de la maladie contagieuse est de nouveau présente mais dans une acception différente : la lèpre supposait le signe de reconnaissance, la peste suggère la crainte de la contamination subreptice et chacun sait combien l’antisémitisme a usé de la comparaison des Juifs aux rats32. Ce qui retient davantage l’attention, peut-être, est l’insistance de Guéhenno sur la condition de ce coiffeur, « petit ouvrier », surtout si on compare son registre à celui de Cocteau, ne se préoccupant vraiment du sort des Israélites que touchant ses amitiés littéraires, on l’a vu avec Colette, nous le voyons avec l’auteur du Cornet à dés, dont la conversion au catholicisme et le retrait en province ne devaient pas l’empêcher d’être persécuté :
« Longue lettre de Max Jacob. Il me raconte ses ennuis sans nombre avec la Gestapo.
“5 avril 1942 […] Quant à la Gestapo, ça a commencé en juin 1940. Je fais le cicérone à la Basilique33 : ‘ Vous êtes juif ! – Ah ! vous tombez bien, dit un prêtre, c’est le meilleur paroissien de M. le curé. – Ça ne fait rien, c’est la race qui compte, etc.’[…] ‘ Après tout ! Ces otages ! Ça n’est jamais que des communistes ou des Juifs !’Phrase prononcée devant moi par la dame d’un officier de mes bons amis. J’appelle cette phrase complicité d’assassinat34.” »
32Comme à son habitude, et sans se douter vraisemblablement de l’issue fatale35, Cocteau donne l’impression de prendre les choses à la légère, sinon pour s’exercer au mauvais esprit : « Les Juifs partent. Les protestants s’installent. C’est par le protestantisme que Gide échappe à tous nos ennuis et règne sur les lettres36. » Jalousie d’artiste ou envie d’existence aisée ? Sentiment assez bas, de toute façon, qui ne constate l’infortune des uns que pour ironiser sur le prétendu succès des autres, le tout sur fond d’appartenance religieuse de la part d’un homme qui n’a jamais su trouver une réponse à son tourment métaphysique. La pusillanimité, qui n’enlève rien au talent, fait de Cocteau un cas exemplaire de l’hésitation entre le non-consentement dès lors que les représailles visent ses proches et l’adhésion à une politique de racisme radical, comme le montrent les nombreux passages de son Journal consacrés à la relation privilégiée qu’il entretint avec Arno Breker. Rien de comparable, à l’évidence, avec ce que Guéhenno consigne le 21 avril :
« La maladresse de nos hôtes est proprement admirable. Ils veillent, ils font le nécessaire pour qu’aucun Français ne soit seulement tenté de croire M. Laval. Déat et les autres dans leurs journaux peuvent bien célébrer le “nouveau climat”. Le “commandant du Grand Paris”, lui, en commentaire de leurs articles, continue de publier ses “avis”. Ces “avis” annoncent dès ce matin de nouvelles “mesures”, soit avant dix jours la fusillade de cinquante-cinq communistes et Juifs, “solidairement responsables”, et la déportation de cinq cents autres37. »
33Le ton ironique ne dissimule en rien l’indignation, telle qu’on la perçoit également chez Gide, arrivé à Tunis depuis le printemps – « La population juive harcelée, spoliée, traquée38 », note-t-il le 15 décembre et, trois jours plus tard :
« Certains jeunes Juifs d’ici, que je connais, semblent prendre à cœur de protester, par leurs vertus civiques, leur zèle et leur dévouement, contre l’abominable ostracisme dont ils sont l’objet. Au lycée, ce sont les Juifs qui se maintiennent à la tête de toutes les classes, les plus travailleurs, et, sinon les plus intelligents peut-être, du moins les plus souples, les plus assimilateurs, les plus zélés. La persécution venant à cesser, ce sont eux qui, de droit, occuperont les plus hauts postes ; et les antisémites auront beau jeu, de nouvelles occasions de protester, de s’écrier : Vous voyez bien que nous avions raison de les exclure39. »
34Et c’est à son propos que Jean Grenier rapportait, le 5 mars, au cours d’une rencontre à Nice :
« Le Figaro n’imprime pas tout ce que Gide lui envoie. Il a refusé le dernier article qui portait sur la religion et qui aurait pu froisser “le Figaro dans son cœur” et Wladimir d’Ormesson. On lui a envoyé une dépêche de 50 mots pour s’excuser (le nombre de mots a l’air d’avoir fait impression sur Gide). L’article de Gide, qui a paru dans le dernier no et où il cite Tacite était un article de remplacement. On lui a refusé de citer Einstein parce que c’était un Juif40. »
35L’épuration dans le monde universitaire, Grenier s’en fait encore l’écho en « sténographiant » les propos du doyen de la faculté des Lettres, à Lille – « Regrette Jankélévitch qui faisait musique comme lui et sa femme » – avant de le citer : « Nous avons tout fait pour garder la place de Jankél[évitch]41. » Le témoignage est précieux, non seulement parce qu’il confirme les dons d’excellent pianiste que fut le grand philosophe, distingué après la guerre par une chaire en Sorbonne, mais surtout dans la mesure où il montre que le non-consentement a pu prendre la forme d’une répugnance, de la part de fonctionnaires haut placés, à se plier aux exigences de l’Administration. Autre exemple mais, cette fois, édifiant pour l’attitude de la victime même, selon le récit de Julien Green :
« Appris que Bergson, à qui les Allemands avaient offert de le nommer “Aryen honoraire”, titre bouffon et sinistre inventé par l’Allemagne, qui malgré tout a besoin de Juifs, de certains Juifs, Bergson a refusé cet honneur suspect. Il était très malade. Il se lève, s’enveloppe dans une couverture, sort en pantoufles, appuyé au bras d’un domestique, et se rend ainsi a la Préfecture où il se fait inscrire sur le registre comme Juif. C’est à la Bible qu’on songe en lisant de telles choses, au livre des Maccabées42. »
36La référence au Livre, inspirée à un chrétien par compassion à l’égard d’un Juif, participe d’une attitude largement répandue chez les écrivains catholiques sous l’Occupation, au premier rang desquels Paul Claudel dont on sait que la lettre qu’il avait adressée à Isaac Schwartz, Grand Rabbin de France, la veille de Noël 1941, et que celui-ci avait diffusée à son insu, devait lui attirer de sérieux ennuis43. Nous nous attarderons plus bas sur sa révolte face à la déportation des Juifs, contentons-nous, pour l’instant, de relever cette note du 13 septembre : « Les évêques de la Z[one] O[ccupée] adressent au Maréchal une protestation collective contre les mesures atroces prises contre les Juifs44. » Il n’y a pas lieu, ici, de rappeler le schisme provoqué au sein de l’Église par la question juive, l’histoire en a été écrite45, mais simplement de saisir quelques réactions aux choix très différents faits par les membres de l’épiscopat, Claudel ne mâchant pas ses mots à l’égard de ceux qui avaient pris le parti du nazisme :
« J’écris au Cardinal Gerlier la lettre suivante :
“Brangues, le 26 mai 1942
J’ai lu avec grand intérêt le récit des splendides funérailles, officielles et religieuses, faites à Son Éminence le Cardinal Baudrillart. Sur le cercueil du défunt figurait une couronne offerte par les Autorités d’occupation. Un tel hommage était bien dû à ce fervent collaborateur46.” »
37Son courroux est d’autant plus fort que le jour même de ces obsèques étaient fusillés les vingt-sept otages de Nantes, supplice que le diariste relate deux fois, le 21 et le 25 mai, afin de mettre en opposition radicale deux pratiques de la religion : « Pour l’émule de Cauchon, l’Église de France n’a pas eu assez d’encens. Pour les Français immolés, pas une prière, pas un geste de charité ou d’indignation47. » Chez Claudel, comme chez beaucoup d’autres croyants, l’attitude exemplaire fut celle de Mgr Saliège48, dont le courage, on le sait, lui aura valu, à titre posthume, la dignité reconnue aux « Justes parmi les Nations » mais remarquée, sur le moment, par certains écrivains juifs, comme Jean Malaquais qui consigne, le 30 mai, avec sa gouaille habituelle : « Mgr Saliège, archevêque de Toulouse, aurait fait lire une lettre diocésaine contre la persécution des Juifs. Il va se faire moucher, le noble prélat49. » C’est sur un tout autre ton que Léon Werth salue, le 29 octobre, l’esprit de fraternité chez les intellectuels catholiques non consentants :
« Dans les Cahiers du Témoignage chrétien, cette citation de Jacques Maritain : “La haine des Juifs et la haine des chrétiens viennent d’un même fond, d’un même refus du monde qui ne veut pas être blessé, ni des blessures d’Adam ni des blessures du Messie, ni par l’aiguillon d’Israël pour son mouvement dans le temps, ni par la croix de Jésus pour la vie éternelle50. »
38À quoi fait écho cette émouvante formule de Julien Green : « Aux catholiques antisémites : trop heureux si nous pouvons, à l’heure de notre mort, obtenir les prières d’une Juive appelée Marie51… »
39On constate ainsi que l’antisémitisme trouve ses contempteurs chez des diaristes que bien des opinions opposent, au plan politique comme religieux ; toutefois la plus grande virulence se traduit chez ceux d’entre eux qui le condamnent au nom même de leur foi chrétienne et qui ne manquent de rappeler que celle-ci a pour source première le judaïsme. C’est cela qui résonne dans la glose que fait José Cabanis en janvier 1980 des pages de son journal datées des 1er octobre – 13 décembre 1942 :
« Je vois avec surprise que ce qui m’a touché et indigné le plus, au point que je ne parle guère des autres, c’est la persécution des Juifs […]. Ce fut donc pendant ces années 1941 et 1942, presque à mon insu et alors que je croyais devenir toujours plus raisonnable, que par un biais inattendu je donnai dans l’irrationnel, l’absurde, et l’injustifiable aux yeux du monde : je commençai à comprendre et à aimer les Juifs. Ils m’aidèrent ensuite, le moment venu, et me conduisirent tout naturellement à accueillir et à reconnaître l’Emmanuel que tous leurs prophètes avaient annoncé, venu non contredire mais accomplir, et né d’une femme juive que j’en vins à prier chaque jour, me tenant moi-même à bien des égards pour juif. Tout ceci ne se fit pas en un jour, mais se dessinait déjà, en ces temps d’occupation et de persécution, je le sais maintenant52. »
40Le point nodal, comme pour Green, est la judéité de la mère du Christ mais, on le comprend, la conversion au christianisme n’a été possible, pour Cabanis, que grâce au judaïsme. C’est aller loin dans le philosémitisme, ce n’est cependant que justice rendue au peuple élu dont la tragédie vécue pendant la guerre aura eu au moins le mérite de remémorer, aux chrétiens authentiques, l’origine de leur vie spirituelle.
La déportation et l’extermination
41Il peut sembler quelque peu artificiel de distinguer la déportation des Juifs des représailles dont ils furent quotidiennement les victimes ; la lecture des journaux de notre corpus marque cependant une intensité nettement plus forte quant à l’émotion ressentie, ce qui paraît naturel même si les degrés de cette émotion varient, du constat désolé à la « sainte fureur ».
42Comme nous l’avons vu plus haut, certains écrivains ne se montrent sensibles à la situation que lorsque cela touche leurs proches, ainsi de Cocteau qui, s’il n’avait été l’ami de sa voisine au Palais-Royal, n’en aurait sans doute rien dit :
« Colette déjeunait ce matin à Espéria avec un jeune docteur sorti la veille du camp de Compiègne. On ne les nourrissait plus. Maurice remplumé. Le docteur déplumé. Trois cents prisonniers, parmi lesquels Mas et René Blum, ont été envoyés au camp de Drancy. Auprès de Drancy, Compiègne est, paraît-il, un rêve53. »
43De leur côté, Jean Grenier et François Sentein, malgré leur différence d’âge et de condition, évoquent en cette année 1942 un seul cas, celui non pas d’un déporté mais d’un fuyard, l’écrivain Maurice Sachs dont on peut dire, sans malveillance, que la rectitude morale ne fit pas sa réputation54 ; Grenier le nomme, à Paris, en juin, soit au moment de la rafle du Vél’ d’Hiv’, qui eut lieu les 16 et 17 : « Les Allemands ont l’intention de déporter 20 000 Juifs étrangers installés dans la Seine en Europe orientale. On les prévient quand on peut. Maurice Sachs se cache à Paris, recherché par la Gestapo55. » Sentein, quelques mois plus tard, le 26 décembre, a un commentaire plus personnel : « Jean-François me lit une carte qu’il vient de recevoir de Maurice Sachs, ouvrier à Hambourg. Alias a pensé que là, sous le nom d’Ettinghausen, on n’ira jamais chercher l’escroc, ni le Juif56. » Si l’écrivain contesté que fut et reste Sachs57 s’était contenté d’un emploi d’ouvrier, cela eût été moindre mal : il n’eut pas pire idée que d’entrer, en Allemagne, au service de la même Gestapo qui le traquait en France, ce qui ne l’empêcha pas d’être emprisonné en novembre 1943 et abattu, en avril 1945, par un soldat S. S.58. Pendant ce temps étaient pourchassés d’autres auteurs juifs, véritables victimes du nazisme et de Vichy, Max Jacob, déjà évoqué, Benjamin Crémieux, arrêté à Marseille le 29 avril 1943 et mort à Buchenwald en avril 194459, Jean-Jacques Bernard, finalement sauvé et dont Jean Schlumberger salue la force de tempérament lors d’une visite à son père, le 12 février :
« Profité de l’occasion d’une démarche à Cannes pour aller faire à Tristan Bernard un signe d’amitié. Il est tassé et est devenu assez sourd. Son regard a quelque chose de plus dur et buté. Le statut des Juifs l’a jeté dans une indignation mal contenue. “Jusqu’à ce statut, s’écrie-t-il, je ne m’étais jamais avisé que j’étais juif, tant tous les miens, jusqu’où que je remonte, étaient français !” Il est surtout très écrasé par l’inquiétude pour son fils Jean-Jacques, arrêté en décembre et enfermé dans un camp de concentration à Compiègne. Il était resté à Paris par courage, refusant de fuir. La Société des Auteurs, dont il était vice-président, avait refusé d’accepter sa démission60. »
44Occasion de relever une nouvelle fois l’intégrité de certains milieux intellectuels face aux mesures prises à l’encontre des Israélites. Pour édifiants qu’ils soient, ces exemples ne sont que peu significatifs du drame collectif auquel les écrivains diaristes sont confrontés. Nous allons tenter d’en donner un aperçu chronologique.
45Léon Werth, le 3 avril :
« Dans les camps de concentration, des internés (Espagnols, Juifs) jeunes et arrêtés en bonne santé, sont, après quelques semaines dans un tel état de déchéance physiologique qu’ils n’ont plus la force de se soulever de leurs paillasses et y laissent échapper leurs excréments sous eux61. »
46On remarque, de la part d’un « coreligionnaire », que son attention est requise également par le sort réservé à d’autres persécutés, signe que la conscience politique, chez un auteur comme Werth, excède le communautarisme, son œuvre littéraire l’atteste largement.
47Jean Guéhenno, le 13 juillet : « Ce matin j’apprends que tous les Juifs d’Europe centrale vont être déportés en Russie, leurs enfants mis dans des camps62. » Cette entrée est révélatrice du caractère aléatoire de l’information mais augure une réalité qui va s’imposer de plus en plus sûrement, et durement, concernant les familles juives63. Ainsi, Werth, le 22 août :
« Les enfants parqués au Vel’ d’Hiv’. Hérode ne faisait que massacrer. Mais Hitler ajoute à l’atroce. Il multiplie la douleur par l’angoisse. Les parents qui ne savent pas si leurs enfants sont vivants ou morts. Ces orphelins dont les parents sont vivants.
Comment est fait le visage de ceux qui poussent vers leur destination ces enfants ? Que conteront-ils à leurs femmes, à leurs amis, de leur activité de ce mois de juillet 194264 ? »
48Nul ne songera à nier la pertinence de ces réflexions dans leur double perspective, celle de l’histoire à venir, qui effectivement ne cesse d’interroger les consciences, et celle d’une antiquité subitement réactualisée, retrouvant une vérité que l’ère moderne avait fini par tourner en fable.
49José Cabanis, le 29 août :
« On traque les Juifs. On en a envoyé en masse en Pologne, où ils sont entassés dans des camps comme des animaux. Les femmes de ceux qui sont déportés sont dans des camps en France, les enfants mis dans des œuvres d’assistance. Dans la région, depuis quelques jours, des camions passent et les Juifs sont embarqués, on ne sait pour où. Partout, dans toute la France, des scènes de désespoir. L’archevêque de Toulouse a écrit dimanche une lettre où il condamne ces horreurs. La révolte de mon cœur, ma haine contre ces Allemands et ces Français, leurs complices, mon désespoir à certains moments de ne pouvoir rien faire. N’y aurait-il qu’un Juif martyrisé, il serait impossible d’accepter ce nouvel ordre européen. N’y aurait-il qu’un seul innocent persécuté, on a le devoir de se révolter contre ces salauds65. »
50On rappellera que le jeune homme vit alors dans la « Ville rose » et a pu donc être un des premiers, en France, à prendre connaissance de la lettre pastorale rédigée par Mgr Saliège, quoiqu’il ne soit pas encore acquis au catholicisme, mais le plus intéressant dans sa réaction est de voir comment un lexique assez spontané traduit à la fois la révolte et l’impotence, le non consentement et la résignation. Même dépit, le 6 septembre, mais dans un registre tout à fait différent chez son grand aîné, Roger Martin du Gard, retiré à Nice :
« “On” a, paraît-il, exigé du département des Alpes-Maritimes la déportation de quatre mille Juifs étrangers. À Nice, à Cagnes, à Antibes, on a procédé à des arrestations en masse. On les emmène en autocars. Où ? La séparation des enfants et des mères donne lieu à des scènes atroces. La population est révoltée, mais assiste, passive. Moi aussi. Mais cette passivité devient intolérable. Que faire ? Je ne nie pas le problème juif. Mais l’iniquité de ces mesures, la cruauté inadmissible des procédés, ne peut être tolérée sans protestation. À Toulouse, on dit que l’évêque a prononcé un sermon indigne. Un pasteur, un évêque, peuvent parler, donner une expression à la révolte des consciences. Que peut un isolé comme moi ? J’écris à divers amis. Je suis prêt à rompre mon silence, et à me joindre à une protestation directe et respectueuse, mesurée et solennelle, adressée personnellement au maréchal, qui ne sait peut-être pas comment sont exécutés les ordres. Assister passivement à ce spectacle devient impossible. Et, plus tard, le remords de n’avoir rien fait sera plus intolérable encore. Mais quoi faire66 ? »
51Les descriptions, pour être pathétiques, ne sauraient totalement dégager ici la responsabilité d’un écrivain dont on sent que le maréchalisme de bon aloi, voire assez cauteleux – « un sermon indigne » – paralyse la volonté d’agir vraiment. Sentiment d’impuissance chez un Cabanis de 18 ans ou chez un Martin du Gard de 61 ans, vigueur du style et de la pensée chez un Claudel de 74 ans, consignant le 19 septembre :
« Ces effroyables événements de Stalingrad ! Deux peuples, 500 000 hommes de chaque côté agrippés l’un à l’autre comme des chiens enragés et essayant de se dévorer ! Pendant ce temps les Lancaster anglais déversent sur les villes allemandes des bombes de 4 000 k[g] q[ui] détruisent des quartiers entiers. Ce sont les lapidibus immensis d’Ézéchiel. Pendant ce temps notre ineffable M[aréchal] expédie à son maître H[itler] des chargements entiers de Juifs réfugiés empilés dans des wagons plombés. Et l’on quitte la radio en bâillant : pas de nouvelles aujourd’hui67 ! »
52Si la clausule, dans sa férocité à l’égard de « l’opinion publique », prête à sourire, elle ne doit pas masquer la profonde intelligence du poète capable de ramasser en quelques phrases l’universalité du Mal : préfigure de l’Apocalypse68, la référence au prophète de l’Ancien Testament saisit dans une même vision le destin d’une humanité comptable de ses crimes. Les journaux d’un qui croyait au Ciel et l’autre pas, qui pourtant cite l’Évangile, sont parfois étrangement proches, les dernières entrées pour l’année 1942 dans la Déposition de Werth suffiront à le prouver : « Sur 400 000 Juifs de Pologne, 260 000 ont été massacrés, sont morts de faim, ont été électrocutés ou tués par les gaz69 » (30 novembre) ; « Des milliers de Polonais dans des camps de concentration. Plus d’un million de Juifs massacrés en Pologne70 » (8 décembre). L’obsession des chiffres, qui font nombre, trahit l’effroi devant un spectacle qui n’est pas tant la mort des individus que de la personne. La littérature d’après la guerre en fera son thème majeur.
53La réflexion sur la question juive, avant, avec et après Sartre71, n’épuise certes pas le contenu essentiel des journaux envisagés ici, nous l’avons dit ; elle permet néanmoins d’interroger la conscience de ces hommes de lettres qui, d’origines familiales et sociales diverses, d’opinions politiques et religieuses variées, voire opposées, ont fait un choix en somme facile à formuler : ouvrir ou fermer les yeux. Répétons-le, il ne s’agit pas de juger mais de mesurer le degré d’implication – au demeurant sans risque aucun dans la majorité des cas puisqu’on ne sort pas de l’écrit intime – d’auteurs dans la réalité de leur temps, d’observer leur attitude « devant la porte sombre » selon la belle expression de Julien Green, si loin, si proche, lui, de ce qui se passait en Europe. Aucun des diaristes de notre corpus n’a été résistant au sens plein du terme, les écrivains physiquement engagés dans le combat contre l’occupant, tel Jean Prévost, l’ayant payé de leur vie sans autre forme de procès. Jusqu’à quel point ont-ils été non consentants ? Nous avons tenté d’y apporter une réponse que d’autres approches corroboreraient, notamment au plan de l’anglophobie proclamée par la presse et la radio vichyssoises, l’intérêt des journaux personnels étant d’offrir, après-coup, et parfois de longue date, une chronique des « actualités » du temps passé.
Annexe
ANNEXE I. Corpus
Cabanis José, Petit entracte à la guerre. Journal 1940-1943, Gallimard, 1980.
Claudel Paul, Journal II (1933-1955), éd. de Jacques Petit et François Varillon, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1969.
Cocteau Jean, Journal 1942-1945, éd. de Jean Touzot, Gallimard, 1989.
Gide André, Journal II. 1926-1950, éd. de Martine Sagaert, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1997 [1re édition : Journal 1939-1942, Gallimard, 1946 ; Journal 1942-1949, Gallimard, 1950].
Green Julien, Journal : III – Devant la porte sombre (1940-1942), Œuvres complètes, IV, éd. de Jacques Petit, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1975.
Grenier Jean, Sous l’Occupation, éd. de Claire Paulhan et Gisèle Sapiro, Éditions Claire Paulhan, « Pour Mémoire », 1997.
Guéhenno Jean, Journal des années noires 1940-1944, Gallimard, « folio », 2002 [1re édition : Gallimard, 1947].
Guilloux Louis, Carnets 1921-1944, Gallimard, 2005 [1re édition : Gallimard, 1978].
Jullian Philippe, Journal 1940-1950, Grasset, 2009.
Malaquais Jean, Journal de guerre [1re édition : New York, 1943] suivi de Journal du métèque 1939-1942, Phébus, 1997.
Martin du Gard Roger, Journal III, 1937-1949, éd. de Claude Sicard, Gallimard, 1993.
Mauriac François, Le Cahier noir, Desclée De Brouwer, « Les Carnets », 1994 [1re édition : pseud. Forez, Éditions de Minuit clandestines, 1943].
Schlumberger Jean, Notes sur la vie littéraire – 1902-1968, éd. de Pascal Mercier, Gallimard, « Les Cahiers de la NRF », 1998.
Sentein François, Nouvelles minutes d’un libertin (1942-1943), Le Promeneur, 2000.
Thomas Henri, Carnets 1934-1948, éd. établie par Nathalie Thomas, préfacée par Jérôme Prieur et annotée par Luc Autret, Éditions Claire Paulhan, « Pour Mémoire », 2008.
Werth Léon, Déposition. Journal 1940-1944, Viviane Hamy, 1993 [1re édition : Grasset, 1946].
ANNEXE II
Lettre de Paul Claudel au Grand Rabbin de France72
Château de Brangues
Morestel
Le 24 décembre 1941
Veille de Noël
Monsieur,
Mon bon ami Wladimir d’Ormesson vient de me donner votre adresse. Je tiens à vous écrire pour vous dire le dégoût, l’horreur, l’indignation qu’éprouvent à l’égard des iniquités, des spoliations, des mauvais traitements de toutes sortes dont sont actuellement victimes nos compatriotes israélites, tous les bons Français et spécialement les catholiques. J’ai toujours trouvé en eux non seulement des esprits ouverts mais des cœurs généreux et délicats. Je suis fier d’avoir parmi eux beaucoup d’amis. Un catholique ne peut oublier qu’Israël est toujours le fils aîné de la promesse, comme il est aujourd’hui le fils aîné de la douleur. Mais « Bienheureux ceux qui souffrent persécutions pour la justice ». Que Dieu protège Israël dans cette voie rédemptrice. « Je ne serai pas toujours irrité », a dit le Seigneur par la voix de son prophète.
Agréez l’expression de mes sentiments les plus distingués.
Paul Claudel
Ambassadeur de France
Monsieur le Grand Rabbin
de France
Notes de bas de page
1 La contribution de Pierre Laborie au présent volume en est la preuve.
2 Dans un souci d’uniformisation typographique, nous écrivons Juif/Juive pour le substantif et juif/juive pour l’adjectif.
3 Jean Cayrol, « D’un romanesque concentrationnaire », Esprit, no 159, septembre 1949 ; repris sous le titre « De la mort à la vie » in Nuit et brouillard, Fayard, 1997, p. 49-50.
4 Gisèle Sapiro, La Guerre des écrivains, Fayard, 1999. Pour notre part, conformément à la ligne scientifique arrêtée ici, nous ne prenons en compte que les journaux des écrivains ayant adopté une position allant « du non-consentement à la résistance » ; on ne retiendra donc pas le Journal 1939-1945 de Drieu La Rochelle (Gallimard, 1992) pas plus que celui de Marcel Jouhandeau, Journal sous l’Occupation (Gallimard, 1980). On laisse également de côté le Journal de l’Occupation de Jean Giono qui ne débute qu’en septembre 1943 ainsi que le Journal de guerre de Simone de Beauvoir qui va du 1er septembre 1939 au 29 janvier 1941.
5 On signalera, pour les romans uniquement car Léon Werth a mené par ailleurs une intense activité de journaliste, Clavel soldat et Clavel chez les majors (Albin Michel, 1919) ainsi que Caserne 1900 publié à titre posthume (1993) par Viviane Hamy qui a également réédité, parmi d’autres, les ouvrages précédents. C’est à lui que Saint-Exupéry a dédié Le Petit Prince : « À Léon Werth, quand il était petit garçon. » Sur l’amitié entre les deux écrivains, particulièrement pour la période de la guerre, voir la notice de Lettre à un otage dans Antoine de Saint-Exupéry, Œuvres complètes II, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2001, p. 1262-1277.
6 Viviane Hamy, 1992.
7 Par « génération », nous entendons la place prise par chacun des auteurs à une période donnée, sans stricte coïncidence parfois avec leur date de naissance.
8 Voir la préface que Camus avait donnée en 1959 à la réédition des Îles (1933) de Jean Grenier, reprise dans la collection « L’Imaginaire », Gallimard, 1977.
9 L’œuvre romanesque de Louis Guilloux a fait l’objet d’une réédition dans la collection « Quarto » de Gallimard (2009) sous le titre D’une guerre l’autre ; on consultera l’essai d’Henri Godard, Louis Guilloux, romancier de la condition humaine, Gallimard, 1999.
10 Il en a transposé les péripéties dans son roman Planète sans visa (1947), réédité par Phébus en 1999 puis dans la collection de poche « Libretto » en 2009.
11 AM (ante mortem) et PM (post mortem) signalent la publication du journal du vivant de l’auteur et/ou après sa mort. On ne tient pas compte ici des rééditions posthumes, éventuellement augmentées et modifiées (voir la bibliographie).
12 T. XI, « Bibliothèque Bernard Grasset », chez Arthème Fayard, 1952.
13 « Je vais à Lons pour y déclarer qu’aux termes de la loi du 2 juin 1941, je suis juif. Je me sens humilié, c’est la première fois que la société m’humilie. Je me sens humilié non pas d’être juif, mais d’être présumé, étant juif, d’une qualité inférieure. » Léon Werth, Déposition, Journal 1940-1944, Viviane Hamy, 1992, p. 225. Entrée du 9 juillet 1941.
14 « En mer. […] N’était André Gide, Galy et moi serions en route pour fertiliser de nos cendres les sillons du Troisième Reich. » Journal de guerre suivi de Journal du métèque 1939-1942, Phébus, 1997, p. 333. Ultime entrée du 8 octobre 1942. « Galy » était la femme de Malaquais à cette époque.
15 La brièveté du Cahier noir de Mauriac explique le peu de place accordée à la question juive ; son indignation flétrit principalement le Maréchal et Laval.
16 Jean Cocteau, Journal 1942-1945, Gallimard, 1989, p. 148.
17 « Noël 1942 – Midi. Été embrasser Colette. Elle sortait. J’ai traversé le Palais-Royal avec elle et Maurice. Imprudence impardonnable de Maurice, revenu de Saint-Tropez et qui ne porte plus son insigne. Colette, la bravoure, l’élégance mêmes. Elle avait retrouvé le calme quand il était loin. Risque pour risque, mieux valait ne pas lui donner ce sujet d’angoisse. Elle ne montre que sa joie d’être avec Maurice » ; ibid., p. 225.
18 Paul Claudel, Journal II (1933-1955), Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1969, p. 404.
19 François Sentein, Nouvelle minutes d’un libertin (1942-1943), Le Promeneur, 2000, p. 81-82.
20 J. Cocteau, Journal 1942-1945, op. cit., p. 148. Il ajoute : « Une seule histoire drôle. Un monsieur salue un Juif parce qu’il porte l’étoile jaune. Le Juif le gifle. On les emmène au poste. Impossible de se faire comprendre. »
21 Jean Guéhenno, Journal des années noires 1940-1944 (1947), Gallimard, « folio », 2002, p. 266.
22 Jean Grenier, Sous l’Occupation, Éditions Claire Paulhan, 1997, p. 285.
23 J. Malaquais, Journal de guerre, op. cit., p. 324. Entrée du 30 mai 1942.
24 Philippe Jullian, Journal 1940-1950, Grasset, 2009, p. 118.
25 J. Cocteau, Journal 1942-1945, op. cit., p. 146. Entrée du 8 juin 1942.
26 L. Werth, Déposition, op. cit., p. 303. Entrée du 10 juin 1942.
27 J. Cocteau, Journal, op. cit., p. 154.
28 Ibid. Entrée du 16 juin 1942.
29 Julien Green, Journal III – Devant la porte sombre (1940-1942), in Œuvres complètes IV, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1975, p. 668.
30 Nous empruntons ici son titre à la somme de Jacob Boehme (1575-1624), De la signature des choses, trad. fr. Pierre Deghaye, Grasset, « Les Écritures Sacrées », 1995.
31 J. Guéhenno, Journal des années noires, op. cit., p. 238.
32 L’une des meilleures illustrations littéraires de ce motif se trouve dans le roman de Bernard Frank, Les Rats, paru en 1953, dans lequel l’auteur, qui fut lui-même un enfant juif pendant la guerre, fait dire à un chauffeur de taxi : « Tenez, pour vous montrer comme ils sont, j’ai une cousine qui avait comme voisins des Juifs polonais, des fourreurs pleins de sous. Quand les Allemands arrivent, ces rats-là vont sonner, affolés, chez elle. Remarquez que, jusqu’alors, c’était tout juste s’ils lui avaient dit bonjour. Ça n’a pas d’éducation, ces gens-là » (Romans, Flammarion, « Mille et une pages », 1999, p. 350).
33 L’abbaye bénédictine de Fleury, à Saint-Benoît-sur-Loire.
34 J. Cocteau, Journal, op. cit., p. 73. Entrée du 6 avril 1942.
35 Max Jacob est mort au camp de Drancy le 5 mars 1944. Il était né en 1876.
36 J. Cocteau, Journal, op. cit., p. 199. Entrée du 10 septembre 1942.
37 J. Guéhenno, Journal des années noires, op. cit., p. 251.
38 André Gide, Journal II. 1926-1950, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1997, p. 855.
39 Ibid., p. 856.
40 J. Grenier, Sous l’Occupation, op. cit., p. 252.
41 Ibid., p. 274.
42 J. Green, Journal III, op. cit., p. 650. Entrée du 19 avril 1942.
43 Voir, en annexe, le texte de cette lettre qui a été reproduite dans les Cahiers Paul Claudel 7 – La Figure d’Israël – Gallimard, 1968 ; on y trouve, en outre, le dossier complet de l’enquête de police instruite à l’encontre de l’ancien ambassadeur, soupçonné par ailleurs d’avoir favorisé la sortie de France de Paul-Louis Weiller, directeur, à Lyon, d’une société industrielle dont Claudel était actionnaire. Sur tout cela, voir Journal II, op. cit., p. 886-393, entrées du 17 janvier au 23 mars 1942.
44 Ibid., p. 414.
45 Voir, notamment, Jacques Duquesne, Les catholiques français sous l’Occupation, Éditions du Seuil, « Points-Histoire », 1996.
46 P. Claudel, Journal II, op. cit., p. 400.
47 Ibid., p. 401.
48 Les textes de ses conférences et articles, publiés pendant la guerre, ont été recueillis sous le titre La Croix du Christ contre la croix gammée aux éditions L’échelle de Jacob, 2009.
49 J. Malaquais, Journal de guerre, op. cit., p. 329.
50 L. Werth, Déposition, op. cit., p. 371. Les Cahiers du Témoignage Chrétien ont connu quinze livraisons clandestines entre novembre 1941 et juillet 1944, imprimées à Lyon, ainsi qu’à Paris à partir de 1943. Leur réédition intégrale en fac-similé a été donnée par Renée Bédarida et Adrien Nemoz, à Paris, en 1980.
51 J. Green, Journal III, op. cit., p. 661. Entrée du 6 juin 1942.
52 José Cabanis, Petit entracte à la guerre. Journal 1940-1943, Gallimard, 1980, p. 109.
53 J. Cocteau, Journal, op. cit., p. 49 (entrée du 20 mars 1942). « Espéria » était un restaurant réputé de la rue Sainte-Anne. Maurice Goudeket avait été incarcéré au camp de Royallieu, près de Compiègne, du 12 décembre 1941 au 6 février 1942. René Mas était le critique dramatique du Petit Bleu. René Blum (1884-1944), frère de Léon, devait mourir en déportation. Directeur du théâtre de Monte-Carlo et du casino du Touquet, il avait fondé et dirigé jusqu’en 1936 les Ballets russes de Monte-Carlo.
54 Voir Thomas Clerc, Maurice Sachs le désœuvré, Éditions Allia, 2005.
55 J. Grenier, Sous l’Occupation, op. cit., p. 283.
56 F. Sentein, Nouvelles minutes d’un libertin, op. cit., p. 261. Alias (1935) est le titre d’un roman où Maurice Sachs s’était pris pour modèle.
57 Voir Paul Renard, « Maurice Sachs ou la fascination de l’abjection », Roman 20-50, no 42, décembre 2006, p. 115-125.
58 Voir la note liminaire, « La fin de Maurice Sachs », donnée par Étienne Gueland et Henri Perrin à l’édition de son journal de prison, Derrière cinq barreaux, Gallimard, 1952.
59 Voir la Note ouvrant la réédition de son roman Le Premier de la classe (1921) chez Grasset en 1945.
60 Jean Schlumberger, Notes sur la vie littéraire – 1902-1968, Gallimard, 1998, p. 236.
61 L. Werth, Déposition, op. cit., p. 276.
62 J. Guéhenno, Journal des années noires, op. cit., p. 271. Jean Grenier avait noté au mois de juin : « Persécution des Juifs. – Les Allemands veulent les déporter en Russie » (Sous l’Occupation, op. cit., p. 287).
63 François Mauriac relève dans son Cahier noir : « À quelle autre époque les enfants furent-ils arrachés à leurs mères, entassés dans des wagons à bestiaux, tels que je les ai vus, par un sombre matin, à la gare d’Austerlitz ? » (DDB, « Les Carnets », 1994, p. 42). Ce sont en fait sa femme Jeanne et son fils Claude qui assistèrent à cette scène le 18 juillet 1942.
64 L. Werth, Déposition, op. cit., p. 342.
65 J. Cabanis, Petit entracte à la guerre, op. cit., p. 96.
66 Roger Martin du Gard, Journal III, 1937-1949, Gallimard, 1993, p. 509.
67 P. Claudel, Journal II, op. cit., p. 415. La citation latine renvoie au livre d’Ézéchiel, 38 22 : « Je châtierai par la peste et le sang, je ferai tomber la pluie torrentielle, des grêlons, du feu et du soufre, sur lui, sur ses troupes et sur les peuples nombreux qui sont avec lui. »
68 Apocalypse, 16 21 : « Et des grêlons énormes – * près de quatre-vingt livres ! – s’abattirent du ciel sur les hommes » [Litt. *« près d’un talent » : environ 40 kg].
69 L. Werth, Déposition, op. cit., p. 394.
70 Ibid., p. 399.
71 Voir Élisabeth Roudinesco, Retour sur la question juive, Albin Michel, 2009.
72 On peut constater que dans la copie de cette lettre « que certains Juifs font diffuser et distribuer comme tracts » selon le Commissaire général aux questions juives, et figurant dans un courrier adressé au ministère de l’Intérieur le 30 janvier 1942 à des fins de poursuites contre son auteur, se trouve un ajout : « J’ai eu de fréquents rapports avec des Juifs de toutes nations et j’ai toujours… » On comprend aisément dans quelle intention. Voir Cahiers Paul Claudel 7, op. cit., p. 327.
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Ce livre est cité par
- Riondet, Charles. (2017) Le Comité parisien de la Libération. DOI: 10.4000/books.pur.153530
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