Conclusion
p. 355-358
Texte intégral
1Durant le premier XXe siècle, les Bretons ont subi le choc des deux guerres mondiales en faisant preuve d’un fort patriotisme tant par les sacrifices consentis de 1914 à 1918 que durant l’Occupation et dans les combats de la Résistance et de la Libération. Dans les tensions et les affrontements politiques et sociaux nationaux, la société bretonne majoritairement rurale et catholique mais avec une frange littorale et un réseau urbain non négligeable a poursuivi son intégration à la nation française tout en restant attachée à son identité régionale bretonne emboîtée dans l’identité nationale française. Du fait de la pression démographique dans les campagnes et de la révolution des transports, l’intégration au marché national, la modernisation économique et l’aspiration à vivre mieux ont contraint de nombreux jeunes Bretons à l’exode rural et à la recherche d’un emploi loin de leur village. Les cadres de la société traditionnelle dominée par ses élites politiques, sociales et religieuses en sont ébranlés. Cette ouverture sur le monde, pas nouvelle, et ces mutations économiques lentes mais profondes facilitent la circulation des idées à gauche comme à droite alors que les mémoires antogonistes de la Révolution française irriguaient le champ politique des droites conservatrices et catholiques et des gauches républicaines dans un affrontement électoral le plus souvent bloc contre bloc.
2Sous la IIIe République, dans les joutes électorales, on observe en Bretagne une nationalisation de la vie politique très sensible au XXe siècle. Comme ailleurs le clivage droite-gauche fonctionne nettement. Toutefois, la vision un peu simpliste d’une région de droite mérite d’être nuancée car si elle répond bien aux résultats des principales consultations nationales, la situation géopolitique régionale est en réalité beaucoup plus complexe. Comme André Siegfried l’avait déjà bien mis en valeur en 1913, l’analyse du comportement politique de l’Ouest de la France fait apparaître des traditions très différentes d’une région à l’autre, y compris au sein d’un même département, ancrées dans la longue durée : à l’opposition classique ville-campagne, littoral-intérieur, s’ajoutent les différences entre des pays blancs et des pays bleus. La question religieuse et scolaire étant la principale ligne de partage droite-gauche, même si la question sociale devient importante dans les années 1930 et après la Libération, candidats, partis et électeurs se déterminent le plus souvent en fonction de ce paramètre et c’est ce qui fait la différence lorsque l’affrontement national est très vif.
3Néanmoins, confortée par le Ralliement des catholiques et la pugnacité des républicains, la République a gagné la partie dès avant 1914 malgré les soubresauts des premières années du XXe siècle et le processus a été consolidé par l’Union sacrée. Des môles de résistance anti-républicaine n’en subsistent pas moins animés par l’aristocratie monarchiste de Loire-Inférieure qui traverse la période en s’adaptant, y compris après 1945, grâce à un contrôle social des campagnes appuyé sur de solides et multiples réseaux. C’est l’une des spécificités des droites bretonnes. Ce bloc conservateur est quelque peu entamé dans certaines régions comme le Vannetais par la montée en puissance électorale de la démocratie chrétienne en 1928 et le glissement vers une droite républicaine qui prend le relais de l’aristocratie monarchiste. En outre, la présence de notables républicains laïques mais modérés dans les années 1910-1930 a aussi permis d’éliminer les tenants du « château » et du traditionalisme quand en même temps une fraction du bas-clergé prenait ses distances avec la dynastie régnante localement. Il n’en reste pas moins que les Bretons lors des scrutins législatifs votent souvent à contre-courant des majorités nationales, en 1919, en 1924 et en 1936, mais pas en 1928, ni en 1932 ni à la Libération. De fait, sans grande originalité, les comportements et les pratiques politiques des Bretons se fondent de plus en plus dans les grandes évolutions nationales. L’échec du second Emsav, la tentative de créer de toutes pièces un mouvement politique breton pendant l’entre-deux-guerres est là pour le prouver d’autant plus que sa fraction d’extrême-droite s’est engagée dans le collaborationnisme avec l’occupant nazi, jetant le discrédit sur cette mouvance pour longtemps.
4Dans cet affrontement bipolaire droite contre gauche, la question de l’existence, du maintien ou de l’émergence de centrismes se pose. Ce positionnement centriste passe d’ailleurs davantage par les élus que par les forces politiques. Ainsi de nombreux notables, parlementaires ou élus locaux laïques, issus souvent du camp de la gauche républicaine – mais plusieurs députés bretons ont fait le chemin inverse de 1914 aux années 1920 – cherchent à se positionner au centre de l’échiquier pour des raisons électorales mais aussi parce qu’ils n’ont pas le choix. En effet, le développement du radical-socialisme d’abord, avant 1914 et dans les années 1920, puis du socialisme SFIO et même du communisme dans les années 1930 et surtout à la Libération, les déportent mécaniquement vers le centre, voire vers la droite sur l’axe partisan gauche-droite. Ce glissement s’opère vers le centre gauche puis vers le centre droit dégageant un espace politique par une gauche socialiste en progrès dans les années 1930. Par anticommunisme, ces notables centristes rejoignent de fait le bloc des droites en 1936 ; ils sont laminés aux élections législatives même s’ils résistent mieux au niveau local dans les mairies, les conseils généraux et au Sénat. Ce centrisme laïque cherche un second souffle au centre gauche à la Libération. C’est le cas d’une personnalité comme le Français libre René Pleven qui joue la carte de l’UDSR et s’allie à un radicalisme affaibli en 1945. Mais, dès 1946 au sein du RGR, puis par des alliances politiques locales, pour survivre face au MRP ce centrisme doit s’entendre avec des notables de la droite traditionnelle. À gauche, contre un PCF qui a fortement progressé depuis 1936 grâce à son engagement résistant et une SFIO qui s’était affirmée électoralement avec le Front populaire dans les villes et dans certaines régions rurales, sur le terreau républicain, radical, et parfois anticlérical, ce radical-socialisme n’a plus guère d’espace politique. Confronté au tripartisme, il éclate d’ailleurs en 1945-1946 en une aile gauche qui rejoint la SFIO, voire pour quelques élus le PCF, et une aile droite qui se retrouve au sein d’un RGR anticommuniste.
5Autre spécificité bretonne, un centrisme catholique et clairement républicain tente de se dégager du bloc des droites conservatrices à partir du milieu des années 1920 engrangeant quelques succès législatifs sous la houlette du PDP. Avec des relais de presse importants et contre une fraction de l’épiscopat très à droite (proche de l’Action française jusqu’en 1926) et du clergé, ces démocrates-chrétiens mènent un rude combat politique contre la droite conservatrice divisant le camp des catholiques. Dans quelques départements, en 1919 et en 1924, ces démocrates-chrétiens ont tenté des alliances électorales avec des centristes laïques en butte au radical-socialisme trop anticlérical à leur goût et aux socialistes SFIO. Prématurés, leurs efforts pour surmonter le clivage droite-gauche n’ont pas abouti les contraignants à rester dans le camp de droites en 1924 et en 1936. Ceci dit, en dépit de ses velléités centristes, l’opposition dure du PDP au Cartel des gauches comme au Front populaire en fait encore un parti de droite. Ce centrisme catholique débouche néanmoins sur les impressionnants succès électoraux du MRP en 1945-1946, moins au niveau local qu’au plan parlementaire. Comme dans les partis de la gauche marxiste, des hommes et des femmes issus de la Résistance développent ce nouveau parti qui capte une grande partie de l’électorat de la droite catholique, parfois en concurrence avec des listes de droite, parfois en alliance comme dans le Morbihan. Par crainte du PCF, voire de la SFIO, ce vote en faveur du MRP est lourd de contradictions car ce n’est pas vraiment un vote d’adhésion. Et à la première occasion, c’est-à-dire en 1947, ces électeurs vont retourner vers la droite classique qui, affaiblie en 1945 sauf en Loire-Inférieure, se réorganise rapidement. Le RPF gaulliste joue alors le rôle de sas en affaiblissant le MRP qui va camper au centre droit.
6La gauche connaît en Bretagne des évolutions comparables aux tendances nationales même si elle est souvent minoritaire dans l’entre-deux-guerres. Puisant leurs racines dans les combats du mouvement ouvrier de la fin du XIXe siècle, isolés et peu nombreux dans les milieux populaires urbains et portuaires, les socialistes réformismes et révolutionnaires n’échappent pas aux crises nationales et internationales. Après la scission du congrès de Tours en 1920, la plupart des cadres de la SFIO reconstruisent le parti socialiste en développant leurs réseaux, ce qui permet un certain essor à la faveur du Front populaire. Le PCF, force marginale, bénéfice lui aussi de la dynamique du Front populaire pour élargir sa modeste implantation. La Seconde Guerre mondiale modifie le rapport des forces à gauche en sa faveur : en Bretagne le PCF fait jeu égal puis dépasse en voix et en sièges la SFIO en 1946 s’inscrivant dans une dynamique nationale. Mais si la poussée électorale de la gauche marxiste est sensible à la Libération, notamment au niveau local, elle n’en reste pas moins minoritaire dans la région du fait d’un transfert de voix plus que d’une progression, l’électorat radical étant capté par les socialistes et les communistes.
7Jusqu’en 1940, des notables qui avaient souvent commencé leur carrière avant 1914 dominent la vie politique locale et nationale. En 1919, le renouvellement générationnel des parlementaires a été somme toute limité dans la région. Logiquement, un certain nombre de députés rejoignent le Sénat dans les années 1920 ou 1930 en conservant leurs mairies. Pourtant, à la fin des années 1920 et au début des années 1930, une génération d’élus plus jeunes émerge aussi bien à gauche (radicaux-socialistes, socialistes) qu’à droite (Fédération républicaine, PDP) dont plusieurs tentent de poursuivre leur carrière après la guerre. Bousculant quelque peu les notables en place, à un moment où les partis politiques se structurent de manière plus moderne (en fédérations départementales et en sections), et pas seulement à gauche, ces nouveaux venus adoptent des pratiques plus militantes. Ils reflètent en effet le passage du temps des notables appuyés sur des réseaux relationnels traditionnels et des comités électoraux éphémères à celui des élus épaulés et relayés par des militants et des organisations de type parti de masses même si leurs effectifs restent le plus souvent limités. Cette mutation engagée d’abord à l’extrême-gauche avec les socialistes au début du siècle, puis les communistes, gagnent les ligues d’extrême-droite et même les partis de droite comme le PSF lors de la crise des années 1930. À l’issue du combat résistant, ces partis de masse s’épanouissent surtout à gauche à la Libération en s’appuyant sur de nombreux relais associatifs et organisations satellites mais aussi au MRP et ensuite au RPF. Ils ne touchent cependant qu’une petite partie des citoyens.
8Les forces politiques extrémistes ne s’implantent jamais durablement en dépit de poussées comme le dorgérisme dans les années 1930. L’extrême-gauche, des anarchistes aux trotskistes et aux dissidents de la SFIO, ne concerne que quelques petits noyaux militants très localisés et très faibles. Le PCF ne s’enracine vraiment en Bretagne que lorsqu’il adopte une ligne républicaine d’intégration à la nation, à partir de 1934, et surtout dans la Résistance patriotique. L’extrême-droite notabiliaire et monarchiste, c’est-à-dire hostile à République, ne se maintient que très localement en Loire-Inférieure alors que l’Action Française est éliminée après sa condamnation par le Vatican. Les partis collaborationnistes, souvent animés par des gens venus de l’extérieur, sont rejetés par les Bretons y compris le PNB. Refusant les extrêmes sans abdiquer leurs convictions politiques et spirituelles, les citoyens de Bretagne se reconnaissent dans le patriotisme. Beaucoup s’engagent ou soutiennent le combat résistant pour la libération nationale, dans la France libre et en France occupée, en surmontant les clivages politiques et idéologiques. Cette mémoire résistante va marquer durablement les évolutions politiques ultérieures.
9L’étude des relais des forces politiques et des élus (presse, réseaux, associations et syndicats) et de leur adaptation a permis de mieux cerner les vecteurs de leur enracinement et de leur longévité au sein d’une société qui évolue toute en conservant une identité régionale forte même si l’identité bretonne tend à être perçue négativement dans la première moitié du XXe siècle. En même temps, dans le cadre d’une culture républicaine dominante des cultures politiques spécifiques s’élaborent forgeant des identités partisanes fortes et identifiables dans les classes sociales et les milieux socio-professionnels.
10En 1946, après les bouleversements de la Libération et la mise en place de la Quatrième République, la situation politique de la Bretagne paraît stabilisée dans des rapports de forces répondant au tripartisme qui gouverne le pays à la différence près qu’ici c’est le MRP qui arrive en tête et que, en dépit d’une poussée des partis marxistes, les centristes et la droite restent majoritaires. À tous les niveaux, le personnel politique a été profondément renouvelé faisant émerger dans tous les partis de nouveaux notables qui doivent tenir compte de leurs militants et de leur électorat. Mais, dès les élections municipales de 1947, comme dans l’ensemble du pays le rapport entre les forces politiques est remis en question en Bretagne : des recompositions sont à l’œuvre surtout au sein des droites et au centre. Mais ceci est une autre histoire.
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Les forces politiques en Bretagne
Ce livre est cité par
- (2017) Histoire des droites en France. DOI: 10.3917/perri.richa.2017.01.0575
- (2018) La Bretagne. DOI: 10.3917/talla.corne.2018.01.0363
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