Chapitre VIII. Les relais des partis politiques, des élus et des militants
p. 307-353
Texte intégral
1Durant l’entre-deux-guerres, la vie politique locale et nationale passe encore largement par les élus et les notables qui sont en relation directe avec leurs concitoyens. La notoriété, la proximité sont des éléments essentiels au cursus honorum républicain. Sauf à l’extrême gauche (PCF) et à gauche (SFIO, voire Parti radical-socialiste), le militantisme partisan est peu développé en dehors des campagnes électorales. Ces pratiques politiques notabilaires héritées de la IIIe République changent : avec la crise des années 1930 et la radicalisation politique lors du Front populaire des partis de militants, partis de masse modernes, se développent à gauche comme à droite au détriment des notables les plus anciens qui avaient des étiquettes politiques mais étaient réticents à toute discipline partisane. Ces notables républicains, au centre en particulier, ont alors tendance à être laminés avec la bipolarisation droite-gauche très nette en 1936. À la Libération, les partis politiques structurés, ceux du tripartisme issu de la guerre, renforcent leur poids en attirant des milliers de militants et d’adhérents. Il est alors très difficile d’envisager une carrière parlementaire sans appartenir à un parti politique. Le mode de scrutin de liste proportionnel renforce d’ailleurs la désignation des candidats par les partis en éliminant les notables traditionnels. Mais au-delà de la structure partisane, on peut s’interroger sur les vecteurs et les relais de l’enracinement des forces politiques et des hommes dans la société bretonne, sur leurs permanences ou leur renouvellement. Il convient d’analyser, sans prétention à l’exhaustivité, plusieurs éléments : la presse, les organisations syndicales, les divers réseaux relationnels, la culture politique qui servent de relais plus ou moins puissants à ces forces politiques nationales. En effet, l’intégration de « la petite patrie » bretonne à la « grande patrie » française engagée depuis longtemps, accélérée par la généralisation de l’école primaire et du service militaire sous la IIIe République, est achevée avec la mobilisation et les sacrifices de la Première Guerre mondiale (environ 125 000 morts en Bretagne). Cette intégration nationale, souhaitée par la majorité de la population, marquée par un recul de la pratique de la langue bretonne et l’achèvement de la diffusion du français en Basse-Bretagne notamment du fait de l’exode rural et de la nécessité de partir chercher du travail en ville ou hors de la région, n’empêche pas le maintien d’une identité régionale bretonne forte, voire une identité de pays, que les candidats des différents partis valorisent dans leur propagande et leurs discours politiques.
Presse écrite : quotidiens régionaux et presse militante de droite
2Même si la radio se développe dans les années 1930, le faible taux d’équipement des ménages et tout simplement la non-électrification des hameaux de campagnes (inachevée encore en 1945), confère une grande importance à la presse écrite. Pour diffuser les idées, les programmes, les actions et mener des campagnes électorales, c’est un relais majeur de ceux qui mènent le combat politique pendant la plus grande partie du XXe siècle. Les organes partisans servent de lien avec les militants et les adhérents beaucoup plus qu’avec les électeurs. Mais toute la presse écrite participe de la vie politique démocratique
3Dans la première moitié du XXe, la lecture de la presse quotidienne nationale est très limitée ; les grands quotidiens régionaux d’information jouent un rôle d’autant plus fort pour former et influencer l’opinion publique qu’ils ont une sensibilité politique marquée. En l’espèce, la démocratie chrétienne bénéfice d’un puissant groupe de presse dans la région : L’Ouest-Éclair fondé en 1899 par l’abbé Trochu. À partir de 1924, d’importants responsables du PDP sont liés avec le journal1. Ce « journal républicain du matin », imprimé à Rennes, a étendu son audience sur l’Ouest de la France pendant la Première Guerre mondiale passant d’un tirage de 80 000 exemplaires à 400 000. C’est un vecteur de diffusion des idées catholiques et républicaines des démocrates-chrétiens et d’enracinement de ce courant politique de centre droit encore minoritaire. Dans l’entre-deux-guerres, L’Ouest-Éclair est un outil de mobilisation contre la politique laïque et scolaire du Cartel des gauches et d’opposition au Front populaire mais les lecteurs du quotidien ne sont pas pour autant des électeurs du PDP dont l’essor reste somme toute limité en Bretagne. Le député PDP du Finistère Paul Simon en est un responsable politique. C’est aussi, au sein des droites, un outil pour combattre la droite conservatrice, ralliée à la République (Fédération républicaine) ou encore plus ou moins monarchiste de l’Ouest de la France, en attaquant électoralement ses bastions (partie orientale de la Bretagne). Par son organisation efficace, sa rentabilité économique et son dense réseau de correspondants répercutant les informations locales, sa pénétration dans toute la région est considérable. Au début de 1933, L’Ouest-Éclair est diffusé à 311 000 exemplaires dont 194 000 dans les cinq départements bretons (58 000 en Ille-et-Vilaine)2. De plus, dès 1921 la Presse régionale de l’Ouest, la société éditrice, a relancé quatre hebdomadaires départementaux qui tirent au total à 142 000 exemplaires au début des années 1930 pour toucher un lectorat rural3. C’est une force de frappe non négligeable lors des campagnes électorales.
4Rallié au régime de Vichy, L’Ouest-Éclair disparaît le jour de la libération de Rennes pour être immédiatement remplacé sur les mêmes presses par Ouest-France le 7 août 1944. Le journal est repris par la branche résistante des familles Hutin et Desgrées du Loû. Ancien secrétaire général de L’Ouest-Éclair, passé dans la clandestinité, Paul Hutin en prend la direction et il se fait élire député MRP du Morbihan en 1946. Avant même la naissance du MRP, Ouest-France qui ne tire qu’à 300 000 exemplaires en raison des restrictions de papier devient un puissant soutien du nouveau parti. La continuité politique entre les deux titres, très lus en Bretagne, est assurée en faveur de la démocratie chrétienne. Incontestablement L’Ouest-Éclair a contribué à faire éclater le bloc agraire conservateur en défendant le régime républicain. Pourtant, en dépit d’affrontements très durs dans les années 1928-1936, des convergences avec les droites catholiques existent dans la défense de l’école privée confessionnelle qui reste une ligne de partage droite/gauche à la Libération.
5Dans le Finistère, souvent opposée à L’Ouest-Éclair, La Dépêche de Brest est un quotidien d’information de sensibilité républicaine. Créée en 1886 par l’Union républicaine du Finistère, c’est d’abord un quotidien radical militant. En 1897, Louis Coudurier en devient rédacteur en chef fondant une dynastie de journalistes et de patrons de presse. Il imprime une ligne éditoriale beaucoup plus modérée, laïque et radicalisante, de centre gauche. En 1919-1920, un groupe de nouveaux actionnaires lié aux démocrates-chrétiens et en fait à L’Ouest-Éclair tente une sorte d’OPA sur la société éditrice mais est contré en 19234. Cette opération de 1919 participe d’une tentative de rapprochement des centres laïques et catholiques dans le Finistère contre la droite conservatrice et contre la SFIO. Lors du Bloc national, en 1920, La Dépêche développe ouvertement les positions de l’Alliance démocratique républicaine dont l’un des dirigeants, le député du Finistère sud Maurice Bouilloux-Lafont a des intérêts dans le journal. Ayant été poincariste, La Dépêche adopte ensuite une attitude très critique voire hostile à l’égard du Cartel des gauches. En mars 1920, le Dr Victor Le Gorgeu, proche de l’aile droite du parti radical, a été élu au conseil d’administration du journal dont il devient le président en 1940 lors du décès de Victor Tiercelet (président de 1921 à 1940). La Dépêche devient le support de la carrière politique de Victor Le Gorgeu, un républicain laïque qui ravit la mairie de Brest aux socialistes en 1929 et devient sénateur en 1930. À partir de 1929, plusieurs élus municipaux de la ville sont membres du conseil d’administration de La Dépêche de Brest qui est favorable à des convergences au centre dans les années 1930 tout en se voulant le défenseur « du parti de l’ordre » et des modérés. Par exemple, en 1936, le journal soutient Jules Lullien, le candidat radical, contre le socialiste Jean-Louis Rolland qui l’emporte. Réservé au début, il est de plus en plus critique à l’égard du Front populaire. Son aire de diffusion s’étend sur la Basse-Bretagne et son tirage moyen passe de 30 000 exemplaires en 1906 à 42 000 en 1932 et à 66 000 en 19405. En mars 1942, alors que Victor Le Gorgeu vient d’être révoqué de la mairie de Brest, avec l’appui des Allemands La Dépêche passe de fait sous le contrôle du courant régionaliste breton de Yann Fouéré qui fait aussi imprimer sur ses presses son journal La Bretagne. Pour échapper aux bombardements, le journal s’est replié à Morlaix en 1941. Il développe désormais une ligne vichyste, voire favorable à l’occupant. La Dépêche disparaît le 3 août 1944 et est remplacée par Le Télégramme de Brest et de l’Ouest le 17 septembre 1944, toujours contrôlé par la famille Coudurier, tirant à 90 000 exemplaires.
6De même, Le Phare de la Loire est un quotidien républicain influent publié à Nantes depuis 1852 et favorable aux radicaux jusqu’en 19146. Mais après 1919, il évolue vers la droite préconisant l’union nationale. Il serait cependant de nuance radicale avec un tirage de 80 000 exemplaires dont 65 000 diffusés en Loire-Inférieure7. Sous l’Occupation, ce journal est ouvertement pétainiste et favorable à la collaboration avec le IIIe Reich, ce qui conduit à sa disparition le 15 août 1944 et à son remplacement par La Résistance de l’Ouest.
7Durant l’entre-deux-guerres, la presse quotidienne régionale n’est pas favorable à la gauche en Bretagne alors que les droites conservatrices et cléricales conservent d’importants journaux. Ainsi Le Nouvelliste de Bretagne, publié Rennes depuis 1901, est un journal conservateur soutenu par l’épiscopat breton contre le turbulent et républicain L’Ouest-Éclair8. Dirigé depuis 1913 par Eugène Delahaye, farouche adversaire des démocrates-chrétiens, Le Nouvelliste de Bretagne traverse une profonde crise à la suite de l’échec électoral des conservateurs face au PDP lors des élections législatives de 1928. Au sein de la société éditrice du journal, les plus modérés souhaitent jouer l’apaisement avec le PDP et L’Ouest-Éclair avec l’appui de Mgr Charost au nom de l’unité du monde catholique. Delahaye, le directeur politique du Nouvelliste en démissionne le 2 juillet 1928 et lance La Province, un hebdomadaire indépendant – de la hiérarchie catholique – qui s’émancipe de la tutelle épiscopale pour défendre sans retenue les thèses des milieux aristocratiques les plus réactionnaires en collaborant avec l’Action française après sa condamnation par Pie XI. La Province qui revendique près de 10 000 abonnés à la fin de 1928 n’a plus l’appui du clergé. Divisées, les forces conservatrices sont affaiblies en Bretagne.
8Dans les années 1920, la presse d’information générale se réclamant du traditionalisme catholique possède pourtant de nombreux titres en Bretagne avec une diffusion hebdomadaire de près de 200 000 exemplaires. À Brest, Le Courrier du Finistère, lié à l’évêché comme Le Progrès de Quimper dépasse les 20 000 tout comme La Croix des Côtes-du-Nord ou L’Express du Dimanche à Nantes. À ses débuts, Le Courrier du Finistère soutient le PSF du colonel de la Rocque. Et il ne faudrait pas ignorer l’impact sur l’opinion catholique des publications diocésaines comme les Semaines Religieuses, publications des prélats et des diocèses, qui donnent le la contre les majorités et les politiques de la gauche, ni négliger la force de frappe des bulletins paroissiaux.
9Ce sont de puissants vecteurs de mobilisation des fidèles et des électeurs lorsque leurs intérêts, scolaires en particulier, leur semblent menacés comme en 1924-1926. En outre, en Loire-Inférieure, sous la houlette du Comité de la Droite, il existe six hebdomadaires d’arrondissement de sensibilité monarchiste tirant au total à plus de 50 000 exemplaires en 1923, à Nantes (L’Ami de la Vérité, 12 000), Saint-Nazaire, Guérande, Paimboeuf, Ancenis et Châteaubriant. Ces journaux soutiennent les parlementaires et élus de cette active sensibilité politique.
10Pour développer leur rayonnement militant, les partis politiques de toutes les tendances se dotent d’organes de presse (hebdomadaires, mensuels). Ils sont des outils de liaison et de formation pour leurs militants et sympathisants, rendant compte des activités des organisations amies. Ils servent aussi de lieux d’expression de leurs élus. Bénéficiant de l’appui matériel et financier de L’Ouest-Éclair, les fédérations du PDP s’efforcent de diffuser une presse militante dans les années 1930. C’est un journal régional, Le Petit Breton, d’abord l’organe hebdomadaire de la Fédération des républicains démocrates du Finistère, et des publications départementales comme Le Démocrate des Côtes-du-Nord en 1935.
11Journaux ouvertement militants, à l’extrême droite, les ligues disposent de leurs organes de presse. Pour pénétrer le monde rural Dorgères et la Ligue des contribuables diffusent le Progrès agricole de l’Ouest issu des milieux conservateurs et cléricaux. À partir de 1936, le PSF en plein essor publie La Volonté Bretonne qui tire à 25 000 exemplaires. Son rédacteur en chef est le Brestois Pierre Branellec. La puissante fédération du PSF de Loire-Inférieure a un mensuel, Le Volontaire de l’Ouest et un hebdomadaire, Le samedi de l’Ouest.
12On le voit, la droite qui se radicalise dans les années 1930 dispose d’importants moyens et d’une presse militante pour influencer l’électorat, sans compter les journaux professionnels et syndicaux comme Ar Vro Goz, la publication de l’Office central de Landerneau, ou Le Syndicat Agricole du syndicat des Lices à Rennes publié sur les presses du Nouvelliste de Bretagne, ce qui traduit bien les connexions conservatrices.
Le foisonnement des titres à la Libération
13Le soutien sous l’Occupation de la plupart des publications de droite ou même centristes au maréchal Pétain et à sa Révolution nationale provoque fréquemment leur confiscation à la libération dans le cadre de l’épuration. Mais rapidement la reparution sous un nouveau titre se fait par des forces résistantes. En dehors de Ouest-France, mais avec une ligne éditoriale proche de la démocratie chrétienne, les milieux catholiques lancent à Rennes le 19 septembre 1944 un journal régional, La Voix de l’Ouest. Elle est dirigée par l’abbé Chéruel, un prêtre résistant des Côtes-du-Nord, membre du Défense de la France (DF) et du CDL9. Ce journal remplace Le Nouvelliste de Bretagne mais avec une autre ligne politique et tire comme lui à 30 000 exemplaires. Les journaux issus de la Résistance ont une sensibilité proche de tel ou tel parti politique : avec Ouest-France et La Voix de l’Ouest le MRP dispose d’atouts non négligeables. À droite, La Liberté du Morbihan rend compte des débats et combats entre PRL et gaullistes en 1946.
14En Loire-Inférieure, Jacques-Louis Chombart de Lauwe, le colonel Félix dans la Résistance, se disant proche du MLN mais futur député PRL de 1945 à 1951, publie un nouveau quotidien, L’Avenir de L’Ouest, le 15 mars 1945 (60 000 exemplaires)10. Dans ce département, Le Phare de la Loire a été interdit le 15 août 1944 par Michel Debré, commissaire de la République à Angers, et remplacé le 17 août par le quotidien La Résistance de l’Ouest qui devient l’organe du CDL autorisé à publier 30 000 exemplaires. Le journal est dirigé par Jean Philippot, futur maire de Nantes (FN, PCF), et par Jean-Baptiste Gendron, proche de la SFIO, qui en devient le seul responsable en novembre 1944. Représentant les différentes sensibilités du CDL, il atteint rapidement un tirage de 115 000 exemplaires mais il entre en crise au printemps 1945 avec le retrait du FN, l’un des quatre mouvements de résistance qui avaient voix au chapitre. Les autorités auraient souhaité en faire un quotidien de gauche, mais sa société éditrice est alors détenue par des centristes, voire des hommes de droite. De fait, La Résistance de l’Ouest est finalement attribuée à l’UDSR, le nouveau parti politique de centre gauche créé en juin 1945, par Jacques Soustelle qui venait d’être nommé ministre de l’Information, lui-même membre de l’UDSR. Ce troisième quotidien nantais créé à la Libération, issu du CDL, échappait aux deux grands partis de gauche, le PCF et la SFIO. L’UDSR n’en tira pourtant pas un important gain électoral.
15En 1944-1945, le retour à la liberté de la presse s’est traduit par une floraison de publications malgré les restrictions de papier11. Ces titres vont généralement connaître une existence éphémère pour des raisons de lectorat et donc financières. C’est le cas de nombreux journaux issus de la clandestinité publiés par les mouvements de résistance qui disparaissent avec eux à la fin 1945 ou en 1946-1947. En Ille-et-Vilaine, Défense de la France (DF) a été autorisé à publier un quotidien pendant quelque temps. Le MLN, fusion au début de 1944 de plusieurs mouvements de résistance non communistes mais lié à DF en Bretagne, dispose de plusieurs titres départementaux dont La Liberté des Côtes-du-Nord du Dr Despas de Saint-Brieuc. En Ille-et-Vilaine, il publie en février 1945 l’hebdomadaire Vent d’Ouest qui tire à 30 000 exemplaires avec une diffusion régionale. Créé par le PCF en 1941, le Front national (FN) n’est pas en reste. Dans les Côtes-du-Nord, son journal imprimé à Morlaix Le Patriote des Côtes-du-Nord a eu dix numéros dans la clandestinité. À la Libération, le FN bénéficie de l’afflux de milliers d’adhérents. En Ille-et-Vilaine, il publie Le Pays Gallo (bimensuel, puis hebdomadaire, tirage à 7 500 exemplaires) ; à Nantes, son hebdomadaire s’intitule Front !, Patrie dans le Finistère ainsi que L’Union morbihannaise. Ces journaux du FN fusionnent en mars 1945 dans un hebdomadaire régional, Le Patriote de l’Ouest, dirigé par le professeur André Mussat qui tire à 30 000 exemplaires. Le Patriote des Côtes-du-Nord ne survit pas à l’éclatement du FN du fait de la rivalité électorale des communistes et des socialistes à l’automne 1945.
16Indéniablement, une presse de gauche développe son audience à la faveur de la Résistance après la guerre alors que les milieux catholiques de droite ou de centre droit s’efforcent de maintenir leur influence. Ainsi dans les Côtes-du-Nord, le journal Renouveau et La Voix de l’Ouest ont fait campagne en mai 1946 contre la liste Pleven considérée comme « trop laïque ».
Les journaux des élus
17À côté des principaux journaux, dans la tradition républicaine de la fin du XIXe siècle, de nombreux parlementaires ont créé sur leurs deniers, ce qui implique un certain niveau de fortune ou de solides appuis financiers, des publications diffusées dans leur circonscription, régulièrement mais le plus souvent épisodiquement à l’occasion des campagnes électorales. C’est un moyen de garder le contact avec leurs électeurs et de réagir aux événements politiques. L’inventaire ne saurait en être exhaustif. Citons toutefois des petites publications qui ont eu une durée de vie longue et qui permettent d’analyser les positions et les évolutions de personnalités marquantes. Dans le Finistère sud, c’est le cas du Citoyen du radical-socialiste Georges Le Bail, expression de ce que l’on a parfois appelé le radical-baillisme, marqué par son anticléricalisme, et du Finistère, un journal laïque qui soutient la carrière de Maurice Bouilloux-Lafont (Alliance républicaine démocratique) lequel a aussi des parts dans La Dépêche de Brest. Dans les Côtes-du-Nord, élu à Dinan en 1928, le radical-socialiste Michel Geistdoerfer publie Dinan Républicain, un hebdomadaire qui permet de connaître ses analyses politiques jusqu’à son sabordage volontaire et son interdiction en 1941. À la Libération, il relance le titre qui devient Le Républicain de Dinan et est vendu à 3 000 exemplaires. Pour ces notables radicaux-socialistes, ces organes militants participent de leur combat politique contre les forces de droite, cléricales, mais parfois aussi contre les socialistes et les communistes.
18Dans la même veine mais avec une autre ligne politique, reprenant un titre créé en 1903, Le Petit Bleu de Dinan, René Pleven lance le 27 mars 1946, Le Petit Bleu des Côtes-du-Nord, dont il est le directeur politique12. Pleven a d’abord été soutenu par La Liberté des Côtes-du-Nord du Dr Despas de Saint-Brieuc qui est en 1944-1945 l’organe du MLN, mouvement de résistance dont certains membres participent à la fondation de l’UDSR. Chaque semaine ou presque jusqu’au 18 janvier 1986 (no 2078), le député de Dinan va en rédiger l’éditorial, et faire de son journal un moyen de développer son influence et son réseau de notables. Organe personnel, il informe sur la vie de la fédération UDSR des Côtes-du-Nord et en 1945-1946 sur l’activité du Parti radical-socialiste. En 1946, année de nombreuses consultations électorales, la diffusion du Petit Bleu est de 7 000 exemplaires en moyenne, 6 000 en 1947. Ce type de presse liée à un grand notable tend à disparaître après 1945 au profit d’organes des partis politiques.
La presse militante de gauche : les publications socialistes
19Les forces de gauche possèdent peu de journaux si on excepte Le Populaire de Nantes fondé en 1874, devenu quotidien en 1885, racheté en 1911 par Gaston Veil, un professeur président de la Ligue des droits de l’homme, qui en fait un titre favorable à l’Union des Gauches et au radical-socialisme. Tirant à 20 000 exemplaires en 1939, le journal se saborde à la déclaration de la guerre ce qui autorise sa reparution après la Libération (mars 1945) avec l’appui de la fédération radicale de Loire-Inférieure en devenant Le Populaire de l’Ouest (50 000 exemplaires)13.
20Dans les partis de la gauche marxiste, l’investissement dans une presse militante est précoce et important, d’abord chez les socialistes SFIO. À partir de 1907, chaque fédération socialiste s’efforce de développer son organe départemental hebdomadaire ou mensuel qui a une durée de vie parfois éphémère14. D’ailleurs en cas de crise interne, le contrôle du journal, souvent imprimé par des coopératives ouvrières mais pouvant être dépendant financièrement de tel ou tel dirigeant, est un enjeu majeur. La diffusion se fait par abonnements et un peu par la vente militante. Ainsi, la section de Saint-Nazaire de la SFIO lance-t-elle Le Travailleur de l’Ouest le 29 février 1908. À Lorient, les militants Jean Baco et Léopold Le Bourgo publient L’Éveil Socialiste pendant quatre mois en 1909. Ce n’est que le 14 octobre 1911 que naît Le Rappel du Morbihan qui devient l’organe de la fédération jusqu’en 1914 (450 abonnés) et il ne renaît qu’en 1926 comme hebdomadaire socialiste d’action laïque et républicaine ; il se saborde en 1940. À Saint-Brieuc, le journal du Dr Boyer, Le Réveil des Côtes-du-Nord, sert d’organe socialiste jusqu’à la crise municipale de 1908. Dans le Finistère, L’Égalitaire, publié à Brest de décembre 1905 à septembre 1908, est remplacé en octobre par Le Cri du Peuple. La même année paraît Le Travailleur de l’Ouest à Nantes. Charles Brunellière à Nantes comme Émile Goude à Brest en font des outils de l’implantation de la SFIO car les militants ne lisent pas le journal national. En 1912, en Bretagne, il n’y a que 37 abonnements au Socialiste dont 19 dans le Finistère. La parution de cette presse militante locale est suspendue pendant la guerre de 1914.
21Après la scission de Tours, les socialistes ont conservé plusieurs titres comme Le Cri du Peuple à Brest ou Le Populaire imprimé à Saint-Nazaire qui devient ensuite Le Populaire de Nantes. L’Aurore d’Ille-et-Vilaine a vu le jour avec la reconstitution de la SFIO le 7 janvier 1922. Elle succède à La Voix Socialiste, le journal fondé à Fougères par Louis Boudet qui a adhéré à la SFIC. L’Aurore est imprimé par la coopérative ouvrière « Les Imprimeries réunies » fondée et dirigée par le socialiste rennais Honoré Commeurec ; le journal tire à 6 500 exemplaires environ en 1924 dont la moitié est vendue dans l’arrondissement de Fougères15. Dans le Finistère, Le Cri du Peuple devient en 1921 l’organe du Parti socialiste. Mais une grave crise éclate en 1928-192916. En désaccord avec Hippolyte Masson, l’autre député SFIO, Émile Goude décide en mai 1928 d’en faire son journal. La fédération SFIO est contrainte de lancer un nouvel organe en janvier 1929, Le Breton Socialiste.
22Dans les Côtes-du-Nord, la fédération SFIO a publié quelques numéros de L’Éveil Breton avant la guerre de 191417. L’hebdomadaire n’est relancé à Dinan qu’en avril 1921 (no 18) à la faveur d’une élection législative partielle, puis publié à Saint-Brieuc. Il passe de 117 abonnés en mai 1921 à 835 en mars 1923, ce qui traduit sa faible audience. Il connaît ensuite un certain essor mais sa parution est suspendue le 30 juin 1934 à la suite de la scission des néo-socialistes briochins avec Octave Brilleaud le maire de Saint-Brieuc18. Car l’imprimerie du journal qui était d’abord une coopérative ouvrière est devenue une société anonyme qui lui appartient. Le comité de rédaction estime que le journal du parti ne peut plus dépendre d’un propriétaire qui l’a quitté. Un dernier numéro est publié à Morlaix avec l’appui de la fédération du Finistère. Dès le 13 juillet 1934, un nouveau titre Le Combat est publié à Rennes, bientôt intitulé Le Combat Social.
23Dans la presse socialiste de l’entre-deux-guerres, l’expérience de 1930 à 1937 de La Charrue Rouge dans l’ouest des Côtes-du-Nord retient l’attention car pour la première fois depuis la scission de Tours elle permet un rapprochement entre socialistes de gauche et d’extrême gauche et communistes. C’est l’aboutissement d’un projet du dirigeant socialiste Augustin Hamon, installé à Penvenan depuis 1906, qui veut développer une éducation de la paysannerie aux idées révolutionnaires. Il succède à deux tentatives : Le Travailleur du Trégor, « défenseur des petits », lancé par Yves Le Lay, le candidat de la SFIO à Lannion lors des élections législatives de 1928, puis Lannion Socialiste qui est le bulletin de la section socialiste de la ville19. La première feuille à finalité électorale disparaît au bout de sept numéros en mai 1928, la seconde au bout de cinq en avril 1930. Dans la foulée naît La Charrue Rouge le 1er juillet 1930 mais avec l’ambition de se mettre au service des luttes sociales du Trégor et surtout d’être indépendant de la fédération socialiste des Côtes-du-Nord. Cela permet à Augustin Hamon de développer ses positions politiques originales alors marginalisées au sein de la SFIO. Le titre en est trouvé par Yvonne Gouriou, la marraine du journal, et le financement du lancement partiellement assuré par James Laekey, un ami anglais d’Hamon et par les militants. Le tirage initial de La Charrue Rouge est de 1 250 exemplaires (plusieurs milliers lors des élections législatives de 1932) mais sa volonté d’indépendance est mal perçue par la SFIO et considérée à la limite de la dissidence20. Sept militants dont deux femmes, les institutrices Maria Le Maux (sœur du futur député Philippe) et Yvonne Gouriou jusqu’à son adhésion au PCF en 1933 à la suite d’un voyage en URSS, constituent le noyau dur du journal. S’y ajoutent quinze collaborateurs dont neuf professeurs et instituteurs, et treize correspondants occasionnels. Le journal qui se veut au moins mensuel bénéficie de l’appui de quelques communistes dont Marcel Cachin et du jeune Marcel Hamon. En quelques mois il rassemble 6 à 700 abonnés. Sur un lectorat de 1 500 à 2 000 personnes environ 400 noms ont été identifiés : il est composé de 34,5 % d’enseignants, 15 % de cultivateurs, 11,5 % de commerçants, 8 % d’employés et 5 % d’ouvriers. À partir de 1933 et de poursuites judiciaires pour son appui au mouvement Amsterdam-Pleyel, un rapprochement avec un organe parisien, La Vérité, élargit la diffusion du journal trégorrois à la région parisienne (12 %). Il joue un grand rôle dans l’implantation électorale de la SFIO mais entre en crise après la victoire du Front populaire à la suite d’un éclatement politique interne – les principaux rédacteurs s’investissent dans d’autres domaines – et disparaît après une lente agonie à l’été 193721. La Charrue Rouge a été un vecteur de la pénétration des idées révolutionnaires et marxistes dans le Trégor, un outil de mobilisation idéologique (l’antifascisme, le pacifisme amsterdamien, la défense de l’URSS) et sociale (la mobilisation contre les ventes-saisies) et un pont entre la SFIO et le PCF. Dans le Trégor, ce journal a contribué à l’élection du premier député SFIO des Côtes-du-Nord Philippe Le Maux tout en aidant, à son corps défendant, à l’implantation du PCF.
24Après la Seconde Guerre mondiale, grâce à l’essor militant de la Libération, la presse socialiste paraît en meilleure posture. Comme les titres d’avant-guerre se sont sabordés en juin 1940, ils sont autorisés à reparaître dès septembre-octobre 1944 : Le Breton Socialiste, L’Aurore et Le Combat Social (7 500 exemplaires). Il semble que la relance soit plus difficile dans le Morbihan où Le Rappel ne reparaît que pendant six mois à la fin 1947. De même à Saint-Nazaire, Le Travailleur de l’Ouest ne reprend pas car son directeur François Blancho, ex-député-maire, a été exclu de la SFIO pour avoir voté les pleins pouvoirs au maréchal Pétain en 1940. Il ne revoit le jour qu’en janvier 1947 sous la direction du député Jean Guitton. Pour affirmer leur présence, le 21 avril 1945 les socialistes lancent en accord avec les radicaux-socialistes un quotidien régional publié à Rennes, La République Sociale dirigée par Yves Lavoquer, membre du CDL des Côtes-du-Nord. Il obtient du papier pour un tirage à 100 000 exemplaires mais ne tire qu’à 40 000 et ne parvient à en diffuser que 25 000 à 30 000 accumulant les pertes financières, ce qui conduit à sa disparition en novembre 194722. À l’été 1945, La République Sociale avait refusé de faire cause commune avec le PCF qui voulait se doter d’un organe régional.
La presse communiste
25Les journaux communistes sont l’archétype de la presse militante car, dans la conception léniniste du parti d’avant-garde, l’agitation et la propagande (agit-prop) sont essentielles pour diffuser les idées révolutionnaires. Avec les meetings, les tracts et les feuilles locales (de ville, d’entreprise), elle tient une place de choix dans « la liaison avec les masses » que les fédérations communistes naissantes tentent de mettre en œuvre en 1921-1922. C’est une tâche bien difficile dans les années 1920, faute de moyens financiers et même de lectorat avec l’hémorragie continue des militants. En outre, la presse nationale n’est pas très diffusée. Ainsi, un an après la naissance du PCF à Tours, la diffusion de L’Humanité n’est que de 190 exemplaires dans l’arrondissement de Saint-Nazaire (130 dans la ville)23.
26Les communistes du Finistère publient Germinal (février 1921-décembre 1922) car Émile Goude a conservé le contrôle du Cri du Peuple. À Rennes, en mars 1922, rédigée largement par Louise Bodin, La Voix Communiste remplace La Voix Socialiste (300 abonnés en novembre 1921) imprimée par la coopérative ouvrière d’Honoré Commeurec24. C’est un bimensuel interfédéral destiné à trois départements (Ille-et-Vilaine, Côtes-du-Nord, Mayenne) qui tire d’abord à 500 puis à 1 000 exemplaires et est rapidement déficitaire. Louise Bodin y tient plusieurs rubriques (la voix communiste internationale, la tribune des femmes, la tribune paysanne) et rend compte de l’actualité et de la vie culturelle tout en participant à L’Humanité. La fédération Atlantique (quatre départements) est privée en 1920 d’un organe de presse. Dès mars 1921, elle accepte la proposition de Guillou, un militant de La Roche-sur-Yon qui publie Le Prolétaire de la Vendée : il devient L’Ami du Peuple mais vivote. De même, L’Humanité est peu diffusée (environ 500 numéros par jour en Ille-et-Vilaine).
27Après le congrès national de janvier 1923, la direction du PCF décide de restructurer sa presse en difficulté en regroupant les organes départementaux. C’est le cas de Germinal, de L’Ami du Peuple et de la Voix Communiste qui sont remplacés le 10 février 1923 par La Bretagne Communiste publiée à Rennes. Le journal devient davantage l’organe régional du Parti que celui de Louise Bodin qui, pour des raisons de santé, doit s’en éloigner pendant plusieurs mois25. Le tirage moyen était de 3 000 exemplaires pour 500 abonnés (392 en Ille-et-Vilaine en 1926). En Loire-Inférieure, sa diffusion est faible26 ; il est remplacé à la fin de 1926 par un nouveau titre : Le Prolétaire de l’Ouest qui disparaît à son tour en mars 1927 faute de financement. Bientôt, de septembre 1927 à novembre 1930, un autre hebdomadaire régional (sept départements), La République ouvrière et paysanne prend le relais mais il est frappé par la répression judiciaire à la fin de 1929 quand son responsable Georges Carré est poursuivi pour des articles antimilitaristes, ce qui affaiblit encore la presse du Parti27. Désormais, le PCF n’a plus de journal régional. Dans les années 1930, la presse communiste a du mal à vivre jusqu’au lancement le 5 octobre 1935 d’un nouvel hebdomadaire régional La Bretagne ouvrière, maritime et paysanne imprimé à Rennes. Les progrès de l’implantation du PCF se manifestent par l’apparition de publications locales, souvent des feuilles ronéotées. À Dinard, la cellule reconstituée en juin 1932 publie irrégulièrement jusqu’en 1935 Le Pionnier Rouge ; le rayon communiste de Guingamp lance Le Semeur du Trégor en avril 1934. La Bretagne ouvrière, maritime et paysanne est lancée à l’initiative d’Auguste Havez, membre du comité central, à un moment où, profitant de la dynamique du Front populaire, le PCF connaît un certain essor. Des militants finistériens en assurent la responsabilité et la rédaction (Alain Signor et Alain Le Lay). Le journal qui est diffusé surtout dans l’ouest breton tire en moyenne à 5 600 exemplaires. En septembre 1939, la presse communiste est interdite en même temps que le Parti.
28Sous l’Occupation, le PCF distribue L’Humanité clandestine dans plusieurs villes de la région dès l’automne 1940 et, à la fin mars 1941, il est en mesure de republier La Bretagne ouvrière, maritime et paysanne, un mensuel imprimé à Nantes et acheminé par les cheminots (sept numéros au moins). Dès la libération de la région des journaux communistes départementaux apparaissent, premiers signes de la puissance nouvelle des fédérations du Parti. Parmi ces titres bimensuels puis hebdomadaires, L’Aurore dans le Finistère dès septembre 1944 (12 000 exemplaires en février 1945), puis en octobre L’Aube Nouvelle dans les Côtes-du-Nord, Le Réveil d’Ille-et-Vilaine dont la diffusion augmente au rythme des adhésions, Clarté en Loire-Inférieure et L’Espoir dans le Morbihan au tirage limité à 7 500 exemplaires28. L’Humanité est davantage lue qu’avant-guerre et La Terre est un puissant vecteur de pénétration des idées communistes dans les campagnes, en particulier dans le Centre-Bretagne. Lors d’une visite à Rennes à la mi-janvier 1945 de Pierre-Henri Teitgen, alors ministre de l’Information, le PCF revendique lui aussi le droit de faire paraître un quotidien régional intitulé L’Avenir de l’Ouest tiré à 100 000 exemplaires afin de « compléter l’arc-en-ciel politique ». La presse communiste fait campagne pour obtenir cette autorisation puis, dans le cadre des discussions de fusion organique avec la SFIO, propose un journal commun avec les socialistes qui disposent de La République Sociale. D’abord favorable, le gouvernement laisse traîner les choses ; la direction de la SFIO s’oppose à ce rapprochement à partir de l’été 1945. Le PCF abandonne ce projet de quotidien régional au début de 1946. Cette presse militante est influente en Bretagne et elle va contribuer aux bons résultats électoraux du PCF en 1945 et 1946.
29La Libération est bien une période d’expansion de la presse écrite. Mais si les grands quotidiens régionaux se consolident, de nombreux organes plus militants sont rapidement touchés par le reflux ou même disparaissent. Dans le contexte de la guerre froide, cette presse militante a beaucoup de mal à survivre, de campagnes d’abonnements et de souscriptions en plans de sauvetage. Si la presse permet d’informer, voire de mobiliser l’électeur et le militant, d’autres vecteurs d’influence jouent un rôle essentiel dans l’implantation des notables et des partis. Il convient d’essayer de préciser le rôle et le périmètre des réseaux édifiés sur la longue durée et qui contribuent à forger les cultures politiques. Il y a d’abord les associations d’anciens combattants qui se constituent dans les années 1920.
Les associations d’anciens combattants
30Fondées après la Première Guerre mondiale, les associations d’anciens combattants touchent des milliers d’hommes et de familles dans tout le pays. Ce sont des réseaux et des groupes de pression qui comptent de 1919 à la Seconde Guerre mondiale si bien que les élus ne peuvent pas faire l’impasse sur leur appui ou leur opposition29.
31Aux élections législatives de 1919, toutes les forces politiques présentent des poilus sur leurs listes. En 1945, la Résistance joue le même rôle pour une nouvelle génération d’hommes politiques. Et même si la visibilité politique des anciens combattants s’atténue durant l’entre-deux-guerres, leur présence reste forte lors des fêtes républicaines (le 14 juillet) et des cérémonies patriotiques (11 novembre) ou lors de l’érection des monuments aux morts communaux au début des années 1920. À Rennes et à Fougères, deux cérémonies différentes cohabitent le 11 novembre, l’une officielle, l’autre pacifiste traduisant des perceptions politiques différentes. Ces cérémonies sont l’occasion pour les élus locaux et les parlementaires d’affirmer leur présence aux côtés de leurs concitoyens et de communier dans le souvenir des disparus. Les rituels commémoratifs et les discours affirment un patriotisme de bon aloi, plus ou moins teinté de pacifisme selon les personnalités et les organisations. Avec environ 125 000 morts, la Bretagne est particulièrement marquée par la saignée de la Grande Guerre30. Les anciens poilus et marins sont fort nombreux en Bretagne puisqu’en 1936 plus de 60 % des hommes nés entre 1871 et 1900 sont titulaires de la carte de combattant et même plus de 65 % dans les départements de l’Ouest breton (56,7 % en moyenne nationale), ce qui représente 288 583 détenteurs31. Les élus portent donc une attention particulière à ces associations d’anciens combattants qui rassemblent des bataillons d’électeurs potentiels.
32Deux associations nationales principales structurent le monde combattant : l’Union nationale des Combattants (UNC) et l’Union fédérale (UF) à côté d’une vingtaine d’autres plus petites. Quel est leur poids en Bretagne (tableau 1) ?
33En 1928, avec 51 582 adhérents à l’UNC et à l’UF, le mouvement associatif n’est encore que partiellement organisé dans la région mais il triple ses effectifs en quelques années (150 321). Du fait de ses gros bataillons en Loire-Inférieure l’UNC l’emporte sur l’UF en Bretagne qui est pourtant la première association dans trois départements sur cinq. Mais au début des années 1930, l’UNC conforte son avance même si l’UF progresse fortement dans le Morbihan et dans le Finistère.

Tableau 1 – Les effectifs des associations de combattants en Bretagne dans l’entre-deux-guerres32.
34Pour des raisons d’antériorité organisationnelle ou d’orientation politique, l’une des deux grandes associations domine le paysage départemental. Ainsi, première association organisée, l’UNC est hégémonique en Ille-et-Vilaine avec près de 25 000 adhérents en 1933-1935 alors que l’UF n’en a qu’environ 2 900. Quadrillant le territoire, l’UNC dispose de 203 sections communales en 1932 rattachées au groupe départemental33. Si son implantation est plus forte dans les régions de droite (pays de Vitré), elle concerne aussi les régions républicaines de tradition bleue. D’ailleurs son président l’avocat Léon Thébault, aveugle de guerre, maire et conseiller général de Janzé, est député indépendant de gauche (centre gauche) de Rennes 2 de 1930 à 1936.
35Dans le Morbihan qui compte 48 813 titulaires de la carte du combattant où l’UF arrive en tête dans les années 1930, l’apolitisme affirmé n’empêchait pas les préférences politiques des dirigeants et adhérents des associations regroupées dans un cartel comprenant l’UNC, les Poilus républicains et les Anciens Prisonniers de guerre (APG). Fondée en mars 1922 et présidée par le Dr Augé, l’UNC s’est refusée à prendre position lors de la campagne électorale de 1924. Mais la réalité est quelque peu différente. À la section de Lorient, les hommes de gauche ont été éliminés de la direction, ce qui a conduit les conseillers municipaux Louis Cren et le Dr Roux, responsables de la SFIO et du Parti radical-socialiste, à créer en avril 1923 l’amicale des Poilus républicains. Cette association a pris position pour la liste cartelliste en 1924. D’ailleurs, les dirigeants départementaux de l’UNC appartiennent à la droite tel son président d’honneur, le général de Langle de Carry34. Quant au président, le Dr Augé, il participe avec les élus de droite au rassemblement catholique de Sainte-Anne-d’Auray en octobre 1927. Plusieurs comités locaux de l’UNC ne cachent d’ailleurs pas leurs sympathies politiques. En revanche, en 1924, les APG ont apporté leur soutien aux trois députés de centre gauche sortants.
36En Loire-Inférieure, avec 9 274 membres en 1936, l’Union nationale des mutilés et réformés (UNMR) compte l’une de ses plus importantes fédérations du pays35. De même, clairement politisée, l’Association républicaine des anciens combattants, l’ARAC, dirigée par le communiste Paul Vaillant-Couturier a adhéré à la IIIe Internationale. À Nantes, les révolutionnaires de l’ARAC ont été en pointe en 1919-1920 pour l’adhésion à la IIIe Internationale ; après la scission de Tours les anciens combattants communistes ou sympathisants s’y retrouvent. En 1921, l’ARAC qui compte entre 400 et 500 adhérents en Loire-Inférieure est dirigée par Moreau, membre de la direction fédérale du PCF
37Chez les anciens combattants, les affrontements politiques sont feutrés mais réels même si tous en appellent au maintien de l’union « comme au front ». Dans la France de l’Ouest, contrôlée par des notables conservateurs, l’UNC est clairement à droite alors que l’Union fédérale est de sensibilité de gauche mais avec des nuances.
38On le voit bien avec les réactions aux émeutes parisiennes du 6 février 1934. En effet, présente dans la rue au côté des ligues nationalistes d’extrême droite, l’Union nationale de combattants (UNC) a joué un rôle non négligeable dans les manifestations qui aboutissent aux événements du 6 février 1934 à Paris. Dans les Côtes-du-Nord et en Ille-et-Vilaine, l’attitude pour le moins ambiguë de la direction nationale de l’UNC provoque une crise interne. Le président de l’UNC d’Ille-et-Vilaine, républicain convaincu, démissionne. Le 18 mars, à Dinan (300 personnes), l’UF la met en cause et explique son attachement « à la République et aux libertés démocratiques36 ». Dans la région de Jugon, le fief électoral de Louis de Chappedelaine (centre gauche), des adhérents de plusieurs sections de l’UNC démissionnent en dénonçant « les tendances fascistes » de l’association. De Chappedelaine réunit 300 élus et militants des comités républicains pour expliquer sa position politique : il avait été appelé le 30 janvier 1934 par Édouard Daladier au ministère de la Marine militaire et avait été hostile à la démission du gouvernement sous la pression de la rue. Le grand notable centriste s’efforce de rassurer sa base électorale et de la reprendre en main à un moment où la crise économique et sociale s’approfondit. L’Éveil Breton du 17 février, le journal socialiste, dénonce le bureau de l’UNC briochine qui a salué les victimes du 6 février 1934.
39Le poids électoral des anciens combattants est indéniable comme le sera celui des prisonniers de guerre après 1945. Mais beaucoup d’autres réseaux sont à l’œuvre. L’analyse des réseaux servant de relais aux partis politiques permet de mieux cerner les liaisons qui se construisent sur la durée entre les notables et la société globale. Par leur ancrage familial et social, par leurs qualités propres (professionnelles), leur capital social et leur niveau de fortune, des individus peuvent construire une carrière politique dans la démocratie élective. Mais pour percer et surtout pour durer, en un temps où les liens personnels se distendent, il convient d’avoir l’appui de réseaux sociaux organisés, héritiers du passé mais évolutifs. Les individus sont pris dans des institutions (scolaires, militaires, religieuses) qui les façonnent. Nous avions tenté une typologie de ces réseaux à l’œuvre en Bretagne en distinguant quatre cercles dont trois se recoupent très largement en dépit de contradictions internes : les réseaux des notables conservateurs héritiers du « château », les réseaux du monde rural et les réseaux catholiques37. En dépit de leurs divergences, ces réseaux s’opposent frontalement aux réseaux laïques et de gauche, qui restent minoritaires, mais qui se recomposent au cours de la période. En effet, par leur militantisme, les réseaux socialistes tendent à supplanter les réseaux radicaux dans les organisations laïques durant les années 1930. Encore marginaux dans l’entre-deux-guerres, les réseaux communistes s’élargissent et se diversifient à la Libération.
Les réseaux et le syndicalisme agricole de droite
40Il convient d’essayer de préciser le rôle et le périmètre de ces réseaux édifiés sur la longue durée et qui contribuent à forger des pratiques et une culture politique dans ses diverses variantes. Le nom, la formation professionnelle et la compétence, la maîtrise du verbe, les relations sociales, souvent aussi un certain niveau de fortune, sont des éléments indispensables à la réussite d’une carrière politique. Mais, plus on avance dans le siècle, plus le soutien discret ou affiché de partis ou d’institutions devient nécessaire. En outre, on ne peut comprendre la permanence, le déclin ou les évolutions des comportements politiques, solidement enracinés dans un espace local ou régional, sans analyser le rôle des multiples réseaux d’influence et de sociabilité. Leur action au quotidien, souvent au niveau infrapolitique, peut jouer un rôle déterminant dans une démocratie libérale, même si de plus en plus, se produit une nationalisation des enjeux politiques en fonction de la conjoncture économique et sociale, voire des répercussions nationales de la situation internationale. Il n’est pas question de mener une étude exhaustive des nombreux réseaux, sous-réseaux et microréseaux qui interviennent dans la vie politique bretonne de 1914 à 1946 mais d’en dresser un inventaire et une typologie pour tenter d’en cerner l’influence.
41D’abord, dans une société largement rurale avec encore 48 % de la population active dans le secteur primaire, principalement agricole, en 1954 et des citadins des petites villes en relation étroite avec les campagnes environnantes, les réseaux agricoles sont puissants dans la première moitié du XXe siècle. Leur contrôle est un enjeu majeur. Les droites et le bloc agraire ont cherché à y maintenir leur influence politique et idéologique contre la gauche républicaine. L’exemple le plus abouti du quadrillage d’une société et de sa permanence du XIXe siècle aux années 1950-1960 est sans nul doute celui de la Loire-Inférieure. Partout, deux organisations syndicales agricoles, conservatrices et républicaines, s’opposent dans une lutte très inégale même si de nouveaux acteurs tentent de perturber ce jeu bipolaire dans l’entre-deux-guerres.
42Les forces conservatrices longtemps hostiles à la République se sont appuyées sur la loi de 1884 reconnaissant les syndicats pour tenter de maintenir leur emprise sur les campagnes. Les unions syndicales agricoles affiliées à la très conservatrice Union des Syndicats des agriculteurs de France (SAF), sise rue d’Athènes à Paris, ont dominé les campagnes bretonnes même si les républicains ont remis en question l’influence des grands agrariens conservateurs, souvent des aristocrates, dans bon nombre de régions. Le ralliement des catholiques à la République, l’amélioration des conditions de vie des paysans, le rôle de l’école républicaine ont favorisé l’acceptation du régime républicain dès les années 1892-1900, processus consolidé par l’épreuve du feu de 1914-1918. Toutefois, la force de frappe politique du syndicalisme agricole conservateur reste considérable dans l’entre-deux-guerres. Car ces syndicats-boutiques fournissent des services indispensables aux agriculteurs (coopératives d’achat d’engrais et de matériel, de stockage et de vente, assurances, mutuelles, conseils techniques). Ce syndicalisme encadre le monde rural en s’appuyant et en servant de relais aux élites paysannes (maires) et en bénéficiant souvent de l’aide du clergé. Dans certaines régions comme la société cléricale du Léon, une sourde lutte d’influence oppose les aristocrates conservateurs, assez tôt éliminés de la scène politique, et les démocrates-chrétiens, le château et le presbytère. Selon un document interne, des prêtres et des vicaires léonards, souvent influencés par les idées du Sillon, font figure de « doubles apôtres » : de l’Église et de l’Office central de Landerneau.
43Plusieurs unions syndicales agricoles d’agrariens se partagent la région38. L’Union syndicale agricole du Morbihan (USAM), fondée en 1897, est dirigée dans les années 1920 par des notables conservateurs : son président Roger Grand, professeur à l’École des chartes, sénateur de 1927 à 1932, le comte de Lantivy et le comte du Plessix de Grenédan. En 1924, l’USAM compte 168 syndicats et 17 000 chefs de famille et elle administre 83 caisses rurales de crédit agricole, tenues souvent par le curé ou le vicaire de la paroisse, ainsi qu’une coopérative39. Cette année-là, les conservateurs ne présentant pas de liste aux élections législatives, officiellement l’USAM ne prend pas position mais son programme et ses valeurs en font un soutien, même par défaut, de la liste de droite de la FRI. Sa puissance lui permet de résister aux tentatives de développement des « cultivateurs-cultivants » dans le Morbihan mais ses dirigeants s’inquiètent de la faiblesse du syndicalisme conservateur dans la Loire-Inférieure voisine. Le 25 mai 1926, l’USAM fusionne avec la Fédération agricole de ce département donnant naissance à l’USABM (l’Union des syndicats agricoles de Bretagne Méridionale) qui compte 218 syndicats et 21 465 membres en 1931. Elle a l’appui de l’évêque de Nantes qui condamne les « cultivateurs-cultivants », et de l’Association catholique des chefs de famille qui joue le rôle d’union catholique départementale et fait du prosélytisme syndical. Mais une fraction des agrariens de Loire-Inférieure, des grands propriétaires du Syndicat central et de la société d’agriculture, n’apprécie guère cette intrusion sur leurs terres. Ils organisent donc la résistance à l’USABM (56 syndicats et 100 mutuelles) pour des raisons idéologiques – elle serait trop sociale – et économiques. Les agrariens monarchistes développent alors leurs syndicats communaux. Signe de leur puissance maintenue dans les campagnes de Loire-Inférieure, deux réseaux agricoles conservateurs et catholiques s’affrontent dans ce département. Dans le Morbihan, l’USABM entretient des liens étroits avec le dorgérisme et le front paysan dans les années 1930.
44Le syndicat agricole et horticole d’Ille-et-Vilaine ou syndicat des Lices, basé à Rennes, s’est réorganisé en 191940. Il est solidement tenu par la droite conservatrice puisqu’il est présidé par Le Pannetier de Roissay, membre de l’Action Française, son bureau ne comptant que des nobles dont de la Bourdonnaye. En 1923, il devient l’Union régionale des syndicats agricoles (URSA) qui rassemble 20 000 adhérents affirmant par ses services (assurances mutuelles, 31 magasins-dépôts en 1926) sa présence dans presque toutes les communes du département. Les propriétaires font pression sur leurs fermiers pour imposer qu’ils adhèrent à ce syndicat sous la menace de ne pas renouveler leurs baux. Pour contrer le rapide essor des « cultivateurs-cultivants », l’URSA renforce sont quadrillage communal passant de 29 syndicats en 1925 à 179 en 1928 contrôlant autant de caisses mutuelles. C’est un puissant relais parapolitique dans le département même si le secret des isoloirs peut déboucher sur des surprises.
45Dans le Finistère, l’Office central de Landerneau a été fondé en 1911 avec 28 syndicats par des grands propriétaires fonciers conservateurs et antirépublicains dont plusieurs nobles41. L’idéologie de ces unions syndicales prône l’union du propriétaire et de son fermier et combat l’État républicain parce qu’il met en danger l’ordre social et détruit la religion catholique. Pour maintenir son contrôle social et politique sur la paysannerie, il faut donc lui fournir des services et contribuer à la modernisation des campagnes avec ses propres réseaux économiques et commerciaux pour préserver les valeurs multiséculaires de la société rurale et de la chrétienté. Après la Première Guerre mondiale, Landerneau prend son essor sous la houlette du comte Hervé Budes de Guébriant, ingénieur agronome et grand propriétaire foncier. Il passe de 66 syndicats et 6 800 membres en 1920 à 531 syndicats et 41 574 adhérents en 1933, débordant sur l’ouest des Côtes-du-Nord à partir de 1927.
46En effet, le Syndical central des Côtes-du-Nord est beaucoup moins puissant car la gauche républicaine et radicale y est solidement implantée dans les années 1920. Il est présidé par la principale personnalité conservatrice du département, l’ancien sénateur (1912-1921), puis député (1921-1924), le comte Hervé de Kéranflec’h-Kernezne. Il y a donc là un espace à occuper pour contrer les « cultivateurs-cultivants » en plein essor en 1926. Le comte de Guébriant ne peut accepter cette menace. Il engage donc des négociations avec ses collègues du département voisin qui aboutissent à une fusion-absorption en décembre 1926 au sein de l’Union des syndicats agricoles du Finistère et des Côtes-du-Nord, avec la bénédiction de Mgr Serrand, le très conservateur évêque de Saint-Brieuc. Landerneau est le grand gagnant avec en 1939 569 syndicats agricoles et 43 886 adhérents, chefs de famille et électeurs potentiels. Dès 1929, un exploitant agricole finistérien sur trois était landerniste. L’Office central de Landerneau exerce une forte influence sur le champ politique même s’il se heurte dans le Léon à l’essor de la démocratie chrétienne et à ses élus. Pour reprendre la main, lors de la crise des années 1930, Landerneau s’efforce de contrôler le dorgérisme, non sans l’instrumentaliser contre les gouvernements de gauche en 1932-1934 et lors du Front populaire. D’ailleurs, Joseph Divanac’h, le principal leader dorgériste du sud Finistère reste membre de son conseil d’administration. Pourtant, malgré sa puissance ce réseau agricole conservateur n’est pas parvenu à conserver le contrôle politique du Finistère contre ses rivaux du PDP, et ses adversaires radicaux-socialistes et socialistes, même si les élections de 1936 sont favorables aux droites catholiques sous les couleurs de la Fédération républicaine.
47De manière générale, et sans surprise, les responsables de ce syndicalisme agricole conservateur se retrouvent en 1940 à la tête des organisations régionales et départementales de la Corporation paysanne de Vichy qui reprend à son compte leurs aspirations corporatistes42. Conservateurs, dorgéristes, voire ex-démocrates-chrétiens y cohabitent. L’absorption obligatoire en 1942 et 1943 des syndicats et coopératives agricoles de gauche est un moyen de faire disparaître ces perturbateurs de l’ordre social rural et catholique43. En Bretagne occidentale, elle permet d’imposer le monopole landerniste sur le monde agricole.
48En outre, en dehors du syndicalisme agricole, les milieux conservateurs ont d’autres moyens d’influence dans le monde rural. Par exemple dans les années 1920 dans le Morbihan, les sociétés d’agriculture locales sont dirigées par eux : celle de Vannes par Roger Grand, celle de Pontivy par le comte de Lambilly, également président des comités d’Action française. Et lors des premières élections aux chambres d’agriculture le 20 février 1927, les forces conservatrices préfèrent s’allier sur des listes communes avec leurs adversaires républicains, souvent aussi des propriétaires fonciers soutenus par l’administration, pour contrer la montée des « cultivateurs-cultivants » qui ne sont présents que dans 10 arrondissements sur 25 (en Ille-et-Vilaine et dans l’est des Côtes-du-Nord). Les conservateurs remportent ces élections dans tous les départements bretons montrant leur influence maintenue sur le monde rural, sauf dans les Côtes-du-Nord. En Ille-et-Vilaine, le comte Roger de la Bourdonnaye, président de l’URSA et royaliste notoire (désigné président du comité royaliste en 1929), est élu à la présidence. Dans les Côtes-du-Nord, c’est un homme de droite, le député URD Jean Épivent (1924-1928), agriculteur à Pordic et vice-président de la société départementale d’agriculture, qui accède à la présidence. En 1933, Auguste de Goyon, président de cette société lui succède, mais il est maire républicain de gauche (centre droit) de Noyal, près de Lamballe. Les « cultivateurs-cultivants » dépassent les 20 % des voix mais ils n’ont d’élus que dans l’arrondissement de Rennes.
49Les interactions entre les réseaux conservateurs, les réseaux catholiques et les réseaux agricoles sont évidentes en Bretagne, en dépit des contradictions internes et de la concurrence au sein des droites, avant 1914 en Basse-Bretagne, dans les années 1920 dans les régions blanches du Morbihan et d’Ille-et-Vilaine. Dans ces unions syndicales agricoles, en général la fraction la plus conservatrice tient le haut du pavé même lorsque les aristocrates conservateurs ont passé la main, sauf en Loire-Inférieure, aux élites bourgeoises et paysannes de la Fédération républicaine.
50Pourtant au milieu des les année 1920, une fraction de la paysannerie bretonne a tenté de s’émanciper de la tutelle des propriétaires fonciers et des notables urbains en créant un syndicalisme indépendant dit des « cultivateurs-cultivants », proche en fait de la démocratie chrétienne. À partir de l’Ille-et-Vilaine, inspirés par l’action des abbés démocrates dont l’abbé Mancel qui y joue un rôle actif jusqu’en 1930, ces syndicalistes paysans créent en 1926 la Fédération des syndicats paysans de l’Ouest (FSPO) qui s’implante bientôt dans l’est des Côtes-du-Nord. En 1926, la FSPO représente 130 syndicats locaux (108 en Ille-et-Vilaine et 22 dans les Côtes-du-Nord). Ses initiateurs d’Ille-et-Vilaine, Pierre Lehagre, Jean Nobilet, Jean Bohuon, François Coirre, issus ou proches des syndicats de l’abbé Mancel (64 en 1924), ont l’appui de L’Ouest-Éclair. Dans les Côtes-du-Nord, en novembre 1926, deux agriculteurs de la région briochine fondent la Ligue des Paysans de l’Ouest (LPO) qui se développe rapidement. En septembre 1927, au congrès de Saint-Brieuc, FSPO et LPO fusionnent dans la Ligue des paysans de l’Ouest (12 000 membres et 200 syndicats en 1928 en Bretagne, 234 syndicats en 1930) soutenue par une partie du clergé. Des réseaux catholiques d’obédience démocrate-chrétienne sont à la manœuvre, ce qui inquiète fort les unions syndicales conservatrices. De même, dans la région de Dinan, le radical-socialiste Michel Geistdoerfer combat avec vigueur ces syndicats catholiques. La LPO s’est étendue un peu dans le Morbihan et surtout dans la partie orientale du Léon, mettant directement en cause l’hégémonie de Landerneau qui craint la volonté d’émancipation de ces cultivateurs par rapport aux élites rurales traditionnelles. En effet, pour échapper à la tutelle des unions agricoles et des propriétaires, les « cultivateurs-cultivants » fondent leurs propres services (Banque rurale de l’Ouest pour financer les coopératives, crédit mutuel, caisses d’accidents).
51Les unions conservatrices agrariennes (URSA d’Ille-et-Vilaine, USAM, Landerneau) lancent dès 1926, en plein poincarisme triomphant, leur contre-offensive idéologique en attaquant ces « cultivateurs-cultivants » accusés de « socialisme », voire même de « bolchevisme rural ». C’est un volet important de la lutte acharnée des conservateurs contre le PDP et sa presse. Elles développent elles aussi des syndicats locaux, souvent initiés par des curés à la demande du cardinal Charost, l’archevêque de Rennes. En Ille-et-Vilaine, ces agriculteurs se heurtent à la fois au syndicat des Lices et à l’Église. La Grande dépression et des problèmes de gestion conduisent cette initiative originale à l’échec. L’URSA d’Ille-et-Vilaine et Landerneau se partagent les dépouilles de la FSPO en 1934 et 1935. Certains de ses leaders comme Jean Bohuon et Jean Nobilet se rapprochent de l’URSA ; ils rejoignent les comités de Défense paysanne de Dorgères (Nobilet, responsable en Ille-et-Vilaine) en devenant d’actifs propagandistes dans toute la Bretagne (J. Bohuon, F. Coirre). On les retrouve ensuite à des postes de responsabilités dans la Corporation paysanne. Refusant cette dérive corporatiste, la « tendance Mancel » évolue vers les idées socialistes.
52En Bretagne, le syndicalisme et les réseaux agricoles, étroitement liés aux réseaux catholiques, restent largement dominés par les droites durant l’entre-deux-guerres ; ils en sont de solides relais dans la population. En 1936, en dépit de leurs divergences, ils mobilisent contre le Front populaire. Mais leur contrôle participe du combat entre la droite conservatrice et la démocratie chrétienne alors que les tentatives d’émancipation des « cultivateurs-cultivants » ont échoué.
Les réseaux agricoles de gauche
53Les forces républicaines et radicales essaient depuis 1884 de mettre sur pied leurs propres réseaux agricoles liant action syndicale et action politique. Les syndicats agricoles républicains se fédèrent dans la Société nationale d’encouragement à l’agriculture (SNEA) qui a son siège boulevard Saint-Germain à Paris. Dans le Morbihan, Joseph Le Rouzic, ingénieur agricole, député radical de 1910 à 1919, fonde la Société départementale d’agriculture alors que le sénateur Brard et le député Maulion dirigent la Société horticole et agricole de Pontivy. Mais le syndicalisme agricole de gauche est faible dans ce département (9 syndicats en 1924).
54En 1927, le syndicat des agriculteurs d’Ille-et-Vilaine compte 42 syndicats et 3 000 adhérents. Son principal responsable est Oscar Leroux, un militant radical-socialiste, professeur d’agriculture à Rennes. Ce syndicalisme de services, qui met en place une organisation régionale, a la particularité d’être administré par des fonctionnaires républicains de gauche, avec l’appui des pouvoirs publics et du ministère de l’Agriculture. Ce syndicalisme agricole est d’autant plus développé dans les régions bleues que les notables radicaux-socialistes y accordent de l’importance. Mais nous ne disposons pas de données précises.
55Ainsi, les caisses de Crédit agricole mutuel concurrencent celles des crédits mutuels (caisses Durand) liées à la droite. Les fédérations départementales de Crédit Agricole ont été fondées par des élus de gauche, républicains, radicaux, voire socialistes (Dr Boyer, O. Brilleaud à Saint-Brieuc) dans les premières années du XXe siècle. Le développement des caisses locales, favorisé par une loi de 1920, est plus ou moins rapide selon les départements. Dans les Côtes-du-Nord, le Crédit agricole a été fondé par Joseph Le Rouzic, professeur d’agriculture, député radical-socialiste de Lorient 3 de 1910 à 1919. On passe de 13 caisses en 1904 à 47 en 191444. En 1938, 24 caisses sur 38 sont présidées par des élus laïques. Dans le Finistère, il est créé le 27 novembre 1907 à Quimper et dirigé par des notables républicains, les députés de Kerjégu (président, décédé en 1908), Debuisson et Halléguen ; en 1909, le radical-socialiste Georges Le Bail en est administrateur et Théodore Le Hars, maire républicain de gauche de Quimper, président de 1909 à 192845. Le sénateur Lancien prend le relais jusqu’en 1941. On passe de deux caisses locales en 1907 (72 sociétaires) à 40 en 1914 (surtout dans le Finistère sud et le Trégor) et de 1 887 sociétaires en 1914 à 3 499 en 1922 et près de 11 000 en 193746. On est loin des effectifs de Landerneau. Dans le Morbihan, le Crédit agricole est présidé par Edmond de Camas qui dirige la Fédération de l’Union républicaine (centre gauche) mais il n’a que 25 caisses en 1924. Le Crédit agricole est un moyen des républicains laïques de gauche et de centre gauche de contrer la forte influence de la droite dans la paysannerie.
56Durant la crise des années 1930, un syndicalisme agricole de gauche prend pied dans certaines régions de Bretagne contre les grandes unions conservatrices et dans un affrontement militant avec le dorgérisme. Lors de meetings, d’expulsions de fermiers endettés et de ventes-saisies, des militants socialistes et communistes n’hésitent pas à faire le coup-de-poing contre Henri Dorgères en Basse-Bretagne. Dans le Finistère, en 1933 et 1934, le jeune paysan socialiste Tanguy Prigent se fait ainsi connaître. Pour permettre l’émancipation de la petite paysannerie bretonne durement frappée par la crise, ces militants organisent deux syndicats : la Confédération générale des paysans-travailleurs (CGPT), initiée par le PCF en 1929 dans quatre départements du Sud-Ouest, et la Confédération nationale paysanne (CNP), créée dans le Centre de la France en février 1933 et d’orientation socialiste. Mais lorsque l’on examine l’implantation géographique de ces deux syndicats paysans très minoritaires, force est de constater que la répartition politique n’est pas aussi simple. Si la CNP créée en 1933-1934 par Tanguy Prigent dans le Finistère syndique bien des socialistes et des sympathisants, la CGPT, implantée surtout dans les Côtes-du-Nord, compte des militants communistes comme Francis Marzin, de la région de Lannion, mais aussi des responsables socialistes comme Philippe Le Maux, ancien conseiller d’arrondissement, vice-président du comité national de la CGPT en 1934, qui est élu député SFIO de Lannion en 1936. D’ailleurs le socialiste de gauche, voire d’extrême-gauche, Augustin Hamon contribue avec son journal La Charrue rouge à l’essor de ce syndicat qui s’oppose à 31 ventes-saisies dans les Côtes-du-Nord de 1932 à 1935 (19 en 1934)47. Dans la région de Lannion, des comités paysans et des comités de lutte préparent ces mobilisations. Ils adhèrent à la CGPT. Il s’agit bien d’un syndicalisme de lutte de classes. Dans la région de Guingamp, très touchée par les saisies en 1933, le socialiste paysan Yves Augel, conseiller d’arrondissement, met sur pied un syndicat de défense des petits fermiers qui rejoint lui aussi la CGPT. L’existence de ce syndicat paysan dans la région avant la création de la CNP explique sans doute l’adhésion des militants socialistes. La CGPT publie un journal local La Voix paysanne (250 abonnés en 1933) ; elle tient un congrès avec 150 personnes dont la moitié de paysans en 1934. Les militants communistes de la région, encore peu nombreux, s’investissent totalement dans ces luttes paysannes et en font un outil de recrutement souligné par le préfet des Côtes-du-Nord sur un terreau favorable, républicain et acquis aux idées et au vote socialiste.
57Dans le Morbihan, on n’a recensé que cinq ventes-saisies provoquant des mobilisations en 1934 et 1935 dans l’ouest du département (3 à Gourin à la frontière du Finistère et des Côtes-du-Nord)48. En mars 1935, l’une se tient à Gourin : Francis Marzin, le leader communiste de la CGPT des Côtes-du-Nord et deux instituteurs socialistes, les Le Coutaller père et fils, interviennent. Dans l’ouest du Morbihan, la CGPT se manifeste à la faveur de ces luttes sociales ; elle va servir de levain à l’implantation socialiste dans la région de Pontivy par l’intermédiaire d’instituteurs socialistes ou socialisants. En la personne de son délégué Thomas Georges la CGPT s’est manifestée dès 1933 dans des réunions publiques de Joseph Cadic, ancien (1924-1932) et futur député (1936-1940), un proche de Dorgères, sans faire recette. Toutefois, la CGPT s’implante autour de Gourin à partir de 1934 grâce à l’instituteur socialiste Louis-Marie Le Coutaller, frère de Jean, candidat de la SFIO aux élections législatives de 1932 et 1936 à Pontivy. Plusieurs instituteurs, secrétaires de section socialiste et militants du Syndicat national des instituteurs (SNI) du nord-ouest du Morbihan, participent alors aux mobilisations paysannes contre le Front paysan dorgériste contribuant à l’essor électoral de leur parti sensible aux élections de 1936. Il y a là une imbrication des réseaux politiques, syndicaux, voire familiaux (les trois Le Coutaller), ces instituteurs jouant le rôle de leaders de substitution aux dirigeants paysans absents à gauche. On ne dispose pas de chiffres d’adhérents pour la CGPT présente dans deux départements bretons
58Dans le Trégor finistérien voisin, pour lutter contre la tutelle de l’Office central de Landerneau, reprenant l’idée des « cultivateurs-cultivants » mais sur des bases de gauche, dès mai 1933 Tanguy Prigent veut créer un syndicalisme d’exploitants agricoles, relevant de la CNP dont la SFIO soutient le lancement et dans lequel chacun pourra donner son avis « librement, en breton comme en français49 ». La Fédération paysanne du Finistère (FPF) naît à la fin de l’année 1933 et Tanguy Prigent en devient secrétaire général, participant avec Romain Boquen son camarade des Côtes-du-Nord, au congrès national de Guéret de la CNP le 17 décembre 1933. En six mois, il implante des syndicats dans les zones bleues et rouges du nord-ouest du département (4 à 500 adhérents). C’est peu, mais Tanguy Prigent est élu au bureau national de la CNP lors du 3e congrès réuni à Limoges en novembre 1934. L’activité syndicale de la FPF est prolongée par une coopérative de défense paysanne qui compte 2 826 sociétaires dans la région de Morlaix en 1940. Les réseaux forgés dans l’action syndicale accompagnent le militantisme politique de Tanguy Prigent et contribuent à ses succès électoraux de 1934-1936 (conseiller général, maire, député). Dans l’est des Côtes-du-Nord, la CNP est créée et dirigée par Romain Boquen, agriculteur à Ruca, candidat SFIO aux élections législatives à Dinan 2 en 1932 et à Loudéac en 1936 (en dehors de sa région). Elle s’implante en pays gallo car l’espace militant est déjà occupé par la CGPT en pays bretonnant50. On retrouve la même dicotomie ouest-est dans le Morbihan où la CNP dispose d’une section à Languidic en 193851. En 1937-1938, la CNP compterait 826 adhérents dans le Finistère, le 1er département de France ; les Côtes-du-Nord en auraient 206 et le Morbihan 12552. La CNP est bien un relais de la SFIO en direction du monde paysan même si son audience est limitée.
59Dans les années 1930, syndicats paysans de gauche et mobilisations contre les ventes-saisies contribuent à l’implantation électorale et militante des socialistes dont un leader paysan se dégage avec Tanguy Prigent, mais aussi des communistes dans les campagnes de Basse-Bretagne. Incarnée un temps par le radicalisme, la tradition bleue est captée par les rouges.
60À la Libération, les partis de gauche renforcés par leur combat résistant ne veulent pas laisser le monde rural et syndical entre les mains de la droite alors que le corporatisme vichyssois est discrédité. Dès la fin 1944, dans les zones de maquis FTP du Centre-Bretagne, surtout dans les Côtes-du-Nord, le PCF qui a bénéficié d’un appui de la population rurale organise des comités de défense et d’action paysanne (CDAP). En même temps, devenu ministre de l’Agriculture, Tanguy Prigent est convaincu qu’il faut unifier les forces de gauche (ex-CNP et ex-CGPT) dans un syndicat qui serait le pendant de la CGT réunifiée. L’animateur du mouvement La Résistance paysanne s’investit totalement pendant deux ans pour créer la Confédération générale de l’Agriculture (CGA)53. Il sillonne le pays pour reconstruire l’agriculture et en convaincre les syndicalistes paysans. Avec l’appui du PCF, la CGA voit le jour à Paris du 16 au 18 mars 1945 lors du congrès d’Unité paysanne salué par le général de Gaulle. La droite, et une fraction du MRP, critique déjà la tutelle de l’État – ce qui ne l’avait guère gênée sous Vichy – et réclame le retour à la liberté syndicale. Ses réseaux se mobilisent au sein, voire contre la CGA. Le ministre a dû négocier un compromis avec un ancien syndic régional de Vichy dans l’Ain, élu vice-président de la CGA, l’autre vice-présidence allant au leader communiste Waldeck Rochet. Au début 1946, des élections professionnelles désignent les responsables de la CGA et de sa branche la plus importante, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). Les résultats visualisent la faiblesse des gauches dans les campagnes puisque c’est un ancien corporatiste de l’Aisne, René Blondelle, qui devient secrétaire général alors que le président est Eugène Forget, un agriculteur MRP du Maine-et-Loire. C’est le maintien des forces conservatrices à la tête du syndicalisme agricole et un certain échec pour la gauche. Dans le Finistère, Landerneau boycotte la CGA en 1945 avant d’en prendre la direction au début de 1946 (après un accord de fusion). Un de ses hommes, Pierre Uchard, ancien candidat « dorgériste » aux élections de 1936, est élu secrétaire général de la Fédération départementale (FDSEA). La configuration politique est identique en Ille-et-Vilaine où Jean Bohuon, ex-dorgériste et ex-syndic régional, est président. Les Côtes-du-Nord sont la seule exception en Bretagne : le socialiste Romain Boquen, ancien responsable de la CNP, préside la FDSEA entouré de communistes et de radicaux-socialistes. Sauf localement, à l’issue de la guerre et de la Résistance, les réseaux de gauche restent minoritaires dans le syndicalisme agricole en Bretagne face aux réseaux de droite et à ceux du MRP qui fait élire au parlement des syndicalistes comme Alexis Méhaignerie en Ille-et-Vilaine.
Les réseaux syndicaux ouvriers
61Les syndicats de salariés (ouvriers, employés, fonctionnaires) ont un recrutement plus large que celui des partis politiques mais dans la première moitié du XXe siècle ils sont plus ou moins liés aux forces politiques dont ils relaient les idées et les aspirations dans leur milieu professionnel. Les syndicats servent souvent de vivier au recrutement des partis de gauche. Les principaux dirigeants syndicaux ont des appartenances ou des sensibilités connues recoupant des idéologies et des pratiques réformistes ou révolutionnaires sans que cette catégorisation soit toujours aussi nette. Après 1920, la CGT est proche de la SFIO quand la CGTU, à partir de 1924, est exclusivement liée au PCF. Fondée en 1919, la CFTC dépend de la hiérarchie de l’Église catholique.
62Dans une région faiblement industrialisée, le syndicalisme ouvrier n’est pas très puissant dans l’entre-deux-guerres. La poussée syndicale de 1918-1920 est brisée par l’échec des grèves de 1919 et de mai 1920 et par la scission de la CGT de 1921. Les minoritaires communistes et anarcho-syndicalistes sont exclus de la CGT et forment la CGTU en 1922 ou CGT unitaire opposée à la CGT confédérée maintenue. Au sein de la CGTU, communistes et anarcho-syndicalistes s’affrontent pour le contrôle du syndicat, les premiers excluant les seconds en 1923-192454. Les anarchistes vont alors animer des syndicats autonomes actifs dans le Finistère et en Loire-Inférieure. Dès lors, la CGTU, courroie de transmission du PCF dans la classe ouvrière selon la théorie léniniste, ne comprend que des communistes ou des sympathisants sauf chez les instituteurs. En Bretagne où son implantation est limitée dans les années 1920, la CGTU défend nettement les positions et les lignes successives du PCF lui fournissant la plupart de ses candidats lors des diverses élections. Le syndicat est le relais direct du Parti.
63Dans les Côtes-du-Nord, des cheminots et des ouvriers du bâtiment favorables au courant minoritaire et révolutionnaire de la CGT se réunissent à la fin de 1921 mais ils ne créent une union des syndicats unitaires qu’un an plus tard dirigée par Tircot, un militant du bâtiment anarcho-syndicaliste55. Le 22 février 1922, sur une dizaine de syndicats, la majorité est restée à la CGT, quatre seulement choisissant la CGTU ou l’autonomie56. Les militants sont peu nombreux, sans doute quelques dizaines, mais en 1923-1924, communistes (le cheminot Mourocq) et anarchistes (Tircot) s’affrontent comme dans toute la région, les premiers prenant le contrôle de la CGTU en avril 1924, opération confirmée lors du congrès de la 6e union régionale des syndicats unitaires (cinq départements bretons plus la Mayenne) à la mi-juillet 1924 à Saint-Brieuc. En Ille-et-Vilaine, seize syndicats ont fondé la CGTU en 1922 dans laquelle les communistes sont minoritaires mais avec Charles Tillon ils en prennent le contrôle en octobre 192357. Dans les Côtes-du-Nord, au moment de la réunification avec la CGT en 1935, la CGTU rassemble un peu plus de 500 adhérents. Elle a pourtant bénéficié de 1924 à 1933 de la participation du SMEL, le syndicat des membres de l’enseignement laïque (100 à 120 membres), resté autonome en 1922, très à gauche, et dirigé par le socialiste Armand Lagain en opposition avec la direction nationale de la CGTU. En 1932, Lagain quitte la direction du syndicat ; il est suivi par les anarcho-syndicalistes en 1935.
64Dans le Finistère, après une période très agitée, l’UD CGTU renforcée de nouveaux syndicats créés après la grève de Douarnenez de 1924 et dans les ports de la côte sud, est animée par Théo Kerdraon (permanent) qui a remplacé l’anarchiste René Martin en 1925. Peu après, la CGTU se réorganise en unions régionales, la 16e regroupant le Finistère, le Morbihan et l’ouest des Côtes-du-Nord, organisation calquée sur celle du PCF. Dans le Finistère les communistes ont fort à faire avec le syndicat unitaire des enseignants de la CGTU (plus de 500 adhérents) dirigé par les époux Cornec de sensibilité révolutionnaire anarcho-syndicaliste. En septembre 1931, les trois-quarts de ces syndiqués enseignants quittent la CGTU pour rejoindre la CGT58. Face au sectarisme des syndicalistes communistes, au moins 22 militants de l’arsenal de Brest suivent le même chemin au début de 1932. La CGTU s’isole de plus en plus et ses effectifs stagnent ou régressent avec la Grande Dépression.
65En Loire-Inférieure où la CGT comptait près de 30 000 adhérents en 1920, la scission fait des ravages opposant les syndicalistes nazairiens réformistes qui restent fidèles à la CGT et les Nantais révolutionnaires59. La CGTU démarre avec un capital militant non négligeable en 1923 mais comme ailleurs la bolchevisation du syndicat en 1924-1925 se traduit par des départs. Deux fédérations importantes, celle du bâtiment et celle de la métallurgie, étaient dirigées par les anarcho-syndicalistes Henri Malines et René Daniel. Même si une certaine remontée est sensible en 1929-1930, elle précède un nouvel affaiblissement durant la crise. Au total, durant cette période, 29 syndicats avec des effectifs fluctuants ont appartenu à l’UD CGTU de Loire-Inférieure qui, comme ailleurs, partage ses cadres avec le PCF. La question est d’ailleurs de savoir si c’est le Parti qui dirige le syndicat ou si les syndicalistes de la CGTU n’imposent pas leurs positions ? En outre, la combativité de ses militants lors des grèves provoque une répression patronale (licenciements) qui affaiblit encore la CGTU.
66Finalement, totalisant environ 4 000 militants en Bretagne en 1935 (en comptant quelques centaines dans le Morbihan), la CGTU demeure une force marginale très liée au Parti communiste français même si après 1925 et l’élimination des anarchistes des tensions se font encore sentir notamment en Loire-Inférieure du fait de pratiques héritées de l’anarcho-syndicalisme. Mobilisant des sympathisants plus nombreux à l’occasion de conflits sociaux, ses liens avec le Parti communiste sont connus de tous et contribuent souvent à son isolement malgré le dévouement de ses militants. Avant la réunification syndicale, la CGTU n’a guère contribué à élargir l’audience électorale du PCF dans la région même si elle est le principal vecteur de recrutement de militants.
67Lors de la scission, la CGT a conservé en Bretagne la majorité des adhérents et des militants avec des cadres proches ou à la SFIO. Dans les Côtes-du-Nord, si on en croit L’Éveil Breton, le journal socialiste, la CGT aurait compté « 4 000 adhérents environ » en 1920-1921, chiffre très surestimé qui montre combien la scission a été dévastatrice60. L’Union des syndicats confédérés s’est constituée le 19 février 1922 avec cinq syndicats. Théo Hamon (Livre) est élu secrétaire général. La remontée est lente : les effectifs doublent de 1922 à 1924 mais le décollage ne se fait qu’avec le Cartel des gauches les syndiqués doublant encore de 1926 à 1929 (tableau 2). L’ajusteur Amédée Quinio, responsable des cheminots, s’impose comme le principal dirigeant.

Chiffres tirés des différents travaux cités sauf certains de 1935 et les chiffres nationaux (sources centrales de la CGT d’après Antoine Prost).
Tableau 2 – L’évolution des effectifs de la CGT et de la CGTU en Bretagne de 1921 à 1935.
68En Ille-et-Vilaine, la domination numérique de la CGT sur la CGTU est manifeste avec un rapport de cinq à un en 1925 qui passe à plus de dix à un en 1935. L’UD dirigée de 1911 à 1940 par Ernest Chéreau progresse tout au long des années 1920 ; elle conserve près de 12 000 syndiqués en 1935. En 1929, elle compte 89 syndicats dont 44 à l’UL de Rennes (fig. 33-34, pl. XXX-XXXI).
69Dans le Finistère, la CGT avait 48 syndicats avant la scission, il en reste 30 après en février 1922 alors que la CGTU en a quinze. La CGT a perdu ceux de l’arsenal et des instituteurs mais Charles Berthelot créé dès 1923 un syndicat confédéré à l’arsenal de Brest qui reprend vite le dessus61. Le nombre de sections actives ou représentées lors des congrès est très variable (12 en 1923, 30 en 1927, 42 en 1932) mais la CGT est renforcée par l’adhésion des 500 instituteurs venus de la CGTU à l’instigation des Cornec ainsi que par l’arrivée de plusieurs syndicats autonomes62. Les effectifs progressent au début des années 1930 passant de 6 500 en 1929 à 6 600 en 1931 et même 7 200 en 1933 avant de retomber à 6 200 en 1935 du fait de la crise mais peut-être aussi des émeutes d’août 1935 qui font plusieurs morts à Brest.
70Au moment de la réunification de la CGT en 1935, la centrale des confédérés comptait environ 45 000 syndiqués en Bretagne contre moins de 4 000 à la CGTU, ce qui donne un rapport de onze à un et permet de comprendre l’enracinement politique et électoral beaucoup plus important de la SFIO par rapport au PCF chez les salariés. La CGT, réunifiée en 1935-1936, progresse fortement à la faveur du Front populaire et des grèves de 1936, en particulier dans les PME qui constituent le tissu des entreprises dans plusieurs départements. La « ruée syndicale » soulignée par son secrétaire général Léon Jouhaux, inégale selon les régions, les branches et les rythmes de syndicalisation, porte partout ses fruits puisque ses effectifs triplent au minimum dans la région (fig. 35 pl. XXXII du cahier couleur). Les estimations divergent selon que l’on prenne les sources locales ou celles de la CGT mais la confédération rassemble entre 130 000 et 150 000 syndiqués en 1937 (tableau 3)63. Toutefois la situation peut être instable : la puissante UD CGT de Loire-Inférieure perd 17 000 syndiqués entre 1937 et la fin de 1938 et le début de 1939. En 1938, sans tenir compte du syndicalisme chrétien, le taux de syndicalisation des ouvriers et des fonctionnaires en Bretagne est suffisamment fort pour que l’historien Antoine Prost parle de « réduit breton » dans la France de l’Ouest64. Si on regarde les orientations des directions des unions départementales, les ex-confédérés l’emportent dans les cinq départements alors que l’aile droite de la tendance « Syndicats », pacifiste et anticommuniste, dirigée par René Belin est forte en 1938 (motion Delmas) surtout dans le Morbihan (53,1 %), le bastion du paul-fauriste Louis L’Hévéder, et en Loire-Inférieure (59 % si on prend les adhérents de 1938, 40,7 % en considérant ceux de 1937), nettement moins dans le Finistère (24,5 %)65. Ce rapport de force au sein de la CGT ne sera pas sans incidence sur la participation des cadres à la politique sociale de Vichy et sur leur engagement dans la Résistance. De toute façon, avec le pacte germano-soviétique et la déclaration de guerre, l’unité de la CGT vole en éclats : les ex-unitaires de la CGTU fidèles au PCF sont exclus.
1936(1) | 1937(1) (2) | 1938(2) | 1945(2) | |
Côtes-du-Nord | 6600 | 11270/18000 | 18000 | 10812 |
Finistère | 18000 | 24000/28500 | 28500 | 31297 |
Ille-et-Vilaine | 14689 | 21082/30000 | 26236/30000 | 21139 |
Loire-Inférieure | 55000 | 38000 | 38915 | |
Morbihan | 17000 | 17000 | 13738 | |
Bretagne | 128352/148500 | 131500 | 115901 | |
France | 3977156 ou 4215600(2) | 3775030 |
(1) Chiffres tirés des différents travaux cités.
(2) Chiffres d’Antoine Prost d’après les sources centrales de la CGT66.
Tableau 3 – La forte progression des syndiqués à la CGT en Bretagne.
71Le syndicalisme chrétien de la CFTC se met en place assez laborieusement en Bretagne. Dans les diocèses, la direction des œuvres et le secrétariat social souhaitent diffuser la doctrine sociale de l’Église et ne pas abandonner le monde ouvrier à l’influence des gauches surtout lorsque la CGT se renforce avec les grèves de 1936. La CFTC s’adresse aux employés (hommes et femmes), aux cheminots, aux ouvriers de la chaussure (Fougères).
72En Bretagne, une union régionale est créée en 1923 suivie d’une union locale (UL) à Rennes en 1925 mais il faudra attendre octobre 1936 pour voir se constituer une union départementale (UD) en Ille-et-Vilaine67. Dans ce département, en 1925 la CFTC compte huit syndicats (cinq à Fougères, trois à Rennes) et environ 700 adhérents passant à 1 136 adhérents à l’UL de Rennes en 1926. En 1937, la CFTC regroupe 36 syndicats soit 5 705 adhérents.
73Dans le Finistère, une UL est créée à Brest le 30 novembre 1926 avec six syndicats dont un à l’arsenal mais l’UL de Quimper ne voit le jour qu’en janvier 1936, la lente structuration ne débouchant sur une UD à Quimper dirigée par Michel Floch (responsable du syndicat de l’arsenal qui comptait 300 adhérents en 1932) qu’en 1937 après des efforts de création de syndicats en 193668. Pour la CFTC aussi, les grèves de 1936 sont porteuses de nouveaux syndicats encadrés par des aumôniers. Des sources internes incomplètes donnent 24 sections syndicales et 2 497 syndiqués dans le Finistère dont 1 100 dans l’arrondissement de Brest en 1937 alors que le préfet avance 6 400 adhérents en octobre 1938. Les chiffres de la CFTC elle-même sont très supérieurs puisqu’à la fin de 1937 elle compterait 65 syndicats et 8 000 adhérents dans le Finistère contre 36 syndicats et 5 705 membres en Ille-et-Vilaine (90 % à Rennes et à Fougères)69. Dans les Côtes-du-Nord où elle est dirigée par le Briochin Victor Rault70, la CFTC connaît un certain essor à partir de 1936 ayant entre 1 000 et 2 000 adhérents en 193871. Le 14 février 1937, lors d’une journée sociale, elle réunit un millier de personnes dont 250 prêtres avec le chanoine Desgranges, député apparenté PDP de Vannes. En janvier 1938, l’UD tient son deuxième congrès à Dinan où elle a une UL ainsi qu’à Guingamp.
74Maintenus à la base en 1940 après la dissolution des confédérations syndicales par Vichy, les responsables du syndicalisme chrétien comme ceux de la CGT confédérée participent aux discussions avec les autorités de l’État français jusqu’en 1942 mais sans s’engager dans la Charte du travail, ni dans les syndicats uniques, à quelques exceptions près72. De toute façon, la base syndicale ne suit pas. Au contraire, des secrétaires d’UD CFTC s’engagent dans la résistance comme Léon Grimault (Libé-Nord, Témoignage chrétien) à Rennes et Michel Floch à Brest, tous deux membres du CDL, de même que plusieurs dirigeants de la CGT comme Jean-François Le Levé, responsable de l’UD du Morbihan, membre du CDL clandestin, déporté, et son camarade Charles Berthelot de Brest qui meurt en déportation73.
75À la Libération, malgré l’engagement résistant de nombreux cégétistes, leur présence dans les CDL et une forte reprise de l’activité syndicale, les effectifs de la CGT baissent en Bretagne de 22 % comme dans l’ensemble du pays en comparaison à l’apogée de 1937-1938. On serait passé de 4,2 millions de syndiqués au début de 1938 en France métropolitaine à 3,2 millions (selon les UD) mais un total de 3,7 millions (chiffre minimum). L’état économique du pays pillé pendant quatre ans par les Allemands explique une certaine désindustrialisation au moment où s’ébauche la Reconstruction74. Au sein de la CGT, le poids des communistes s’est fortement accru alors que la CFTC connaît un véritable essor régional. Le MRP prend soin de présenter des responsables syndicaux en position éligible permettant à des syndicalistes de la CFTC d’entrer au parlement comme Emmanuel Fouyer, responsable syndical d’une entreprise de câbles télégraphiques à Brest en 1936, ou Renée Prévert en Ille-et-Vilaine.
Les réseaux catholiques
76Les réseaux catholiques sont particulièrement puissants en Bretagne allant des activités proprement religieuses aux activités culturelles et sportives de masse en organisant des patronages et des clubs dans une compétition acharnée avec les associations et patronages laïques. On encourage la pratique sportive, le football, le cyclisme, et dès la fin du XIXe siècle, recteurs et vicaires ont vu tout l’intérêt de l’organisation d’un cinéma paroissial75. Le nombre de sociétés sportives catholiques encore peu élevé en 1914 progresse fortement de 1924 à 193476. Les prélats et le très dense réseau du clergé séculier s’efforcent de guider spirituellement mais aussi politiquement leurs ouailles. Défenseurs de l’école privée confessionnelle, ils soutiennent les forces de droite même si ces dernières se divisent de plus en plus nettement entre la fraction conservatrice et souvent nobiliaire et la droite républicaine (URD – Fédération républicaine) dont le courant démocrate-chrétien s’efforce de se dégager. Le ralliement des catholiques à la République dans la dernière décennie du XIXe siècle a fracturé et affaibli le bloc agraire conservateur et a consolidé le régime qui n’est plus contesté qu’à la marge durant l’entre-deux-guerres.
77Néanmoins, en Loire-Inférieure, la fraction la plus conservatrice et de sensibilité monarchiste résiste fort bien en s’adaptant et en prolongeant son hégémonie par le canal du Comité de la droite qui conjugue réseaux politiques, réseaux agricoles et réseaux religieux77. Nourrie d’une forte mémoire contre-révolutionnaire, la domination acceptée des grands propriétaires fonciers de l’aristocratie sur des milliers de fermiers et de métayers fonde un pouvoir politique, économique et symbolique qui s’appuie sur un prestige social et des actes de bienfaisance en faveur de l’école privée et de l’église paroissiale. Le clergé conforte la notabilité aristocratique dans une société rurale très hiérarchisée qui vote pour ses notables, meilleurs garants d’un ordre social censé être naturel. Pour maintenir leur tutelle et répondre aux influences républicaines mettant en péril la communauté, ces élites se professionnalisent en transformant au début du XXe siècle le comité royaliste en Comité de la droite. En 1932, ce Comité s’est élargi à 109 membres, dont 62 % ont des patronymes aristocratiques, pour mieux quadriller les cantons. C’est une véritable organisation politique structurée présidée à partir de 1920 par le marquis de La Ferronnays qui sélectionne les candidats et prépare les échéances électorales en s’appuyant sur une presse locale influente. Cette adaptation de la droite extrême (monarchiste) et sa propension à l’union de toutes les sensibilités de droite, y compris républicaines, lui permettent de conserver son contrôle électoral des campagnes blanches jusqu’à la guerre, et même après la Libération, et sur les assemblées élues (mairies, Conseil général, députation, Sénat) même si des tensions sont apparues dans les années 1930 avec la concurrence du PSF.
78Même si le cas de la Loire-Inférieure est exceptionnel, l’emprise des réseaux catholiques reste forte sur une partie de la population bretonne comme l’ont déjà montrées l’importance de la presse catholique et la puissance des réseaux agricoles. L’école privée catholique, classes primaires et collèges, joue un rôle majeur dans la permanence de cet encadrement de la jeunesse et de la transmission des valeurs chrétiennes même si les élèves devenus citoyens peuvent s’émanciper sur le plan politique. En 1931, le centenaire de la liberté de l’enseignement est célébré avec éclat lors de nombreuses manifestations publiques. Dans certaines régions de forte pratique religieuse et dans de nombreuses communes rurales, on peut parler d’une société cléricale qui n’hésite pas à se mobiliser sur le terrain politique quand elle considère que ses intérêts, religieux ou scolaires, sont menacés par des gouvernements de gauche.
79Dans les années 1920, les unions catholiques affiliées à la Fédération nationale catholique (FNC) sont des armes de combat contre le Cartel des gauches comme elles le seront contre le Front populaire. L’exemple du Finistère illustre la puissance de ces réseaux catholiques. À l’issue des affrontements, en novembre 1926, leurs adversaires de La Défense Laïque du Finistère écrivaient : « Les curés de Bretagne, et principalement ceux du Léon, n’ont pas les ventres aimables ni les figures réjouies de certains desservants de la campagne. Ce ne sont pas des prêtres de salon. Ce sont des militants. […] Ce ne sont ni des curés mondains, ni des prêtres d’opérette. Ce sont des soldats. Ils en ont la discipline. Ils en ont la rudesse. Dans les villages ce sont eux qui commandent78. » Dans ce département où une Ligue de défense et d’action catholique (LDAC) a été créée le 25 décembre 1925, le quadrillage de la FNC est particulièrement serré puisque, au début de 1926, selon l’abbé Le Goasguen, directeur des Œuvres, 51 704 cartes ont été demandées pour les hommes et 16 787 pour les femmes, peut-être pas toutes placées. Les effectifs baissent dans les années 1930 mais restent importants : en tenant compte des cotisations payées par les hommes, ils oscillent entre 34 491 en 1931, 40 000 à 41 000 de 1932 à 1934, et 32 375 en 1938. Les comités paroissiaux de la FNC avec leurs chefs de quartier sont surtout développés dans le Léon mais leur présence est signalée dans 266 à 283 communes (en 1933), c’est-à-dire dans presque toutes celles du Finistère. À Brest, il y aurait 4 078 adhérents en février 1935 selon La Croix. Ce réseau militant catholique dépasse de loin les effectifs des partis politiques, de droite, comme de gauche, mais influence les résultats électoraux. Sous la tutelle de l’évêché et de Mgr Duparc, la Ligue féminine d’action catholique, dirigée par des aristocrates conservatrices, progresse fortement passant de 35 000 adhérentes en 1936 à 40 000 en 193879. Ces ligues d’action catholique participent à la radicalisation des droites des années 1930.
80Les démocrates-chrétiens s’efforcent de se démarquer d’un catholicisme par trop conservateur en essayant d’insuffler une politique sociale en application de la doctrine sociale de l’Église. La Fédération des républicains démocrates du Finistère lance en 1920 un comptoir coopératif d’achats et de vente pour lutter contre « la vie chère » dont l’objectif est d’acheter des denrées en gros pour les céder ensuite au petit commerce et aux coopératives de consommation80. Ils animent plusieurs coopératives dont « la Fraternelle » qui s’étend dans la région de Quimper : elle passe de 60 sociétaires en 1908 à 600 en 1915 et de 1 308 en 1921 à 1 437 en 1929 et 1 230 en 1934 employant une vingtaine de personnes. Quant à elle, « La Léonarde » passe de 395 sociétaires en 1921 à 2 626 en 1934 (une quarantaine d’employés) mais d’autres coopératives de consommation comme « le Foyer breton » ne décollent pas (une cinquantaine d’adhérents). Il existe aussi de 1910 à 1934 une coopérative de production, « la Bretonne » créée par des maraîchers sillonnistes de Saint-Pol-de-Léon, en conflit avec les négociants, et qui emploie une quinzaine de personnes. Les démocrates-chrétiens ne veulent pas laisser le champ libre aux coopérateurs socialistes dont le mouvement n’est d’ailleurs pas très développé dans le Finistère. En 1922, à Quimper, des militants ont créé une coopérative de construction d’Habitation à Bon Marché (HBM), la « Ruche Quimpéroise » qui, grâce à des prêts d’État et des subventions édifient cinq maisons. Les anciens sillonnistes s’investissent dans des caisses locales du Crédit agricole et même dans une Banque populaire à Morlaix en 1923. Dans la même ville, des militantes ont fondé en 1914 « le Foyer breton », une société coopérative de restaurants féminins anti-alcooliques qui après la guerre développent des pensions de famille et des colonies de vacances. Le PDP finistérien prend des initiatives économiques et sociales pour appliquer son programme et renforcer sa crédibilité politique en s’émancipant, autant que faire se peut, de la tutelle des élites conservatrices.
81Parallèlement, l’Église catholique s’efforce dans les années 1930 d’organiser la jeunesse dans des mouvements d’action catholique spécialisée comme la Jeunesse agricole catholique (JAC), la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) et la Jeunesse maritime chrétienne (JMC) mais leurs effectifs sont encore limités dans la région. Animée par l’abbé Favé, la JAC du Finistère passe de 75 adhérents en 1937 à 669 en 1939 alors que la JOC avait 150 affiliés et 150 sympathisants en 1938. Les premières sections de la JOC ont été fondées en 1927-1928 en Ille-et-Vilaine à Vitré et à la Guerche et à Méan-Trignac en Loire-Inférieure ; elle compte neuf sections dans les Côtes-du-Nord en 193281. La hiérarchie catholique n’accorde pas encore une très grande importance à ces mouvements car il s’agit plus alors de former une élite spirituelle que de développer des organisations de masse notamment pour la JAC.
82La première JAC est organisée au début des années 1930 par l’abbé Francis Brassier en Ille-et-Vilaine et l’abbé Lemée dans les Côtes-du-Nord ; l’abbé Eucher Corre fonde le premier groupe à Henvic (Léon) dans le Finistère. De fait, ces mouvements d’action catholique spécialisée (JOC et JAC) vont prendre leur essor sous l’Occupation, à partir de 1941, parfois en bénéficiant de la bienveillance de Vichy, souvent contre. La JOC est traversée de débats à partir de 1942-1943 face à La Relève et au STO sur la question du départ en Allemagne ou du réfractariat. À l’été 1943, des milliers de jeunes réfractaires hébergés dans les fermes de Bretagne expriment leur refus du STO et leur dissidence. L’abbé Simonneaux développe la JOC à Rennes qui devient importante après la Libération dans le Finistère, en Ille-et-Vilaine et en Loire-Inférieure : à Nantes, le nombre de jocistes passe de 561 en 1945 à 832 en 1948 (plus de 400 à Saint-Nazaire). Ces militants vont s’investir dans la CFTC et parfois dans le MRP. La JAC prend son essor dans le Finistère passant de 42 sections en 1942 à 107 en 1947 et plus de 70 000 jeunes ruraux de la région seraient touchés par le mouvement en 1945. Plus encore que dans le monde ouvrier, le MRP peut compter sur l’appui des jacistes.
83Fondée en 1930 par l’abbé Georges Havard, un prêtre malouin, la JMC est développée par un dominicain natif de la même région, le père Louis-Joseph Lebret. À partir du premier groupe de l’île de Sein, le mouvement essaime dans les ports bretons, surtout dans la région malouine et dans les Côtes-du-Nord, sauf en Loire-Inférieure82. L’objectif affirmé est de combattre l’anticléricalisme radical des marins-pêcheurs puis le communisme qui s’ancre dans plusieurs ports du sud Finistère au milieu des années 1930. La petite JMC étend son audience sous l’Occupation, en particulier dans le Finistère, d’autant plus que durant la période Darlan (1941-1942) les nombreux officiers de la Marine nationale aux commandes veulent contrôler la jeunesse et approfondir la formation des jeunes marins dans des écoles d’apprentissage maritime (EAM)83. Dès 1940, la JMC a soumis son projet d’école à l’Amirauté qui le reprend à son compte et de nombreux cadres du mouvement s’investissent dans l’Association de gérance de ces écoles84. Mais les jeunes marins prennent vite leurs distances avec ces institutions patronnées par Vichy et la Marine (absentéisme, désobéissance, abandon, coût de la formation) si bien que les effectifs stagnent en 1942-1943. Le réseau de ces écoles est conservé et élargi après la Libération. De même, sous l’Occupation, la JOC s’est investie dans les centres d’apprentissage créés dans l’Ouest par Vichy à Quimper, Rennes et Nantes (trois centres) et placés sous la responsabilité d’un délégué régional, ancien permanent jociste85. Néanmoins, plus ou moins tolérée en zone nord, la JOC refuse d’intégrer la Charte du travail (fin 1941) et en 1943 plusieurs institutions auxquelles participaient des jocistes sont supprimées ou prises en main par d’autres structures. La rupture avec le régime est nette alors que la JAC a accepté la Corporation paysanne. Des jocistes participent à la résistance. À la Libération, la JOC se réorganise et se développe fortement en Ille-et-Vilaine et en Loire-Inférieure.
84Les réseaux catholiques sont multiformes et très diversifiés (scolaires, associatifs, militants) en Bretagne où ils contribuent à forger des hommes qui s’investissent dans la vie de la Cité jouant un rôle de relais électoral évident. Leur densité est particulièrement forte dans les campagnes, des bastions de tradition blanche du Léon aux marges orientales de la Bretagne et aux campagnes de Loire-Inférieure. Le Léon, où la démocratie chrétienne s’est installée dès la fin du XIXe siècle, fait figure de région emblématique car, comme l’a écrit Yvon Tranvouez : « Ici, l’engrais est catholique, l’argent est catholique, le foot est catholique, comme l’école est catholique86. »
Les réseaux laïques et les réseaux radicaux
85En lutte contre les réseaux catholiques et l’influence de l’Église, les réseaux laïques, défenseurs de l’école publique et souvent anticléricaux, s’efforcent d’étendre leur influence en Bretagne. Porteur de ce message, le radicalisme qui émerge au début du XXe siècle et atteint son apogée en 1932 s’appuie essentiellement sur des personnalités. Toutefois, même si la constitution d’organisations partisanes est relativement laborieuse, des relais associatifs laïques existent dans lesquels se côtoient des hommes de gauche, radicaux et socialistes, voire parfois communistes. Au sein de ces réseaux, accord sur les valeurs républicaines et compétition électorale marquent les temps forts de l’activité militante et associative.
86En 1899, à l’initiative du Paimpolais Armand Dayot, inspecteur des Beaux-Arts, naît la ligue des « Bleus de Bretagne » à Paris en pleine crise de l’affaire Dreyfus, une association républicaine, littéraire et artistique87. Elle est présidée par le député radical de Lorient Paul Guieyesse (jusqu’en 1904), se dote du journal La Bretagne Nouvelle en 1901 et s’efforce de créer des groupes locaux à partir de 1902. On en signale une vingtaine avant 1914, souvent dans des petites villes et sur la côte des Côtes-du-Nord mais leur existence paraît bien éphémère88. Le premier congrès se tient à Brest en 1905, puis à Saint-Malo mais on a du mal à les organiser car les dissensions internes sont nombreuses et d’autres organisations laïques occupent déjà le terrain. Quelques comités sont recréés lors du Cartel des gauches servant de support à des notables radicaux ou radicaux-socialistes. Michel Geisdoerfer, député-maire de Dinan, en prend la présidence en 1936, sans parvenir à relancer le mouvement.
87À Rennes, ville où s’est tenue la révision du procès d’Alfred Dreyfus en 1899, les républicains se sont divisés. La loge rennaise du Grand Orient de France regardait avec méfiance le comportement des deux députés républicains (René Le Hérissé et René Brice). Contre ces notables républicains antidreyfusards, militants radicaux-socialistes et socialistes s’étaient rapprochés, rapprochements facilités par la fréquentation de la même loge La Parfaite Union89. Ce qui avait débouché sur la conquête en commun de la municipalité de Rennes en 1908. Universitaires et instituteurs laïques radicaux-socialistes et socialistes, travaillant avec des militants ouvriers syndicalistes ont jeté des passerelles dans les années 1905-1914 au sein d’associations comme la Bibliothèque populaire rennaise créée en 1895, la société d’instruction populaire fonctionnant dès les années 1880, une association républicaine, éducative et patriotique, ou la Libre Pensée. Il existe alors une université populaire animée par des universitaires de gauche dont plusieurs sont francs-maçons. À partir de 1904, le Cercle républicain d’enseignement laïque d’Ille-et-Vilaine étend son rayonnement grâce à des comités locaux dans les petites villes en organisant des cours (pour les ouvriers et les agriculteurs) et en faisant circuler des bibliothèques. Radicaux et socialistes se côtoient dans ces activités éducatives militantes et se présentent ensuite sur les mêmes listes électorales (à Rennes en 1908). Suspendu pendant la Première Guerre mondiale, le Cercle républicain d’enseignement laïque d’Ille-et-Vilaine s’intègre à la Fédération des Œuvres laïques (FOL) en 1927. Les étudiants ne sont pas en reste : alors qu’à Rennes durant l’affaire Dreyfus le Cercle catholique Saint-Yves et le Groupe Antisémitique nationaliste rennais s’en prenaient aux universitaires dreyfusards, en perturbant leurs cours, un jeune avocat a fondé l’Union républicaine des étudiants rennais en 1903 (80 adhérents, 150 en 1911) pour défendre « l’idée républicaine », organisant des causeries dans plusieurs communes. Ce mouvement qui disparaît en 1914 est un creuset de formation de responsables radicaux-socialistes comme Oscar Leroux, franc-maçon, président du groupe radical de Rennes dès 1910, adjoint au maire en 1912, mais aussi pendant un temps de socialistes. En 1909, les étudiants socialistes forment leur propre section au sein de l’organisation étudiante qu’ils quittent en 1911 pour créer un Groupe socialiste des étudiants rennais autonome90. En 1905, l’Émancipation bretonne avait tenté de toucher plus largement « la jeunesse anticléricale » de Bretagne (ouvriers, employés, étudiants) en organisant des sections à Rennes et à Quimper, à Saint-Brieuc et à Lannion, à Pontivy et à Josselin, sections le plus souvent très éphémères. Des réseaux politiques se forgent dans tous ces mouvements issus du choc de l’affaire Dreyfus et de la loi de Séparation préparant de nouvelles élites militantes actives durant l’entre-deux-guerres.
88L’Union sacrée qui instaure la trêve des partis politiques ne tient pas jusqu’à la fin de la guerre au-delà même de sa rupture par la SFIO. Dès le 27 janvier 1918, les républicains laïques d’Ille-et-Vilaine ont constitué un Comité d’entente et de défense républicaine à Rennes pour défendre l’école publique91. Cette mobilisation débouche le 4 février 1923 sur un Comité de Défense laïque d’Ille-et-Vilaine qui rassemble plus de 800 personnes à Rennes en avril. Les militants communistes de Fougères le quittent en février 1924 dans le cadre de la bolchevisation de leur parti. Le SNI suit la même voie en 1926, ce qui affaiblit et désorganise ce mouvement jusqu’à la formation d’un nouveau comité départemental en 1930, présidé par François Bizette, avec des comités locaux beaucoup plus militants, et l’investissement de socialistes92. Durant ces années, les radicaux s’expriment dans Les Nouvelles Rennaises, un hebdomadaire dirigé par Étienne Nicol93.
89En Bretagne, depuis 1920, il s’est agi de répondre aux offensives du Bloc national et des forces de la droite catholique. Pour ce faire, des comités de défense laïque (CDL) départementaux se constituent, parfois à l’instigation des autorités préfectorales comme dans le Morbihan en juillet 192294. Le préfet a réuni les parlementaires de centre gauche et des membres du Syndicat national des instituteurs (SNI) pour créer le CDL. La SFIO n’est pas en reste, ce qui conduit les députés de l’Union républicaine à prendre leurs distances avec ce CDL aussi bien lors de la première Journée laïque du 16 juillet 1922 que face aux efforts des responsables radicaux-socialistes pour mettre en place une liste cartelliste en 1924. D’ailleurs, la Journée laïque de Lorient du 22 avril 1924, deux semaines avant les élections, tourne à la fronde contre les parlementaires de centre gauche. Au-delà de sa neutralité affichée, le CDL du Morbihan est alors un relais du Bloc des gauches et un lieu de rencontre des radicaux et des socialistes. Dans le Finistère, les comités de défense laïque mobilisent leurs troupes contre l’offensive cléricale lors du Cartel des gauches mais ils sont loin de pouvoir rivaliser avec la FNC : avec 4 000 adhérents en 1927 ils ont quinze fois moins de troupes, cinq fois moins en 1935 même si leurs effectifs ont doublé (8 000).
90Les réseaux radicaux s’élaborent dans les combats républicains et anticléricaux de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Mais progressivement, les associations les plus actives sont investies par des militants socialistes dans les années 1920-1930, ce qui pose le problème de la survie de réseaux exclusivement radicaux et de leur captation par les partis marxistes.
91La Libre Pensée, active en ville, est un important vecteur du combat laïque dans sa variante la plus anticléricale au moment des gouvernements de défense républicaine de Waldeck-Rousseau et du Bloc des gauches. À Lorient, elle est animée avant 1914 par de fortes personnalités radicales comme Paul Guieyesse ou Louis Nail. En mai 1924, son secrétaire Dalmont est candidat sur la liste cartelliste commune des radicaux et de la SFIO. La Ligue des droits de l’homme (LDH) comme la franc-maçonnerie sont des lieux de rencontre des hommes de gauche (radicaux, socialistes et républicains-socialistes) attachés à la défense des valeurs républicaines et de laïcité tout comme les loges. Leur influence dans les organisations laïques est forte dans des villes comme Rennes ou Brest. À Lorient, le Cercle d’Études Démocratiques et Sociales serait, selon la presse de droite en 1924, le paravent de la loge maçonnique du Grand Orient de France. La Ligue des droits de l’homme permet souvent de jeter des ponts entre des hommes qui parfois s’opposent, parfois s’allient dans le combat politique. Dans le Morbihan, en février 1924, les sections de la LDH se fédèrent sous la présidence du Dr Lettry de Lorient, président aussi du Comité de défense laïque, qui tente sans succès en 1924 de faire pencher l’Union républicaine (centre gauche) vers une liste de Cartel des gauches95. Les relations entretenues dans ces organisations laïques ne sont pas sans incidences sur la vie politique locale ; elles permettent souvent des alliances entre les radicaux réellement de gauche et les socialistes.
92Dans l’entre-deux-guerres, prenant le relais des militants radicaux-socialistes, les socialistes constituent souvent en Bretagne l’armature principale des réseaux laïques, dans les villes mais aussi dans certaines régions rurales96. Dans les Côtes-du-Nord, en 1925, le responsable socialiste Octave Brilleaud, futur maire de Saint-Brieuc (1931), préside la Ligue de l’enseignement. Des militants communistes y participent notamment des instituteurs et des institutrices mais la situation peut varier selon les départements. Ainsi, en Ille-et-Vilaine, le PCF n’appartient pas au Front laïque formé par toutes les associations, partis et syndicats le 19 juin 1936 et présidé par le radical-socialiste Eugène Berthelot mais ils le rejoignent en 1937. À la Libération, socialistes et communistes s’investissent dans ces mouvements qui vont devenir un des lieux de leur affrontement durant les années de la guerre froide.
Les réseaux socialistes
93Le milieu associatif et syndical par le truchement de la CGT et des fédérations de fonctionnaires, souvent autonomes dans les années 1920, constitue un moyen privilégié de développer les idées du parti et de former un réservoir de sympathisants97. Militer dans la CGT est jusqu’en 1947-1948 et la scission de Force Ouvrière (FO), un moyen d’ancrer la SFIO dans le monde ouvrier et dans le monde enseignant dans un affrontement avec les communistes.
94En effet, des militants socialistes, souvent candidats aux élections politiques pour la SFIO, exercent des responsabilités syndicales à la CGT durant l’entre-deux-guerres. C’est le cas d’Amédée Quinio, le secrétaire de l’UD CGT des Côtes-du-Nord, adhérent de la SFIO, tout comme Théo Hamon, le responsable des années 1920, candidat aux élections législatives de 1928 à Saint-Brieuc, et l’instituteur Guy Voisin (en 1932 et 1936), responsable de l’UL de Guingamp. C’est aussi le cas d’Eugène Quessot à Rennes, d’Albert Fournier, secrétaire de l’UL de Fougères (1932-1940) et candidat socialiste à plusieurs élections (cantonales en 1931 et 1937, législatives en 1932). En outre, ce militant est secrétaire de l’important syndicat général de la chaussure et au plan national de la Fédération des cuirs et Peaux (1934). À ce titre, il dirige pour la CGT l’importante grève des ouvriers de la chaussure en 1932 (8 mois). En 1932, en Ille-et-Vilaine, cinq des 16 membres de l’UD sont socialistes98. Dans le Morbihan, les cégétistes Trevenne, secrétaire de la Bourse du Travail, et Jean-François Le Levé, secrétaire du syndicat de l’Arsenal de Lorient, appuient discrètement la liste du Cartel des gauches en 1924.
95Des socialistes dirigent la branche enseignante de la CGT dans l’entre-deux-guerres, le Syndicat national des instituteurs (Alexis Le Strat en Ille-et-Vilaine), les cartels des fonctionnaires et de nombreux comités de défense laïque, patronages et amicales laïques. Dans le Morbihan, Joseph Rollo, instituteur à Auray, est un dirigeant national du SNI, secrétaire de la section départementale jusqu’en 193899. C’est un militant très attaché au combat laïque qui a été un dirigeant national de la Fédération CGTU de l’enseignement, a milité au PCF et en a été exclu en 1931, mais qui se bat pour la réunification syndicale réalisée chez les enseignants du Morbihan dès décembre 1934. Il réadhère à la SFIO et devient l’un des responsables nationaux du SNI-CGT de 1935 à 1939. Ayant reconstitué le SNI dans la clandestinité dont il devient le principal responsable national en février 1943, résistant à Libération-Nord, Joseph Rollo est arrêté le 31 mars 1944 et meurt en déportation.
96À Rennes, dans les années 1930, l’institutrice Louise Santucci, responsable femmes de la SFIO, est vice-présidente du Comité départemental de défense laïque auquel appartiennent tous les responsables et intellectuels socialistes : Aubry, Bahon, Quessot, Rébillon. Ce dernier a d’ailleurs succédé en 1931 au radical-socialiste Kantzer à la tête de la ligue des droits de l’homme (LDH). En Ille-et-Vilaine, en 1925 elle compte 850 adhérents répartis dans dix sections ; il y en a 25 en 1931 avec par exemple 146 adhérents à Fougères et 161 à Redon100. Les universitaires socialistes Armand Rébillon et Carle Bahon tiennent régulièrement des causeries militantes à la LDH. Et c’est le socialiste Victor Droineau qui préside la Libre Pensée rennaise.
97Les socialistes s’efforcent d’organiser les milieux socio-professionnels dans lesquels ils sont bien implantés. Avec le Front populaire, la SFIO donne la consigne à l’automne 1936 de créer des amicales socialistes dans les entreprises. Il s’agit de riposter à la création de cellules d’entreprise par un PCF en plein essor. Leur nombre est limité en Bretagne. Une est créée chez les enseignants en Ille-et-Vilaine en juin 1937, une seconde chez les cheminots en mai 1938. La section brestoise lance une amicale à l’arsenal durant l’été 1937 ; elle recrute environ 120 membres qui en principe doivent être syndiqués à la CGT. Ces amicales socialistes semblent avoir été éphémères.
98La coopération, les caisses d’assurances sociales, les conseils de prud’hommes sont autant de moyens plus anciens et plus solides pour se renforcer. En effet, la Fédération socialiste bretonne (FSB) a amorcé son implantation en Bretagne dans les années 1900 en s’appuyant sur un réseau de coopératives de consommation qui s’est structuré au début du XXe siècle101. La FSB a accueilli sept coopératives en 1900102. Outre sa vocation économique, le mouvement coopératif est un lieu d’apprentissage de la démocratie directe. Sous l’impulsion du socialiste nantais Emmanuel Svob, de 1903 à 1905, les sociétés coopératives de Bretagne s’unifient au sein d’une fédération, la Bourse des coopératives socialistes (sept départements) qui créé le Moulin coopératif de Lorient dont il prend la direction. Son importante carrière politique et municipale à Lorient s’appuie sur ce mouvement coopératif (32 sociétés dans le Morbihan en 1909). Toutefois, le mouvement coopératif ne cantonne pas aux socialistes avant 1914 car des militants chrétiens du Sillon ont aussi fondés leurs propres sociétés. En 1907, il existe 77 sociétés coopératives en Bretagne (associée au Maine-et-Loire) dont 42 relèvent de la Fédération des coopératives de Bretagne qui a adhéré à la Bourse des coopératives socialistes103. Les principaux bassins coopératifs sont alors la région lorientaise, Brest, Saint-Nazaire et Nantes. En 1912, le mouvement coopératif s’unifie au sein de la Fédération nationale des coopératives de consommation (FNCC) débouchant en 1913 sur l’Union des coopératives lorientaises (UCL). En 1912, il existait déjà 56 sociétés adhérentes en Bretagne (25 dans le Morbihan et 21 en Loire-Inférieure, 86 % des adhérents) et 14 865 sociétaires contre 28 non adhérentes. Ces sociétés participent à l’effort de guerre en ouvrant dans les villes des boucheries, des restaurants et des magasins coopératifs reconnus par l’État avec l’appui du ministre SFIO Albert Thomas104. Après le congrès de Tours, les socialistes conservent le contrôle du mouvement coopérateur en Bretagne sud. Plusieurs militants coopérateurs vont accéder à des fonctions électives comme E. Svob à Lorient, Auguste Pageot futur député-maire de Nantes (1936), ainsi qu’Eugène Leroux, député de Nantes (1932).
99Le mouvement coopératif poursuit son essor. En 1930, l’Union des coopératives du Finistère est fondée regroupant 12 000 sociétaires en 1939. Dans le Morbihan, en 1927, le Moulin coopératif de Lorient est cédé à l’Union coopérative lorientaise (UCL) qui a 51 succursales en 1930 et 10 000 sociétaires, passant en 1939 à 62 magasins et près de 15 000 coopérateurs105. En 1930, en Loire-Inférieure, il existe 80 magasins et près de 8 000 sociétaires. À Fougères, l’Alliance des travailleurs fougerais compte une dizaine de succursales et 2 000 sociétaires mais elle se heurte à la coopérative de consommation de l’abbé Bridel et à la CFTC. C’est un militant socialiste et cégétiste de Fougères, Henri Lepouriel qui remplace Svob, parti à Lorient, en 1925 à la tête du mouvement coopératif nantais et de la Fédération de l’Ouest. À Saint-Nazaire et à Trignac, la Ruche nazairienne (5 000 adhérents) entretient des liens étroits avec la CGT et la municipalité socialiste de François Blancho. Du commerce, l’activité s’étend au domaine social et éducatif avec une caisse de solidarité et une caisse de retraite (à l’UCL). Dans la région lorientaise comme à Saint-Nazaire, voire à Nantes, ce mouvement coopératif qui est un puissant vecteur d’implantation et de fidélisation constitue une des bases du socialisme municipal et bientôt législatif dans l’entre-deux-guerres. Pendant la guerre, les locaux de l’UCL sont détruits à trois reprises (à Lorient et Auray) et ses 15 succursales restantes mises en difficulté par les pénuries. Mais Emmanuel Svob, redevenu maire de Lorient (1945-1946), s’attache à reconstruire son œuvre comme sa ville. À sa mort, le 28 mai 1946, son collaborateur Jean Ardhuin lui succède à la tête de l’UCL et développe l’outil coopératif qui atteint 87 magasins et 32 000 sociétaires en 1953.
100Partagées souvent avec des radicaux-socialistes, l’animation des patronages laïques dans les villes est un autre moyen de rayonnement des idées de gauche. Poursuivant des actions militantes engagées avant la Première Guerre mondiale, les socialistes développent dans l’entre-deux-guerres des activités sportives (clubs athlétiques, équipes de football) et culturelles (cinéma scolaire) et quand ils dirigent des municipalités, ils créent des colonies de vacances pour les enfants (la municipalité de Lorient acquiert un château). Dans le Finistère, des colonies dépendant de municipalités socialistes comme Landerneau hébergent des réfugiés espagnols en 1937. Pour contrer les patronages catholiques, on développe des patronages laïques à Brest, à Rennes, à Lorient, à Nantes et on rassemble leurs activités dans des fédérations départementales des œuvres laïques (FOL).
101À Rennes, le cercle Paul Bert, patronage laïque issu d’une association préexistante, voit le jour en 1910 avec pour devise : « Par l’école laïque. Pour la Patrie. Pour la République » afin de développer des activités sportives106. De 1922 à sa mort en 1937, il est présidé par l’instituteur François Bizette, militant du SNI, et est animé notamment par des militants socialistes. En 1929, le maire de Rennes (1925-1929) Carle Bahon en devient le président d’honneur ; il était déjà membre d’honneur de la FOL qu’il avait contribué à fonder en 1925107. En Ille-et-Vilaine, François Bizette, franc-maçon appartenant à la loge rennaise du Grand Orient de France, crée en mars 1925 la Fédération des œuvres laïques (FOL) affiliée en 1927 à la Ligue de l’Enseignement qu’il va présider jusqu’en 1937. Le vice-président de la FOL est le maire radical-socialiste de Fougères Armand Woelffel, professeur d’allemand. Cette union de sociétés laïques, rivale de la Fédération Gymnastique et Sportive des Patronages de France catholique, va regrouper plus de 80 associations et environ 14 000 membres en 1929108. Elle organise des tournois sportifs (basket, athlétisme, tir) et des concours de théâtre et de chant. En juillet 1925, elle lance une fête de la jeunesse des écoles publiques avec un défilé en ville de 2 000 élèves et des athlètes qui devient une institution rennaise. Les municipalités radicales-socialistes de Saint-Malo et de Fougères suivent le même exemple en 1930 et 1932109.
102En 1932, Emmanuel Svob a créé l’UFOLEA dans le Morbihan pour démocratiser l’accès à la culture, aux arts et au sport. Après 1945, son influence est forte dans les milieux laïques du département où elle rassemble l’essentiel des organisations vouées à la culture et à l’éducation populaires. Ce militantisme culturel est un moyen de pénétration des idées socialistes et de gauche en Bretagne d’autant plus efficace dans les années 1930 que le radicalisme militant s’essouffle. La SFIO capte déjà une partie de l’héritage radical et cette action porte ses fruits lors des élections législatives de 1936, phénomène accentué en 1945 et 1946. La SFIO se développe donc sur le terreau républicain et radical-socialiste de même que le PCF dans la deuxième moitié des années 1930 et plus encore à la Libération.
103Les socialistes s’efforcent de canaliser les ardeurs militantes au sein des jeunesses socialistes (JS) qui leur créent souvent un souci du fait de l’entrisme des trotskistes (dans les années 1930 et à la fin des années 1940)110. À la Libération, pour contrer l’essor important des JC, les fédérations socialistes reconstruites remettent sur pied des JS. Elles sont relativement actives, en particulier dans le Finistère, où Tanguy Prigent participe à leur congrès fédéral de 1945. Autre cible dans les années 1930, les socialistes s’adressent aux femmes dans leur presse en militant pour le droit de vote féminin. Dans le Morbihan, dès 1928 ils soutiennent l’Union française pour le suffrage des femmes de Madame Brunschwig en créant une section à Lorient en 1934. Des femmes comme Charlotte Ricard écrivent dans Le Rappel du Morbihan qui ouvre une « tribune des femmes » à partir du 28 septembre 1935. Des jeunes femmes militent aux JS mais elles sont bien peu nombreuses.
104En 1947, une organisation amie, le Bureau des Femmes socialistes existe à Lorient rassemblant des épouses de cadres et de militants qui ne sont pas toujours adhérentes du parti. Elles s’occupent des problèmes de ravitaillement et de logement dans la ville détruite par les bombardements. C’est le cas à Nantes et à Saint-Nazaire mais dans les associations de sinistrés ces militantes entrent souvent en concurrence avec des communistes.
105Depuis 1905, les socialistes bretons de la SFIO ont étendu leurs divers réseaux et ils ont pu ainsi élargir leur implantation locale et régionale, urbaine mais aussi rurale dans certaines régions (en Basse-Bretagne), syndicale et culturelle et en récolter les fruits électoraux. Engagé dès avant la Première Guerre mondiale, un glissement s’est opéré des réseaux laïques et radicaux vers les réseaux socialistes, accéléré par la relève générationnelle et la polarisation politique des années 1930. Le même processus s’opère à la Libération en faveur du Parti communiste français qui a fortement élargi son audience.
Les réseaux communistes
106Dans la conception marxiste-léniniste de l’action politique, les militants du parti d’avant-garde doivent obligatoirement s’investir dans « les organisations de masse » ne regroupant que des militants communistes et leurs sympathisants et qui sont pendant longtemps des organisations satellites. C’est le cas en Bretagne de 1921 au Front populaire où l’influence de ces organisations est des plus limitée, sauf dans le syndicalisme de la CGTU. En effet, la multi-appartenance des militants et de leurs proches fausse les chiffres des effectifs même si un activisme épuisant compense leur faiblesse. Les nombreuses organisations sectorielles sont souvent des coquilles vides. Ainsi, à la fin des années 1920, pour appliquer la ligne « classe contre classe » de Front uni à la base, il n’existe à Nantes qu’un seul Comité d’unité prolétarienne aux Batignolles (6 ou 7 membres). Mais au-delà de la dimension organisationnelle, la dimension sociétale est fondamentale pour forger une culture politique communiste avec une identité forte. Annie Kriegel a même pu parler d’une contre-société communiste qui s’est efforcée de développer son influence en tissant ses réseaux111. Très faibles en Bretagne jusqu’en 1936, les réseaux communistes prennent quelque essor avec le Front populaire se développant après 1945 en s’appuyant sur bon nombre d’organisations.
107Moyen privilégié de recruter de futurs militants les Jeunesses communistes (JC) n’ont souvent qu’une existence épisodique dans les années 1920 et il n’est pas toujours facile de distinguer les membres des JC de ceux du Parti. En Loire-Inférieure, les JC ont une centaine de membres en 1921 (20 à Nantes) et encore 90 à Nantes en juillet 1923, mais leur nombre est très fluctuant d’une année à l’autre112. Dans les années 1928-1930, la section des JC est désorganisée et il reste à peine une dizaine de membres. La situation est identique dans le Finistère où il n’y a eu que des groupes éphémères jusqu’à l’organisation d’un premier groupe brestois (sept militants) au début de l’année 1936. Le 28 février 1937, le premier congrès des JC du Finistère et du Morbihan à Landerneau rassemble 50 militants venus de cinq villes113. Les effectifs passent de 395 en 1936 à 600 en 1937 pour retomber à 410 en 1938. L’Union des jeunes filles de France (UJFF) se constitue114.
108Les associations sportives et culturelles ont pour fonction de distraire mais aussi d’éduquer la classe ouvrière. À Nantes, des associations sportives pour les jeunes ouvriers ont été créées par la Bourse du Travail en 1919 pour organiser les loisirs et lutter contre l’influence des mouvements catholiques. En février 1922, après la scission PCF-SFIO et CGT-CGTU, les communistes ont pris la direction de six sociétés sportives rassemblant 292 adhérents dont la moitié à l’Union Sportive prolétarienne de Rezé, le seul club vraiment ouvert115. La plupart appartiennent aux JC mais le rayonnement des sportifs communistes est très limité dans la jeunesse ouvrière et il décline rapidement. De 1928 à 1930, la section nantaise de la Fédération sportive du travail de l’Ouest, affiliée à L’Internationale rouge sportive, est tombée de 72 à 32 membres. On en trouve des traces à Fougères où les unitaires ont créé en 1923 « le Sport ouvrier fougerais » (SOF) avec plusieurs sections (cyclisme, football, athlétisme) qui ont un rayonnement régional, puis l’Union sportive ouvrière rennaise en 1926.
109Les associations culturelles ont un rôle encore plus faible. À Nantes, en 1919, une vingtaine de militants révolutionnaires, des socialistes de gauche et des libertaires, se sont retrouvés dans la « Muse Rouge » pour populariser l’idée de l’adhésion à la IIIe Internationale. Elle devient « L’Étoile Rouge » en 1921 sous la houlette des JC de Chantenay, puis « L’Étoile prolétarienne » (17 membres en 1930) qui organise quelques bals. À Rennes, en 1928 la CGTU a mis sur pied La Muse des cheminots rennais dont le répertoire (chants révolutionnaires, spectacles) connaît un réel succès (de 400 à 600 personnes)116.
110Quelques organisations de masse créées par les communistes ont un impact un peu plus large dans l’entre-deux-guerres. Chez les anciens combattants, l’ARAC est peu implantée dans la région. Le Secours Rouge International (SRI) organisé dans les départements bretons au milieu des années 1920 (par Louise Bodin à Rennes en septembre 1925, le cheminot Guérin à Dinan) a d’abord une existence éphémère. Il s’agit de soutenir les communistes arrêtés et emprisonnés pour leur activité antimilitariste, voire « d’espionnage industriel ». En Loire-Inférieure, il compte entre 140 et 165 adhérents dans les années 1928-1930. Souvent en sommeil au début des années 1930, le SRI est réactivé à partir de 1932-1933. En 1934, avec 600 adhérents son influence n’est pas négligeable (création de sections de quartier à Nantes)117. En Bretagne, le SRI accueille les premiers réfugiés espagnols victimes de la répression sanglante de la Commune des Asturies en 1934. C’est souvent en son sein que les militants communistes et socialistes vont militer ensemble après la signature du Pacte d’unité d’action. À Saint-Brieuc, en novembre 1934, l’écrivain Louis Guilloux, sollicité par Didier, un orateur parisien du SRI, accepte d’en devenir le secrétaire et un « compagnon de route » du Parti118.
111Pour faire connaître les réalisations de « la Patrie du socialisme », les communistes et les syndicalistes de la CGTU animent l’association des « Amis de la Russie Soviétique » qui envoie des voyageurs triés sur le volet et devant rapporter la « bonne parole ». Organiser des conférences sur l’URSS en Basse-Loire fait partie des tâches de propagande. À Nantes, en 1921, Laporte, le secrétaire général des JC rapporte ce qu’il a vu, tout comme le dirigeant départemental Crémet en 1923. Une section nantaise des Amis de l’Union Soviétique créée en mai 1928 (66 adhérents) rassemble bientôt 185 membres. Des conférences sur le sport en URSS ou la situation de la femme sont l’occasion de toucher un public plus large ; l’envoi d’ouvriers en voyage doit élargir l’audience du PCF. En 1927, en Ille-et-Vilaine une section des « Amis de l’URSS » a vu le jour. Pendant l’entre-deux-guerres, elle envoie quatre syndicalistes dont trois unitaires et c’est la CGTU qui finance119. Dans les Côtes-du-Nord, l’institutrice Yvonne Gouriou adhère au PCF en 1933 à son retour de voyage. À l’invitation d’André Gide, Louis Guilloux prend lui aussi le chemin de « la patrie du socialisme » en 1936. Lorsque Gide publie son Retour d’URSS, Louis Aragon et la direction du PC demandent à l’écrivain briochin d’écrire une réponse pour contrer l’effet négatif de l’ouvrage, ce que Guilloux refuse.
112Jusqu’au Front populaire au moins, l’impact de ces organisations de masse reste circonscrit aux milieux communistes et à leurs sympathisants. La situation change après la guerre. Fort de ses dizaines de milliers d’adhérents, le PCF occupe largement le champ sportif et culturel d’autant plus qu’il gère un certain nombre de municipalités. Un véritable communisme rural se met en place dans les communes du Centre-Bretagne permettant au Parti de s’enraciner dans la gestion quotidienne, souvent en décalage avec la ligne politique centrale. Engagé sous le Front populaire, le mouvement d’adhésion de normaliens et d’enseignants, surtout des instituteurs et des institutrices, s’amplifie à la Libération. Beaucoup ont résisté au Front national et dans les FTP auxquels ils ont fourni bon nombre de cadres ; les plus jeunes sont plus attirés par le dynamisme communiste que par la SFIO. Ils vont s’investir dans le syndicalisme enseignant à la CGT, puis à la FEN (au SNI et au SNES) et dans les amicales laïques dans lesquelles ils côtoient les socialistes. Les militants des deux partis vont s’y opposer à partir de la rupture du tripartisme en 1947.
Les cultures politiques en Bretagne
113Dans le cadre d’une culture politique dominante, la culture républicaine qui s’affirme en Bretagne au début du XXe siècle, diverses cultures politiques, qui renvoient à des forces partisanes organisées mais vont bien au-delà des militants, s’élaborent tout au long des combats électoraux, économiques, sociaux, culturels, voire linguistiques120. Des identités politiques s’affirment et évoluent. La culture républicaine s’impose tout au long des années 1900-1945 dans une Bretagne de plus en plus intégrée à l’espace national français.
114Après 1918 et les épreuves de la guerre, la culture politique monarchiste véhiculée par Charles Maurras et l’Action française (AF) est de plus en plus marginalisée, surtout après 1926, et reléguée dans certains cercles aristocratiques de la partie orientale de la région, en particulier en Loire-Inférieure. Mais au sein de la culture républicaine dominante, des variantes ou sous-cultures politiques en conflit s’affirment à partir du clivage central catholiques/laïques, du clivage blancs et bleus hérité de la Révolution française. En outre, la situation n’est pas figée. Elle se modifie au fil de l’émergence de nouvelles forces politiques qui affirment leur culture politique spécifique sur le substrat de la culture républicaine qui, acceptée par le plus grand nombre, perd sa vigueur militante des années 1870-1914. Ainsi à travers les discours des élus et des militants, les articles de presse, les prises de positions, l’appartenance partisane, on peut dégager plusieurs cultures politiques spécifiques : de droite classique, démocrate-chrétienne, radicale-socialiste, socialiste démocratique et communiste. Ces cultures politiques n’existent jamais à l’état pur. La formation initiale (milieu familial, école), l’évolution des hommes, les enjeux de carrière (pour les élus et pour les cadres des partis), surtout en période de guerre (1914-1918, 1939-1945) ou de crise économique et politique (années 1930), influent sur la combinatoire des composantes complexes qui constituent la culture politique individuelle et son articulation avec la culture collective du groupe.
115Ainsi, à droite on peut aisément isoler une culture politique héritée des valeurs traditionnelles (religion, famille, patrie) qui s’affirme républicaine, dès 1914 et surtout après 1918, au sein de la Fédération républicaine (FR). Ses tenants, par conviction ou par opportunisme, conservent des liens avec les milieux conservateurs venus du royalisme et avec la hiérarchie catholique, parfois proche de l’AF au début des années 1920. Une variante centriste et libérale (Alliance démocratique), souvent venue de la gauche (rép. de gauche), clairement républicaine et s’affirmant laïque s’en rapproche au fil des reclassements de ses notables car l’essor électoral du radicalisme, puis du socialisme, les déportent inexorablement vers la droite dans les années 1930. Les composantes autoritaires, de type bonapartiste, s’affirment dans les moments de crise au sein des ligues d’extrême-droite d’abord, dans le PSF de La Rocque ensuite. Toutes ces droites convergent au sein du vichysme et de sa Révolution nationale, même si certains de ses représentants s’engagent dans la résistance par patriotisme et antigermanisme. Ce choix leur permet de restructurer des partis à la Libération. Appuyée sur un catholicisme militant, la défense de l’école privée et de l’ordre social, cette culture politique-là est encore forte en Bretagne, en particulier dans ses régions blanches.
116Toutefois, dans le monde catholique, elle est battue en brèche, dans le creuset du Sillon avant 1910, par l’implantation même limitée de la démocratie chrétienne dans l’entre-deux-guerres (PDP) et plus encore avec le MRP à la Libération. En concurrence avec la droite traditionnelle, peut-on parler de l’affirmation d’une identité et d’une culture politique démocrates-chrétiennes ? Ce qui en Bretagne fait l’originalité de cette famille politique, positionnée parfois malgré elle à droite, est l’aspiration à transformer une société encore très rurale dans le sens d’une émancipation sociale et démocratique121. Depuis le début du XXe siècle, sillonnistes, abbés démocrates, militants du PDP s’investissent dans les œuvres rurales, le syndicalisme agricole, le mouvement coopératif avec cette volonté de faire bouger une société encore encadrée, voire contrôlée par les élites sociales traditionnelles. C’est sur ce système de valeurs démocratiques et républicaines que les militants du Sillon se sont distingués avant 1914 du catholicisme social traditionaliste porté par certains aristocrates bretons ralliés à la République. Les militants de la Fédération des républicains-démocrates du Finistère (FRDR) sont allés le plus loin dans ce refus de repli sur une contresociété catholique, privilégiant la réhabilitation de la politique et l’engagement citoyen dans divers réseaux. Ils développent l’engagement social et réformateur au sortir de la Première Guerre mondiale (coopératives de production et de consommation, caisses de crédit), notamment dans le syndicalisme agricole des « cultivateurs-cultivants » et dans la CFTC. Ce faisant, ils expriment les aspirations d’une fraction des classes moyennes rurales et urbaines catholiques mais les indispensables compromis électoraux avec les forces catholiques conservatrices tendent à brouiller le message social et la spécificité politique des démocrates-chrétiens.
117Cette évolution est sensible avec le recentrage politique du PDP dans les années 1930 et la tendance à la notabilisation de ses élus et de ses cadres qui affadit une identité politique affirmée dans les combats contre les conservateurs (en 1928). D’ailleurs, pour ne pas être enfermé dans une image de parti confessionnel indispensable en Bretagne pour surmonter le clivage droite/gauche, le PDP tend à gommer son appartenance à la démocratie chrétienne. Cette évolution tient aussi de fait à l’acceptation de la laïcité et de la neutralité de l’État républicain. En Bretagne, le PDP se veut avant tout un parti démocratique d’inspiration chrétienne. Ses responsables développent un « réformisme social » qui ne rejette plus le libéralisme mais veut le dépasser tout en liant leur action politique à leurs convictions religieuses en restant des catholiques intégraux. En cela, ils contribuent à forger une culture politique nouvelle et originale avec un projet de société qui les oppose aux tenants des milieux catholiques traditionnels et explique la dureté des affrontements de l’entre-deux-guerres du fait de convictions divergentes et non pour les seuls enjeux de tactique électorale. David Benssousan voit ainsi les démocrates populaires : « Républicains catholiques, ils entendent faire de leur foi un levier de leur action dans la sphère publique dans le cadre d’une anthropologie chrétienne qui place le citoyen comme une nouvelle figure de fidèle catholique. » Mais cette culture politique en cours d’élaboration n’échappe pas aux ambiguïtés et aux contradictions car elle reste tributaire des conceptions dominantes au sein du catholicisme français, d’influences spirituelles et théologiques variées, et des rapports de force au sein des droites catholiques. Ainsi, en pleine querelle scolaire du Cartel de gauche, Ernest Pezet peut signer en 1926 un article très dur contre l’école laïque qui ne serait, selon lui, pour le gouvernement « qu’une chaire de civisme gouvernemental, une agence électorale, un office secret de renseignements politiques, un poste d’observation et de commandement préfectoral d’une part et d’autre part une salle de catéchisme laïque122 ».
118« La querelle de l’école », régulièrement réactivée des années 1900 à la fin des années 1950, serait le lieu de l’affrontement de deux philosophies du monde, l’une « positiviste et matérialiste », l’autre « spiritualiste ». Autant dire qu’en période de crise, la querelle scolaire fonctionne comme un révélateur des conceptions politiques et philosophiques montrant les limites de la volonté d’intégration des démocrates populaires et leurs fortes réserves à l’égard de la laïcité en Bretagne. Le décalage avec les orientations nationales du parti apparaît alors en pleine lumière. Toutefois, au-delà de la crispation identitaire et des divergences tenant aux individus, les dirigeants du PDP semblent s’orienter en Bretagne vers une réappropriation originale des valeurs républicaines qui porte ses fruits après 1945. De ce point de vue, à la Libération, le MRP est l’héritier direct de cette culture politique davantage affirmée au feu de la lutte résistante et du combat pour rétablir la République. Les réformes de structure et la politique sociale découlant du programme du Conseil National de la Résistance sont assumées au sein du tripartisme contre la droite traditionnelle mais aussi contre les radicaux-socialistes en train d’évoluer au centre droit, voire à droite. Pourtant, la question scolaire un temps mise en sourdine dans un souci d’apaisement, est rapidement réactivée au plan national comme dans la région dès 1947-1948. Toutefois, au sein de cette culture politique, la Résistance a généré une vision du monde socialisante, voire socialiste, mais non marxiste, dans certaines franges du MRP, et plus encore au sein de la CFTC. Cette donnée nouvelle est riche d’une évolution vers la gauche et le socialisme dans le quart de siècle suivant.
119En contrepartie, la culture politique républicaine militante affirmant la laïcité et le développement de l’école publique comme ligne de partage entre la gauche républicaine et les cultures cléricales de droite, portée depuis les années 1880-1900 par la mouvance radicale (radicaux, radicaux-socialistes, républicains-socialistes, voire certains républicains de gauche) et ses personnalités – un Georges Le Bail, un Gustave de Kerguézec avant 1914 – tend à perdre de sa vigueur dès l’entre-deux-guerres, même si elle est réactivée lors du Cartel des gauches ou après le 6 février 1934. Par peur du communisme, voire du socialisme, bon nombre de notables centristes laïques passent dans le camp des modérés lors du Front populaire. Acceptée par tous ou presque, la nature républicaine du régime n’est plus un enjeu alors que la défense de l’ordre social existant rassemble des adversaires de la veille, préparant des ralliements à Vichy. À la Libération, une fois la République restaurée, les héritiers du radicalisme n’ont plus guère de propositions spécifiques car contre les deux partis marxistes, au sein du RGR, ils défendent le libéralisme économique. Pour survivre, ils concluent des alliances électorales avec des adversaires de la veille et en viennent même à accepter la liberté de l’enseignement abandonnant ainsi le socle identitaire de leur culture politique propre. Avec l’UDSR, René Pleven tente localement une nouvelle synthèse centriste de radicaux laïques et de catholiques républicains (Jeune République) refusant d’intégrer un MRP trop confessionnel à ses yeux sans parvenir à transcender le clivage gauche/droite. Dès lors la culture politique radicale, toujours minoritaire en Bretagne, décline car ses tenants choisissent rapidement l’un ou l’autre camp.
120De fait, la culture politique républicaine militante et laïque est de plus en plus portée par les socialistes SFIO. Après le congrès de Tours, en dépit de la rhétorique marxiste, les socialistes abandonnent leurs velléités révolutionnaires. La culture républicaine préexistante est consubstantielle à la formation de leur parti et ils en sont imprégnés. Pour les socialistes, c’est par l’éducation de tous, d’où l’importance centrale de l’école publique comme pour les radicaux, la conquête démocratique du pouvoir et les réformes sociales que l’on pourra améliorer la condition du peuple et mettre en œuvre le socialisme démocratique par étapes. Dès lors, il faut militer dans les syndicats et les associations de gauche pour développer les libertés et les idées socialistes ; il faut se faire élire si l’on veut transformer la société dans la légalité républicaine. Le socialisme municipal et coopératif doit déjà améliorer la vie quotidienne des plus humbles. Il faut secouer la tutelle de l’Église et du clergé pour émanciper les citoyens, d’où l’importance du combat pour la laïcité. En Bretagne, comme le montre l’analyse des réseaux, la défense de l’école laïque est centrale et structurante pour les militants contre de puissants adversaires cléricaux. La culture politique socialiste s’implante sur le terreau républicain du radical-socialisme mais elle s’en distingue en y ajoutant la dimension de classes venant des références au marxisme dont se réclame le parti de Léon Blum.
121Ainsi, dans l’entre-deux-guerres et à la Libération, le discours marxiste des militants les plus à la gauche de la SFIO ne relève pas seulement de la rhétorique, même si les deux séquences d’accession au pouvoir, en 1936-1938 et à la Libération, signent l’impossibilité et l’abandon des espérances de transformations révolutionnaires. Dans la période de construction unitaire du Front populaire avec les communistes, précoce dans le Trégor et à Concarneau, et de participation aux luttes sociales notamment paysannes, la dimension révolutionnaire de la culture républicaine est mise en avant au sein de la CGPT et de la CNP, lors de meetings unitaires ou de fêtes militantes. L’aile gauche, voire d’extrême gauche, de la SFIO exalte le passé révolutionnaire national tout en y intégrant un socialisme de lutte. Un exemple en est fourni par Tanguy Prigent, le jeune maire de Saint-Jean-du-Doigt (25 ans), qui organise le 4 août – date symbolique – 1935 « une journée prolétarienne » pour commémorer l’événement123. Lors de ce « dimanche rouge », une banderole exalte « la Commune rouge de Saint-Jean-du-Doigt ». Il s’agit « de barrer la route au fascisme et de créer la véritable République des travailleurs ». Le Breton Socialiste, le journal de la fédération SFIO, appelle les « socialistes, les communistes et les bons républicains de la région » à venir saluer « le Drapeau rouge flottant sur la mairie ». Le journal de droite de Morlaix, La Résistance s’en émeut. Le sous-préfet avertit le maire que la loi n’autorise à pavoiser les édifices publics qu’aux couleurs tricolores. Deux cents militants socialistes, communistes et syndicalistes avec leurs fanions participent à la remise du drapeau rouge de la section PS de la commune. Quelques contre-manifestants (des vacanciers) chantent la Marseillaise en réponse aux discours politiques et à l’Internationale entonnée en français et en breton. La gauche marxiste s’approprie la langue bretonne pour ne pas la laisser « aux réactionnaires ». Tanguy Prigent affirme que « le drapeau tricolore révolutionnaire est devenu rouge, teinté par le sang des ouvriers ». Dans « cet affrontement simulé des années 1930124 », entre communisme et fascisme, les socialistes reprenant à leur compte le combat antifasciste, deux cultures politiques s’affrontent ouvertement.
122À la Libération, vieillissante et privée de forces vives attirées par le PCF, dépassée et bousculée par ce parti, la SFIO reprend à son compte en Bretagne le champ d’action et la culture politique laissés en déshérence par les radicaux, tendant à fondre le socialisme dans une culture républicaine émancipatrice compatible avec la reconstruction et la gestion du pays. Cette évolution est d’autant plus nette que la plupart des grandes réformes proposées par la CGT au début des années 1920, portées par la SFIO et reprises par le programme du CNR (nationalisations, planification, statut du fermage et du métayage…) ont été réalisées de 1944 à 1946. En outre, dès la fin de 1947, pour défendre la IVe République menacée, la conjoncture politique contraint les socialistes à gouverner le pays et certaines mairies avec le MRP, le centre droit laïque et parfois la droite au sein de coalitions de troisième force. Ces alliances contre le PCF et le RPF ne sont pas sans poser des questions à pas mal de militants dont la culture politique proprement socialiste tend à s’émousser. Il n’est pas facile de combattre localement des représentants de partis politiques avec lesquels on partage le pouvoir national.
123Jusqu’à la Libération, la culture politique communiste fait figure de corps étranger et d’idéologie dangereuse dans une société bretonne rurale de forte pratique religieuse. Jusqu’à l’essor militant du Front populaire et la prise en charge de la défense de la République contre le danger « fasciste », les noyaux de militants communistes, essentiellement urbains, constituent des microsociétés isolées dans leurs syndicats unitaires et leurs organisations dites de masse en butte à la société environnante. Héritiers de l’anticléricalisme et de la dimension révolutionnaire du socialisme, ces militants ouvriers vivent dans leur quartier (cheminots près des gares, banlieues ouvrières). Leur identité communiste se construit sur une éducation interne aux valeurs du marxisme, exaltant Lénine, Staline et le modèle sociétal de l’URSS, le « phare du communisme mondial », mais aussi les heures glorieuses de la Révolution française. Elle se renforce d’une forte identité professionnelle et de solidarités : celle des cheminots, des métallos ou des ouvriers du bâtiment. Dans les communautés de marins-pêcheurs des ports du sud Finistère ou à Douarnenez, l’anticléricalisme et le rejet des bourgeois, incarnés souvent par des patrons conserveurs impitoyables sur le plan social125, nourrissent une culture politique faite à la fois de volonté d’indépendance et de lutte des classes lors des grèves des ouvrières des conserveries de sardines dans les années 1920. Cette culture politique communiste s’affirme fièrement dans la dénomination des bateaux et même sur des pierres tombales frappées de la faucille et du marteau comme au Guilvinec.
124À Nantes sur le plan sociologique, selon des indications éparses (des sources de police), le recrutement prolétarien est une caractéristique essentielle du PCF. En décembre 1924, d’après une liste d’une soixantaine de membres, les principaux militants de la région nantaise sont ouvriers des chantiers navals (mais pas des dockers), de la métallurgie ou petits employés, notamment dans des entreprises publiques (cheminots de l’État, PTT, Manufactures des Tabacs)126. Les artisans et les fonctionnaires (un instituteur révoqué) sont rares, de même que les femmes. À Saint-Brieuc, cheminots et ouvriers du bâtiment en forment l’armature. C’est aussi le cas à Saint-Nazaire où « les communistes sont minoritaires en terre industrielle127 ». Dans ce bastion ouvrier marqué par l’anarcho-syndicalisme passé au socialisme, le Parti communiste ne parvient guère à s’implanter dans les années 1920 car il se heurte au socialisme municipal largement anticommuniste de François Blancho et se replie sur un discours et des pratiques ouvriéristes largement hérités de la culture politique du syndicalisme révolutionnaire par le truchement de la CGTU. Issu d’une famille guesdiste du Nord de la France, le responsable communiste Maurice Birembault adhère totalement à la tactique « classe contre classe » et n’accepte pas le tournant de « front unique » qui conduit à une alliance avec les socialistes à partir de 1934. Une nouvelle génération d’instituteurs et d’institutrices communistes, d’origine ouvrière ou paysanne, d’abord militants des JC prend alors le relais et s’efforce d’élargir l’audience du Parti, ce qui ne porte ses fruits à Saint-Nazaire qu’après la guerre. L’ouvriérisme et le sectarisme marquent partout la culture politique communiste jusqu’au grand tournant de 1934-1935 du Front populaire
125Désormais, l’antifascisme militant, la défense des revendications ouvrières, la démarche unitaire à gauche, la prise en charge de la dimension de combat de la culture républicaine, l’aspiration à la justice sociale et une certaine modération rendent le communisme acceptable dans des milieux sociaux plus diversifiés : employés, fonctionnaires, instituteurs et même petits paysans dans certaines régions de Basse-Bretagne. En 1936, pour financer sa campagne électorale, le professeur Marcel Hamon, né à Trémel, traduit et vend l’Internationale en breton. La base sociale du PCF s’élargit sociologiquement et géographiquement comme le montre le vote de 1936. Avec l’engagement du PCF dans la Résistance, l’exaltation de ses nombreux martyrs, sa défense de la république et de la nation contre le nazisme, l’essai est transformé à la Libération. Le PCF est désormais une force politique reconnue et intégrée à la nation. Le flot massif d’adhésions se fait sur la base d’une culture politique républicaine même si la plupart des cadres du PCF ont été formés dans le moule communiste de la fin des années 1920 et du début des années 1930. Ils jouent un rôle de formation politique et idéologique des jeunes dirigeants communistes issus de la lutte résistante, formation complétée dans les écoles de cadres. De 1944 à 1947, mettant en sourdine les références bolcheviques, la propagande communiste insiste sur son sens des responsabilités au gouvernement, les grandes réformes économiques et sociales et les « batailles » pour reconstruire le pays. Relayés par ses nombreuses organisations de masse, son dynamisme militant et sa presse, cet engagement porte ses fruits dans certaines régions de Bretagne. Mais le climat de la guerre froide va bientôt réactiver la composante la plus sectaire de la culture communiste et isoler le parti pour un temps. Néanmoins, après la guerre, la culture et l’identité communistes font partie du paysage politique et culturel breton.
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126Les forces politiques et leurs élus s’appuient sur des relais importants dans la société. Des médias, une presse diversifiée et politisée, diffusent leurs propositions et soutiennent leurs candidats. Un dense réseau d’associations, de mouvements, de syndicats quadrille les communes et les villes permettant de maintenir ou de renouveler les représentants issus de la démocratie élective. Ces organisations économiques, sociales, religieuses, culturelles parapolitiques éclairent l’enracinement dans l’espace public et sur la durée des courants et des hommes. Ils produisent une culture politique spécifique qui évolue en s’adaptant aux enjeux du temps. L’étude des relais politiques est indispensable à la connaissance du fonctionnement et de l’évolution des forces politiques contemporaines.
Notes de bas de page
1 Michel Lagrée, Patrick Harismendy, Michel Denis, L’Ouest-Éclair, Naissance et essor d’un grand quotidien régional, Rennes, PUR, 2000.
2 David Bensoussan, Combats pour une Bretagne catholique et rurale. Les droites bretonnes dans l’entre-deux-guerres, Paris, Fayard, 2006, p. 325-330.
3 Il s’agit de Les Côtes-du-Nord, L’Ille-et-Vilaine, 46 000 exemplaires chacun, Le Petit Breton (Finistère) et Le Morbihan.
4 Jean-Pierre Coudurier, La Dépêche de Brest. Naissance et avatars d’un journal de province témoin de son temps, Morlaix, Le Télégramme éd., 1999, p. 18-23.
5 Michel Denis, « Dépêche de Brest (la) », Dictionnaire d’histoire de Bretagne, Morlaix, Skol Vreizh, 2008, p. 217.
6 Id., p. 597.
7 Yves Guillauma, « La Résistance de l’Ouest : du Comité de Libération au groupe Dassault », Mémoires de la société d’archéologie et d’histoire de Bretagne, t. LXXXII, 2004, p. 485-513.
8 David Bensoussan, op. cit., p. 241-248 et 161-168.
9 Jacqueline Sainclivier, L’Ille-et-Vilaine 1918-1958, op. cit., p. 275-281.
10 Yves Guillauma, art. cité, p. 492-512.
11 En Ille-et-Vilaine, outre les grands quotidiens, sept bimensuels de diverses sensibilités sont autorisés en octobre 1944.
12 Christian Bougeard, René Pleven, op. cit., p. 170-173.
13 Yves Guillauma, art. cité, p. 488 et 485-496.
14 Claude Geslin, « Les premiers pas du PSU-SFIO en Bretagne (1905-1914) », Un siècle de socialismes en Bretagne. De la SFIO au PS (1905-2005), Christian Bougeard (dir.), Rennes, PUR, p. 19-38.
15 Jacqueline Sainclivier, L’Ille-et-Vilaine 1918-1958, op. cit., p. 99.
16 Voir le chapitre III.
17 Christian Bougeard, thèse citée, p. 232-237 et p. 395-397. La publication a été interrompue le 8 août 1914 au no 17.
18 Voir le chapitre IV.
19 François Prigent, Un socialisme d’extrême gauche dans le Trégor, La Charrue Rouge d’Augustin Hamon et Philippe Le Maux (1930-1937), maîtrise d’histoire, Rennes 2, 2000, p. 7-29.
20 À la fin de 1930, un congrès fédéral regrette cette initiative par 197 voix contre 50 et 11 abstentions.
21 François Prigent, op. cit., p. 157-160.
22 La direction est divisée entre le directeur Yves Lavoquer, hostile à la fusion organique avec le PCF, et le rédacteur en chef Raymond Pouchat qui y est favorable et est licencié.
23 Pascale Le Corre, Le parti communiste en Loire-Inférieure, op. cit., p. 28.
24 Colette Cosnier, La bolchevique aux bijoux : Louise Bodin, op. cit., p. 131, 144-146, 177-178 et Jacqueline Sainclivier, L’Ille-et-Vilaine 1918-1958, op. cit., p. 99-104.
25 Le responsable est Paul Bazin, un cadre du parti, et Charles Tillon tient une chronique de la vie sociale.
26 16 % des abonnements, 11 % des ventes de septembre 1923 à août 1924.
27 Voir le chapitre III.
28 Yves Guillauma, « Un projet de quotidien communiste en Bretagne à la Libération », Mémoires de la société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, t. LXXXI, 2003, p. 403-432.
29 Antoine Prost, Les Anciens Combattants et la Société Française 1914-1939, Paris, FNSP, 1977, t. 2, « un relais politique », p. 207-212.
30 Henri Gilles, « La guerre 1914-1918 : les morts par départements et par régions », Mémoire et Trauma de la Grande Guerre, textes réunis par Gwendal Denis, TIR, Publication du CRBC Rennes-2, 2010, p. 275-323. Selon la base de données « mémoire des hommes » du ministère de la Défense 125 070 soldats des cinq départements sont morts à la guerre de 1914 au 1er juin 1919 avec la mention « morts pour la France », 132 800 en ajoutant ceux qui n’ont pas eu cette mention.
31 Antoine Prost, op. cit., carte p. 113 et p. 66.
32 Id., t. 2, p. 61-66.
33 Id., p. 68-70. Carte des sections.
34 En 1924, il a été pressenti pour figurer sur la liste conservatrice qui ne verra pas le jour.
35 Antoine Prost, op. cit., p. 45.
36 Christian Bougeard, thèse citée, p. 344-346.
37 Christian Bougeard, « Regards sur les réseaux de notables en Bretagne (des années 1930 aux années 1950) », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, t. 103, 1996, no 3, p. 31-51.
38 Pour une étude détaillée des enjeux au sein des droites, voir David Bensoussan, Combats pour une Bretagne catholique et rurale, op. cit, chap. IX, Tensions et conflits autour du syndicalisme agricole.
39 Laurent Le Bar, Les élections législatives du 11 mai 1924 dans le Morbihan, op. cit., p. 27-28.
40 Jacqueline Sainclivier, L’Ille-et-Vilaine 1918-1958, op. cit., p. 131-135.
41 Suzanne Berger, Les paysans contre la politique, Paris, Le Seuil, 1975.
42 Ainsi H. Budes de Guébriant et Le Cozannet (Landerneau), La Bourdonnaye.
43 Voir le combat de Tanguy Prigent sous l’Occupation. Christian Bougeard, Tanguy Prigent, op. cit., p. 109-124.
44 Thierry Leray, Histoire de la caisse régionale du Crédit Agricole des Côtes-du-Nord (1904-1948), maîtrise d’histoire, Rennes 2, 1991.
45 En 1919, il est élu conseiller général puis sénateur.
46 Martine Voquer, Histoire de la caisse régionale du crédit agricole du Finistère (1907-1950), maîtrise d’histoire, UBO, Brest, 1998.
47 Christian Bougeard, thèse citée, p. 316-326.
48 Christophe Rivière, « Luttes paysannes et implantation socialiste dans l’arrondissement de Pontivy dans les années 1930 », Recherche Socialiste, no 42, mars 2008, p. 69-84.
49 Christian Bougeard, Tanguy Prigent, op. cit, p. 44-56.
50 En décembre 1935, Tanguy Prigent plaide pour l’unification de la CNP et de la CGPT à l’image des deux CGT mais elle échoue au niveau national.
51 Selon Le Populaire de Nantes, cette section aurait 120 adhérents, un chiffre très surévalué.
52 Philippe Gratton, Les paysans français contre l’agrarisme, Paris, Maspéro, 1972, p. 108-110.
53 Christian Bougeard, Tanguy Prigent, op. cit., p. 158-163 et p. 179-183.
54 Sur ce processus, voir le chapitre III.
55 Christian Bougeard, thèse citée, p. 256 et 260-266. Deux réunions à Saint-Brieuc et à Dinan rassemblent une soixantaine de militants.
56 Alain Prigent, Les instituteurs des Côtes-du-Nord sous la IIIe République, éd. Astoure, 2005, chap. IV à VII.
57 Jacqueline Sainclivier, L’Ille-et-Vilaine 1918-1958, op. cit., p. 138-145 et Jacques Thouroude, La CGTU en Ille-et-Vilaine de 1922 à 1935, maîtrise d’histoire, Rennes, 1987.
58 Jean-Paul Sénéchal, Le Front populaire dans le Finistère, thèse en cours.
59 Christophe Patillon, « La CGTU en Loire-Inférieure de 1922 à 1935 », La CGT en Bretagne. Un centenaire, Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, t. 102, 1995, no 3, p. 91-113.
60 Christian Bougeard, thèse citée, p. 256-260.
61 En 1926, selon la police, sur 5 285 ouvriers de l’État à l’arsenal, 220 ont leur carte à la CGTU, 1 400 à la CGT et 100 à la CFTC.
62 Jean-Paul Sénéchal, Images du Front populaire. Finistère 1934-1938, Morlaix, Skol Vreizh, 1987, p. 18-19 et 52-54 et thèse en cours.
63 Dans la situation mouvante des adhésions, il faudrait connaître les dates précises (début ou fin 1937). Les données d’Antoine Prost, en général plus élevées, sont plus homogènes : elles proviennent du rapport moral de Léon Jouhaux.
64 Antoine Prost, La CGT à l’époque du Front populaire, 1934-1934, Paris, A. Colin, 1964. Ce taux est dans la fourchette de 540 à 620 syndiqués pour 1 000 en Loire-Inférieure, dans les Côtes-du-Nord et en Ille-et-Vilaine, 400 à 475 pour 1 000 pour les deux autres départements, p. 46 et carte p. 101.
65 Id., carte p. 149 et tableau XXVII. Elle ne recueille que 17,3 % des voix en Ille-et-Vilaine et 15,75 % dans les Côtes-du-Nord.
66 Id., tableau XXIV, p. 211-212.
67 Jacqueline Sainclivier, L’Ille-et-Vilaine 1918-1958, op. cit., p. 136-138.
68 Voir les travaux en cours de Jean-Paul Sénéchal. Il existe une UL à Concarneau et quelques syndicats à Morlaix. Signe des liens étroits avec l’Église, le siège de l’UD se situe dans les locaux du secrétariat social.
69 Michel Lagrée, Religion et cultures en Bretagne 1850-1950, Paris, Fayard, 1992, p. 484-485.
70 Victor Rault sera maire MRP de Saint-Brieuc de 1953 à 1959 et député de 1958 à 1962.
71 Christian Bougeard, thèse citée, p. 485-486.
72 Christian Bougeard, « Le syndicalisme ouvrier en Bretagne du Front populaire à la Seconde Guerre mondiale », Le Mouvement Social, no 158, janvier-mars 1992, p. 59-85.
73 La CGT et la CFTC ont des représentants dans les CDL de Bretagne.
74 Antoine Prost, « Les effectifs de la CGT en 1945 », Denis Peschanski et Jean-Louis Robert (dir.), Les ouvriers en France pendant la Seconde Guerre mondiale, IHTP-Paris-I, 1992, p. 391-401.
75 Michel Lagrée, op. cit., en particulier le chapitre XI. La culture de masse : sport et cinéma.
76 Id., cartes no 60, 61, 62.
77 David Bensoussan, « Le Comité de la droite de Loire-Inférieure dans la première moitié du XXe siècle : des notables entre tradition et modernité », Mémoires de la société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, t. LXXXVI, 2008, p. 291-306.
78 Jean-Paul Sénéchal, L’action catholique dans le Finistère pendant le Front populaire. Approches d’une société cléricale, mémoire, 2009, fragments d’une thèse de doctorat en cours, 110 p.
79 La présidente est la comtesse de Guébriant et la vice-présidente la baronne de Taisne.
80 Jean-Charles Floch, Les Républicains démocrates du Finistère, op. cit., p. 65-75.
81 Michel Lagrée, op. cit., p. 200-209.
82 Id., carte no 37.
83 Jean-Christophe Fichou, Les pêcheurs bretons durant la Seconde Guerre mondiale, Rennes, PUR, 2009, chap. II, p. 48-59.
84 14 EAM sont ouvertes en octobre 1941 en France dont 10 gérées plus ou moins directement par la JMC.
85 Françoise Richou, « La JOC (Jeunesse ouvrière chrétienne) : vie du mouvement et relations avec les autorités de Vichy », Les ouvriers en France pendant la Seconde Guerre mondiale, op. cit., p. 409-417.
86 Yvon Tranvouez, Un curé d’avant-hier. Le chanoine Chapalain à Lambézellec (1932-1956), Brest-Paris, éd. de la Cité, 1989, p. 47.
87 Loïc Thomas, « Armand Dayot et la ligue des Bleus de Bretagne », Les Bleus de Bretagne de la Révolution à nos jours, Fédération Côtes-du-Nord 1989, Saint-Brieuc, 1991, p. 351-362.
88 C’est le cas à Fougères, à Saint-Malo, à Dinan, à Lorient, à Saint-Nazaire, à Nantes et à Brest mais pas à Rennes.
89 Hervé Baudru, Les républicains laïques d’Ille-et-Vilaine, de l’affaire Dreyfus à la mort de Charles de Gaulle, thèse, Rennes 2, 2000, chap. I, p. 70-92. Dans les années 1905-1914, Mars Abadie, professeur à l’École nationale d’Agriculture est le Vénérable Maître de cette loge.
90 Ils s’opposent sur le patriotisme, le pacifisme et l’antimilitarisme aux radicaux.
91 Hervé Baudru, op. cit., p. 119-146. Ce comité est constitué par des délégués de la Libre Pensée, du Cercle Paul Bert, du Cercle républicain départemental d’enseignement laïque, du Comité radical et radical-socialiste, de la loge La Parfaite Union, de la LDH et de la SFIO.
92 Le SNI regrette son manque de combativité.
93 Il est à la LDH, à la Libre Pensée, au Groupe républicain des Anciens combattants, initié en 1921 au Grand Orient de France et il est membre de la Ligue de l’enseignement.
94 Laurent Le Bar, op. cit., p. 31-34.
95 Laurent Le Bar, op. cit., p. 14 et 33.
96 Sur les réseaux socialistes et leurs rapports avec les élus de la SFIO nous renvoyons à la thèse en cours de François Prigent et à ses nombreuses notices dans le Maitron (DBMOMS), série 1940-1968. Voir : « Les réseaux seconds en politique. Prosopographie des conseillers généraux socialistes du Morbihan, (1898-2004) », Recherche socialiste, no 42, mars 2008, p. 39-53.
97 Jean-Yves Rolland, op. cit., p. 35-36.
98 Jacqueline Sainclivier, op. cit.
99 Jacques Girault, « Joseph Rollo, dirigeant national du syndicat des instituteurs (1935-1939) », Recherche socialiste, no 42, mars 2008, p. 7-20.
100 Hervé Baudru, op. cit., p. 132-137.
101 Éric Bouthemy, « Le mouvement coopératif, l’ébauche d’une société fraternelle », Ar Men, no 90, 1997. Deux coopératives jouent un rôle moteur : L’Économie Caudinaise et le Famille Lorientaise vers 1900.
102 Robert Gautier, « Emmanuel Svob, les socialistes bretons et le mouvement coopératif de consommation de 1905 à 1939 », Un siècle de socialismes en Bretagne, op. cit., p. 53-67. Cinq en Basse-Loire, une dans le Morbihan à Hennebont, une autre à Saint-Brieuc.
103 En 1908, elle refuse l’adhésion de la Fraternelle de Quimper d’obédience sillonniste.
104 En 1918, E. Svob entre au Conseil supérieur de la coopération, un organisme créé par le ministère du Travail.
105 Robert Gautier, op. cit., p. 64-65.
106 Hervé Baudru, op. cit., p. 191-198. En 1931, sur 2 563 sociétaires, 374 exercent un sport.
107 Id., p. 207-209. Le cercle Paul Bert passe de 1 400 adhérents en 1923 à 3 364 en 1935.
108 Id., p. 198-202.
109 En 1938, ces fêtes de la jeunesse existent dans sept autres communes d’Ille-et-Vilaine dont Dinard et Redon.
110 Pour leur impact dans les années 1930, voir le chapitre IV.
111 Annie Kriegel, Les Communistes français 1920-1970, Paris, Le Seuil, 1985.
112 Pascale Le Corre, Le PCF en Loire-Inférieure pendant l’Entre-deux-Guerres, op. cit., p. 26 et 69. En octobre 1922, il y a 25 JC à Trignac et 12 à Saint-Nazaire.
113 Jean-Paul Sénéchal, thèse en cours. Il s’agit de Brest, Landerneau, Quimper, Lorient, Hennebont. En 1937, un groupe apparaît à l’école normale de Quimper.
114 Elle serait passée de 5 cartes en septembre 1936 à 136 à la fin 1938.
115 Pascale Le Corre, op. cit., p. 29-30, 69, 17 et 70. Il existe des petits clubs à Doulon, Chantenay, Indre.
116 Jacques Thouroude, op. cit., p. 123-143.
117 Pascale Le Corre, op. cit., p. 92-93.
118 Christian Bougeard, « Louis Guilloux et son temps », Plein Chant 11-12, septembre-décembre 1982, p. 131-148.
119 Jacqueline Sainclivier, L’Ille-et-Vilaine. 1918-1958, op. cit., p. 154. Deux sont envoyés par la CGTU au titre de l’ISR en 1929 et 1930, un instituteur du SNI-CGT en 1934, plus réservé, et un syndicaliste du bâtiment.
120 Serge Berstein (dir.), Les cultures politiques en France, Paris, Le Seuil, 1999.
121 David Bensoussan, thèse citée, p. 919-942.
122 Correspondance Hebdomadaire, organe de la FNC, 30 novembre 1926.
123 Christian Bougeard, Tanguy Prigent, op. cit., p. 67-69.
124 Serge Berstein, « L’affrontement simulé des années 1930 », Les guerres franco-françaises, Vingtième Siècle, no 5, janvier-mars 1985, p. 39-53.
125 Voir l’HDR de Jean-Christophe Fichou.
126 Pascale Le Corre, op. cit., p. 24.
127 Julian Mischi, Servir la classe ouvrière. Sociabilités militantes au PCF, Rennes, PUR, 2010, chap. III.
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