Chapitre VII. La reconstruction des forces politiques à la Libération
p. 253-305
Texte intégral
1Une nouvelle donne détermine les rapports de force politiques à la Libération en Bretagne, à la fois sous l’angle des partis mais aussi au regard des hommes, et des femmes bien peu nombreuses à entrer dans la carrière politique mais qui pèsent désormais sur les scrutins. À l’issue de quatre années d’Occupation, comment se réorganisent les partis politiques anciens et nouveaux ? Y a-t-il une influence marquée de l’engagement dans la Résistance des nouvelles élites politiques au niveau local comme au niveau législatif ? Quelle est la part de la continuité et celle du renouvellement des élus et des notables ? Renouvellement politique et/ou générationnel ? Décèle-t-on une modification des pratiques politiques ? Autant de questions qui permettent de prendre la mesure des changements dans une région aux tendances politiques géographiquement enracinées. Pour mieux y répondre, c’est une séquence chronologique large de la Libération qui est retenue portant sur les années 1944-1946 et incluant les nombreuses consultations électorales qui refondent la démocratie libérale en France jusqu’à la mise en place la IVe République.
Anciens notables et nouveaux promus à la Libération
2Des hommes politiques résistants retrouvent une place de premier plan à la Libération. Les plus engagés siègent dans les CDL, surtout dans le Finistère : Tanguy Prigent, J.-L. Rolland, J. Perrot, P. Simon. Ceux qui ont démissionné ou ont été révoqués retrouvent leur municipalité : M. Geistdoerfer du CDL des Côtes-du-Nord à Dinan, Tanguy Prigent à Saint-Jean-du-Doigt, Jean-Louis Rolland à Landerneau en novembre 1944 quand il rentre dans sa ville1, Emmanuel Svob à Lorient, Alphonse Gasnier-Duparc à Saint-Malo, Rebuffé à Fougères, Henri Le Vézouët à Loudéac… Dans certaines villes, ces élus en général de gauche (radicaux-socialistes ou socialistes) sont rétablis dans leur fonction à la tête de délégations spéciales provisoires en attendant les élections. La libération permet aussi l’émergence d’hommes nouveaux. Victor Le Gorgeu ne revient pas à la mairie de Brest car il est Commissaire de la République de Bretagne, c’est-à-dire préfet de la région jusqu’en 1946. Dans les Côtes-du-Nord, l’ancien député radical-socialiste Henri Avril contribue comme président du CDL clandestin au rétablissement de la légalité républicaine en organisant l’épuration municipale (fig. 27 pl. XXIV du cahier couleur). À côté du préfet Gamblin qui ne perçoit pas bien la nouveauté du phénomène résistant et se plaint de la dualité des pouvoirs, l’autorité d’Henri Avril qui adhère à la SFIO favorise la normalisation de la situation. Il est nommé préfet des Côtes-du-Nord en juin 1945 jusqu’à sa mort en 1949.
3Les élus d’avant-guerre sont peu nombreux dans les CDL bretons, sauf dans le Finistère, et rares sont ceux qui vont faire une carrière politique ensuite. Chez les communistes et au Front national, il s’agit souvent de jeunes militants qui s’investissent dans l’appareil du parti et à la CGT et doivent s’effacer devant des militants plus chevronnés formés dans le moule bolchevique et stalinien : Marcel Hamon dans les Côtes-du-Nord, Alain Signor élu député en novembre 1946 dans le Finistère. La répression allemande et la rotation des cadres (PCF, FN, FTP) d’un département à l’autre font que les membres des CDL clandestins ou ceux nommés après la libération quittent plus ou moins rapidement ces instances transitoires. Pourtant, des résistants vont être élus maire, conseiller général, voire député lors de l’important renouvellement du personnel politique de la Libération. C’est vrai aussi chez les socialistes et au MRP.
4Sans être totalement écartés, les notables âgés, compromis sous l’Occupation ou battus aux élections (des radicaux, des modérés) doivent céder la place à la faveur de l’épuration municipale et de la poussée à gauche de 1945. Encore faudra-t-il nuancer les choses dans les municipalités comme dans les conseils généraux. Pour l’essentiel, la nouvelle génération qui émerge de la Résistance construit sa légitimité politique sur cet engagement combattant qui passe parfois par les CLL ou les CDL. À la SFIO, citons Jean Guitton en Loire-Inférieure et Jean Le Coutaller dans le Morbihan, même si du fait du commandement d’un bataillon FFI à la libération et sur la poche de Lorient ce dernier n’a pas siégé au CDL. C’est vrai aussi d’Yves Henry, délégué de la CGA au CDL des Côtes-du-Nord, élu député des deux premières assemblées constituantes. Mais d’actifs résistants et militants du parti clandestin n’embrassent pas la carrière politique comme les socialistes Charles Foulon, secrétaire du CDL d’Ille-et-Vilaine, Yves Lavoquer, chargé de l’épuration dans celui des Côtes-du-Nord, ou Auguste-Louis Péneau, responsable de l’UD CGT de Loire-Inférieure depuis 1925, président du CDL, qui se consacre à la reconstruction syndicale2. Chez les socialistes, ce sont des militants expérimentés d’avant-guerre qui voient leur promotion parlementaire accélérée par les disparitions et l’épuration de députés qui ont voté les pleins pouvoirs à Pétain le 10 juillet 1940 : Blancho de Saint-Nazaire ou L’Hévéder de Lorient3.
5C’est d’abord l’épuration des notables, parlementaires, conseillers généraux et maires ralliés au régime de Vichy qui permet un certain renouvellement politique et générationnel en France et en Bretagne.
L’épuration des parlementaires
6Quelle est l’ampleur de l’épuration politique légale ? Ceux qui ont voté les pleins pouvoirs sont inéligibles mais les préfets (60 cas en France), après avis des CDL, et le Jury d’honneur réhabilitent des parlementaires (113 sur 436 cas, 25 %) pour leur engagement résistant ou services rendus soit 173 sur les 570 ayant voté oui4. Sur 60 cas, six parlementaires bretons sont relevés par les préfets dont trois pour leur engagement résistant5 plus cinq par le Jury d’honneur6. Ce qui signifie que pour les autres élus d’avant-guerre, la carrière politique est achevée sauf parfois au niveau local (municipal ou cantonal). Les retours en politique sont rares. Le cas de Guy La Chambre, l’ancien député-maire de Saint-Servan est intéressant. L’ancien ministre de l’Air a voté les pleins pouvoirs puis est parti pour les États-Unis. Quand Vichy décide de juger à Riom « les responsables de la défaite », G. La Chambre rentre volontairement en France où il est condamné et emprisonné. Malgré cela le CDL d’Ille-et-Vilaine s’oppose à son relèvement au motif qu’il « n’a jamais été dans la Résistance avant le 10 juillet 1944 », position appuyée par des communistes locaux7. Le Jury d’honneur passe outre. D’autres arguent de leur réélection aux municipales en avril-mai 1945 ou aux cantonales en septembre 1945 pour réclamer la levée des sanctions comme Étienne Le Poullen (FR, Ille-et-Vilaine)8 ou Pierre Michel (rad.-soc., Côtes-du-Nord) qui l’obtient du préfet. Mais le Jury d’honneur rejette certaines requêtes comme celle du brasseur Alfred Duault qui se serait enrichi pendant la guerre en commerçant avec l’occupant9. L’épuration des notables a bel et bien eu lieu à la Libération et rares sont les réhabilités de 1940 qui parviendront à poursuivre une carrière politique à la Libération.
7Mais quel que soit leur parcours sous l’Occupation, plusieurs anciens députés bretons sont nommés à l’Assemblée consultative provisoire (ACP) élargie le 7 novembre 1944, soit au titre de la Résistance soit au titre des partis politiques. On dénombre à l’ACP neuf anciens députés : 2 SFIO, 2 radicaux-socialistes, 2 PDP, 3 de droite10 et cinq futurs députés nommés pour leur action résistante11. Notons que 10 sur 14 viennent ou vont se présenter dans le Finistère. Mais ce n’est pas un gage suffisant pour espérer reprendre une carrière politique.
L’épuration municipale et départementale de 1944-1945
8L’épuration municipale de 1944-1945 engage un véritable renouvellement des édiles locaux compromis sous l’Occupation. Elle permet la nomination d’une nouvelle génération issue de la Résistance et est souvent un tremplin pour une carrière politique après les élections municipales et cantonales de 1945. Mais d’anciens élus peuvent ainsi revenir sur le devant de la scène. Agé de 69 ans, l’ancien député socialiste du Finistère Hippolyte Masson est nommé en août 1944 à la tête de la délégation spéciale de Morlaix dont il devient maire (1945-1947) et conseiller général (1945-1951). De même, l’ancien député et maire de Vannes Maurice Marchais retrouve son fauteuil de maire en août 1944 (fig. 28 pl. XXV du cahier couleur). D’autres restent en place comme Noël L’Haridon (72 ans), maire de Châteaulin (rad.-soc.) depuis 1929 et ancien conseiller général. Mais ces notables âgés ne se représentent pas en 1945.
9Beaucoup d’hommes nouveaux émergent de la résistance sur le plan local : ils sont élus à la tête de listes d’union en avril-mai 1945 lors de la première consultation démocratique qui voit les femmes voter. À Rennes, c’est le cas de l’universitaire Yves Milon, républicain modéré, membre du réseau de renseignement Johnny puis responsable du réseau Ker12 ; à Saint-Brieuc, de l’industriel Charles Royer, membre modéré du CDL ; à Quimper, d’Hervé Marchand, un artisan libéré le 8 août, proche du MRP. Ces résistants ont pris la tête de la délégation spéciale de leur ville dès la libération. À Saint-Nazaire, l’employé du Trésor Jean Guitton, secrétaire de la section socialiste de 1933 à 1940, conseiller municipal (1935), résistant, préside le comité local de libération et devient maire et conseiller général en 1945. Pour lui, c’est le tremplin pour la députation socialiste dès octobre 1945. Le MRP n’étant que très incomplètement organisé au printemps 1945, ses futurs parlementaires sont moins souvent élus maire ou conseiller général. Ils commencent leur cursus honorum en intégrant directement l’Assemblée constituante, favorisés par leur action résistante et le scrutin de liste départemental à la proportionnelle.
10Naturellement, l’épuration frappe les notables qui ont siégé dans les conseils départementaux et sont déclarés inéligibles. Mais la plupart des ostracisés réclament leur réhabilitation à l’approche des élections municipales et cantonales de 1945 afin de pouvoir poursuivre leur carrière politique. Ainsi dans les Côtes-du-Nord, six conseillers départementaux sont relevés de leur indignité nationale par un arrêté préfectoral du 3 avril 1945 : l’un, de Kéranflec’h (conservateur) qui a aidé la résistance est réélu, l’autre Yves Jézéquel est élu maire de Lézardrieux et il entre au Conseil général (UDSR) en octobre 194513. Aveugle de la Première Guerre mondiale, administrateur des Colonies, il a eu deux enfants résistants et déportés, morts en Allemagne14. Quatre autres sont relevés le 6 juin 1945 par un jury d’honneur mais cinq qui se sont présentés aux élections municipales demeurent inéligibles. Un seul a entrepris une carrière politique car les électeurs sont passés outre : l’agriculteur Ernest Rouxel (47 ans), nommé maire de Ploubalay par Vichy en 1941, futur responsable de la CGA, élu maire de sa commune en 1945, puis conseiller général du canton15. En septembre 1945, une campagne électorale très dure oppose ce « catholique libéral socialisant », selon le préfet, à l’ancien maire et conseiller général radical-socialiste, le Dr Lemmonier, révoqué par Vichy, considéré selon la même source comme « radical communisant ». Élu avec 51,8 % des voix, membre du RGR, Ernest Rouxel s’impose comme l’un des lieutenants de René Pleven dans la région de Dinan, puis au Conseil général, devenant son suppléant aux élections législatives à partir de 1958.
11L’épuration menée par les CDL et les préfets en 1944-1945 contribue au renouvellement des édiles municipaux. Dans le Morbihan, 68 maires sur 261, 26,05 %, quittent leur fonction dont 45 révoqués (17,2 %) et 12 démissionnaires16. Les maires révoqués ont généralement été nommés par Vichy en 1941 et 1942 mais cinq sont réhabilités par le CDL du fait de leur attitude pendant la guerre tel celui de Pont-Scorff ou le maire conservateur de Malansac, René Forest, vice-président du conseil départemental17. C’est aussi le cas de plusieurs notables de droite du Finistère comme Jean Audren de Kerdrel, maire de Lannilis, secrétaire du conseil départemental, suspendu puis réhabilité à la demande de résistants de sa commune. Dix maires révoqués dans le Morbihan seront réélus en 1945. Ainsi, la révocation le 15 juin 1945 du grand notable pétainiste Louis Le Léannec, maire de Caudan, n’est pas appréciée : 893 électeurs protestent auprès du préfet18. Et lors des élections municipales, Le Léannec est réélu avec 95,3 % des voix. Autre exemple significatif de l’enracinement des notables agrariens conservateurs du pays vannetais, celui de Jean de Gouyon. Succédant à son père comme maire de Cournon, il a été responsable de la Corporation paysanne dans l’arrondissement, conseiller départemental révoqué en 1944, réélu maire et conseiller général en 1945. Marcel Rupied, le maire de Vitré et ancien président du Conseil général, écarté dans sa ville en 1944, est réélu maire en 1945, devenant même député de la 1re assemblée constituante.
12L’épuration municipale de la Libération provoque de fréquents conflits qui sont en général rapidement réglés par les CDL et les préfets. Outre les délégations spéciales préparées pour les principales villes dans la clandestinité, l’ordonnance d’Alger du 21 avril 1944 a prévu le rétablissement pur et simple des conseils municipaux élus en 1935 complétés le cas échéant par la nomination de quelques résistants. Dans les campagnes et les petites villes, ce texte se révèle vite inapplicable car des centaines de comités locaux de la libération (CLL)19 ont surgi dans les communes bretonnes : des résistants demandent à participer au pouvoir local. Souvent, lorsqu’il y a épuration, le président du CLL est nommé maire par le CDL, ce qui renouvelle le personnel municipal en entraînant une relative poussée à gauche dans les Côtes-du-Nord et le Finistère, beaucoup moins dans les trois autres départements. Dès la mi-octobre 1944, le cas 73,5 % des communes des Côtes-du-Nord est réglé et le processus achevé deux mois plus tard20. Dans l’ouest bretonnant de ce département le glissement à gauche est marqué en faveur du PCF et de la SFIO et au détriment des radicaux et de la droite. Dans l’ensemble, 36,1 % des conseillers municipaux de 1935 sont remplacés et même un sur deux dans l’arrondissement de Guingamp où 90,7 % des nommés appartiennent à la résistance et à la gauche (57,2 % FN, 8,4 % PCF, 10,7 % SFIO, 11,9 % radicaux-socialistes). Dans l’arrondissement de Dinan, le renouvellement est moins fort (23 municipalités maintenues sur 91) et moins favorable à la gauche (43 % des conseillers nommés). La modération politique du pays gallo est respectée.
13Dans le Morbihan, 56 nouveaux maires sont nommés en 1944-1945 dont 9 révoqués ou démissionnaires sous Vichy, ce qui permet de rééquilibrer le rapport des forces politiques en faveur de la gauche laïque (42,8 % des nommés). Mais avec 3 SFIO, 13 radicaux et aucun communiste, il ne s’agit nullement d’un bouleversement politique. Il y a peu de combattants FFI car ils ont été mobilisés sur la poche de Lorient. En revanche, dans le sud Finistère les changements sont déjà importants : sur 92 communes, 35 délégations spéciales sont nommées et 36 conseils remaniés en faveur d’hommes de gauche : 6 maires PCF, 6 SFIO, 16 radicaux et une quinzaine de résistants en général de gauche21. Dans l’arrondissement de Châteaulin (Finistère central), 31 maires de 1935 sur 63 (49 %) ont traversé la guerre à leur poste22. Dans les sept cantons, 16 municipalités sont maintenues en 1944 (25 %), 26 partiellement épurées et complétées (41 %) et 21 remplacées par une délégation spéciale (33 %). Un maire sur deux n’est pas reconduit alors que Vichy en 1941 avait maintenu 80 % des maires élus entre 1935 et 1940. L’épuration municipale dans cette région de forte résistance est conséquente. Deux maires inéligibles sont relevés par un jury d’honneur mais le CDL s’oppose à la demande de l’ex-sénateur Lancien qui, appuyée par le préfet, lui permettra de se représenter en 1945. Les nouveaux conseillers nommés sont des résistants plutôt de gauche. En Ille-et-Vilaine, en février 1945, 176 municipalités sur 361 ont été maintenues (48,7 %) mais 185 ont été réorganisées avec 3 % de délégations spéciales dans les villes23. Il s’agit d’effacer au plus vite les épurations de 1939-1940 et de 1941.
14La transition des pouvoirs municipaux se fait le plus souvent pacifiquement dans les villes, par l’effacement volontaire des municipalités et des maires nommés par Vichy : à Vannes comme à Nantes ou à Rennes et dans les villes des Côtes-du-Nord. À Nantes, le maire de 1942 à 1944, Henry Orrion, se retire le 21 août 1944 avec les félicitations publiques pour son action sous l’Occupation du commissaire de la République de la région des pays de la Loire Jacquier, c’est-à-dire Michel Debré. Orrion sera d’ailleurs réélu maire de Nantes de 1947 à 1965. En 1944-1945, La délégation spéciale est présidée par le résistant socialiste Clovis Constant, membre de Libération-Nord et vice-président du CDL de Loire-Inférieure.
15Les conseils départementaux nommés par Vichy sont supprimés à la Libération et leurs membres épurés par les CDL qui nomment des conseillers généraux provisoires au printemps 1945. Dans le Finistère, leur comportement pendant la guerre fait que 55,8 % des conseillers généraux de 1939 (24 sur 43) sont maintenus dont plusieurs résistants, 12 révoqués (27,9 %) et 7 décédés ou démissionnaires24. Deux conseillers départementaux, Hervé Jaouen (PDP), maire de Saint-Marc, et Foy, sont réhabilités25. Les 19 sièges vacants sont pourvus par les membres du CDL. La situation est fort différente dans les Côtes-du-Nord où 32 anciens conseillers généraux sont écartés pour 13 seulement maintenus26.
16À tous les échelons, des élections démocratiques engagent la reconstruction de la vie de la cité et la fondation d’un nouveau régime républicain. Avec le vote féminin, le corps électoral double. Cette nouveauté essentielle va-t-elle modifier les orientations politiques de la région ? Les élections municipales d’avril-mai 1945 sont une première étape voulue par le général de Gaulle contre l’avis des mouvements de résistance et des partis politiques de gauche qui les trouvent prématurées car tous les prisonniers et déportés ne sont pas encore rentrés d’Allemagne.
Un important renouvellement municipal au printemps 1945
17Soulignons que dans les deux poches de Lorient et de Saint-Nazaire, libérées seulement avec la capitulation du Troisième Reich le 8 mai 1945, les élections ont lieu plus tard. Une partie non négligeable des maires nommés pendant la guerre sont élus par leurs concitoyens en mai 1945 : 39 dans le Morbihan, 33,9 % des nommés, 33 soit 8,5 % de tous les maires des Côtes-du-Nord27. C’est bien là le signe qu’aux yeux de leurs concitoyens ces édiles n’ont pas démérité sous l’Occupation dans ces deux départements de forte résistance. Les conseillers municipaux, en général issus de la Résistance, et nommés lors de l’épuration de 1944 ne sont pas désavoués pour autant. Dans les Côtes-du-Nord, 50,5 % sont élus, et même 63,8 % dans la région de Lannion. Or, tous n’ont pas été candidats. Dans ce cas, la légitimité résistante a été reconnue par le suffrage universel, et c’est l’une des raisons majeures de la poussée de la gauche sur le terrain municipal. Mais cette confirmation dépend de l’orientation politique locale. Ainsi dans le Morbihan, si 33,9 % des maires nommés par Vichy ont été élus, 42,8 % de ceux nommés à la Libération sont légitimés par le suffrage universel.
18Le renouvellement des maires est important en mai 1945 provoquant une véritable relève des générations : 232, 59,3 % dans les Côtes-du-Nord et même 73,9 % et 73 % dans les arrondissements de Quimper et de Châteaulin. À Châteaulin, sur 45 nouveaux maires élus, trois ont été nommés par Vichy en 1941 et 13 désignés à la libération28. Il est vrai qu’en Basse-Bretagne le glissement à gauche est beaucoup plus marqué qu’en Haute-Bretagne. Il est aussi conséquent dans le Morbihan avec 44 % de nouveaux maires (26,4 % en 1935) mais sans remettre en question la domination municipale des droites. D’ailleurs dix maires révoqués par le CDL sont réélus en 1945. Et l’analyse de la dénomination des listes de candidatures fait apparaître la faiblesse des références résistantes (25) et des revendications partisanes (aucune PCF ou SFIO) alors que 126 mettent en avant la défense des intérêts locaux et 85 l’orientation républicaine29. Dans ce département pourtant de forte résistance et de maquis dont celui de Saint-Marcel, la légitimité résistante n’est pas mise en avant, sans doute pour ne pas effrayer l’électorat modéré. On ne recense que 20 listes « républicaines et antifascistes », l’appellation utilisée par le PCF. Chez les candidats, la qualité de prisonnier de guerre apparaît beaucoup plus souvent que celle de résistant ou de femmes de résistant et comme en Ille-et-Vilaine (4 %) les candidats des mouvements sont peu nombreux dans les campagnes alors que dans les Côtes-du-Nord ils représentent près d’un quart des nouveaux élus dont 23 % du Front national. En Ille-et-Vilaine, le glissement à gauche lors des élections municipales est très limité : il s’agit en fait d’une légère poussée du PCF et de la SFIO au détriment des radicaux et républicains de gauche. Dans les campagnes, la droite résiste bien et c’est la stabilité par rapport à 1935 qui l’emporte avec les mêmes tendances et souvent les mêmes hommes30.
19Dans le Morbihan, mais aussi dans le Finistère, la réactivation de la question scolaire, surtout par la SFIO, fait rejouer le clivage gauche/droite car elle a empêché la mise en place de nombreuses listes d’union. Le plus souvent proposées par le PCF ces listes rencontrent l’opposition des autres forces politiques, y compris de la SFIO. Électrices pour la première fois de l’histoire de la démocratie française, représentant environ 53 % du corps électoral en Bretagne en 194531, les femmes sont bien peu nombreuses à accéder à la fonction de maire : une seule sur 391 dans les Côtes-du-Nord, deux sur 92 dans l’arrondissement de Quimper et une sur 63 dans celui de Châteaulin.
20Dans les villes, le renouvellement générationnel est important soit avec des listes d’union des forces résistantes, soit dans de classiques affrontements gauche-droite comme à Rennes, à Saint-Brieuc, à Brest. À Rennes, Yves Milon, le président de la délégation spéciale conduit une liste de la Résistance (modérés, communistes, socialistes, radicaux, syndicalistes) contre la liste de droite du maire de 1935 à 1944 François Château et une liste de sensibilité MRP. À Saint-Brieuc, Charles Royer, le maire modéré nommé à la libération conduit la liste d’union de toutes les composantes de la résistance (onze candidats), des partis (onze) et des syndicats (trois) qui est élue avec 73,5 % des voix, sauf les quatre candidats du PCF et de la CGT battus au second tour malgré l’appui du MRP32. La situation est identique à Fougères où la liste d’union de la résistance l’emporte mais les deux candidats communistes sont mis en ballottage. Dans certaines villes bretonnes, le PCF effraie toujours une partie de l’électorat et son combat résistant n’est pas légitimité par les urnes. Les listes de la résistance donnent un maire socialiste à Guingamp, un maire radical-socialiste RGR à Lannion qui va adhérer au RPF. À Brest, Jules Lullien, le premier adjoint de l’ancien maire Le Gorgeu a été nommé à la tête de la délégation spéciale le 19 septembre 1944, au lendemain de la fin du siège des Américains. Ce radical doit gérer une ville détruite étendue au Grand Brest avec la fusion des quatre communes de l’agglomération en avril 1945. Les conseillers municipaux révoqués par Vichy retrouvent leur siège33. En avril 1945, la liste d’Union républicaine et antifasciste pour la renaissance de Brest, liste tripartite, l’emporte facilement sur une liste apolitique soutenue par une association de sinistrés. Le radical Jules Lullien n’est élu maire qu’avec 18 voix contre un communiste qui en obtient 16. Les divisions ne vont cesser de s’accentuer alors que le socialiste Guillaume Messager devient premier adjoint et que le MRP n’obtient aucun poste d’adjoint. À Landerneau, Jean-Louis Rolland a pris la tête de la délégation spéciale en décembre 1944 et il est réélu maire en conduisant la liste unique de la Résistance avec l’ancien député PDP Paul Simon comme premier adjoint, mais la rupture entre les deux hommes intervient rapidement34. À Saint-Malo, le sénateur radical-socialiste Gasnier-Duparc est mis en ballottage. L’unité de la Résistance, souvent encore souhaitée lors des élections municipales, ne résiste pas longtemps lorsque les enjeux politiques et partisans reprennent le dessus dès l’automne 1945.
21Des combats partisans se produisent dès les municipales de 1945 dans plusieurs villes comme à Nantes, Lorient, Vannes Quimper, Morlaix ou Dinan. À Nantes, les trois listes de gauche arrivent en tête au premier tour (24,7 % pour le PCF, 20,8 % pour la SFIO, 10,9 % pour les radicaux-socialistes) devançant la liste des droites d’Union républicaine et sociale (24,1 %) conduite par le général Audibert, ancien chef de l’Armée secrète dans l’Ouest rentré de déportation, et celle du MRP (19,4 %)35. Au second tour, c’est la liste d’Union républicaine et antifasciste des gauches, conduite par le résistant Jean Philippot, qui l’emporte de justesse car les radicaux se sont divisés et qui enlève tous les sièges. Le communiste Jean Philippot, professeur agrégé d’histoire et géographie au lycée Clemenceau, est porté à la tête de la nouvelle municipalité qui compte quatre femmes sur 36 conseillers. André Morice, élu comme radical-socialiste (4e adjoint), commence une longue carrière politique. La gauche unie qui a fait campagne sur la laïcité (la suppression immédiate des subventions à l’école confessionnelle) conserve Nantes, gagnée en 1935, mais elle la perdra dès 1947 avec le retour au poste de maire de Henry Orrion suite à la victoire d’une liste de droite-RPF. Mais ce n’est pas le cas dans les campagnes où le préfet note le « maintien des républicains modérés et des conservateurs dans les petites communes et les bourgades » comme avant-guerre36.
22À Lorient, la liste d’union républicaine des partis de gauche du socialiste Emmanuel Svob (SFIO) l’emporte largement sur la liste de défense des intérêts lorientais de De Couesnongle37. Malade, Svob disparaît le 28 mai 1946 et il est remplacé par Julien Le Pan, l’un des principaux dirigeants de la SFIO, réélu en 1947. À Morlaix, Hippolyte Masson (SFIO), président de la délégation spéciale, dirige la liste d’union de la gauche victorieuse (11 SFIO, 10 PCF, 6 rad.-soc.) contre la liste du Dr Jean Le Duc (MRP) qui prendra sa revanche en 1947. À Quimper, l’entente entre les partis et les mouvements de résistance n’a pas été possible. Quatre listes sont en concurrence (PCF, SFIO-radicaux, centre et droite, et liste de la résistance conduite par le maire de la Libération Hervé Marchand)38. L’affrontement du second tour se fait gauche contre MRP et droite : Marchand est réélu maire jusqu’à une crise municipale provoquée par une affaire de fraude électorale dont le fils du leader de la droite est responsable. Le 9 septembre 1945, la liste du MRP Yves Wohlfarth enlève tous les sièges. À Quimperlé, en 1946 à la suite de la démission du maire d’avant-guerre Alain Le Louédec (radical-UDSR) réélu en 1945, la SFIO gagne la municipalité. À Vannes, trois listes sont en présence : une liste Résistance-PC-PS, une liste radicale-socialiste et une liste étiquetée MRP par « opportunité politique » selon le préfet mais nettement de droite39. Malgré la révocation de Maurice Marchais et son retour en 1944, les radicaux ont administré la ville sous l’Occupation. À la suite d’une campagne sur la question scolaire, la liste MRP enlève 18 sièges au 1er tour et 5 au second n’en laissant que 4 aux radicaux-socialistes de la liste de la gauche unie. La mort de Marchais a affaibli les radicaux : Vannes bascule à droite en 1945. La majorité municipale élit une femme : la résistante Sabine de la Barre de Nanteuil. Elle refuse cette fonction qui échoit à Francis Decker, réélu sous les couleurs du RPF en 194740.
23Le glissement à gauche des Côtes-du-Nord est indéniable car en 1947, au moment de la rupture du tripartisme et après les clarifications et reclassements opérés depuis 1945, le PCF et la SFIO contrôlent 39,7 % des municipalités. Si on y ajoute 17,5 % pour les radicaux-socialistes et 11,6 % pour le centre gauche, la gauche laïque est majoritaire dans 68,8 % des communes de ce département selon une statistique officielle. En 1947, la poussée RPF et la guerre froide vont bouleverser les rapports de force de la Libération. Toutefois, les villes des Côtes-du-Nord qui étaient administrées avant-guerre par des radicaux (sauf Lannion) ou un socialiste indépendant à Saint-Brieuc ont plutôt voté au centre droit, voire à droite en 1945-1946, contrairement aux campagnes de l’Ouest bretonnant. C’est le cas à Dinan où la liste des gauches conduite par Michel Geistsdoerfer (rad.-soc.), un membre du CDL qui avait récupéré sa mairie en 1944, est battue. Désormais, les indépendants de droite sont majoritaires alors que Lannion est plus centriste laïque.
24Malgré le recul des radicaux, la gauche semble encore majoritaire dans les communes du Finistère. En mai 1945, avant reclassement, les Renseignements généraux indiquent que « les partis de droite URD, démocrates populaires et conservateurs ont obtenu la majorité dans 130 communes environ sur 300 », ce qui en donne 56,6 % aux coalitions de gauche. Dans l’arrondissement de Châteaulin (925 conseillers municipaux), la progression des gauches laïques se poursuit : elles passent de 29 % des élus en 1929 à 40 % en 1935 et 59 % en 1945 remplaçant les centres (divers radicaux et républicains de gauche) qui tombent de 41 à 18 % alors que les droites (PDP, URD, conservateurs) régressent de 29 % des élus en 1929 à 22 % en 194541. Une redistribution s’opère à gauche : de 1935 à 1945, les radicaux-socialistes passent de 24 à 16 %, la SFIO triple sa représentation, de 7 à 21 %, et le PCF bondit de cinq conseillers en 1929 à 110 (12 %). À l’issue de ce scrutin, le PCF est majoritaire dans sept communes sur 63, la SFIO dans 14 (4 en 1935), et les deux partis marxistes se partagent quatre municipalités : ils dirigent 27 communes (43 %) plus 16 aux radicaux-socialistes (moins six). Le centre droit n’en a plus que 10 contre 22 et la droite 14 (3 MRP dont Le Faou) au lieu de 15. Les gauches sortent bien de la Libération renforcées. Le socialiste Hervé Mao est élu maire de Châteaulin et le PCF administre Le Huelgoat.
25En revanche, avec 83 maires à condition d’y inclure tous les radicaux et divers gauche (60), la gauche laïque est minoritaire (31,8 %) dans le Morbihan42. Elle n’a que légèrement progressé par rapport à 1935 avec un maintien des radicaux (- 3), un progrès de la SFIO (+ 14) et l’apparition du PCF (+ 5). Avec 74 maires (28,3 %), le centre droit (républicains de gauche et MRP) a lui aussi progressé depuis 1935. La droite a reculé passant de 144 maires (55,2 %) en 1935 à 110 (42,1 %) en 1945 mais en résistant assez bien. La seule nouveauté est la disparition de l’étiquette « conservateur » (2 contre 56) au profit de l’URD. Pourtant, ce sont parfois les mêmes hommes ; parfois, le successeur à la tête de la municipalité déjà élu avant-guerre a changé d’étiquette.
26Avant d’examiner les autres consultations électorales il convient d’analyser la situation des partis politiques qui se sont réorganisés en 1944 et 1945 et sont de plus en plus présents sur la scène publique alors que les mouvements de résistance tendent à s’effacer. Les résistants du Front national (FN), du Mouvement de libération nationale (MLN) et des autres mouvements choisissent dès les élections cantonales de septembre 1945 de se présenter sous les couleurs des partis politiques.
Les progrès du PCF à la Libération
27Le glissement à gauche est net dans la France libérée. Qu’en est-il des évolutions en Bretagne depuis la fin des années 1930, tant sur le plan de la vie partisane et militante que de celui de l’enracinement électoral des partis ?
28Le PCF qui avait maintenu une activité politique autonome dans la clandestinité tout en s’investissant dans les mouvements de résistance comme le Front national apparaît au grand jour dès les journées de la libération, installant des permanences dans les villes et recrutant massivement des militants. Il peut puiser dans le vivier du FN qu’il a créé en 1941 et qui s’est développé en Bretagne en 1942 et 1943. À la Libération, le FN attire de nombreux adhérents : environ 10 000 dans les Côtes-du-Nord ; il possède un journal Le Patriote des Côtes-du-Nord et 23 % des conseillers municipaux sont élus sous ses couleurs43. Le FN a 7 000 adhérents en mai 1945 dans le Finistère. Certes, tous les adhérents du FN ne sont pas communistes, loin s’en faut, il y a aussi des socialistes et des gens de droite, mais c’est avec l’Union des femmes françaises (UFF) une organisation de masse qui sert souvent de sas avant l’adhésion. Par exemple en Ille-et-Vilaine, l’UFF regroupe 1 500 adhérentes dans 34 comités locaux. À Rennes, une centaine des 700 adhérentes appartient au PCF ; sa principale dirigeante Renée Geffroy, membre du FN, représente l’UFF au CDL44.
29De l’été 1944 à la fin de 1946, le PCF ne cesse de gagner des adhérents et d’occuper la scène publique par des réunions et des meetings très suivis, puis de vigoureuses campagnes électorales, le plus souvent contre ses partenaires gouvernementaux SFIO et MRP. Réorganisée plus tardivement, en octobre ou en novembre 1944 seulement, la SFIO se trouve souvent en position seconde, sinon défensive, ayant plus de mal à recruter et à se faire entendre. Comme au niveau national, les effectifs du PCF gonflent très rapidement en Bretagne (tableau 1).
30En moins de six mois, le PCF multiplie par quatre ses effectifs et même par dix dans le Morbihan où il avait déjà 1 200 adhérents en septembre 1944. Seule la fédération de Loire-Inférieure connaît un moindre dynamisme. Six mois plus tard, les effectifs ont encore presque doublé et, à la fin de 1946, ils ont été multipliés par plus de huit par rapport à l’apogée du Front populaire, par 9 en Ille-et-Vilaine et dans les Côtes-du-Nord et par 50 dans le Morbihan qui détient sans doute le record national de croissance alors que la Loire-Inférieure a à peine triplé ses effectifs d’avant-guerre. Les chiffres sont peut-être un peu surévalués, et ils vont régresser rapidement en 1948-1950, mais il n’en reste pas moins que le PCF devient une force militante importante à la Libération dans la région avec une traduction électorale, même inégale. Ces données chiffrées, parfois surestimées comme en Loire-Inférieure au printemps 1945, sont celles des sources officielles45 et elles sont assez proches de celles du PCF46. En 1937, la Bretagne n’avait que 2,82 % des communistes de France, elle passe à 6,6 % en décembre 1944, 6,2 % en juin 1945 et 6 % en décembre 1946 avec 5,9 % des cellules. Son poids n’est pas négligeable : la fédération des Côtes-du-Nord est la 9e de France, à égalité avec celles de départements industriels comme La Loire et l’Isère et avant la Haute-Vienne, zone rurale des maquis de Georges Guingoin de tradition rouge. Comme tous les autres partis politiques, le PCF est alors masculin à plus de 92 %47.

Tableau 1 – L'évolution des adhérents du PCF et des JC en Bretagne de 1937 à la fin 194648.
31Départements de forte résistance communiste, les Côtes-du-Nord et le Finistère deviennent des places-fortes du PCF dans la région, rejoints en 1946 par le Morbihan. Ils drainent plusieurs milliers d’adhérents au Parti ainsi que des jeunes dans les sections des Jeunesses communistes qui se transforment en avril 1945 en Union des jeunesses républicaines de France (UJRF). La fédération communiste des Côtes-du-Nord passe de 2 000 membres en août 1944 à 7 500 en décembre 1944, 12 000 en juin 1945 et 15 000 à la fin de 194649. Le recrutement est important dans les villes mais aussi dans les campagnes du pays bretonnant. Le quadrillage du territoire se fait dans 103 sections (2e département de France après la Seine, 110) et l’organisation repose sur 722 cellules, 680 rurales et 42 cellules d’entreprise seulement. En janvier 1946, l’hebdomadaire L’Aube Nouvelle tire à 16 000 exemplaires sans invendus et La Terre compte environ 10 000 abonnés. Le dynamisme du PCF s’appuie sur son influence dans la CGT mais aussi sur les comités de défense et d’action paysanne (CDPA) créés en 1944, puis sur la confédération générale de l’Agriculture, la CGA. En mars 1945, le responsable paysan Lucien Le Vergne revendique près de 3 000 paysans au PCF, soit près d’un tiers des adhérents. La direction a été totalement renouvelée avec de jeunes militants sortis de la clandestinité : à sa tête Jean Le Parenthoën, un ouvrier menuisier, assisté de deux instituteurs résistants dont Pierre Moalic. Mais dès le printemps 1945, c’est un militant aguerri, dirigeant national du service B, le service de renseignement du PCF sous l’Occupation, quelque temps secrétaire de Maurice Thorez après son retour d’URSS, qui vient prendre la direction politique de cette importante mais jeune fédération communiste. Marcel Hamon revient dans les Côtes-du-Nord où il est élu député en octobre 1945.
32La fédération PCF du Finistère connaît un développement comparable en termes d’effectifs et de direction. L’instituteur Daniel Trellu, chef des FTP, devient un dirigeant national de l’UJRF. Un jeune résistant de l’arsenal de Brest, Gaby Paul, futur député, joue un rôle dirigeant bientôt assisté de l’instituteur Alain Signor qui rentre en Bretagne. Le Finistère est organisé en 80 sections, 539 cellules dont 56 cellules d’entreprise. Les pertes du combat résistant conduisent à un certain renouvellement des cadres mais ce sont des militants d’avant-guerre qui dirigent les fédérations bretonnes. En Ille-et-Vilaine, avec ses dirigeants d’avant-guerre, le PCF se développe rapidement passant de 3 500 adhérents en janvier 1945 dont 900 dans l’agglomération Saint-Malo-Dinard à 5 805 pendant l’été50. Le PCF y est organisé en 23 sections et 400 cellules dont une centaine de cellules de village (1 050 adhérents) et 46 cellules d’entreprise. Le parti semble pénétrer un peu les campagnes d’Ille-et-Vilaine dans les chefs-lieux de canton (90 adhérents à Combourg et 77 à Guichen en 1946), mais le recrutement reste principalement urbain (29 % à Rennes et un peu à Fougères). Il publie Le Réveil mais le tassement des effectifs se fait sentir dès 1946 et les résultats électoraux sont encore limités. Dirigée par Louis Guiguen, très actif député à la 1re Assemblée constituante, la fédération du Morbihan, très faible avant-guerre (200 à 250 militants) se développe elle aussi fortement passant de 1 200 adhérents à la libération à 8 000 à la fin avril 1946, répartis dans 75 à 80 sections et environ 300 cellules. En décembre 1946, elle compte 10 000 adhérents répartis dans 315 cellules dont 60 cellules d’entreprise. Sa presse est influente avec 10 000 exemplaires de L’Espoir du Morbihan et 7 200 de Le Terre diffusés en mai 1945. Malgré ses progrès, la fédération de Loire-Inférieure est désormais la plus faible de Bretagne, ce qui confirme que le communisme ne s’implante que fort difficilement dans les villes ouvrières de la Basse-Loire. En 1946, le PCF n’a que 26 sections mais quand même 320 cellules dont 101 cellules ouvrières pour 42 cellules rurales et 117 cellules locales.
33Du fait de son engagement résistant et de la redistribution des cartes politiques à la Libération, le PCF est devenu une force politique et militante solide en Bretagne en débordant son cadre urbain et ouvrier. On constate une ruralisation non négligeable en Basse-Bretagne où son implantation municipale s’est développée en 1945. Cette progression municipale est sensible dans les deux départements d’enracinement des années 1930, le Finistère et les Côtes-du-Nord. Mais en 1945, il est encore difficile d’en mesurer le poids réel. Par exemple, dans les Côtes-du-Nord, des listes d’union républicaine antifasciste ont gagné dans 40 communes, 10 %, ce qui ne permet pas aux autorités d’en dégager l’orientation d’autant plus que de nombreux élus ont une étiquette de la résistance. En général, ce vocable désigne des listes de gauche initiées par des communistes ou des socialistes. Il faudra donc attendre les reclassements des mois suivants pour y voir un peu plus clair.

(1) Les socialistes independants sont comptabilises avec la SFIO dans le Morbihan.
(2) Chiffres de 3 arrondissements sur 4. Ceux de Redon tres incomplets n’ont pas ete retenus.
Tableau 2 – L’évolution de l’implantation municipale des partis de gauche en Bretagne de 1935 à 1945-194651.
34Dans le Finistère où il a la meilleure implantation, le PCF dirige les municipalités d’union de la gauche de Concarneau, avec Robert Jean élu au Conseil général, et de Douarnenez. Il passe de quatre municipalités avant-guerre à 32 (près de 11 %) à la veille du renouvellement de 1947 dont 13 dans le sud Finistère et 8 dans l’arrondissement de Châteaulin. Dans les Côtes-du-Nord, le PCF avait un seul maire communiste en 1939, Jean-Baptiste Le Corre de Plounévez-Moédec, réélu symboliquement en 1945 mais qui n’est pas rentré de déportation, il en compte désormais 30 (7,7 %) en 1946-1947 (tableau 2) et a plus de conseillers municipaux (9,2 % du total en 1945 en y incluant des élus sous l’étiquette du FN) que la SFIO52. Sa progression est importante en pays bretonnant : il passe d’un conseiller municipal en 1935 dans l’arrondissement de Lannion à 75 en 1945 et ils sont 127 (plus de 10 %) dans l’arrondissement de Guingamp. Le reclassement des élus de la Résistance au titre du FN grossit ensuite les effectifs municipaux du PCF : en 1947, ce parti détient 15 % des sièges (760) dans les Côtes-du-Nord53.
35Le PCF fait une timide apparition municipale dans le Morbihan avec cinq maires élus en 1945 dont quatre dans la région lorientaise, notamment à Lanester qui devient un bastion communiste passant d’une hégémonie socialiste à une autre avec « un communisme greffé54 ». La liste de Robert Boulay, dessinateur à l’arsenal qui a créé un syndicat de réfugiés dans une commune en ruines, l’emporte en septembre 1945 avec 62 % des suffrages contre la liste de Pierre Rogel, l’ancien maire socialiste révoqué en 1941. Communiste un peu marginal – il fut exclu du parti en 1950 –, R. Boulay était l’ancien secrétaire fédéral des Jeunesses socialistes. À Lanester, de nombreuses familles de tradition socialiste basculent vers le communisme municipal. L’attitude vichyste de L’Hévéder a pesé lourd. Victor Berson est élu à Concoret dans une commune rurale de la région de Mauron qui a eu un maquis FTP et compte des carriers et des ardoisiers55. À Camors, c’est une crise municipale entre le maire socialiste Noël Le Goff qui démissionne le 7 novembre 1945 et sa minorité communiste qui permet l’élection de l’artisan électricien Joseph Allanic (PCF). Partant sans doute de zéro, le PCF a gagné 63 sièges de conseillers municipaux en 1945 dans ce département (2,1 % du total), ce qui fait que lorsqu’on enlève ses élus lorientais et les communes où il détient la mairie, il est bien peu représenté dans les campagnes56.
36Les progrès municipaux des communistes sont dérisoires en Ille-et-Vilaine. Certes, le PCF est passé de zéro élu en 1935 à 25 en 1945 (7 sur 2 012 conseillers municipaux dans l’arrondissement de Rennes et 18 de celui de Saint-Malo). Sans doute, sur les 123 élus comme FN y avait-il des adhérents du PCF mais de toute façon l’implantation locale est très faible57. C’est aussi le cas en Loire-Inférieure même si le PCF a emporté la mairie de Nantes.
L’enracinement municipal de la SFIO en Basse-Bretagne
37Dans deux départements, le Finistère et les Côtes-du-Nord, le Parti socialiste voit son implantation entamée avant-guerre se concrétiser à la Libération du fait de son action dans les mouvements de résistance, principalement à Libération-Nord, et du recul relatif du radicalisme déjà amorcé en 1936.
38À l’exception des parlementaires de 1940 qui ont voté les pleins pouvoirs à Pétain, les fédérations bretonnes de la SFIO semblent échapper à une épuration qui est pourtant sévère dans le parti. Mais contrairement au PCF, la SFIO n’a pas eu d’activité clandestine autonome visible sous l’Occupation car ses militants se sont directement engagés dans les réseaux et les mouvements. Ils sont donc dispersés à la libération et beaucoup s’investissent dans les CLL, les CDL dans lesquels ils sont influents, et les municipalités provisoires. Les fédérations ne se reconstituent donc qu’avec retard par rapport au PCF qui a déjà attiré bon nombre de jeunes, en octobre et novembre 1944 afin de préparer les congrès nationaux. À cette occasion, on voit réapparaître les anciens dirigeants et les élus d’avant-guerre : dans le Finistère, Hippolyte Masson, nouveau secrétaire fédéral, prend le relais de Guy Le Normand, tragiquement disparu. Eugène Quessot, cheminot retraité, assume cette responsabilité en Ille-et-Vilaine. Il est assisté de Charles Foulon, professeur de lycée, ancien responsable des JS, très actif secrétaire du CDL qui est chargé de la propagande lors du congrès fédéral de janvier 194558. Dans les Côtes-du-Nord, la continuité est assurée par Yves Rallon, le secrétaire fédéral de 1937 à 1939 qui reprend la même fonction après un bref intermède du responsable de Libération-Nord Yves Lavoquer, ancien secrétaire des JS de la Mayenne, pris par ses responsabilités au CDL. Mais à partir de la fin 1946, c’est un jeune professeur d’origine finistérienne Yves Le Foll qui prend la direction de la plus importante fédération de Bretagne dont Antoine Mazier, secrétaire-adjoint qui n’a pas été résistant, est devenu l’homme fort59 (fig. 29 pl. XXVI du cahier couleur). Les anciens cadres sont assistés de militants plus jeunes qui se sont engagés dans la résistance mais qui étaient déjà socialistes avant-guerre alors que le PCF présente surtout des hommes nouveaux issus du combat patriotique. Dans le Morbihan, des militants chevronnés d’avant-guerre reconstruisent un parti quelque peu discrédité par L’Hévéder. Chef résistant, Jean Le Coutaller devient secrétaire fédéral, assisté à Lorient de Julien Le Pan, et appuyé par le vieux militant Emmanuel Svob, réélu maire de cette ville. Avec un ministre à l’Agriculture, les fédérations socialistes de Bretagne ont une plus grande visibilité d’autant plus qu’au congrès extraordinaire de Paris de novembre 1944 Tanguy Prigent est élu au comité directeur.
39L’attraction militante de la SFIO est moins forte que celle du PCF mais elle est toutefois importante en 1945-1946 comme en témoigne le tableau 3. Une fois les fédérations socialistes réorganisées, les adhésions affluent à la fin 1944, encouragées par les meetings, la presse partisane et surtout les nombreuses consultations électorales. Comme le PCF avec le FN, la SFIO peut puiser dans le vivier du mouvement Libération-Nord qui a eu beaucoup d’adhésions après la libération (7 000 dans le Finistère) ou dans le MLN. Si les cadres de Libé-Nord sont socialistes, ce n’est bien sûr pas le cas de tous les adhérents car le MRP et l’UDSR recrutent eux aussi dans ce mouvement qui s’est fondu dans le MLN, le mouvement de libération nationale. En outre, des socialistes ont résisté au Front national, notamment dans les Côtes-du-Nord, comme le chef du mouvement Jean Devienne proche du PCF pendant la guerre mais qui rejoint le bercail socialiste à la fin de 1945 ou le futur député Yves Henry, représentant de la CGA au CDL.
40S’appuyant sur les rapports des renseignements généraux, les préfets signalent la rapide progression des adhésions à la SFIO tout au long de l’année 1945. Dans les Côtes-du-Nord, elles passent de 2 200 en février à 5 000 pendant l’été et à près de 6 000 en décembre. On peut penser que les chiffres correspondent à la réalité car Henri Avril, ancien député radical, président du CDL, est devenu préfet du département en juin 1945 et il a adhéré à la SFIO. La tendance d’ensemble et les chiffres semblent correspondre aux données internes de la SFIO lors de ses congrès. En mai 1945 Le Combat social est diffusé à 7 500 exemplaires. En Ille-et-Vilaine, la SFIO a entre 1 200 et 1 500 adhérents à la fin janvier 1945, répartis dans une vingtaine de sections dans le nord du département60. À la fin de l’année, elle a triplé ses effectifs de 1938 comme dans les Côtes-du-Nord alors que son bastion finistérien les a doublés. Dans ce département, la SFIO aurait 2 500 adhérents au printemps 1945 dont les 3/5e dans le nord Finistère, surtout dans la région de Morlaix : 200 dans la ville en février, quelques centaines à Brest, 200 à Quimper, mais seulement 50 à Concarneau et 40 à Douarnenez où la concurrence avec la PCF est rude. Dès 1945, la fédération finistérienne a fait le plein et elle ne progresse plus en 1946 et 1947.

Tableau 3 – L’évolution des effectifs de la SFIO en Bretagne de la Libération à 194961.
41La situation est moins bonne dans le Morbihan où la SFIO ne retrouve que difficilement ses effectifs de 1938 à la libération : 1 500 en mai 1945. L’occupation de la poche de Lorient jusqu’à cette date ne facilite pas les choses et l’effet L’Hévéder a été désastreux. Elle double ses effectifs en 1946 (3 000 en mars). Malgré ses relatifs succès électoraux aux élections municipales et cantonales, la SFIO du Morbihan qui était la deuxième fédération de Bretagne passe au 5e rang en 1945 en dépit du fort investissement de Jean Le Coutaller, puis au 3e en 1946. Avec la poche de Saint-Nazaire, la Loire-Inférieure est dans la même situation, mais le retard de réorganisation n’est pas compensé par la suite car, selon les congrès nationaux, en 1945 et en 1946, elle ne retrouve pas ses effectifs de 1938 (un tiers en moins en 1945). Privée de leaders, sauf à Saint-Nazaire, cette fédération qui s’est pourtant battue dans la résistance ne retrouve pas sa vigueur d’avant-guerre. Le déclin engagé dès 1947 s’accélère ensuite. Elle est alors en 4e position, tout juste à égalité avec l’Ille-et-Vilaine, puis 46e fédération nationale en 1949 avec moins d’un millier d’adhérents.
42Au total, les fédérations bretonnes de la SFIO ont vu leurs effectifs un peu plus que doubler en 1946 par rapport à la situation de 1938, surtout grâce aux Côtes-du-Nord qui ont près d’un adhérent sur deux, mais dès 1947 elles en perdent un quart puis les ¾ en 1949 avec la troisième force et dans un climat de guerre froide. La poussée militante de la Libération a été éphémère et bien moins forte que celle du PCF d’autant plus que les socialistes ne sont pas parvenus à organiser durablement des Jeunesses. Le parti est vieillissant, replié sur les fonctionnaires, notamment les enseignants, et les employés. La hiérarchie des fédérations s’est modifiée et la région n’est pas parvenue à modifier son poids dans le Parti socialiste malgré un progrès en 1946 : 5,69 % des effectifs en 1945, 6,82 % en 1946, 6,03 % en 1947 mais 3,92 % en 1949. L’évolution des effectifs régionaux suit les tendances nationales non seulement de la SFIO mais de tous les autres partis : forte poussée des adhésions en 1945 et 1946 suivie d’un fort reflux à partir de 1947-1948.
43Le critère du nombre d’adhérents compte pour un parti de gauche mais ce sont les élections municipales de 1945 qui permettent de mieux mesurer le renforcement de la SFIO dans les villes et dans certaines campagnes bretonnes après la guerre. L’enracinement et la notabilisation du PS passent autant par l’élection que par le militantisme qui retombe rapidement. Dans le Trégor finistérien ou dans les communes autour de Quimper, les urnes confirment les maires socialistes nommés à la Libération comme Yves Thépot à Ergué-Armel. La SFIO refuse en général la tactique de liste unique proposée par le PCF préférant des listes laïques élargies aux radicaux et aux républicains. La plupart des militants socialistes d’avant-guerre sont réélus dans leur ville, renforcés de nouveaux venus issus de la Résistance, notamment dans le Trégor. À Châteaulin, Hervé Mao, résistant, commence une carrière municipale jusqu’en 1971. Le jeune ministre de l’Agriculture Tanguy Prigent est réélu dans son fief de Saint-Jean-du-Doigt par 85,3 % des votants. Presque tous les maires du Trégor sont encartés à la SFIO et ils sont quatre sur 9 dans le canton de Carhaix pour un au PCF. Dans ce canton du Centre-Bretagne, la SFIO détient 41 % des conseillers municipaux (6 % en 1935) contre 23 % au PCF. À Carhaix, le socialiste Pierre Postollec allié au PCF bat la liste de l’ancien sénateur-maire radical Lancien et lui succède au Conseil général. Les socialistes moissonnent les fruits de l’action de H. Masson, le député de 1928 à 1936. La progression est spectaculaire dans les arrondissements de Morlaix (215) et de Châteaulin (197, 16 maires) où le nombre de conseillers municipaux socialistes triple et dans celui de Quimper où il quadruple (201, 11 maires).
44Dans les Côtes-du-Nord comme dans le Finistère, avec près de 1/5e et ¼ des maires (tableau 2), la SFIO s’implante sur le terreau radical et républicain de gauche à la Libération et elle va bien résister à la poussée centriste et au RPF en 1947. L’exemple des Côtes-du-Nord montre l’attractivité de la SFIO sur des notables locaux au détriment du radicalisme. En mai 1945, elle comptait 38 maires (avec les 8 socialistes indépendants) dont celui de Guingamp mais ce nombre double en 1947 après clarification : elle aurait 73 maires et même 90 en incluant des socialistes sans doute indépendants, non encartés. De même, la SFIO passe de 8,2 à 28,2 % des conseillers municipaux et ce chiffre ne tient pas compte de 195 élus socialistes indépendants et républicains socialistes (3,7 %), à la charnière du Parti socialiste et du RGR. Les socialistes sont alors la première force municipale des Côtes-du-Nord devant le MRP. Mais leur poids reste encore limité dans le Morbihan avec moins de 7 % des maires et 5 % des conseillers municipaux. L’implantation de nouveaux notables, dans les villes comme dans les campagnes, liés aux associations laïques et au monde rural, se renforce au sortir de la guerre, le plus souvent en concurrence avec le PCF. Ce nouveau rapport des forces à gauche va apparaître plus clairement lors des élections cantonales de 1945 et aux élections législatives de 1945 et 1946.
La permanence d’un centrisme de gauche : radicalisme et UDSR ?
45Le radicalisme, déjà divisé entre centre gauche (les radicaux-socialiste et les républicains-socialistes) et centre droit (les radicaux-indépendants) sont les grands perdants de la consultation municipale de 1945. Dans leurs zones de force des Côtes-du-Nord et du Finistère, leur recul municipal est sévère.
46Dans les Côtes-du-Nord, les radicaux-socialistes détenaient 36,2 % des sièges de conseillers municipaux en 1935, ils tombent à moins de 20 % en 1945 perdant près de la moitié de leurs élus. La question de leur reclassement du centre gauche au centre droit via le RGR ou le « radical plévénisme » ou parmi les socialistes indépendants, voire la SFIO, se pose rapidement. Au niveau municipal, le radicalisme de centre gauche paraît encore influent lors de cette consultation électorale. Mais son recul s’est opéré surtout dans l’ouest du département au profit du PCF et de la SFIO. La plupart de ses notables d’avant-guerre sont inéligibles ou ont été absents pendant l’Occupation comme André Lorgeré à Guingamp. Michel Geistdoerfer a bien récupéré sa mairie de Dinan à la libération de la ville mais il s’est heurté à l’opposition de FFI en armes et sa liste d’union de la gauche avec le PCF et la SFIO a été battue dès le premier tour par une liste de modérés de droite, sous couvert de résistance. La situation dinannaise a donc évolué à l’inverse du reste du département du fait de la personnalité très controversée de son maire et ancien député. Ailleurs, les terres de tradition bleue virent au rouge vif (PCF) ou au rouge pâle (SFIO) lors de cette première consultation et même après. En effet, confronté à l’attraction de la gauche socialiste, les radicaux perdent près de la moitié de leurs conseillers de 1945 tombant à 11,5 % en 1947. Une liste de mai 1945 leur attribuait 96 majorités communales plus 13 proches ; un bilan ultérieur en donne 68 aux radicaux-socialistes et 48 aux républicains-socialistes et aux socialistes indépendants mais de nombreux maires évoluent vers la SFIO. Le positionnement du radicalisme indépendant pose problème dans ce département mais son recul est net : 7,9 % des élus en 1945 (majorité dans 6,6 % des communes) puis 2,3 % seulement des conseillers municipaux en 1947 car beaucoup ont rallié la mouvance du MRP. On peut donc les classer au centre droit.
47Le radicalisme municipal, celui des notables, est en recul dans les autres départements de Bretagne, recul marqué dans le Finistère (13,9 % des maires). En Ille-et-Vilaine, dans les trois arrondissements de Rennes, de Saint-Malo et de Fougères, les radicaux-socialistes ne conservent que 201 élus municipaux (5,6 %) et l’absence des chiffres de celui de Redon, très conservateur, n’y change pas grand-chose ; ils ne dépassent les 10 % qu’à Saint-Malo62. Même en y ajoutant les 82 républicains-socialistes, on n’atteint pas les 8 %. En revanche avec les radicaux-indépendants plus nombreux dans la région de Saint-Malo, dont plusieurs élus sont sans doute au centre droit, la mouvance radicale d’Ille-et-Vilaine atteint les 14,35 % mais ce n’est plus une force politique qui compte. Dans le Morbihan, avec 60 maires dont 3 divers gauche, les radicaux semblent mieux résister qu’ailleurs en Bretagne à la Libération (près du quart des maires) et il s’agit sans doute d’hommes de centre gauche, mais ils n’ont plus que 14 % des conseillers municipaux. Une chose est d’avoir des élus, une autre de reconstruire un parti.
48Le Parti radical-socialiste ou parti valoisien a des difficultés à réorganiser ses structures partisanes en 1944 et 1945. Il n’existe pas de fédération sur le terrain lors des élections municipales. Dans les Côtes-du-Nord, la seule section considérée comme active est celle de Dinan, animée par Michel Geistdoerfer63. Il a transformé son Dinan républicain en Le Républicain de Dinan, vendu à 3 000 exemplaires, qui défend des positions très à gauche. En janvier 1945, le préfet parle « d’atonie presque totale du parti » qui « essaie lentement de se reconstituer ». De fait, l’attraction de la SFIO est forte car elle a « une politique sociale plus hardie » et peut se prévaloir de l’adhésion du président du CDL Henri Avril en février 1945. Le premier congrès national du parti valoisien en mars 1945 ne rencontre qu’un intérêt restreint. Ce n’est qu’en juin 1945 qu’Édouard Herriot envoie un de ses collaborateurs pour évaluer la situation et remettre sur pied des sections comme à Saint-Brieuc en juillet. Les responsables d’avant-guerre réapparaissent tel l’ancien parlementaire Pierre Michel, réélu maire de Trémuson, ou le pharmacien Lorée à Saint-Brieuc. Le Finistérien Pierre Mazé, réélu conseiller général de Sizun, secrétaire général du parti, participe à la remise sur pied de la fédération, avec l’appui d’Albert Menguy de Guingamp, un ami de Lorgeré qui se charge de réorganiser les cadres.
49Ménagés par le PCF, les radicaux des Côtes-du-Nord remportent un succès relatif aux élections cantonales de septembre (17 élus), alors que le parti n’existe pas encore vraiment64. Mais ce succès est de courte durée car, avec le glissement vers le centre droit par rapport à l’échiquier politique départemental de la fédération radicale, six conseillers généraux élus avec cette étiquette rejoignent la SFIO et un septième, Émile Le Gac, est exclu à l’unanimité par le bureau pour « indiscipline ». En réalité, c’est sa proximité avec le PCF qui justifie son exclusion et il adhère d’ailleurs immédiatement au mouvement unifié de la Résistance française, le MURF, créé par le FN et la minorité du MLN après l’échec de l’unification de ces deux grands mouvements. Le Gac devient un « compagnon de route » du PCF. La fédération radicale-socialiste des Côtes-du-Nord est traversée depuis la fin de l’été 1945 par une lutte politique sur l’orientation à tenir. Elle ne parvient pas à présenter de liste sous sa bannière, préférant s’associer avec René Pleven, le ministre de l’Économie et des Finances qui s’enracine à Dinan en s’opposant de fait à Michel Geistdoerfer. Le Parti radical patronne donc les « militants qui acceptent de figurer sur la liste UDSR » au nombre de deux : Pierre Sérandour, l’ancien député de Guingamp 2, résistant des réseaux de renseignement, qui figure en 2e position et le nouveau maire et conseiller général de Lamballe, Charles Coeuret 5e65.
50Le Parti radical-socialiste n’a plus de député dans les Côtes-du-Nord. Il ne se réorganise véritablement que le 30 décembre 1945 lors d’un petit congrès régional réuni à Saint-Brieuc en présence des deux députés de la région, Alphonse Rio et André Morice élu en Loire-Inférieure. À cette date, les radicaux paraissent divisés en trois courants : une aile droite qui suit le Dr Hamon, ancien conseiller général ; une majorité en position centriste regroupée derrière le Dr Jean Le Quéré66, révoqué par Vichy et élu président du Conseil général des Côtes-du-Nord en octobre 1945, souhaitant rénover le radicalisme et disposé à des alliances nécessaires sur sa gauche mais aussi sur sa droite. En juin 1946, il est considéré par les autorités comme « socialisant mais anticommuniste ». Face à un PCF et à une SFIO puissants, c’est cette majorité qui répond aux offres d’alliance de René Pleven et de l’UDSR en gestation à l’automne 1945 et qui met en sourdine la question laïque et scolaire. C’est sans doute ce choix qui pousse les véritables radicaux de gauche à rejoindre la SFIO. Quant à l’aile gauche très minoritaire, engagée dans la Résistance, elle a des sympathies pour le PCF avec lequel elle préconise des alliances et est hostile à la politique économique de René Pleven qui sert de locomotive au vieux parti radical. Elle est incarnée par Michel Geisdoerfer, qui devancé au 1er tour des élections cantonales par le communiste Édouard Forget (élu au second) à Dinan ouest, n’a donc plus de mandat électif, et Émile Le Gac, vice-président du Conseil général. Le retour des responsables d’avant-guerre, l’absence de personnalités nouvelles, le vieillissement des cadres ainsi que des divisions plus graves encore que de 1934 à 1939 provoquent l’affaiblissement du radicalisme qui campe à la lisière du centre gauche et du centre droit. Toutefois, leur opposition résolue au MRP et leur participation à des majorités de gauche avec des socialistes et même des communistes font encore percevoir les radicaux comme étant au centre gauche dans les Côtes-du-Nord.
51Dans le Morbihan, la fédération est en cours de réorganisation au printemps 1946. Elle compte sur l’action de son président, l’ancien ministre Rio, républicain-socialiste qui a adhéré au parti en janvier 1946, après avoir pris la tête du Conseil général en septembre, et avoir été élu à l’Assemblée constituante en octobre 1945. Mais il a 72 ans et n’est pas réélu en juin 1946. La situation est comparable en Loire-Inférieure où le Parti radical-socialiste aurait 5 à 600 adhérents en mars 1946 contre 1 600 en 1939, mais là il dispose d’un nouveau leader, André Morice, élu député en octobre 1945.
52La formation du Rassemblement des gauches républicaines (RGR) au printemps 1946 dont le Parti radical valoisien est la principale composante a pour objectif d’occuper l’espace politique au centre et de barrer la route au communisme tout en essayant de prendre des voix à la SFIO qui a refusé un travaillisme à la française pour réaffirmer son orientation marxiste. C’est au congrès national d’avril 1946 qu’une majorité qualifiée parfois de « néo-radicaux » l’a emporté sur les partisans de l’union des gauches et a fondé le RGR anticommuniste67. Ayant appelé à voter non au premier projet de constitution présenté par les deux partis marxistes, le Parti radical qui est avec l’UDSR la principale composante du RGR, présente une nouvelle liste commune conduite par René Pleven dans les Côtes-du-Nord. Attaché à des positions clairement à gauche, Sérandour ne figure plus sur la liste Pleven le 2 juin 1946 lors des élections à la seconde Assemblée constituante. Il y a été remplacé par le Dr Le Quéré. Cette fois le Parti radical se taille la part du lion sur cette liste qui est battue, car il a quatre représentants sur sept dont une femme, pour deux UDSR et un républicain radical. Au cours de l’année 1946, l’ancien député radical André Cornu (1932-1936), élu conseiller général de Pléneuf, reprend de l’influence au sein de la fédération et en septembre 1946 il est élu à la présidence du Conseil général68. Ce qui signifie que, compte tenu du rapport des forces, les radicaux pratiquent encore l’alliance avec la gauche communiste et socialiste. Signe d’une fédération qui compte au niveau breton, Albert Menguy, secrétaire général d’une fédération présidée par Dr Hamon, est élu au comité exécutif national du parti au moment où Pierre Mazé disparaît. En 1947-1948, elle aurait environ 1 500 adhérents. En novembre 1946, tirant les leçons de son échec de juin 1946, attribué à une liste perçue comme trop laïque, René Pleven s’est recentré ne laissant que deux places aux radicaux-socialistes (4e et 7e).
53En effet, dans les Côtes-du-Nord, l’espace politique du centre gauche – centre droit est disputé aux radicaux par René Pleven, l’ancien Français libre, bras droit du général de Gaulle à Londres, puis ministre du gouvernement provisoire du Général de septembre 1944 à janvier 194669 (fig. 30 pl. XXVII du cahier couleur). Ancien militant de l’ACJF, l’Association catholique de la jeunesse française, lecteur de L’Aube avant la guerre, catholique pratiquant, René Pleven aurait dû logiquement adhérer au MRP comme le lui conseillait le général de Gaulle en 1944. Mais issu d’une famille de tradition républicaine bleue, Pleven considère que le MRP présente en Bretagne une coloration trop cléricale qui le situe davantage à droite qu’au centre. Du fait de ses attaches familiales – ses parents vivent à Dinan – le ministre jette dès la libération son dévolu sur les Côtes-du-Nord pour y enraciner sa carrière politique. Il y est inconnu mais jouit au départ de l’appui de Michel Geistdoerfer, jusqu’à leur rupture lors des municipales de 1945, et d’Henri Avril. Il se fait nommer conseiller général provisoire de Dinan par le CDL au printemps 1945 et y est élu en septembre contre un candidat de la SFIO. Pour entrer à l’Assemblée constituante, le ministre doit s’allier avec les radicaux-socialistes car il ne dispose d’aucune structure partisane. Il a en effet choisi d’adhérer à l’Union démocratique et socialiste de la Résistance, l’UDSR, un petit parti de personnalités résistantes de différentes tendances fondé le 25 juin 1945 à partir des mouvements de résistance du MLN70. Il est alors en situation d’alliance-concurrence avec ses partenaires radicaux mais aussi avec des hommes de la Jeune République (JR), des catholiques de centre gauche qui n’ont pas rejoint le MRP.
54Aussitôt après son départ du gouvernement, pour conforter une assise électorale fragile, René Pleven s’emploie à organiser l’UDSR dans les Côtes-du-Nord. Le 8 février 1946, une fédération UDSR est fondée à Saint-Brieuc. Elle provient de la disparition du MLN qui a tenu un congrès départemental à Saint-Brieuc en janvier 1946 et avait l’appui du journal du Dr Despas, La Liberté des Côtes-du-Nord71. L’UDSR est présidée par Yves Jézéquel, nommé maire de Lézardrieux en 1941 puis conseiller départemental. À la libération, il préside le comité local de libération et est réhabilité, ce qui lui permet d’être élu maire de sa commune, puis conseiller général72. En juillet 1946, le comité directeur national abandonne la forme fédérative pour organiser une hiérarchie de fédérations départementales. Au moins trois sections sont créées dans les principales villes en 1946 mais les effectifs n’affluent pas pour autant. Fondé par René Pleven, Le Petit Bleu des Côtes-du-Nord devient le vecteur de diffusion des idées de son leader et de l’UDSR. Mais le journal ouvre aussi ses colonnes à ses alliés radicaux. Aussi bien sur la question des alliances que sur celle de la ligne politique, l’UDSR semble hésiter en 1946. Son dirigeant briochin, le Dr Hansen, ancien déporté, lance un appel en novembre 1946, « pour un parti travailliste » alors que la question n’est déjà plus d’actualité car au même moment René Pleven se prononce pour « un grand rassemblement démocratique et national » auquel devraient se rallier « tous les démocrates sincères du département ». Il s’agit bien de faire barrage au PCF. L’absence de liste de droite contrairement à juin 1946 permet au Français libre de revenir à l’Assemblée nationale. Au 1er congrès national de l’UDSR (mai 1947), il est élu président du parti à l’unanimité par le comité directeur, ce qui lui donne une stature et un rôle national. La fédération UDSR des Côtes-du-Nord qui rassemble 150 à 200 adhérents en septembre 1946 va devenir, avec celle de la Nièvre de François Mitterrand, une des plus importantes de France. C’est un parti de notables avec 150 délégués lors de son congrès de 1948 dont de nombreux élus municipaux et deux conseillers généraux. René Pleven tisse un solide réseau de notables et accède à la présidence du Conseil général en 194973.
55L’UDSR ne semble pas avoir d’aussi solides bases dans les autres départements bretons. Quelques personnalités prennent cette étiquette comme Alain Le Louédec, ancien maire et conseiller général (rad.-indép.) de Quimperlé, résistant déporté, réélu en 1945. Il appartient à l’aile gaulliste de l’UDSR et tente sa chance aux élections législatives de novembre 1946, ce qui le place clairement à droite. Il sera ensuite l’un des fondateurs du RPF dans le Finistère. En Loire-Inférieure, l’UDSR obtient trois sièges de conseillers généraux à égalité avec les radicaux-socialistes. Dans la mouvance catholique, la montée en puissance d’un centre droit renouvelé est une donnée importante à la Libération.
L’affirmation d’un centrisme de droite : républicains de gauche et MRP
56Les bases d’un centre droit avaient déjà été posées par le PDP en Bretagne dans les années 1930 mais lors des affrontements du Front populaire, contre le « danger marxiste », le PDP s’était retrouvé nettement dans le camp des droites. À la Libération, la participation active de nombreux chrétiens à la résistance et l’arrivée d’une nouvelle génération de militants démocrates chrétiens issus de la lutte clandestine bouleversent la donne politique. De manière inégale selon les départements, le MRP s’émancipe de la tutelle de la droite conservatrice et même de la droite républicaine le plus souvent étiquetée URD. Dans un premier temps même, ce nouveau parti favorable aux réformes de structure et à une politique sociale souhaite se situer au centre gauche mais ce positionnement entre en contradiction avec un électorat catholique et de droite.
57Avant d’analyser la montée en puissance de ce nouveau parti fondé en novembre 1944, il convient de faire un sort aux « républicains de gauche ». Issus de la mouvance laïque, parfois de centre gauche mais le plus souvent au centre droit, voire à droite pour ceux qui se reconnaissaient dans l’Alliance démocratique (AD) dès avant la guerre, cette étiquette est encore utilisée par les autorités lors des élections municipales de 1945 avant les reclassements ultérieurs. On peut désormais les classer au centre droit mais c’est une force en voie de disparition en 1947. Néanmoins, en 1945, on peut se demander si dans les trois départements de Haute-Bretagne ces républicains de gauche ne sont pas perçus par une fraction de leur électorat comme étant encore au centre gauche ? Pour répondre à cette question, il faudrait analyser les contextes et les rapports de forces au niveau communal et étudier les trajectoires ultérieures.
58Ces centristes encore influents en 1935, 23,4 % des maires du Morbihan, sont en recul en 1945 avec 9,2 % et la même proportion de conseillers municipaux (tableau 4)74. Leur localisation au centre de l’échiquier politique est désormais disputée par le MRP qui est passé de 4,6 % des maires à 19,1 % même si l’implantation municipale des démocrates-chrétiens reste limitée car le parti existe à peine. Ces deux forces politiques représentent tout de même 28,3 % des maires du Morbihan en 1945. Dans les Côtes-du-Nord, les républicains de gauche résistent assez bien avec environ 14 % des maires et des conseillers municipaux en 1945. Dans ce département, ils sont certainement perçus comme appartenant au centre droit, voire à la droite dans les régions qui votent socialiste ou communiste, et bon nombre d’entre eux rejoignent la mouvance du MRP dans les mois suivants. C’est en Ille-et-Vilaine que ces républicains modérés, de sensibilité laïque, résistent le mieux car dans les trois arrondissements connus, les républicains de gauche ont encore 28,6 % des élus municipaux en mai 1945, dont 40,3 % dans celui de Rennes et 19 % dans celui de Fougères.
59Lors des élections municipales d’avril-mai 1945, les résultats du MRP sont limités car ce jeune parti en est au stade de l’organisation au niveau départemental et les autorités ne connaissent pas bien ses adhérents. Il faudra donc attendre les élections cantonales, puis surtout les élections législatives pour mesure le poids de ce parti. Les chiffres du tableau 4 montrent la faiblesse de l’implantation municipale du MRP en mai 1945, avant les reclassements des mois suivants. Dans les Côtes-du-Nord comme en Ille-et-Vilaine, le MRP ne rassemble que 5 % des conseillers municipaux alors que son poids dans le Morbihan paraît plus important : près d’un maire sur cinq et 12 % des conseillers municipaux. Il est probable que dans ce département, ces données soient plus tardives, reflétant la situation à la fin de 1946 ou au début de 1947. Au niveau national, les statistiques du ministère de l’Intérieur donnent 7,8 % des conseillers municipaux au MRP avant le renouvellement d’octobre 1947.

Tableau 4 – L’évolution de l’implantation municipale des forces du centre et de la droite en Bretagne de 1935 à 1945-194775.
60En effet, de nombreux élus modérés ont choisi d’adhérer ou d’être sympathisants. Ainsi dans les Côtes-du-Nord, il n’y aurait que 13 maires (3,3 %) démocrates populaires ou MRP au printemps de 1945 mais on recense 64 maires sortants MRP en 1947 (16,4 %) et 1 139 conseillers municipaux (22,5 %). Ce qui signifie que de nombreux élus modérés de 1945 (classées indépendants, URD, républicains de gauche) ont rallié la mouvance démocrate chrétienne76. Avant le renouvellement d’octobre 1947, les URD et divers indépendants sont tombés de 18,3 à 11,9 % des conseillers municipaux et de 56 à 33 maires, les républicains de gauche de 14,1 à 4,2 %. Le phénomène est plus massif dans le Finistère : le MRP aurait déjà 79 maires en 1945 et même 118 en 1947 (40 %) et plus de 2 000 conseillers municipaux77. Avant l’offensive du RPF, il serait passé du quart aux deux cinquièmes des maires. En octobre 1947, il va en perdre 25 au total notamment parce que de nombreux sortants, dans le Léon en particulier, l’ont abandonné pour le RPF78. En 1945, le MRP a recueilli une partie de l’héritage municipal de la droite et a bénéficié du vote féminin (52,5 % du corps électoral du Finistère).
61La mise en place du nouveau parti commence à la fin de l’année 1944 en Ille-et-Vilaine (1 500 adhérents au début de 1945) et à partir de janvier 1945 dans les autres départements bretons, parfois en se heurtant à la résistance des vieux responsables du PDP comme dans le Finistère. Issus de la Résistance, les jeunes fondateurs du parti veulent se démarquer du PDP auquel ils ont pourtant appartenu. À moins qu’il ne s’agisse d’écarter les vieux leaders comme Paul Simon et Pierre Trémintin dans le Finistère qui n’ont guère envie de s’effacer. D’ailleurs, en 1946, Paul Simon aura une formule assassine pour désigner les « jeunes loups » du MRP : « Plus je les regarde, plus je leur vois des dents dans les yeux. » La situation est identique dans le Morbihan. À la fin 1944, une section est créée à Vannes par M. Morin, professeur au collège Jules Simon, président du CLL et président de la fédération du MRP constituée en septembre 194579. Ernest Pezet, réélu député MRP, ne dissout l’ancien PDP que 1er novembre 1945. Les ralliements paraissent avoir été difficiles. Des membres de la JR veulent conserver leur autonomie et dans les Côtes-du-Nord l’un d’eux se présente en octobre 1945 sur la liste de René Pleven avec des radicaux-socialistes contre le MRP. La JR n’intègre la fédération MRP qu’en décembre 1945.
62La fédération d’Ille-et-Vilaine se structure en mars 1945 avec Robert Remé, un ancien professeur de lettres d’une institution privée de Rennes comme secrétaire fédéral80. Parmi ses fondateurs, on compte des résistants qui occupent des positions de pouvoir à Rennes à la libération : les professeurs Victor Janton, délégué régional à la radio, et Henri Fréville, délégué régional à l’Information. Dans les Côtes-du-Nord, ce sont deux résistants briochins qui prennent l’initiative d’organiser une fédération en janvier 1945 : Paul Guennebaud, professeur au lycée, responsable de Libé-Nord et Paul Héger, retraité de la SNCF et responsable de la CFTC81. Le premier incarne un courant socialiste ou socialisant chrétien tandis que le second représente la fraction résistante de la démocratie chrétienne, ce qui situe le MRP à ses origines au centre gauche mais il est perçu par les autorités comme étant sous « l’emprise du cléricalisme » et des presbytères n’échappant pas « à la contagion de la droite ». En février 1945, Victor Rault, le secrétaire général de la CFTC en 1936 et sous l’Occupation, adhère au MRP qui est animé à Saint-Brieuc par Siabas, un employé originaire du Nord.
63Dans le Finistère, la première section du MRP est fondée à Morlaix en février 1945 par le Dr Jean Le Duc, résistant des réseaux d’évasion, interné et évadé, membre du comité local de libération, et elle compte bientôt une centaine de membres82. Il est suivi en mars par le Dr Duterque, maire de la libération de Lesneven. Les grandes villes ne sont pas encore touchées et la particularité du nouveau parti est de ne pas s’appuyer sur les anciens notables du PDP. D’autres sections se forment au printemps 1945 dans le Finistère sud, notamment à Quimper en mars à l’instigation d’un jeune avocat, Me Paugam. L’organisation partisane a été précédée d’une campagne d’affichage dans les premiers mois de 1945 qui exalte l’action résistante de ses fondateurs, propose son programme politique et le moyen de le réaliser « par la Révolution dans la loi ». Une tournée de réunions de Maurice Schumann en mars complète le dispositif de lancement. En juin 1945, des sections sont formées dans l’agglomération brestoise sous l’impulsion d’Yves Jaouen, un ancien responsable du PDP qui développe une section de l’Action féminine et civique pour s’opposer à l’influence de l’UFF.
64Des fondateurs et dirigeants nationaux du MRP, sans doute à la recherche d’un ancrage électoral, prennent contact à cette époque avec les fédérations bretonnes en cours de formation. Pierre-Henri Teitgen, né à Rennes, mais professeur de droit à Nancy, s’intéresse à celle d’Ille-et-Vilaine d’autant plus qu’il a participé à la fondation du quotidien régional Ouest-France sur les décombres de L’Ouest-Éclair. C’est un résistant de la première heure dans le Midi, dans le mouvement Liberté, puis à Combat, qui a été membre du CGE et est ministre de l’Information du général de Gaulle. André Colin, né à Brest, professeur de droit à Lille, ancien président national de l’ACJF, résistant et concepteur du futur MRP dans la clandestinité, membre de l’Assemblée consultative provisoire, participe à une première réunion privée à Quimper le 16 avril 1945. Il est alors secrétaire général du MRP, de 1944 à 1955, c’est-à-dire le no 2 derrière le président Maurice Schumann. André Colin est secondé dans ses fonctions nationales par Albert Gortais, secrétaire général adjoint, un homme originaire des Côtes-du-Nord.
65Après les élections municipales, la fédération MRP du Finistère prend son essor au début de l’été avec d’anciens élus PDP comme Yves Jaouen, réélu à Saint-Marc, et des militants de l’UL CFTC de Brest comme Emmanuel Fouyet et Jules Floch (conseillers municipaux de Brest). Le 8 juillet 1945, à l’initiative d’André Colin, une direction départementale est mise en place à Quimper en présence de François Desgrées du Loû, directeur politique de Ouest-France. Elle est présidée par le Dr Antoine Vourc’h de Plomodiern, résistant de l’intérieur du réseau Johnny qui a fait du renseignement et de l’évasion avant de gagner Alger, puis Londres. Le secrétaire général est André Monteil, un professeur du lycée de Quimper, chef des FFI à la libération. Le comité directeur compte des nouveaux venus comme André Colin et les deux anciens députés du PDP Paul Simon et Pierre Trémintin, membres de l’Assemblée consultative, ainsi qu’Yves Jaouen. C’est le prélude à la fusion organique du MRP et du PDP à Landerneau le 12 août 1945. Paul Simon a exigé qu’on rajoute la mention « Union des démocrates » au nouveau parti unifié. Le 9 décembre 1945, lors du congrès de Châteaulin, la fédération finistérienne réunit 500 délégués et en juin 1946, du fait de l’essor des sections, elle est divisée en un secteur nord et un secteur sud ce qui reprend la coupure classique du département. Le 16 août 1946, une importante fraction de la Jeune République (JR) rejoint le MRP.

Tableau 5 – L'évolution des effectifs du MRP en Bretagne de 1945 à 195183.
66La question des effectifs réels du MRP se pose à la Libération comme pour tous les partis politiques avec une tendance des Renseignements généraux (RG) à les gonfler en comparaison des données internes (le double en Ille-et-Vilaine) (tableau 5)84. Selon le MRP lui-même, la réalité est plus modeste : en 1945, avec 2 600 adhérents l’Ille-et-Vilaine a la 4e fédération de France, loin derrière le Nord (24 500), la Seine (18 500). Le Finistère est au 6e rang (1 500)85. Les chiffres avancés pour les Côtes-du-Nord par les RG à l’été 1946 (5 000 à 6 000 adhérents) sont d’ailleurs contradictoires avec d’autres annotations des mois précédents : le MRP « a de nombreux sympathisants dans les campagnes » mais ils « hésitent à s’affilier ». L’essor n’en est pas moins marqué car le MRP serait passé de 70 à 120 sections de mars à septembre 1946. En 1946, année d’apogée national du MRP avec 125 000 adhérents, trois fédérations bretonnes se sont développées se classant au 5e, 6e et 7e rang national. Cette fois, les chiffres du parti sont très supérieurs à ceux des RG, surtout dans la Morbihan. Ces trois fédérations représentent alors 10,8 % des effectifs nationaux du MRP. Les succès électoraux de la fin de 1945 et de 1946 expliquent sans doute cet afflux d’adhésions mais le reflux est rapide, dès 1947 comme pour tous les partis, aggravé par la crise interne provoquée par l’attraction du RPF.
67Comme les autres grands partis du tripartisme, le MRP essaie de quadriller le terrain en créant des sections. À son apogée fin 1946-début 1947, le MRP aurait 200 sections (une centaine en septembre 1945) sur 296 communes dans le Finistère, 120 dans les Côtes-du-Nord (près d’une commune sur trois), 115 en Ille-et-Vilaine dès la fin 1945. En Ille-et-Vilaine, ce parti est bien implanté dans les villes et dans le nord du département, notamment dans l’arrondissement de Fougères alors que les régions de Vitré et de Redon ont très peu de militants. Pourtant, les résultats électoraux à Vitré sont bons, ce qui implique que l’influence du parti se développe par d’autres relais. C’est aux élections cantonales et surtout législatives de 1945-1946 que l’on va pouvoir mesurer le poids du MRP en Bretagne.
68La position politique du MRP au centre gauche se joue d’ailleurs au cours de l’année 1946. Dans les Côtes-du-Nord, lors du congrès d’octobre 1946, pour la troisième place sur la liste aux élections législatives, deux hommes sont en lice dont l’ancien député qui avait été proche du PDP Yves Le Cozannet, responsable agrarien (de Landerneau et d’un syndicat agricole indépendant opposé à la CGA en 1945) et vichyssois (syndic départemental). Il est finalement écarté au profit de Constant Montjaret, un jeune militant de Plouha de 24 ans qui a rejoint les FFL à 18 ans avec son frère Hervé, radio de Jean Moulin. Le Cozannet va alors quitter le MRP avec la fraction de droite86. À la fin 1947 encore, un accord tripartite permet de barrer la route de la mairie de Saint-Brieuc au RPF au profit d’un maire socialiste indépendant. Dans cette fédération cohabitent pour un temps une sensibilité de centre gauche, les militants ouvriers briochins, et une sensibilité de centre droit, des notables de la partie orientale du département. Dans le Finistère, on retrouve aussi cette configuration qui est en partie réglée par le départ de nombreux élus de 1945 pour le RPF. Le MRP va alors pratiquer une stratégie de troisième force avec la SFIO et les radicaux, pour s’opposer au PCF (à Concarneau) et au RPF. Dans le Morbihan, après l’essor de 1946, la fédération MRP ne résiste guère aux coups de boutoir de la droite traditionnelle comme du RPF alors qu’en Ille-et-Vilaine elle conserve une activité importante et une réelle autonomie. Le positionnement centriste du MRP est une réalité à la Libération en Bretagne mais il varie selon les fédérations car il est fonction des droites encore solidement ancrées.
La réorganisation des droites
69La nébuleuse des partis de droite, qu’on appelle désormais les modérés, a passé pendant longtemps pour être discréditée à la Libération du fait de son engagement dans les politiques et les institutions du régime de Vichy. Cette affirmation est globalement exacte mais il faut la nuancer car des hommes de droite se sont engagés dans la Résistance et plusieurs exemples l’illustrent en Bretagne. On a aussi insisté pendant longtemps sur les difficultés de ces forces politiques à se réorganiser. Or, là encore, un colloque récent consacré à La Recomposition des droites en France à la Libération confirme bien cette réalité tout en analysant les multiples tentatives de réorganisation dès 1945-194687.
70Les élections municipales de 1945, souvent comparées dans les sources avec celles de 1935, permettent de mesurer la plus ou moins bonne résistance des droites localement (tableau 4). En effet, si les conservateurs disparaissent du champ politique – il reste deux maires dans le Morbihan contre 56, 21,4 % en 1935 – les républicains URD occupent largement leur espace politique. Et parfois, il s’agit des mêmes hommes qui ont abandonné leur ancienne étiquette pour une nouvelle plus présentable. Parfois ils ont été remplacés par des catholiques du MRP, ce qui traduit une vraie évolution, c’est-à-dire un glissement vers le centre. Dans le Morbihan, les maires classés URD ont augmenté de 33,7 % du total en 1935 à 39 % en 1945 avec 43,4 % des conseillers municipaux88. Certes le recul des maires de droite (conservateurs et URD) est sensible, de 55,1 % en 1935 à 39,8 %, mais le poids de cette famille politique reste considérable au niveau local. Certains élus de droite (URD) vont céder aux sirènes gaullistes du RPF mais contrairement au Finistère les maires du MRP vont bien résister car ce parti conserve 50 maires en 1947. Les perdants sont les républicains de gauche ou les radicaux qui se sont ralliés au RPF ou qui ont été battus par eux.
71Dans le Finistère, les maires de la droite classique paraissent encore nombreux au moment des élections mais ils sont vite attirés par le MRP qui a déjà près du quart des maires. À la veille des élections municipales de 1947, les édiles de la droite traditionnelle y sont réduits à moins de 10 %. Certains vont alors rejoindre le RPF avec de nombreux MRP. En Ille-et-Vilaine, avec 7 % des élus de 1945, les conservateurs font encore recette, principalement dans l’arrondissement de Saint-Malo (21,1 %). Pourtant avec 37,9 % du total des élus, les URD (45,9 % même dans l’arrondissement de Fougères) et autres républicains indépendants dominent la vie municipale. Ce qui fait que les droites catholiques représentent 45 % des édiles en 1945, sans compter le MRP. Et les résultats de l’arrondissement de Redon non disponibles, un arrondissement conservateur, renforceraient encore cette permanence des droites traditionnelles dans ce département. L’évolution est très différente dans les Côtes-du-Nord où conservateurs (7 %) et URD (23,8 %) n’avaient déjà plus que près d’un tiers des conseillers municipaux en 1935. Dix ans plus tard, les premiers n’existent plus quand les seconds sont tombés à 18,3 %. Le recul des droites catholiques et conservatrices est important (plus de 12 %) alors que le MRP n’en a pas profité.
72Sur le terrain partisan, la situation était quelque peu confuse en 1945 alors que les anciens partis de droite essayaient de réapparaître sur la scène politique française (Alliance démocratique, Fédération républicaine de Louis Marin) sans y parvenir véritablement, même après le retour du leader de l’Alliance, Flandin, inéligible en 1945-1946 pour avoir dirigé le gouvernement de Vichy de décembre 1940 à janvier 194189. En Bretagne, ce parti n’a plus d’existence car l’étiquette « républicain de gauche » désignant les membres ou les sympathisants du parti flandiniste déjà en perte de vitesse à la fin des années 1930, encore présente lors des élections municipales comme nous l’avons vu dans le Morbihan, disparaît lors des cantonales de 1945. En fait, un Comité d’entente des droites s’est constitué au niveau national dans l’urgence en février 1945 en prévision des élections municipales90. L’initiative provient d’Edmond Barrachin, un ancien radical, et d’anciens dirigeants du PSF dont Charles Vallin qui veulent rassembler toutes les droites modérées. Ce processus de regroupement de notables de droite venus de l’Alliance ou de la Fédération républicaine va aboutir à une nouvelle formation, le Parti républicain de la liberté (PRL), dirigée par Michel Clemenceau, le fils du Tigre, qui se donne pour ambition d’unifier toutes les droites91. Cependant, en majorité les amis du colonel de la Rocque et de l’ancien PSF refusent de rejoindre le PRL qu’ils trouvent trop marqué à droite et forment en juillet 1945 le Parti républicain et social de la réconciliation française (PRSRF) dont certains membres s’intègrent à la nébuleuse centriste du RGR en avril 1946. D’autres fondent à Paris, le 11 juillet 1945, le Parti paysan d’union sociale (PPUS), qui va connaître une évolution de plus en plus droitière92. D’autres enfin créent en 1946, une Union gaulliste (UG) qui présente des listes en Bretagne en novembre 194693. Plusieurs formations politiques, parfois des embryons de parti, participent donc à la recomposition des droites en 1945-1947 avant que leurs notables, leurs adhérents ou leurs sympathisants soient largement absorbés par la dynamique du RPF gaulliste qui accepte la double appartenance.
73Le PRL se constitue à Paris le 22 décembre 1945 et il va chercher à s’imposer dans les quatre premiers mois de 1946 comme le principal parti de droite en voulant amalgamer en son sein trois héritages des droites françaises : celui de la droite libérale (de l’Alliance démocratique, AD), celui de la droite ligueuse (JP et PSF) et celui des partisans d’un rassemblement national94. Au sein du PRL, ces trois familles vont davantage cohabiter que fusionner. En Ille-et-Vilaine, la droite conservatrice a d’abord tenté de ressusciter en janvier 1945 L’Alliance nationale de l’Ouest d’avant-guerre en s’appuyant sur son bimensuel qui reparaît95. Certains de ses proches figurent sur la liste de l’Entente républicaine en octobre 1945. Mais l’opération échoue et c’est le PRL qui prend le relais. Un comité fédéral de 16 membres se forme au début de 1946, dirigé par Marcel Rupied, réélu maire et conseiller général de Vitré et élu député sur la liste de l’Entente républicaine. Cette direction du PRL compte plusieurs conseillers généraux URD d’avant-guerre réélus et quatre nobles. La continuité politique est évidente.
74Dans le Morbihan le PRL est encore embryonnaire en avril 1946, avec Leray comme secrétaire départemental, mais il bénéficie déjà « d’une aide pécuniaire appréciable de sympathisants96 ». Dès juin 1946, le PRL envisage de présenter une liste pour capter les voix de droite du MRP, y compris avec l’abbé Desgranges l’ancien député apparenté au PDP, car le nouveau parti démocrate-chrétien serait déjà en perte de vitesse selon le préfet. Mais certains proches du PRL vont faire un autre choix et tenter leur chance sur une liste d’Union gaulliste pour la IVe République (UG) et du parti paysan conduite par Raymond Marcellin en novembre 1946. Élu conseiller général URD, Yves du Halgouët de Poulpiquet, fils d’un grand notable conservateur révoqué par le CDL et lui-même ancien syndic communal de la Corporation paysanne, figure en effet en 2e position sur cette liste comme candidat « paysan97 ». En 4e position se trouve Auguste Danilo, élu maire URD de Malansac en 1945, responsable d’organisations agricoles et surtout ancien président en 1936 du comité dorgériste de défense paysanne de sa commune. La liste Marcellin, sous couvert de gaullisme, est bien une machine à recycler les dorgéristes et les pétainistes de la droite paysanne. Elle entre de fait en concurrence avec le PRL et bientôt le gaullisme. Cet exemple montre à la fois la porosité des droites dès la Libération comme dans les années 1930 et la continuité avec l’avant-guerre malgré le renouvellement des générations.
75Pour l’heure, le débat se pose à la croisée des droites traditionnelles et du gaullisme naissant. En effet, après le discours de Bayeux du 16 juin 1946 du général de Gaulle, René Capitant a pris l’initiative de créer une formation gaulliste, sans l’aval du Général, l’Union gaulliste pour la IVe République (UG), préfiguration d’un gaullisme politique98. En Bretagne, le général Audibert, ancien chef de l’Armée secrète et député de droite de Loire-Inférieure d’octobre 1945 à juin 1946, en devient le délégué régional. Dans le Morbihan, elle publie le journal Bretagne-Sud dirigé par Léon Diesnis (7e sur la liste Marcellin). Or, le parachutage de Raymond Marcellin, membre fondateur de l’UG désigné par la direction nationale comme tête de la liste le 14 octobre 1946, a cristallisé les oppositions car elle a réduit les possibilités d’être élu (fig. 31 pl. XXVIII du cahier couleur). Cette opération politique est vertement rejetée par des résistants gaullistes du Morbihan qui y voient, sous couvert de gaullisme, une opération de récupération du PRL. Des fondateurs de l’Union gaulliste du Morbihan, Guy Lenfant et M. Fichau, fustigent dans La Liberté du Morbihan du 1er-2 novembre 1946 ceux dont « l’objectif [est] avec ou sans l’accord des responsables départementaux de s’emparer des premières places au profit du PRL99 ». Guy Lenfant, ancien responsable du Bureau des Opérations aériennes (BOA) et dirigeant de l’UG, dénonce cette alliance avec « des anti-résistants » sur « une liste soit disant gaulliste et agraire. En réalité ce n’est qu’un amalgame de PRL et de capitalistes. Républicains et Bretons, je sonne l’alerte contre ce Parisien ». Ce Parisien n’est autre que l’avocat Raymond Marcellin qui se cherche un point de chute électoral. L’auteur de l’article sait-il que le futur homme fort du Morbihan a lui aussi été décoré de la francisque par le maréchal ? Du coup, une scission s’opère au sein du gaullisme naissant entre un courant qui se veut fidèle au Général et une droite paysanne accusée de s’abriter derrière son nom. Lors d’une assemblée générale de l’UG à Vannes le 24 octobre 1946, il est décidé de combattre cette liste et de créer un groupement départemental autonome. Des querelles de personnes semblent avoir jouer car pour la 2e place sur la liste, Fichau aurait été « sacrifié » au profit d’Yves du Halgouët100. Au fond, les gaullistes locaux refusent cette alliance avec le PRL alors que le général Audibert qui soutient cette liste d’union en vient. Contre toute attente, Raymond Marcellin est élu montrant la permanence des droites dans le Morbihan.
76Dans les Côtes-du-Nord, le PRL se manifeste en présentant tardivement une liste d’Action républicaine aux élections à la seconde assemblée constituante en juin 1946. Selon le préfet Avril, elle est composée de membres de « la haute bourgeoisie et de grands propriétaires terriens101 ». Elle est conduite par l’ancien préfet des Côtes-du-Nord (1943-1944) de Villeneuve, originaire de Quintin, appartenant à une famille d’industriels et de banquiers. Le préfet a été arrêté par les Allemands en 1944 et déporté. Il y a peu de personnalités connues sur sa liste à part l’ancien maire de Perros-Guirec et ancien conseiller départemental, Yves Connan, ex-PSF, non réélu en 1945102, ainsi que l’ancien maire de Langueux, un cultivateur responsable syndical opposé à la CGA. Cette liste du PRL attire peu de monde à ses réunions mais obtient quand même 16 120 voix, 5,7 %. Quant au parti, il aurait « peu d’adhérents mais quelques sympathisants ». Il est dirigé par Jacques Waron, un opticien briochin, fils d’un ancien député, qui militait à l’Alliance démocratique avant la guerre. En fait, l’espace politique à droite est déjà largement occupé par le MRP. Alors que le préfet pense que cette liste de droite va prendre des voix au MRP, c’est celle de René Pleven qui en est la victime, l’ancien ministre de l’Économie et des Finances du général de Gaulle étant battu. En novembre 1946, le PRL ne réitère pas son expérience électorale dans un département difficile pour lui. D’ailleurs, signe de reclassement, Jacques Waron rejoint l’UDSR dont il devient le secrétaire fédéral dès 1948.
77Dans le Finistère, le PRL aurait entre 200 et 300 adhérents en mars 1946 mais de nombreux sympathisants et il peut compter sur l’appui d’un parlementaire rentré de déportation, Jean Crouan (fig. 32 pl. XXIX du cahier couleur), réélu député en octobre 1945 à la tête d’une liste d’Union républicaine nationale et en relation avec le général Audibert qui conduit une liste identique en Loire-Inférieure103. Le 2 juin 1946, Jean Crouan qui a adhéré au nouveau parti de droite présente une « liste du Parti PRL » mais il n’est pas réélu. Le PRL en est à peu près au même stade d’organisation en Loire-Inférieure avec environ 500 membres mais des milliers de sympathisants et un réseau de notables, élus municipaux et cantonaux, très puissant d’autant plus qu’Abel Durand, président du Conseil général, fait figure de nouveau venu sur la scène départementale. Le préfet rappelle que le vivier du PSF avec 28 000 membres avant-guerre est particulièrement prometteur pour les droites locales104.
78Les anciens du PSF du colonel de la Rocque, après avoir dissous leur parti le 5 mars 1945, tentent d’organiser une nouvelle formation : le Parti républicain et social de la Réconciliation française (PRSRF) à partir de l’été. Ils tiennent quelques réunions peu suivies dans les Côtes-du-Nord et dans le Morbihan avec des anciens du PSF sous la présidence de Decker à Vannes105. En Loire-Inférieure, il serait passé d’environ 200 adhérents à l’été 1945 à 1 250 en mars 1946. Dans les Côtes-du-Nord, ce parti dirigé par un garagiste briochin, n’a recueilli que quelques adhérents et quelques sympathisants dont le pharmacien résistant Georges Gallais, qui va bientôt créer le RPF. Faute d’avenir, ce mouvement va se fondre dans le RGR ou rejoindre les indépendants de droite.
79Le Parti paysan ne se manifeste véritablement qu’à partir de l’automne 1945 à travers son organe hebdomadaire L’Unité paysanne. Ce parti se veut le prolongement direct du Parti agraire et paysan français (PAPF) fondé par Fleurant-Agricola en 1928 qui avait eu quelque influence en Bretagne dans les années 1930. Son principal dirigeant national, Paul Antier est un ancien du PAPF, qui derrière une rhétorique moderniste qui sacrifie à l’esprit du temps voudrait organiser un véritable parti paysan et agrarien106. Son objectif est notamment de lutter contre la CGA qui est alors lancée par le ministre socialiste Tanguy Prigent. Ses résultats électoraux en octobre 1945 sont bien modestes : le PPUS attribue à juste titre son échec au vote paysan en faveur du MRP, fort en Bretagne, alors que lui sert à recycler des cadres de la Corporation paysanne de Vichy107. Ainsi, Jean Bohuon l’ancien dorgériste d’Ille-et-Vilaine et syndic régional de Bretagne, apparaît vite comme l’un de piliers du nouveau Parti paysan. En août 1946, il se transforme en Parti paysan d’union sociale (PPUS) pour tenter d’élargir sa base sociologique vers les classes moyennes urbaines tout en s’opposant fermement au tripartisme qui gouverne le pays et au « dirigisme étatique ». Le PPUS revendique 25 fédérations en 1948. Paradoxalement, c’est dans les Côtes-du-Nord, département où le dorgérisme avait eu du mal à se développer sauf dans la partie orientale, qu’une fédération du PPUS a été créée en 1945-1946. Au total, malgré la présence de Bohuon, ce parti représentant la droite agrarienne est concurrencé par d’autres formations. Il ne parvient pas à s’implanter en Bretagne où il n’a aucun député ni aucun conseiller de la République en novembre 1948108.
Les nouveaux conseils généraux : une relative permanence de l’orientation politique
80Le renouvellement total des conseils généraux de Bretagne en septembre 1945 permet mieux que les élections municipales du printemps de saisir les évolutions politiques intervenues depuis 1939 car désormais les candidats se présentent sous l’étiquette des partis politiques et non plus, à quelques exceptions près, sous celles des mouvements de Résistance. Au niveau national, la poussée de la gauche est sensible car elle remporte la présidence de 73 conseils généraux sur 90, contre 56 en 1939, à condition d’y inclure tous les radicaux-socialistes et autres centristes (2 UDSR et 2 républicains-socialistes) qui évolueront rapidement vers le centre droit109. La répartition au sein de la gauche montre le sens de l’évolution depuis 1939 : non seulement le PCF a gagné quatre présidences mais la SFIO en détient 42 (6 en 1939). Ces gains se sont faits au détriment des radicaux-socialistes qui sont passés de 45 présidences dans l’Hexagone en 1939 à 23 en 1945.
81La Bretagne suit-elle le même mouvement ? La réponse est complexe. En terme de présidences, une continuité paraît l’emporter, la droite en ayant trois sur cinq en octobre 1945. Elle gagne celle du Finistère arrachée par le maire MRP de Saint-Marc Yves Jaouen (ex-PDP). C’est la défection d’un radical laïque qui permet son élection par 22 voix contre 20 alors que le socialiste Hippolyte Masson espérait l’emporter. Le conseil général du Finistère qui était encore au centre gauche en 1937 malgré la progression de la droite, bascule à droite et le restera jusqu’en 1998.
82Apparemment, la gauche laïque semble avoir récupéré le conseil général du Morbihan présidé par le grand notable radicalisant d’avant-guerre Alphonse Rio (72 ans). En réalité, les deux camps laïques et catholiques sont à égalité de sièges (19 chacun) ce qui permet à Rio d’être élu par consensus110. Cet équilibre est vite rompu car dès 1946 le député de droite de 1936 Paul Ihuel qui a adhéré au MRP prend cette présidence qu’il gardera jusqu’en 1964 avec une confortable majorité de droite. De même en Ille-et-Vilaine, c’est un nouvel élu du MRP qui est porté à la tête d’une assemblée toujours dominée par les droites. En 1945, les Bretons élisent donc deux (Finistère, Ille-et-Vilaine) des six présidents MRP de l’Hexagone, puis un troisième en 1946 (Morbihan). En Loire-Inférieure, le Nantais Abel Durand, futur PRL, prend la relève des aristocrates assurant la continuité de l’orientation politique. Il n’y a plus que les Côtes-du-Nord pour maintenir et renforcer une majorité de gauche à la Libération, même si la présidence est assurée par deux élus radicaux d’avant-guerre, le Dr Le Quéré en 1945, puis l’ancien député André Cornu en 1946. Mais de 1947 à 1949, la majorité socialiste et communiste porte à la tête du Conseil général le Dr François Clech, ancien radical-socialiste qui a adhéré à la SFIO en 1945. La Bretagne semble donc évoluer plutôt à contre-courant de la tendance nationale à la Libération et le vote des femmes semble bien avoir été déterminant111.
83Une analyse plus précise des situations départementales permet de mieux cerner les évolutions des mois suivants. Les élus centristes, MRP ou radicaux, encore nombreux participent aux recompositions en cours car le clivage gauche/droite rejoue rapidement. D’abord partout les membres des CDL, institutions provisoires qui jouaient le rôle des anciens conseils généraux auprès des préfets, et les conseillers généraux provisoires nommés par eux qui se sont présentés devant les électeurs ont été battus. Ces membres des CDL ont été perçus comme étant plus à gauche que la sensibilité dominante de l’électorat. Dans le Morbihan, seul quatre des 19 nommés sont élus ; dans le Finistère, des six membres du CDL candidats, deux seulement ont été élus mais il s’agissait des deux anciens députés socialistes Tanguy Prigent et Jean-Louis Rolland. La légitimité résistante ne semble pas convenir aux électeurs bretons même si la plupart des candidats des partis cherchent à mettre en avant leur engagement patriotique.
84Pourtant, le renouvellement des hommes est important en 1945. Il est de 70 % dans le Finistère (13 réélus), 76,3 % dans le Morbihan (9 réélus) et même de 89,5 % dans les Côtes-du-Nord (5 réélus). Des conseillers départementaux nommés par Vichy, parfois écartés par les CDL à la libération, retrouvent leur siège : un seul dans les Côtes-du-Nord, de Kéranflec’h, mais au moins cinq dans le Finistère dont deux élus du Léon, Jean Audren de Kerdrel et François Le Corre de Lesneven. Dans le Morbihan, le taux de renouvellement est bien plus élevé dans les arrondissements qui votent le plus à gauche (80 % dans celui de Pontivy, 83,3 % dans celui de Lorient) que dans celui de Vannes ancré à droite (56,2 % seulement)112. Dans le Vannetais, quatre conseillers généraux URD révoqués par le CDL sont réélus, certains avec plus de 90 % des voix, alors qu’on n’avait pas pu trouver de remplaçant au Dr Guillois dans son canton…

Tableau 6 – L’évolution de la composition politique des conseils généraux de Bretagne de 1937 à 1945113.
85Les résultats de septembre 1945, malgré le flou de certaines étiquettes surtout à droite, permettent de visualiser les évolutions depuis 1937 (tableau 6). Les partis ne sont pas encore complètement réorganisés à droite et les autorités reprennent celles d’avant-guerre. Par exemple, la Fédération républicaine-URD n’existe plus sur le terrain et le PRL ne se structure vraiment qu’en 1946. Il y a donc une part d’arbitraire dans le classement des élus mais il ne modifie pas le clivage gauche/droite qui s’est affirmé durant la campagne électorale poussant les candidats centristes dans l’un ou l’autre camp. Si le clivage catholiques/laïcs est toujours opératoire, il tend à être transcendé par l’anticommunisme qui va désormais rassembler des électeurs radicaux, voire une frange d’électeurs socialistes qui préfèrent voter pour le MRP pour barrer la route au PCF.
86Dans les conseils généraux élus à la Libération en Bretagne, le rapport des forces gauche-droite évolue peu sauf dans les Côtes-du-Nord. En fait, on assiste le plus souvent à une redistribution des cartes à l’intérieur de chaque camp. Le centre droit et la droite se renforcent dans tous les autres conseils généraux et le processus va s’accentuer en 1949 et en 1951 avec la poussée du RPF et des indépendants de droite au détriment de la gauche et du MRP.
87Au sein de la droite, le MRP émerge en position centriste alors que le PDP était encore peu implanté avant la guerre (8 sièges). Avec 49 élus (22,5 %), sa progression est spectaculaire : la Bretagne représente 18,4 % de ses élus nationaux (266)114. Il bénéficie assurément de son action dans la résistance, de l’appui d’une partie du clergé catholique et du nouveau vote féminin. En Ille-et-Vilaine, avec un tiers des sièges avec ses sympathisants, le MRP mord autant sur l’électorat de centre gauche modéré que sur celui de la droite. Il s’implante plus souvent dans les cantons républicains (avec des élus républicains de gauche ou radicaux avant-guerre), que dans ceux classés à droite : « C’est moins la droite traditionnelle qui est rejetée au profit du MRP que le centre gauche républicain laïque115. » Le vote féminin y est sans doute pour beaucoup. Et cette analyse vaut pour le Morbihan et pour le Finistère. Dans le Morbihan, le MRP (cinq élus, plus un Jeune République) se fait élire dans les cantons de droite du Vannetais. Dans le Finistère, avec 16 élus il devient la principale force politique au centre droit (34,2 % des voix au premier tout116) bénéficiant à la fois de l’enracinement ancien des démocrates-chrétiens du PDP et de l’apport d’hommes nouveaux issus de la résistance. Au second tour, ses candidats se sont trouvés en position de faire barrage au PCF et ils ont recueilli une fraction de l’électorat républicain laïque, voire socialisant. Ainsi, le MRP s’implante dans le sud Finistère (7 élus) et dans l’ensemble du département il l’emporte dans huit cantons détenus par la droite avant-guerre (un conservateur, 6 URD et 1 PDP) mais aussi dans huit autres ayant élus des hommes du centre gauche laïque (2 radicaux-indépendants, 6 radicaux-socialistes)117. L’épuisement du radicalisme évoluant vers le centre droit en 1936 est manifeste ; le MRP récupère une partie de son électorat tout en jouissant d’un important vote de la droite traditionnelle qui va se reporter sur le RPF lors des municipales de 1947 et les cantonales de mars 1949. C’est le cas dans la partie gallèse des Côtes-du-Nord (sud-est) qui avait des élus de l’URD avant la guerre. À Saint-Brieuc nord et dans le Goélo, le MRP enlève des cantons détenus par les radicaux. En Bretagne, le MRP récolte en 1945 la tradition d’un catholicisme bleu et social et bénéficie de son attachement à la république tout en soutenant l’école privée confessionnelle.
88Le transfert du PDP au MRP n’a pas toujours été évident. Ainsi, dans le Morbihan, Joseph Le Soufaché, conseiller général PDP de Grand-Champ de 1934 à 1940, est réélu en 1945 comme URD puis indépendant. En revanche, Paul Ihuel, député URD en 1936, fait le chemin inverse quand il est élu conseiller général du Faouët. À part lui, le MRP (7 élus sur 38 après un ralliement, près de 15 % des voix) n’a pas de personnalités marquantes sauf l’avocat Joseph Yvon, venant de la Jeune République, élu à Groix en septembre 1945, et qui sera avec Paul Ihuel député MRP du Morbihan de 1946 à 1951. En outre, à partir de 1946-1947 et l’apparition du RPF sur l’échiquier politique, des reclassements se produisent : plusieurs conseillers généraux portant l’étiquette du MRP en 1945 s’éloignent en devenant des indépendants de droite ou en adhérant au RPF car la double appartenance n’est pas acceptée par le parti démocrate-chrétien. Tous les départements bretons sont concernés par une telle évolution. Ainsi en Ille-et-Vilaine, en 1949, le groupe MRP s’est réduit passant de 15 à 11 membres118. Et dès novembre 1948, l’ancien président du Conseil général en 1939, Marcel Rupied notaire et maire de Vitré devenu conseiller de la République (PRL-RPF) reprend les commandes. Le Finistère passe aussi de 16 à 12 MRP alors qu’à une unité près ce mouvement a mieux résisté dans les Côtes-du-Nord et le Morbihan. En revanche, il n’est pas parvenu à s’implanter en Loire-Inférieure où il n’obtient en 1945 que deux conseillers généraux sur 46.
89En effet, la droite traditionnelle résiste bien aux élections cantonales de 1945 en Bretagne où elle n’est guère touchée par le discrédit de Vichy même si l’étiquette de conservateur encore portée en 1937 disparaît119. Pour l’heure, anciens ou nouveaux élus de droite sont classées URD dans les sources. Certains rejoignent le Parti républicain de la liberté (PRL) en 1946 (21, surtout en Loire-Inférieure) ou siègent comme républicains indépendants ou indépendants de droite (47), avant de se retrouver au Centre national des indépendants (CNI). Surtout, plusieurs de ces conseillers généraux de droite vont adhérer au RPF de 1947 à 1949 car l’étiquette gaulliste leur permettra de se faire réélire plus aisément en 1949. À la Libération, la nébuleuse des droites constitue donc la première force politique dans les conseils généraux de Bretagne avec 69 sièges (31,6 %), c’est-à-dire la moitié des élus de France (122 URD et républicains indépendants), avant même le MRP (22,5 %) qui préside pourtant deux puis trois conseils généraux. Les droites catholiques et le centre droit sont donc toujours majoritaires en voix et en sièges et elles vont vite recevoir l’appoint d’élus centristes laïques (radicaux, RGR, voire UDSR).
90Dans le Vannetais, on assiste à une véritable continuité politique en 1945 soit par la réélection des mêmes, soit par l’élection de leurs descendants. Dans les cantons conservateurs de Josselin et de La Gacilly, les fils récupèrent les cantons des pères : Yves du Halgouët, futur député paysan en 1946, succède à Hervé élu de 1919 à 1940, et Jean de Gouyon, futur sénateur (1948-1952) prend le relais de son père Joseph, conseiller général de 1904 à 1940. Ils abandonnent l’étiquette de conservateur pour celle d’URD ou de républicain indépendant avant d’adhérer au RPF puis de rejoindre le CNI. On voit même des retours au Conseil général tel celui d’Élie de Langlais, ancien maire URD de Sarzeau, ancien conseiller général (1914-1922), nommé maire en 1941, conseiller départemental et syndic de la Corporation par Vichy qui est largement élu en 1945. Manifestement, dans cette région de tradition blanche, le passé vichyste n’est aucunement un handicap à la Libération.
91Cette continuité politique vaut aussi pour la Loire-Inférieure où la droite traditionnelle renforce même son hégémonie sur le Conseil général avec 33 sièges sur 46 (71,7 %), et même 35 avec le MRP, gagnant du terrain sur 1937 où elle ne détenait que 30 sièges. Le préfet note « le net succès de la droite dans la quasi-totalité des secteurs ruraux et à Nantes même » où elle a enlevé les trois quarts des sièges face à des candidats uniques de la gauche120. L’avocat Abel Durand, futur PRL élu à Nantes 5 en septembre 1945, accède à la présidence du Conseil général en bousculant quelque peu la domination des aristocrates conservateurs mais sans changer le rapport des forces. Le renouvellement des hommes ne signifie pas obligatoirement un changement des orientations politiques. Tout au plus, les sources officielles précisent-elles que les élus « d’extrême droite » (les conservateurs monarchistes) ont été remplacés par « des républicains sincères quoique toujours modérés »121.
92Sauf dans les Côtes-du-Nord, la gauche marxiste est nettement minoritaire dans les conseils généraux de Bretagne en 1945. Les deux partis, souvent en concurrence dès les élections cantonales, n’obtiennent que 39 conseillers généraux en 1945 (17,9 %), 48 en 1946 (22 %) après le ralliement à la SFIO de six élus radicaux dans les Côtes-du-Nord et le gain d’un siège à Sizun dans le Finistère à la suite du décès de Pierre Mazé (radical-socialiste). Ils font jeu égal avec les radicaux et le MRP mais sont distancés par les droites.
93Le PCF progresse de manière spectaculaire en Bretagne passant d’un siège en 1937 à 17 en 1945, et même 19 en 1946, 8,7 % des conseillers généraux. En France, il est passé de 73 sièges en 1939 à 327 en 1945, plus 47 proches élus sous l’étiquette des mouvements de résistance (MRUF-FN). Il peut faire figure de vainqueur à gauche mais en mordant sur les terres radicales, voire socialistes dans le Centre-Bretagne bretonnant. Le PCF a bien tiré son épingle des 21 candidatures communes avec la SFIO sur les 48 cantons des Côtes-du-Nord. Les jeunes élus communistes enlèvent 10 sièges en Haute-Cornouaille et dans le Trégor intérieur, plus ceux de Paimpol et de Dinan ouest. Auguste Le Coënt, un jeune agriculteur de Saint-Nicolas-du-Pélem, adhérent de la SFIO avant la guerre, représentant des FTP au CDL, illustre ce renouvellement des générations. L’action résistante du PCF est reconnue par un électorat rural mais le parti ne perce véritablement que dans les Côtes-du-Nord (un quart des sièges) et il progresse dans le Finistère (de 1 à 4 élus) où il devient la deuxième force politique avec 23,1 % des voix au premier tour en devançant la SFIO (17,6 %). Les communistes renforcent leur implantation d’avant-guerre dans les ports de la côte sud (Concarneau et Pont-L’Abbé) et prennent à la SFIO le canton du Huelgoat et aux radicaux celui de Châteauneuf-du-Faou dans le Centre-Bretagne. Lorsqu’il est exclu du parti radical-socialiste en 1946, Émile Le Gac, conseiller général de Perros-Guirec, déporté, s’apparente au PCF. En revanche, la Haute-Bretagne reste une terre de mission pour ne pas dire répulsive même si l’électorat communiste y progresse. En 1945, le PCF n’a aucun élu en Ille-et-Vilaine ni dans le Morbihan où il obtient pourtant plus de voix au 1er tour (13,5 %) que la SFIO (11 %)122. Néanmoins son dirigeant lorientais de l’arsenal Armand Guillemot est élu en 1946 dans le canton du maire socialiste de Lorient Emmanuel Svob après sa disparition. De même, le PCF n’obtient qu’un seul siège en Loire-Inférieure malgré 16,2 % des voix au premier tour.
94Les socialistes sont nettement moins bien lotis – ils ont à peine doublé leur représentation de 1937 – malgré quelques progrès dans les Côtes-du-Nord (6 élus), le Morbihan (6 élus) et même l’Ille-et-Vilaine (2 élus). Mais la progression dans le Finistère est décevante (plus deux) et le recul manifeste en Loire-Inférieure (moins deux) où la SFIO n’a plus que deux conseillers généraux en 1945 (16,9 % des voix au 1er tour) dont Jean Guitton dans le bastion de Saint-Nazaire. La région ne participe guère à la poussée nationale du Parti socialiste qui passe de 380 à 817 sièges. Dans le Finistère où elle a présenté 24 candidats et malgré le soutien très actif du ministre Tanguy Prigent, avec 17,6 % des voix au 1er tour (3e position), la SFIO conserve son canton brestois, gagne Landerneau sur la droite et Carhaix sur le radicalisme et se renforce dans le Trégor (3 sièges). Dans le Morbihan, elle se renforce dans la région de Lorient et d’Hennebont (3 sièges) et en gagne trois dans le Centre-Bretagne bretonnant (Gourin, Guéméné-sur-Scorff, Cléguérec). Sa représentation est plus dispersée dans les Côtes-du-Nord, de Callac à Plouha et de Saint-Brieuc midi où le résistant Max Le Bail succède à Octave Brilleaud (USR) à la région de Lamballe-Matignon. Mais dès la fin de 1945 et au printemps 1946, du fait de l’évolution vers le centre droit de la fédération radicale, six conseillers généraux élus sous cette étiquette adhèrent à la SFIO qui désormais fait jeu égal avec le PCF, 12 élus aussi123. En Ille-et-Vilaine, Quessot est réélu à Rennes sud-est et Besnard l’emporte à Pleine-Fougères. La réalité du centre gauche laïque est plus difficile à cerner car ses élus ont un positionnement politique mouvant dans les années 1945-1947 ; il faudrait en étudier les votes et les évolutions ultérieures.
95En septembre 1945, le radical-socialisme semble encore résister avec l’élection de 43 conseillers généraux même s’il est partout en déclin, ne semblant encore fort que dans les Côtes-du-Nord (17 sièges). Il conserve 9 élus dans le Morbihan (13,5 % des voix) et dans le Finistère. Le recul est plus marqué dans le Finistère et en Ille-et-Vilaine (5 à 7 élus). Tiraillé comme dans les années 1930 entre la gauche et la droite, le Parti radical-socialiste en cours de reconstitution va voler en éclats. Dans les Côtes-du-Nord, ses dirigeants choisissent dès octobre 1945 l’alliance avec René Pleven qui rejoint l’UDSR et refusent rapidement de travailler avec la SFIO et bien sûr le PCF. Plusieurs anciens ou nouveaux conseillers généraux de gauche adhérent alors à la SFIO (6 dans les Côtes-du-Nord, un dans le Morbihan). La question scolaire et la laïcité restent toujours la ligne de partage gauche-droite. Les radicaux indépendants, peu nombreux, rejoignent le bloc des droites.
96L’UDSR est une force d’appoint en Bretagne avec six conseillers généraux dont René Pleven124. Ce parti qui veut se situer au centre gauche va se fondre dans la nébuleuse radicale-RGR en 1946. Mais à part les Côtes-du-Nord où la tradition centriste laïque et bleue perdure, le RGR n’a pas vraiment d’existence sur le terrain local en Bretagne.
97Au total, les élections cantonales de septembre 1945 sont le premier test politique national. En Bretagne, en dépit du renouvellement très important des hommes, l’orientation politique dominante, sauf dans les Côtes-du-Nord, est favorable au centre droit (MRP, radicaux) et à la droite traditionnelle. Les tendances à l’œuvre sur l’échiquier politique régional dans les années 1930 se confirment : disparition des monarchistes et des conservateurs, progression de la droite républicaine et surtout du centre droit démocrate-chrétien. Le fort engagement résistant de la région ne semble pas avoir modifié les comportements politiques au niveau local. La seule nouveauté est la poussée de la gauche communiste et socialiste déjà sensible avant la guerre mais elle se fait au détriment du radicalisme en déclin, déclin qui touche l’ensemble du centre gauche laïque qui n’est pas revivifié par l’arrivée d’un nouveau parti comme l’UDSR. S’il y a bien rupture générationnelle dans les conseils généraux bretons de 1945, les continuités politiques sont fortes. Les élections nationales vont-elles confirmer les enseignements des premières élections locales ?
La mise en place des nouvelles institutions (1945-1946) : affaiblissement de la droite traditionnelle et hégémonie du MRP
98L’analyse de la situation parlementaire en 1945 par rapport à 1936 et les évolutions en 1946 donnent la mesure des changements provoqués par la guerre dans le comportement politique et électoral des Bretons et des Bretonnes, nouvelles électrices. De ce fait, les élections du 21 octobre 1945 (tableau 7) sont un test important pour tous les partis car après la poussée de la gauche en France, mais plus limitée en Bretagne, aux élections municipales et cantonales, elles permettent de mesurer le rapport des forces et les évolutions politiques tout au long de l’année 1946 durant la laborieuse mise en place des institutions de la IVe République.

Tableau 7 – Les résultats des partis politiques en Bretagne à l’Assemblée constituante du 21 octobre 1945 (en % des suffrages exprimés)125.
99Le même jour, le 21 octobre 1945, un référendum propose au pays de se doter de nouvelles institutions et d’élire une Assemblée. La première question demande aux Français s’ils souhaitent que l’assemblée élue soit constituante, ce qui revient à refuser le retour à la IIIe République pour en créer une Quatrième. Seuls les radicaux-socialistes défendent la défunte IIIe République mais pas partout car en Ille-et-Vilaine ils ont appelé à voter oui aux deux questions. La réponse est sans ambiguïté : 96,4 % des suffrages exprimés répondent oui dans le pays mais 98 % des Bretons (taux de participation de 78,6 %). Avec la seconde question le général de Gaulle demande que cette assemblée constituante ait des pouvoirs et une durée limités (7 mois). Les radicaux et surtout les communistes appellent à répondre non. C’est un premier moyen d’évaluer leur impact électoral. La SFIO, le MRP, l’UDSR et les partis de droite se sont prononcés pour le oui-oui. À cette seconde question le oui recueille 66 % des voix en France mais 75,5 % en Bretagne. Toutefois de fortes différences sont notables d’un département à l’autre : dans les Côtes-du-Nord, le non a recueilli 35,5 % des voix pour 27,7 % dans la Finistère, mais 20,8 % en Ille-et-Vilaine, 19,5 % dans le Morbihan et 18,6 % en Loire-Inférieure. Sans surprise, les régions les plus conservatrices ont donné le plus faible pourcentage de non : moins de 10 % dans la bordure orientale d’Ille-et-Vilaine alors que la « dorsale républicaine » centrale lui accordait entre 25 et 35 % des suffrages selon les cantons notamment à Dinard où il existe une section du PCF très active animée par le couple Glémot126.
100Les élections à l’assemblée se déroulent au scrutin de liste départemental à un tour à la représentation proportionnelle. La Bretagne dispose de 38 sièges (tableau 8). La grande inconnue de ce scrutin réside dans le vote des femmes. Tous les observateurs ainsi que les partis eux-mêmes vont être surpris des résultats. La droite traditionnelle sort affaiblie de cette consultation du fait de la concurrence du MRP.
101Encore mal organisée dans une Entente républicaine (ex-Fédération républicaine) anticommuniste, la droite catholique conservatrice présente des listes d’Union nationale républicaine dans trois départements sur cinq (tableau 7). Dans le Finistère, elle est conduite par l’ancien député Jean Crouan, rentré de déportation, et en Loire-Inférieure par le général Audibert, chef de l’Armée secrète, ancien déporté, avec en troisième position Jacques Chombart de Lauwe, le colonel Félix dans la résistance, maire et conseiller général d’Herbignac. Elle se définit dans sa dénomination comme une liste de la Résistance. Ce n’est pas le cas en Ille-et-Vilaine où elle est dirigée par Marcel Rupied, un notable d’avant-guerre, maire de Vitré, qui a été vichyssois. Dans le Morbihan, ce courant a préféré faire alliance avec le MRP en apportant une composante paysanne alors que dans les Côtes-du-Nord il n’a pas été en mesure de présenter de liste.
102La concurrence est rude à droite car le nouveau MRP s’est doté dans plusieurs départements bretons « d’une organisation sérieuse avec des moyens matériels et de propagande » importants, notamment dans le Finistère selon Jean Crouan, membre de l’Assemblée consultative provisoire (ACP)127. La force d’attraction du MRP sur l’électorat, voire sur les cadres de la droite catholique traditionnelle, surprend l’ancien député de la Fédération républicaine : « Ce nouveau parti jouit incontestablement, dans ma région, d’une faveur inexplicable chez nos amis qui ne semblent pas reconnaître en lui l’ancien Sillon ou le parti démocrate-populaire. » Cette remarque vaut pour les quatre départements bretons sauf peut-être pour la Loire-Inférieure. Il y a concurrence pour recueillir les voix modérées même si Jean Crouan espère que sa liste enlèvera deux sièges contre deux pour celle du MRP. Pourtant, à part lui, elle ne présente pas de personnalités connues128. La liste Crouan du PRL du Finistère est totalement modifiée en juin 1946129. Crouan est réélu en octobre 1945 (9,86 %) mais battu en juin 1946 (5,9 %). Bien qu’ayant été partisan du régime de Vichy, Marcel Rupied est élu en Ille-et-Vilaine (19,1 %)130 mais lui aussi battu en juin 1946 (8,35 %). La présence de listes de droite dans trois départements permet au MRP d’y être en position centriste d’autant plus que par sa politique sociale et d’appui aux réformes de structure il cherche à apparaître comme un parti de centre gauche.

Tableau 8 – Les députés bretons aux deux assemblées constituantes et à l’Assemblée nationale de 1945 et 1946131.
103Avec cinq sièges seulement sur 38 en Bretagne le 21 octobre 1945, dont trois dans son bastion de Loire-Inférieure (37,9 %), où elle devance la SFIO et le MRP, il ne fait pas de doute que la droite traditionnelle est la grande perdante du scrutin par rapport à ses succès de 1936. Elle tombe même à trois sièges en juin 1946, acquis uniquement en Loire-Inférieure (28,39 %), mais avec une liste PRL de plus dans les Côtes-du-Nord (5,7 % des voix) conduite par l’ancien préfet de Villeneuve qui a été déporté. Présent dans quatre départements sur cinq, le PRL n’obtient que 10,8 % des suffrages exprimés (tableau 9). En Loire-Inférieure, le général Audibert ne figure plus sur la liste du PRL conduite par Jacques Chombart de Lauwe, avec toujours en 2e position Olivier de Sesmaisons, un grand notable terrien de la Chapelle-sur-Erdre près de Nantes. Cette absence d’Audibert, qui va s’investir dans la première formation gaulliste créée peu après, traduit sans doute des tensions au sein des droites de ce département. Elle explique en partie le recul de plus de 10 % des voix du PRL au profit du MRP et d’une 6e liste (Jeune République-UDSR, 6 %). Alliée avec les démocrates-chrétiens au sein d’une liste MRP et Action paysanne en octobre 1945 comme en juin 1946, on ne peut pas mesurer son poids réel dans le Morbihan. Même si elle a recueilli 22,55 % des voix en moyenne sur les trois départements où elle était présente en octobre 1945 (autour de 13,5 % sur l’ensemble de Bretagne), la droite traditionnelle paraît bien affaiblie au sein de cette 2e Assemblée constituante en juin 1946.
104Cette droite regagne du terrain dans l’Assemblée nationale élue en novembre 1946 avec cinq députés sur 39 (un siège de plus). En Loire-Inférieure, la liste d’Union nationale qui allie le PRL, l’Union gaulliste et l’Union paysanne, la nébuleuse des droites, conserve ses trois sortants132 ; avec 30,3 % des voix elle regagne une partie du terrain perdu. Avec 10 % des voix, une liste qui a la même configuration politique récupère un député en Ille-et-Vilaine, Xavier Bouvier (PRL). Un nouveau venu parachuté en Bretagne à cette occasion, l’avocat parisien Raymond Marcellin parvient à se faire élire dans le Morbihan, et il le sera à toutes les fonctions jusqu’en 1998. À la tête d’une liste Union gaulliste et parti paysan, Marcellin a eu du mal à faire campagne du fait de l’opposition d’une fraction des gaullistes, du MRP, et de la gauche. Pourtant, avec 11,18 % il obtient deux fois plus de voix que prévu par le préfet grâce au vote conservateur de l’arrondissement de Vannes où il atteint les 14,4 % contre 8,2 % dans l’arrondissement de Pontivy et 9,9 % dans celui de Lorient133. C’est le signe d’une remontée des droites morbihannaises qui se sentent assez fortes pour ne plus faire alliance avec le MRP qui perd un siège (de cinq à quatre sur sept).
105À la surprise générale, le grand vainqueur des élections d’octobre 1945 en Bretagne est le MRP, ce que les cantonales avaient laissé entrevoir. Il a bénéficié du transfert des voix catholiques et de droite et a en outre attiré un électorat républicain centriste qui votait pour des candidats modérés laïques avant-guerre, plus une forte partie de l’électorat féminin. Il rafle près de la moitié des sièges de députés (16 sur 38) à la 1re Assemblée constituante. Partout ses listes sont composées de jeunes résistants et conduites par des dirigeants nationaux du parti comme Pierre-Henri Teitgen, ministre du général de Gaulle, en Ille-et-Vilaine, et André Colin dans le Finistère. S’y ajoutent des résistants locaux : Henri Bouret dans les Côtes-du-Nord, André Monteil et le Dr Vourc’h dans le Finistère. Édouard Moisan appartient au CDL de Loire-Inférieure. Alliée à la droite paysanne, la liste est plus droitière et plus notabilisée dans le Morbihan où elle est conduite, cas unique dans la région, par l’ancien député du PDP Ernest Pezet suivi de l’ancien député de la Fédération républicaine Paul Ihuel. Des militants de la CFTC sont présents sur les listes comme l’employé du commerce Emmanuel Fouyet conseiller municipal de Brest, Marie-Madeleine Dienesch à Saint-Brieuc et Renée Prévert en Ille-et-Vilaine. L’élément paysan n’est pas oublié sur les listes du Mouvement républicain populaire avec des hommes comme Alexis Méhaignerie en Ille-et-Vilaine et Denis Le Berre dans le Morbihan. Mais la véritable surprise provient de l’élection de trois femmes pour le MRP en Bretagne alors qu’elles n’étaient placées qu’en 3e ou en 4e position, c’est-à-dire a priori compte tenu des prévisions en position non éligible. Or, la percée électorale inattendue du MRP permet l’entrée au Parlement de Marie-Madeleine Dienesch, professeur agrégée de Lettres classiques à Saint-Brieuc, de Renée Prévert, employée de bureau, ancienne militante de la JOCF, et de Marie Texier-Lahoulle, une mère de famille de Vannes dans le Morbihan134. De fait, le MRP est le seul parti à faire élire des femmes quand tous les autres ont placé une femme en position non éligible135. Nommée à Saint-Brieuc en 1939, membre du PDP avant-guerre, après une année d’enseignement en Normandie, Mlle Dienesch revient enseigner à Saint-Brieuc à la rentrée de 1944. Elle appartient au mouvement Libé-Nord, milite à la CFTC où elle est responsable départementale du SGEN. Elle a mis sur pied l’Union féminine civique et sociale des Côtes-du-Nord, un mouvement qui veut sensibiliser les femmes à la vie politique. Sa candidature n’est déposée qu’au dernier moment, ce qui traduit un manque de personnalités féminines au MRP. Le MRP a présenté 45 femmes en France sur 489 candidats, autant que la SFIO mais moins que le PCF (74) et a eu neuf élues sur 33 femmes à entrer à l’Assemblée constituante dont trois en Bretagne, c’est-à-dire un tiers136. Ce parti en conserve trois sur huit en juin 1946 – Marie-Madeleine Dienesch étant en 2e position – mais deux sur neuf seulement en novembre 1946 car Marie Texier-Lahoulle placée en 5e position dans le Morbihan n’est pas réélue137.
106En octobre 1945, en l’absence de liste de droite dans les Côtes-du-Nord et en alliance avec la droite paysanne dans le Morbihan, le MRP recueille en Bretagne une moyenne de 36,4 % des suffrages exprimés (tableau 7). Le meilleur résultat est obtenu dans le Morbihan avec plus de la moitié de voix et quatre sièges sur sept, tous membres du parti y compris l’ancien député de droite de 1936 Paul Ihuel, ce qui montre que la droite et le centre sont encore très nettement majoritaires dans ce département. Opposé à une liste de droite, le MRP fait un excellent score en Ille-et-Vilaine (43 % des voix et quatre sièges sur sept). De même dans le Finistère, malgré une liste de droite et une liste républicaine de la Résistance, le parti dépasse les 34 %, ce qui lui fait quatre députés sur neuf. Dans les Côtes-du-Nord même où il n’escomptait qu’un siège, il en obtient trois sur sept avec 33,2 % des voix recueillant une importante partie de l’électorat de la droite catholique qui n’a pas pu présenter de liste. La faiblesse relative du nouveau parti est manifeste en Loire-Inférieure : 15,7 % des voix seulement et un seul siège pour Édouard Moisan, membre du CDL. La qualité des candidats, hommes et femmes nouveaux venus sur la scène publique, sauf dans le Morbihan (deux députés de 1936 sur quatre), et le dynamisme des militants ont certes permis de tels résultats, mais les réseaux catholiques et agricoles et le poids du clergé ont été très utiles à cette percée sans précédent de la démocratie chrétienne en Bretagne. Le MRP s’affirme d’emblée comme la première force politique du tripartisme dans la région.
107Le rejet le 5 mai 1946 du projet de Constitution préparé par les forces de gauche (PCF, SFIO et quelques radicaux de gauche) va accentuer la poussée électorale du MRP au détriment de la droite traditionnelle et du centre gauche laïque. Lors du référendum, les partis marxistes PCF et SFIO appellent à voter oui tandis que le MRP et toutes les autres forces font campagne pour le non. Le général de Gaulle qui a quitté le pouvoir en janvier 1946 – en désaccord en fait avec ce projet – se tait. En Bretagne, le clergé et l’APEL, l’association des parents de l’enseignement privé, font campagne pour le non car pour eux la liberté de l’enseignement serait menacée. À Rennes, le cardinal Roques prend position en ce sens. Avec 81 %, le taux de participation est élevé dans la région où le non l’emporte avec plus de 61 %, soit près de la moitié des inscrits, 52,8 % en France. Les résultats sont très variables d’un département à l’autre reflétant des cultures politiques quelque peu différentes : dans les Côtes-du-Nord, le non ne l’emporte que de moins d’un millier de voix (50,18 %) et 55,77 % dans le Finistère, là où la gauche est la mieux implantée. En revanche, il y a 63,8 % de non dans le Morbihan, 65,45 % en Ille-et-Vilaine avec plus de 85 % dans les cantons de la bordure orientale du département, et 71,6 % en Loire-Inférieure. Ces résultats donnent une photographie instantanée et nette du rapport gauche/droite en Bretagne en 1946 : il s’établit à 39/61 %.
108Dans la foulée, les élections à la 2e Assemblée constituante sont très favorables au MRP tant au plan national (plus 17 sièges) qu’au niveau régional (20 députés, plus quatre). Son leader Georges Bidault forme le nouveau gouvernement tripartite. Avec près de 42 % des voix (tableau 9), le MRP atteint son apogée en Bretagne, n’étant plus allié à la droite paysanne que dans le Morbihan : 55,3 % des voix, un score identique à celui d’octobre 1945 mais cinq sièges sur sept avec l’élection de Paul-Hutin Desgrées, le fondateur-directeur du grand quotidien régional Ouest-France. Le MRP frôle la majorité absolue en Ille-et-Vilaine et a aussi cinq députés sur sept. Il progresse nettement dans le Finistère gagnant plus de 9 % des voix – mais il n’y a plus de liste de la Résistance – et un siège pour le Dr Le Duc, un résistant de Morlaix. Louis Orvöen commence une longue carrière parlementaire sous les couleurs du MRP dans le sud Finistère. Malgré la présence d’une liste de droite, le MRP progresse légèrement dans les Côtes-du-Nord. En revanche, il double presque son score d’octobre 1945 en Loire-Inférieure, prenant des voix à la droite, et gagnant un second député. Il y a pourtant une liste centriste Jeune République-UDSR qui obtient 6 % des suffrages, ce qui fait qu’une fraction importante de l’électorat de droite s’est reportée sur le MRP. En juin 1946, cette poussée du MRP en Bretagne s’est faite clairement au détriment de la droite traditionnelle qui perd beaucoup des voix (Finistère, Ille-et-Vilaine, Loire-Inférieure) et deux sièges.

Tableau 9 – Les résultats des partis politiques en Bretagne à la 2e Assemblée constituante du 2 juin 1946 (en % des suffrages exprimés)138.
109Après la difficile adoption de la Constitution de la IVe République lors du référendum du 13 octobre 1946, et malgré l’appel à voter oui des trois grands partis du tripartisme (51,4 % des suffrages exprimés pour le oui en Bretagne, mais 34,1 % des inscrits seulement, 32,3 % d’abstentions, et 32,1 % des inscrits pour le non)139, le MRP se stabilise dans la région à près de 40 % des suffrages exprimés et 18 sièges de députés sur 39, ce qui en fait la première force politique et de loin (tableau 10). Désormais, la situation paraît claire puisque le MRP a fait cavalier seul dans le Morbihan, en dehors de la droite, ce qui explique un recul de deux points de sa moyenne régionale, recul compensé par une progression en voix dans les Côtes-du-Nord et dans le Finistère mais on note un tassement dans les deux départements de l’est. Les progrès de la droite lui font perdre un siège dans le Morbihan et un en Ille-et-Vilaine. Avec de tels résultats, et du fait d’un fort vote de la droite catholique, le MRP cherche à se positionner au centre gauche-centre droit mais il est perçu par l’opinion régionale comme un parti confessionnel, voire clérical. C’est très net en Loire-Inférieure où le MRP n’est pas parvenu à absorber l’aile gauche de la démocratie chrétienne comme en témoigne la présence aux trois élections législatives de 1945 et 1946 d’une liste Jeune République-UDSR qui attire 6 % des électeurs en octobre 1945 et juin 1946. De par sa base électorale, ce nouveau parti est à la merci d’un retour en force de la droite, retour qui va se produire à partir de 1947 avec le RPF et lors des élections législatives de 1951.
Affaiblissement du centre gauche laïque, stagnation de la SFIO et enracinement du PCF
110Comme le laissaient présager les résultats des élections locales, les rapports de force au sein de la gauche sont profondément modifiés à la Libération. En Bretagne, le déclin du radicalisme de gauche déjà entamé en 1936 et les reclassements au centre droit ont été accélérés avec la guerre. Lors de la création du RGR, la question du classement au sein de la gauche des petits partis centristes et de leurs parlementaires se pose dès le printemps 1946 : ce sont les alliances politiques locales qui peuvent permettre d’y répondre. En outre, au sein de l’UDSR, ce nouveau parti issu de la Résistance dirigé au plan national par René Pleven, élu député de Dinan en 1945, la question religieuse et scolaire n’est plus une ligne de partage marquée. Radicaux et UDSR se retrouvent au sein du RGR pour tenter de survivre électoralement. À la charnière du centre gauche et du centre droit, le radicalisme se divise ; son affaiblissement électoral est patent en Bretagne en 1945-1946.
111Les élections législatives d’octobre 1945 ne donnent que trois députés à ce centre gauche laïque : deux radicaux-socialistes et un UDSR, René Pleven clairement allié avec les radicaux des Côtes-du-Nord. Incarnation des hommes politiques de la IIIe République, Alphonse Rio parvient à se faire réélire dans le Morbihan (11,8 %) comme radical-socialiste et André Morice est élu en Loire-Inférieure avec 9,7 %. Signalons la présence dans ce département d’une liste centriste concurrente de l’UDSR (6,1 %) qui affaiblit le centre gauche. Fort de son prestige de Français libre et de ministre du général de Gaulle, René Pleven obtient un siège pour l’UDSR dans les Côtes-du-Nord avec 18,1 % des voix. Il semble donc en mesure de capter une partie de l’héritage électoral du radicalisme dont une autre partie est allée vers le vote communiste. Dans les deux autres départements, les listes radicales ne recueillent que 4 à 5 % des suffrages. Pourtant dans le Finistère, la liste est conduite par l’ancien député Albert Le Bail qui a voté non le 10 juillet 1940 et a été résistant ainsi que sa famille. Manifestement le PCF et la SFIO ont capté une partie du vote radical. En Ille-et-Vilaine, son leader Gasnier-Duparc est malade – il va disparaître – et le radicalisme manque de personnalités d’envergure. En octobre 1945 en Bretagne, le radical-socialiste représente 8,8 % des voix au sens strict, 9,85 % si on y inclut la liste de René Pleven qui se veut différente.
112Quand les positions gauche-droite deviennent plus tranchées sur la Constitution en mai-juin 1946, les radicaux sont victimes d’une polarisation du vote. Dans le Morbihan, avec 9,35 % des voix, la liste Rio n’a plus d’élu et René Pleven (8,8 %) est battu du fait de la présence d’une liste de droite du PRL140. Ce qui semble indiquer qu’une fraction de son électorat venait de la droite et, comme il l’analyse lui-même, cet électorat n’a pas apprécié une liste trop marquée à gauche, clairement laïque avec plusieurs radicaux-socialistes dont le Dr Le Quéré, le président du Conseil général. La 3e place prévue pour un membre de la Jeune République est en fait attribuée à un radical sous la pression de ce parti. En outre l’aile gauche du radicalisme (Michel Geistdoerfer) refuse de soutenir l’alliance avec un UDSR. Pleven est attaqué par le PCF, pour sa politique économique passée, et se dit victime d’une violente campagne du MRP contre le sectarisme laïque de sa liste. Tirant les leçons de son échec, René Pleven va se recentrer en novembre 1946. Seul André Morice a été réélu en Loire-Inférieure. Le radicalisme est tombé à 7,8 % des voix en Bretagne en juin 1946.
113Après avoir fait fermement campagne pour le non à la Constitution en octobre 1946, René Pleven est réélu en novembre ainsi qu’André Morice à Nantes. Les cinq listes RGR (avec celle UDSR-rad.-soc. de Pleven) rassemblent 8,25 % des suffrages, ce qui traduit bien l’affaiblissement du centre gauche laïque en Bretagne et sa marginalisation dans trois départements sur cinq. Là, il n’y a plus d’espace politique à gauche car le terrain de la laïcité républicaine y est occupé par la SFIO et le PCF. D’ailleurs plusieurs notables radicaux (maires et conseillers généraux), souvent des élus d’avant-guerre, vont en tirer les conséquences en s’affiliant en 1947 au RPF. Ceux qui sont réellement de gauche ont rejoint la SFIO fin 1945 ou en 1946. Seules deux personnalités s’imposent réellement au prix d’une alliance avec des radicaux plus modérés pour René Pleven (trois radicaux-socialistes et deux UDSR) et la présence en 3e position du maire modéré (droite) de Saint-Brieuc, Charles Royer. Il fera bientôt alliance avec les indépendants de droite (en 1951)141. Pleven et Morice campent à la charnière du centre gauche et du centre droit. Le radicalisme au sens strict, qui avait encore six députés en 1936, est quasiment éliminé à la Libération passant de deux à un seul élu.

Tableau 10 – Les résultats des partis politiques en Bretagne à l’Assemblée nationale du 10 novembre 1946 (en % des suffrages exprimés)142.
114À gauche, la concurrence est rude entre la SFIO et le PCF qui est le principal gagnant de la guerre, en Bretagne comme dans le pays, du fait de son fort investissement dans la lutte résistante. Les socialistes qui se sont eux aussi battus dans les réseaux et les mouvements sont déçus de leurs résultats électoraux dès octobre 1945. S’ils dépassent encore le PCF en voix dans trois départements sur cinq avec 19,3 % contre 18 % en moyenne régionale, ils sont nettement distancés dans les Côtes-du-Nord (écart de près de 6 points), le département le plus à gauche. Ensuite, conformément à l’évolution nationale, la SFIO recule : en juin 1946 avec 19 % elle est légèrement dépassée par un PCF qui progresse et l’écart s’accroît nettement en novembre 1946 avec 16,1 % contre 22,2 %. Avec sept députés en octobre 1945, la SFIO a perdu un député par rapport à 1936 n’en conservant que deux au lieu de quatre en Loire-Inférieure (19,1 % des voix) mais elle recule fortement dans ce département en 1946 (à 15,8 puis 12 %) des voix, ne conservant qu’un seul élu, le Nazairien Jean-Baptiste Guitton. Dans le Finistère où le PCF la double dès octobre 1945, les deux députés de 1936, Tanguy Prigent et Jean-Louis Rolland sont réélus. En novembre 1946, Jean-Louis Rolland qui va devenir conseiller de la République laisse difficilement la seconde place à Henri Reeb, représentant le sud du département. Le ministre de l’Agriculture Tanguy Prigent considère ces résultats comme injustes et ils les attribuent aux ministères économiques difficiles occupés par les socialistes entraînant la sanction des électeurs. C’est la raison pour laquelle, à la fin 1946 et en 1947, il est favorable au départ de son parti des gouvernements auxquels il appartient143. Dans les Côtes-du-Nord, la SFIO (21,4 %) obtient un député en octobre 1945, Yves Henry. En juin 1946, du fait de l’échec de René Pleven, avec une légère progression (plus 1 %) elle gagne un second siège pour Antoine Mazier qui reste le seul député en novembre 1946. La représentation proportionnelle donne à la SFIO un député dans les deux autres départements bretons avec la réélection d’Albert Aubry en Ille-et-Vilaine, député de 1919 à 1924, et l’élection du résistant Jean Le Coutaller dans le Morbihan. Le Parti socialiste ne conserve que six élus en Bretagne en novembre 1946 (avec un recul de 3 % des voix). C’est le seul parti politique qui conserve en 1945 près de la moitié de ses élus de l’entre-deux-guerres (trois sur sept), notamment parce qu’ils ont été résistants.
115À gauche, la principale nouveauté est la montée en puissance du PCF, à peine amorcée en 1936, mais qui ne cesse de se renforcer en 1945-1946 dans la partie occidentale de la région du fait de son rôle dans la Résistance qu’il valorise dans sa propagande électorale. En effet, le Parti communiste qui n’avait eu que 2,24 % des suffrages en 1932 et 4,1 % en 1936, en recueille près de 18 % en octobre 1945, talonnant la SFIO, et 22,2 % en novembre 1946. Bien qu’inférieure à sa moyenne nationale, cette progression est sensible dans tous les départements, mais surtout dans les villes et dans les régions de tradition bleue de Basse-Bretagne qui votaient socialiste ou radical-socialiste avant-guerre. À cet égard, le rôle des maquis FTP dans le Centre-Bretagne est déterminant dans l’enracinement électoral du PCF. S’appuyant sur ses zones d’implantation au moment du Front populaire (Trégor des Côtes-du-Nord, sud Finistère), ce parti fait d’excellents résultats dans les Côtes-du-Nord où il passe de 27,2 % des voix en 1945 à 31,5 % en 1946 et dans le Finistère où il progresse de 22,3 % à près de 28 %. La poussée est aussi notable dans le Morbihan (de 15 à 22 %). Une fraction importante de l’électorat laïque radical-socialiste ou socialiste rural ne craint plus désormais de voter communiste suivant en cela une tendance nationale. La Basse-Bretagne devient une zone de force du PCF alors que l’Ille-et-Vilaine et la Loire-Inférieure, tout en connaissant une certaine progression, restent réticentes au communisme même s’il talonne les socialistes. Ce sont des « terres de mission » ; la greffe ne prend pas en Loire-Inférieure, le département pourtant le plus industrialisé de la région. Le faible enracinement municipal l’avait déjà montré. En 1945, le PCF a six députés plus un apparenté en Ille-et-Vilaine, le fondateur et chef du mouvement de résistance Libération-Sud, Emmanuel d’Astier de la Vigerie. Il a deux sièges dans les Côtes-du-Nord, deux dans le Finistère, un dans les autres départements. Ce sont des résistants comme Gabriel Paul et Pierre Hervé, dirigeant de Libération-Sud et délégué à l’Assemblée consultative provisoire, élus dans le Finistère. Plusieurs députés sont des cadres d’avant-guerre comme Marcel Hamon, responsable en région parisienne du service B, le service de renseignement des FTP et du PCF, élu dans les Côtes-du-Nord ou Louis Guiguen dans le Morbihan144. En novembre 1946, le militant Alain Signor enlève le 10e siège de député créé dans le Finistère (3 députés sur 10), le PCF ayant huit députés en Bretagne alors que la SFIO n’en a plus que six145. Par ses forces militantes et ses résultats électoraux, le PCF est un parti politique avec lequel il va falloir compter sous la IVe République.
116Soulignons l’existence de noyaux militants trotskistes du Parti communiste internationaliste (PCI). En juin et en novembre 1946, le PCI présente une liste dans le Finistère où il recueille 1 % des suffrages (4 151 et 3 934 voix). Il existe aussi une liste du PCI en Loire-Inférieure en novembre 1946.
117À l’issue des nombreuses séquences électorales de la Libération, plusieurs éléments peuvent être soulignés. D’une part, le renouvellement générationnel des élus est important tant au niveau local qu’au plan parlementaire, pour des raisons d’âge mais surtout pour des raisons politiques. Toutefois, il est plus marqué dans les départements où le tripartisme est le plus puissant (Côtes-du-Nord, Finistère) mais moins net en Haute-Bretagne où les hommes de la droite traditionnelle résistent mieux même quand ils rejoignent le MRP. Les bastions des zones blanches de la droite conservatrice (Léon, Vannetais, Vitréen, campagnes de Loire-Inférieure) sont à peine ébranlés par la guerre. Là, certains édiles de droite ou du centre ont été résistants, mais d’autres maréchalistes, voire vichystes, révoqués par les CDL à la libération, sont réélus maire, voire conseiller général par leurs concitoyens. Il peut aussi y avoir continuité à gauche, surtout à la SFIO, dont bon nombre d’élus ont été résistants. C’est aussi le cas, au niveau local, pour des radicaux-socialistes. Les hommes nouveaux apparaissent surtout au centre droit au sein du MRP, même si certains parlementaires résistants viennent du PDP, et à gauche au PCF où une nouvelle génération issue de la Résistance accède aux fonctions électives mais il s’agit souvent de cadres communistes des années 1930. Néanmoins, le renouvellement des hommes, avec quelques femmes, dans la 1re Assemblée constituante de 1945 est important car six députés de 1936 seulement sur 38 sont réélus, sept avec le retour d’Albert Aubry en Ille-et-Vilaine (18,4 %), dont quatre de gauche146. La moyenne d’âge est de 44 ans et deux mois avec comme benjamin le communiste brestois Gabriel Paul, 27 ans. Or, dès juin 1946, ils ne sont plus que quatre rescapés, deux des trois autres ayant été battus, et trois en novembre 1946. Il y a donc 90 % de nouveaux élus dans la 2e Assemblée constituante. Avec quelques modifications de personnes, pour l’essentiel le personnel parlementaire breton de la IVe République est en place en novembre 1946 jusqu’en 1956 ou 1958 pour les principaux députés.
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118Le changement des hommes signifie-t-il un bouleversement politique ? Les résultats électoraux globaux plaident plus pour une certaine continuité des rapports de force droite/gauche en Bretagne même si le glissement vers la gauche est marqué par la forte présence du PCF, ce qui transforme assurément les pratiques militantes. Aux partis de notables d’avant-guerre se substituent, du moins à gauche et même au MRP, des partis de militants, même si la SFIO paraît moins dynamique. Cette mutation engagée dans les années 1930 s’affirme à la Libération mais le reflux partisan est rapide en Bretagne comme ailleurs dès 1948.
119Le bloc de droite reste majoritaire même si un glissement vers le centre droit s’est produit avec l’hégémonie du MRP. Alliés ou séparés, le MRP et la droite traditionnelle frôlent la majorité absolue des suffrages exprimés avec 49,92 % dès octobre 1945, puis progressent ensuite à 52,6 % en juin 1946 et 54,1 % en novembre 1946. Jamais présents dans les cinq départements à la fois, incapables de s’unifier dans le PRL, les héritiers des droites dures des années 1930 (Conservateurs plus ou moins monarchistes, Fédération républicaine, PSF, Alliance Démocratique, ligues…) sont réduits à la portion congrue (13-14 % des voix, 19,8 % même en juin 1946). Du coup, à droite et au centre droit, ils libèrent un vaste espace politique occupé par la démocratie chrétienne qui présente une nouvelle génération de candidats et de candidates issus de la Résistance tout en s’appuyant sur de solides relais dans la presse, l’Église catholique, les organisations agricoles, syndicales (CFTC) et familiales. Absorbant l’ancien PDP et une partie de la Jeune République, le MRP parvient à capter un vaste électorat catholique de droite et du centre attiré pour certains par une politique progressiste de réformes sociales. Cet ensemble composite fait passer le MRP de 36,4 % des suffrages en 1945 à 40 % en 1946. Cette nouvelle donne à droite bouleverse pour un temps le paysage politique lui conférant une configuration plus centriste, riche d’évolutions ultérieures.
120Les deux partis de gauche se réclamant du marxisme n’obtiennent qu’un peu plus d’un tiers des suffrages en Bretagne, exactement 37,3 % des voix en octobre 1945 comme en novembre 1946 (38,9 % en juin 1946) car aux gains communistes répondent les pertes socialistes. Ici où la, des listes de résistance et celles du PCI minorent un peu ces résultats. Comme avant-guerre, les Côtes-du-Nord sont nettement à gauche passant de 48,7 % des voix (PCF-SFIO) à 51,5 %, suivis du Finistère avec 44 % environ. Ces partis sont plus faibles ailleurs : ils progressent dans le Morbihan (37,2 % à la fin 1946) et un peu en Ille-et-Vilaine (34 %) mais régressent en Loire-Inférieure de 30,6 % en 1945 à 25,1 % en 1946. Malgré la Basse-Loire urbaine et industrielle, ce département reste bien un bastion de la droite traditionnelle en Bretagne car le MRP, en position centriste, y est moins fort. La question est de savoir où situer le centre gauche laïque issu du radicalisme qui, quoiqu’affaibli, pèse encore entre 8 et 10 % des voix. Bien qu’anticommuniste, une fraction de cet électorat centriste – mais dans quelle proportion ? – vient de la gauche ; ses élus vont se positionner à la charnière du centre gauche et du centre droit. Des reclassements vers le centre droit s’opèrent au sein du RGR dès 1946 et ils vont être accentués vers la droite avec la vague RPF de 1947-1951. À la Libération, dans une certaine permanence des comportements et des tempéraments politiques mis en valeur par André Siegfried avant 1914147, la Bretagne reste bien ancrée à droite mais avec une forte évolution vers le centre droit républicain représenté par la démocratie chrétienne d’une part, et vers le vote communiste de l’autre au détriment de la SFIO qui tend à régresser. Le centrisme laïque, dans sa composante radicale-socialiste, déjà laminé en 1936, sort affaibli et divisé de la guerre même si quelques personnalités comme René Pleven à l’UDSR et André Morice au Parti radical vont jouer un rôle politique national dans les gouvernements de la IVe République. De fait, la guerre, Vichy et l’Occupation ont redistribué les cartes à l’intérieur de chaque camp en accélérant les mutations en cours à la fin des années 1930, mais sans modifier radicalement les rapports droite/gauche. Bien qu’affaiblie, sauf en Loire-Inférieure, la droite traditionnelle dispose des bases d’une reconquête qui se manifeste très rapidement avec la rupture du tripartisme sous les couleurs du RPF, le parti gaulliste, dès les élections municipales de 1947. La guerre n’a pas vraiment modifié la géopolitique régionale de la Bretagne qui conserve une société rurale imprégnée de catholicisme. Même atténuée à la Libération, la question religieuse et scolaire constitue toujours un facteur discriminant du vote.
Notes de bas de page
1 Il s’est blessé en s’évadant en Loire-Inférieure du train qui le conduit en déportation.
2 Cédérom DBMOF. Notice Claude Geslin.
3 L’analyse de Noëlline Castagnez, Socialistes en République. Les parlementaires SFIO de la IVe République, Rennes, PUR, 2004, est confirmée par l’exemple breton.
4 Olivier Wieviorka, op. cit., p. 400-401 et 407.
5 Il s’agit des sénateurs Y. Bouguen, A. Gasnier-Duparc et P. Michel et des députés J. Crouan, E. Pezet et P. Sérandour, tous les trois résistants. Trois sont des Côtes-du-Nord.
6 Le chanoine Desgranges, P. Gillet, G. La Chambre, H. Nader, A. Rio. Les élus bretons représentent 6,35 % des relevés français.
7 Olivier Wieviorka, op. cit., p. 392-393.
8 Id., p. 376.
9 Id., p. 252.
10 Tanguy Prigent, ministre de l’Agriculture, et Jean-Louis Rolland (SFIO), Albert le Bail et Pierre Mazé (radicaux-socialistes), Paul Simon et Pierre Trémintin (PDP), Jean Crouan, Hervé Nader, Paul Ihuel (FR-URD).
11 Pierre Hervé et Emmanuel d’Astier de la Vigerie (PCF et apparenté PCF), René Pleven (UDSR), Pierre-Henri Teitgen et André Colin (MRP).
12 Yves Rannou, Yves Milon. De la Résistance à la mairie de Rennes, Rennes, Apogée, 2006, chap. IV et V.
13 AD Côtes d’Armor. 20 W 86.
14 Aux élections cantonales, Jézéquel élimine l’ancien sénateur Bouguen (AD) au premier tour et bat Marjou, le candidat de la gauche unie au second. En 1948, il deviendra sénateur UDSR des Côtes-du-Nord.
15 Le préfet Gamblin était favorable à la levée de son inéligibilité refusée par le jury d’honneur.
16 Christophe Rivière, Approche de la légitimité politique des notables bretons, DEA, Brest, UBO, 2002, p. 175-183.
17 C’est le cas du maire URD de Limerzel Antonin de la Peyrade dont la famille contrôle le pouvoir municipal depuis des lustres. Pétainiste actif, condamné à 5 ans de dégradation nationale par la Chambre civique en novembre 1944, il est réélu maire contre un résistant nommé maire à la Libération.
18 Les élections n’ont pas encore eu lieu dans cette commune située près du front de la poche de Lorient.
19 Par exemple, 378 CLL dans les Côtes-du-Nord (96,7 % des communes).
20 Christian Bougeard, Le choc de la guerre dans les Côtes-du-Nord 1939-1945, Paris, éd. Jean-Paul Gisserot, 1995, p. 130-133.
21 Hélène Conan, La transition des pouvoirs à la Libération dans l’arrondissement de Quimper (août 1944-septembre 1945), maîtrise d’histoire, Brest, UBO, 1997, p. 41-45.
22 Ronan Lollier, Élites politiques locales dans l’arrondissement de Châteaulin 1929-1953, maîtrise d’histoire, Brest, UBO, 2007, p. 49-51 et 57-67.
23 Jacqueline Sainclivier, L’Ille-et-Vilaine 1918-1958, op. cit., p. 273-276.
24 Hélène Conan, op. cit., p. 30-34. Le communiste P. Guéguin a été fusillé comme otage à Châteaubriant et le socialiste Guy Le Normand tué par les FTP.
25 Les sénateurs Queinnec, Halna du Frétay et les députés Montfort et Lohéac sont révoqués et inéligibles
26 Christian Bougeard, « Élites et notables des Côtes-du-Nord », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, t. 105, 1998, no 1, p. 112.
27 Christian Bougeard, id., p. 112 et 118 et Christophe Rivière, DEA cité, p. 172-173.
28 Ronan Lollier, op. cit., p. 75-79. 11 maires maintenus par Vichy sont réélus ainsi que 3 maires révoqués mais seulement 2 maires démissionnaires pendant la guerre sur 16.
29 Christophe Rivière, DEA cité, p. 184-190.
30 Jacqueline Sainclivier, op. cit., p. 286-289.
31 AD Ille-et-Vilaine. 43 W 139. Le pourcentage des femmes dans l’électorat varie de 52,2 % dans le Morbihan, et 52,6 % dans le Finistère à 57,3 % en Ille-et-Vilaine.
32 C’est une municipalité centriste, voire de droite, selon sa composition en 1947 (6 SFIO, 2 RGR, 4 MRP, 13 RI, 2 RPF).
33 Edmond Monange dans Marie-Thérèse Cloître (dir.), Histoire de Brest, Brest, CRBC-UBO, 2000, p. 239-251.
34 Les Socialistes dans le Finistère (1905-2005), collectif, Rennes, Apogée, 2005, p. 158-161.
35 Paul Bois (dir.), Histoire de Nantes, op. cit., p. 400-401.
36 AN. F/1cII/132 A. Loire-Inférieure.
37 Claude Nières (dir.), Histoire de Lorient, Toulouse, Privat, 1988, p. 269.
38 Régis Moreau, Les évolutions politiques à Quimper de la Libération à l’aube des années 1970, maîtrise d’histoire, Brest, UBO, 2001.
39 Virginie Amailland, Les élus municipaux et les conseillers généraux de Vannes et du Morbihan (1935-1945), master, Brest, UBO, 2010-2011.
40 Agnès, la fille de Mme de Nanteuil, agente de liaison des chefs de l’AS, est morte lors du voyage vers la déportation. Francis Decker appartient à la famille du colonel Rémy.
41 Ronan Lollier, op. cit., p. 69-79.
42 Les 24 maires qui ont l’étiquette de républicains de gauche, c’est-à-dire sans doute issus du camp laïque, peuvent être classés au centre droit.
43 Christian Bougeard, thèse citée, p. 1644-1647.
44 Jacqueline Sainclivier, L’Ille-et-Vilaine…, op. cit., p. 285-286.
45 AN. F/1cII/132 A. Finistère. Loire-Inférieure. Morbihan.
46 IXe congrès d’Arles (décembre 1937), décembre 1944, Xe de Paris (juin 1945), décembre 1946 pour le XIe congrès de Strasbourg (juin 1947) avant la rupture du tripartisme.
47 Le taux est de 92,7 % dans les Côtes-du-Nord, 94,7 % en Ille-et-Vilaine, 96,3 % dans le Morbihan.
48 Les chiffres de 1945 et de 1946 sont des estimations fournies par les sources préfectorales. Pour les chiffres du PCF voir Jean-Pierre Scot, « Stratégie et pratiques du PCF, 1944-1944 », collectif, Le PCF étapes et problèmes 1920-1972, Paris, Éd. sociales, p. 282-290.
49 Christian Bougeard, thèse citée, p. 1656-1678.
50 Jacqueline Sainclivier, op. cit., p. 310-311.
51 Christian Bougeard , art. cite ; Jacqueline Sainclivi er, op. cit. ; Christophe Riviere, DEA cite et « Les mouvements gaullistes dans le Morbihan, 1946-1958 », Société Polymathique du Morbihan, t. CXXXI, 2005, p. 277 ; Les Socialistes dans le Finistère, op. cit. Pour le Morbihan, ce sont des donnees de mai 1945 avant les clarifications ulterieures. Ainsi, 12,3 % des conseillers elus sont consideres comme « indetermines ». Pour les Cotes-du-Nord et le Finistere, les chiffres des maires sont ceux du debut 1947 apres les reclassements de 1945-1946.
52 24,6 % des conseillers municipaux des Côtes-du-Nord sont élus en 1945 sous l’étiquette des mouvements de résistance dont 23 % au titre du FN et 1,3 % pour le MLN, ce qui rend la classification politique difficile. Néanmoins, la grande majorité des élus FN va ensuite se distribuer à gauche entre le PCF, la SFIO et les radicaux. Ainsi les conseillers municipaux des deux partis marxistes sont en réalité plus nombreux que ne l’indique le tableau 2.
53 AD Côtes d’Armor. 20 W 93.
54 Jean-Noël Retière, Identités ouvrières…, op. cit., p. 151-160. Gâvres élit un maire communiste, patron pêcheur.
55 Christophe Rivière, Approche de la légitimité politique des notables bretons, DEA, UBO, 2002, p. 195-196 et 178-179.
56 AN. F/1cII/132 A. Rapport du préfet du 27 avril 1946.
57 Jacqueline Sainclivier, L’Ille-et-Vilaine 1918-1958, op. cit., p. 288-289. Les données pour l’arrondissement de Redon sont incomplètes.
58 Jacqueline Sainclivier, op. cit., p. 306-309.
59 Christian Bougeard, « La fédération socialiste des Côtes-du-Nord 1944-1948 », Recherche socialiste, no 4, 1998, p. 35-46.
60 Jacqueline Sainclivier, op. cit., p. 306-307.
61 L’OURS. Congrès de la SFIO.
62 Jacqueline Sainclivier, op. cit.
63 Christian Bougeard, thèse citée, p. 1702-1709.
64 Au 1er tour, les radicaux ont présenté 29 candidats (sur 48 sièges) et recueilli 54 000 voix, la SFIO 42 000 voix, le PCF (20 candidats), 37 000 voix.
65 Il adhère à la SFIO en juin 1946 ; le journal de René Pleven lui demande de démissionner de ses mandats.
66 Il a eu un fils tué dans les FFL.
67 Gilles Le Béguec, « Le Rassemblement des gauches républicaines », Gilles Richard et Jacqueline Sainclivier (dir.), La Recomposition des droites en France à la Libération 1944-1948, Rennes, PUR, 2004, p. 241-253.
68 En 1948, il devient conseiller de la République (RGR-radical) sur la liste soutenue par René Pleven.
69 Christian Bougeard, René Pleven. Un Français libre en politique, Rennes, PUR, 1995.
70 Éric Duhamel, L’UDSR ou la genèse de François Mitterrand, Paris, CNRS éd., 2007, 1re partie.
71 AD Côtes d’Armor. 1 W 46. Renseignements généraux.
72 D’après le Petit Bleu des Côtes-du-Nord, Yves Jézéquel a eu un fils fusillé et une fille morte en déportation. En juin et en novembre 1946, il est en 7e puis en 5e position sur la liste Pleven et il devient conseiller de la République UDSR en 1948. En 1947, il a été élu au comité directeur du parti.
73 Pourtant, en septembre 1947, seulement 36 conseillers municipaux des Côtes-du-Nord sont classés comme UDSR (0,7 %).
74 Christophe Rivière, DEA et article cités.
75 Voir les remarques du tableau 2. Même composition. Sources: Christian Bougeard, thèse citée; Christophe Rivière, DEA cité; D. Bensoussan, thèse citée, p. 1345. Les chiffres cites par D. Bensoussan sont parfois différents a quelques unités près des données départementales que nous avons retenues.
76 AD Côtes d’Armor. 20 W 93.
77 Sylvie Eugène, Les démocrates chrétiens du Finistère de 1945 à 1958, maîtrise d’histoire, Brest, UBO, 1990.
78 Le RPF prend ainsi 36 municipalités au MRP.
79 Virginie Amailland, master cité.
80 Jacqueline Sainclivier, op. cit., p. 312-317.
81 Christian Bougeard, « Le MRP des Côtes-du-Nord sous la IVe République », Mélanges Jacques Charpy, Charpiana, 1991, p. 433-442.
82 Sylvie Eugène, op. cit., p. 38-50.
83 Sources : Renseignements généraux et sources MRP.
84 Pour le Finistère, un rapport ministériel attribue ainsi 3 000 membres au MRP dès mai 1945 et 10 000 en mars 1946 alors qu’un rapport des RG en donne 2 000 en octobre 1945 et 3 000 au début de 1946.
85 Pierre Letamendia, Le MRP. Histoire d’un grand parti français, Paris, Beauchesne, 1995, p. 193-213.
86 Il rejoint les indépendants et paysans et sera réélu député en 1951 sur la liste Pleven.
87 Gilles Richard et Jacqueline Sainclivier (dir.), La Recomposition des droites en France à la Libération 1944-1948, Rennes, PUR, 2004.
88 Ils sont sans doute plus nombreux car une importante partie des 12,3 % de conseillers classés « indéterminés » appartient à cette mouvance. En Loire-Inférieure, il y avait 106 maires conservateurs sur 220 en 1935 (48,2 %). Nous ne disposons pas des chiffres à la Libération.
89 La Recomposition des droites, op. cit., François Audigier, « L’impossible retour de l’Alliance démocratique », p. 167-175 et Rosemonde Sanson, « L’Alliance démocratique en 1947-1948. Doctrine et programme », p. 177-189.
90 Id., Jean-Paul Thomas, « Réseaux et enjeux des droites en 1944-1945 », p. 137-150.
91 Id., Mathias Bernard, « Le Parti Républicain de la Liberté (PRL) ou l’impossible union des droites (1946-1948) », p. 191-203.
92 Id., David Bensoussan, « Le Parti paysan d’union sociale », p. 205-216.
93 Id., Bernard Lachaise, « L’Union gaulliste en 1946 », p. 217-228.
94 Id., Mathias Bernard, p. 192-197.
95 Jacqueline Sainclivier, L’Ille-et-Vilaine. 1918-1958, op. cit., p. 318-319.
96 AN. F/1cII/132 A. Morbihan.
97 Christophe Rivière, « Les mouvements gaullistes dans le Morbihan, 1946-1958 », Société Polymathique du Morbihan, t. CXXXI, 2005, p. 253-263.
98 Bernard Lachaise, « L’Union gaulliste pour la IVe République », La genèse du RPF, Paris, Cahiers de la Fondation Charles de Gaulle, no 4, 1997.
99 La dénonciation est sans appel : « Vous et vos amis nous vous laissons avec vos néo-gaullistes, tel M. Danilo, ex-candidat MRP, ex-pétiniste (sic) porteur de la francisque, avec M. du Halgouët héritier de son père devenu inéligible, avec M. Marcellin venu d’on ne sait où… »
100 La radicale Angèle Desse-Le Port, infirmière FFI, proche du Parti radical, est en 4e position.
101 AD Côtes d’Armor. 20 W 79. Élections 1945-1946.
102 En juillet 1945, un jury d’honneur l’a déclaré inéligible mais cette interdiction a ensuite été levée.
103 Archives privées de Jean Crouan. Documents aimablement transmis par son petit-fils Erwan Crouan. Lettres du 5 octobre 1945.
104 AN. F/1cII/132A. Finistère et Loire-Inférieure.
105 Il s’agit sans doute du père de Francis Decker, militant du PSF d’avant-guerrre, dont le fils est élu maire MRP de Vannes en 1945 et conseiller général RPF en 1951.
106 David Bensoussan, op. cit., p. 205-207.
107 Le groupe paysan compte six membres et cinq apparentés à l’Assemblée en octobre 1945, sept membres et deux apparentés en juin 1946, neuf en novembre 1946.
108 Signalons seulement le ralliement à son groupe parlementaire du député de Loire-Inférieure Étienne Toublanc en 1949.
109 Christian Bougeard, « Les droites dans les élections cantonales de 1945 à 1949 », La Recomposition des droites en France à la Libération, op. cit., p. 257-269.
110 Virginie Amailland, master cité. Il y a 13 URD, 5 MRP et 1 JR contre 14 radicaux-socialistes et 5 SFIO.
111 Dans le Morbihan, le préfet souligne que les femmes ont plus voté que les hommes.
112 Christophe Rivière, Notables municipaux et élus départementaux en Morbihan 1932-1959, maîtrise d’histoire, UBO, 1998, p. 72-73.
113 Christian Bougeard , op. cit. ; Hélène Conan, maîtrise citée ; Jacqueline Sainclivi er, L’Ille-et-Vilaine, op. cit., p. 289 ; Christophe Rivière, maitrise citée, p. 54. En l’absence de sources détaillées, pour l’Ille-et-Vilaine et la Loire-Inférieure nous avons repris la situation à la veille des élections cantonales de mars 1949 dans L’AP 1949, p. 444-445.
114 Christian Bougeard, « Les droites dans les élections cantonales », op. cit., p. 259.
115 Jacqueline Sainclivier, L’Ille-et-Vilaine, op. cit., p. 289.
116 Les résultats des élections cantonales ne sont qu’indicatifs car les partis politiques ne présentent pas des candidats dans tous les cantons et on ne peut pas les comparer avec 1937 où seulement la moitié des siéges des conseils généraux avaient été renouvelés.
117 Hélène Conan, op. cit., p. 86-97.
118 L’année politique (AP) 1949, p. 444-445 et Archives nationales (AN), F1c II. 271. Cantonales 1949.
119 En France, 46 conseillers généraux sur 2 990 ont encore cette étiquette.
120 AN. 1/FcII/132 A. Loire-Inférieure.
121 AN. F/1c//266. Cantonales. Octobre 1945.
122 AN. F/1cII/132 A. Morbihan et Loire-Inférieure.
123 Une élection partielle à Mûr-de-Bretagne en 1947 permet à la SFIO de gagner un 13e canton.
124 L’UDSR et le MLN ont 44 élus en France en septembre 1945.
125 Jean Pascal, op. cit., et pour l’Ille-et-Vilaine Jacqueline Sainclivier, op. cit., p. 296.
126 Jacqueline Sainclivier, L’Ille-et-Vilaine, op. cit., carte p. 291 et p. 289-303.
127 Fonds privé Crouan. Lettre du 5 octobre 1945.
128 Elle se compose de trois cultivateurs, deux vétérinaires et une infirmière, un seul conseiller général et deux maires dont l’industriel Corentin Hénaffde Pouldreuzic. Il y a cinq anciens combattants de 14-18 sur 9 et à part Crouan un seul résistant de Libé-Nord (en 8e position).
129 Elle ne compte plus qu’un seul maire et une déportée politique, veuve de déporté politique (en 5e position).
130 Sa liste est la seule à ne présenter aucune femme.
131 . D’après Jean Pascal, Les députés bretons de 1789 à 1983, Paris, PUF, 1983.
132 Le PRL René Dubois, maire et conseiller général de La Baule, élu en juin 1946, démissionne en novembre 1948 quand il devient sénateur. Il est remplacé par le PRL Étienne Toublanc.
133 Christophe Rivière, art. cité, p. 261-263.
134 Elle a perdu deux fils à la guerre, l’un tué en 1940, l’autre en Provence en 1944.
135 Christian Bougeard, « Marie-Madeleine Dienesch : une carrière politique féminine méconnue », Clio, no 8/1998, p. 235-248.
136 Il y a 17 députées communistes et six socialistes.
137 Il y a 35 femmes à l’Assemblée nationale de 1946 dont Hélène Chevalier-Le Jeune qui remplace un député communiste des Côtes-du-Nord entré au Conseil de la République.
138 Jean Pascal, op. cit., p. 546 et Jacqueline Sainclivier, op. cit., p. 301.
139 Le non l’a très nettement emporté en Loire-Inférieure.
140 Christian Bougeard, René Pleven, op. cit., p. 173-177.
141 En 1948, Pleven fait élire trois notables centristes au Conseil de la République : le leader radical André Cornu, l’UDSR Yves Jézéquel et un ex-MRP.
142 Jean Pascal, op. cit., p. 546 et Jacqueline Sainclivier, op. cit., p. 301.
143 Christian Bougeard, Tanguy Prigent, paysan ministre, op. cit., chap. IX et X.
144 Pour les biographies de ces militants, voir nos notices dans le Maitron (DBMOMS), série 1940-1968, 6 tomes parus en 2010, ainsi que celles d’Alain Prigent et de François Prigent sur les socialistes.
145 Dans les Côtes-du-Nord, Auguste Le Coënt remplace Guillaume Daniel et est remplacé à son tour par Hélène Chevalier-Le Jeune quand il entre au Conseil de la République.
146 Trois socialistes (T. Prigent et J.-L. Rolland, A. Aubry), un radical-socialiste (A. Rio), trois de droite (J. Crouan, E. Pezet, P. Ihuel).
147 Jacqueline Sainclivier, « Les comportements électoraux en Bretagne de 1936 à 1946. Rupture ou continuité ? », Géographie sociale 6, octobre 1987, p. 157-165.
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