Chapitre V. Vers la radicalisation des droites dans les années 1930
p. 173-207
Texte intégral
1Des divisions internes profondes, les effets de la Grande Dépression du début des années 1930 qui aggravent la crise politique et la victoire nationale des gauches aux élections législatives de 1932 et de 1936 provoquent au sein des droites bretonnes des phénomènes de recomposition et un durcissement des pratiques politiques et du discours idéologique. Dans un contexte d’affrontement de plus en plus frontal, on assiste à un renforcement des structures partisanes des forces de droite. Les réseaux notabiliaires ne semblant plus suffisants pour résister aux poussées ligueuses des droites extrêmes, l’organisation de partis politiques plus structurés devient une nécessité tout en s’appuyant sur les relais traditionnels.
L’Alliance républicaine ou l’évolution du centre droit laïque vers la droite
2Tout d’abord, poursuivant un glissement engagé, des notables et des partis républicains laïques qui campaient au centre droit évoluent vers la droite. Ainsi l’Alliance républicaine démocratique (ARD), redevenue l’Alliance démocratique (AD), est poussée vers la droite de l’échiquier politique à la fois par sa réorganisation et par la progression des gauches marxistes (SFIO et PCF). Ce reclassement politique qui passe par les notables en place est engagé bien avant 1936. C’est le cas dans les Côtes-du-Nord du polytechnicien poincariste Yves Le Trocquer qui préfère gagner le Sénat en octobre 1929 laissant son siège à Oswen de Kérouartz (député de Guingamp 2 de 1930 à 1936). Pour se faire élire, de Kérouartz porte la même étiquette de républicain de gauche que Le Trocquer mais il est le fils d’un grand propriétaire terrien, ancien député (1898-1902) et sénateur (1912-1919) conservateur des Côtes-du-Nord1. L’itinéraire politique d’Yves le Trocquer illustre parfaitement le glissement vers la droite dans les années 1930 de certains notables laïques contestés par une gauche radicale-socialiste ou socialiste SFIO de plus en plus combative. Au Sénat, il pourrait passer pour un homme de centre gauche en devenant président du groupe de l’union démocratique et radicale tout en étant vice-président du Parti de l’Alliance républicaine démocratique (ARD)2. Mais dans sa région, ce centriste évolue nettement à droite. Il ne peut pourtant pas être assimilé à la droite catholique même s’il a recherché une entente avec les démocrates populaires pour former une liste commune en 1924.
3Son collègue Maurice Bouilloux-Lafont, député de Quimper depuis 1914, membre de l’ARD, puis du Parti républicain démocratique et social (PRSD) de 1920 à 1926, a suivi le même parcours jusqu’à sa défaite en 1932 face au radical-socialiste (RS) Pierre Pouchus3. Lui aussi avait tenté une entente avec les démocrates-chrétiens en 1919, rejetée aussi bien par les radicaux-socialistes intransigeants comme Georges Le Bail que par les catholiques conservateurs. Ces deux exemples illustrent l’impossible convergence au centre, en Bretagne, de républicains laïques et catholiques dans les années 1920, ce qui a rejeté à droite électoralement les hommes du PDP. De 1926 à 1929, les modérés de l’ARD ont été le principal soutien, avec des radicaux indépendants, des gouvernements de Raymond Poincaré, dirigeant de ce parti. Mais le retrait de la vie politique du président du Conseil au profit d’André Tardieu, nettement à droite, embarrasse les modérés du camp laïque qui se retrouvent aux côtés des droites catholiques. Trois députés centristes prennent leurs distances4. Certains souhaiteraient revenir à des gouvernements de concentration au centre gauche avec les radicaux. Alors qu’en 1928, 33 députes bretons avaient investi Poincaré, en décembre 1930 vingt députés bretons contre 21 votent pour le gouvernement Steeg axé au centre gauche. Les droites catholiques se retrouvent seules dans l’opposition5. Cependant, opposés aux gouvernements de gauche de 1932 à 1934 et surtout au Front populaire après 1936, ces notables centristes et laïques évoluent vers la droite comme leur parti l’Alliance démocratique (AD ou ARD)6.
4Ces leaders ont assuré la représentation départementale de l’ARD sans qu’on puisse toujours en saisir une organisation permanente en dehors des périodes électorales. L’activité du parti tient beaucoup à la présence d’élus sur le terrain. Pourtant, à la fin de 1933 et au début de 1934, après sa prise de direction par Pierre-Etienne Flandin, l’Alliance démocratique semble s’organiser dans la région à la suite de tournées de propagande. Dans les Côtes-du-Nord, René Jossier, membre du comité directeur, invité par l’ancien député et maire de Saint-Brieuc (1919-1925) Armand Waron, attire peu de monde dans ses réunions7. Dénonçant « la gabegie actuelle » des gouvernements de gauche, les scandales politico-financiers et une fiscalité inadaptée, il appelle à la réforme de l’État, un thème à la mode repris par toutes les droites notamment par André Tardieu, le vaincu de 1932. Il s’agit, surtout après le choc du 6 février 1934, d’organiser une fédération et de soutenir le gouvernement Doumergue auquel participent des dirigeants issus de l’ARD comme André Tardieu et Louis Barthou. Au début 1935, ce parti compterait environ 200 membres dans les Côtes-du-Nord dont 30 à Saint-Brieuc, de recrutement urbain et principalement dans la bourgeoisie commerçante8. À l’approche des élections municipales de 1935, et contre le Front populaire, le glissement à droite y est très net. Des responsables de l’ARD participent à « un comité républicain anticollectiviste » à Saint-Brieuc et l’animent à Dinan9. À Lannion, au début 1935, des papillons de ce comité dénoncent « les buts du Front populaire : violer, tuer, incendier ». Des notables républicains modérés s’alignent désormais sur une droite dure reprenant le discours et les thématiques du Centre des Républicains nationaux qui mène des campagnes d’affiches. Mais l’Alliance qui n’a plus les moyens de présenter un candidat aux élections cantonales à Saint-Brieuc, à la fin 1934, semble divisée entre une aile droite et une aile gauche qui serait prête à soutenir un candidat radical indépendant. Appuyée principalement sur des élus locaux portant l’étiquette des républicains de gauche, l’ARD voit son influence décliner de 1936 à 1939. Après la mort du sénateur Le Trocquer le 21 février 1938, on ne trouve plus trace d’une organisation militante dans les Côtes-du-Nord.
Les facteurs de dissociation au sein des droites catholiques
5Engagé à la fin du XIXe siècle avec le Ralliement des catholiques à la république, l’affaiblissement continu des monarchistes, la montée en puissance d’une droite républicaine avec la Fédération de Louis Marin et l’émergence d’un parti démocrate-chrétien au milieu des années 1920, le processus de division des droites catholiques est sensible en Bretagne. Il s’accélère avec la condamnation de l’Action française de 1926 à 1929 et débouche sur une crise de la presse catholique. Affaiblie, sauf en Loire-Inférieure où le Comité de la droite fait encore la loi, la fraction la plus conservatrice de la droite bretonne tente néanmoins de se regrouper au début des années 1930 pour contrecarrer une évolution qui tend à la marginaliser sur l’échiquier politique régional10.
6La condamnation de L’Ouest-Éclair par le tribunal de l’Officialité de Rennes le 18 janvier 1930, puis la crise interne au journal qui se solde par le départ mouvementé en juillet de l’abbé Trochu11, l’un des leaders des abbés démocrates depuis plus de 30 ans, reflètent les conflits internes au Parti démocrate populaire (PDP) qui a remporté des succès électoraux en 1928. Les conservateurs vont tenter de profiter de cet affaiblissement pour prendre leur revanche sur leurs adversaires de toujours. Dès le 19 février 1930, La Province annonce un congrès à Rennes pour opérer « un grand regroupement à droite » et « regagner pied à pied le terrain perdu depuis surtout deux ans ». Du 28 au 30 mars 1930, se tient donc à Rennes le congrès constitutif de l’Alliance nationale de l’Ouest (ANO) qui s’étend des monarchistes les plus convaincus à l’aile droite de la Fédération républicaine12. Tous communient dans la même haine des démocrates-chrétiens s’affirmant nationalistes et partisans pour certains de l’instauration d’un État chrétien13. Mais peu de personnalités politiques de premier plan se sont déplacées d’autant plus que l’épiscopat, par le canal du Nouvelliste de Bretagne, a condamné cette initiative. En outre, les parlementaires de l’URD ne souhaitent pas s’afficher avec des monarchistes et des battus du suffrage universel, sauf en Loire-Inférieure où prime encore « l’union des droites ». À partir de 1934, avec les ligues et le dorgérisme, l’ANO participe au processus de radicalisation des droites.
7Mais c’est au sein de la Fédération républicaine (FR) qu’un pôle républicain conservateur se structure en Bretagne au début des années 1930 non sans quelques ambiguïtés14. À droite, de nombreux élus ainsi que de nombreux candidats se réclament ou sont classés URD, ce qui ne signifie pas pour autant leur appartenance au parti de Louis Marin. Il peut s’agir de conservateurs, voire de monarchistes ralliés au régime, comme de véritables républicains modérés, tous étant catalogués dans le camp catholique. Mais ce glissement traduit une mutation sociologique en cours des élus de droite dans les mairies et les conseils généraux : de l’aristocratie rurale vers la bourgeoisie catholique urbaine. La FR a créé une section à Quimper en 1927 avec des personnalités de droite15. Elle attire des élus de l’aile droite du PDP ou des sympathisants16. Bientôt s’ajoutent des sections à Brest et à Morlaix, donnant en mai 1931 une fédération départementale.
8Un processus identique se déroule en Loire-Inférieure autour du sénateur Louis Linyer (élu en 1927) et de Gustave Gautherot en s’appuyant sur la bourgeoisie urbaine17. Mais la FR est là sous la tutelle des monarchistes qui contrôlent le Comité de la droite. Pourtant, à l’approche des élections législatives de 1932 la création d’un Comité d’union républicaine laisse percer les rivalités avec les hobereaux qui ripostent en créant un Comité d’union nationale. La FRI du Morbihan ne s’active guère qu’en période d’élections. Ailleurs il existe des réseaux de notables, sous la tutelle d’Alexandre Lefas en Ille-et-Vilaine et de Victor Le Guen dans les Côtes-du-Nord, sans véritable parti organisé. La création de l’ANO est d’ailleurs un moyen de phagocyter ces élus proches de la FR. Eugène Delahaye essaie d’obtenir l’accord de Louis Marin pour convaincre des notables réticents. Mais les adversaires de l’AF allument des contrefeux. Le contrôle de la FR devient un enjeu politique entre les conservateurs et les modérés. Au total, les parlementaires de droite conservent leur autonomie : tous ne s’inscrivent pas au groupe de l’URD en 1932. Les droites catholiques divisées et peu structurées sont fragilisées lors de ces élections de 1932 par les rivalités internes mais aussi par une certaine usure du pouvoir des gouvernements de centre droit qu’elles ont soutenus depuis 1928.
L’échec des droites aux élections législatives de 1932
9Les droites catholiques, conservateurs et Fédération républicaine, sont touchées en Bretagne comme au niveau national par la poussée électorale du radicalisme au moment où la Grande Dépression fait sentir ses effets économiques et sociaux. La dérive autoritaire d’André Tardieu a conduit des républicains modérés à prendre leurs distances et à se rapprocher des radicaux si bien que les élections législatives de 1932 se font le plus souvent bloc contre bloc mais avec des reclassements en cours chez les modérés centristes qui, en Bretagne, se positionnaient plutôt au centre gauche dans les années 192018. Le clivage va passer désormais entre un centre gauche opposé à la majorité de Tardieu et un centre droit qui en refusant le néo-cartel se positionne dans le camp de la droite. Pour la première fois, les enjeux politiques nationaux surdéterminent la traditionnelle opposition régionale droite/gauche. Dans les enjeux de ces élections législatives, le camp laïque se divise car les questions économiques et sociales prennent le pas sur la question religieuse et scolaire. Dans une dizaine de circonscriptions, des candidats du centre droit laïque s’opposent à des candidats de gauche avec le soutien de fait des droites catholiques qui ne présentent pas de candidat. Néanmoins la concurrence centre droit/droite persiste dans neuf circonscriptions.
10Les droites catholiques se présentent dans 32 circonscriptions sur 44 mais elles sont beaucoup plus divisées qu’en 1928 dans un climat pourtant moins tendu. Il n’y a guère qu’à Vannes 2 que le conservateur Eugène Delahaye s’oppose au PDP sortant Ernest Pezet19. Les conservateurs ont une dizaine de candidats : les trois monarchistes sortants de Loire-Inférieure et des hommes de l’URD très à droite20. Le PDP qui s’est plus ou moins intégré dans la majorité Tardieu n’aligne que sept candidats dont ses six sortants21. Plusieurs députés URD sortants ont des sympathies pour le parti démocrate-chrétien. Contre les gauches, la fraction modérée de la droite n’insiste par trop sur les revendications religieuses afin de poursuivre l’union nationale de Poincaré, Laval, Tardieu et ne pas donner trop d’arguments aux partisans du néo-cartel. Sensibles à l’agitation dorgériste, les plus à droite défendent des positions protectionnistes et surtout s’opposent à la loi sur les assurances sociales soutenue par le seul PDP.
11Avec 16 députés seulement en 1932, les droites catholiques (18 en 1928) sortent largement battues en Bretagne comme au niveau national. Face à des radicaux-socialistes, Jacques Queinnec et Jean Jadé (47,1 % au 2e tour) tombent dans le Finistère ainsi que Joseph Cadic (45 %) dans le Morbihan et Yves Le Cozannet (43,5 %) sans parler de Victor Le Guen, écrasé au premier tour dans les Côtes-du-Nord dans une circonscription à droite depuis le XIXe siècle22. Son challenger encore plus conservateur, Paul de Robien, 41,2 % des voix au 1er tour, est largement distancé au 2e (44,3 %), ce qui traduit le refus d’une partie de l’électorat catholique centriste de voter pour un noble. Le centre droit laïque tombe à quatre sièges en Bretagne23. La seule victoire vient de Vitré où le conservateur Hervé de Lyrot, soutenu par la FNC, reprend le siège de Robert Bellanger. La continuité l’emporte souvent avec la réélection des sortants sauf dans les Côtes-du-Nord où la droite est réduite à un seul député : Oswen de Kérouartz, désormais étiqueté URD, ne l’emporte qu’avec 50,3 % des suffrages (142 voix d’écart) et une participation de 82,7 % contre un radical-socialiste peu connu.
12Le PDP est très déçu de ses résultats car il est réduit à cinq députés malgré la brillante réélection de Pezet à Vannes 2. Ernest Pezet a emporté son duel dès le 1er tour avec 74 % des voix sur Eugène Delahaye, le conservateur parachuté étiqueté URD connu comme le directeur de La Province24. Le score est sans appel pour Delahaye qui a perdu la moitié des voix obtenues par de Chabannes en 1928. Il faut dire qu’avant les élections, Le Nouvelliste de Bretagne, proche de l’épiscopat, a apporté un soutien sans ambiguïté au député sortant, ce qui a conforté l’électorat catholique dans son choix du PDP. C’est l’ombre portée de la condamnation de l’AF25. Le groupe démocrate populaire (16 inscrits) ne perd qu’un siège en Bretagne grâce à l’apparentement de l’abbé Desgranges (fig. 21 pl. XVIII du cahier couleur), réélu à Vannes 1 avec 53,2 % contre un radical indépendant.
13En 1932, l’influence à la Chambre de la Fédération républicaine se réduit car elle perd deux sièges : Victor Le Guen, député de Saint-Brieuc 2 depuis 1921 et Joseph Cadic député de Pontivy 1 depuis 1924, réélu en 1928 avec le soutien de L’Ouest-Éclair. Du fait d’une scission, l’URD ne conserve que quatre inscrits bretons26. Mais ce sont souvent des personnalités influentes comme Alexandre Lefas, député d’Ille-et-Vilaine depuis 1902, président du Conseil général de 1925 à 1928, qui va rejoindre le Sénat ou le Dr Louis Guillois (61,9 % au premier tour), maire (1902) et conseiller général de Ploërmel, sénateur du Morbihan de 1920 à 1932 puis député de 1932 à 1936. Dans sa profession de foi de 1932, Guillois se veut le porte-parole des républicains nationaux et s’affirme comme « un catholique convaincu », défenseur de l’école privée, de la famille (nombreuse) et des anciens combattants27. Il revendique ses responsabilités au sein de la Fédération républicaine comme membre du conseil national et président de la section départementale, preuve de l’existence d’une organisation structurée dans le Morbihan. Si la fraction la plus réactionnaire de la droite se maintient en Loire-Inférieure28, son affaiblissement se poursuit en Bretagne au profit du PDP et de la Fédération républicaine qui s’organise.
14Dans les Côtes-du-Nord, l’URD s’organise d’abord dans la région de Dinan pour lutter contre Michel Geistdoerfer, le nouveau député (1928) et maire (1929), un radical-socialiste nettement de gauche. L’ancien maire de la cité dinannaise, H. Durand, forme le 8 février 1930 un comité d’arrondissement assisté du conservateur de Pontbriand. Avec plusieurs maires du département, le 9 mars, il accueille Louis Marin qui expose le programme du parti devant 1 800 personnes dont de nombreux paysans. Le 30 avril 1933, le vice-président G. Bonnefous déplace encore un millier de personnes. La capacité de mobilisation de la Fédération républicaine semble assez forte sans qu’il y ait vraiment d’organisation, ni de vie militante suivie. C’est d’abord un parti de notables. Elle s’apparente à l’Ille-et-Vilaine voisine qui ne dispose que de comités électoraux plus ou moins éphémères29. Précisément, à partir de 1933 la capacité de mobilisation des droites va s’appuyer sur des méthodes et des moyens qui dépassent une organisation partisane souvent légère.
Les ligues d’extrême droite et les droites bretonnes dans les affrontements de 1933 à 1936
15La Bretagne n’est guère concernée par les mouvements et les ligues d’extrême droite surtout après la condamnation de l’Action française (AF) par Pie XI. Mais cette condamnation oblige la fraction conservatrice de la droite, et même ses fractions républicaines, à se déterminer par rapport aux ligues qui font de l’agitation dans les villes et dans les campagnes de 1933 à 1936. Après un relatif déclin de 1930 à 1932, la relance du phénomène ligueur au niveau national contribue à radicaliser les droites bretonnes sauf le PDP. Dans un premier temps pourtant, les journaux catholiques et les milieux cléricaux restent prudents face aux difficultés du néo-cartel en 1932-1933 sauf La Province30. Les monarchistes et les agrariens de Loire-Inférieure essaient de regrouper tous les opposants dans l’Alliance nationale de l’Ouest (ANO) et de profiter de la crise politique pour renverser le régime31. En 1935, l’ANO s’est étendue à l’Ille-et-Vilaine. Et elle sert de lieu de convergence entre les conservateurs qui ont été contraints, par conviction religieuse d’abandonner l’AF, ceux qui ont glissé vers les ligues (AF, JP) et une extrême droite dure et plébiscitaire, voire fascisante.
16À l’opposé, tout en durcissant le ton contre les gouvernements à direction radicale (1932-1934), le PDP reste partisan d’une formule de concentration républicaine au lendemain du 6 février 1934. En Bretagne, ses élus appuient le gouvernement Doumergue32. D’ailleurs, les élections cantonales d’octobre 1934 traduisent la grande stabilité du champ politique breton, les droites toujours minoritaires ne gagnant que quatre sièges sur 1931 (tableau 1).
17Quel est le poids des ligues d’extrême droite dans la région (fig. 22 pl. XIX du cahier couleur) ? Quelques nobles restent fidèles à l’AF dans les Côtes-du-Nord mais les rares sections urbaines (Dinan, Saint-Brieuc, Lannion) n’ont plus les moyens de tenir que quelques rares réunions privées (en 1928-1929 et en 1935). La situation est comparable en Ille-et-Vilaine33. En Loire-Inférieure surtout, dans le Morbihan et dans le Finistère (une fédération de 300 membres en 1928), des propriétaires fonciers ou des officiers catholiques, souvent nobles, restent de sensibilité Action française en s’appuyant sur les mairies qu’ils conservent. Un seul grand rassemblement militant est signalé à Saint-Goazec (Finistère) en 1933 : Léon Daudet déplace encore 2 000 à 3 000 personnes. Au soir du 6 février 1934, à Nantes, l’AF anime la centaine de manifestants qui affronte la contre-manifestation de gauche et les forces de l’ordre. Les événements parisiens vont provoquer un certain regain tardif mais inégal des ligues dans les villes bretonnes car les campagnes, qui sont il vrai travaillées par l’agitation dorgériste, restent imperméables aux ligues urbaines34. L’AF est réactivée dans le Morbihan et à Lorient en 1934-1935. Certains monarchistes, des catholiques qui se sont soumis aux consignes de Rome, vont militer dans les ligues antiparlementaires et leur fournir des cadres. En rejoignant le PSF après 1936, ils contribuent au déclin de la ligue maurrassienne. Ainsi, en 1939 l’AF a disparu des Côtes-du-Nord où il ne reste que six personnalités fichées par la police.
18De fait, jusque 1934, les ligues n’ont guère d’existence dans la région hormis quelques réunions à Rennes ou à Nantes qui n’attirent pas grand monde. La nouveauté réside dans le fait qu’elles s’adressent à une clientèle urbaine issue des classes moyennes qui ne se retrouvait pas dans l’aristocratique Action française, ni dans les droites catholiques. La Loire-Inférieure constitue un cas à part car c’est le seul département de l’Ouest qui compte plus de 10 sections des Jeunesses patriotes (JP) en 1932 dont des étudiants35. À Rennes, les JP sont dirigées par l’avocat Perdriel-Vaissière venu de l’AF36. À Saint-Brieuc aussi, le 22 juin 1935, on observe le compagnonnage des militants de l’AF et des JP. Pourtant ces JP ne concernent que quelques dizaines de jeunes, souvent des étudiants à Rennes. Elles recrutent très peu d’adhérents dans les Côtes-du-Nord (Saint-Brieuc et Paimpol). Les meetings du député de Gironde Philippe Henriot, futur responsable des jeunesses de la Fédération républicaine (JFR), servent de lien entre la droite catholique conservatrice et les ligues, notamment les JP qui assurent le service d’ordre. Dès la mi-mars 1934, il déplace près de 2 000 personnes de la bourgeoisie rennaise et des différentes familles politiques de droite, y compris du PDP. Lors d’un rassemblement régional à Saint-Brieuc le 7 avril 1935, il attire 2 500 personnes alors qu’on en attendait le double.
19Les Croix-de-Feu apparaissent après le 6 février 1934 lors de réunions urbaines. Elles sont stimulées par la venue de leur chef, le colonel de la Rocque, à Vannes et à Lorient en mars 1934. Mais ses meetings mobilisent aussi les antifascistes et contribuent à rapprocher les socialistes et les communistes dans le Front commun37. Parfois des incidents éclatent : à Nantes le 16 avril 1934 et à Lorient le 23 juin38. Là où elle est contrôlée par les droites comme en Ille-et-Vilaine, l’Union nationale des Combattants (UNC) apporte son concours à l’agitation ligueuse. C’est aussi, à l’approche des élections cantonales et municipales, un moyen de combattre la gauche qui détient la plupart des grandes villes bretonnes. Des sections Croix-de-Feu tentent de se constituer : à Saint-Brieuc où elle tombe en léthargie au printemps 1935, à Dinan (de 20 à 40 affiliés), à Rennes (une soixantaine avec les Volontaires nationaux). Dans les régions de Vannes et de Dinan, les Croix-de-Feu recrutent dans les milieux de la droite « réactionnaire et cléricale » (sous-préfet de Dinan) et souvent chez d’anciens officiers nobles. Pour les autorités, ce mouvement et les ligues sont un moyen de regagner le terrain politique perdu face aux radicaux en 1932.
20Le Finistère présente une situation particulière car les Croix-de-Feu s’y développent dès 1933. La section de Quimper passe de 12 adhérents le 14 juillet 1933 à 120 à la fin de 193439. En juillet 1934, celle de Landerneau compte déjà environ 200 membres. Il faut dire que cette cité est celle de l’hôtelier Eugène Leclerc (commandant de réserve), délégué régional pour la Bretagne40. De quatre sections (avec Brest et Morlaix) et 420 militants à la fin 1934, on passe à huit (et de nombreuses sous-sections dans la région brestoise et le Léon) et un minimum de 3 000 adhérents en juin 1936 plus 500 membres des sections d’action féminine et sociale. C’est un véritable mouvement de masse qui recrute largement, « des républicains modérés aux sympathisants de l’AF inclus41 » surtout dans le nord Finistère, face à la montée en puissance du Front populaire. Dans la région, ces ligues s’inscrivent dans la stratégie de Front national de toutes les droites sauf le PDP.
21L’essor numérique des Croix-de-Feu est notable partout au second semestre de 1935 et au début de 1936. Une apparition surprise du colonel de La Rocque à Nantes en février 1936 déclenche un afflux d’adhésions : la section monte à 600 membres plus 600 volontaires nationaux. À Brest, à Quimper et à Nantes l’action caritative des militantes (aide aux chômeurs et aux pauvres, vêtements, soupes populaires42) a quelques retombées sur l’audience du mouvement. Les sections féminines de Brest et de Nantes atteignent 500 et 550 adhérentes. En Ille-et-Vilaine, l’essor des Croix-de-Feu est moindre car le mouvement est sans doute trop lié à l’aristocratie conservatrice mais aussi parce qu’il est concurrencé par l’UNC qui s’engage dans le combat politique. Dans les Côtes-du-Nord, tout en restant faibles, les Croix-de-Feu se réorganisent à partir de l’automne 1935 (Saint-Brieuc), intensifient leur propagande (500 personnes à Dinan, 350 à Saint-Brieuc) et posent des jalons dans l’ouest du département sous l’impulsion de F. Touche, un propriétaire agriculteur élu maire de Trélévern en 1935, venu de l’AF et futur responsable départemental du Parti social français (PSF). L’exemple des Croix-de-Feu du Morbihan au 31 décembre 1934 montre un renouvellement et un élargissement sociologique de l’extrême-droite en Bretagne. 51 % des membres viennent de l’agglomération lorientaise et plus de la moitié des classes moyennes et aisées avec un poids non négligeable de la bourgeoisie et des cadres supérieurs alors que les employés, les ouvriers et les cultivateurs sont peu présents43.
22Sauf dans le Finistère et en Loire-Inférieure, les ligues de la droite extrême ont peu d’impact en Bretagne avant 1936. Par leur recrutement sociologique, elles débordent le vivier des droites catholiques locales et servent de socle à l’émergence d’une nouvelle force politique à droite beaucoup plus musclée qui va s’épanouir avec le Parti social français (PSF). En attirant des notables de la droite conservatrice, les Croix-de-Feu enclenchent un processus de recomposition régionale des droites en élargissant leur audience au monde urbain. À peine sorti de la crise de l’AF, l’épiscopat recommande à son clergé la prudence à l’égard de ces ligues nationalistes. Ce n’est pas le cas des droites conservatrices qui voudraient regagner le terrain perdu44, notamment sur les démocrates-chrétiens, en s’efforçant d’instrumentaliser la flambée ligueuse et en particulier le dorgérisme dans les campagnes45.
Ligue des contribuables et dorgérisme
23En effet, la crise permet aux droites d’exploiter les mécontentements avec deux types de mouvements : la Fédération ou ligue des contribuables et le front paysan instrumentalisés par Henri Dorgères. Dorgères est le délégué régional et le président de cette ligue installée à Rennes dans les locaux de son propre journal Le Progrès Agricole de l’Ouest46. C’est en février et mars 1933 que la ligue des contribuables organise de grands rassemblements dans les villes de la France de l’Ouest où Henri Dorgères prend la parole, à Dinan (19 février et 4 mars, 2 500 personnes), Gourin (26 février, 450 personnes mais 30 adhésions seulement), Rennes (24 mars, 4 000), Nantes (10 000). Hors d’Ille-et-Vilaine, où 45 « syndicats » existent, le tribun démagogue Dorgères dénonce « la gabegie de l’État » et les fonctionnaires cumulards, se faisant d’abord connaître sous la casquette de la ligue des contribuables47. Des élus de la droite républicaine y participent comme le député de Kérouartz qui est présent lors de la mise sur pied d’un bureau départemental à Saint-Brieuc. Cette agitation qui surfait sur le mécontentement des classes moyennes urbaines et de la paysannerie retombe en 1935 lorsque la situation économique s’améliore et parce que des forces politiques structurées en prennent le relais.
24La crise économique et politique provoque en outre une radicalisation politique des notables agrariens bretons qui voient dans le corporatisme une solution à leur rejet du modèle républicain48. En juin 1934, le comte Hervé Budes de Guébriant, le responsable de l’Office central de Landerneau, propose un contre-projet de société lors du congrès national de l’Union Nationale du Syndicalisme Agricole (UNSA) qui rassemble les syndicats conservateurs. Les grands agrariens bretons (de Guébriant, François-Marie Jacq de Landerneau, Roger Grand, sénateur du Morbihan de 1927 à 1932) sont à l’avant-garde du projet corporatiste fondé sur des conceptions contre-révolutionnaires. Pour eux, il s’agit de redéfinir un consensus idéologique pour refonder leur contrôle social et leur encadrement de la paysannerie bretonne en s’appuyant sur les valeurs chrétiennes mais aussi en modernisant les conditions de production. Ce projet restera largement inabouti à la veille de la guerre. En attendant, les agrariens bretons vont s’efforcer d’instrumentaliser, à défaut de pouvoir le contrôler, le mécontentement qui secoue les campagnes avec l’essor du dorgérisme.
25Le dorgérisme et le front paysan tendent à se confondre même s’ils présentent quelques rivalités de leadership entre la droite traditionnelle et le courant démagogique et fascisant, pour ne pas dire fasciste, incarné par Dorgères lui-même à partir de la formation des Chemises vertes qui tiennent leur premier congrès à Bannalec (Finistère) en 1935. L’Ille-et-Vilaine où Henri Dorgères lance ses premiers comités de Défense paysanne en 1929 (une quarantaine de réunions) contre la loi sur les assurances sociales et où il réunit 16 000 paysans à Rennes le 1er février 1930, reste la base du mouvement jusqu’à la guerre (313 réunions dorgéristes au total)49. En août 1932, il fonde une Société de la Presse agricole pour racheter le journal Le Progrès Agricole de l’Ouest, « le remettre dans les mains des paysans » et en faire le principal outil de sa propagande50. Il administre cette société par actions avec le grand agrarien normand Jacques Le Roy Ladurie et trois paysans bretons51. Le principal actionnaire en est le duc d’Harcourt, député conservateur et grand propriétaire foncier du Calvados. Il semble avoir servi de prête-nom à de grands agrariens bretons qui ne veulent pas trop s’afficher avec le sulfureux Dorgères. On y trouve le comte de La Bourdonnaye, président de la Chambre d’Agriculture d’Ille-et-Vilaine, et le marquis de Kérouartz. Pour Dorgères, c’est le point de départ de la mise en place d’un véritable empire de presse52.
26Dans un premier temps, Dorgères a du mal à créer des Comités de défense paysanne en dehors de l’Ille-et-Vilaine. Ce n’est qu’à partir de 1933 que l’agitation dorgériste gagne les autres départements bretons et ceux de l’Ouest intérieur (fig. 3 pl. III du cahier couleur). Elle ne touche faiblement que la bordure orientale des Côtes-du-Nord mais se développe dans le Morbihan et dans le Finistère où elle trouve des relais importants dans la paysannerie, chez certains notables ou parmi les cadres des grands syndicats-boutiques conservateurs (Union des syndicats agricoles de Bretagne méridionale et Office central de Landerneau) qui s’efforcent ainsi de canaliser le mécontentement paysan. Ils sont 8 000 à 12 000 à Quimper le 29 janvier 1933. Mais dans les régions bleues de la Montagne finistérienne, de la Haute Cornouaille et du Trégor, des militants paysans socialistes de la CNP conduits par Tanguy Prigent et de la CGPT (socialistes et communistes) s’opposent aux ventes-saisies de 1932 à 1936 et disputent victorieusement le terrain à Dorgères.
27Dans le Morbihan, des notables de droite s’investissent dans le mouvement paysan. L’ancien député de Pontivy 1 Joseph Cadic (battu en 1932 par le radical-socialiste Lotz) a adhéré au Parti agraire et paysan français (PAPF) de Fleurant Agricola ; il organise les premières réunions agraires (6 en 1933, 2 en 1934) en appelant « au nettoyage politique » de la Chambre des députés53. Sa fédération est partie prenante du congrès national du parti qui s’achève par une scission le 4 février 1936 car les dorgéristes ont cherché a en prendre le contrôle. Auparavant, J. Cadic a participé avec Dorgères et de nombreux aristocrates conservateurs à deux grands meetings pour vanter les mérites du Front paysan lancé en juillet 1934. Le 25 mars 1935 à Josselin (3 000 à 4 000 personnes) et le 19 mai à Questembert (3 000), toutes les droites et les extrêmes droites anciennes et modernes sont réunies sur la même tribune. Par la suite, J. Cadic qui a sa propre ligue de défense paysanne entre en conflit avec les dorgéristes qui, à son goût, attaquent trop durement le PDP et les républicains modérés surtout à l’approche des élections législatives de 1936.
28En fait, de 1934 à 1936 le dorgérisme prend un certain essor dans les campagnes grâce au ralliement d’authentiques militants paysans venus du syndicat des « cultivateurscultivants » (FSPO) qui a disparu en 1933 dans la tourmente économique. Ainsi Jean Bohuon devient l’un des principaux lieutenants de Dorgères (président du Comité de défense d’Ille-et-Vilaine en 1935), de même que François Coirre et Jean Nobilet. Dans le Finistère, ce sont les frères Divanac’h liés à Landerneau ; dans le Morbihan, Pierre Bléher, riche propriétaire exploitant et Le Pêcheur, président départemental. L’alliance avec les droites agrariennes favorise l’essor du mouvement dans les années 1936-1937.
29Ce mécontentement politique et social n’a pourtant que des retombées électorales limitées lors des élections cantonales d’octobre 1934 en Bretagne, d’autant plus que contre les tentations ligueuses le PDP cherche à structurer un centre droit catholique et républicain et que la Fédération républicaine accompagne le mouvement pour mieux le récupérer électoralement en 1936.
Le PDP ou la tentative de dégager un centre droit catholique
30L’activité militante des fédérations du Parti démocrate populaire (PDP) tend à s’affaisser au début des années 1930 d’autant plus que son principal soutien régional, L’Ouest-Éclair, traverse une grave crise interne. Les principaux cadres du PDP ne succombent pas aux sirènes des ligues à la fois par une opposition de principe mais aussi pour ne pas leur abandonner le terrain politique conquis de haute lutte sur les conservateurs. À la stratégie de Front national des droites, son organe régional Le Petit Breton oppose celle d’Union nationale après le 6 février 193454. Dans le Morbihan, Ernest Pezet développe une stratégie centriste en s’adressant aux parlementaires radicaux pour mieux les séparer de la tentation de rejoindre le Front populaire, ce qui semble possible dans un département où le Parti radical-socialiste est faible. Le PDP craint surtout la concurrence du dorgérisme qu’il attaque durement.
31En 1935, à l’approche des élections législatives, le PDP relance ses fédérations bretonnes et progresse dans les Côtes-du-Nord55 et le Morbihan. Au congrès d’avril 1935, la fédération du Morbihan serait la seconde de la région après celle du Finistère du fait de la création de nouvelles sections dans les chefs-lieux de cantons56. L’implantation reste plus limitée en Ille-et-Vilaine et surtout en Loire-Inférieure alors que l’essor de la Fédération républicaine démocrate du Finistère (FRDF) est marqué avec la création en 1934 d’un groupe de Jeunes démocrates populaires très actifs57. Les effectifs du PDP qui avaient atteint un peu plus de 1 000 adhérents en 1932 mais étaient retombés à 500 à la fin de 1934 repartent à la hausse : 700 en 1935, surtout dans l’agglomération brestoise. Le poids national de la FRDF est reconnu avec la tenue du XIe congrès du PDP à Brest en 1935 à un moment où la fédération compte 95 sections, une pour trois communes. Cet essor relatif du PDP conduit à la formation en septembre 1935 d’un Comité interfédéral des fédérations bretonnes en prévision des élections législatives qui vont réactiver le clivage gauche/droite et de fait, par leur radicalisation, mettre en échec la stratégie de concentration des centres du parti démocrate-chrétien. Déjà, en janvier 1936, en votant contre le gouvernement Sarraut, les députés du PDP se repositionnent nettement à droite contre le Front populaire, ce qui est contesté par les Jeunesses démocrates populaires, en particulier dans les Côtes-du-Nord58.
L’implantation locale des droites : la redistribution des cartes se poursuit
32Dans les conseils généraux, la stabilité politique semble l’emporter au début des années 1930 avec des mouvements de faible amplitude, en faveur de la droite en octobre 1934 (gain de quatre sièges, 44,5 % du total), puis en octobre 1937 (plus un siège). L’effet-notables, celui d’hommes bien enracinés dans leur canton, est très fort dans ce type d’élections locales à quelques accidents près comme à Dinan en 1934. L’agitation dorgériste et des ligues n’a guère de retombées pour les droites bretonnes modérées, sauf en Loire-Inférieure où la droite récupère trois sièges perdus mais en reperd deux en 1937. En sièges, les droites sont toujours minoritaires dans les régions en 1937.

Tableau 1 – Les conseillers généraux de droite en Bretagne de 1931 à 193759.
33Dans les Côtes-du-Nord où la stabilité l’emporte en 1934 (19 notables sortants sur 24 sont réélus), on note un léger glissement en faveur du centre droit : les radicaux-socialistes perdent deux sièges au profit de modérés (radicaux indépendants)60. La politisation est néanmoins sensible dans le canton de Dinan est : le député Michel Geistdoerfer est battu par l’URD Marie-Ange Thoreux à l’issue d’un affrontement très rude. Le candidat de droite a fait campagne sur des thèmes nationalistes en approuvant à la fois les émeutiers du 6 février 1934 et le gouvernement d’union nationale de Gaston Doumergue : « Le 6 février le peuple s’est réveillé. Il a chassé les profiteurs cartellistes et imposé Doumergue », lequel « issu des manifestations qualifiées faussement d’émeutes est notre dictateur légal et la France s’en trouve bien ». Les gouvernements radicaux-socialistes sont accusés de « prendre [leurs] mots d’ordre aux loges maçonniques et à l’étranger61 ». Dans la région dinannaise devenue le lieu des rassemblements des droites extrêmes en 1933-1934 (dorgérisme, Ligue de contribuables, Croix-de-Feu, Comité anticollectiviste), une droite dure s’organise sur les débris de l’Alliance démocratique avant même le Front populaire.
34Au-delà des batailles conjoncturelles, les élections municipales de 1925 à 1935 permettent de mesurer l’implantation locale des droites et les évolutions en cours ainsi que les rapports de forces entre la fraction la plus conservatrice, à l’extrême-droite de l’échiquier politique, la Fédération républicaine en essor, et la courant centriste du PDP62 (fig. 23 pl. XX du cahier couleur). Sans doute faudrait-il y ajouter une partie des élus républicains de gauche se réclamant de l’Alliance démocratique qui évolue vers le centre droit, voire vers la droite. La difficulté en Bretagne dans l’entre-deux-guerres vient du fait que ces laïques sont encore perçus par leurs électeurs dans certaines régions comme étant au centre gauche quand ils se présentent contre des listes catholiques de droite. Ce n’est pas le cas dans les villes où des concentrations de républicains modérés des deux camps peuvent se former en 1935 contre la SFIO et les radicaux-socialistes (à Nantes, à Rennes, à Lorient, à Saint-Brieuc, à Dinan, à Auray…). À Nantes, en 1931, les républicains modérés ont rompu avec les socialistes pour s’allier avec la droite. Là où elles existent, les alliances de Front populaire au niveau municipal accélèrent ce glissement au centre droit, voire à droite, de républicains laïques venant du centre gauche. Anticartellistes, ces radicaux indépendants et autres républicains de gauche refusent dans des grandes villes de maintenir des accords avec la SFIO. Déjà sensible lors des élections municipales de 1929 comme l’avait illustré l’exemple brestois, cette évolution s’accentue en 1935 même si les listes de Front populaire (avec des communistes) sont encore assez rares dans la région. En 1935, la droite progresse en Ille-et-Vilaine face au centre gauche modéré et dans des zones rurales où l’agitation dorgériste a été forte (arrondissements de Quimperlé, de Pontivy, de Châteaubriant)63. Dans l’arrondissement de Pontivy (Morbihan), la crise économique, sociale et politique a été fatale à « beaucoup de maires sortants » selon le sous-préfet.

Tableau 2 – La répartition des maires de droite et de centre droit en Bretagne en 1925, 1929 et 193564.
35Quel est l’impact local de la condamnation de l’Action française, du durcissement politique et des reclassements en cours des partis et des notables ? Tout en conservant de solides positions dans les régions de tradition blanche (campagnes de Loire-Inférieure, Vannetais), les conservateurs sont les premières victimes des évolutions politiques en cours. Ce recul est spectaculaire dans les Côtes-du-Nord où ils sont passés de 1925 à 1935 de 90 à 39 municipalités, de 23 à 10 % (tableau 2)65. Même dans le Morbihan, l’érosion est marquée de 1925 à 1935, de 28,7 % à 18 % des maires mais il s’agit souvent d’un changement d’étiquette. En Ille-et-Vilaine, leur nombre est divisé par deux de 1929 à 1935 alors que cette évolution s’est faite entre 1925 et 1929 dans le Finistère. En revanche, avec encore près de la moitié des municipalités en 1935, les conservateurs ont bien résisté en Loire-Inférieure.
36Ayant glissé d’un positionnement centriste, du fait de son attachement à la laïcité dans les années 1920, vers la droite de 1934 à 1938, l’Alliance démocratique tend à être laminée sur sa gauche par les radicaux indépendants et les radicaux-socialistes et sur sa droite par l’affirmation de la Fédération républicaine-URD et la montée en puissance du PSF qui prend le relais à droite des conservateurs. Cette évolution est très nette dans les Côtes-du-Nord sans que le sénateur Le Trocquer parvienne à l’enrayer. Les républicains de gauche (ARD) passent de cinq conseillers généraux en 1934 à trois en 1937 alors que ceux de l’URD progressent de deux à cinq et que les conservateurs sont en voie de disparition (de six à trois)66. L’évolution a été comparable au niveau municipal de 1925 à 1935 même si les forces modérées et de droite contrôlent encore 51,2 % des municipalités en 1935. Les conservateurs ont reculé ; les républicains de gauche se tassent, de 87 à 66 (16,9 %) alors que l’URD progresse légèrement passant de 83 à 88 communes (22,5 %)67. Malgré leur recul en 1935, les notables de droite résistent bien localement dans les campagnes de ce département où la gauche dirige les villes et les chefs-lieux de canton. Le PSF ne parvient pas à s’implanter (4 maires, 1 %).
37Qu’en est-il du Finistère ? Dans le Léon, les droites dominent sans partage la vie municipale tout au long des années 1930, en dehors de l’agglomération brestoise et de Landerneau68. Dans l’arrondissement de Brest, en 1929 et en 1935, elles contrôlent 69 (81 %) puis 65 des 85 communes dont 26 pour les conservateurs et 38 pour l’URD en 193569. Nous manquons de données globales pour l’ensemble du département70. Dans cette région qui envoie portant deux députés démocrates chrétiens au Palais-Bourbon, le PDP ne détient qu’une seule mairie, quatre dans l’ensemble du Finistère, et quatre conseillers généraux sur 4371 dont trois dans le Léon en 1937. Toutefois, une nouvelle personnalité démocrate-chrétienne émerge à Brest à l’occasion de ces scrutins : en octobre 1934, le comptable Yves Jaouen bat le député Émile Goude, qui a quitté la SFIO en 1929, et en 1935, il enlève aux socialistes la municipalité de Saint-Marc72. Dans le sud, l’arrondissement de Quimper plus à gauche a 10 % des maires avec l’étiquette ARD et 36,9 % URD en 1935. Malgré son dynamisme, le PSF n’a attiré que sept maires du Finistère (2,3 %) dont 6 nobles, élus comme conservateurs en 1935, et deux conseillers généraux léonards73.
38Autre pays de tradition blanche et de chouannerie, l’arrondissement de Vannes présente une domination municipale des droites qui tiennent 71,4 % des mairies. En 1935, sur 123 communes les conservateurs en contrôlent 26 (21,1 %), la Fédération républicaine 52 (42,2 %) et le PDP 10 (8,1 %) du fait de l’influence de Ernest Pezet et du chanoine Desgranges, proche du parti74. À droite, une relève est en train de s’opérer entre les conservateurs en perte de vitesse (30,8 % des maires à la veille des élections) et une droite nettement républicaine et parlementaire qui passe de 38 (30,8 %) à 52 mairies.
39Force émergente au centre droit sur le terreau de la droite catholique, le PDP a bien du mal à s’enraciner, son implantation locale étant sans commune mesure avec sa représentation parlementaire et ses cinq ou six députés dans la région. Absents en 1929, les maires inscrits au PDP ne sont qu’une poignée en Bretagne en 1935 : 12 dans le Morbihan (4,6 %) dont dix dans le Vannetais qui a pourtant deux députés PDP ; 7 dans les Côtes-du-Nord (1,8 %)75 pour un député en 1936 ; quatre seulement dans le Finistère (deux députés), ce qui est beaucoup plus surprenant du fait de l’ancienneté de la Fédération des républicains-démocrates. La relative faiblesse du PDP transparaît aussi dans les conseils généraux en 1937 : quatre dans le Finistère dont trois dans le Léon, deux dans le Morbihan (les deux cantons de Vannes), deux dans les Côtes-du-Nord (à Plouha et à La Chèze).
La victoire des droites aux élections législatives de 1936
40C’est donc dans un climat d’affrontement bloc contre bloc que se déroulent les élections législatives de 1936. Les candidats de droite et du centre agitent le chiffon rouge de l’anticommunisme et du danger révolutionnaire avec le soutien discret mais réel des milieux cléricaux et de l’épiscopat breton qui contrôle Le Nouvelliste de Bretagne76. Face à la question sociale désormais principale, la question religieuse est minorée durant la campagne sauf pour dénoncer les atrocités commises par les Rouges et le Frente popular en Espagne. Opposés à des candidats socialistes et communistes, des centristes laïques (républicains de gauche, radicaux indépendants, voire radicaux-socialistes) rejoignent sans vergogne le camp des droites catholiques agitant la peur du bolchevisme, de la guerre civile et de la Révolution, surtout entre les deux tours. À Lorient 2, le député sortant Firmin Tristan annonce : « Si le Front communiste a la victoire, dans trois mois, la France sera à feu et à sang. Voyez ce qui se passe en Espagne77. » À Quimper 1, face au communiste Pierre Guéguin et au radical-socialiste sortant Pierre Pouchus, Hervé Nader, homme très à droite, affirme : « Que la victoire du Front Dimitrov nous conduise à la guerre civile, cela crève les yeux après l’expérience espagnole ». Les thématiques de la droite dure qui aspire à la Révolution nationale affleurent dans des professions de foi. Louis Montfort, le futur député « paysan » de Quimperlé, avance son slogan : « Famille, métier, Patrie » quand le Dr Joly élu à Rennes 2 lui répond par « honneur, probité, travail, famille, patrie ». Le projet corporatiste s’exprime avec Louis Larvol à Châteaulin 1. Et on voit même le comte de Montaigu défendre le drapeau tricolore contre « le drapeau rouge de la guerre civile, de la lutte des classes, de la guerre révolutionnaire ». Le PDP Émile Le Guen, battu à Saint-Brieuc 1, fustige les candidats « du désordre, du gâchis, de la guerre civile, préface à la guerre étrangère ».
41La droite présente un candidat unique dans 29 circonscriptions sur 44. Mais il est intéressant de souligner que des candidats « agraires » cherchent à abattre les notables dans quatre fiefs de droite. À Vitré, le dorgériste Jean Bohuon, soutenu par l’UNC, tente en vain de battre le député sortant conservateur, le vicomte de Lyrot78. À Brest 2, le PDP Paul Simon, réélu au second tour, a dû affronter pour la première fois Pierre Uchard qu’il présente dans ses tracts comme le candidat de « tous les ennemis du Régime », l’homme de Dorgères « partisan de l’Action française », « de la violence et de l’illégalité ». « Contre le fascisme », le démocrate populaire appelle à voter « pour la République », un discours que n’auraient pas désavoué bon nombre de candidats de Front populaire. La concurrence entre les fractions conservatrices et démocrates-chrétiennes du monde catholique laisse des traces et provoque des tensions entre notables. Ainsi, après sa réélection Paul Simon reproche vivement au comte de Guébriant d’avoir soutenu son adversaire dorgériste Pierre Uchard qui est aussi un homme de Landerneau et qui a été appuyé par le comité départemental de Défense paysanne et par des comités locaux dont les membres appartiennent aux syndicats agricoles landernistes79. Du fait de l’alliance implicite de l’Office central et du dorgérisme, ce candidat de la droite corporatiste peut être perçu comme celui de la puissante organisation dirigée par le comte de Guébriant qui par ailleurs soutient financièrement la campagne électorale de Pierre Trémintin, l’autre député PDP du Léon. La Défense paysanne, qui ne se réclame « ni des blancs, ni des rouges » selon son leader départemental Joseph Divanac’h dans le journal de Dorgères Le Progrès agricole de l’Ouest du 5 avril 1936, a des accointances avec l’un des responsables de Landerneau, Raoul Besson, directeur commercial de l’Office central qui est proche des monarchistes de l’Action française.
42Pour les agrariens et les milieux conservateurs léonards, c’est l’occasion de régler leurs comptes et de dénoncer « la trahison des rouges-chrétiens » selon un numéro de L’Intérêt français largement diffusé dans la circonscription de Landerneau. Ces attaques virulentes ont contraint le commandant Vannier, le président départemental, et les présidents des comités d’Action catholique du Finistère à sortir de leur réserve pour désavouer les agitateurs dorgéristes le 29 avril 1936 et du même coup les dirigeants landernistes engagés derrière Uchard80 alors que Mgr Duparc regrette les divisions des catholiques. Finalement, la hiérarchie catholique et le clergé tranchent le débat entre les deux candidats de droite et de centre droit en faveur de Paul Simon et de la Fédération républicaine démocrate du Finistère (FRDF). Dorgères ne se trompe pas sur les raisons de l’échec électoral de ses candidats quand il écrit : « À Vitré comme à Landerneau nous avons eu l’union de la Loge et du presbytère contre nous. » Au lendemain des résultats, de jeunes orateurs de la FRDF dénoncent « la faillite sociale de nos syndicats agricoles », propos publiés dans L’Ouest-Éclair dont Paul Simon est le directeur politique, ce qui oblige de Guébriant à réagir et à affirmer qu’il avait tenté de dissuader Uchard de se présenter. Même si tous ces candidats sont hostiles au Front populaire, les droites catholiques se divisent en 1936 car deux logiques politiques s’affrontent.
43En dehors de ces situations de concurrence, là où la droite n’est nullement menacée, de nombreux candidats de la Fédération républicaine et de l’URD ont l’appui des milieux agraires et catholiques81. A droite, dans la mouvance URD, en 1936 la balance penche en faveur des plus conservateurs même s’il y a quelques modérés (L. Guillois, député sortant, V. Inizan, E. Le Poullen à Fougères).
44Positionné nettement au centre droit, le PDP présente 11 candidats pour cinq sortants en incluant l’abbé Desgranges apparenté. Mais leur hostilité au Front populaire les renvoie encore une fois au camp des droites où se retrouvent aussi des républicains de gauche modérés qui tiennent le même discours82. Ainsi, en Loire-Inférieure, les conservateurs soutiennent ouvertement des centristes contre la gauche83. Mais ce n’est pas toujours le cas notamment là où des radicaux élus avec des voix de gauche s’opposent à des hommes de droite et aux marquis de Loire-Inférieure84. Comme en 1932, la logique nationale bipolaire l’emporte en Bretagne dans de nombreuses circonscriptions malgré la complexité des situations locales : elle est réactivée dans un affrontement bloc contre bloc laminant de fait les velléités centristes qui existent dans les deux camps.
45Au soir du 1er tour, 21 sièges sont pourvus avec une participation en hausse (81 %). À Nantes 4, Jean Le Cour de Grandmaison est réélu avec 87 % des voix (65,5 % des inscrits)85. Les scrutins sont souvent serrés avec parfois des triangulaires défavorables au Front populaire86. Avec 20 sièges en Bretagne (9 URD, 11 républicains indépendants et d’action sociale et agraire) les droites font une percée importante alors que le PDP (6 élus) ne gagne qu’un siège à Saint-Brieuc 2 où Alfred Duault l’emporte sur le radical sortant André Cornu. Pierre Trémintin dans le Léon, Ernest Pezet (68,6 %) et le chanoine Desgranges (59,8 %) dans le Vannetais, l’emportent dès le 1er tour sans adversaire à droite. Dans ce contexte de bipolarisation politique, même inachevée, l’Alliance démocratique et les radicaux indépendants hostiles au Front populaire sont laminés (quatre députés sortants réélus)87.
46Une droite catholique et paysanne, constituée de véritables exploitants agricoles proches ou membres de la Fédération républicaine (URD), émerge ainsi qu’une génération de jeunes élus beaucoup plus militants88. Des notables traditionnels de droite, déjà âgés, sont bousculés par des nouveaux venus comme Pierre Gillet (39 ans) à Ploërmel89. Le renouvellement des générations se fait aussi à Quimper 1 avec Hervé Nader (36 ans) ainsi qu’à Pontivy 2 où Paul Ihuel (32 ans) bat le socialiste Jean Le Coutaller qui a distancé au 1er tour le député radical-socialiste sortant. Paul Ihuel entame une longue carrière politique tout comme le notaire Jean Crouan (30 ans), élu maire en 1935, qui bat l’ancien ministre de la gauche radicale Charles Daniélou90. S’étant présenté comme républicain modéré, proche des Croix-de-Feu, Jean Crouan s’inscrit à l’URD et à la Fédération républicaine sur les conseils de son oncle Jules Fortin, ancien sénateur du Finistère91. Mais le député finistérien souhaite la constitution d’un groupe unique de droite y compris avec les huit députés qui rejoignent le PSF. Crouan et Nader vont adhérer au Comité parlementaire de défense des libertés républicaines et de sympathie pour le PSF (59 membres), ce qui traduit bien leur proximité avec cette droite musclée qui émerge92. Au congrès de Nice, en 1936, Jean Crouan participe à la fondation, puis au comité directeur avec François Valentin, des jeunesses de la fédération républicaine (JFR) présidées par Philippe Henriot93.
47En 1936, en Bretagne la victoire des droites est incontestable : 30 députés sur 44. À la Chambre, les droites catholiques et paysannes (20 élus) se répartissent dans trois groupes parlementaires : 9 URD dont 4 apparentés (les trois nobles de Loire-Inférieure) ; un indépendant républicain et 10 Républicains indépendants et d’Action sociale auquel est apparenté le groupe agraire indépendant94. Le PDP a 6 députés sur 11 au total mais il stagne dans la région. Quant aux républicains laïques modérés passés à droite, ils ne sont plus que quatre. Plusieurs sensibilités traversent les droites bretonnes. Dans plusieurs circonscriptions le maintien de radicaux hostiles aux accords de désistement du Front populaire en faveur de la SFIO ou du PCF explique les succès de second tour (à Quimper 1). Parfois, une fraction de l’électorat radical ne s’est pas reportée sur les socialistes (à Pontivy 2 où P. Ihuel est élu, Rennes 2, Châteaulin 2)95. Des abstentionnistes du 1er tour font pencher la balance à droite (Guingamp 1). La fraction modérée de l’électorat breton qui s’était prononcée pour la gauche radicale en 1932 choisit en 1936 les opposants au Front populaire. La radicalisation des campagnes dans la crise a pu faire la différence. La victoire nationale de la gauche va stimuler l’opposition des droites parlementaires et réactiver les opposants issus des ligues.
Durcissement et reclassements des droites en Bretagne contre le Front populaire : reprise et essor de l’agitation dorgériste
48Deux approches permettent de mesurer le poids des droites à la veille de la guerre : d’une part l’impact des mouvements non-parlementaires et souvent antiparlementaires et de l’autre l’enracinement électoral local qui permet de dégager l’évolution des rapports de force. Dès l’été 1936, l’agitation dorgériste reprend avec une volonté de politisation évidente, le mouvement atteignant son apogée en 1937.
49Le 28 juin 1936, Dorgères et Bohuon tiennent des réunions dans cinq localités du Morbihan : il y en aura 36 jusqu’à la fin de l’année mais elles mobilisent peu (de 20 à 150 personnes) sauf quand le chef se déplace lui-même (3 fois)96. Le 22 novembre, à Muzillac, le PSF apparaît comme l’organisateur. Il s’agit souvent de créer des comités de défense paysanne. Le mouvement en revendique 200 et « 15 000 paysans mobilisables » en mars 193897. Le principal orateur est Bohuon (46 réunions de 1935 à 1939). En 1937, 31 réunions sont recensées par les autorités dont un rassemblement de 12 000 personnes à Languidic le 11 juillet, puis 40 en 1938, presque toutes avant l’été. Les auditoires sont beaucoup plus limités. Le congrès interdépartemental du Faouët le 3 juillet 1938, avec défilé des Chemises vertes au monument aux morts malgré l’interdiction, n’a déplacé que 3 000 à 4 000 personnes alors qu’on en attendait 10 000. La fin du Front populaire fait retomber la pression98. Dans le Morbihan, le mouvement dorgériste a bénéficié de l’appui de notables agrariens de l’USBAM et de la chambre d’agriculture comme de son secrétaire Jean du Plessix de Grenédan. Le mouvement agraire se développe d’autant plus en 1937 qu’il bénéficie du ralliement de Joseph Cadic réélu député en 1936 qui a animé le Front paysan et du fils du conseiller général de Josselin, du Halgouët, où le comité local aurait plus de 500 adhérents. Une alliance entre les notables catholiques les plus conservateurs et les dorgéristes explique cet enracinement du mouvement dans les régions de Ploërmel et de Pontivy. Dans ces zones, l’aristocratie foncière conservatrice, battue en 1928 par les députés du PDP, prend ainsi sa revanche en soutenant un mouvement d’extrême droite comparable aux ligues99. Comme dans les Côtes-du-Nord, la région bretonnante à l’ouest est beaucoup plus réticente.
50En Loire-Inférieure, le dorgérisme s’étend dans le sillage du Front paysan mais il a mis quelque temps avant de devenir autonome. Il s’abrite au sein d’un Comité d’entente paysanne qui s’est formé en août 1935 avec les organisations professionnelles dont l’Union des syndicats agricoles qui a fait scission en 1934 avec l’Union du Morbihan. La propagande dorgériste est relayée par les syndicats agricoles conservateurs, leur journal La Terre Nantaise et par son président René Le Gouvello qui est devenu un fervent dorgériste. Ainsi, un comité départemental de défense paysanne n’est-il formé qu’au début de 1937 à Legé dans le sud du département en présence de 4 000 paysans. Il est présidé par Henri Robichon, un cultivateur de Bouguenais et dirigeant syndical, et il devient le plus important de la région. Le dorgérisme organise de nombreuses manifestations et se développe dans le pays de Châteaubriant et dans la presqu’île de Guérande.
51Le Finistère constitue un bastion des Chemises vertes présidées par Fiche de Bannalec où s’est tenu leur premier congrès en décembre 1935. En 1937, le mouvement y est bien structuré grâce à l’action de Joseph Divanac’h en Cornouaille et le soutien de l’Office central de Landerneau. Mais le Trégor et la Montagne où la gauche socialiste et communiste s’est opposée depuis 1932-1933 aux ventes-saisies résistent aux sirènes dorgéristes. Dans les Côtes-du-Nord, ils tiennent huit réunions au premier semestre 1937 mais selon le préfet ils ne rencontrent plus « aucun écho parmi les ruraux ». Un certain déclin se fait aussi sentir en Ille-et-Vilaine en 1937 et en 1938 malgré le premier congrès régional de l’unité paysanne qui rassemble 20 000 paysans à Rennes le 3 avril 1938. L’amélioration économique et sociale favorisée par la politique du Front populaire (Office du blé) désamorce largement en Bretagne la grogne paysanne. Mais la rupture de Dorgères avec les milieux agrariens et l’Union nationale des syndicats agricoles qui soutiennent les décrets-lois de 1938 sur les allocations familiales explique aussi un relatif déclin100.
La relative percée du PSF
52La création par le colonel de la Rocque du Parti social français (PSF) à partir des Croix-de-Feu le 12 juillet 1936 débouche sur l’organisation militante d’un parti de droite bien structuré en Bretagne. L’essor du PSF s’inscrit dans la création d’un grand parti de masse à droite en France puisqu’il va passer de 600 000 adhérents dès septembre 1936 à 1 ou 1,2 million en 1939101. La dissolution des ligues par le gouvernement Blum le 18 juin n’a provoqué que peu de réactions102. En Bretagne, les fédérations du PSF se mettent en place au début de 1938 (Côtes-du-Nord, Morbihan) (fig. 24 pl. XXI du cahier couleur). Le PSF s’organise dans les Côtes-du-Nord en septembre et octobre 1936 sous la houlette de Graziani, le responsable de la section de Guingamp. Par des réunions privées dans les campagnes et les petites villes, avec l’appui d’une partie du clergé et de certains notables de l’URD, le PSF recrute dans le patronat et les classes moyennes indépendantes. À Pontrieux, il a l’appui du Front paysan dorgériste et de Chemises vertes103. Avec Eugène Leclerc, le délégué régional, le PSF organise un banquet de 250 convives à Saint-Brieuc le 29 novembre 1936. Mais la mobilisation reste finalement assez limitée dans ce département orienté à gauche (19 réunions en 1937, 14 en 1938, 5 en 1939 ; de 100 à 250 auditeurs). Elles sont concentrées dans la région de Dinan et dans le Trégor qui a élu le député socialiste Philippe Le Maux. Pour éviter les incidents, les autorités interdisent des réunions du PSF à Plouaret et à Perros-Guirec104. En juin 1937, Charles Vallin tient un grand meeting à Saint-Brieuc (1 500 personnes) suivi par Jean Ybarnégaray à Lamballe en juillet (2 500). Ensuite, l’activité militante du PSF paraît s’essouffler au moment où F. Touche, président départemental, organise une fédération105. Cette situation ne correspond pas aux affirmations du PSF qui, au début de 1938, aurait 12 000 adhérents dans les Côtes-du-Nord après avoir atteint 7 614 en octobre 1937 selon le recensement du directeur du bureau politique Edmond Barrachin. Dans ce département les forces de droite, hormis le PDP qui tient son congrès à Perros-Guirec le 11 avril 1937 (400 personnes), ont bien du mal à organiser des structures permanentes. Avec la mort d’Yves Le Trocquer, l’ARD semble avoir disparu et, malgré deux députés proches, la Fédération républicaine est à réorganiser en 1939 comme en Ille-et-Vilaine106.
53Le PSF développe des sections dans les villes d’Ille-et-Vilaine à partir de Rennes (sauf à Vitré) et dans le nord du département à l’automne 1936. Là encore les estimations chiffrées divergent fortement entre le parti et les autorités publiques. En octobre 1936, son journal régional La Volonté Bretonne revendique 800 adhérents et sympathisants à Rennes et 2 000 à Saint-Malo ; le document Barrachin annonce 7 725 membres en octobre 1937 quand un ancien responsable reconnaît 1 500 à 2 000 adhérents en 1937-1938107. Même si les autorités minorent l’impact du PSF, l’écart est considérable. Sa capacité de mobilisation contre le Front populaire n’en est pas moins très forte : en avril 1937, à Laillé près de Rennes, un rassemblement régional déplace 30 000 personnes venues écouter La Rocque, Vallin et Barrachin. Il semble que dans ce département comme dans le Morbihan, le dynamisme de l’UNC et du dorgérisme bride la croissance du PSF. Dans le Morbihan où les Croix-de-Feu étaient dynamiques, l’implantation du PSF reste modeste en dépit de nombreuses petites réunions. Au début de 1937, le parti de La Rocque n’aurait que 800 adhérents et sympathisants. L’essor aurait eu lieu ensuite si on en croit le document Barrachin (3 082 en octobre 1937). De nombreuses sections se sont créées tout au long de l’année débouchant sur la formation officielle d’une fédération au début de 1938. L’influence du PSF qui recrute chez les conservateurs paraît assez limitée chez les notables et les élus de l’arrondissement de Vannes108. Sans doute parce que la même clientèle, y compris dans le monde rural, peut fréquenter les réunions des Chemises vertes et celles du PSF dans un phénomène de concurrence-complémentarité des droites extrêmes. Paradoxalement, dans ce département où les droites sont puissantes, l’essor du PSF paraît tardif et limité, peut-être parce que le terrain est déjà occupé par d’autres mouvements comme le dorgérisme ainsi que la localisation géographique semble l’indiquer.
54La situation du PSF finistérien est quelque peu différente des départements précédents. À sa naissance, il bénéficie de l’appui du journal catholique conservateur, Le Courrier du Finistère109. Son essor est rapide et considérable : en 1937, il compte 20 sections avec un bureau et 45 délégations locales situées aux deux tiers dans le nord Finistère110. Au début de 1937, le PSF finistérien aurait 12 000 adhérents, près de quatre fois plus que le PCF et la SFIO réunis. Mais ses effectifs stagnent après la crise qui traverse la direction nationale (affaire Pozzo di Borgo). Eugène Leclerc a été nommé par le colonel de la Rocque délégué régional du parti, chargé de suivre et d’organiser la propagande des trois autres fédérations bretonnes (sans la Loire-Inférieure). La capacité de mobilisation du PSF est forte : 10 000 lors de quatre meetings de La Rocque le 20 décembre 1936 ; 3 000 en mai 1937 à Brest pour Vallin puis 1 500 à Saint-Pol-de Léon dont le maire et conseiller général est Alain Budes de Guébriant, le fils du dirigeant de Landerneau ; 4 000 dans la même ville pour Ybarnégaray en août 1937. En février et mars une quinzaine de réunions du PSF sont organisées dans le Finistère sud dont une à Quimper avec le député de droite Hervé Nader qui est un sympathisant notoire111. Elles sont parfois houleuses notamment dans les ports où la gauche et les communistes portent la contradiction. Le 6 août 1939, La Rocque déplace encore au moins 32 000 personnes lors d’une fête à Clohars-Fouesnant (sud Finistère). L’organe régional La Volonté Bretonne dont le rédacteur en chef est le Brestois Pierre Branellec paraît du 5 octobre 1936 à mai 1940 et tire à 25 000 exemplaires. Les cadres du parti se recrutent dans la petite bourgeoisie, les catégories aisées et les classes moyennes urbaines ; quelques-uns ont des responsabilités à l’Office central de Landerneau, et l’UNC fournit des troupes. Comme pour le dorgérisme, la droite conservatrice préfère accompagner le PSF plutôt que de s’y opposer. Le PSF a pour ambition d’encadrer la société avec ses œuvres sociales (un service d’entraide, des sections féminines et d’action sociale), ses activités festives et artistiques. Contre la CGT, il encourage la création de syndicats professionnels français de la CSPF (dans le Finistère et les Côtes-du-Nord)112 ainsi que des aéro-clubs Jean Mermoz à Quimper et à Morlaix. Le PSF apparaît bien comme une force majeure dans la recomposition des droites finistériennes de 1936 à 1940. Plus que des rivalités, ce sont des passerelles ou des proximités qui semblent exister dans ce département.
55La droite conservatrice et catholique n’est pas en reste. Jean Crouan, « PSF de cœur et Fédération républicaine de raison113 », organise ainsi le 14 février 1937 à Pleyben une grande manifestation de la droite nationale finistérienne (7 députés ou anciens députés, 7 conseillers généraux, les responsables de l’UNC et des républicains nationaux). 15 000 personnes (6 000 selon la police) viennent écouter les harangues xénophobes, antijacobines voire antisémites de Philippe Henriot, Xavier Vallat et Emmanuel Temple, des « jeunes loups » de la Fédération républicaine. Le banquet réunit 2 000 convives tandis que le Front populaire a mobilisé 4 000 contre-manifestants. La radicalisation politique touche aussi la droite catholique, ce qui place le PDP absent de plus en plus en porte-à-faux.
56La fédération du PSF connaît un essor considérable en Loire-Inférieure où elle prend le relais de la droite conservatrice en s’appuyant sur les ligues et les Croix-de-Feu. Dès juillet 1936, plus de 1 000 personnes se réunissent à Nantes pour créer le nouveau parti114. À la suite de nombreux meetings, le président de la fédération annonce déjà 19 000 adhérents dont 4 000 à Nantes (7 sections) à la fin octobre 1936 et la création d’un mensuel Le Volontaire de l’Ouest115. Le document Barrachin donne alors 17 446 adhérents. Face aux grèves ouvrières et aux succès de quatre députés socialistes, les classes moyennes urbaines de droite se radicalisent dans ce département. Le patronat soutient le nouveau parti qui aurait une base ouvrière116. Les propriétaires terriens n’apprécient guère une certaine mise à l’écart. Les femmes jouent un rôle important dans le service social d’un parti qui crée des sections féminines dans plusieurs villes bretonnes. Le 30 janvier 1937, 2 000 délégués participent au congrès départemental du PSF de Loire-Inférieure présidé par Gillet de la Brosse et Paul Porcher, président régional, ancien président de la section nantaise117. Le banquet réunit les notables : les marquis de Juigné et de la Ferronnays et le sénateur Gautherot ; 12 000 personnes viennent acclamer le colonel de la Rocque. Des centaines de réunions se tiennent jusqu’en 1939 et il y aurait 75 sections en Loire-Inférieure selon le général Audibert118. Ayant son hebdomadaire, Samedi de l’Ouest, la fédération est exemplaire mais le PSF a encore peu d’élus car les notables de droite en place ne veulent pas s’effacer devant ce nouveau parti. On le laisse affronter les socialistes à Nantes aux élections cantonales de 1937. Le PSF obtient alors sept élus dans les conseils d’arrondissement et sept conseillers généraux, conservateurs ou URD, seraient sympathisants ou adhérents du PSF119. Son attraction sur les notables est indéniable dans ce département ce qui provoque des contradictions internes aux milieux conservateurs.
57Malgré son développement inégal, le PSF devient une force politique considérable en Bretagne de 1936 à 1939 ; il exerce une attraction réelle mais pourtant limitée sur les notables des droites classiques. Face au Front populaire, le PSF attire d’abord une fraction des conservateurs monarchistes déboussolés depuis la condamnation de l’Action française. En février 1937, le préfet du Morbihan remarque « que la majeure partie des royalistes ou sympathisants adhère au PSF ». On y rencontre quelques aristocrates, maires de leur commune, dans le Finistère comme le baron de Taisne ou des dirigeants du Comité de la droite comme Maurice Ricordel en Loire-Inférieure, représentant du monde catholique social et royaliste nantais. Certains trouvent dans la doctrine et le parti du colonel de la Rocque les prémices de « l’ordre social chrétien » auquel ils aspirent120. Des membres du clergé catholique adhèrent totalement à cet objectif mais l’épiscopat reste plus réservé notamment dans les Côtes-du-Nord. De même, une dizaine de parlementaires de droite, notamment des aristocrates de Loire-Inférieure parfois anciens Croix-de-Feu, tout en étant sympathisants du PSF en 1936 se gardent bien d’y adhérer ce qui réduit sa capacité d’action et d’influence121. Les élections locales des années 1930 mettent en valeur les évolutions politiques en cours.
La reconquête du terrain local par les droites
58L’hostilité commune au Front populaire d’une partie des centristes laïques passés à droite (radicaux indépendants et républicains de gauche), des centristes de droite du PDP et des droites républicaines et conservatrices modifie les rapports de forces dans les assemblées locales. Les élections cantonales d’octobre 1937, puis les sénatoriales d’octobre 1938 sont nettement plus politisées entre partisans et adversaires du Front populaire. Pourtant, à l’issue du renouvellement de 1937, la droite est toujours minoritaire en sièges en Bretagne (45 %) (tableau 1). Les majorités tiennent au positionnement au centre gauche ou au passage à droite des modérés. La dynamique du Front populaire a apparemment eu peu d’effet alors qu’une poussée à gauche est sensible au niveau national. La redistribution se fait à l’intérieur du camp des gauches. Pourtant, deux présidences de conseils généraux basculent à droite avant la guerre, ce qui en fait trois contre deux présidés par des radicaux modérés.
59Dans les Côtes-du-Nord, la majorité radicale du Conseil général se consolide alors qu’elle s’effrite dans le Finistère. Dans ce département, la majorité de la gauche laïque du sénateur Lancien (radical) tend d’ailleurs à se réduire : 23 élus contre 20 à la droite (7 conservateurs, 9 URD, 4 PDP) comme en 1934. Elle ne tient qu’avec l’appui de quatre républicains de gauche qui n’ont pas encore évolué vers la droite122. Le clivage droite/gauche traditionnel est toujours opératoire dans ces deux départements. Le conseil général d’Ille-et-Vilaine fait l’objet depuis 1919 de combats politiques acharnés pour plus de la moitié des cantons123. En 1928, les républicains laïques l’ont reconquis avec une voix de majorité mais ils le perdent en 1937 avec le même écart (perte de quatre sièges). Le sénateur-maire radical-socialiste de Saint-Malo Alphonse Gasnier-Duparc, président depuis 1935 et ministre de la Marine de Léon Blum, doit laisser son fauteuil à Marcel Rupied, maire conservateur de Vitré assisté de deux aristocrates124. Signe de durcissement politique, trois candidats du PSF se présentent et deux sont élus, à Redon et à Maure-de-Bretagne, les frères Lagrée. C’est la victoire des droites les plus réactionnaires. L’évolution est identique dans le Morbihan où le Conseil général auparavant présidé par un radical bascule à droite en faveur du Dr Guillois (URD), même si le rapport des forces a peu bougé125. Par un accord tacite de circonstance, démocrates-chrétiens et URD s’abstiennent de présenter des candidats contre des radicaux d’autant plus que le sénateur radical Rio a fermement condamné la politique du Front populaire dans le journal catholique Le Ploërmelais le 19 septembre 1937. Alors que le centre gauche est toujours théoriquement majoritaire (21 sièges sur 17), le Dr Guillois (URD, soutenu par L’Ouest-Éclair en 1936) emporte la présidence au 2e tour avec les voix de républicains de gauche dont celles des deux députés Le Pévédic et Tristan, très hostiles au Front populaire126. Dans ce département, une partie des notables du camp laïque passe bien à droite, au niveau national comme au plan local. En Loire-Inférieure où elles sont toujours hégémoniques (recul de deux sièges), les droites se recomposent en s’élargissant127. Il est difficile de connaître l’influence exacte du PSF qui auraient quand même sept adhérents et sympathisants au Conseil général. Pourtant le déclin de l’aristocratie rurale dans les conseils généraux bretons se poursuit inexorablement au profit d’une droite issue des classes moyennes urbaines (professions libérales) et des agriculteurs128.
60À la veille de la guerre, la poussée à droite est sensible en Bretagne aux élections cantonales de 1937, signe de la recomposition en cours, et lors des sénatoriales d’octobre 1938. Dans les Côtes-du-Nord, toutes les droites se retrouvent sur deux modérés, le Dr Bouguen (rép. de g.) et le maire de Lannion Edgar de Kergariou (rép. ind.), pour éliminer les radicaux-socialistes partisans du Front populaire dont Charles Meunier, président du Conseil général et sénateur sortant129. Les rivalités de personnes chez les vieux notables de gauche se réclamant du radicalisme et l’arbitrage de la droite ont fait pencher la balance en faveur de trois modérés contre deux radicaux130. Mais à quelques exceptions près, le PSF ne parvient pas à prendre pied.
61Le Finistère évolue dans le même sens puisque la droite obtient trois sénateurs pour deux radicaux sortants réélus mais hostiles au Front populaire (les docteurs Lancien et Le Gorgeu). Trois des cinq candidats « nationaux » désignés au congrès du Faou le 23 septembre 1938 l’emportent : Queinnec, le nouveau maire de Morlaix Le Jeune (membre du PSF) et celui de Ploaré du Frétay. Jacques Queinnec, notaire à Pont-L’Abbé, ancien député URD de 1928 à 1932, avait déjà gagné l’élection sénatoriale partielle du 1er mai 1937 avec l’appui de Jean Crouan en succédant à son vieil adversaire radical-socialiste Georges Le Bail décédé. De fait, depuis les élections de 1935 et 1936, le rapport gauche/droite a bougé avec le glissement dans le camp des droites de bon nombre d’élus locaux laïques ayant l’étiquette de républicains de gauche, voire de quelques radicaux-indépendants. Dans le Finistère, lors des élections sénatoriales de 1938, avec 668 délégués contre 560 la droite est majoritaire en y incluant tous les républicains de gauche qui ont pourtant reculé depuis 1929, de même que l’URD et les conservateurs131. Le Front populaire a accéléré le reclassement à droite des centristes laïques. Le PDP qui soutenait la liste de droite en 1929 tente de peser sur les résultats en 1938. Cette fois, il propose une liste de concentration républicaine en accord avec sa position nationale d’appui au gouvernement Daladier (les deux radicaux réélus et deux hommes de droite Inizan et Quéinnec)132. Cette position provoque une crise dans un parti déjà en déclin : l’ancien conseiller général Pierre Mocaër voulait une liste de droite avec deux PDP et comme il a été désavoué il se présente seul. Soutenant les modérés des deux camps, les délégués du PDP contribuent à la réélection des deux candidats laïques provoquant l’hostilité des droites et du Courrier du Finistère qui dénonce les « marchandages » des démocrates populaires. Le positionnement centriste est bien difficile à tenir dans une période où la droite la plus dure a le vent en poupe dans l’ensemble de la Bretagne depuis 1936.
62Une ultime élection législative partielle dans les Côtes-du-Nord en avril-mai 1939 à Saint-Brieuc 1 permet de mesurer les évolutions politiques au sein des droites. Il s’agit de remplacer le radical-socialiste Pierre Michel entré au Sénat. Au 1er tour le PSF Louis Huchet du Guermeur (24 %) devance Émile Le Guen (18,9 %) qui représente le PDP depuis 1932133. Au second tour contre le radical-socialiste François Auffray, l’homme du PSF à l’appui de toutes les droites y compris du député PDP de droite Alfred Duault, mais pas d’Émile Le Guen qui appelle à voter pour le radical-socialiste selon le Démocrate des Côtes-du-Nord et est suivi par la moitié de son électorat. Huchet du Guermeur est très nettement battu (34,8 %) dans une circonscription enracinée à gauche. Si le PSF bénéficie en Bretagne comme ailleurs d’un essor militant important de 1936 à 1939, son implantation électorale reste très limitée. Il a obtenu ses meilleurs résultats dans les conseils d’arrondissement en 1937 avec plus d’une dizaine d’élus mais dans des assemblées considérées comme secondaires134. Son essor a été le révélateur des contradictions et des divisions des droites catholiques bretonnes.
Tensions et recompositions au sein des droites
63Depuis 1934, les droites bretonnes et en particulier les monarchistes de Loire-Inférieure sont engagés dans une stratégie de regroupement, rendue plus nécessaire encore par la victoire du Front populaire. Dans ce département, l’ANO et le journal La Province veulent être les vecteurs de cette politique unitaire qui doit servir de modèle au niveau régional135. À partir de 1936, la Fédération républicaine (FR) s’intègre à cette logique en dépit du refus persistant du PDP. Malgré leur victoire électorale de 1936 en Bretagne, mais du fait de leur échec national, les forces de la droite catholique traditionnelle sont contraintes de se repositionner par rapport à la nouvelle poussée du dorgérisme et surtout vis-à-vis de l’essor du PSF qui constitue un danger tant son attraction peut être forte sur certaines fractions de ses notables et de son électorat. Le développement rapide du PSF bouleverse ce bel échafaudage de la composante la plus conservatrice des droites car le nouveau parti refuse de s’intégrer au Front de la liberté lancé par le chef du PPF Jacques Doriot le 8 mai 1937 autour d’un programme uniquement anticommuniste.
64Les velléités de regroupement des droites ne rencontrent pas l’aval de toutes les forces existantes. En effet, le PDP aspire toujours à se situer au centre droit tout en s’opposant au gouvernement de Front populaire dont il reconnaît pourtant la légitimité républicaine et donc en refusant le bloc des droites ou le front de la liberté. C’est une position difficile à tenir d’autant plus que la victoire de la gauche en 1936 a entraîné des déceptions et une baisse du militantisme notamment dans la FRDF du Finistère. Les prises de position des leaders du PDP dans Le Petit Breton permettent de cerner au plus près la ligne du parti démocrate-chrétien à l’été 1936 et au début de 1937136. Refusant le marxisme et l’anticléricalisme du Front populaire, le journal lui reconnaît le droit d’exprimer les aspirations des couches populaires et même de respecter les libertés républicaines, position précisée dès le 27 juin 1936 dans un article : « Pourquoi nous n’adhérons pas au Front populaire. » Mais en même temps, le PDP refuse d’être assimilé aux « vieux partis de droite » qu’il critique vertement poursuivant le combat des années 1920 et même du Sillon. Le Petit Breton du 11 juillet 1936 dénonce l’égoïsme social, les positions réactionnaires et le nationalisme des conservateurs et de l’URD, leur adhésion forcée ou simulée à la république : « Parce qu’il n’y a plus moyen de se déclarer royaliste ou bonapartiste sans se faire rire au nez ou conspuer de façon énergique. » Le journal met en valeur leur fascination « en secret » pour Mussolini et va même jusqu’à écrire : « Et, s’il fallait choisir, plusieurs préféreraient le primate sanglant Adolf Hitler à l’humaniste Édouard Herriot. » La presse du PDP est en même temps très critique à l’égard du PSF considérant que ce parti « garde l’esprit d’une ligue », fonctionne avec les cadres des « anciennes formations d’extrême droite » et qu’en province il incarne « la vieille mentalité conservatrice et réactionnaire »137. Il n’est pas possible de s’accorder avec une formation qui est pour « une république autoritaire ou dictatoriale » et qui développe « la mystique d’un homme, du chef » faisant songer au régime fasciste italien. Les républicains démocrates finistériens sont à l’avant-garde de cette critique du PSF et se battent pour conserver leur singularité. Mais cette analyse n’est pas obligatoirement partagée par tous les notables et toutes les fédérations bretonnes. Celle de Loire-Inférieure est beaucoup plus à droite, et lors des élections cantonales de 1937 elle participe à un comité d’entente des droites avec les monarchistes et le PSF. Elle est peu active tout comme celle d’Ille-et-Vilaine qui semble tombée en léthargie tandis que L’Ouest-Éclair adopte un profil assez droitier. De ce fait, plus à gauche, le mouvement des Nouvelles Équipes Françaises (NEF), impulsé par L’Aube, a constitué un groupe à Rennes (150 adhérents, plus des sympathisants) animé par le professeur d’histoire Henri Fréville qui n’est pas membre du PDP. Deux autres groupes des NEF existent en Bretagne à la veille de la guerre à Nantes et à Pontivy (25 et 75 adhérents).
65La présence du PDP est plus affirmée dans les Côtes-du-Nord où en février 1938 les Jeunes démocrates populaires organisent plusieurs réunions tandis qu’à Lannion, le 13 mars, un meeting de la fédération départementale jociste rassemble 1 500 jeunes138. Signe d’une certaine vitalité, le congrès fédéral du PDP de Saint-Cast déplace 200 délégués en 1938, mais un an auparavant, le 11 avril 1937, ils étaient 400 au congrès de Perros-Guirec pour écouter le vice-président du comité exécutif, Pierre-Henri Teitgen, souligner l’échec du gouvernement de gauche. L’essoufflement militant est sensible dans la fédération du Finistère qui se divise lors des élections sénatoriales de 1938 entre les partisans d’une alliance avec les autres partis de droite et les tenants d’une concentration républicaine au centre comme Paul Simon et Pierre Trémintin qui affirme au début de 1938 que « l’heure de la compromission avec la droite est finie ». Cet affrontement interne entre deux lignes politiques provoque une crise. Pourtant, en avril 1939 un banquet donné à l’occasion des 25 ans de mandat parlementaire de Paul Simon rassemble un millier de personnes, militants, sympathisants et parlementaires du PDP, preuve du rayonnement de la FRDF. De même, sous l’impulsion de son président Ernest Pezet, la fédération du Morbihan poursuit son implantation avec des sections dans les principales villes et chefs-lieux de cantons. Au congrès fédéral de Baud le 30 avril 1939, plus de 120 délégués représentent 14 sections importantes. À partir de 1938, avec l’arrivée à la présidence du Conseil d’Édouard Daladier, le PDP soutient les gouvernements au nom de la concentration républicaine face au danger de guerre croissant. Cette force politique qui compte en Bretagne essaie de s’extraire du camp des droites. Elle va se renouveler et s’affirmer dans le creuset de la Résistance et à la Libération.
66Pour répondre à la concurrence du PSF et au positionnement ambigu de bon nombre de ses notables, au nom de l’anticommunisme, la Fédération républicaine de Louis Marin accepte des convergences avec la droite nationaliste et même avec l’extrême droite. Certains élus entretiennent un compagnonnage avec le PSF sans toujours oser franchir le pas de l’adhésion. Cette proximité ne tardera pourtant pas à aboutir à un même ralliement au maréchal Pétain et à sa Révolution nationale. En Loire-Inférieure, la FR entretient des liens étroits avec les milieux monarchistes rendus évidents avec l’apparentement des députés royalistes au groupe parlementaire de l’URD. La FR ambitionne de recycler les notables de cette mouvance139. Les contacts se font au plus haut niveau entre Louis Marin et les aristocrates parlementaires. La FR est favorable au regroupement des droites y compris au sein du Front de la liberté, d’autant plus que le PSF qui chasse sur ses terres électorales le refuse. En 1936, la FR, ses notables et ses partisans participent à tous les grands « rassemblements nationaux » contre le Front populaire, de Quimper le 17 mai 1936 à Saint-Mars-la-Jaille le 30 août et à Rennes le 25 octobre. Là, des parlementaires de la FR, Jean Crouan, Étienne Le Poullen et Alexandre Lefas d’Ille-et-Vilaine se retrouvent avec des monarchistes comme de La Ferronnays et de La Bourdonnaye, mais aussi avec le député du PDP Étienne Pinault qui appartient à l’aile droite de son parti tout comme son collègue des Côtes-du-Nord Alfred Duault. En Loire-Inférieure où la Fédération républicaine est dirigée par deux sénateurs très droitiers, Louis Linyer qui devient vice-président du parti en 1937, et Gustave Gautherot, cette conjonction des droites est très forte. Le Comité d’Union républicaine qui émane de la FR semble bénéficier du transfert de notables conservateurs ou ex-monarchistes en affirmant regrouper en 1937, 2 sénateurs, 3 députés, 10 conseillers généraux et 40 maires (18,2 %).
67En Loire-Inférieure, les monarchistes ont pris l’initiative d’un grand rassemblement national contre le Front populaire à Saint-Mars-la-Jaille le 30 août 1936 (25 000 personnes) dans le fief du marquis de la Ferronnays. En juin 1937, ces conservateurs acceptent les offres de Front de la liberté des doriotistes du PPF nantais pour conforter leur tutelle sur les droites locales. Toutes les forces de droite, des radicaux indépendants à la FR, des anciennes Jeunesses patriotes dissoutes en 1936 et reconstituées dans le Parti national et social (PNS) aux anciens de l’AF, rejoignent cette initiative sauf le PSF qui s’y refuse selon la position du colonel de La Rocque. Mais la démonstration de force attendue à Sainte-Luce le 11 juillet 1937 est un échec partiel – 15 000 personnes au lieu de 100 000 – à cause de l’absence du PSF. Les tensions vont alors s’accentuer entre ce Front de la liberté et le nouveau parti en plein essor qui, ne voulant pas être assimilé à l’extrême droite, propose une mystique de réconciliation nationale et prône l’autonomie politique. En outre, le PSF devient un concurrent électoral dangereux pour les notables des partis traditionnels. Lors d’une élection partielle à Paimboeuf (Loire-Inférieure) au début de 1937 pour remplacer le marquis de Juigné entré au Sénat, le PSF a hésité à présenter un candidat avant de s’effacer devant celui des monarchistes, Augustin Dutertre de la Coudre. En février 1938, les dirigeants monarchistes du Comité de la droite décident de s’en prendre à ces militants du PSF peu respectueux de leur notabilité, puis ils rompent les liens entre les deux organisations en octobre. La Province relaie cette offensive en Bretagne ; plusieurs élus de l’aristocratie quittent le parti de la Rocque.
68Mais cette stratégie d’union avec la droite la plus extrême n’est pas appliquée par tous les adhérents de la Fédération républicaine. En Ille-et-Vilaine, ses parlementaires plus modérés ne souhaitent pas trop se compromettre avec les milieux monarchistes et l’ANO. Le meeting commun de Rennes du 25 octobre 1936 a été organisé avec des leaders nationaux de la FR comme Philippe Henriot sans avoir consulté les deux députés locaux de la FR qui sont eux favorables à un rapprochement avec les radicaux-socialistes hostiles au Front populaire et non avec la droite extrême. Le Poullen s’en plaint dans une lettre à Jean Marin mais participe quand même à ce rassemblement. Des divergences traversent donc les notables de la FR sur les alliances à établir, habilement exploitées par les leaders les plus conservateurs comme Eugène Delahaye à Rennes qui jouent les plus droitiers du parti pour entraîner les modérés. Les relations avec le PPF qui possède quelques noyaux militants groupusculaires dans la région sont plus difficiles à gérer. Mais la participation active de la FR à ces alliances des droites catholiques bretonnes, en leur donnant une certaine respectabilité, contribue à leur radicalisation contre le Front populaire tout en accélérant les recompositions en cours. Pourtant, leur niveau d’organisation reste assez limité avec des fédérations départementales inexistantes ou en voie de réorganisation dans les Côtes-du-Nord, en Ille-et-Vilaine et dans le Finistère. Les comités de Loire-Inférieure et du Morbihan paraissent les plus actifs. Leur influence passe essentiellement par les élus et par la presse catholique animée par des adhérents de la FR comme L’Électeur des Côtes-du-Nord et Le Nouvelliste de Bretagne mais ces journaux connaissent des difficultés croissantes.
69Dans cette période, la droite monarchiste, de plus en plus repliée sur son bastion de Loire-Inférieure, joue sa survie en Bretagne alors que l’Action française (AF) a partout disparu ou a été marginalisée à quelques groupes urbains, sauf à Nantes140. La rupture des Princes avec l’AF dont celle du comte de Paris n’arrange évidemment pas leurs affaires. En 1937, comte de Paris et AF affirment chacun leur indépendance et organisent leur propre propagande jusqu’à la rupture. Cette nouvelle crise des milieux monarchistes a des répercussions en Bretagne puisque plusieurs délégués des princes démissionnent sauf le marquis de la Ferronnays141. Il ne reste donc plus qu’un seul comité royaliste actif dans la région, la Loire-Inférieure étant le département français où le royalisme est le plus influent puisqu’il domine le Comité de la droite. En 1936, sur 105 membres, ce Comité comptait deux sénateurs, trois députés, 16 conseillers généraux (34,8 %) et 31 maires (14 %) et de nombreux sympathisants. Au moment de la rupture, selon La Ferronnays, sur les 105 membres, 55 seraient des royalistes « dévoués à la Maison de France », d’abord fidèles au prétendant, 15 « royalistes d’AF » mais disposés « à obéir aux Princes », 4 AF c’est-à-dire avant tout maurrassiens et 33 « nationaux », sympathisants monarchistes. Pourtant, de nombreux aristocrates sont déçus de ces divisions qui affaiblissent leur cause et les marginalisent un peu plus à la veille de la guerre.
70L’extrême droite représentée par Jacques Doriot et son Parti populaire français (PPF) existe très marginalement en Bretagne. Un groupe du PPF apparaît à Saint-Brieuc en mars 1937 (12 adhérents) ; il est alors dirigé par des conservateurs et n’a attiré aucun ancien militant communiste. Mais il reste à l’état groupusculaire malgré quelques meetings de Doriot quand il vient en vacances au Val-André142. Une fédération départementale squelettique existe en 1938. Dans le Finistère, des dissidents du PSF forment une section de 25 membres à Landerneau en mai 1938143. Quelques noyaux du PPF sont signalés dans les autres départements, à Rennes et à Nantes, mais les droites ne se reconnaissent pas dans ce parti du renégat communiste même si certains ont pu faire un bout de chemin avec son Front de la liberté pour mieux s’opposer au Front populaire. Avant la guerre, à l’extrême droite, le PPF qui est en train d’évoluer du communisme national vers le national-socialisme ne parvient pas à s’implanter en Bretagne. Néanmoins, cette antériorité va compter en 1941 quand ce parti pronazi se reconstitue sous la protection de l’occupant allemand. Représentant l’aile droite du mouvement breton, le nouveau PNB ne connaît pas de développement beaucoup plus important.
La marginalité du PNB
71À la suite de l’éclatement du PAB en 1931, la fraction de gauche du mouvement breton a fondé la Ligue fédéraliste de Bretagne (LFB). La rupture du courant fédéraliste et du courant nationaliste de droite a été consommée au congrès du PAB de Guingamp en août. Le 27 décembre, une phalange de 16 militants fonde le Parti national breton (PNB) au congrès de Landerneau. Il n’est guère aisé d’évaluer le nombre de militants du PNB qui somme toute reste très faible et est en butte à la population de la région. Ainsi à Nantes, deux militants seulement sont surveillés par la police en juin 1930, six en novembre 1932 au moment des attentats de Rennes et d’Ingrandes lors de la venue d’Édouard Herriot dans la ville pour célébrer le quatrième centenaire de l’union de la Bretagne à la France144. Il existait une section du PAB à Nantes-Vertou. Le principal militant est alors le jeune Maurice (Morvan) Lebesque nommé instituteur public à Saint-Joachim en Brière en 1929 (à 18 ans) mais révoqué six mois plus tard en mars 1930, selon lui pour son engagement autonomiste145. Lebesque devient permanent du PAB à Rennes et rédacteur de Breiz Atao. À la fin 1930, en délicatesse avec Debauvais l’un des leaders du PAB, Morvan Lebesque rejoint à Nantes Evit Keltia, une poignée d’ultra-catholiques bretons dirigés par Théophile Jeusset qui publient Breiz da zont, une feuille extrémiste qui s’affirme « séparatiste, nationaliste et catholique ». Ils forment en mars 1931 un Parti nationaliste intégral de Bretagne regroupant quelques individus : Lebesque en devient le délégué général à la propagande. Celui qui penchait auparavant vers le fédéralisme s’affirme désormais ultra-nationaliste, écrit des articles antisémites et plaide pour « la doctrine du social nationalisme breton » (Breiz da zont, 1er décembre 1931), expression d’un nazisme breton qui anticipe l’évolution du PNB. Morvan Lebesque quitte ce groupuscule durant l’été 1932 pour Paris où il vivote en effectuant des piges dans les journaux. Converti au royalisme, Breiz da zont survit deux ans. L’Emsav politique s’enracine de plus en plus à droite et à l’extrême-droite dans les années 1930.
72En 1931, dans le groupuscule nationaliste du PNB se retrouvent les principaux leaders de la mouvance catholique (les frères Raymond, Yves et Hervé Delaporte de Châteaulin liés à l’abbé Perrot) et les durs de l’extrême droite de l’Emsav (Debauvais, Mordrel, Laîné, Brickler, Guiyesse) ainsi paradoxalement que l’instituteur laïque Yann Sohier146. Mais Sohier, ami du communiste Marcel Cachin, prend ses distances avec ce PNB. Car cette formation évolue de plus en plus nettement vers le séparatisme et l’extrémisme, rejetant un autonomisme trop tiède à ses yeux, au profit d’un nationalisme de plus en plus exacerbé, sous la houlette de deux chefs originaires de Haute-Bretagne, Olivier Mordrelle (Olier Mordrel 1901-1985) et François (Fransez) Debauvais (1903-1944) qui prennent la direction du parti en 1937 en évinçant le courant traditionaliste catholique147. Avec son groupe clandestin Gwenn ha Du (une dizaine de membres), l’ingénieur chimiste Célestin Laîné (1908-1983) fait parler du mouvement breton en perpétrant toute une série d’attentats contre des bâtiments publics du 7 août 1932, date de la destruction symbolique de la statue commémorant à Rennes le rattachement de la Bretagne à la France, à 1939148. Notons qu’en 1932, le PCF soutient les actions des autonomistes alsaciens, bretons et corses au nom de la lutte contre l’impérialisme français et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Le PCF défend alors les langues régionales (breton, alsacien, provençal, corse…). Attaché à sa langue, le dirigeant Marcel Cachin s’exprime régulièrement en breton lors de ses meetings des années 1930.
73Offensifs, les principaux courants de droite du mouvement breton se coordonnent au sein d’un grand conseil secret, le Kuzul Meur, créé en mai 1933149. Au sein du PNB, Mordrel s’affirme comme l’idéologue en publiant dans Breiz Atao du 12 mars 1933 son programme SAGA (initiales de Strollad ar Gelted Adsavet) qui veut faire du PNB le « Parti des Celtes réveillés ». Cette radicalisation coïncide avec l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Dès lors, Mordrel ne va cesser de montrer son admiration pour le Führer et de développer des thèses racistes et fascistes dans sa revue Stur, Le Gouvernail (no 1, septembre 1934). Il se veut l’aiguillon d’un parti qui n’ose pas encore assumer publiquement de telles positions. Mordrel veut tracer une voie bretonne vers le fascisme, fasciné par les théories des races supérieures nordiques auxquelles selon lui se rattacheraient les Celtes. Il s’agit bien d’une rupture politique et idéologique au sein du mouvement breton et le début d’une dérive qui va conduire ses tenants vers le collaborationnisme le plus extrême sous l’Occupation. La Ligue fédéraliste de Bretagne, de plus en plus nettement positionnée à gauche, dénonce cette évolution écrivant dans La Bretagne fédérale de janvier 1934 : « Désormais, les gauches bretonnistes ont deux ennemis, l’impérialisme français et l’impérialisme breton. Le programme SAGA, la politique nationaliste bretonne sont marqués du signe de l’impérialisme et du fascisme. La croix gammée, est-ce un hasard, est restée leur emblème150. » En août 1935, le même journal parle des « nationaux-socialistes de Breiz Atao », même si tous les militants du PNB, notamment la composante catholique, n’adhèrent pas encore à cette idéologie. Dans les combats politiques des années 1930, la coupure gauche-droite et l’affrontement antifascisme-fascisme divisent le minuscule mouvement breton qui ne peut plus être considéré comme un bloc.
74Célestin Laîné qui a créé à l’été 1936 un Kadervenn, un sillon de combat, signe d’une radicalisation contre la France du Front populaire, relance une campagne d’attentats, notamment contre les préfectures de 1936 à 1938 qui ne font que des dégâts matériels. C’est bien la France révolutionnaire et républicaine qui est visée comme en témoigne le 18 décembre 1938 la destruction du monument à la Fédération Bretonne-Angevine à Pontivy. En outre, durant les années 1930 des nationalistes bretons du PNB entretiennent des liens étroits avec certains cercles nazis allemands, parfois au nom d’une recherche dite scientifique, comme la Société allemande d’études celtiques contrôlée par des nazis et des universitaires SS151. Des contacts existent même avec l’Abwehr, le contre-espionnage militaire allemand, qui contribue au financement du mouvement152.
75À la fin des années 1930, la fascisation du PNB se poursuit car Debauvais qui séjourne souvent en Allemagne pour des raisons de santé n’est pas insensible aux sirènes fascistes sans partager toutes les thèses de Mordrel. Au printemps 1937, la crise éclate quand les frères Delaporte du Bleun Brug s’opposent à Mordrel. Debauvais choisit Mordrel contre les catholiques bretons si bien que les Delaporte quittent le PNB laissant le champ libre aux ultras. Au congrès de Carhaix (août 1937), le PNB se transforme en parti fasciste breton dirigé par un chef suprême, Debauvais, n’ayant de comptes à rendre qu’au Kuzul Meur. Les 27 et 28 août 1938, le dernier congrès d’avant-guerre du parti qui se tient à Guingamp renforce l’idéologie ethnique, raciste et totalitaire, ainsi que l’emprise des deux leaders pronazis sur le PNB. Il est bien difficile de savoir combien il reste de militants et surtout quel est l’impact de ce groupuscule sur la population bretonne. L’isolement et le rejet sont évidents d’autant plus que Breiz Atao, l’organe du PNB, défend ouvertement la politique militariste et expansionniste hitlérienne. D’ailleurs, le PNB approuve l’Anschluss et lors de la crise des Sudètes et des accords de Munich, en septembre 1938, il défend des thèses néo-pacifistes, voire défaitistes en collant une affiche sur le thème : « Pas de guerre pour les Tchèques ! Le sang des Bretons appartient à la Bretagne ! » Il précède donc la propagande que l’ex-néo-socialiste Marcel Déat développera au printemps 1939 sur la question du soutien français à la Pologne. En même temps, en 1939 Stur appuie l’expansionnisme nazi en Europe centrale et orientale153.
76Dans un contexte de marche à la guerre, la propagande antifrançaise de Breiz Atao, bien que moins virulente, provoque la répression : suite aux graffitis d’une dizaine de militants dont Lainé en mai 1938 (« La Bretagne aux Bretons », « La France aux juifs »…), plusieurs écopent d’un à trois mois de prison. Le chef Debauvais préfère se réfugier à Bruxelles chez Fred Moyse, un agent allemand. En octobre 1938, estimant qu’un procès public servira la cause bretonne, il rentre en France et est condamné le 14 décembre 1938 à un an de prison ferme154 ; Mordrel écope de la même peine mais avec sursis. L’activisme de ces séparatistes, de plus en plus isolés dans une région patriote, décroît. Parallèlement, le noyau militaire du Gwenn ha Du (Laîné et Le Helloco) pousse l’entraînement militaire de son Kadervenn et surtout il obtient de l’Abwehr une livraison d’armes et de tracts défaitistes sur le modèle irlandais de 1917155. Le 9 août 1939, Le Gwalarn récupère ce chargement en haute mer et le débarque à Locquirec où André Geffroy, un des chefs du Kadervenn de Laîné, le dissimule. Avant même le début des hostilités, cette poignée d’ultras se livre à une opération de trahison en prévision d’une subversion au service du Troisième Reich, à l’insu des militants du PNB156. Désormais, il ne s’agit plus de combat politique mais bien d’un engagement contre la France qui prépare la voie au collaborationnisme.
77Au moment où la répression frappe le PCF qui vient d’approuver le Pacte germanosoviétique, elle touche aussi le PNB : le numéro de Breiz Atao du 27 août 1939 est saisi et le congrès du parti qui devait se tenir au château des Rohan à Pontivy interdit. Il ne fait pas de doute qu’à la veille de la guerre, par ses chefs, sa propagande, ses actions, le PNB relève de l’extrême droite bretonne et d’un véritable fascisme breton qui va éclore à la faveur de la défaite. Comme l’opinion publique, l’ensemble de la droite républicaine bretonne rejette ce groupuscule politique.
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78Dans les années 1930, en Bretagne la droite évolue à la faveur de l’agitation sociale de la Grande Dépression et de la victoire électorale du Front populaire. D’abord, les centristes laïques de l’ARD sortent affaiblis d’une polarisation gauche-droite très marquée et une partie de ses cadres évolue clairement vers la droite dans l’opposition à un radical-socialisme qui renouvelle ses députés et se positionne plus à gauche (dans les Côtes-du-Nord). Le PDP se consolide dans ses bastions électoraux en supplantant les notables conservateurs et souvent aristocrates (Léon, Vannetais) mais sans parvenir encore à s’enraciner localement. Il doit donc compter sur des élites locales et un électorat de droite sans pouvoir s’affirmer réellement comme un nouveau centre républicain catholique. Même s’ils résistent localement (Loire-Inférieure, Vannetais, Vitréen), les grands notables conservateurs, héritiers de la tradition monarchiste et de l’Action française, sont contraints de céder du terrain au profit d’une nouvelle droite plus paysanne, issue ou proche de la Fédération républicaine-URD. Le mouvement est d’autant plus net lors des élections de 1935 à 1937 que l’URD est capable de faire émerger ou d’attirer à elle de jeunes députés à côté de ses notables ruraux. L’agitation agraire dorgériste est forte en 1933-1935 dans une région où Dorgères et ses lieutenants peuvent jouer les trublions antiparlementaires et fascisants. Malgré son activisme de 1936 à 1938 contre le Front populaire (dans le Morbihan et le Finistère), le dorgérisme mobilise beaucoup moins de monde dans les campagnes bretonnes et il doit souvent faire face à l’opposition de militants de gauche. L’enracinement de cette extrême droite est beaucoup moins profond que sa courbe d’activités ne le laisserait penser. L’impact du Parti national breton (PNB), pris en main à partir de 1937 par Olier Mordrel et Fransez Debauvais, deux leaders attirés par le nazisme, est trop faible pour peser sur la vie politique tout comme un PPF plus que groupusculaire. Mais, ces deux courants vont se manifester dans le collaborationnisme sous l’Occupation. Sauf dans le Finistère et en Loire-Inférieure où une activité importante et une attraction militante des classes moyennes se déploient de 1936 à 1939, le PSF ne parvient pas véritablement à s’imposer sur le terrain électoral. En effet, si une partie des responsables de la droite conservatrice accompagne le mouvement en 1936 et 1937, très peu d’élus s’y rallient finalement et le PSF ne parvient pas à percer dans les urnes en 1937 et 1938. La poussée prévue lors des élections législatives de 1940 n’aura évidemment pas lieu car le pays est vaincu et occupé. Pour les droites, en Bretagne comme en France, les années 1930 sont le temps de l’organisation partisane, des recompositions, d’un durcissement et d’une radicalisation apparemment favorables aux partis les plus extrêmes mais elles sont aussi celles de la consolidation d’un centre droit démocrate-chrétien, encore faible électoralement mais qui va s’imposer à la Libération. Auparavant, Vichy et l’Occupation remettent en question les rapports de forces et les notables dominants car la Révolution nationale se veut aussi une révolution politique.
Notes de bas de page
1 Christian Bougeard, Le choc de la guerre dans un département breton : les Côtes-du-Nord des années 1920 aux années 1950, thèse d’État, Rennes 2, 1986, p. 93-95 et 175-178. Pour le Sénat, Le Trocquer a tenté de se faire investir par « le congrès républicain » de plus en plus orienté à gauche et a été battu. Il est finalement élu au 3e tour sénateur contre un radical-socialiste de gauche grâce à des voix de droite. De Kérouartz est réélu en 1932 avec l’étiquette URD, seul député de droite des Côtes-du-Nord.
2 Rosemonde Sanson, « L’Alliance républicaine démocratique : une reformulation du Centre gauche ? », Les modérés dans la vie politique française, op. cit., p. 155-167.
3 Laurent Caro, Le Finistère et Maurice Bouilloux-Lafont député de Quimper (1914-1932). Ligne politique (1914-1939), maîtrise d’histoire, Brest, UBO, 1996.
4 R. Bellanger, J. Laurent et G. La Chambre.
5 Seul Sibille (rép. de gauche) vote avec la droite. Il y a trois abstentions.
6 Christian Bougeard, « Les notables et les forces politiques de droite en Bretagne dans les années 1930 », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, t. 109, 2002, no 3, p. 121-139.
7 Christian Bougeard, thèse citée, p. 260-262.
8 Il est dirigé par deux représentants de commerce dont Jacques Waron, le fils de l’ancien maire.
9 C’est le cas de l’industriel Busnel, conseiller d’arrondissement, thèse citée p. 372-373.
10 David Bensoussan, op. cit., p. 992-1004.
11 Sur ordre de Mgr Charost.
12 Le rapport général est présenté par Halna du Frétay, conseiller général de Douarnenez, président de la Fédération républicaine du sud Finistère.
13 À la tribune se retrouvent E. Delahaye, le général de Lesquen, M. Rupied battu par Bellanger à Vitré en 1928.
14 David Bensoussan, op. cit., p. 1004-1013.
15 Le sénateur Fortin, le député Henry et le futur député Queinnec.
16 V. Inizan et J. Hénaff, vice-président de la FR.
17 C’est un professeur de l’Institut catholique de Paris spécialisé dans l’anticommunisme.
18 David Bensoussan, op. cit., p. 1027-1050 et vol. 7, fig. 40.
19 À Ploërmel, le PDP A. Bahier ne se représente pas et J. du Plessix de Grenédan s’efface devant le sénateur Guillois, le leader de la Fédération républicaine.
20 Le sortant Bret à Redon, P. de Robien à Saint-Brieuc 2, X. de Pontbriand à Dinan 2.
21 Élu à Lannion en 1930, Y. Le Cozannet s’est rapproché en 1931 du PDP. Émile Le Guen est candidat à Saint-Brieuc 2.
22 Christian Bougeard, thèse citée, p. 283 et 288-291.
23 Les républicains de gauche Bréant (Châteaubriant), Duez (Nantes-3), Le Pévédic (Lorient) et Barbot (Montfort).
24 Martine Dufresne, Les campagnes électorales des élections législatives de 1932 et 1936 dans le Morbihan, op. cit., p. 98-100. Les trois candidats de gauche n’ont recueilli que 6,2 % des voix.
25 De manière très violente, un journal d’AF Le Semeur d’Ile-de-France réclame une enquête en ces termes : « Le rouge-chrétien Pezet élu par suite d’abominables manœuvres de cléricalisme-pédé devra être invalidé. » Cité par David Bensoussan, p. 1048. Delahaye quant à lui dénonce la main du radicalisme, de la franc-maçonnerie et des autorités religieuses.
26 Il s’agit de Vincent Inizan, député du Finistère (Brest 3) de 1919 à 1940 et De Montaigu, député de Saint-Nazaire 2 de 1910 à 1919 et de 1928 à 1940. Trois députés bretons s’inscrivent au groupe du Centre républicain d’André Tardieu issu de l’URD : Bret (Redon, 1924-1940), de Lyrot (Vitré, 1932-1940) et Merland (Nantes 1, 1924-1936).
27 Martine Dufresne, op. cit., annexe 1.
28 Exemple significatif : pour la première fois en ballottage à Paimboeuf, le marquis de Juigné n’est réélu que par 600 voix d’avance contre un radical indépendant.
29 Jacqueline Sainclivier, op. cit., p. 78-79.
30 Le 18 janvier 1933, ce journal titre : « Vivement la Réaction » appelant à une « Révolution nationale » après le 6 février 1934. David Bensoussan, op. cit., p. 1332-1338.
31 Fondée en juillet 1932, l’Union nationale ancenienne a 3 000 adhérents fin 1934.
32 Paul Simon dans L’Ouest-Éclair du 11 février 1934. Pour le journal, il n’y a pas de danger fasciste en France mais il faut réformer les institutions.
33 Jacqueline Sainclivier, p. 89-90 et Christian Bougeard, thèse citée, p. 364-373. Dans les Côtes-du-Nord, une liste nominative de 1937 ou 1938 donne les noms de 56 membres de l’AF dont 64,3 % de nobles. Deux deviennent des responsables du PSF.
34 David Bensoussan, op. cit., p. 1346-1363.
35 Jean-Paul Thomas, « Les effectifs du parti social français », Vingtième siècle, no 62, avril-juin 1999, p. 61-83. Carte III d’après Jean Philippet.
36 C’est le moyen de poursuive le même combat politique sans risquer les foudres de l’Église.
37 Voir le chapitre IV.
38 Lors du meeting d’Henriot à Nantes et de La Rocque à Lorient où la manifestation antifasciste s’en prend au Nouvelliste du Morbihan dirigé par Alexandre Cathrine, le principal responsable Croix-de-Feu.
39 Bruno Le Roux, Le mouvement Croix-de-Feu et le PSF dans le Finistère, maîtrise d’histoire, Brest, UBO, 1996, p. 7-15.
40 Instituteur dans le Doubs, agrégé d’histoire, quatre fois blessé, E. Leclerc se marie et s’installe à Landerneau en 1919. Il est le père de quinze enfants dont Édouard Leclerc, le créateur de la chaîne de magasins.
41 Rapport du commissaire de police de Brest. 17 juillet 1934.
42 13 000 repas en trois mois à Nantes.
43 David Bensoussan, op. cit., p. 1352-1353.
44 En 1935, La Province se veut le « journal de Front national » cherchant à faire de l’ANO « le terrain de rencontre des ligues nationales ».
45 En Ille-et-Vilaine, la volonté de rassembler toutes les droites catholiques le 6 février 1935 échoue : le PDP, la FR et les Croix-de-Feu n’y participent pas contrairement à Nantes où deux députés monarchistes sur trois et quatre sénateurs sont présents.
46 Maryvonne Pedrono, Le Morbihan au temps des fourches. Le dorgérisme dans le Morbihan dans les années 1930, maîtrise d’histoire, Rennes 2, 1996. Selon un rapport de police, les trois autres membres du bureau appartiennent à l’AF et à l’extrême droite, p. 37-42.
47 D’autres réunions ont lieu dans le Finistère et le Morbihan sans Dorgères (2 000 personnes à Pontivy le 6 février 1933).
48 David Bensoussan, op. cit., chap. XVII, p. 1278-1330.
49 Régis Fricot et Pierre Genaitay, Dorgères et le mouvement paysan, maîtrise d’histoire, Rennes, 1972.
50 David Bensoussan, op. cit., p. 1194-1196.
51 Les deux hommes se sont battus ensemble contre les lois sur les assurances sociales.
52 Robert O. Paxton, Dorgères et les chemises vertes, Paris, Le Seuil, 1996, p. 94-97.
53 Maryvonne Pedrono, op. cit., p. 53-74.
54 David Bensoussan, op. cit., p. 1360-1363.
55 Un journal est lancé : Le Démocrate des Côtes-du-Nord.
56 L’Ouest-Éclair, 8 juin 1935. C’est le cas à Baud, Locminé, Pontivy, Le Faouët.
57 Jean-Charles Floch, op. cit., p. 150-156.
58 Le Démocrate des Côtes-du-Nord, mars 1936. La SFIO a voté pour le gouvernement Sarraut et le PCF s’est abstenu.
59 David Bensoussan, op. cit., p. 1341 et 1456. Pour 1937, la réduction de la droite au camp catholique est discutable. Elle s’est de fait élargie aux centristes laïques opposés au Front populaire.
60 La droite gagne aussi trois sièges au conseil d’arrondissement.
61 Christian Bougeard, thèse citée, p. 347-349.
62 Nous tenons compte des étiquettes des élus, ce qui ne signifie pas qu’ils appartiennent à un parti. Les étiquettes sont plus souvent attribuées par les fonctionnaires de la préfecture que revendiquées par les élus.
63 Jacqueline Sainclivier, op. cit., p. 70-73 et carte no 10 et David Bensoussan, op. cit., p. 1342-1345.
64 Christophe Rivière, Approche de la légitimité politique des notables bretons (Morbihan), UBO, Brest, 2002, p. 151 ; Christian Bougeard, thèse citée ; David Bensoussan, op. cit., p. 1345. Les chiffres peuvent varier de quelques unités selon les sources. Nous avons retenu le chiffre de 39 municipalités conservatrices dans les Côtes-du-Nord en 1935 (48 selon D. Bensoussan). Les chiffres donnés par Ch. Rivière sont différents dans le Morbihan.
65 Toutefois, des maires classés conservateurs en 1919 et 1925 peuvent ensuite prendre l’étiquette URD tout en restant en place.
66 Christian Bougeard, thèse citée, p. 538. Un militant du PSF est élu au conseil d’arrondissement à Lannion.
67 Id., p. 351-353.
68 En 1929, une liste conduite par Victor Le Gorgeu (rad.), élu sénateur en 1930, allie radicaux et modérés pour enlever la ville de Brest à la SFIO.
69 Virginie Quintin, Élus municipaux et cantonaux de l’arrondissement de Brest (1934-1951), maîtrise d’histoire, Brest, UBO, p. 17-20. Dans cette « terre des prêtres » cléricale, les laïques centristes (8 mairies pour les républicains de gauche et 4 pour les radicaux indépendants) sont perçus de gauche. La SFIO en a 2 (Lambézellec et Landerneau) et les radicaux-socialistes 3.
70 Une statistique de 1929 sur les étiquettes des conseillers municipaux donne 47,2 % pour les droites (24,5 % pour les conservateurs, 22,7 % pour l’URD). Les centristes républicains de gauche en ont 16,2 %.
71 En 1934, l’ancien député PDP Jean Jadé a été battu.
72 Une partie de l’électorat radical s’est reportée au 2e tour sur le PDP par peur du communisme.
73 Il s’agit de Boucher de Ploudiry et de S. de Taine de Saint-Renan qui sera nommé président de la Commission administrative par Vichy.
74 Christophe Rivière, Notables municipaux, op. cit., p. 11-12. L’URD était majoritaire dans ⅓ des communes du Morbihan en 1932. En 1935, les laïques ne dirigent que 28,4 % des municipalités de l’arrondissement de Vannes (17 rép. de g. et 18 rad. dont Vannes).
75 Le Démocrate des Côtes-du-Nord en revendique le double : 14 maires, 80 conseillers municipaux ainsi que 3 conseillers généraux et 7 d’arrondissements.
76 David Bensoussan, op. cit., p. 1364-1392.
77 Élu en avril 1934, il était inscrit au groupe des indépendants de gauche.
78 Jacqueline Sainclivier, op. cit., p. 46. Le PDP a présenté A. Bastianelli. Il y concurrence à droite à Ploërmel et à Châteaulin 1.
79 David Bensoussan, op. cit., p. 1258-1266.
80 Il conclut sa lettre adressée à de Guébriant par une mise en garde : « Nous ne pouvons accepter que, sous prétexte de Défense Paysanne, on se serve de l’Église pour favoriser un mouvement condamné par elle », c’est-à-dire l’AF.
81 J. Cadic et P. Ihuel à Pontivy 1 et 2, O. de Kérouartz à Guingamp 2, P. Lohéac à Châteaulin 2 contre le socialiste H. Masson.
82 Ainsi l’industriel P. Morane à Loudéac, F. Tristan et J. Le Pévédic à Lorient, le Dr Joly à Rennes 2. Sur 29 candidats centristes, une partie a rejoint les droites.
83 C’est le cas contre la SFIO du député sortant Duez à Nantes 3, de Grimaud à Saint-Nazaire 2 (rép. de gauche) et de Le Gall (PDP) à Nantes 2. Dans le Morbihan, des radicaux-socialistes passent à droite.
84 H. Le Vézouët à Loudéac et Ch. Daniélou à Châteaulin 1.
85 Inizan est le seul candidat à Brest 3 (59 % des inscrits).
86 À Quimper 1, le radical-socialiste sortant Pouchus permet l’élection d’Hervé Nader contre le communiste P. Guéguin.
87 Le Pévédic siège avec l’ARD ; Tristan, de Chappedelaine, Guernier avec la gauche démocratique et radicale.
88 Cadic est réélu à Pontivy. C’est le cas de L. Montfort à Quimperlé, de P. Lohéac à Châteaulin 2, de Y. Hervé à Guingamp 1 contre Lorgeré (rad.-soc.), le maire de la ville.
89 Au 1er tour P. Gillet (URD) distance le Dr Guillois (URD) soutenu par L’Ouest-Éclair et il bat au second le conservateur soutenu par les dorgéristes Jean du Plessix de Grénédan. Il n’a pas respecté l’accord proposé par l’Union catholique diocésaine qui prévoyait le maintien du seul candidat de droite arrivé en tête. Mais il n’y a pas de risque à droite puisque le radical se retire et que Guillois se désiste pour Gillet élu avec 51 %.
90 Erwan Crouan, Jean Crouan 1906-1985. Un notable finistérien dans la tourmente du XXe siècle, maîtrise d’histoire, Brest, UBO, 2001, p. 23-35.
91 Jean-Noël Jeanneney, « La fédération républicaine », René Rémond et Janine Bourdin (dir.), La France et les Français en 1938-1939, PFNSP, 1978, p. 345-346.
92 Jacques Nobécourt, Le colonel de la Rocque 1885-1946 ou les pièges du nationalisme chrétien, Fayard, 1996, p. 643-644.
93 Laurent Bigorgne, « Le parcours politique d’une génération de “modérés” : les jeunes de la Fédération républicaine », Les modérés dans la vie politique française, op. cit., p. 385-396.
94 Jean Pascal, op. cit., p. 509.
95 Les députés radicaux sortants ont refusé d’appeler au vote socialiste.
96 Maryvonne Pedrono, op. cit., p. 105-117.
97 Le Nouvelliste du Morbihan, 30 mars 1938.
98 Il y aura encore 5 réunions dans le Morbihan en janvier 1939.
99 David Bensoussan, op. cit., p. 1202-1208.
100 Id., p. 1266-1275.
101 Jean-Paul Thomas, « Les effectifs du PSF », op. cit., p. 72-73.
102 Le 21 juin, on signale des petites réunions à Landerneau et Saint-Julien (Côtes-du-Nord) et 91 personnes brandissant des drapeaux tricolores à Dinan.
103 Christian Bougeard, thèse citée, p. 520-525.
104 David Bensoussan, op. cit., p. 1411-1433. C’est aussi le cas dans la région de Pontivy.
105 Rien dans les sources départementales n’indique que le PSF aurait eu entre 5 000 et 10 000 adhérents en 1937 dans les Côtes-du-Nord (et en Ille-et-Vilaine) comme l’estime Jean-Paul Thomas, article cité, carte I.
106 Jean-Noël Jeanneney, op. cit., carte p. 342. Les deux députés URD Morane et Hervé sont inscrits au groupe des républicains indépendants et d’action sociale.
107 Jacqueline Sainclivier, op. cit., p. 93.
108 Christophe Rivière, op. cit., p. 13-14.
109 Bruno Le Roux, op. cit., p. 18-67.
110 Le PSF a une permanence à Brest. La fédération est présidée par Jean Richard, ancien responsable des Croix-de-Feu de Morlaix.
111 Des réunions se tiennent en breton et se terminent avec l’hymne breton, le Bro Goz Ma Zadou.
112 Un syndicat du PSF compte 109 adhérents parmi les employés de l’Office de Landerneau.
113 L’expression est de son petit-fils Erwan Crouan, op. cit., p. 41 et p. 35-36.
114 David Bensoussan, op. cit., 1418-1422.
115 Selon le préfet, il y aurait 300 inscriptions par semaine.
116 En 1938, un responsable du PSF annonce près de 5 000 ouvriers ?
117 La Loire-Inférieure est rattachée à la Vendée et aux Deux-Sèvres.
118 Le président régional revendique 1 500 réunions en 1938 ?
119 David Bensoussan, op. cit., p. 1457-1458.
120 Id., p. 1422-1426.
121 Citons les marquis de la Ferronnays et de Juigné, Le Cour Grandmaison et de Montaigu, mais aussi Bardoul, Joly, Duault, Morane et bien sûr Crouan et Nader.
122 La majorité se compose de 1 PCF, 5 SFIO, 1 républicain-socialiste, 9 radicaux-socialistes, 3 radicaux indépendants, 4 républicains de gauche.
123 Jacqueline Sainclivier, op. cit., p. 55-66.
124 David Bensoussan, op. cit., p. 1454-1460. Les deux vice-présidents sont les comtes de Toulouse-Lautrec et de Quénétain.
125 Christophe Rivière, op. cit., p. 54. Les conservateurs (quatre sièges) et le PDP (deux) restent stables alors que l’URD en gagne un (onze) ainsi que les républicains de gauche (six). Ce sont eux qui font basculer la majorité alors que les radicaux sont passés de 15 à 13 et que la SFIO a deux élus à Lorient.
126 Les deux socialistes ont fait défection au 1er tour et plusieurs républicains de gauche se sont abstenus.
127 Conservateurs, PSF, URD, PDP et radicaux indépendants se sont regroupés dans un comité d’entente financé par le patronat.
128 Les droites conservatrices passent de 73 élus en 1919 à 43 en 1931 et à 39 (17,9 %) en 1937. Selon d’autres sources, ils seraient 41 ou même 44 (3 dans les Côtes-du-Nord, 4 dans le Morbihan, 7 dans le Finistère, 9 en Ille-et-Vilaine, 21 en Loire-Inférieure).
129 Précisons que Meunier avait commencé sa carrière comme député de droite (ALP) en 1913 et avait rejoint les républicains puis les radicaux après 1919. Le radical indépendant Betfert qui avait succédé à Le Trocquer est réélu.
130 Christian Bougeard, thèse citée, p. 551-554.
131 En 1929, les républicains de gauche avaient 196 délégués sénatoriaux, l’URD 324 et les conservateurs 213 ; en 1938, ils en ont respectivement 179, 300 et 189.
132 Jean-Charles Floch, op. cit., p. 206-213.
133 Christian Bougeard, thèse citée, p. 554-557.
134 Au moins 9 élus en Loire-Inférieure, un dans les Côtes-du-Nord.
135 David Bensoussan, op. cit., p. 1427-1433.
136 Id., p. 1440-1446.
137 Le Petit Breton, 16 mai et 25 juillet 1937.
138 Christian Bougeard, thèse citée, p. 524.
139 David Bensoussan, op. cit., p. 1446-1449.
140 Id., p. 1434-1440.
141 Il s’agit du colonel de Guiny, délégué régional, des comtes de Prunelle et de la Bourdonnaye responsables des comités du Morbihan et d’Ille-et-Vilaine.
142 Christian Bougeard, thèse citée, p. 525-526. En mars 1938, des réunions à Saint-Brieuc et à Dinan déplacent entre 40 et 20 personnes mais Doriot attire 150 personnes à Saint-Brieuc en juillet 1938.
143 Bruno Le Roux, op. cit.
144 Didier Guivarc’h, « La mémoire bretonne de Nantes », Nantes et la Bretagne, Morlaix, Skol Vreizh, 1996, p. 198.
145 Daniel Le Couédic, « Les étranges destinées de Dézarrois et Lebesque », Christian Bougeard (dir.), Bretagne et identités régionales pendant la Seconde Guerre mondiale, Brest, CRBC-UBO, 2002, p. 189-199.
146 Yann Sohier dénonce les « petits papistes anti-juifs » de Breiz da zont et leur « torchon jésuitique et fasciste ».
147 Alain Déniel, Le mouvement breton de 1919 à 1945, Paris, Maspéro, 1976. Georges Cadiou, L’Hermine et la Croix gammée. Le mouvement breton et la collaboration, Mango document, 2001, chap. I.
148 À la mi-avril 1936, des incendies visent à détruire les cinq préfectures de Bretagne.
149 On y trouve Debauvais et Mordrel de Breiz Atao, Laîné et Le Helloco du Gwenn ha Du ainsi que de Raymond Delaporte du Bleun Brug.
150 Cité par Georges Cadiou, op. cit., p. 39. En 1935, Mordrel écrit dans Stur que le fascisme est : « Jeunesse, force et renouveau. »
151 Pour une mise au point récente voir Bretagne et identités régionales pendant la Seconde Guerre mondiale, op. cit., en particulier Michel Denis et Lionel Boissou.
152 Un homme de Laîné comme Guy Vissault de Coëtlogon est formé en Allemagne, il devient en 1938 un agent de L’Abwehr 2.
153 Pour Mordrel, la Tchéquie était « un fibrome », la Slovaquie « une verrue » et la Pologne est une « membrane qui coupe les voies de communications essentielles du Reich », un moyen de justifier les revendications allemandes sur le couloir de Dantzig. Cité par Roger Leroux, Le Morbihan en guerre 1939-1945, Mayenne, J. Floch éd., 1978, p. 56-57.
154 Incarcéré à Rennes, Debauvais est libéré le 25 juin 1939 au bout de 6 mois.
155 En juillet 1939, Laîné et Vissault de Coëtlogon sont allés à Berlin négocier cette livraison.
156 La police française avertie par les Britanniques, grâce à une caisse de tracts tombée à la mer et découverte à Jersey, n’ignore rien de cette opération mais elle ne parvient pas à retrouver les armes. Cinq militants incarcérés bénéficient d’un non-lieu en février 1940.
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