Introduction
p. 239
Texte intégral
1La commémoration tisse avec la violence un lien étroit. Elle semble permettre la maîtrise de ses effets, et en premier lieu, elle pourrait faciliter l’acceptation de la séparation du défunt, étape essentielle du travail de deuil. Commémorer correspond en effet à une nécessité : les endeuillés, par la médiation de la parole ou de monuments durables créés en mémoire des défunts peu à peu s’approprient les images passées en éludant la part la plus insoutenable, celle de la mort violente. Mais la fonction des commémorations, des usages de la mémoire est-elle là simplement pour en soulager les individus ?
2Au cours de la période 1870-1940 et notamment au moment de la sortie de guerre, mais aussi pendant les périodes de paix, les commémorations semblent jouer un autre rôle. Elles contribuent, par les rituels et par le discours, à entretenir un lien avec la violence. Dans une société démocratique, la défense incombe au citoyen-soldat, auquel l’État, le cas échéant, confère la capacité politiquement légitimée de recourir à l’usage de la violence. C’est ce lien entre citoyenneté, commémoration et violence, qu’il convient d’explorer maintenant, dans la définition de l’ennemi – violence donnée –, et du devoir de se sacrifier au nom de la patrie – violence acceptée contre soi –, où le passage d’une culture guerrière à une culture pacifiste est à l’œuvre au cours de la période.
3Au lendemain de la défaite de 1870 à partir de deux aspects temporels – les rites et les mots, les cérémonies et les discours – ce lien entre citoyenneté, violence, mémoire déjà esquissé depuis la Révolution se resserre et à travers l’école, puis la caserne, constitue un socle culturel plus ou moins intégré par les citoyens français. Ce socle culturel perdure-t-il d’ailleurs au-delà de la Grande Guerre, alors qu’une aspiration pacifiste se diffuse progressivement en raison de traumatisme de 14-18 ?
4En fait, pour terminer cette réflexion, il convient de rechercher quelles peuvent être les usages de la mémoire, entre 1870 et 1940, dans la dialectique complexe liant la guerre et la paix. L’entrée en guerre constitue un moment particulièrement intéressant pour observer la façon dont les souvenirs jusque-là diffus des guerres passées sont subitement réinvestis, dans un moment de crise où les représentations semblent se cristalliser. La commémoration et les représentations qu’elle véhicule se trouvent en effet à l’interface entre ces deux réalités différentes, la guerre et la paix. Elle est en quelque sorte une des clés des portes du temple de Janus, permettant de les fermer, mais aussi en véhiculant les représentations de la guerre précédente, elle est le moyen permettant de justifier la guerre à venir, ou advenue.
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