Introduction
p. 167-169
Texte intégral
1Les deux premières parties de notre portrait à plusieurs voix ont dessiné les contours d’un personnage non réductible à sa seule carrière astronomique et ancré dans un réseau international de sociabilité. Il nous reste à montrer comment il s’inscrit dans son siècle, celui des Lumières, et contribue à sa manière à les incarner.
2Comme ses contemporains encyclopédistes, il est convaincu que la diffusion de la connaissance hâtera l’avènement de la raison et la disparition des croyances irrationnelles. À l’instar de Condorcet, il se fait le chantre d’un développement cumulatif du savoir qui dissipe peu à peu les brumes de l’ignorance. D’où la place centrale occupée dans tous ses écrits par l’Histoire, marqueur des progrès de l’esprit humain.
3Lalande a très vite compris la montée en puissance de l’opinion publique et, loin de réserver sa science à ses pairs, il la vulgarise pour le commun des mortels cultivés : « Quand on s’est dévoué au progrès des sciences, on doit compte au public du fruit de ses travaux1. » Ces motivations très honorables coïncident avec des mobiles moins désintéressés dont son disciple Delambre se fait l’écho : « Il manifesta de bonne heure cet amour de la célébrité qui fut en tout temps sa passion dominante, et qu’il a cherché à satisfaire par tous les moyens qui se sont présentés ou qu’il a pu imaginer2. »
4C’est bien sûr tout d’abord aux écrits astronomiques qu’il applique sa plume infatigable. Usant très systématiquement du procédé d’auto-compilation, il prend pour source sa célèbre Astronomie3 afin de composer deux ouvrages destinés à un public moins spécialisé. L’Abrégé paraît en 1774, gommant les chapitres à caractère mathématique ou concernant les méthodes de l’astronome. Quant à l’Astronomie des dames, elle voit le jour en 1786 à l’occasion du centenaire des Entretiens sur la pluralité des mondes de Fontenelle dont Lalande condamne la science galante, impropre selon lui au goût épuré du siècle des Lumières. Un dernier outil complète la panoplie de notre astronome médiatique, la Connaissance des temps qu’il « regarde comme une espèce de journal destiné à annoncer les progrès de cette science, en même temps qu’il contribue à sa perfection4 » et qu’il destine aux « savants » et aux « curieux ». Ainsi parvient-il à fidéliser un lectorat et à créer des rendez-vous réguliers au cours desquels il répond aux questions des amateurs de sciences, publie des errata pour son œuvre majeure, ou constitue une bibliographie astronomique qui servira de socle à celle qu’il publiera en 1802.
5À côté de ses écrits personnels, Lalande se prête volontiers à des entreprises collectives d’envergure. Ainsi accepte-t-il de participer, pour le libraire Panckoucke, au Supplément de L’Encyclopédie (1777) pour lequel il écrit ou réécrit deux cent cinquante-quatre articles d’astronomie, arpentage et gnomonique, puis à l’Encyclopédie méthodique (dont la publication démarre en 1782). Conformément au dessein de Panckoucke, soucieux de conférer à son Encyclopédie une prudence idéologique la distinguant de sa devancière, Lalande adopte un ton didactique et dresse un panorama très complet de l’astronomie du moment. C’est pour lui l’occasion rêvée de régler quelques comptes avec d’Alembert, auteur de la plupart des articles d’astronomie de l’Encyclopédie, qu’il accuse d’avoir copié la Cyclopaedia de Chambers ou les Institutions astronomiques de Le Monnier. Jugement à l’emporte pièce dont la lecture de l’article « Figure de la Terre » de d’Alembert suffit à prouver le manque de fondement. D’autant que les contributions de Lalande ne lui coûtent guère plus d’efforts, ainsi que le fait remarquer Delambre, puisqu’il se limite souvent à puiser dans son Astronomie. À la mort du mathématicien Montucla, en 1799, Lalande est également sollicité pour le volume IV de l’Histoire des mathématiques qui sort des presses en 1802 sous sa signature.
6Mais Lalande ne se laisse pas enfermer dans son champ disciplinaire. Pour le Supplément de l’Encyclopédie, il est l’auteur d’un article « Franc-maçon » qui fera date. Il ne s’est jamais caché de son appartenance active à l’ordre et, parallèlement, il se déclare athée. Aurait-il pu reprendre à son compte la devise voltairienne « Écrasons l’infâme ! » ? Sans doute, si l’infâme désigne l’intolérance religieuse, les tartufferies des bigots et l’exploitation de la crédulité et de la superstition. Non, lorsqu’il s’agit d’expulser ses maîtres jésuites avec lesquels il conserve d’excellentes relations sa vie durant.
7« Méthodique » est le qualificatif choisi par Panckoucke pour son Encyclopédie. Il s’applique parfaitement à Lalande qui ne s’engage jamais dans un travail rédactionnel sans avoir lu tout ce qui s’est écrit sur le sujet avant lui. C’est ainsi qu’il procède en astronomie mais c’est aussi la démarche utilisée pour ses autres contributions. L’Académie des sciences avait entrepris à la fin du XVIIe siècle une Description des Arts et Métiers, qui servit du reste de socle à Diderot. Tour à tour dirigée par des Billettes, puis Réaumur, l’opération échoit en 1761 à Duhamel du Monceau dont Lalande devient un collaborateur attitré, signant, entre autres, un « Art du papier » et un « Art du tanneur » dans lesquels on reconnaît aisément son style. Afin de mener à bien ces obligations académiques, Lalande sollicite son tissu provincial de relations. Aussi ne sommes-nous pas surpris de le voir assumer l’étude sur le Canal du Midi que ses amis astronomes toulousains Garipuy et Darquier lui faciliteront grandement.
8Le tour d’horizon de l’activité foisonnante de Lalande ne serait pas complet sans une mention au Voyage en Italie qui engendrera une aura posthume dans le monde des Lettres et des Arts. Nous y retrouverons trois constantes de l’homme de plume Lalande : le désir d’exhaustivité qui le pousse à dépouiller un nombre phénoménal de guides antérieurs, l’aptitude hors pair à la synthèse des sources consultées, et la mise en jeu des réseaux de sociabilité – en particulier, ici, celui des pères jésuites.
9Les chapitres qui suivent permettront de retrouver Lalande sur des terrains où on ne l’attend guère. Le lecteur y poursuivra l’appréhension de la trajectoire complexe que nous annoncions dans l’introduction. Comme toutes les figures des Lumières, que des biographies hagiographiques ont contribué à héroïser en les désincarnant, Lalande s’y présente sous les traits d’un homme singulier, passeur de savoirs soucieux des progrès de l’homme et de la société, mais jaloux de sa propre gloire, sacrifiant alternativement au service de la science et aux trompettes de la renommée.
Notes de bas de page
1 Jérôme Lalande, Astronomie, Paris, Desaint et Saillant, 1764, p. viiij.
2 Jean-Baptiste Delambre, Histoire de l’astronomie au Dix-huitième siècle, Paris, Bachelier, 1827, p. 547.
3 Le Monnier appelait ce traité « la Grosse-Gazette » et Delambre le qualifie « d’Astronomie populaire ».
4 Connaissance des mouvements célestes pour 1767, Imprimerie royale, 1765, p. 222.
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