Lalande à Berlin et sa correspondance avec Euler
p. 87-107
Texte intégral
L’aubaine d’un jeune astronome
1La mission d’observation à Berlin, qu’il s’est vu confier par l’Académie royale des sciences en 1751, a constitué pour Jérôme Lalande une chance exceptionnelle. Ses aptitudes en astronomie avaient certes été remarquées par les astronomes Joseph-Nicolas Delisle et Pierre-Charles Le Monnier, mais il avait le handicap de ses dix-neuf ans et de son peu d’expérience, et les circonstances de son choix par l’Académie pour accomplir cette importante mission scientifique mériteraient d’être éclaircies. Pourquoi Le Monnier renonça-t-il à se rendre lui-même à Berlin comme il en avait d’abord eu le projet ? Pourquoi prit-il le risque de mettre en avant son jeune élève alors que d’autres académiciens astronomes expérimentés auraient pu se charger de cette délicate mission ? Pourquoi, alors que les observations de Berlin étaient liées à celles de Nicolas-Louis de La Caille au Cap, l’Académie elle-même prit-elle le risque de compromettre l’utilité du travail de La Caille dans le cas où celui de Lalande n’aurait pas été satisfaisant ? Toujours est-il que c’est principalement sur les recommandations de Le Monnier que Lalande est finalement désigné à sa place, décision annoncée lors de la séance de l’Académie du 28 juillet 1751 : « M. le Comte de Maillebois Président a dit que le Roy avoit accordé 2 500liv au Sieur de la Lande Eléve de M. de l’Isle pour aller à Berlin faire des observations correspondantes à celles de M. l’abbé de la Caille1. »
2Avant de quitter Paris le 28 juin 1750, La Caille a en effet diffusé cette même année un Avis aux astronomes afin de proposer à ses collègues européens un programme d’observations concertées avec celles qu’il prévoit de faire au Cap de Bonne-Espérance, en vue de déterminer les parallaxes de Mars en opposition, de Vénus en conjonction inférieure, et surtout de la Lune. L’intérêt suscité chez les astronomes de l’époque par une meilleure connaissance de la position de notre satellite, est en grande partie motivé par son utilisation pour la détermination des longitudes en mer (méthode des distances lunaires). Parmi les sites d’observation en Europe, l’observatoire de Berlin possède l’avantage d’un grand éloignement par rapport au Cap, pour un écart en longitude relativement faible2, mais cet établissement ne dispose pas d’instruments assez performants pour les mesures précises que réclame cette mission. C’est pourquoi Lalande partira à Berlin muni d’un excellent quart de cercle mural de 5 pieds confié par Le Monnier. Fabriqué à Londres en 1742 par Jonathan Sisson, cet instrument avait été installé par Le Monnier dans son observatoire du jardin du couvent des Capucins, rue Saint-Honoré, et était alors l’un des tout meilleurs de ce type3.
3Le séjour de Lalande à Berlin, où il arrive entre les 20 et 30 septembre4, se présente sous les meilleurs auspices. Vraisemblablement peu après son arrivée, il a été accueilli chez l’astronome de l’Académie de Berlin, Johannes Kies, et il s’y trouvait encore à la fin de l’année 1751 puisqu’il écrit à Delisle le 29 décembre : « […] madame et M. Kies vous font et à madame Delisle mille compliments, je suis logé chez luy et nous travaillons presque en commun […]5. »
4Cependant, Lalande était sans doute porteur de lettres de recommandations auprès de Leonhard Euler quand il avait quitté Paris. Il note en effet dans son Journal6, à la date du 20 juin 1751 : « J’ai été ensuite voir M. Clairaut pour la 1re fois il m’a promis des lettres pour m. euler, quand je partirai ».
5Ce qui est certain, c’est qu’il a fini par être hébergé chez Euler, circonstance heureuse pour le jeune astronome qui ne cache pas sa satisfaction à Le Monnier dans sa lettre du 18 juillet 1752 : « J’ay bien du plaisir d’etre ches M. euler, je m’occupe de la theorie de la lune et de Saturne7. »
6Nous ignorons à quelle date est survenu ce changement, probablement assez tôt dans l’année 1752, ou du moins à une époque où Lalande était déjà un familier de la maison d’Euler. Car à la fin de son séjour berlinois, non seulement il avait profité de la science du maître et des rencontres avec les nombreux intellectuels reçus chez lui, mais il était devenu un intime de sa famille et s’était lié d’amitié avec son plus jeune fils. Un témoignage de cette intimité à laquelle Lalande était parvenu avec la famille d’Euler est cet extrait de la lettre qu’il adresse à Berlin à la fin de l’année 1752 :
« Je vous prie d’assurer de mes devoirs ma bonne maman8 et de luy temoigner combien j’aurois de plaisir à la revoir encore, de même à mle Vermeulen9 et à mon cher albrecht10, c’est lui que je prie aussi d’embrasser pour moi toute la maison, surtout l’aimable Lotken11 et de la faire souvenir qu’elle est toujours ma Braut12 et que nous nous marierons dès qu’elle sçaura l’algèbre et le calcul integral comme son pere. »
7Lalande poursuit en saluant les familiers de la maison d’Euler, en commençant par Kies et son épouse, avec cette attention particulière indiquant toutefois qu’il n’avait pas trouvé auprès d’eux la même chaleur que chez le mathématicien : « mille compliments à mad. et M. Kies je suis toujours infiniment sensible aux bontés qu’ils ont eus pour moi, et j’aurois assurement le plaisir de leur écrire si je ne croyois de les incommoder13 ».
8Cette lettre est l’une des premières d’une correspondance entre Euler et Lalande14 entamée après le retour de celui-ci à Paris en septembre 1752. En dehors des questions purement scientifiques dont ils discutent, les deux savants s’y montrent particulièrement préoccupés par les publications d’ouvrages, les élections dans les académies et les prix proposés au concours par l’Académie des sciences de Paris. Sur ce dernier point, nous découvrons un Euler en pleine gloire très avide de succès dans ces concours dont il fut plusieurs fois lauréat, mais aussi un Euler vieillissant qui finit par s’attirer cette réponse cruelle de Lalande à propos d’un prix remporté par Lagrange en 1764 sur le sujet de la libration de la Lune :
« J’ai eu une veritable peine de voir que la pièce de m. La grange ait obtenu seule une couronne que la votre devoit partager ; mais la principale consideration qui a déterminé ce choix a été que votre beau principe des axes principaux de Rotation ayant déja paru dans une pièce qui a eu le prix Sur le roulis des vaisseaux15 on ne l’a pas regardé comme si nouveau, tandis que la methode de m. La grange etoit toute nouvelle et fort élegante16. »
9Dans ce qui suit, nous nous bornerons à développer trois points abordés dans cette correspondance et se rapportant à la vie scientifique de Lalande.
Lalande et les académies
10Le projet de mission de Lalande à Berlin avait évidemment reçu le soutien de Le Monnier et, peut-être dans une moindre mesure, celui de Delisle. En revanche, les parents de Lalande n’y étaient pas favorables et avaient reçu l’appui du Père Louis Bertrand Castel qui, rencontrant Lalande le 10 juin 1751, le dissuadait de partir à Berlin et lui proposait, en contrepartie, de compléter son éducation en lui faisant partager son savoir étendu : « Le 10 [juin] au soir le p. Castel en […] me degoutant du voyage de Berlin, m’offre de demeurer l’année prochaine toute la journée chés luy avec luy, je vous offre toutes mes sciences17. »
11Le P. Castel récidive le 13 juin, et Lalande a peut-être hésité. Cependant, à la lueur de ce qui suit, on devine que son hésitation a dû être de courte durée après que Le Monnier lui a fait miroiter que sa mission à Berlin lui ouvrirait les portes de l’Académie des sciences. Qu’on en juge par les termes qu’il utilise pour évoquer cette éventualité dans des lettres adressées de Berlin :
« J’espere qu’il [le comte de Maillebois] pourra bien encore m’aider à entrer dans L’academie, ce qui est la premiere chose que je desire et celle que j’ai le plus à cœur18. Depuis que vous avés bien voulu me faire l’honneur de repondre à ma derniere lettre et de me rassurer sur ce que je craignois de M. legentil et de ceux qui le protegent, je n’ai plus songé qu’à meriter le bonheur que vous me permettés d’esperer19. […] bien de gens voudroient me fermer la porte de la cadémie, ou j’ay cependant toujours esperé de parvenir depuis que vous mavés flatté de cette charmante Esperance en l’appuyant de vos soins20. »
12Lorsque Delambre s’exprime ainsi sur l’élection de Lalande à l’Académie des sciences de Paris : « La manière dont il avait rempli sa mission astronomique lui ouvrit bientôt les portes de l’Académie des sciences21 », nous imaginerions volontiers le jeune astronome attendant avec modestie et patience que cette distinction vienne éventuellement récompenser son activité scientifique en Prusse, mais la réalité est bien différente. C’est que son appétit d’honneurs a certainement été attisé par sa nomination comme membre étranger de l’Académie royale des sciences et belles lettres de Berlin, dès le 23 décembre 1751. Cette distinction apparaît comme un extravagant cadeau de Noël pour le jeune homme qui n’a pas eu le temps de faire ses preuves puisqu’il n’a encore à son actif aucune production scientifique et que sa mission à Berlin vient à peine de débuter ! Le temps de s’installer à Berlin et de procéder à la délicate mise en place de son quart de cercle dans la tour de l’observatoire de l’Académie des sciences, deux mois se sont écoulés et ce n’est que le 29 novembre qu’il a commencé ses observations, assisté par Kies. Comme on l’imagine, Lalande n’est pas peu fier de sa nouvelle qualité d’académicien, et il ne manque pas de s’en prévaloir dans la lettre au P. Castel citée plus haut, où il met en parallèle les mérites de La Caille avec les siens : « Si M. de la Caille travaille plus spéciallement pour l’academie de Paris, je travaille pour celle de Berlin dont je suis membre. »
13Cependant, cette élection hâtive de Lalande dans l’une des quatre plus prestigieuses académies des sciences a peut-être un temps desservi ses ambitions parisiennes. Sans doute, par ses connaissances et son enthousiasme, Lalande a-t-il su séduire son entourage berlinois, particulièrement Euler et Maupertuis, le président de l’Académie de Berlin, mais une probable intervention de Le Monnier auprès de ce dernier expliquerait mieux ce succès inattendu. Il est donc possible que la surprenante nouvelle de la distinction de Lalande, annoncée dans la Gazette du 8 janvier 1752, ait été mal perçue par une partie des académiciens de Paris qui y auraient vu une manœuvre destinée à leur forcer la main pour accueillir le protégé de Le Monnier dans leurs rangs. Toujours est-il que Lalande a été informé que sa mission rencontre une opposition au sein de l’Académie. Son jeune âge suscite des doutes sur sa compétence, et des réserves sont émises quant à l’utilité de sa mission à Berlin alors que de minutieuses observations sont prévues à Paris22.
14Mais d’autres éléments pourraient compromettre la réalisation de la « charmante espérance » de Lalande. D’abord, d’après ce qu’il écrit dans une lettre à Le Monnier, il semble que le soutien de celui-ci a failli lui faire défaut :
« J’ay recû le mois passé la lettre que vous m’avez fait la grace de m’ecrire elle me prouve que vous n’etes pas irrevocablement determiné à rompre avec moy toute correspondance, et j’y apercois aussy une marque de l’amitié que vous voules bien me conserver dans les efforts que vous faites pour maintenir mes pretentions sur la place vacante depuis l’accident qui vient de nous arriver (car j’apelle notre accident celui de m. de Maillebois) j’aurois bien lieu sans vous de perdre toute esperance23. »
15Par ailleurs, l’extrait précédent éclaire un passage de la lettre au P. Castel plusieurs fois citée :
« J’ai été extremement touché des deux malheurs dont vous m’entretenés mais mon propre interet n’a eû que la moindre part a ma sensibilité je me ferois toujours gloire de meriter l’estime de M. De maillebois quand sa fortune aurois changé mille fois d’avantage, je ne Crois pas qu’il prenne envie à qui que ce soit de le trouver mauvais, je continueray à m’adresser à luy suivant que M. D’argenson l’a toujours pretendû. »
16Il était en effet arrivé à Yves-Marie Desmarets, comte de Maillebois, qui exerçait la présidence de l’Académie des sciences en 1751, et par contrecoup à Lalande qui avait sa protection, un fâcheux « accident », sous la forme d’une lettre de cachet reçue le 20 mars 1752 et lui enjoignant de regagner sa terre normande de Maillebois24. La disgrâce du comte fut cependant d’assez courte durée, les soupçons pesant sur lui, au sujet du règlement d’une dette des armées du roi aux états d’Artois, s’étant révélés sans fondement.
17Enfin, Lalande eut encore un sujet d’inquiétude lorsqu’il se découvrit un concurrent pour l’Académie des sciences, en la personne de Guillaume Le Gentil de la Galaisière (1725-1792). Soutenu par Clairaut et La Caille, et de sept ans son aîné, cet astronome n’était pas un inconnu pour Lalande qui note dans son Journal, à la date du 15 mai 1751 : « j’ai vû Legentil apres ma these il m’a parlé d’une pendule qu’a imaginé pierre le Roy fils de julien, sans roües et sans pignons, on la voy chés le paute au Luxembourg25. »
18Cependant, cette candidature concurrente n’était pas vraiment de nature à contrarier le plus cher désir de Lalande, et le comte de Maillebois l’a probablement informé de la possibilité d’un arrangement, comme il ressort de ce début d’une lettre que Lalande lui adresse de Berlin :
« Depuis que vous avés bien voulu me faire l’honneur de repondre à ma derniere lettre et de me rassurer sur ce que je Craignois de M. legentil et de Ceux qui le protegent, je n’ai plus songé qu’à meriter le bonheur que vous me permettés d’esperer, et je n’ay point Crû devoir autrement vous marquer ma vive reconnoissance26. »
19En effet, il se trouvait que les deux places d’adjoint astronome que comportait l’Académie étaient vacantes, l’une depuis la mort de Louis Nicollic, le 4 mars 1751, tandis que l’autre n’avait toujours pas été pourvue après la promotion de d’Alembert comme associé géomètre, le 1er mars 1746. Rien ne s’opposait donc à une double élection, pourvu que les mérites de chacun des deux candidats fussent reconnus. Or, Lalande avait déjà transmis à l’Académie ses Observations faites par ordre du Roi, pour la distance de la Lune à la Terre, à l’Observatoire de Berlin, en 1751 & 175227, quand il fut admis, à la séance du 16 décembre 1752, à faire la lecture d’un écrit relatif à ces observations. La matière de cet écrit était celle de son Premier Mémoire sur la parallaxe de la Lune, & sur sa distance à la Terre28, suivi d’un Second Mémoire29 sur le même sujet, mémoires fondés respectivement sur les observations effectuées à Berlin du 3 décembre 1751 au 26 février 1752, et du 6 mars au 31 août 1752. Une commission composée de Bouguer et Cassini de Thury fut chargée d’examiner l’écrit de Lalande. Lors de la séance de l’Académie du 20 janvier 1753, cette commission, à laquelle s’était adjoint Le Monnier, rendit un long rapport favorable et, à cette même séance, il fut procédé à une élection dont voici le procès-verbal :
« MM. Bouguer, de Thury, le Monnier et Maraldi ayant présenté à l’Académie MM. de la Lande, Le Gentil et l’Abbé Chappes pour une des deux places d’Adjoint Astronome vacantes, l’égalité et l’unanimité des voix ont été pour MM de la Lande et Le Gentil30. »
20Au sujet de ce type d’élection, le règlement de l’Académie du 3 janvier 1716 imposait :
« Pour remplir les places desdits adjoints, il sera proposé à l’Académie au moins trois sujets, par les trois pensionnaires et les deux associés attachés à chaque espèce de sciences dont il s’agira de nommer un adjoint ; entre lesquels sujets il en sera choisi deux à la pluralité des voix, par les honoraires et les autres pensionnaires […]31. »
21Il apparaît ainsi que, jusqu’à un certain point, les formes ont été scrupuleusement respectées : le nombre des candidats a été porté à trois32, et ceux-ci ont été présentés à l’Académie par les trois pensionnaires astronomes et le seul des deux associés astronomes disponible (Maraldi) en l’absence de La Caille se trouvant encore en Afrique australe33. De plus, ce sont bien deux noms qui sont proposés au choix du roi. Tout est donc régulier, à ceci près qu’il ne s’agit pas de pourvoir une seule place d’adjoint astronome, mais deux, par un unique vote. Les académiciens ont donc obtenu que l’affaire soit réglée par une procédure exceptionnelle, comme le montre aussi la substitution de « l’égalité et l’unanimité des voix » à la traditionnelle « pluralité des voix », ceci après qu’à la suite de tractations dont aucune trace ne subsiste, ils soient finalement tombés d’accord pour la double élection de Lalande et Le Gentil. Lors de la séance du 7 février 1753, où ceux-ci siègent pour la première fois, lecture est faite d’une lettre du comte d’Argenson :
« Je vous donne avis M. que le Roy a fait choix de MM. De la Lande et le Gentil pour remplir les deux Places d’Adjoints Astronomes vacantes à l’Académie des Sciences par le décèds de M. Nicollic et par la promotion de M. d’Alembert à celle d’Associé Géomètre34. »
22Ces nominations sont à effet du 4 février. Ainsi, cette affaire connaît un heureux dénouement pour Lalande qui peut annoncer à Euler : « vous etes peut ètre informé de la satisfaction que j’ai eüe le 20 du mois de janvier d’etre reçû dans l’acad. des Sciences de Paris35. »
23Dans sa correspondance avec Euler, Lalande ne fait qu’une très brève allusion au voyage qu’il fit en Angleterre, du 4 mars au 16 juin 176336. C’est pourtant à la suite de ce déplacement qu’il devint fellow de la Royal Society de Londres. Les conditions dans lesquelles il obtint cet honneur ne sont pas très claires car il semble que Lalande n’ait pas satisfait à une formalité de signature. C’est la raison pour laquelle son nom est absent de l’édition de 1936 des Signatures […] of the Founders Patrons and Fellows of the Royal Society from the year 1660 down to the present time (Londres, 1936), comme aussi, jusqu’à une époque récente, des listes des fellows diffusées. Cependant, Lalande considérait bien qu’il faisait partie de la célèbre Society37, et il est maintenant officiellement reconnu qu’il en fut élu membre le 24 novembre 1763.
24Pour compléter sa collection des grandes académies scientifiques, après avoir été admis dans les Académies des sciences de Berlin et de Paris, et à la Royal Society de Londres, il ne restait plus à Lalande qu’à se faire élire à l’Académie de Saint-Pétersbourg. D’après l’extrait suivant d’une lettre qu’il adresse à Euler, nous apprenons que cet événement s’est probablement produit vers la fin de 1763, et c’est avec une évidente fierté que Lalande fait observer à Euler qu’il est désormais quatre fois son confrère :
« Depuis la lettre dont vous m’avés honoré le 24 septembre j’ai eu des nouvelles de m. muller, j’ai recû le prix des livres que je lui avois envoyés, et il m’a appris que j’avois eu le bonheur d’etre élû membre de votre illustre academie de petersbourg sur votre recommandation, ainsi que je vous en fais mes tres humbles remercîmens ; je reconois a cette nouvelle marque de bonté, que vous etes toujours mon maitre, mon protecteur, mon confrere, et mon excellent ami, c’est un des plus grands plaisirs que vous pouviés me faire, et vous l’avés fait si galamment que je n’ai pas meme eu la peine de le demander il est vrai que j’ai eté recû aussi de la societé royale, et qu’ainsi me voila quatre fois votre confrere, il ne me reste plus qu’a le mériter38. »
25Ce n’est que le 5/16 mars 1764 que Lalande devint officiellement membre étranger de l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg.
Lalande et la Connaissance des temps
« Les configurations des satellites de jupiter occupoient tant de place dans la conoiss. des temps que j’ai cru devoir les oter, mais je mettrai dans la prochaine une explication fort simple avec les tables necessaires pour les trouver graphiquement très vite ; mais les observations astronomiques n’exigent point ces tables de configurations39. »
26Ainsi s’exprime Lalande dans sa lettre à Euler du 7 mai 1760 qui marque sans doute la reprise de leur correspondance après une assez longue interruption due à la guerre de Sept Ans qui rendait les échanges difficiles, mais aussi à l’attitude « patriotique » d’Euler qui avait cessé toute relation avec la France et la Russie, dès le commencement de la Guerre en 1756. Cependant, Lalande semble avoir déjà informé Euler de ses nouvelles responsabilités à la rédaction de la Connaissance des temps, peut-être lors de l’envoi des éditions des années 1760 et 1761, parues en 1759. Lalande évoque ici l’édition de 1762 en cours de préparation et pour laquelle il annonce des changements. Car Lalande marqua cette publication de sa forte personnalité, mais ses innovations ne firent pas l’unanimité au sein de l’Académie.
27La fin de l’année 1758 avait été particulièrement faste pour Lalande. D’abord, par l’élection du 2 décembre, Lalande fut chargé de la Connaissance des temps, succédant à Giovanni Domenico Maraldi qui était responsable de cette publication depuis 1735 : « L’academie ayant procedé suivant la forme ordinaire, et en consequence des ordres du Roy, à l’Election d’un sujet pour être chargé de la connoissance des tems, la pluralité des voix a été pour M. de la Lande40. »
28Cette élection suppose l’existence d’autres candidats et pourtant, la candidature du seul concurrent de Lalande connu, Alexandre-Guy Pingré, fut jugée irrecevable. Sa condition de religieux régulier, génovéfain en l’occurrence, lui interdisait en effet de siéger à l’Académie autrement qu’en qualité d’associé libre41 et, de ce fait, celle-ci estima qu’il ne pouvait percevoir la rétribution relative à la charge de la Connaissance des temps.
29Un autre sujet de satisfaction attendait Lalande, car l’abandon de la direction de la Connaissance des temps par Maraldi faisait suite à sa promotion comme pensionnaire, le 1er septembre 1758. Par l’élection du 16 décembre, c’est à Lalande que revint la place d’associé astronome laissée vacante, et cette promotion prit effet le 17 décembre 1758.
30L’Académie avait voulu profiter du changement de direction à la Connaissance des temps pour apporter au contenu de cette publication quelques modifications qui furent définies dès le mois suivant :
« Mrs les mathematiciens etant demeurés après la seance, on a parlé des changements a faire a la connoissance des Tems, et il a eté resolu a la pluralité des voix
1° que les Calculs de la lune seroient faits par les Tables de M. Mayer.
2° que pour cette année dont le Calcul est fait, M. De la Lande ne mettroit le lieu de la lune que pour l’heure de son passage par le meridien. Sauf a decider ce qui sera plus convenable pour les années suivantes.
3°qu’on y insereroit une Table de l’aberration des principales Etoilles.
4°Enfin que les Calculs des Eclipses des satellites de Jupiter seroient tirés des Tables de M. Wargentin42. »
31Ainsi, Lalande était loin d’avoir toute liberté pour décider du contenu de ces éphémérides, et cependant les désirs de changements manifestés par l’Académie furent bientôt dépassés. Le temps lui avait sans doute manqué pour introduire beaucoup d’innovations dans l’édition de 1760, parue en 1759, la première dont il avait la charge. Pourtant, et avec l’approbation de l’Académie comme nous l’avons vu, il y avait déjà utilisé les tables de l’astronome suédois Pehr Wilhelm Wargentin pour les satellites de Jupiter43. Toujours au sujet de ces satellites, nous avons vu que Lalande en avait supprimé les configurations dans l’édition de 1762. La « prochaine » édition évoquée par Lalande dans sa lettre à Euler du 7 mai 1760 était donc celle qui sera imprimée en 1761, c’est-à-dire celle de l’année 1763, où se trouve en effet une méthode pour retrouver ces configurations44.
32Cependant, ces nouveautés n’étaient qu’un début, et Lalande a bientôt marqué la Connaissance des temps de sa personnalité, procédant à des suppressions et additions de tables et de données, ajoutant des articles sur divers sujets liés à l’astronomie – ainsi le passage de Vénus dans l’édition de 1761, ou la montre marine de John Harrison dans celle de l’année 1765 –, et utilisant même cette publication comme un support publicitaire pour ses propres ouvrages, par exemple son Astronomie parue en 1764.
33On devine que certaines de ces initiatives n’ont pas fait l’unanimité à l’Académie. Le procès-verbal de la séance du 12 juillet 1760 ne contient rien sur ce sujet, mais d’après celui du 19 juillet suivant, il aurait dû mentionner la lecture d’un mémoire où Cassini de Thury contestait au moins la façon dont la Connaissance des temps renseignait sur la position de la Lune, lecture suivie de la nomination d’une commission chargée d’examiner cette question. Cette commission, composée de Clairaut, Delisle, La Caille et Chappe d’Auteroche (Le Monnier s’étant désisté) rendit ses conclusions une semaine plus tard :
« M. Lemonnier ayant dit qu’il se désistoit de l’examen de la difficulté sur la connoissance des tems, dont il avoit été chargé le 12. et l’academie ayant accepté son désistement, Mrs Clairaut, De l’isle, A. De la caille et A de chappe ont fait le rapport suivant de cette affaire, après lequel M. De lalande a déclaré volontairement que doresnavant et pour faire plaisir à M. M. les astronômes il vouloit bien marquer dans la connoissance des tems la longitude de la Lune à l’heure de son passage par le méridien.
Nous commissaires nommés par l’academie en consequence du mémoire lû par M. de Cassini dans l’assemblée du 12. de ce mois et des reponses de M. de la lande, ayant éxaminé les deux questions qui ont fait le sujet de la contestation, estimons premierement que si l’academie juge qu’on doive calculer les lieux de la lune pour deux tems differents dans la même journée, le plus sur pour l’exactitude des calculs, le plus commode pour l’usage général, et en particulier pour la marine, est de les calculer pour l’instant de midi et pour celui de minuit, comme M. de la lande l’a fait pour 1761. Nous pensons en second lieu que le calcul de l’heure et de la minute du passage de la lune au méridien, est plus que suffisant pour l’usage de l’astronomie, qu’i demander la précision des secondes suppose un travail aussi long qu’inutile, ce seroit oter a celui qui compose ces calculs un tems qu’il peut et qu’il doit employer a des occupations plus utiles45. »
34Lalande dut reculer sur ce point, mais il réussit à changer le titre de la publication. Une première tentative avait avorté au début de 1760 : « M. de la Lande a dit que plusieurs personnes s’étoient plaintes du titre de la Connaissance des temps, comme sentant l’astrologie, il a été décidé de laisser subsister ce titre46. »
35Par la suite, les procès-verbaux des séances de l’Académie de l’année 1760 n’abordent plus ce sujet, et pourtant l’ancien titre de Connaissance des temps a été remplacé par celui de Connaissance des Mouvemens célestes dès l’édition de l’année 1762 imprimée en 1760. Lalande est-il finalement parvenu à convaincre ses collègues, ou est-il simplement passé outre leur volonté ? Il semble bien que cette seconde hypothèse soit plus proche de la vérité. Car si les académiciens n’ont pas voulu s’opposer à l’initiative de Lalande, le nouvel intitulé n’est pas pour autant unanimement accepté, et des réticences transparaissent en certaines occasions. Ainsi, le rapport de Maraldi et La Caille sur l’Exposition du calcul astronomique que Lalande publie en 1762, mentionne « les volumes qu’il [Lalande] publie chaque année sous le titre de la connoissance des mouvemens celestes47 », tandis qu’un rapport non signé sur la Connaissance des temps de 1764, parue en 1762, débute ainsi : « Cette année m. de la Lande publia pour la cinquième fois le livre de la conoissance des temps, ou comme il l’appelle de la Conoissance des mouvemens celestes [...]48. »
36Il semble donc clair que Lalande est seul responsable du nouveau titre auquel l’Académie n’a pas donné son aval. Notons toutefois que, dans sa correspondance avec Euler, Lalande n’évoque jamais cette publication autrement que sous le titre de Connoissance des temps. Le nouvel intitulé subsistera jusqu’à l’édition de 1767, et le retour de l’ancien pour celle de 1768 est ainsi justifié par Lalande dans l’Avertissement de cette édition : « Quoique pendant six ans, elle ait porté le titre de Connaissance des Mouvemens célestes, l’Académie a jugé que celui de Connaissance des temps était assez ancien pour devoir être conservé ».
37Derrière cette formule anodine se devine un désaveu plus sérieux, dont la gravité ne pourrait toutefois être soupçonnée si, de façon tout à fait inhabituelle, l’Académie n’avait consigné dans les procès-verbaux de ses séances une résolution particulièrement sévère à l’encontre de l’un de ses membres, Lalande en l’occurrence.
38Une première décision a été prise à l’encontre de Lalande en 1765 :
« Sur quelques plaintes qui ont été faites que M. Delalande, inséroit dans la connoissance des tems des choses inutiles au but de cet ouvrage, il a été décidé que désormais il seroit examiné avant l’impression par MM. de Thury et Bezout, que l’académie a nommé commissaires à cet effet49. »
39Le 25 janvier 1766 les commissaires ont remis un rapport – fait non mentionné dans le procès-verbal de séance – mais le conflit n’était pas réglé pour autant et la décision de novembre ne faisait que préluder à une réaction beaucoup plus vive de l’Académie. C’est finalement le 1er mars 1766 que l’affaire tourna nettement au désavantage de Lalande avec cette résolution explicitement inscrite dans le procès-verbal de séance :
« M. Delalande a lu une réponse au rapport de MM de thury & Bezout fait le vingt cinq janvier dernier sur ce qui concerne la connoissance des tems, après la lecture de laquelle l’académie ayant délibéré, il a été décidé qu’on remettroit premièrement à cet ouvrage, le titre de connoissance des tems sous lequel il est connu depuis le commencement du siècle.
Secondement, qu’on y remettroit la table des arcs semidiurnes et celle des amplitudes.
Troisiemement, qu’on y remettroit les configurations des Sattelites de Jupiter.
Quatriemement, qu’on y remettroit la correction du midi tirée des hauteurs correspondantes & les longitudes et latitudes des principales villes.
Cinquièmement, qu’à légard de la Lune on continüeroit d’exécuter ce qui a été prescrit par le rapport du dixneuf juillet mil sept cent soixante : & qu’enfin toutes ces conditions remplies, M. Delalande y pourroit insérer de nouvelles tables, & après cependant que le tout auroit été vû avant l’impression par deux commissaires. Et pour faire éxécuter la présente délibération l’académie a nommé M. Maraldi et moi [Grandjean de Fouchy]50. »
40Les exemples d’une réprimande aussi rigoureuse, adressée par les académiciens à l’un des leurs, sont certainement très rares dans les procès-verbaux des séances de l’Académie, et celle-ci permet de mesurer à quel point Lalande avait dû excéder ses collègues par les libertés qu’il avait prises, et sans doute aussi en ne tenant aucun compte des observations qui lui étaient faites. Cependant, la fonction de Lalande à la rédaction de la Connaissance des temps n’était pas remise en cause. De toute façon, selon la procédure habituelle, Lalande occupait cette charge par la volonté royale51 et, dans ces conditions, l’Académie ne pouvait facilement l’en démettre. Pour cette même raison, et malgré la sévérité blessante de l’arrêt de l’Académie, Lalande ne pouvait pas davantage démissionner, à supposer qu’il en ait eu l’intention. D’ailleurs, conserver un poste qu’il devait croire utile à sa carrière devait lui importer bien plus que l’affront subi, et il a continué à diriger la Connaissance des temps sans interruption jusqu’à l’édition de l’année 177552.
41Le rétablissement de l’ancien titre lors de l’édition de 1768, est évoqué dans le Journal des Savants de mai 1767, strictement dans les mêmes termes que ceux utilisés par Lalande dans l’Avertissement de cette édition. Cependant, cette information est assortie d’un commentaire faisant part des regrets de Lalande d’avoir été contraint d’abandonner la nouvelle orientation qu’il avait donnée à la Connaissance des temps, et dont il était convaincu de l’utilité. Il est probable que le rédacteur anonyme de cet article du Journal des Savants n’est autre que Lalande lui-même, et qu’il a tenu à ce qu’on le sache.
42Pour terminer sur ce sujet, signalons que Lalande plaçait en tête de chaque édition de la Connaissance des temps, un Avertissement commençant ainsi : « La Connoissance des Temps parut pour la première fois en 1679. M. Picard, l’un des plus célèbres astronomes de ce temps-là, en fut le premier Auteur ».
43Cet Avertissement est probablement responsable de ce que la fondation de ces éphémérides a longtemps été portée au crédit de l’astronome académicien Jean Picard, avant que les historiens ne s’avisent que leur véritable créateur était Joachim Dalencé à qui était d’abord accordé le privilège du roi53.
La querelle entre Lalande et Le Monnier sur la parallaxe
44Nous examinerons ici, avec quelques détails, l’une des nombreuses querelles qui opposèrent Lalande à son maître Le Monnier54.
45En 1751, Euler avait publié un mémoire où il examinait l’incidence, sur la parallaxe de la Lune, de l’hypothèse d’une Terre ellipsoïdale aplatie, par rapport au cas d’une Terre sphérique55, avec cette conclusion que « la parallaxe de la hauteur56 sera pour l’ordinaire plus grande, que suivant la régle vulgaire57 ».
46Après sa mission de Berlin, Lalande s’est particulièrement intéressé à la parallaxe de la Lune, et il s’est lui-même occupé de la question dont Euler avait traité. Il a ainsi inclus, dans les éditions des années 1759 et 1760 de la Connaissance des temps, imprimées en 1759, deux tables de correction de la parallaxe de hauteur de la Lune pour prendre en compte l’aplatissement de la Terre, mais avec un effet contraire à celui prévu par Euler58. Ces tables de Lalande étaient reprises de son Troisième Mémoire sur la parallaxe de la Lune lu en séances de l’Académie des sciences en février et mai 1759. C’est donc vraisemblablement à cette époque que remonte la polémique opposant Lalande à Le Monnier, et qui ne trouva sa conclusion qu’en 1762. Car ce dernier, sans doute sensible à l’autorité d’Euler et, de plus, probablement abusé par un raisonnement faux, soutenait que la prise en compte de l’aplatissement de la Terre devait se traduire par un accroissement de la parallaxe lunaire.
47Dans une lettre adressée à Euler le 1er janvier 1761, Lalande n’attaquait pas frontalement le mathématicien sur sa conclusion au sujet de la parallaxe, mais il lui faisait part de son désaccord sur le terme de la formule qui était responsable de cette conclusion :
« je me suis occupé comme vous l’avés peut etre appercû dans la Conoissance des temps de la parallaxe dans le spheroide applati, et j’en ai reduit l’effet en deux petites tables fort commodes, pour une latitude donnée, comme mes equations sont tres bien demontrées et que j’ai trouvé une difference dans votre savant memoire sur cette matiere souffrés que je vous propose ma difficulté : si je me trompe, il vous sera aisé de me redresser. Suivant vos resultats la parallaxe de hauteur sera ce dernier terme me paroit superflu, d’autant que vous enoncés positivement que h est la hauteur apparente. il est vrai que si h etoit la hauteur vraie, au lieu d’etre la hauteur apparente, ce terme auroit a peu près lieu, mais alors 60 ne seroit pas un coeficient exact. cependant il differe assez peu pour que je n’eusse pas daigné vous proposer ma difficulté si ce n’etoit que h est bien appelé dans votre memoire hauteur apparente. il pourroit arriver aussi qu’il eut signifié au commencement la hauteur apparente, et a la fin la hauteur vraie, je n’ai pas le livre au moment que je vous écris, mais si cela est ma reflexion est inutile, prenés que je n’ai rien dit59. »
48Lalande a tout à fait raison de soupçonner une anomalie. Il se trouve fortuitement, en effet, que la formule d’Euler pour la parallaxe de hauteur, établie en fonction de la hauteur h apparente, se réduit bien, dans le cas sphérique (où le φ d’Euler vaut 90°), à une formule connue exprimant cette même parallaxe60, mais lorsque h est la hauteur vraie. C’est ainsi qu’Euler fut victime d’un malencontreux hasard car, n’ayant pas remarqué cette incompatibilité, il a pris pour une cohérence confirmant la justesse de ses calculs, ce qui était en réalité une incohérence prouvant que sa formule était fausse61 ! Cette défaillance est étonnante, mais il est plus surprenant encore de voir le grand Euler, trop confiant dans les résultats de ses calculs, commettre la bévue de formuler une conclusion pourtant contredite par une évidence géométrique, comme nous le verrons.
49Delambre n’a certainement pas une connaissance précise de la faute d’Euler, ni même de son mémoire, lorsqu’il porte sur cette affaire le jugement suivant : « […] Lalande avait eu raison en réparant une inadvertance légère commise par Euler ou par son imprimeur, car il s’agissait d’un signe + ou –62. »
50Mieux informé, il aurait su que l’imprimeur ne peut être responsable d’une faute de signe qui induit, cinq pages plus loin, une conclusion erronée ! La page 333 de l’article d’Euler comporte en réalité plusieurs fautes, dont deux fautes de signes. La première, flagrante, qui affecte le terme du premier ordre dans l’expression de sinv, est sans doute une faute d’impression, car elle est implicitement corrigée par la suite et n’a donc aucune incidence sur le résultat final. En revanche, Euler est seul responsable de la seconde, celle du premier terme du second ordre dans le développement de sin (v – h), quelques lignes plus bas, car c’est précisément ce signe incorrect, un + au lieu d’un –, qui le conduit à sa formule fausse, à travers celle du bas de la page 333 dont le terme du second ordre est faux. Il est vrai qu’une faute de signe n’est jamais qu’une « inadvertance légère », mais qui peut être lourde de conséquences !
51Dans sa réponse du 2 février 1761, Euler convenait de son erreur, à la grande satisfaction de Lalande qui lui écrit le 23 mars :
« je vous fais donc mille remercîmens d’avoir bien voulu jetter les yeux sur vos calculs de la parallaxe dans le spheroide applati ; c’est actuellement là une matiere usuelle que les astronomes doivent conoitre et employer ; et je suis bien aise de ne m’etre pas trompé a ce sujet […]. »
52Avec un Lalande conforté dans son opinion par la réponse favorable d’Euler et opposé à un Le Monnier dont l’obstination était coutumière, la polémique ne pouvait que rebondir. Car non seulement Le Monnier ne changeait pas d’avis, mais la querelle devint publique lorsqu’il affirma en pleine séance de l’Académie : « La figure de la Terre qui est aplatie vers les poles, doit à Paris, par exemple, donner dans le méridien une plus grande parallaxe que celle que l’on employoit en supposant la même parallaxe horizontale, la Terre étant sphérique. »
53Il était même tellement certain d’avoir raison, tout en étant apparemment inconscient de son probable isolement dans son opinion, qu’il commit l’imprudence d’ajouter : « Comme cet élément est très important pour le calcul du lieu de la Lune et des éclipses je demande qu’on nomme des Commissaires pour décider si cette parallaxe est plus grande63. »
54Pour comprendre l’aspect scientifique de cette question, il suffit de se limiter au cas particulier où la Lune est observée lors de son passage au méridien (Figure 1).
55Envisageons d’abord le cas d’une Terre sphérique, de centre C. Un astronome observe, depuis le lieu O, (le centre de) la Lune en L et mesure sa distance zénithale (apparente) ζ (figure 1)64. La parallaxe (de hauteur) p est ici l’angle en L du triangle OCL, dans lequel elle est liée à cette distance zénithale par la formule
56. (1)
57Par ailleurs, et pour la même configuration des points O, C, L, la figure 2 montre comment l’aplatissement de la Terre se traduit par un redressement de la verticale en O vers l’axe polaire et, par conséquent, par une augmentation de la distance zénithale de L, par rapport à ce qui serait prévu géométriquement si la Terre était regardée sphérique.
58Sans vouloir accabler Le Monnier en lui prêtant une argumentation simpliste, nous sommes obligés de penser que sa profonde conviction devait être fondée sur un raisonnement simple ayant, à ses yeux, un caractère d’évidence, et il est tentant de conjecturer que c’était à peu près le suivant :
- la parallaxe de la Lune est une fonction croissante de sa distance zénithale (évidence géométrique sur la figure 1, confirmée par la formule [1]),
- l’aplatissement de la Terre augmente la distance zénithale de la Lune, par rapport au cas de la Terre sphérique (c’est ce que nous venons de faire remarquer),
- par conséquent, si la Terre est aplatie, la parallaxe de la Lune est supérieure à ce qu’elle serait sur la Terre sphérique.
59Malheureusement, ce raisonnement n’est qu’un beau sophisme, car la parallaxe de la Lune observée dans le méridien est évidemment indifférente à la forme de la Terre65. Il ne peut donc s’agir d’une éventuelle variation de la parallaxe elle-même mais, ce qui est bien différent, de l’estimation qui en sera faite d’après la distance zénithale ζ observée. En effet, il est essentiel de comprendre que la distance zénithale est une donnée d’observation, repérée par rapport à la verticale du lieu, et par suite indépendante de toute hypothèse sur la forme de la Terre, et le problème qui se pose est alors précisément le suivant : la Lune étant observée, depuis le point O, à la distance zénithale ζ, quelle sera l’incidence de l’hypothèse d’une Terre ellipsoïdale aplatie, au lieu de sa sphéricité, sur la parallaxe p qui en sera déduite ?
60Les données r et D étant inchangées, le cas ellipsoïdal se présente comme sur la figure 2 (tracée avec la même distance zénithale ζ que sur la figure 1). À la différence du cas sphérique, la verticale OZ du lieu d’observation n’est généralement plus dirigée vers le centre de la Terre, et un calcul analogue au précédent, toujours dans le triangle OCL, donne cette fois :
61 (2)
62La solution du problème réside alors dans la comparaison des formules (1) et (2) : la Terre étant ellipsoïdale aplatie, la parallaxe p sera trouvée plus petite ou plus grande que dans l’hypothèse sphérique, selon les valeurs relatives de ζ et ζ’, ce qui montre déjà que la conclusion générale d’Euler est fausse. De façon précise, si ζ’> ζ, condition qui équivaut à δ > (φ + φ’)/ 2 (où δ est la déclinaison de la Lune), la correction de parallaxe est celle soutenue par Le Monnier, et inversement, si ζ’< ζ, c’est Lalande qui a raison. Or, c’est ce dernier cas qui intéresse les astronomes parisiens, car la déclinaison de la Lune, qui ne dépasse pas 30 degrés, est toujours nettement inférieure aux latitudes européennes66, de sorte que la configuration est celle de la figure 2, avec ζ’ = ζ - (φ - φ’)67.
63Voilà donc ce que Le Monnier n’avait pas compris, ou s’obstinait à ne pas vouloir admettre. Conformément à son vœu, une commission, composée de La Caille, Clairaut et Cassini de Thury, fut chargée d’examiner la question, et c’est dès le 3 février 1762 qu’elle rendit son rapport en des termes qui en disent long sur l’exaspération provoquée chez ses confrères par l’entêtement de Le Monnier :
« M. le Monnier ayant demandé que l’Academie nommât des Commissaires pour decider si la parallaxe dela Lune dans le meridien est plus grande ou plus petite dans l’hypothêse de la Terre applatie par les poles que celle qu’on employe en supposant la même parallaxe horizontale dans L’hypothese dela Terre spherique, nous commissaires nommés à cet effet declarons que cette question se reduisant à une proposition de la Geometrie la plus elementaire, elle n’est pas susceptible de deliberation dans l’Academie. Mais comme M. le Monnier a declaré en même tems qu’il a toujours employé la parallaxe plus grande dans la Terre applatie, nous disons qu’en supposant comme il fait la même parallaxe [horizontale] dans les deux hypothèses, et par conséquent la même distance de l’observateur au centre de la Terre, M. le Monnier devoit faire ses parallaxes plus petites. Car en faisant la plus legere attention à la position des deux Triangles rectilignes [...]68. »
64Ce rapport vigoureux, rédigé par La Caille, se poursuit par quelques lignes de considérations géométriques élémentaires, en supposant implicitement que la Lune est observée suffisamment vers le sud, comme il est clair d’après la figure accompagnant le texte. Cette démonstration de La Caille n’est qu’une formulation abrégée de celle donnée plus haut avec davantage de précisions, et conduit à la même conclusion opposée à celle de Le Monnier. C’est aussi la vérification simple qui s’imposait et à laquelle Euler eut le grand tort de ne pas penser69.
65Cette affaire, peu glorieuse pour Le Monnier, eut pour conséquence sa brouille durable avec Lalande. Quant à La Caille, ce fut sa dernière intervention marquante aux séances de l’Académie. Il n’y paraîtra plus après celle du 1er mars, et mourut le 21 du même mois.
Notes de bas de page
1 Procès-verbaux des séances de l’Académie royale des sciences de Paris (PVARSP), Archives de l’Académie des sciences de Paris (AASP). Lalande était officiellement l’élève de Delisle mais travaillait surtout avec Le Monnier à l’époque.
2 Quant à dire, comme on l’écrit parfois à la suite de Delambre (Éloge historique de M. de Lalande, prononcé […] le 4 janvier 1808, Archives de l’Académie des sciences de Paris, p. 4), que Berlin est situé « à peu près sous le même méridien » que Le Cap, la formule n’est évidemment pas des plus heureuses puisque l’écart en longitude entre ces deux villes est d’environ 5°, le même qu’entre Paris et Mulhouse…
3 Lalande donne une description détaillée de cet instrument dans son Astronomie, tome II, 1764, p. 854-856, ou tome II, 1792, p. 588-590.
4 Correspondance Euler-Maupertuis, lettre no 86a, note 2 (O. IV A, 6). D’après une note en marge d’un article du Berliner Nachrichten du 2 octobre 1751 (Bibliothèque nationale de France (BNF), Ms FR. 12 275), Lalande serait arrivé à Berlin le 29 septembre.
5 Bibliothèque de l’Observatoire de Paris, Ms B1-6. L’hébergement de Lalande chez Kies est signalé par Simone Dumont, Un astronome des Lumières, Jérôme Lalande, Paris, Vuibert/Observatoire de Paris, 2007, p. 16.
6 Ce Journal de Lalande (BNF, Ms FR. 12 275, f° 425) ne couvre que la période du 4 janvier au 26 juin 1751.
7 BNF, Ms FR. 12 275, f°. 402.
8 L’épouse de Leonhard Euler, née Katarina Gsell (1707-1773), qui devait considérer Lalande un peu comme son fils.
9 Anna Gertruid Vermeulen (née en 1723), nièce d’Euler, fille de sa belle-sœur Anna Gsell.
10 Johann Albrecht Euler (1734-1800), le plus jeune fils d’Euler. Souligné par Lalande.
11 Charlotte Euler (1746-1781), la plus jeune des filles d’Euler. Souligné par Lalande.
12 Souligné par Lalande.
13 Lettre du 31 décembre 1752, Paris.
14 De cette correspondance, il nous reste essentiellement quinze lettres de Lalande, couvrant une période allant du 31 décembre 1752 au 17 février 1768, conservées aux archives de l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg (f° 136, op. 2, no 3-4, et f° 1, op. 3, no 51). À part une lettre perdue écrite dès son retour de Berlin, il semble que Lalande n’ait pas adressé d’autres lettres à Euler. En revanche, aucune des lettres d’Euler à Lalande n’a été retrouvée, à l’exception d’un court extrait d’une lettre datée du 23 décembre 1752, réponse à la lettre perdue de Lalande.
15 Il s’agit du prix de 1759 partagé entre Euler et Groignard.
16 Lettre du 12 septembre 1764, Paris. En l’absence de d’Alembert se trouvant alors à Postdam, c’est un jury composé de Clairaut, Camus, Le Monnier, Lalande et Bezout (séance du 6 septembre 1763) qui couronna le mémoire de Lagrange intitulé Recherches sur la libration de la Lune. Ce succès éclatant remporté par Lagrange sur Euler fut pour ce dernier une désagréable surprise, d’autant que leur correspondance, débutée une dizaine d’années plus tôt, n’avait jamais permis à Euler de soupçonner chez Lagrange un intérêt pour la mécanique céleste.
17 Journal de Lalande, déjà cité. C’est Lalande qui souligne.
18 Lettre de Lalande au P. Castel, le 22 avril 1752 (AASP, Dossier Lalande). Cette lettre est transcrite par Simone Dumont, op. cit., p. 19-20.
19 Lettre de Lalande au comte de Maillebois, le 6 mai 1752 (AASP, Dossier Lalande).
20 BNF, Ms 12 275, fol. 399, Lettre de Lalande à Le Monnier, le 19 août 1752.
21 AASP, dossier Lalande, Jean-Baptiste Delambre, Éloge historique de M. de Lalande, p. 6.
22 Lettre de Lalande au P. Castel, déjà citée.
23 BNF, Ms FR. 12 275, f° 400, Lettre de Lalande à Le Monnier, Berlin, le 6 mai 1752.
24 Mémoires du Duc de Luynes sur la cour de Louis XV (1735-1758), édité par L. Dussieux et E. Soulié, Paris, vol. 11, 1860-1865, p. 468, 471.
25 Cette note du Journal de Lalande nous apprend donc aussi la date de soutenance de sa thèse pour l’obtention du grade de licencié en droit.
26 AASP, Dossier Lalande.
27 Histoire de l’Académie Royale des Sciences avec les Mémoires de mathématique et de physique tirés des registres de cette Académie, 1751, Paris, (1755), Mém. p. 457-479. Lalande témoigne ici de la collaboration de Johannes Kies pour ces observations (p. 458) : « M. Kies, Astronome de l’Académie royale des Sciences de Prusse, voulut bien aussi travailler de concert avec moi, & nous avons presque toûjours observé ensemble avec differens instrumens. » Il avait déjà signalé cette collaboration dans la lettre au P. Castel du 22 avril 1752, lorsqu’il évoque les instruments dont il dispose à Berlin : « […] puis qu’il [Le Monnier] a jugé que je pouvois en faire le même usage que luy sur tout aidé de M. Kies avec qui je travaille ici de concert […] ».
28 Jérôme Lalande, « Premier Mémoire sur la parallaxe de la Lune, & sur sa distance à la Terre ; dans lequel on applique les nouvelles observations faites par ordre du Roi en 1751 & 1752, à Berlin & au cap de Bonne-espérance, à un sphéroïde aplati pour en déduire les parallaxes dans différens points de la Terre », Histoire de l’Académie Royale des Sciences avec les Mémoires de mathématique et de physique tirés des registres de cette Académie, 1752, Paris, (1756), Mém. p. 78-114.
29 Jérôme Lalande, « Second Mémoire sur la parallaxe de la Lune, contenant le résultat des Observations faites par ordre du Roi à Berlin, depuis le mois de Mars jusqu’au mois d’Aoüt 1752, & comparées à celles du cap de Bonne-espérance », Histoire de l’Académie Royale des Sciences avec les Mémoires de mathématique et de physique tirés des registres de cette Académie, 1753, Paris, (1757), Mém. p. 97-105. Lalande publiera ultérieurement un « Troisième Mémoire sur la parallaxe de la Lune, contenant la manière de considérer l’aplatissement de la Terre dans le calcul des Éclipses, avec des Tables propres à cet usage ; et le dernier résultat des observations faites à Berlin en 1751 & 1752, pour déterminer la Parallaxe », Histoire de l’Académie Royale des Sciences avec les Mémoires de mathématique et de physique tirés des registres de cette Académie, 1756, Paris, (1762), Mém. p. 364-379.
30 PVARSP, séance du 20 janvier 1753.
31 Léon Aucoc, L’Institut de France, lois, statuts et règlements concernant les anciennes académies et l’Institut, de 1635 à 1889, Paris, Imprimerie nationale, 1889.
32 L’abbé Jean-Baptiste Chappe d’Auteroche devra attendre le 14 janvier 1759 pour obtenir une place d’adjoint astronome.
33 La Caille ne sera de retour en France que le 28 juin 1754.
34 PVARSP, séance du 7 février 1753.
35 Lettre du 2 mars 1753, Paris.
36 Lettre du 18 juillet 1763, Paris.
37 Ce titre de Lalande figure, parmi d’autres, en tête de son Astronomie (1764), ou encore de sa Bibliographie astronomique (1802).
38 Lettre du 16 janvier 1764, Paris.
39 Lettre du 7 mai 1760, Paris.
40 PVARSP, séance du 2 décembre 1758.
41 Règlement de l’Académie du 3 janvier 1716. Pingré a été nommé associé libre le 30 mars 1756 (élection du 13 mars, décision du roi notifiée aux académiciens lors de la séance du 31 mars).
42 PVARSP, séance du 13 janvier 1759.
43 Après une première édition de ces tables (« Tabulae pro calculandis eclipsibus satellitum Jovis », Acta Regiae Societatis scientiarum Upsaliensis pro 1741, Stockholm, 1746), Lalande venait en effet d’en publier une nouvelle version adjointe à son édition des tables de Halley (Tables astronomiques de M. Halley pour les planètes et les comètes réduites au nouveau stile et au méridien de Paris, Paris, Durand, 1759).
44 Jérôme Lalande, « Méthode pour trouver en tout temps la situation apparente des quatre Satellites de Jupiter, & en dresser la figure », Histoire de l’Académie Royale des Sciences avec les Mémoires de mathématique et de physique tirés des registres de cette Académie, 1761, Paris, (1763), Mém., p. 178-183.
45 PVARSP, séance du 19 juillet 1760.
46 PVARSP, séance du 26 janvier 1760.
47 PVARSP, séance du 3 février 1762.
48 AASP, pochette de la séance du 3 février 1762. C’est l’auteur du rapport qui souligne.
49 PVARSP, séance du 23 novembre 1765.
50 PVARSP, séance du 1er mars 1766.
51 Après son vote du 2 décembre 1758 en faveur de Lalande, il a été notifié à l’Académie que « le Roy a fait choix de M. de la Lande pour être chargé de la connoissance des tems » (PVARSP, séance du 13 décembre 1758).
52 Lalande fut à nouveau responsable de la Connaissance des temps pour les éditions des années 1795 à 1807.
53 Ce n’est qu’en 1702 que le privilège du roi fut accordé à l’Académie royale des sciences à laquelle Joachim Dalencé (ou d’Alencé) (v. 1640-1707) n’appartenait pas. Voir Jacques Lévy, « La création de la Connaissance des temps », Vistas in Astronomy, 20, 1976, p. 75-77, René Taton, « Dalencé, Joachim », Dictionary of Scientific Biography, t. 3, New York, Scribner, 1971, p. 534-535. Pour l’histoire de la Connaissance des temps et, plus particulièrement, pour les rapports de Lalande avec cette publication, voir la thèse de Guy Boistel, L’astronomie nautique en France au XVIIIe siècle : tables de la Lune et longitudes en mer, Thèse de doctorat, Université de Nantes, 2001.
54 Sur les querelles Lalande-Le Monnier, voir l’ouvrage déjà cité de Simone Dumont, Un astronome des Lumières, Jérôme Lalande, op. cit., p. 34-36.
55 Euler, « De la Parallaxe de la Lune tant par rapport a sa hauteur qu’a son azimuth dans l’hypothese de la Terre spheroidique », Mémoires de l’Académie de Berlin, année 1749, (1751), p. 326-338. L’incidence de la forme de la Terre sur des questions relatives à la parallaxe lunaire avait déjà été prévue par Newton dans ses Principes mathématiques de la philosophie naturelle, traduction par Madame du Châtelet de l’édition de 1726, Paris, 1756, livre III, proposition 37, corollaire 10 (t. II, p. 102).
56 Rappelons que, pour un lieu d’observation donné, la parallaxe de hauteur d’un astre du système solaire est l’écart entre sa hauteur apparente (topocentrique) pour l’observateur au sol, et sa hauteur vraie (géocentrique) mesurée par cet observateur après qu’une translation géométrique l’aurait déplacé au centre de la Terre, accompagné de son plan horizontal. De façon analogue se définit une parallaxe d’azimut, également calculée par Euler dans son mémoire. Les astronomes considèrent encore la parallaxe totale qui est l’angle sous lequel, depuis l’astre, serait vu le rayon de la Terre aboutissant à l’observateur. Elle se confond avec la parallaxe de hauteur lorsque l’astre est dans le méridien de l’observateur. Enfin, la parallaxe horizontale d’un astre, qui interviendra plus loin, serait sa parallaxe de hauteur s’il était situé dans le plan horizontal de l’observateur, tout en conservant sa distance au centre de la Terre. Elle ne dépend pas de l’azimut. Des particularités se produisent dans le cas d’une Terre sphérique : la parallaxe d’azimut n’existe pas, la parallaxe de hauteur est indépendante de l’azimut et se confond avec la parallaxe totale. En dehors de la parallaxe horizontale, il subsiste alors une seule notion appelée simplement parallaxe.
57 Euler, op. cit., p. 338. La « régle vulgaire » est l’hypothèse sphérique, et « pour l’ordinaire » exclut les pôles et les points de l’équateur. Notons qu’à cette époque, l’hypothèse d’une Terre ellipsoïdale aplatie était très généralement admise après les expéditions géodésiques de Laponie (1736-1737) et du Pérou (1735-1744).
58 Dans un premier temps, Lalande ne s’était pas aperçu de l’erreur d’Euler. Dans son Second Mémoire sur la parallaxe de la Lune, imprimé en 1757, il se contente de reproduire (p. 102) une formule incorrecte extraite de l’article d’Euler (p. 334). Il n’a reconnu cette erreur qu’en rédigeant son Troisième Mémoire sur le même sujet, où elle est rectifiée.
59 La formule d’Euler, rappelée par Lalande, se trouve à la page 337 de son mémoire. Elle fait intervenir la hauteur apparente h, l’azimut apparent k (compté à partir du nord, dans le sens rétrograde), la parallaxe horizontale π et le complément φ de la différence entre les latitudes géographique et géocentrique du lieu d’observation. Avec les données modernes, cette différence ne dépassant pas 11’33”, cos φ est inférieur à 3,36 10-3. Cette formule a été obtenue en développant la parallaxe de hauteur au second ordre, par rapport au quotient du rayon terrestre aboutissant à l’observateur par la distance entre les centres de la Lune et de la Terre. Ensuite, Euler a fait quelques approximations consistant essentiellement à remplacer π2 par π/60 et à négliger les termes du second ordre contenant cos φ en facteur.
60 « Si la terre étoit spherique, nous n’aurions pour la parallaxe de la hauteur que cette formule, dont on fait usage dans l’Astronomie […] », Euler, op. cit., p. 338.
61 Le terme contesté par Lalande, et responsable de la conclusion fautive d’Euler, est effectivement incorrect. Puisque h est la hauteur apparente, avec les notations et approximations d’Euler, ce terme aurait dû être . Dans le cas sphérique, la formule d’Euler ainsi corrigée se réduit à π cos h, qui est bien l’expression de la parallaxe de hauteur lorsque h est la hauteur apparente. Cela explique pourquoi le terme litigieux de la formule d’Euler paraissait « superflu » à Lalande. Enfin, si h était la hauteur vraie, Lalande a raison de considérer que le terme contesté de la formule d’Euler « aurait a peu près lieu », car, toujours avec les approximations d’Euler, le terme correct serait simplement , qui est proche de celui d’Euler. Lalande avait probablement obtenu ce résultat qu’il décrit comme étant celui d’Euler où « 60 ne seroit pas un coefficient exact », puisqu’en effet il faudrait lui substituer 60/sin2 ϕ qui, selon les données modernes, ne dépasse pas 60,0007.
62 Jean-Baptiste Delambre, Histoire de l’Astronomie au XVIIIe siècle, Paris, Bachelet, 1827, p. 550. Dans ce même ouvrage, il écrit encore : « cette faute de signe pouvait être une faute d’impression facile à corriger » (p. 234).
63 PVARSP, séance du 27 janvier 1762.
64 La hauteur apparente h est le complément de ζ.
65 Cette indifférence à la forme de la Terre est évidemment toujours le cas de la parallaxe totale, laquelle se confond avec la parallaxe de hauteur pour une observation méridienne (cf note 54). Cependant, la forme de la Terre affecte en général les parallaxes de hauteur et d’azimut. C’est particulièrement clair pour cette dernière qui est toujours nulle sur une Terre sphérique.
66 Autrement dit : depuis l’Europe, la Lune dans le méridien, est toujours observée nettement vers le sud.
67 Les notations φ et φ’désignent ici les latitudes géographique et géocentrique du lieu d’observation.
68 AASP, pochette de séance du 3 février 1762. Nous transcrivons ici le début du rapport d’après l’original, de la main de La Caille, contenu dans la pochette. Ce rapport a été recopié dans le procès-verbal de séance.
69 Pour la parallaxe de hauteur, la comparaison faite par Euler entre le cas de la Terre sphérique et celui de la Terre aplatie, s’entend pour la même hauteur apparente et pour la même parallaxe horizontale de la Lune. Cependant, dans notre démonstration géométrique ainsi que dans celle des académiciens qui est pratiquement la même, et contrairement à ce que dit leur rapport, ce n’est pas exactement la parallaxe horizontale de la Lune qui est conservée, mais la distance D. Car si r/D est le sinus de la parallaxe horizontale quand la Terre est sphérique, ce n’est plus le cas lorsqu’elle est aplatie puisque le rayon joignant le centre de la Terre à l’observateur n’est plus perpendiculaire au plan horizontal. De façon correcte, ρ = r cos (φ - φ’) étant la distance du centre de la Terre au plan horizontal, c’est sous la forme ρ/D que le sinus de la parallaxe horizontale se généralise du cas sphérique (où ρ = r) au cas ellipsoïdal aplati. Il en résulte que la conservation de la parallaxe horizontale entre les cas sphérique et aplati exigerait, en toute rigueur, de placer la Lune à la distance D cos (φ - φ’) du centre de la Terre aplatie, au lieu de D dans le cas sphérique. La parallaxe horizontale est toutefois suffisamment proche de r/D dans le cas de la Terre aplatie pour que ce léger défaut n’affecte en rien la valeur démonstrative de l’argument contre les opinions d’Euler et de Le Monnier. Par ailleurs, il est évident que dans l’esprit des astronomes de l’époque habitués à considérer la Terre sphérique, et qu’il s’agisse de Le Monnier ou de ses adversaires, la conservation de la distance D équivalait à celle de la parallaxe horizontale.
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