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Lalande et l’observation : l’œil du cyclone

p. 23-31


Texte intégral

1Si l’on veut parler de Lalande et l’observation astronomique, il est difficilement pensable de se limiter à un seul observatoire ou même un seul personnage. Lalande a brillamment commencé sa carrière par un travail d’observation à Berlin en 1751 et 1752 pendant que Nicolas-Louis de La Caille était au Cap de Bonne Espérance1, mais la suite de la carrière d’observation du Bressan est, nous allons le voir, étroitement liée à celle de ses élèves et protégés. Élève, Jérôme Le François de Lalande l’a été, quand il signait encore avec son patronyme familial. Venu à Paris pour faire son apprentissage d’avocat mais dédiant sa passion et son temps à suivre les cours de l’astronome Joseph Nicolas Delisle puis de Pierre Charles Le Monnier, il a mis en pratique les principes de tutorat des professeurs du Collège Royal. De l’enseignement de Delisle sortira une poignée d’astronomes illustres et d’autres plus obscurs dont la motivation n’a sans doute pas été si parfaite2, quelques autres de celui de Le Monnier3 ; de l’enseignement et de la protection de Lalande, c’est presque une vingtaine de noms qui s’égrainent en plus de trente ans4. De Jacques-Michel Tabary en 1766 à Pierre François Bernier en 1800, Lalande a fait de son mieux pour insuffler sa passion, enseigner son savoir, déceler et soutenir de jeunes mathématiciens prometteurs et les tourner vers l’astronomie, entraîner et faire travailler utilement des observateurs, faire participer ces collaborateurs à des projets savants ambitieux.

2Le but de cette contribution n’est pas tant d’énumérer tous ces élèves car cela a déjà été fait par Simone Dumont dans son livre récent5, mais plutôt d’examiner autant que possible les liens qui ont été tissés entre le maître et les élèves, le travail échangé ou mené de concert, les bénéfices que chacun a tiré de la collaboration, de tenter de dresser ainsi un état des lieux de ce qu’a pu être le travail d’observation de Lalande et de ses « satellites », et de dégager des faits sur la transmission des savoirs et des pratiques en astronomie au XVIIIe siècle.

3De l’apprentissage de Lalande, nous ne savons finalement que peu de choses faute d’archives. Le premier contact avec l’astronomie se fait au Grand Collège de La Trinité à Lyon. Venu à Paris pour devenir avocat mais logé dans le bâtiment même – l’Hôtel de Cluny – où Delisle a installé son observatoire6, Lalande, s’adonnant à l’astronomie sans délaisser le droit, a bénéficié en même temps de l’enseignement théorique et des exercices pratiques, mais on ne peut que supposer ces derniers. Avec Le Monnier son deuxième professeur d’astronomie – il détenait la chaire de physique au Collège Royal –, nous ne savons même pas si l’élève a travaillé à l’observatoire du Jardin des Capucins7. De 1748 à 1751, année de l’obtention de sa licence de droit, faisons l’hypothèse que Lalande a observé sous la direction de l’un et de l’autre de ses professeurs. Il faut attendre les premières notes de son journal commencé à Berlin pour pouvoir juger de la maîtrise de son travail d’observation. Installé chez l’astronome académicien berlinois Johann Kies8, Lalande ne cède en rien à cet aîné de dix-neuf ans et les deux alternent les observations9.

4Lalande est extrêmement rigoureux concernant la vérification du quart de cercle de cinq pieds de rayon de Sisson que Le Monnier lui a prêté. Outre la vérification de la longueur du limbe et la vérification par renversement, Lalande inspecte constamment avec un « microscope à deux verres » la position du fil d’argent sur l’oculaire, avant et après l’observation de la Lune, positions reprises jour après jour dans un tableau récapitulatif. Il précise avec soin quelques procédures d’observation comme par exemple l’usage de la partie inférieure ou la partie supérieure du fil suivant le cas approprié, et précisant – peut-être avec malice – dans son second mémoire qu’il suppose que l’abbé de La Caille a observé avec la même méthode10. Ces procédures montrent, au-delà de l’ambition du jeune astronome cherchant à égaler les maîtres, l’attention d’un Lalande totalement concentré et dévoué à obtenir des observations exemplaires. Il faut noter que si Johann Kies observe assez souvent avec le jeune Français, il semble qu’il n’ait que très rarement utilisé le grand quart de cercle. Cet instrument, outil principal de la mission, est celui dont Lalande se réserve l’usage11. Le Berlinois observe avec un petit quart de cercle les hauteurs de la Lune quand Lalande en observe le passage au méridien. C’est Kies qui, entre autres, fait la plupart des hauteurs correspondantes du Soleil, observations assez simples servant à régler la course de la pendule. Ces hauteurs correspondantes du Soleil sont souvent les observations d’initiations destinées aux élèves astronomes. À Berlin, personne n’est l’élève, et ce ne sera pas le plus jeune astronome qui remplira ce rôle. On peut rapprocher ce fait original de la nomination assez spontanée de Lalande à l’Académie des sciences de Berlin12.

5À son retour à Paris, nul reproche ne sera fait concernant les observations, tout au plus quelques piques discrètes concernant le grand quart de cercle qui n’était déjà plus tout jeune, ces piques visant surtout Le Monnier13. Les mémoires de Lalande le propulsent dans les rangs de l’Académie ; Lalande aligne ses observations à celles de La Caille, dont la maîtrise dans ce domaine n’était plus à démontrer.

6Dans le cas de Delisle, on peut dire que ses élèves ont suivi son modèle, du moins pour ceux qui se sont complètement investis dans l’astronomie. La plupart sont entrés à l’Académie des sciences grâce à des travaux personnels et se sont retrouvés en position d’autonomie, par leur statut et leur prestige. Si certains des élèves de Lalande sont devenus académiciens à leur tour14, tous n’arrivent pas à se défaire de la tutelle du maître, ce pour différentes raisons. Adoptons une typologie très simple pour distinguer les parcours de ces élèves.

7Un premier groupe est celui des élèves d’abord engagés comme calculateurs et lecteurs d’épreuves : Méchain, Delambre et l’allemand Burckhardt. Brillants mathématiciens, Lalande les abreuve en travaux de calculs, les aide ensuite à s’équiper, leur fournit un appui pour commencer leur carrière. Protégés plutôt qu’élèves, ils deviennent avec le temps de véritables confrères, voire lui succèdent dans certaines charges (rédaction de la Connaissance des temps15, chaire au Collège de France16, etc.). Ajoutons à ce groupe Legendre qui a effectivement observé au Collège Mazarin mais qui semble avoir construit sa carrière sans trop chercher l’appui de Lalande.

8Le deuxième groupe est celui des élèves de passage. Formés en dehors de Paris, ce sont Duc-la-Chapelle, Rivet, Bernier et quatre Lazaristes dont principalement Ungeschick. Déjà au fait des pratiques astronomiques, leur séjour auprès de Lalande a été l’occasion d’un perfectionnement, sans parler des liens d’amitié qui se traduisent parfois par une collaboration et des projets communs.

9Le troisième groupe, le plus important, est celui des élèves du Collège Royal ou de ceux qui lui ont été recommandés de façon privée, et que Lalande a mis directement à l’ouvrage : Tabary, Dagelet, Charles, Lefèvre, Le François, Lévêque, Harmand, Beaublé, Lesne, de Bissy ou enfin le fils de Jean Dominique Cassini. Tous ont observé, les uns au Collège Royal, les autres au Collège Mazarin, à l’École Militaire ou place du Palais Royal17. Certains en tireront des lettres de noblesse dans le domaine de l’astronomie tels Dagelet, Le François, d’autres n’ont laissé de nom qu’au hasard des quelques journaux d’observation qui nous sont parvenus18 ou ont brillé dans d’autres sphères.

10En les faisant participer à des travaux originaux, qu’ils soient liés à l’édition, les calculs (on pourrait associer à cette étude tous les calculateurs de la Connaissance des temps19) ou à des programmes d’observations parfaitement définis, Lalande pouvait puiser dans une force de travail et en retour donnait à chacun l’occasion de se faire connaître et reconnaître. Rien de semblable ne ressort avec les anciens maîtres de Lalande. Pour les élèves de Delisle, de Le Monnier ou encore les observateurs travaillant sous la direction des Cassini, le premier travail remarquable ou le premier mémoire est le signe de l’envol et de l’émancipation. Lalande, nous l’avons vu, en est l’exemple le plus frappant. Certes avec Lalande comme professeur, tous n’accèdent pas au panthéon des savants et ce pour des raisons fort variées mais il faut retenir que la méthode de travail de Lalande est singulière. Le catalogage d’étoiles, projet que Lalande envisage sur l’échelle la plus large possible, semble sous-tendre une grande partie de l’enseignement pratique de Lalande. Les élèves observateurs sont formés à la veille du ciel, à l’observation systématique, et les événements célestes exceptionnels paraissent des récréations à peine recommandables en comparaison du travail répétitif et régulier. Dagelet, le deuxième élève connu de Lalande, observe de façon quotidienne le passage au méridien du Soleil et de la Lune, les positions des planètes, les passages d’étoiles, les tâches solaires, les immersions et émersions des satellites de Jupiter20. Tous ces phénomènes bien connus ne valent d’être observés que dans la continuité ou pour épauler d’autres observations plus particulières. Il est facile d’imaginer que Lalande s’est servi des observations routinières de Dagelet pour effectuer les réductions et vérifications de ses propres observations de phénomènes rares ou sujets à hypothèses.

11Le format de l’enregistrement des données astronomiques semble le fruit d’un plan bien établi. On voit une certaine concordance dans l’établissement de ces journaux. Ceux de Dagelet, même pris à plusieurs années d’intervalle, puis ceux de Bernier21 et Le François respectent une même mise en page et un éclairage semblable de chaque donnée des observations. Une première colonne donne la date, les conditions climatiques – description très subjective de l’état du ciel, de la force et de la direction du vent – et la hauteur du thermomètre, ces observations pouvant être réitérées pour la même date. La seconde colonne nomme de façon très visible l’astre observé – le plus souvent par son symbole conventionnel. Les ascensions droites et hauteurs apparaissent le plus souvent dans cette colonne, tandis que leur milieu s’inscrit dans la colonne juste à droite, avec parfois des annotations permettant de juger de la validité de l’observation ou signalant tout simplement son auteur inhabituel. Des accolades horizontales séparent clairement les observations. Lalande utilise la première colonne pour y mettre ses propres notes et commentaires avec parfois des renvois à d’autres pages du journal. Cette construction se rigidifie encore dans les travaux de Dagelet à partir du milieu des années 1770 avec un tableau à six colonnes, la date étant inscrite à l’extérieur du tableau. Sont alors distinctement séparés le nom des astres, leurs différentes ascensions droites observées, la hauteur, le milieu de l’ascension droite, la hauteur réduite. Tout est fait pour retrouver aisément les éléments qui serviraient à constituer le catalogue d’étoile. La rigueur qui apparaît dans ces journaux est celle qui prédominera au XIXe siècle – parfois des cahiers de feuilles pré imprimées –, mais reste peu fréquente à l’époque qui nous intéresse. Les observations de Le François au cœur de la construction du grand catalogue dans les années 1790 sont remarquables de régularité et de probité professionnelle. Pour chaque fil de l’oculaire apparaît une ligne – trois ou cinq – suivant l’instrument, le tout entouré d’accolades, marquant sans faute l’incapacité de l’observateur à capturer toutes les ascensions droites et donnant ainsi à Lalande des arguments sur la validité de telle ou telle observation.

12Si le journal de Bernier concerne des observations faites à Montauban, il ne faut pas oublier qu’il travaille auprès de Duc-la-Chapelle, un des anciens élèves de Lalande. L’astronome montalbanais est en étroite relation avec le Toulousain Darquier et le Parisien Lalande, embryon de réseau d’observation à l’échelle nationale. Bernier travaillera également au Collège de France avant de partir en mer pour son voyage sans retour22. Son journal offre une structure toute similaire à celle des journaux les plus soignés et précis de Dagelet si l’on excepte l’ordre des colonnes.

13Si l’on juge de la brièveté de la présence auprès de Lalande d’un assez grand nombre d’élèves, que ce soit par défection envers les sciences, carrière divergente ou mort prématurée, on peut comprendre ce qui peut pousser Lalande à tendre vers l’efficacité et le pragmatisme. De l’entraînement effectué avec systématisme, trop peu ont pu accéder à l’honneur de la véritable mission d’observation, ou même à l’obtention de résultats pleinement exploitables. Notons aussi que Lalande s’est tenu à être le détenteur officiel des journaux d’observations fait sous sa direction, à tel point que Dagelet fait une copie de son propre journal d’observation pour les années 1776 et 1777. Les deux journaux se trouvent maintenant côte à côte dans les archives de l’Observatoire de Paris23.

14En regardant les journaux de Tabary ou de Jacques Charles, on ne peut que remarquer la différence de format avec les journaux précédemment cités. Les colonnes structurant tout le travail de Dagelet, ou de Bernier et de Le François par une classification des éléments de chaque observation n’existent ici tout simplement pas. Même l’écriture brouillonne et hâtive contraste avec celle des autres assistants de Lalande. Faut-il y voir un signe de carrières – ou de caractères – qui ne s’accorderont pas avec les vues du maître ? Reconnaissons toutefois à Tabary, premier élève de Lalande, d’imiter peut-être innocemment les premiers journaux berlinois de Lalande : une colonne pour la date et les conditions d’observation, le reste jeté en vrac. Pour Charles, aucun ordre concret n’est respecté et la lecture est très difficile.

15Lalande a montré de la sollicitude et joué de son influence pour la carrière de ses élèves. Dagelet est nommé professeur de mathématiques à l’École Militaire en 1777 – situation stratégique en raison de l’observatoire installé dans les murs de l’institution –, Méchain obtient en 1772 un poste de calculateur au Dépôt de la marine, puis est nommé astronome-hydrographe, Delambre a été aidé dans la publication de ses nombreux mémoires avant d’obtenir un siège à l’Académie des sciences, Jacques Charles rentre aussi à l’Académie vraisemblablement grâce à l’appui de son maître. Par trois fois, Lalande a mené campagne pour l’élection de son neveu à l’Institut. Il est enfin nommé en 180124. Le cas de Le François est intéressant, car il a été reproché à ce candidat de s’être attelé à une tâche fastidieuse mais trop répétitive – observer 47 000 étoiles25 – et de n’avoir point su montrer ses compétences dans d’autres domaines astronomiques. Si les observatoires du Collège Mazarin, du Collège Royal et de la place Royale sont des lieux principalement d’apprentissage ou d’observation ponctuelle pour Lalande, celui de l’École Militaire est le cœur de l’entreprise du grand catalogue d’étoiles. Lalande n’a eu de cesse de maintenir cet observatoire, et d’y placer non seulement les meilleurs instruments (le quadrant mural de Bergeret de huit pieds de rayon26) mais aussi les plus capables de ses élèves observateurs pour qu’y soient menées les observations : Tabary, prometteur mais trop instable et mort en mer ; Dagelet mort dans l’expédition de La Pérouse27 ; Le François parfois envoyé en mission28 ; Philippe Lesne parti en Vendée défendre la Convention29. Ces élèves sont eux-mêmes parfois assistés – début d’apprentissage pour de nouveaux élèves ? – et Lalande fréquente aussi l’observatoire, surtout pendant la période de travail de Le François, la réalisation effective du catalogue d’étoiles.

16Mais quelle place reste-t-il pour Jérôme Lalande dans cette armée d’observateurs ? Le peu de pages de journaux d’observation qui nous sont parvenus où le maître est nommé pour être présent à l’oculaire ne doit pas nous tromper. Je saute volontairement les années passées solitairement dans la coupole du palais du Luxembourg car ce sont des années pendant lesquelles Lalande a consolidé sa réputation après le coup de maître à Berlin. Quand Lalande commence à attirer à lui ses premiers élèves, les mémoires de l’Académie des Sciences montrent qu’il est resté aussi un observateur, au moins jusque dans les années 1780, en plus de toutes ses autres facettes. Éclipses de Lune et de Soleil, passages de planètes sur le disque du Soleil, opposition de Jupiter, étude des taches du Soleil, conjonction de Mercure, anneaux de Saturne, les exemples d’observations ne manquent pas30. Aux élèves les travaux de longue haleine et répétitifs, au maître les observations plus exceptionnelles, et Lalande va d’observatoire en observatoire selon les nécessités et les possibilités des lieux. Il est parfois aux côtés de ses élèves pour les guider, et ses élèves sont parfois à ses côtés pour le seconder là où un seul observateur ne suffit pas. Par exemple dans le journal de Dagelet du 4 juin 1776, à l’occasion d’un passage de Mercure sur le disque du Soleil, l’élève écrit « observation de mercure par M.D.L. faites à la lunette parallactique […] qu’il juge très bonnes31 ». Les initiales ne laissent aucun doute.

17Lalande sait aussi collaborer avec des astronomes qui ne font pas partie de son réseau d’élèves et de protégés. Les travaux communs avec Messier (le dernier élève de Delisle32) sont très fréquents. De fait, après avoir commencé sa carrière par des observations correspondant à celles de La Caille, Lalande n’hésite pas à se comparer par son travail aux autres grands noms de l’observation astronomique : Cassini, Le Monnier, Messier, Le Gentil, Méchain, Pingré33.

18Également, les annotations omniprésentes de la main de Lalande dans les journaux des observations faites à l’observatoire de l’École Militaire rendent délicates la distinction du rôle de chacun. Il n’est pas toujours aisé d’affirmer que Lalande était présent ou non au moment de certaines observations destinées au grand catalogue d’étoiles. Mais il est certain qu’il suivait de très près, voire au jour le jour, les observations dont il était le maître d’œuvre34.

19Guy Boistel nous avait déjà dévoilé les capacités de Lalande à guider et rassembler autour de lui des collaborateurs concernant l’édition de la Connaissance des temps et la biographie écrite par Simone Dumont rassemble l’ensemble des faits concernant les nombreuses relations dont Lalande faisait son quotidien. Nous n’avons ici révélé aucun fait nouveau mais nous espérons attirer l’attention sur ce que pouvait signifier avoir un élève quand on disposait d’un ou plusieurs observatoires et de projets. Une étude comparative entre Lalande, Delisle, Le Monnier, l’Observatoire royal – et même étendue à la scène méridionale – et tous les observateurs en formation qui les ont fréquentés apporterait sans doute beaucoup d’éléments sur l’enseignement, la transmission de savoir et même la sociabilité dans ce milieu élitiste, permettant de compléter l’aperçu ici entamé.

20Pour l’instant, force est de constater que Lalande est le pôle d’une école d’observation astronomique, sans véritable statut mis à part la situation privilégiée de professeur d’astronomie au Collège royal et astronome académicien. On peut d’ailleurs associer cette idée d’école au fait que Lalande a écrit un des rares manuels pratiques d’astronomie du XVIIIe siècle avec son Astronomie35. En plus d’un cours théorique et une présentation des instruments principalement utilisés, on y trouve les informations pratiques pour l’observation astronomique. L’autre manuel d’astronomie pratique du XVIIIe siècle est d’ailleurs l’œuvre d’un vrai collaborateur de Lalande, le Toulousain Darquier avec les Lettres sur l’astronomie pratique publiées en 178636. Avec des moyens plus modestes et un rayonnement moindre, les objectifs de Darquier ont été proches de ceux de Lalande37.

21Entamant le travail destiné à ce chapitre, l’idée du titre à sensation nous était venue rapidement : « Lalande et l’observation : l’œil du cyclone ». Les observateurs cités dans les pages précédentes sont les vents tourbillonnants en périphérie, mais la puissance du cyclone ne peut se mesurer qu’en son cœur, là où se tient Lalande. Lalande a soit marqué de sa présence et de son soutien, soit tenu par les rênes des collaborateurs capables et dévoués. À lui de les guider, de les nourrir, de les protéger. Équipant et exploitant quatre observatoires à Paris, Lalande pouvait être à la tête d’une vaste entreprise avec bien plus de possibilités que l’Observatoire royal même, avant la création du Bureau des longitudes qui initie un fonctionnement centralisé qui sera plutôt caractéristique du XIXe siècle. Il ne lui a manqué que la force humaine, encore trop peu nombreuse et surtout trop incertaine, et ce malgré des efforts notables et assez inhabituels pour l’époque. Seul le grand catalogue d’étoiles, rare œuvre dans le domaine de l’astronomie que l’on doit qualifier de collective – l’Histoire Céleste française commencée à être publiée en 180138 – apparaît comme un résultat tangible et accompli de la concentration de force qu’il a suscitée, si on s’en tient au domaine de l’observation.

Notes de bas de page

1 Jérôme de Lalande, « Observations faites par ordre du Roi, pour la distance de la Lune à la Terre, à l’Observatoire royal de Berlin, en 1751 et 1752 », Mémoires de l’académie royale des Sciences, pour l’année 1751, p. 457-479 et les deux mémoires sur la parallaxe dans les recueils suivants ; Louis Nicolas de La Caille, « Diverses observations astronomiques et physiques faites au cap de Bonne-Espérance etc. », Mémoires de l’Académie royale des Sciences, pour l’année 1751 et 1754 ; Louis Nicolas de La Caille, « Table des ascensions droites et des déclinaisons apparentes des étoiles australes etc. », Mémoires de l’Académie royale des Sciences, pour l’année 1752.

2 Godin, La Croyère, Vignon, Buache, Auvray, de Fouchy, Gourdau, Moutier, Souciet, Grischow, Lalande, Libour, Messier, de Barros, Trébuchet, Dobbler, Hennert, de Grante.

3 Bory, de Chabert, Lolbinière, Lalande.

4 Jacques Tabary, Joseph Lepaute d’Agelet, Jean-Baptiste Delambre, Michel Le François, Adrien-Marie Legendre, Jacques Charles, Lefèvre, René Lévêque, Harmand, Rivet, Beaublé, Anne-Jean Duc-la-Chapelle, Pierre Ungeschick, Lesne, Frédéric de Bissy, Jean-Charles Burckhardt, Pierre-François Bernier, Cassini V.

5 Simone Dumont, Un astronome des Lumières. Jérôme Lalande, Paris, Vuibert et Observatoire de Paris, 2007.

6 Delisle occupe la chaire de mathématique du Collège Royal à partir de 1718. Il a installé son observatoire à l’Hôtel de Cluny en 1748.

7 Le Monnier installe son observatoire dans une maison du clos des Capucins rue Saint-Honoré en 1742. Il est professeur au Collège royal en 1746.

8 Johann R. Kies, 1713-1781, membre astronome de l’Académie des sciences de Berlin, professeur de mathématiques et de physique.

9 Bibliothèque de l’Observatoire de Paris (BOP), C 5.1, Jérôme de Lalande, Observations faites à Berlin, 1751-1752, autographe.

10 Jérôme de Lalande, « Premier mémoire sur la parallaxe de la Lune, et sur sa distance à la Terre ; dans lequel on applique les nouvelles observations faites par ordre du Roi en 1751 et 1752, à Berlin et au Cap de Bonne-Espérance, à un sphéroïde aplati, pour en déduire les parallaxes dans différents points de la Terre », Mémoires de l’Académie royale des Sciences, pour l’année 1752, p. 90.

11 Ce quart de cercle mural de cinq pieds de rayon, fabriqué par l’anglais Sisson, a été acheté et utilisé par Le Monnier en 1742 jusqu’à ce qu’il le prête à Lalande pour son voyage.

12 Lalande aura sans doute été favorisé par les académiciens berlinois Maupertuis, ancien compagnon de Le Monnier en Laponie et Leonhard Euler dont il profite des enseignements mathématiques.

13 Voir dans la correspondance de Joseph-Nicolas Delisle, tome XI, lettre no 194 du 15 janvier 1752 de Gibus à Grischow, BOP B 1-6. Sur les rivalités entre académiciens astronomes et formations de clans, divers éléments ont été mis en avant dans : Mary Terrall, « Representing the Earth’s Shape : The polemics surrounding Maupertuis’s expedition to Lapland », Isis, vol. 83, 1992, p. 218-237 ; Élisabeth Badinter, Les passions intellectuelles, t. I et II, Fayard, 1999 et 2002 ; Guy Boistel, L’astronomie nautique au XVIIIe siècle : Tables de la Lune et longitudes en mer, Thèse de doctorat, Université de Nantes, Centre François Viète, 2001 (et ANRT, 2003) ; Nicolas Lesté-Lasserre, Une correspondance savante au XVIIIe siècle : J. -N. Delisle et son réseau d’observateurs de 1750 à 1753, Mémoire de Maîtrise, Université de Paris VII, 2002.

14 Dagelet adjoint puis associé astronome en 1785 ; Méchain adjoint en 1782, associé puis membre en 1795 ; Delambre associé en 1792 puis membre en 1795 ; LeFrançois membre en 1801 ; Legendre adjoint en 1783, associé puis membre en 1795 ; Charles associé géomètre en 1785 ; Duc-la-Chapelle fondateur de Société des Arts et des Sciences de Montauban et associé non résidant de l’Institut en 1796 ; Burckhardt membre en 1804.

15 Méchain en est le rédacteur de 1785 à 1792.

16 Delambre succède justement à Lalande à la chaire d’astronomie.

17 C’est là la liste des observatoires dont Lalande a l’usage après qu’il ait quitté le dôme du palais du Luxembourg en 1764, premier observatoire de son maître Delisle rappelons-le. Pour bien des points et coïncidences, Lalande a marché dans les pas de son professeur d’astronomie.

18 Tabary dans Observations, BOP C 5.2-3 ; Dagelet dans Observations, BOP C 5.3-5, Observations faites au Collège Mazarin, BOP C 2.20, Observations faites à l’École Militaire, 1778-1785, BOP C 2.21-23 ; Charles dans Observations, BOP C 5.4 ; Lefrançois dans Observations, BOP C 5.6-7.

19 Guy Boistel, op. cit., partie II notamment.

20 D’abord sous la direction pratique de Tabary, Dagelet commence à observer de façon autonome en juillet 1769. Ses journaux couvrent les années de 1769 à 1785, ce qui est assez remarquable de longévité.

21 BOP C 2.18, Pierre Bernier, Journal des observations astronomiques.

22 Bernier, participant à l’expédition de Baudin à bord du Géographe, meurt en mer le 6 juin 1803.

23 Manuscrits BOP C5.4 et C2.20, voir note 18.

24 Voir Simone Dumont 2007, op. cit.

25 Flamsteed publie un catalogue de 2 876 étoiles (Atlas Coelestis, 1730) ; La Caille atteint 10 000 étoiles par un travail solitaire remarquable (Coelum australe stelliferum…, 1763) ; Lalande augmente ce nombre d’un facteur quantitatif de cinq et d’un facteur qualitatif que je n’essaierai pas d’estimer.

26 Construit par John Bird en 1774, il est installé à l’École Militaire en 1778. Pour son histoire, voir Jean-Claude David, « Lalande et le quart de cercle de l’École Royale Militaire », Dix-Huitième Siècle, vol. 14, 1982, p. 277-287.

27 Dagelet embarque avec La Pérouse en 1785 et meurt vraisemblablement avec lui en 1787 à Vanikoro. Il avait accompagné Kerguelen dans son expédition de 1773-1774.

28 En particulier avec Delambre en 1792 pour la mesure de la méridienne de France

29 Parti en 1793, il n’en revient que pour succomber aux fièvres qu’il a contractées là-bas.

30 Quelques exemples : « Observation de l’éclipse de Soleil du 4 juin 1769 », Mémoires de l’Académie royale des Sciences, pour l’année 1769, p. 426 ; « Mémoire sur les apparences de l’anneau de Saturne en 1773 et 1774 », Ibid., pour l’année 1773, p. 486-502 ; « Éclipse de Saturne par la Lune, avec les conséquences qui en résultent », Ibid., pour l’année 1775, p. 378 ; « Conjonction de Mercure avec une étoile des Gémeaux, observée au Collège Royal le 4 juin 1776 », Ibid., pour l’année 1777, p. 149-150 ; « Observation du passage de Mercure sur le Soleil, arrivé le 12 novembre 1782 ; avec les conséquences qui en résultent », Ibid., pour l’année 1782, p. 207-210.

31 BOP C 5.4, Observations, p. 38,

32 On pourrait trouver là non seulement une continuité du travail de Delisle et de Lalande mais aussi un signe de l’entente qui pouvait exister entre Lalande et le « clan Delisle », mais cela reste du domaine de la supposition.

33 Jérôme de Lalande, « Mémoire sur l’éclipse de Lune du 18 mars 1783, et sur la grandeur de l’ombre de la Lune », Mémoires de l’Académie royale des Sciences, pour l’année 1783, p. 90.

34 Lepaute Dagelet écrit dans son premier journal d’observations faites au Collège Mazarin « les années 68, 69, 70 sous les yeux de M. de la Lande ». (BOP C 5.4, Observations, p. 8).

35 Astronomie, Paris, Desaint & Saillant, 1764 pour la première édition.

36 Antoine Darquier de Pellepoix, Lettres sur l’Astronomie pratique, chez Didot fils : Jombert jeune, 1786.

37 Sur les liens qui unissent Lalande et Darquier ainsi que la communauté d’élèves qu’ils ont partagée, voir le chapitre de Jérôme Lamy, « Parcours initiatiques. Les élèves méridionaux de Jérôme Lalande » dans le présent ouvrage.

38 Histoire céleste française, contenant les observations faites par plusieurs astronomes français, t. I, Paris, Imprimerie de la République, 1801.

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