Introduction
p. 19-22
Texte intégral
1Figure majeure de l’astronomie des Lumières, propulsé en quelques années sur les scènes savante et mondaine, Jérôme Lalande se démarque de ses contemporains par la mise en place de réseaux d’observateurs et de calculateurs. S’il mobilise ses assistants le plus souvent pour son propre intérêt, Lalande développe aussi une vision pragmatique et personnelle de la pratique de l’astronomie.
2Encore jeune astronome mais déjà auréolé du succès de ses travaux sur la parallaxe de la Lune et de la prévision du premier retour calculé d’une comète aux côtés du mathématicien Alexis Clairaut, la fameuse comète de Halley qui passe au périhélie le 13 mars 1759, Jérôme Lalande se voit chargé de la rédaction des éphémérides de la Connaissance des temps, publication confiée par le pouvoir royal à l’Académie royale des sciences en 1701. D’emblée, Lalande imprime sa marque en introduisant de profondes modifications dans le contenu et la forme même de la Connaissance des temps : histoire et annales de l’astronomie, adresses des correspondants de l’Académie, mémoires scientifiques sous le titre d’Additions à la Connaissance des temps, nouvelles tables et nouvelles méthodes. Dès 1760, Lalande souhaite notamment introduire les tables des distances lunaires sous la forme proposée par l’astronome l’abbé Nicolas-Louis de La Caille en 1754, soucieux de mettre les distances lunaires « à la portée du commun des navigateurs ». Mais des tensions au sein de l’Académie royale des sciences entre clans, motivées aussi par l’épaisseur croissante de la personnalité de Lalande, empêchent la réalisation de ce projet. Ce sont le Board of longitude et l’astronomer royal Nevil Maskelyne qui le concrétiseront en publiant le Nautical almanac à Londres en 1766, sur le modèle de la Connaissance des temps. Celui-ci deviendra la référence absolue en matière d’éphémérides tout au long du XIXe siècle.
3Pour réaliser les calculs et assurer la publication de ses éphémérides dans des délais raisonnables, – Lalande est à l’origine de la livraison aux marins de la Connaissance des temps dix-huit mois au moins avant l’année pour laquelle elle est calculée –, Lalande recrute de nombreux calculateurs, dont la coordinatrice n’est autre que la femme de l’horloger du Roi Jean-André Lepaute, Nicole-Reine Lepaute, l’une des rares femmes ayant l’opportunité de pratiquer l’astronomie au XVIIIe siècle. Au décès de l’abbé de La Caille en 1762, Lalande hérite aussi de la publication des autres éphémérides de l’Académie, Les éphémérides des mouvements célestes, calculées pour dix années et principalement destinées à la constitution de calendriers. Madame Lepaute sera la principale rédactrice de l’avant-dernier volume publié par Lalande en 1783, avant la Révolution et la suppression de ces éphémérides.
4Si Lalande délègue les taches pénibles à des assistants qu’il forme et rémunère sur ses fonds propres, il est aussi conscient de la nécessité de se constituer les plus vastes réseaux de correspondants, à l’image de son premier maître Joseph-Nicolas Delisle.
5Ses différents réseaux permettent à Lalande de se procurer les ouvrages nécessaires à ses propres travaux, mais aussi d’alimenter les bibliothèques de travail de ses correspondants ; ce sera par exemple le cas de l’Académie de Marine qui reçoit des mains de Lalande les exemplaires du tout nouveau Nautical almanac. En 1769, les marins brestois souhaitent traduire et adapter les éphémérides nautiques anglaises, espérant ainsi contribuer à répandre la méthode des distances lunaires pour la détermination des longitudes chez le plus grand nombre des navigateurs. Malgré ces travaux avancés et utiles à la navigation, le ministre de la Marine n’encouragera pas l’Académie brestoise à poursuivre cette adaptation et Lalande pourra enfin, en 1772, insérer les tables des distances lunaires dans la Connaissance des temps.
6S’inscrivant dans une filiation remontant à l’abbé de la Caille et poursuivie par l’abbé Alexis Rochon, Lalande est conscient de la nécessaire adaptation des méthodes de l’astronomie nautique au niveau réel de formation de la plupart des marins du commerce. Ceux-ci n’ont la plupart du temps que la connaissance des quatre opérations de l’arithmétique, la manipulation de la règle et du compas et du quartier de réduction pour la détermination des courses nautiques. Lalande propose donc en 1793 une méthode alternative à la méthode des distances lunaires, cette dernière exigeant des marins de trop longs et difficiles calculs logarithmiques de trigonométrie sphérique.
7L’accès à l’observatoire royal, chasse gardée des Cassini, lui étant impossible, Lalande alors professeur au Collège royal (le Collège de France), met en place dans Paris de multiples petits observatoires destinés à la formation de ses élèves par l’observation systématique du ciel ainsi qu’à la confection d’un nouveau catalogue d’étoiles, toujours en usage aujourd’hui. Dans ces observatoires, dont les plus importants et les plus régulièrement actifs sont ceux de l’École militaire et du Collège royal, on note la présence mixte de Lalande et de ses élèves. Lalande impose la tenue d’un journal d’observation, qui lui appartient ; les élèves disposent de leur propre copie.
8Parmi ces calculateurs et parfois aussi observateurs, on trouve des noms plus ou moins connus, certains deviendront célèbres comme Jean-Baptiste Delambre et Michel LeFrançois de Lalande, Marie-Jeanne Harlay, – cette dernière épouse du précédent et, sans doute, fille naturelle de Lalande –, Pierre Méchain, Johann Karl Burckhardt, etc.
9Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, plusieurs pôles d’astronomie existent en France : à l’observatoire des jésuites de Lyon dirigé par le plus ancien maître de Lalande, le jésuite Laurent Béraud ; à Viviers en Ardèche avec Flaugergues ; à Marseille autour du jésuite Esprit Pezenas (à Marseille puis en Avignon) auquel succèdent Guillaume de Saint-Jacques Silvabelle en 1763 puis l’Académie des sciences de Marseille en 1781 ; à Montpellier autour de l’observatoire de la Babotte sous contrôle de la Société royale des sciences dirigée par Etienne de Ratte, et autour du naturaliste grand voyageur, Jean-François Séguier. Enfin, Lalande entretiendra des liens privilégiés avec l’important pôle toulousain constitué autour d’Antoine Darquier. Ce dernier saura aussi s’entourer d’assistants et d’élèves pour mener à bien ses propres travaux.
10Lalande joue ici un rôle important dans la mise en réseau de ces observateurs, entretenant leur activité par une curiosité toujours renouvelée, même si elle n’est pas totalement désintéressée. Lalande recommandera souvent aux plus actifs de ses observateurs correspondants de Province, d’engager « à peu de frais » des aides pour débrouiller les calculs de routine.
11Lalande crée donc ainsi un système personnel de formation d’astronomes et d’assistants dans toute la France auxquels il devient possible de déléguer les travaux routiniers. Peut-être donne-t-il ainsi naissance à un modèle de fonctionnement des observatoires astronomiques au XIXe siècle dans lesquels, loin de la fantaisie lalandienne, une division du travail sera mise en place, les calculs routiniers confiés à des bureaux de calculatrices travaillant pour le compte du directeur de l’observatoire.
12Une nouvelle exploration des archives depuis les travaux fondateurs de Guillaume Bigourdan, conduit à révéler Jérôme Lalande comme l’un des principaux créateurs du Bureau des longitudes français, ayant fortement contribué avec Lakanal et l’abbé Grégoire à en définir les statuts, les objectifs et les missions.
13Loin de l’institution plus rigide de l’époque post-laplacienne, le Bureau des longitudes du secrétaire Lalande se situe résolument au centre d’un réseau d’observateurs dans lesquels les astronomes de Province et étrangers ont leur place, un « club durable », émanation des réunions des sciences qui se sont tenues après la suppression des Académies royales en 1793. Sous la tutelle de Lalande, le Bureau est un lieu d’échange et de partage d’informations plutôt qu’un lieu d’expertise fermé. Aussi, à cette époque, aux noms et travaux des membres officiels du Bureau, est-il normal d’associer ses correspondants, le Baron François-Xavier de Zach, Flaugergues, Vidal, Duc-la-Chapelle, notamment. Autant d’astronomes dont les travaux recevront un écho favorable et seront publiés dans la Connaissance des temps. Si Lalande n’observe plus depuis 1780, peut-être en raison d’une myopie prononcée, ce « club » d’astronomie lui permet de conserver un regard sur les travaux menés à l’observatoire de l’École militaire par son neveu Michel Lefrançois de Lalande.
14Si le Bureau des longitudes ne répond pas vraiment aux besoins de l’astronomie nautique et de la navigation, malgré la forte présence du Chevalier de Borda (qui décède en 1799), le Bureau du « patriarche » ou du « doyen » de l’astronomie française est résolument orienté vers la consolidation d’une astronomie d’observation.
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