Chapitre 5. La fabrique des villages
p. 173-199
Texte intégral
1Les hommes du XIXe siècle, la chose est bien connue, furent hantés par le spectre de la dissolution du lien social. Tout aurait contribué, depuis la fin de l’Ancien Régime, à l’étiolement des solidarités intermédiaires : l’hypertrophie de l’État, l’individualisation des relations humaines, le rejet de la tradition, la contestation des autorités établies… La Révolution, en abolissant les corporations, en supprimant les coutumes en matière successorale, en créant une bureaucratie tentaculaire, aurait favorisé l’avènement d’une société atomisée, où plus rien ne serait venu s’interposer entre un État tout-puissant et des individus désormais isolés les uns des autres. D’où l’importance, dans la réflexion sur le devenir des sociétés européennes, du concept de « communauté1 ». Les juristes, les publicistes, les premiers sociologues, qui de ce point de vue ne faisaient qu’exprimer l’opinion − et les inquiétudes − de leurs contemporains2, étaient persuadés d’assister à l’érosion inexorable des systèmes de relations sociales fondés sur la soumission à la coutume, le respect des traditions, l’intégration des individus à des collectifs bien soudés, et caractérisés par la stabilité, l’harmonie, l’enracinement en un lieu3 … Mais le XIXe siècle ne prit pas seulement conscience du dépérissement des solidarités communautaires (familiales et villageoises en particulier). Il ne cessa en même temps d’en célébrer les vertus. Et tenta de créer les conditions de leur rétablissement. On chercha en particulier à redonner un peu de vigueur aux attaches territoriales. « De temps en temps, observait Durkheim en 1897, pour remédier au mal, on propose de restituer aux groupements locaux quelque chose de leur ancienne autonomie ; c’est ce qu’on appelle décentraliser4. » L’érudition participa à cette entreprise de refondation des solidarités locales. La constitution d’un savoir historique sur les communes et les paroisses rurales, les procédures d’inventaire de leurs richesses architecturales et de leurs traditions étaient autant d’opérations censées produire une nouvelle territorialité villageoise, fondée sur la connaissance, par les habitants, de l’histoire et du patrimoine – monumental ou immatériel – de leur village. Ce stock de connaissances, nous l’avons vu, fut mis à la disposition des habitants. Il s’agissait de leur faire éprouver le sentiment de leur appartenance à une communauté historique enracinée dans un terroir, de favoriser la perpétuation d’une conscience locale menacée de disparaître sous l’effet dissolvant de l’intégration nationale.
Persistance du localisme dans la France post-révolutionnaire
2Pourtant les auteurs qui, sous la monarchie censitaire notamment, s’inquiétaient du dépérissement de l’esprit municipal dans les campagnes françaises auraient très bien pu, au contraire, en dénoncer les excès. La première moitié du XIXe siècle fut en effet une période de violente exacerbation des identités communales. En témoignent notamment la fréquence des guerres intervillageoises (le terme n’a rien d’excessif5) et l’insistance avec laquelle les habitants des sections de commune ou des anciennes paroisses réunies d’autorité à une localité voisine revendiquaient leur érection en circonscription indépendante6. On rappellera également que jusqu’au tournant des années 1860, la contestation rurale fut de nature essentiellement communautaire : l’émulation inter-paroissiale était l’un des principaux moteurs de la révolte7.
3Par conséquent tous ceux qui, au cours du premier XIXe siècle, s’employèrent à restaurer des solidarités territoriales dont ils sous-estimaient la vigueur, n’avaient pas en face d’eux des communautés totalement dévitalisées. Loin de là. C’est pourquoi il n’est pas inutile, avant même d’évoquer la contribution particulière de l’érudition à la production du local, de s’interroger sur ce que pouvait recouvrir, dans la société rurale traditionnelle, le sentiment d’appartenance au groupe. De manière un peu arbitraire, nous distinguerons plusieurs dimensions du localisme en réalité totalement imbriquées8.
Une communauté de rites
4Au début de l’époque contemporaine, les solidarités communales étaient étroitement dépendantes de l’existence d’une culture paysanne – un « folklore » − qui n’avait guère d’existence en-dehors du cercle étroit de la collectivité villageoise. C’est la raison pour laquelle on peut qualifier de culture villageoise cet ensemble de pratiques sociales, de rites, de croyances, de normes et de valeurs9. Le folklore était ce qui soudait la communauté des habitants ; et inversement la vigueur des solidarités villageoises conditionnait la perpétuation de la culture paysanne. On sait l’importance des fêtes, rites, cérémonies cycliques, etc. dans l’organisation de la vie collective : cette sociabilité informelle offrait l’occasion au groupe de communier dans la liesse. L’une des principales caractéristiques du loisir, dans la société rurale traditionnelle, était son caractère unanimiste : chacun se trouvait impliqué, d’une manière ou d’une autre, dans les réjouissances et les divertissements inscrits dans la tradition10.
5Il faut aussi insister sur le rôle que jouait la collectivité villageoise dans la reproduction d’une norme coutumière. Le groupe d’interconnaissance était dépositaire d’un savoir relatif à la généalogie des familles établies dans la localité, à leurs réseaux d’alliances, à leur niveau de fortune, au comportement passé et présent de leurs membres, à leurs qualités et à leurs tares réelles ou supposées… Ce savoir collectif sur autrui était un savoir local11 : c’est la surveillance que le groupe exerçait, par l’intermédiaire de ses mandataires (femmes, jeunes, voisins), sur les faits et gestes de chacun qui permettait d’alimenter et d’actualiser ce stock de connaissances (l’archive judiciaire révèle par exemple que la commune délimitait un espace de circulation des ragots et des rumeurs). Et si ce contrôle diffus contribuait à renforcer la solidarité communautaire, c’est parce qu’il supposait l’existence d’un double consensus : sur le système d’appréciation qui sous-tendait ce jugement de valeur ; sur le verdict qui fondait la réputation de chacun. Mais, plus généralement, c’est au travers des multiples interactions sociales à l’intérieur de la communauté locale (les déviances et leur sanction, les conflits et leur régulation, les conversations quotidiennes au lavoir, sur le parvis de l’église, à l’auberge) que se perpétuaient le système de valeurs et l’éthique propres à la culture paysanne.
6Ajoutons que si la communauté villageoise se préoccupait tant des agissements de chacun de ses membres, en particulier lorsque ceux-ci contrevenaient à une norme implicite, c’est aussi parce que la propre réputation du groupe était en jeu. Lorsqu’on sanctionnait certains comportements perçus comme transgressifs (par exemple une grossesse hors mariage), c’est parce qu’ils risquaient de porter atteinte à la réputation de la commune. La sanction – mise en œuvre par le groupe – pouvait aller jusqu’à l’ostracisme12. Dans la mesure où les rapports sociaux n’étaient pas confinés dans les limites du terroir, la cohésion du groupe territorial reposait en partie sur le sentiment, partagé par chacun de ses membres, que la commune, à l’image de la famille, était détentrice d’un capital symbolique, qui fondait son identité, la différenciait de ses voisines. La coutume des guerres intervillageoises traduisait cette perception de la commune comme être collectif ayant une réputation à défendre face au monde environnant. La commune se révélait à elle-même et aux autres dans sa capacité à défier les localités limitrophes et à relever les affronts qu’elle essuyait13.
L’étranger aux frontières du terroir
7L’identité communale ou paroissiale se construisait dans un rapport d’hostilité réciproque entre localités voisines. La personnalité collective du groupe villageois s’affirmait négativement, dans la mise à distance symbolique de l’Autre proche. On était pourtant en présence d’une société mobile, où les rapports sociaux s’organisaient pour l’essentiel indépendamment de l’existence de frontières administratives totalement poreuses. En aucun cas le village ne constituait un microcosme clos14. Par conséquent cette représentation du monde comme juxtaposition de petites entités ayant chacune leur personnalité propre supposait tout un travail de construction symbolique de la différence. Le blason populaire contribuait à reproduire ce système de classification. Le discours sur autrui, fondé sur l’anecdote et sur la moquerie, soulignait, en les accentuant, les minuscules variations objectives de parler, d’habitude ou de comportement15…
8Les habitants des villages n’éprouvaient jamais avec autant de force le sentiment de leur spécificité que lorsque celle-ci était menacée. C’est pourquoi la politique de suppression des petites circonscriptions civiles ou religieuses engagée dès la fin de l’Ancien Régime a sans doute contribué à l’exacerbation des identités locales dans la première moitié du XIXe siècle. À tout le moins, le fait que le maillage des circonscriptions civiles ou religieuses – chamboulé durant la période révolutionnaire – n’épousait pas exactement la délimitation des groupes d’appartenance explique la multiplication des protestations rédigées soit par les habitants d’une section de paroisse ou de commune qui revendiquaient leur autonomie, soit par ceux d’une localité menacée d’être absorbée à une voisine par décision administrative. Le constat d’une différence de mœurs, d’habitudes, de caractère constituait l’un des arguments brandis par les pétitionnaires. Mais ces réclamations révèlent en outre que l’identité territoriale n’était jamais acquise d’emblée : la revendication d’autonomie administrative était souvent assumée par des membres de la petite bourgeoisie de village, des modestes leaders locaux, qui profitaient de l’occasion (ou la suscitaient) pour s’ériger en porte-parole du groupe. L’unanimisme que la collectivité territoriale affichait dans la revendication de son indépendance pouvait être le résultat d’un système de pressions qui s’exerçait sur les récalcitrants ou les indifférents16.
9Chaque commune, chaque paroisse se distinguait en tout cas par sa personnalité collective. Les membres du clergé, comme les employés des impôts, étaient très sensibles à ces petites nuances locales17. Et il ne s’agissait pas uniquement d’une vue de l’esprit : les statistiques révèlent par exemple que la fréquentation de l’église variait considérablement d’une paroisse à l’autre18. Dans une société où la micro-mobilité résidentielle, dont des travaux récents ont souligné l’intensité, impliquait un brassage permanent des populations, c’est sans doute parce que les résidants reproduisaient, collectivement, dans leurs comportements, l’image que le groupe s’efforçait de donner de lui-même, que ces tempéraments locaux pouvaient se perpétuer dans le temps. Les identités collectives étaient davantage le produit d’une mise en conformité avec des stéréotypes que le fruit d’une transmission intergénérationnelle.
Xénophobies de clocher
10Une sourde hostilité réciproque caractérisait les relations entre localités voisines. C’était l’un des arguments brandis par les habitants qui réclamaient auprès de l’administration la reconnaissance de leur autonomie. Dans leurs pétitions, il n’était question que d’« esprit de rivalité et de discorde », de « mésintelligence », d’« absence de sympathie », de sentiments de « répulsion mutuelle »… Cette animosité pouvait trouver à s’alimenter dans la concurrence autour de l’accès aux ressources : ressources naturelles (pensons aux conflits relatifs à l’exercice d’un droit d’usage, à la propriété d’une portion de communal, au ramassage du goëmon) ou ressources publiques (l’attribution d’une foire, la construction d’une gare, l’ouverture d’une école de hameau exacerbaient ces antagonismes territoriaux19). Cependant là n’est pas l’essentiel. Cette hostilité était fondamentalement l’expression du point d’honneur collectif. Plus exactement, l’existence de relations conflictuelles était la condition de l’identité collective. En effet, les contacts et les échanges entre habitants domiciliés dans des localités réputées ennemies étaient fréquents (l’animosité intercommunale n’affectait guère les relations individuelles au quotidien). Daniel Fabre observe à ce propos que l’inimitié entre villages voisins traduisait davantage la fréquence des relations que leur rareté. Le discours sur la différence visait à « conjurer le risque d’un effacement de soi, résultat, inconsciemment redouté, de l’intensité nécessaire des échanges20 ». C’est pourquoi on peut qualifier de fiction cette assimilation de l’Autre à un ennemi ou à un étranger.
11L’honneur du village s’affirmait en tout cas dans le dénigrement du voisin. Cette volonté réciproque de se rehausser en rabaissant l’Autre engendrait du conflit. On ne craignait rien tant que l’humiliation. La commune était perçue comme un être collectif détenteur d’une réputation à défendre. L’honneur fondait son identité. Des affrontements entre groupes de célibataires venaient périodiquement réactiver cette hostilité latente, décrite comme « immémoriale » et dont les anciens, qui avaient conservé le souvenir des rixes de leur jeunesse, perpétuaient le souvenir21.
Territoire et identité
12Enfin, les rapports que le groupe des résidants entretenait avec le territoire qu’il occupait était un élément essentiel de l’identité collective. Les villageois avaient une connaissance précise de l’organisation du terroir, c’est-à-dire des lieux remarquables, des repères, des lignes de partage, des grandes oppositions qui organisaient le finage, mais encore des servitudes de passage et des limites des « héritages22 ». Les quêtes et les processions étaient l’occasion d’une prise de possession symbolique du territoire par la collectivité villageoise23. L’exploration initiatique des marges communales24 par la jeunesse contribuait également à cette appropriation de l’espace. Mais le rapport au territoire était aussi affaire de représentations. La commune (ou la paroisse) était perçue comme un espace homogène25 bâti sur l’opposition d’un centre et d’une périphérie. Une opposition qu’en pays d’habitat dispersé ou semi-dispersé l’affirmation économique et symbolique du bourg ne cessa de renforcer26. Alain Corbin a notamment souligné l’importance, à cet égard, de la sonnerie des cloches : elle définissait un espace sonore polarisé, délimitait un en dedans et un en dehors (une inadéquation entre l’espace sonore et l’espace d’appartenance était vécue comme un traumatisme27).
Le dépérissement des solidarités traditionnelles
13Le constat de la disparition des fêtes et cérémonies coutumières fut au point de départ de la réflexion d’André Varagnac sur ce qu’il désignait comme la « civilisation traditionnelle28 ». Pour cet auteur, le dépérissement de ces usages pluriséculaires, dont la cohésion, écrivait-il, « assurait l’équilibre moral et social du groupe29 », revêtit le caractère d’une véritable « révolution psychologique ». Il est bien entendu assez difficile de situer le moment exact où s’est opéré ce basculement, de repérer à partir de quand les solidarités coutumières commencèrent à se disloquer, et par conséquent de dater précisément le déclin du type de conscience locale qui leur était associé. Varagnac insistait dans son ouvrage sur l’impact de la guerre de 1870-1871 (et, sur ce point, rejoignait les observations de Van Gennep) : bien des usages furent abandonnés au cours de l’année terrible. Mais compte-tenu de l’extrême diversité des contextes locaux, il faut de toute manière imaginer un processus éparpillé et très étalé dans le temps : certaines coutumes, depuis longtemps oubliées dans tel village ou tel canton, perdurèrent ailleurs durant plusieurs décennies encore. Il importe surtout de comprendre pourquoi – et comment – un ensemble de pratiques ancrées depuis des générations dans les habitudes collectives a pu brutalement disparaître. De très nombreux travaux ont décrit la montée d’un sentiment d’intolérance à l’égard d’un ordre coutumier jusqu’alors admis. L’apparition de nouvelles formes de vie associative − cercles ou chambrées par exemple − traduisait le rejet, par la bourgeoisie de village, du loisir populaire30. Si cette contestation n’était pas absolument nouvelle, au XIXe siècle elle n’était plus seulement le fait des petites élites locales, mais de toute la population. Les familles se repliaient sur l’intime.
14L’alphabétisation des populations rurales, qui impliquait la disparition de toute une culture orale essentiellement collective − puisque conditionnée par l’intensité des contacts et des échanges à l’intérieur du groupe −, fut l’un des principaux facteurs de décomposition des solidarités coutumières. L’instruction, écrit Martyn Lyons, accéléra la dissolution des rapports communautaires traditionnels31. Gabriel Tarde en avait eu l’intuition32 : la presse écrite fut le vecteur de l’intégration des paysans à un espace de communication élargi (même si, dans une phase intermédiaire, la lecture du journal a pu s’inscrire dans des cadres de sociabilité tels que la chambrée ou le cabaret33). Cependant, si la disparition de la civilisation orale traditionnelle s’est accompagnée de la dissolution de certains types de rapports sociaux au sein des collectivités rurales, l’écrit a pu être le vecteur de l’émergence d’une nouvelle conscience territoriale. Il est évident, en tout cas, que les érudits locaux entendaient bien faire de leur savoir, qu’ils s’efforcèrent de diffuser dans la population, l’instrument d’une reconfiguration des identités villageoises, et, d’abord, d’une consolidation des solidarités communautaires. S’ils y sont ou non parvenus est une question sur laquelle il faudra revenir. Bornons-nous pour l’heure au constat de cette ambition : les monographes voulurent fortifier le sentiment d’appartenance au groupe en dotant le village d’une mémoire et d’une personnalité historiques. Raconter l’histoire de la commune depuis ses origines lointaines, que certains n’hésitaient pas à faire remonter à l’époque des Celtes, c’était inscrire son existence dans la durée. Cela revenait à établir, entre l’actuelle communauté des habitants et ces lointains ancêtres dont l’historiographe s’efforçait de rappeler le souvenir, un rapport de filiation directe. La conscience que le groupe acquérait de son historicité, de son épaisseur temporelle, était censée compenser l’affaiblissement des solidarités intragénérationnelles. L’identité locale, en se dilatant sur un axe temporel, retrouvait un peu de consistance.
Redéfinir les identités villageoises
Un hommage aux ancêtres
15Rendre hommage à sa petite patrie. Lui témoigner de son affection. Lui donner des gages de fidélité. Voilà ce qui motivait nombre d’auteurs de monographies, ceux en particulier qui, à l’image de l’abbé Dubourg, écrivaient l’histoire de leur commune natale :
« Transporté loin de toi
J’ai gardé ton amour, je t’ai gardé ma foi !
De tes sites grâcieux, du riche paysage
Rien n’a pu de mon cœur en effacer l’image
Ô mon cher Damazan ! Où mon cœur est resté34 ».
16Dans la courte déclaration qui, bien souvent, précédait l’aride exposé des faits historiques, les monographes exprimaient librement ces sentiments de tendresse et de dévotion. Et disaient, en quelques phrases, pourquoi il faut aimer et vénérer son village. « Noble et gracieux pays, écrivait le curé-doyen de Chantelle [Allier] dans l’introduction de l’ouvrage qu’il publia en 1862, souffre que l’un de tes plus faibles enfants te rende en reconnaissance et en dévouement la vie intellectuelle qu’il a puisée dans ton sein. L’ombre de ton vieux donjon a couvert, pour ainsi dire, mon berceau, la religion, fille du ciel, m’a confié tes intérêts les plus chers, reçois, ô ma bien aimée et deux fois adoptive patrie, le fleuron historique dont je voudrais parer ton front35. »
17Il était à vrai dire assez rare que les auteurs osent filer la métaphore de la relation amoureuse. Ceux qui racontaient l’histoire de leur village natal privilégiaient le registre de la piété filiale. « Une affection toute filiale à mon pays natal a été le seul mobile qui m’a dirigé » affirmait Désiré Dumont, ancien secrétaire de mairie de la commune d’Abbecourt [Oise], qui se présentait comme « historien du village et enfant du pays36 ». C’est également inspiré par « un sentiment d’amour filial envers la localité qui [l’avait] vu naître », qu’en 1862 Louis Sifroy Bonifay composa son Essai historique et statistique sur la commune de Cuges-les-Pins [Bouches-du-Rhônes]37.
18Écrire l’histoire de son village natal, c’était s’immerger dans l’univers enchanté de l’enfance. Ce travail, écrivait l’abbé Génin dans sa préface à l’histoire de Maxey-sur-Vaise [Meuse], fut « une occasion de plus de nous rappeler le village de notre enfance, son présent et son passé lointain38 ». Pour le docteur de Smyttère, médecin en chef de l’Asile de Lille, et auteur de plusieurs articles sur Cassel [Nord], l’homme qui, voyant venir la mort, n’existe plus par l’espérance « mais par la mémoire du passé » aime à se plonger dans « l’étude sainte du sol natal » : « Tout se retrouve alors dans les rêveries mystérieuses, et si douces, où nous plonge le souvenir du lieu qui nous a vus naître et qui a été le berceau de nos jeunes années, comme il pourra être le lieu de notre repos39. » Même évocation attendrie des jeux de l’enfance sous la plume du curé de Montsalvy [Cantal] : « Il n’est personne qui n’affectionne sa patrie. Son nom ne se prononce jamais sans attendrissement ; son souvenir impressionne l’âme. Vivant dans son sein, on ne trouve rien qui puisse lui être comparé. Absent, éloigné d’elle, on souhaite la revoir ; et combien de fois on reporte son esprit vers l’endroit de son berceau ! L’homme a toujours une pensée, un soupir, une larme pour les lieux témoins des jeux de son enfance40. »
19Le docteur Ferdinand Villard, maire de Guéret et ancien sénateur, publia en 1907, tout à la fin de sa vie, une monographie de Saint-Christophe-en-Drouilles intitulée Mon village dans les temps passés. L’ouvrage débutait par une longue description du paysage s’offrant à la vue du promeneur depuis le site de Saint-Christophe41. Ici, écrivait l’auteur, on peut jouir, sans ressentir la contrainte du temps qui fuit, du spectacle de la nature. Se recueillir. Méditer. « On aime à vivre sur un pareil coin de terre, surtout lorsque ce coin de terre vous a vu naître, et que tout ce qui vous entoure, arbres, collines, vallées, ruisseaux, tout enfin vous reporte vers votre enfance, vous rappelle de chers et inoubliable souvenirs42. »
20Une sensibilité très prononcée au mouvement du temps caractérisait les historiens du local. Nombre d’entre eux, il faut le souligner, se mettaient à étudier le passé de leur village natal au soir de leur vie : « Je me mets, je le reconnais, bien tardivement à l’œuvre mais maintenant que j’ai des loisirs, dans mes heures de solitude, mes regards se reportent volontiers en arrière ; or l’homme est ainsi fait : de tous les lieux dont on s’efforce de reconstituer les annales, aucun n’est étudié avec autant de plaisir que celui où l’on a passé les années de son enfance. Pour moi, j’ai voué de tout temps à mon pays un véritable amour : je ne l’habite plus depuis de longues années, il est vrai, mais je garde précieusement le souvenir de la patrie absente. Pourquoi me refuserais-je cette joie de vivre encore de son souvenir, alors que ma destinée m’en tient éloigné43 ? »
21Mais ce sentiment de profonde nostalgie qui était à la source de l’attachement au pays natal n’était pas seulement un effet de l’avancée en âge ; il se nourrissait aussi d’une très vive hostilité à l’égard du Progrès. Assimiler la petite patrie à l’univers de l’enfance, c’était une manière de signifier qu’elle était un havre d’innocence et de pureté, par opposition à la Ville immorale et gangrenée par la corruption. Au sein de la grande Patrie, expliquait Alfred Anne-Duportal, dans la longue introduction qu’il rédigea, en 1898, pour son histoire d’Hédé [Ille-et-Vilaine], il est un petit coin de terre pour lequel chacun éprouve une sympathie particulière. C’est « le pays natal », où « l’on a connu les joies de l’enfance, les baisers maternels, les douceurs de la vie familiale44 ». Tout nous y rappelle notre jeunesse : le logis paternel, la rue mal pavée où nous avons fait nos premiers pas, les chemins ombrageux où nous nous promenions en compagnie de nos frères et de nos sœurs… Et nous sommes d’autant plus attachés à ce lieu où nous avons vu le jour que la marche incessante du « bien-être matériel » engloutit tout ce qui faisait le charme de notre enfance : les vieilles traditions, les mœurs antiques, la vie paisible dans la maison familiale, « sous l’autorité paternelle, au milieu de parents et d’amis ayant les mêmes goûts et les mêmes habitudes ». Et l’auteur de maudire le « chemin de fer [qui] disperse les familles ». L’histoire locale, ajoutait-il, peut sauver de l’oubli les bons et nobles exemples « dont on a si grand besoin dans les temps agités que nous traversons ». Anne-Duportal avait élu domicile à Saint-Brieuc, et cet « exil » au chef-lieu du département contribua sans doute à renforcer chez lui l’impression d’un arrachement : la distance à la patrie natale était à la fois physique et temporelle. Il percevait en tout cas l’étude du pays natal comme un impératif moral : il s’agissait de « rendre un devoir affectueux, payer un tribut filial au pays que nous avons dû quitter ».
22L’amour du sol natal et la vénération des ancêtres n’étaient que deux expressions d’un seul et même sentiment. Par conséquent, rappeler aux villageois le souvenir de leurs aïeux, c’était les attacher davantage encore à leur clocher. « Notre but, expliquait André Larive en conclusion de sa monographie de Moy-en-Vermandois [Aisne], a été de faire connaître et aimer davantage le sol qui nous a vu naître. Nous avons cherché à ce qu’en lisant ce récit on sente palpiter l’âme de ceux qui ne sont plus, afin que nous ayons tous une affection plus profonde pour cette terre, où des milliers de malheureux paysans, nos ancêtres, ont vécu, aimé, souffert et lutté, plus âprement que nous, hélas ! Avant de retomber dans l’oubli éternel. C’est l’amour de la petite Patrie que nous avons voulu réveiller45. » L’Inspecteur d’Académie Le Balle ne disait pas autre chose dans sa préface aux monographies communales des instituteurs de la Mayenne : « Nul doute que la description fidèle de l’organisation communale, que la connaissance approfondie de l’histoire locale […] ne fassent aimer davantage à nos enfants la vieille terre où sont nés, où ont vécu, où sont morts et reposent dans la paix du tombeau tant de générations d’ancêtres dont les travaux et les luttes ont fait pour nous la vie meilleure, plus libre et plus belle, et n’y attachent davantage nos enfants46. »
23Ajoutons que l’insistance avec laquelle les monographes assimilaient leur travail à un acte de piété filiale était aussi destinée, même si la chose n’était pas dite, à légitimer une entreprise qui aurait pu paraître dérisoire. La noblesse des sentiments qui inspiraient l’auteur venait compenser l’extrême modestie de l’objet.
24La petite patrie était cette solidarité intemporelle qui liait les villageois à leurs ancêtres. L’abbé Joseph Basset publia deux monographies dans les toutes dernières années du XIXe siècle : celle de la paroisse de Barriac [Cantal], dont il avait été curé pendant neuf ans47 ; et celle de Chaussenac, sa commune natale, limitrophe de la précédente, où il s’était retiré dans ses vieux jours48. L’auteur, qui écrivait pour ses compatriotes et se définissait comme « membre de la famille paroissiale », expliquait longuement, dans la préface de son ouvrage sur Chaussenac, ce qui l’avait incité à en écrire l’histoire : « C’est à Chaussenac que s’écoula mon enfance ; c’est là qu’ont vécu tous les miens, ceux qui ne sont plus et ceux que les événements et les besoins de l’existence ont conduits sous d’autres climats ; c’est là que dorment sous le vert gazon du champ du repos, en attendant le grand réveil, ceux qui nous ont précédé dans la tombe49. » S’interrogeant bien plus tard sur les raisons de la tendresse qu’il n’avait cessé d’éprouver pour le village de Saint-Pouange [Aube], ce « petit enclos » où il fut baptisé et où s’écoulèrent les premières années de son existence, Édouard Herriot évoquait lui aussi le souvenir de l’enfance et « les ombres des êtres aimés50 ».
25La rhétorique localiste qui imprégnait les écrits des historiens de village s’était progressivement constituée au cours du XIXe siècle. Les termes en étaient à peu près fixés dans les années 1870. Toutes les tentatives de définition ou de caractérisation de la petite patrie renvoyaient invariablement aux mêmes thèmes : la famille, la solidarité, le bonheur vrai, le durable, le stable, le concret, l’original, la terre. L’amour du clocher était supposé constituer le meilleur antidote aux maux du présent : l’égoïsme, l’individualisme, l’isolement, le règne de l’éphémère, du superficiel, de l’artificiel, de l’uniforme51… Les études locales étaient proposées comme un remède. En 1873, un membre de la Société française d’archéologie proposait de lancer un programme de statistiques communales : « Ne serait-ce pas […] répondre aux besoins généraux de notre état social que de fortifier les sentiments de famille et d’amour du foyer […] en montrant à tous […] leurs racines profondes dans le passé52 ? » Dans un monde en perpétuel mouvement, la petite patrie apparaissait comme un élément de stabilité, un point fixe sur lequel le Temps n’aurait pas prise. « [Elle] nous rattache […] par des liens invisibles à ce qui reste vivant à travers le temps : à une race, à une tradition, à une histoire […]. En elle, le passé revit en nous53. » « Et puis nos paroisses sont comme les monastères, écrivait le curé de Montreuil-en-Auge [Calvados]. Elles sont un tout qui embrasse le passé comme le présent, aide à mieux comprendre et à mieux aimer la “communauté” paroissiale54. »
La grande famille communale
26L’assimilation de la commune ou de la paroisse à une grande famille était un autre topique du discours des historiens de village sur la petite patrie. Mais c’était aussi, serait-on tenté de dire, le plus petit commun dénominateur de l’idéologie localiste : les conservateurs, s’ils avaient plus fréquemment recours à cette image que leurs adversaires, n’en avaient cependant pas le monopole. Le thème de la commune-grande famille était d’ailleurs omniprésent dans la littérature juridique comme dans les traités consacrés à la question − sans cesse débattue depuis la Révolution − de l’autonomie municipale. Bonald55, Joseph Parent-Réal56, Royer-Collard57, le républicain Vacherot58, et bien d’autres encore avaient défini le régime municipal comme une extension du gouvernement de la famille (pour reprendre une formule cent fois ressassée). Il s’agissait en fait d’affirmer le caractère « naturel » de l’association communale, de tirer argument de l’antériorité de la commune par rapport à l’État pour réclamer des mesures de décentralisation administrative. La commune est bien davantage qu’un simple rouage administratif, expliquait le leplaysien Paul Gleyrose dans un paragraphe de sa monographie de Petrucia-Peyrusse [Aveyron] : « Elle est née de la nature même des choses, correspondant dans l’ordre politique à la famille dans l’ordre social ; elle forme une partie de la nation au même titre que la famille forme une partie de la commune59. » Pour les conservateurs, les légitimistes en particulier, la famille, et non l’individu, était la cellule élémentaire de l’organisation sociale60. Et, de la même manière que la commune n’était rien d’autre qu’un agrégat de familles, la nation était un agrégat de communes. C’est notamment ce qu’affirmait Pierre de Longuemare, qui se réclamait lui aussi de Le Play, dans sa monographie de Vendes [Calvados] : « Nous ne comprenons vraiment un être vivant que si nous connaissons l’évolution des innombrables cellules qui le composent. À notre avis, la famille, et non pas l’individu, est la cellule constitutive de toute nation. Dans cette monographie nous essaierons d’étudier la commune de Vendes, un de ces 36 000 agrégats stables de familles qui forment la France61. »
27Cette conception familialiste du groupe villageois n’était sans doute pas totalement étrangère aux paysans eux-mêmes. On la trouvait par exemple formulée dans certaines pétitions rédigées par des habitants réclamant l’érection de leur section en commune (mais il est vrai que c’étaient des petits notables qui tenaient la plume62). « Dans la société paysanne typique, écrit Marylin Strathern, le sentiment vis-à-vis du village est comme une version “grand format” des sentiments normalement attachés au noyau familial63. » D’où les affirmations du type : « Ici, on est un peu tous parents (ou cousins) », fréquemment entendues par les ethnologues sur le terrain de leur enquête.
28Les paysans étaient par conséquent tout disposés à admettre cette définition familialiste du village que relayait la littérature monographique. Mais les curés ou les notables qui comparaient le village à un groupe domestique avaient une conception verticale de la cellule familiale. La définition de la localité qu’ils s’efforçaient de distiller par petites touches dans leurs travaux était destinée à légitimer l’autorité des détenteurs du pouvoir local, assimilés à des pères de famille. La métaphore familiale des structures politiques, explique Rémi Lenoir, contribue à fonder le pouvoir politique en l’inscrivant dans l’ordre « naturel » des choses domestiques64. Il s’agissait aussi de masquer la réalité crue des rapports de domination, en soulignant la dimension affective des relations à l’intérieur du groupe. Et de justifier l’autorité du chef du village, qu’on était tenu de respecter, à l’égale de celle d’un père.
29C’est pourquoi on retrouvait notamment cette image sous la plume des ecclésiastiques65. Au moyen d’énoncés performatifs distillés à longueur de page, les monographes s’efforcèrent de (re)créer dans leur paroisse un esprit de famille. Les bulletins paroissiaux, que l’abbé Gabard définissait comme les « Livres de Raison de la grande famille paroissiale66 », étaient censés produire les mêmes effets. « La paroisse est une grande famille » affirmait ce prêtre dans sa préface à l’Almanach de Saint-Aubin-de-Baubigné [Deux-Sèvres] qu’il avait vendu à 800 exemplaires. Cette publication était d’ailleurs destinée à entretenir, au sein de la paroisse, un véritable esprit de famille : on y trouvait relatés tous les événements qui s’étaient déroulés dans le courant de l’année ; ainsi les habitants étaient-ils censés pouvoir connaître l’histoire de chaque famille67. Un curé breton écrivait que le bulletin « entretient ou prépare l’union étroite qui existe entre le prêtre et ses fidèles : il développe l’esprit paroissial et par là même l’esprit de famille68 ». La métaphore désignait en fait un idéal à atteindre : celui d’une communauté fondée sur l’existence de sentiments de mutuelle affection et sur l’acceptation par les membres du groupe de la tutelle bienveillante du pasteur. L’image de la grande famille paroissiale soudée derrière son chef n’était d’ailleurs qu’une variante du thème, qu’affectionnaient les curés, du berger conduisant son troupeau docile. Inutile de souligner combien ce type de discours pouvait contribuer à gommer tout l’arbitraire du pouvoir clérical.
30Dans la même veine, les historiens les plus conservateurs consacraient de longs paragraphes à rappeler le souvenir des notables qui avaient dirigé la commune. L’évocation émue des libéralités d’un maire ou d’un châtelain, dont il était dit que la générosité fut récompensée par la reconnaissance et l’affection des habitants, avait pour seule fonction de démontrer la nécessité de soumettre les communes à un principe de domination paternaliste. Louis Dervaux réserva par exemple tout un chapitre de son histoire de Bondues [Nord] à Albert du Bosquiel de Bondues qui, nommé maire en 1824, exerçait toujours cette fonction trente ans plus tard, l’année où fut publié le livre. Unanimement apprécié des habitants, ce grand notable s’illustra non seulement par sa sollicitude à l’égard des pauvres, mais encore par sa contribution personnelle à la réparation de l’église, à l’édification d’une mairie et à la fondation d’un hospice. Il exerçait sur la commune une tutelle bienveillante. Sa seule ambition, affirmait-il en 1835, était de vivre aimé et considéré au milieu de ses concitoyens, et que sa mémoire restât gravée dans leur cœur. L’ouvrage de Louis Dervaux, qui lui était dédicacé, contribua sans aucun doute à perpétuer le souvenir de ses bienfaits. Albert du Bosquiel avait bien mérité de voir figurer son nom en dernière position de la liste chronologique des « seigneurs » de Bondues placée à la fin du livre69.
31Dans les monographies d’inspiration conservatrice, l’apologie de l’autorité notabiliaire était fréquemment associée à la célébration de la religion catholique d’une part, du patriotisme local d’autre part. Ces trois thèmes constituaient l’ossature d’un discours adressé aux paysans dont on aurait aimé qu’ils perpétuent, à l’ombre de leur clocher, les traditions de leurs parents. Dans la longue conclusion de son ouvrage, Louis Dervaux s’efforçait de démontrer, à partir de l’exemple de la commune de Bondues, que le christianisme était l’unique principe de civilisation et de progrès, et exhortait les habitants à transmettre à leurs enfants cette fermeté dans la foi qui avait caractérisé leurs ancêtres. Un compte rendu des monographies paroissiales du diocèse de Nîmes qu’édita en 1898 le vicaire général Goiffon, associait également l’amour du sol natal au respect de la famille et à la constance dans la foi religieuse70. Mentionnons encore l’histoire de Juvigny [Marne] qu’écrivit le curé de la paroisse. Dans les derniers paragraphes du livre, il en révélait le sens : « J’ai voulu, écrivait-il […] ranimer dans les cœurs l’amour du clocher, dire ce que les siècles passés et le nôtre même ont fait pour la maison de Dieu, offrir à la reconnaissance de tous les noms d’augustes bienfaiteurs, en un mot faire aimer la religion sainte qui a été la sauvegarde et la consolation de nos aïeux71. »
Un havre de paix
32Le curé de Juvigny se réjouissait également du « bon esprit » qui régnait dans cette paroisse. L’évêque s’en était lui-même félicité, en avril 1850, à l’occasion d’une visite dans la paroisse : « Le bon ordre et l’union, l’amour de la paix n’y seront jamais troublés » assurait-il ; c’est pourquoi la religion y sera toujours honorée et respectée72. Ce type d’assertion, assez fréquent, était destiné à disqualifier et à désamorcer le conflit, dont on savait par expérience qu’il pouvait nourrir la contestation. « Nous appelons malheur pour une localité, écrivait le desservant de Sucé [Loire-Inférieure], une scission qui divise les habitants, entretient les haines, suscite les querelles et partage les forces73. » Et le même auteur, évoquant le différend qui avait agité la commune de Gorges [Loire-Inférieure] au sujet de la construction d’une école de filles, observait que : « La paroisse, particulièrement celle de la campagne, où chacun voisine et se connaît, où tous les intérêts sont communs, peut être regardée comme une grande famille. Aussi le père qui la gouverne est-il heureux quand il voit la paix et la concorde régner parmi ses enfants ; mais quelle peine pour son cœur, si la désunion se déclare parmi ceux qu’il aime et auxquels il veut tout le bien désirable. Si vous voulez prospérer et goûter quelques joies, habitants de Gorges, que ce temps ne revienne plus pour vous et restez un seul troupeau sous la houlette d’un seul pasteur : unus pastor et unum ovile74. »
33Pour le clergé concordataire, l’unanimisme local était la condition du succès pastoral75. D’où une très grande intolérance à l’égard des esprits forts, des femmes de mauvaise vie, des cabaretiers impénitents, c’est-à-dire des dissidents, dont le comportement mettait en péril l’œuvre de sanctification collective. De manière plus générale, dans la pensée conservatrice, l’harmonie sociale était l’essence même de la communauté76. Sous la plume des monographes, la commune apparaissait comme un espace de rapports sociaux pacifiés, un univers paisible, aimable, où dominait l’esprit de solidarité. « Nous y connaissons tout le monde, affirmait un avocat dans une courte étude sur sa bourgade natale, les visages jeunes ou anciens vous sourient ; on parle à tous, on sait la généalogie et l’histoire de chacun. Les rues, les maisons, les champs, les chemins, les ruisseaux sont de perpétuels amis77. » En 1942, Henri Brisbois publia une volumineuse monographie de Coulours [Yonne] dans laquelle il louait la bonne humeur et l’esprit de fraternité des habitants : « Les [Coulouriers] sont généralement gais, sympathiques et hospitaliers. Fuyant les querelles et les procès, toujours prêts à s’entr’aider mutuellement, ils ont su conserver cette heureuse sociabilité […] qui fait que leur commune ressemble à une grande famille où la bonne entente ne cesse de régner78. »
34Il s’agissait moins de rendre compte d’une réalité qu’on savait bien différente, que de désigner aux paysans un modèle de vivre-ensemble dont on souhaitait qu’ils s’inspirent. Comme souvent, c’est dans les brochures ou articles programmatifs destinés aux auteurs, et non dans les monographies elles-mêmes, que cette dimension de l’histoire locale était clairement énoncée. Qui ne voit pas, écrivait Arnold Mascarel dans un opuscule publié en 1900, le parti à tirer d’études de cette sorte ? Elles doivent permettre de montrer que, dans l’immense majorité des communes, la grande propriété, non seulement peut très bien coexister avec la petite, mais encore est le meilleur auxiliaire de celle-ci. La monographie de village, en démontrant la possibilité et la nécessité de relations pacifiques entre riches et pauvres, constituait aux yeux de l’auteur un excellent rempart contre la diffusion, dans les campagnes, des doctrines socialistes79.
Paroisse ou commune ?
35Au XIXe siècle, chaque grande famille politique proposait sa définition de la commune. Légitimistes et cléricaux insistaient sur la dimension morale et religieuse des solidarités villageoises. Pour les bonapartistes, la commune était d’abord une entité administrative dépolitisée. Après 1870, les républicains voulurent en faire une école de la démocratie80. Il faut rappeler ici que ces controverses – celles notamment qui portaient sur l’extension du religieux dans la définition de la territorialité − loin de n’impliquer que les seules grandes figures de la vie politique nationale, ou que les seuls auteurs de traités consacrés à la décentralisation administrative, se traduisirent, localement, par d’innombrables conflits à l’intérieur même des municipalités rurales. La production monographique fut l’une des modalités de cet affrontement. La mise en récit de l’histoire du village était censée modeler la mémoire du groupe, en fixer l’identité. Sans nécessairement afficher leurs intentions dans le corps même du texte, les curés historiens de village s’efforcèrent de recentrer l’identité locale sur le religieux. Et les érudits laïques cherchèrent, dans une certaine mesure, à leur donner la réplique.
L’articulation du religieux et du profane dans le village traditionnel
36L’opposition entre ces deux conceptions, laïque et cléricale, du fait communautaire était d’autant plus féroce que le conflit se déroulait dans un contexte de dissociation progressive des entités paroissiales et municipales. On observera cependant que, dans l’esprit des paysans du premier XIXe siècle, la démarcation de la paroisse et de la commune n’avait pas toute la netteté ni toute l’évidence qu’elle allait revêtir par la suite81. Les différentes dimensions du localisme (le sentiment d’une identité paroissiale, d’une identité communale, la xénophobie de terroir…) loin de s’exclure ou d’entrer en conflit, se renforçaient mutuellement. Philippe Boutry souligne par exemple le fait qu’au XIXe siècle la revendication d’autonomie paroissiale était davantage fondée sur la détestation du voisin que sur l’élan spirituel82. D’autre part, l’étude des demandes de création de commune révèle que la perception d’une opposition entre la commune et la paroisse n’était pas toujours très claire. Prenons l’exemple du diocèse de Cahors, où le réseau des circonscriptions civiles et celui des circonscriptions religieuses ne coïncidaient pas83. Les limites des paroisses et des communes étaient ici totalement enchevêtrées : les habitants disaient qu’ils étaient « vifs » de telle localité (celle à laquelle ils étaient rattachés pour le civil), « morts » de telle autre (celle dont ils dépendaient pour le religieux84). Or cette situation était très mal vécue. D’abord parce que les paysans domiciliés dans des hameaux écartelés entre deux entités étaient mis à contribution pour des dépenses (telles que la construction d’une nouvelle église ou la célébration d’une seconde messe) dont ils ne profitaient pas. Mais il importe surtout de souligner que cette absence de coïncidence était perçue comme une anomalie. Paroisse et commune devaient former une seule et même entité. Leurs territoires respectifs devaient coïncider. L’administration civile et l’administration religieuse devaient être en harmonie. C’est pourquoi les hameaux enclavés ne cessaient de réclamer leur rattachement à la commune ou à la paroisse-mère.
37D’autre part, l’existence d’une paroisse encastrée dans une commune était souvent le point d’ancrage d’une revendication d’autonomie communale. Le préfet de la Loire-Atlantique en fit également le constat dans son département. Dans une lettre adressée en 1844 à son collègue du Lot, il observait que l’établissement de nouvelles succursales (consécutif à l’augmentation du budget des Cultes) avait provoqué l’émergence d’identités communales : « Dans la Loire-inférieure où chaque commune possède déjà une église paroissiale, les succursales nouvelles ont dû être formées par l’agglomération de plusieurs hameaux détachés des anciennes paroisses, et ces modifications ont fait naître, sur plusieurs points, des divisions profondes entre les populations des communes ainsi partagées sous le rapport religieux. Presque tous les habitants des sections érigées en succursales se considérant comme étrangers à l’ancienne famille ont voulu faire consacrer cette séparation quant au temporel en demandant à former des communes séparées85. »
38On pouvait observer un phénomène similaire à l’autre extrémité du pays, dans la vallée du Rhône. L’essor du commerce y avait favorisé l’apparition de nouveaux noyaux d’habitat. Ces villages cherchèrent bientôt à s’émanciper de la commune-mère, dont le chef-lieu était situé sur les hauteurs. Mais la construction d’un nouveau lieu de culte, d’un vicariat, puis d’une paroisse, n’était jamais que la première étape de ce processus de scission au civil86.
L’irrésistible ascension du municipal
39Cependant, avec la création des communes en décembre 1789, s’engagea le lent travail de sape des vieilles structures diffuses et indifférenciées de la communauté villageoise87. Après 1830, l’institution municipale acquit progressivement – et péniblement – son autonomie. L’ascension d’une « conscience municipale88 » fut le principe dynamique de la sécularisation des identités de village. Les municipalités rurales s’efforcèrent de définir un espace laïque, balisé par la « maison commune », l’école, le lavoir, la place publique et le nouveau cimetière89. Dans un paysage transfiguré90, la mairie s’imposa progressivement comme le cœur symbolique de la commune91 (Van Gennep observait que dans certaines localités la maison-commune devint le point de départ des cortèges ou des tournées traditionnelles92). Après 1880, la célébration du 14 Juillet fut l’occasion pour les jeunes municipalités républicaines d’affirmer leur emprise sur un territoire communal jusqu’alors parsemé de marqueurs religieux93 : processions, pavoisements, illuminations, retraites au flambeau contribuèrent à cette conquête symbolique de l’espace villageois. Si la sonnerie des cloches fut, ainsi que l’ont montré les travaux d’Alain Corbin et d’Olivier Ihl94, le point de cristallisation du conflit opposant les républicains à leurs adversaires cléricaux, c’est parce que les premiers entendaient imposer un usage civil des cloches, voulaient capter la puissance émotionnelle de la sonnerie, et annexer au rituel laïque le principal symbole de l’identité communautaire.
40Cependant, et c’est là un point qu’on a parfois tendance à oublier, le XIXe siècle fut aussi marqué par une vaste offensive d’un bas clergé pléthorique et conquérant pour redonner consistance et vitalité à la communauté paroissiale. Avant que de devenir, sous la Troisième République, le « cadre collectif de dévotions individuelles » (Philippe Boutry95), la paroisse rurale connut, disons dans les deux premiers tiers du siècle, un court apogée. La densité cléricale atteignait alors son maximum. C’était l’époque des curés bâtisseurs, qui, tirant parti de la vigueur de l’esprit de clocher, s’efforçaient d’impliquer la communauté des paroissiens dans de coûteux projets de rénovation ou de reconstruction des églises rurales. Et de consolider leur emprise locale en flattant l’orgueil des villageois96.
L’église et le village
41Le refus du clergé de laisser les laïques s’approprier la mémoire des lieux explique en partie l’essor d’une historiographie cléricale des villages. Cette inquiétude, déjà perceptible sous la monarchie constitutionnelle, à une époque où les érudits ne manifestaient aucune hostilité particulière à l’encontre de la religion catholique − bien au contraire −, devint plus vive dès l’instant qu’une partie des historiens du local proclamèrent haut et fort leur anticléricalisme. De là l’insistance des hommes d’Église à affirmer la suprématie du clergé en matière d’érudition locale : « Et qui donc a plus de titres pour entreprendre la monographie d’un village, s’interrogeait l’abbé Martin ? N’est-ce pas le curé ? Il connaît le latin, cette langue des vieux diplômes, le droit canon, l’histoire ecclésiastique et profane ; il a des loisirs, des relations, des livres, une sérieuse formation97 » Jean-Marie Guilloux, vicaire et historiographe de Brandivy [Morbihan], observait qu’en se consacrant à l’histoire des villages, le prêtre « ne court pas le risque de déserter le domaine qui lui est propre […] tant la vie de l’Église était débordante avant 89 ! Tant le sentiment religieux dominait ou absorbait toute vie publique ou privée, populaire ou féodale98 ». Et notre auteur d’ajouter : « Les études locales sont à l’ordre du jour. Ne laissons pas aux laïques toute la gloire de ces travaux, d’autant plus que ces travaux, s’ils ne se font pas sans nous, se feront quelquefois contre nous99. »
42L’architecture des notices ou monographies paroissiales de curés révèle d’emblée quelles étaient les intentions des auteurs : faire de l’église l’épine dorsale de la communauté villageoise100. De quoi était-il question, par exemple, dans la monographie de Plonévez-Porzay [Finistère] que publia l’abbé Pouchous, recteur de cette succursale101 ? Du saint patron de la paroisse, des usages et cérémonies religieuses, des confréries, des missions, retraites et pèlerinages, du culte d’un saint guérisseur, des établissements religieux… Le seul épisode de l’histoire du village sur lequel l’auteur s’étendait un peu longuement était la venue de Mgr Graveran, évêque de Quimper, le 28 mai 1841. Et si l’abbé Pouchous consacra tout un paragraphe de sa courte monographie à cet événement à ses yeux mémorable, c’est peut-être parce qu’il fut l’occasion pour la communauté d’exhiber une image d’elle-même que l’auteur aurait aimé graver dans la mémoire collective (« Le souvenir de cette réception ne se perdra jamais chez nous » assurait-il). C’est une population respectueuse des hiérarchies et de l’autorité religieuse qui accueillit le chef du diocèse : « La veille de la confirmation, le recteur de Plounévez-Porzay [sic], accompagné des trente principaux paysans riches de la paroisse, tous en habits de dimanche et en manteaux, alla à cheval à la rencontre du prélat, jusqu’aux confins de la paroisse ; ils marchaient tous sur deux rangs, le recteur était au milieu d’eux, et dans un si bel ordre, qu’on les eût pris pour une compagnie dressée de chevaliers. Monseigneur, en voiture, venait derrière eux. M. le baron Halna du Fretay, chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, ancien chef d’escadron des dragons d’Orléans, maire de Plounévez-Porzay, accompagné de tout le conseil municipal, harangua monseigneur à son entrée au bourg, peu d’instant après le conseil de fabrique lui rendit aussi ses devoirs102. »
43Si beaucoup de monographies de curés étaient bâties sur le même modèle que celle que publia le recteur de Plonévez-Porzay103, il était malgré tout assez rare que les ecclésiastiques abordent l’histoire locale uniquement sous l’angle du religieux. L’érudit de village était souvent tenté de compenser l’étroitesse de son objet par une extension des thèmes développés. Les curés, à l’origine surtout préoccupés d’histoire et d’archéologie, en vinrent progressivement à imiter les instituteurs qui, loin de s’en tenir à ces seuls domaines, s’intéressaient au folklore, à la démographie, à l’économie locale… et à l’histoire religieuse. Et certains prêtres avaient pleinement conscience de ce qu’en s’en tenant à la seule dimension religieuse de l’histoire, ils circonscrivaient leur objet. L’abbé Peyron précisait bien que dans sa notice sur Plogonnec [Finistère] il ne serait question que de la paroisse, au sens restreint du terme, suggérant ainsi que des pans entiers de la vie sociale échappaient à l’emprise de l’Église104. La Chronique de la paroisse de Marigné-Peuton [Mayenne] de l’abbé Foucault, chanoine honoraire de Laval, était également une étude de l’institution paroissiale, même si l’auteur, lorsqu’il évoquait quelques épisodes de l’histoire locale, s’écartait de son sujet105. L’abbé Louis Fillet publia dans le Bulletin d’histoire ecclésiastique et d’archéologie religieuse des diocèses de Valence, Digne, Gap, Grenoble et Viviers une série de notices d’histoire religieuse des paroisses du Dauphiné106. Il est symptomatique que certains monographes, en distinguant l’histoire de la commune de l’histoire de la paroisse, validaient la dissociation des dimensions civiles et religieuses de la communauté villageoise à laquelle ils s’opposaient par ailleurs107.
44Toutefois, les ecclésiastiques s’attachaient essentiellement, dans leurs travaux, à la vie religieuse et à l’histoire de l’institution paroissiale. Il n’était guère de monographie qui ne comportât une liste des titulaires successifs de la succursale (accompagnée parfois de celle de leurs vicaires), et une longue description de l’église. Mais c’était aussi la teneur du discours qui contribuait à ce recentrage sur le religieux. Les curés – ou leurs alliés conservateurs − faisaient l’apologie de la civilisation médiévale, s’efforçaient de réhabiliter la monarchie chrétienne, dénonçaient les ravages de l’esprit laïque… Et rappelaient la dimension religieuse des appartenances territoriales et des identités de village : « L’amour du clocher a, semble-t-il, sa source dans l’esprit de famille cimenté par le lien religieux. C’est parce qu’on s’est marié à l’église, qu’on a fait baptiser ses enfants à l’église, qu’on a conduit à l’église le deuil de ses parents, avant d’accompagner leur dépouille mortelle au champ de l’éternel repos, c’est pour cela que la vue du clocher éveille en nous tant de souvenirs, les uns tristes, les autres heureux108. »
45L’administration des sacrements venait sanctionner l’inscription des fidèles dans la communauté paroissiale : « C’est là que nous avons reçu le baptême, fait la première communion, c’est à l’ombre de la croix de notre cimetière que reposent nos ancêtres et que nous irons dormir nous-mêmes notre dernier sommeil109. »
46Quelques lignes de description suffisaient parfois à rappeler que « l’Église c’est le centre, le cœur de la commune. [Que] là où est l’Église, là est le village110 ». « Ses maisons, écrivait Alfred de Caix dans une courte présentation du bourg d’Écouché [Orne], sont serrées autour de l’église monumentale qui les domine et semble les protéger. Comme des sentinelles avancées, on aperçoit, au premier plan, l’hospice et sa chapelle, et, plus loin, une autre chapelle s’élevant au milieu des sépultures. Ce sont autant de témoins de la foi des générations passées111. » L’historiographie cléricale se plaisait à définir la paroisse comme un recoin de la France « fécondé par la grâce de Jésus-Christ », « illustré par l’action de l’Église112 ». Par conséquent, écrire l’histoire d’un village, c’était non seulement « ranimer dans les cœurs l’amour du clocher », mais encore « faire aimer la religion sainte113 ».
47Les curés de village relataient avec force détail l’action bienfaisante de leurs prédécesseurs. Leurs monographies avaient parfois des allures de galeries de portraits des « bons prêtres », pasteurs dévoués corps et âme au relèvement spirituel et matériel de leur paroisse, multipliant les œuvres, établissant de nouvelles confréries, développant l’instruction religieuse, provoquant l’éclosion de vocations parmi les jeunes paysans, aimant les paroissiens qui les aimaient en retour114… « La popularité qu’il s’est acquise fait de lui l’âme et comme le roi de la paroisse » écrivait le curé de Canteleu [Seine-Inférieure] à propos de l’abbé Deneuve, qui officia à Limésy [Seine-Inférieure] de 1838 à 1849115. Dans les ouvrages – ils n’étaient pas si nombreux – qui abordaient l’histoire de la période contemporaine, les auteurs évoquaient longuement la rénovation des édifices du culte. Le même curé de Canteleu consacra à cette question les dix dernières pages de son travail sur Limésy116. C’est le maire, une « âme profondément religieuse », qui fut à l’origine du projet de construction d’une nouvelle église, et s’efforça, dans un climat peu propice à ce genre d’initiative, d’y faire participer l’ensemble des paroissiens. Toutes les familles, même les plus pauvres, apportèrent leur obole, le seul comte de Bagneux s’étant engagé à fournir la moitié de la somme nécessaire. De sorte que ce vaste édifice (496 mètres carrés, pour une population d’à peine plus de onze cents âmes) fut « vraiment l’œuvre des habitants, bâtie presque uniquement avec leurs contributions volontaires, et on peut dire de l’unanimité des familles, puisque près de 300 d’entre elles ont apporté leur tribut117 ». Toute la population était sur pied, le 29 septembre 1891, pour assister à la consécration de l’église. Ce fut « une journée mémorable dans l’existence de la commune ». La population fut conviée à une procession, véritable réalisation éphémère de la communauté idéale, dont le souvenir, espérait l’auteur, fera l’orgueil des générations futures : « Les Évêques, entourés d’un nombreux clergé et de beaucoup de prêtres (parmi lesquels sept survivants encore de ceux qui avaient célébré leur première messe dans la vieille église), précédés par la fanfare et la compagnie des pompiers de Limésy, suivis par le maire, le Conseil municipal et les paroissiens, furent conduits processionnellement118. »
48Augustin de Comet auteur, à la fin du Second Empire, d’une monographie de Saint-Loubès [Gironde], suggérait, au détour d’un paragraphe, une définition très cléricale de la collectivité villageoise119. De Comet était un laïc, mais de ces laïcs catholiques, conservateurs et royalistes dont la conception du fait communautaire n’était guère éloignée de celle du clergé. Ce notable s’illustra en particulier dans la sauvegarde de l’antique église de Saint-Loubès, menacée de destruction au début des années 1850. Dans son épaisse monographie de Saint-Loubès (elle ne comptait pas moins de 666 pages), qu’il destinait pourtant aux habitants de la paroisse120, l’auteur se disait préoccupé par la dépopulation, par l’oubli des traditions et par « l’extinction du sentiment municipal, déplorable conséquence de l’égoïsme, qui, se généralisant dans le pays, en affaisse l’esprit public121 ». À plusieurs reprises, il s’efforçait d’expliquer à ses lecteurs ce qu’était, ou ce que devrait être, une commune : née d’une communauté d’intérêt entre ménages établis en un même lieu, elle s’apparente à une « grande famille politique » ; les sentiments « instinctifs » que nous éprouvons pour la localité qui nous a vus naître ne sont que le prolongement, l’extension, de ceux que nous avons trouvés au foyer domestique. Mais surtout, dans un passage consacré à l’évocation du sanctuaire paroissial qu’il avait contribué à sauver, de Comet faisait de l’antique clocher le véritable dépositaire de la mémoire du village. L’histoire de la localité est comme gravée sur le fronton de l’église, écrivait-il : « Si le nom de notre commune traverse silencieusement l’histoire, son vieux temple est là debout comme témoin de sa vieille origine. Notre église est tout notre passé, c’est l’histoire de nos pères. » Et d’ajouter : « Là doit être pour nous le culte de la tradition. »
49À l’opposé, bien sûr, les instituteurs, sans toutefois ignorer la dimension proprement religieuse de la vie locale122, accordaient davantage de place à l’histoire de l’instruction publique, à la description de la mairie et de l’école. Ils prenaient soin d’établir la liste de leurs prédécesseurs. Cependant on ne peut pas dire que la volonté de minorer la part du religieux dans la définition des identités villageoises était très présente dans le corps de leurs monographies. Ce qui préoccupait par-dessus tout l’instituteur, et de manière générale l’historien de village, c’était, à l’heure de la nationalisation des consciences, l’éventualité d’un affaiblissement des attaches territoriales. D’où l’idée d’utiliser la monographie de commune comme un outil susceptible, tout à la fois, de faciliter l’intégration des paysans à la nation (c’était l’histoire et la géographie de la France qu’on leur enseignait) et de développer chez eux l’amour du sol natal. Ce qui nécessitait que fût proposée une nouvelle définition de la commune : elle fut donc assimilée à une « petite patrie ».
Notes de bas de page
1 Nisbet R. A., La tradition sociologique, Paris, Presses universitaires de France, 1984 [1966] (voir en particulier le chapitre 3, p. 69-138). C’est parce qu’ils s’inquiétaient des effets perturbateurs des réformes engagées sous la Révolution que les préfets statisticiens du Premier Empire furent attentifs à la persistance, dans les campagnes, d’un ordre social coutumier. Ils purent constater que la cohésion et la reproduction des groupes familiaux ou villageois reposaient sur l’existence de normes, de valeurs, d’usages, de rites ancrés dans la tradition (Bourguet M.-N., Déchiffrer la France, op. cit., p. 274 sq.)
2 Il faut citer Durkheim : « Tandis que l’État s’enfle et s’hypertrophie pour arriver à enserrer assez fortement les individus, mais sans y parvenir, ceux-ci, sans liens entre eux, roulent les uns sur les autres comme autant de molécules liquides, sans rencontrer aucun centre de forces qui les retienne et les organise. » Durkheim E., Le suicide. Étude de sociologie, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Quadrige », 1990, p. 448.
3 Bell C., Newby H., Community Studies, London, George Allen and Unwin, 1971, p. 24.
4 Durkheim E., Le suicide, op. cit., p. 448. Ozouf-Marignier M.-V., « Centralisation et lien social », art. cit. Durkheim jugeait ces tentatives illusoires : « Il n’y a plus de patries locales et il ne peut plus y en avoir. La vie générale du pays, définitivement unifiée, est réfractaire à toute dispersion de ce genre » (Le suicide, op. cit., p. 449).
5 Ploux F., Guerres paysannes en Quercy, op. cit., p. 127-191.
6 Boutry P., « Le clocher », art. cit. ; Follain A., « Le contentieux des réunions de communes en France au début du XIXe siècle », art. cit. ; Estève C., « Recherches sur la revendication paroissiale dans le Cantal de la première moitié du XIXe siècle », Revue de la haute Auvergne, 1997/1, p. 47-104.
7 On se contentera de mentionner, dans une bibliographie immense, la courte synthèse d’Yves-Marie Bercé. L’auteur y développe l’hypothèse d’un cycle « communautaire » des révoltes paysannes, qui se serait achevé avec les résistances au coup d’État du Deux décembre 1851 : Bercé Y.-M., Croquants et nus-pieds. Les soulèvements populaires en France du XVIe au XIXe siècle, Paris, Gallimard-Julliard, coll. « Archives », 1974.
8 Les paragraphes qui suivent reprennent un certain nombre de thèmes que nous avons développés dans : « Paroisse contre Commune. La redéfinition conflictuelle des identités villageoises au XIXe siècle », dans Sainclivier J. et Pitou F. (dir.), Les Affrontements. Usages, discours et rituels, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 227-238 et « Production et recomposition des identités villageoises en France de la monarchie de Juillet aux années 1930 », dans Mayaud J.-L., Raphael L. (dir.), Histoire de l’Europe rurale contemporaine. Du village à l’État, Paris, Armand Colin, 2006, p. 39-56.
9 L’expression est en particulier utilisée par Michael R. Marrus, pour qui « Folklore was village culture » : Marrus M. R., « Folklore as an Ethnographic Source : A “Mise au Point” », dans Beauroy J., Bertrand M., Gargan E. T. (dir.), The Wolf and the Lamb. Popular Culture in France from the Old Regime to the twentieth Century, Stanford French and Italian Studies, vol. III, 1977, p. 109-125. Il existait cependant une sociabilité coutumière infra-communale dont la veillée était la principale composante : Lyons M., « Oral Culture and Rural Community in 19th Century France : the veillée d’hiver », Australian Journal of French Studies, january-april 1986, vol. XXII, 1, p. 102-113 ; Shorter E., « The “Veillée” and the Great Transformation », dans Beauroy J., Bertrand M., Gargan E. T. (dir.), The Wolf and the Lamb, op. cit., p. 127-140. Sur l’importance de la communauté de hameau : Corbin A., Archaïsme et modernité en Limousin, op. cit., p. 287 sq. ; Vallin P., Paysans rouges du Limousin. Mentalités et comportements politiques à Compreignac et dans le Nord de la Haute-Vienne (1870-1914), Paris, L’Harmattan, 1985, p. 112 sq.
10 Sur les danses collectives et leur dépérissement : Guilcher J.-M., « Aspects et problèmes de la danse populaire traditionnelle », Ethnologie française, t. I, no 2, 1971, p. 7-48 ; Marrus M. R., « Modernization and Dancing in Rural France. From “La Bourrée” to “Le Fox-Trot” », dans Beauroy J., Bertrand M., Gargan E. T. (dir.), The Wolf and the Lamb, op. cit., p. 141-159 ; Farcy J.-C., La jeunesse rurale dans la France du XIXe siècle, Paris, Éditions Christian, 2004 et « Le temps libre au village (1830-1930) », dans Corbin A. (dir.), L’avènement des loisirs. 1850-1960, Paris, Aubier, 1995, p. 230-274.
11 Sur cette notion, à propos de l’usage des surnoms : Mewett P., « La conscience locale à Clachan (Île de Lewis, Hébrides) », dans Cohen A. et al., Villages anglais, écossais, irlandais, op. cit., p. 27-55.
12 Tillier A., Des criminelles au village. Femmes infanticides en Bretagne (1825-1865), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2001 (en particulier p. 281). Sangoï, J.-C., Démographie paysanne en Bas-Quercy (1751-1872). Familles et groupes sociaux, Paris, CNRS, 1985, p. 151 sq. Sur l’ostracisme : Ploux F., Guerres paysannes en Quercy, op. cit., p. 301.
13 Dans le Quercy, les fêtes votives offraient l’occasion aux groupes de jeunes garçons de s’exposer volontairement, et de manière très ritualisée, aux outrages des habitants des localités voisines. Ploux F., Guerres paysannes en Quercy, op. cit., p. 127-191.
14 La démographie historique, en faisant d’un taux d’endogamie élevé l’indice d’une forte sédentarité, a accrédité l’idée selon laquelle l’appartenance des individus à une collectivité paroissiale (ou communale) aurait constitué l’un des critères de choix du conjoint. Or tous les travaux d’anthropologie historique qui se sont attachés à mettre au jour la logique des stratégies matrimoniales dans les campagnes françaises du XIXe siècle ont montré que ces stratégies ne prenaient jamais en compte l’appartenance territoriale des futurs époux, mais bien plutôt la distance spatiale entre le domicile de leurs parents. Un taux d’endogamie élevé ne traduisait en aucun cas une prédilection particulière pour le mariage intra-communal. Il révélait simplement la faible extension de l’aire de recrutement du conjoint (c’est pourquoi le taux de mariages endogames était fonction de la taille de la commune, ce qui ne n’aurait pas dû être le cas si les frontières communales avaient coïncidé avec celles d’un marché matrimonial étanche). Le proverbe basque Qui va trop loin se marier va pour tromper ou pour être trompé ne traduisait pas, comme le croyait Eugen Weber, une méfiance innée à l’égard des étrangers : c’était une mise en garde contre le risque du coup de bluff (Bourdieu P., Le bal des célibataires. Crise de la société paysanne en Béarn, Paris, Seuil, 2002, 268 p.)
15 Fabre D., « Une culture paysanne », dans Burguière A., Revel J. (dir.), Histoire de la France. Les formes de la culture, Paris, Seuil, 1993, p. 181-183.
16 Quelques exemples : demande d’érection de la section de La Mativie (commune de Comiac [Lot]) en municipalité indépendante, 1832-1838. Arch. départ. du Lot, 1M 177. Requête des habitants de Montcabrier, Mazières et Pestilhac (commune de Duravel [Lot]), 1835-1838, Arch. nat., F2II Lot 2.
17 Boutry P., Prêtres et paroisses, op. cit. Sur le point de vue des agents des contributions : Constant-le-Stum C. (éd.), Le Lot vers 1850. Recueil de monographies cantonales et communales établies par les contrôleurs des contributions directes, Cahors, Archives départementales du Lot, 2 vol. 2001-2002.
18 Goujon P., Le vigneron citoyen. Mâconnais et Chalonnais (1848-1914), Paris, CTHS, 1993, p. 23.
19 D’où la recrudescence des conflits locaux au début de la Troisième République : la question de l’ouverture des écoles de hameau provoqua de nombreux conflits à l’intérieur même des communes (Arch. départ du Lot, sous-série T).
20 Fabre D., « Une culture paysanne », op. cit., p. 183. Voir encore : Jolas T., « Parcours cérémoniel d’un terroir villageois », Ethnologie française, 1977, VII, 1, p. 8-28.
21 Pour le Quercy, où ces affrontements étaient particulièrement meurtriers : Ploux F., Guerres paysannes en Quercy, op. cit., p. 127-191 (p. 164 sur le rôle des vieillards). Les habitants de Saint-Maurice-en-Quercy [Lot], commune menacée en 1826 d’être réunie à Lacapelle, avaient conservé le souvenir du conflit qui, sous le règne de Louis XV, opposa deux seigneurs et provoqua la dissociation des deux paroisses (Arch. départ. du Lot, 1M 176).
22 Claverie E., Lamaison P., L’impossible mariage. Violence et parenté en Gévaudan, XVIIe-XVIIIe-XIXe siècles, Paris, Hachette, 1982.
23 Boutry P., Prêtres et paroisses, op. cit., p. 52 (à propos des rogations) ; Martin P., Les chemins du sacré. Paroisses, processions, pèlerinages en Lorraine du XVIe au XIXe siècle, Metz, Éditions Serpenoise, 1995 ; Gueusquin-Barbichon M.-F., « Organisation sociale et trajets rituels », Ethnologie française, VII, 1, 1977, p. 29-43.
24 Où l’identité du groupe se diluait. La connaissance des frontières communales se fit plus précise au début du XIXe siècle, avec la confection du cadastre (qui permit par ailleurs d’homogénéiser le territoire communal, débarrassé d’innombrables enclaves). Fauvel D., Histoire des circonscriptions territoriales du canton de Goderville, op. cit.
25 Martinelli B., « Toponymie et société. Contribution à l’étude de l’espace communautaire en Basse-Provence », Études rurales, no 85, 1982, p. 9-31.
26 Carof A. et al., « Le village au XIXe siècle entre fragilité statistique et complexité sociale », dans Tricard J. (dir.), Le village des Limousins : études sur l’habitat et la société rurale du Moyen Âge à nos jours, Limoges, Presses universitaires de Limoges, 2003, p. 375-403. Au XIXe siècle, les autorités diocésaines voulurent favoriser l’église paroissiale au détriment des lieux de culte périphériques (Delpal B., Entre paroisse et commune, op. cit.). Dans un article des Annales, Bernard Dérouet avance l’hypothèse d’un lien entre le rapport des paysans au territoire d’une part, les systèmes de transmission du patrimoine et d’organisation familiale d’autre part. Les régimes inégalitaires, observe-t-il, valorisaient l’enracinement de la famille en un lieu. L’ousta (la maison) était une succession d’héritiers mâles attachée à un domaine. Et la communauté villageoise, définie comme une grande famille, était davantage pensée en relation avec un territoire que dans les systèmes égalitaires (caractérisés par une extrême mobilité résidentielle). Voilà qui permettrait d’expliquer la vigueur des appartenances territoriales dans le Midi (que révèle la fréquence des violences intercommunales). Dérouet B., « Territoire et parenté. Pour une mise en perspective de la communauté villageoise et des formes de reproduction familiales », Annales HSS, mai-juin 1995, no 3, p. 645-686.
27 Corbin A., Les cloches de la terre, op. cit., passim.
28 Civilisation traditionnelle et genres de vie, Paris, Albin Michel, 1948.
29 Sous-entendu : villageois. Ibid., p. 34.
30 Goujon P., Le vigneron citoyen, op. cit., p. 69-100.
31 Lyons M., Le triomphe du livre, op. cit., p. 25-42. Sur ce point particulier, voir la conclusion de Furet F., Ozouf J., Lire et écrire, op. cit. Mais surtout : Goody J., Watt I., « The Consequences of Literacy », Comparative Studies in Society and History, no 5, 1963, p. 304-345 (traduction française dans Pratiques, no 131-132, décembre 2006, p. 31-68).
32 Tarde G., L’Opinion et la foule, Paris, Presses universitaires de France, 1989. Tarde développait la même idée dans sa monographie de La Roque de Gajac [Dordogne], Bull. de la Soc. hist et archéol. du Périgord, 1881, p. 310-311.
33 Qui représentaient des formes modernes de sociabilité, davantage perméables aux influences extérieures que, par exemple, la veillée.
34 Dubourg P., Histoire de Damazan depuis le XIe siècle jusqu’à nos jours, Villeneuve-sur-Lot, R. Leygues, 1911.
35 Boudant G., Histoire de Chantelle, Paris, Le Livre d’histoire, 2004 [1862].
36 Notice historique et statistique sur la commune d’Abbecourt, canton de Noailles [Oise], Beauvais, Victoir Pineau, 1865.
37 Reproduction en fac-similé, Paris, Le Livre d’histoire, 2005.
38 Abbé Génin, « Un village mi-barrois mi-champenois (1242-1909) », art. cit., p. 4.
39 Congrès archéologique de France, 1861, XXVIIe session, à Dunkerque, p. 181.
40 Muratet G., Notice historique sur Montsalvy, op. cit., p. iii-xij.
41 Procédé très classique, et particulièrement goûté des instituteurs.
42 Mémoires de la Soc. des sciences naturelle et d’antiquités de la Creuse, 1907.
43 Grégoire V., « Les Echaubrognes », Revue historique de l’Ouest, 1899, t. XV, p. 201.
44 « Hédé (Ille-et-Vilaine). Essai d’histoire d’une petite ville », Bull. archéol. de l’Association bretonne, 1898, p. 214-217.
45 Honneur à mon pays natal. Moy-en-Vermandois, Paris, Le Livre d’histoire, 2005 [1909].
46 La Mayenne en 1900 vue par ses instituteurs, op. cit., vol. 1, p. 18.
47 Monographie de la paroisse de Barriac, canton de Pleaux, Saint-Flour, impr. de F. Boubounelle, 1897.
48 Paroisse de Chaussenac : notice historique, Saint-Flour, impr. de F. Boubounelle, 1898.
49 Ibid., p. vi.
50 Préface à Morin A., Saint-Pouange. Monographie communale, Troyes, impr. J.-L. Platon, 1935.
51 On trouvera un condensé de ces thématiques dans « L’amour du clocher », discours prononcé en 1900 par Fortunat Strowski devant les élèves du lycée Lakanal (Revue du Midi, t. XXVIII, 1er avril 1900, p. 253-270).
52 La Coste de Fontenilles P., « Des statistiques communales », Bull. de la Soc. des études du Lot, 1873, p. 54.
53 Strowski F., « L’amour du clocher », op. cit., p. 258.
54 Dans Maurice A., L’histoire locale. Moyen d’apostolat rural, op. cit.
55 « Une commune est une grande famille, une petite société, composée d’hommes de la commune et de propriétés de la commune […]. Les officiers municipaux sont les pères de la famille, chargés d’en gouverner les hommes, d’en administrer les propriétés. » Théorie du pouvoir politique et religieux dans la société civile, démontrée par le raisonnement et par l’histoire, Paris, A. Le Clere, 1843, t. III, p. 129. Sur cette question : Fournier G., Démocratie et vie municipale en Languedoc du milieu du XVIIIe siècle au début du XIXe siècle, Toulouse, Association des Amis des Archives de la Haute-Garonne, 1994, p. 103 sq.
56 Du Régime municipal et de l’administration de département, Paris, Barrois l’aîné, 1818.
57 Dans un discours à la Chambre le 13 avril 1818 : « La commune, comme la famille, est avant l’État ; la loi politique la trouve, et ne la crée pas. » Cité par Fougères L. et al, Les communes et le pouvoir de 1789 à nos jours, Paris, Presses universitaires de France, 2002, p. 189-190.
58 « Les sentiments de la vie communale ont quelque chose de la douceur et de la solidité des affections domestiques, sans en avoir la tendresse et la vivacité » (La Démocratie, Bruxelles, A. Lacroix, Van Meenen et cie, 1860, p. 243).
59 Petrucia-Peyrusse, op. cit., p. 173. La suite du texte nous révèle le sens de l’argument : « Et si la famille, primitive, en entrant dans l’agglomération communale, a cependant conservé pour elle-même et pour son chef les droits qu’elle tenait de sa constitution primordiale et humanitaire, pourquoi la commune, en entrant dans le grand concert national, aurait-elle abdiqué tous les droits qu’elle possédait au moment de sa formation ? » Ibid. Arnold Mascarel, autre disciple de Le Play, citait ce passage de l’ouvrage de Gleyrose dans Mascarel A., De l’intérêt des monographies de communes, op. cit.
60 Locke R. L., French Legitimists and the Politics of Moral Order in the Early Third Republic, Princeton, Princeton University Press, 1974, p. 144.
61 Monographie de la commune de Vendes, thèse pour le doctorat, Faculté de droit de l’université de Paris, Paris, Arthur Rousseau, 1908.
62 Mémoire pour le ministre du commerce et des travaux publics des habitants de la succursale (et section) de La Mativie [Lot], 19 mars 1832, Arch. départ. du Lot, 1M 177.
63 « Identité villageoise et parenté à Elmdon (Essex) », art. cit., p. 77.
64 Généalogie de la morale familiale, Paris, Le Seuil, coll. « Liber », 2003, p. 47-57.
65 Milbach S., Prêtres historiens, op cit., p. 206. L’abbé H. Bouvier parlait de la « grande famille paroissiale » (Bouvier H., « Histoire de Monéteau (Yonne) », Bull. de la Soc. des sciences hist. et nat. de l’Yonne, 1897, p. 6). Un nombre incalculable de monographes utilisaient cette métaphore.
66 Cité par Mascarel A., « Les almanachs de paroisse », art. cit.
67 Ibid.
68 Abbé Brunet, « Les Bulletins paroissiaux », op. cit., p. 112.
69 Dervaux L., Bondues, op. cit, passim.
70 Constentin G., « Monographies paroissiales », Revue du Midi, t. XXVI, 1er janvier 1899, p. 81.
71 Aubert A., Monographie de la commune de Juvigny, op. cit, p. 208.
72 Ibid., p. 178
73 Grégoire P., Essais historiques sur la paroisse de Sucé, op. cit.
74 Grégoire P., Paroisse et commune de Gorges, op. cit.
75 Boutry P., Prêtres et paroisses, op. cit., chap. iii.
76 Locke R. L., French Legitimists, op. cit., p. 154.
77 Richard J., « De la population de La Mothe-Saint-Héray [Deux-Sèvres] de 1676 à 1864 », Mémoires de la Soc. de statistique du départ. des Deux-Sèvres, 1862, p. 227.
78 Coulours (Yonne). Essai de monogaphie communale, Troyes, J. L. Paton, 1942, p. 29.
79 De l’intérêt des monographies de communes, op. cit.
80 Ces questions sont longuement développées dans Hazareesingh S., From Subject to Citizen, op. cit., passim.
81 Dès les premières années du XIXe siècle, les paysans du Quercy employaient couramment le mot « commune » (les batailles rangées entre habitants de villages voisins étaient appelées rixes « de communes »). Cependant, écrivaient les auteurs d’une requête rédigée en 1825, « la plupart des gens ne savent ou ne veulent pas mettre de distinction entre commune et paroisse » (Habitants de Lherm [Lot], s. d. (vers 1825), Arch départ. du Lot, 1M 156.) Alan Baker observe que jusqu’aux années 1820, les termes paroisse et commune étaient utilisés de manière interchangeable dans les registres de délibérations du conseil municipal de Mesland [Loir-et-Cher] : Baker A. R. H., « Collective consciousness and the local landscape : national ideology and the commune council of Mesland (Loir-et-Cher) as landscape architect during the nineteenth-century », dans Baker A. R. H, Biger G. (dir.), Ideology and Landscape in Historical Perspective. Essays on the Meanings of Some Places in the Past, Cambridge, Cambridge University Press, 1992, p. 255-288.
82 Boutry P., Prêtres et paroisses, op. cit.
83 En 1946, le diocèse de Cahors comptait 337 communes et 480 paroisses (Le Bras G., L’église et le village, op. cit, p. 90). Sur ce point : Ploux F., Guerres paysannes en Quercy, op. cit., p. 185 sq.
84 Meynier A., « La commune rurale française », art. cit., p. 168.
85 Arch. départ. du Lot, 1M 144.
86 Corbin A., Les cloches de la terre. op. cit., p. 69 sq.
87 Tilly C., La Vendée, op. cit., p. 180 sq.
88 Corbin A., « L’ascension d’une conscience municipale sous la Monarchie de Juillet », dans Cassan M., Lemaître J.-L. (dir.), Espaces et pouvoirs urbains dans le Massif central et l’Aquitaine du Moyen Âge à nos jours, Paris-Ussel, De Boccard, 1994, p. 295-315.
89 Delpal B., Entre paroisse et commune, op. cit., p. 112 sq. Dans la Drôme, la translation du cimetière offrait l’occasion de cette prise de contrôle de l’espace par le pouvoir municipal (ibid.)
90 Baker A. R. H., « Collective consciousness and the local landscape », art. cit.
91 Agulhon M., « La mairie. Liberté, Égalité, Fraternité », dans Nora P. (éd.) Les lieux de mémoire, op. cit., t. 1, p. 179-196 ; Geffroy D., « La Mairie avant la République : bâtiments municipaux de l’arrondissement de Fougères au XIXe siècle », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, t. 110, no 1, 2003, p. 125-141.
92 Le folklore français, op. cit., tome 1, p. 756.
93 Dans les pays de chrétienté, ce n’est pas avant la seconde moitié du XXe siècle que les cadres spatiauxtemporels de la vie communautaire se dissocièrent des cadres de la vie religieuse. Lambert Y., « L’évolution des rapports entre l’espace et le sacré à Limerzel [Morbihan] au XXe siècle. 1900-1982 », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, no spécial L’espace et le sacré, 90, 1983, p. 261-272.
94 Corbin A., Les cloches de la terre, op. cit., notamment p. 197-264 ; et Ihl O., La fête républicaine, Paris, Hachette, 1996, p. 135-219.
95 Prêtres et paroisses, op. cit.
96 Ibid., chap. i et, du même auteur, « Les mutations du paysage paroissial. Reconstructions d’églises et translations de cimetières dans les campagnes de l’Ain au XIXe siècle », Ethnologie française, vol. XV, no 1, 1985, p. 7-34.
97 Martin E., Comment faire une monographie de village, op. cit.
98 Guilloux J.-M., « Études sur une paroisse bretonne. Brandivy », art. cit., p. 427.
99 Ibid., p. 429.
100 Émile Cheysson déplorait en 1897 cette tendance des ecclésiastiques à tout faire pivoter autour de l’histoire de l’église (Cheysson E., dans Comptes rendus des travaux de la Société des Agriculteurs de France. 28e session générale annuelle, t. XXVIII, Paris, hôtel de la Société, 1897).
101 Abbé Pouchous, « Monographie de la paroisse de Plonévez-Porzay », Bull. de la Soc. archéol. du Finistère, 1894, p. 40-64.
102 Ibid., p. 48-49.
103 Par exemple : Euzenot P.-J., « La paroisse de Stival », Bull. de la Soc archéol. du Finistère, 1882, p. 270-290. Ou encore : Simonneau A., « L’île d’Elle. Description et histoire », Annuaire départ. de la Soc. d’émul. de la Vendée, 1888 et 1889.
104 Bull. de la Soc. archéol du Finistère, 1900, p. 24-54.
105 Revue historique de l’Ouest, 1887, p. 206 sq.
106 Exemple : Fillet L., Donzère religieux, notice historique, Montbéliard, P. Hoffmann, 1882.
107 À titre d’exemple : Weyland F.-A., « Amanvillers et ses annexes, essai d’histoire locale », Mémoires de l’Académie nationale de Metz, 1911, 91e année, p. 119-295.
108 Mascarel A., « L’amour du clocher. Principe d’attachement au sol natal », dans La Désertion des campagnes. XXIXe Congrès de la Soc. internationale d’économie sociale et des unions de la paix sociale, Paris, Au secrétariat de la Société d’économie sociale, 1909, p. 156-174.
109 Abbé Gabard, préface à l’Almanach de Saint-Aubin-de-Baubigné [Deux-Sèvres], cité par Mascarel A., « Les almanachs de paroisse », art. cit.
110 Lettre de Victor Bettencourt, conseiller général de la Seine-Inférieure et Président National de l’Union Catholique de la France agricole à l’abbé Maurice. Reproduite dans Maurice A., L’histoire locale, moyen d’apostolat rural, op. cit.
111 « Histoire du bourg d’Écouché, département de l’Orne », Mémoires de la Soc. des antiquaires de Normandie, 1861, p. 499.
112 « Faire l’histoire d’une paroisse, c’est donc écrire une page d’histoire ecclésiastique, et chanter un hymne à Dieu. » Ferret P., Histoire de Drée, op. cit., p. 2.
113 Aubert A., Monographie de la commune de Juvigny, op. cit., p. 208.
114 Le travail de l’abbé Joseph Basset sur la paroisse de Chaussenac est très caractéristique de cette tendance : Basset J., Paroisse de Chaussenac, op. cit.
115 Le lecteur pourra se reporter au récit qu’a donné l’abbé Rolin de l’action de cet ecclésiastique dans la paroisse de Limésy. Rolin I., La commune de Limésy, op. cit., p. 334-336.
116 Ibid., p. 351-359.
117 Ibid., p. 355. L’auteur insistait sur le zèle, l’unanimité et la générosité dont avaient fait preuve les habitants.
118 Ibid., p. 356.
119 Comet A. de, Monographie de la commune de Saint-Loubès, op. cit.
120 « J’ai porté l’attention de notre population sur les traces du passé de notre commune, écrivait-il dans sa préface. C’est pour elle que j’écris. » Ibid.
121 Ibid.
122 Pour l’instituteur de Born-des-Champs, l’église et l’école « se complètent l’une l’autre ». Seulement « l’église, où se dirigent les vieillards, le dos voûté comme pour la prière, représente le passé et le souvenir ; l’école, où courent les enfants joyeux et frétillants, représente l’avenir et l’espérance » (Monographies des communes du canton de Beaumont, op. cit., t. 1, p. 55).
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008