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Compter pour encadrer (mars 1952-1959-1965…)

p. 249-250


Texte intégral

1Les années 1950 sont marquées à la fois par l’affirmation de l’intervention de l’État et par une politique d’ouverture progressive à la concurrence étrangère, qui se traduisent par de nouvelles contraintes pour les entreprises. Ces contraintes sont renforcées par des obligations légales accélérant la normalisation des comptabilités privées et améliorant les instruments nécessaires à la connaissance de l’activité économique : celle de se conformer progressivement au plan comptable général en décembre 1959, puis d’annexer des documents comptables normalisés aux déclarations annuelles de bénéfices en octobre 19651. La comptabilité générale des entreprises privées s’impose alors à la fois comme élément du dialogue entre les assujettis et le fisc et comme instrument de l’action publique, elle devient donc outil de régulation. Le passage de la normalisation à la régulation comptable tient à la concentration économique, à la forte croissance de la production et à l’essor du réseau hérité de la nébuleuse calculatrice. Face au Conseil supérieur de la comptabilité, aux experts des principales organisations patronales et aux « organismes formant le cœur de l’intervention économique de l’État » ralliés à l’idée d’une utilisation économique de l’impôt2, la défense de l’autonomie comptable des entreprises est en perte de vitesse.

2Trois étapes conduisent à ce stade. La première est ouverte par les tentatives de réformes fiscales introduites par Pinay et prolongées par ses successeurs jusqu’à l’investiture de Mendès France. Cette période correspond à la conversion d’une partie des dirigeants du CNPF en faveur de l’amélioration des connaissances de l’activité et de la normalisation3, et à la meilleure reconnaissance de l’ordre des experts comptables et des comptables agréés qui devient un partenaire incontournable des pouvoirs publics. Les mutations de cette période ne sont pas à la hauteur des attentes : les habitudes comptables et statistiques ne sont pas généralisées, la fraude persiste et le consentement à l’impôt n’est pas acquis au-delà du cercle étroit des grandes entreprises. Le dualisme fiscal reproduisant celui de la structure de l’économie française sans chercher à l’atténuer contribue à cet échec. Ce contexte est défavorable à la généralisation volontaire des normes comptables.

3La phase suivante, ouverte par l’investiture de Mendès France et qui s’achève avec le changement de République, est celle du volontarisme politique, du rétablissement des contrôles fiscaux et de la réforme. Elle correspond aussi à la reprise du processus de normalisation permettant d’envisager une généralisation du plan comptable la veille de l’avènement de la Ve République sans provoquer l’hostilité des organisations patronales. Les périodes ouvertes par l’investiture de Pinay, par celle de Mendès France, puis par l’avènement d’une nouvelle République introduisent donc des inflexions importantes pour la normalisation comptable et pour les relations entre l’État et les acteurs économiques. Ces trois périodes correspondent à l’essoufflement et à la marginalisation des représentants de « la France des mots » après l’échec du poujadisme, et à l’affirmation de « la France des chiffres4 ».

Notes de bas de page

1 Le décret du 28 octobre 1965 impose aux entreprises non forfaitaires d’annexer à leur déclaration fiscale des documents d’ordre comptable détaillés (bilan, résumé du compte d’exploitation général et du compte de pertes et profits). Ces informations serviront à améliorer les connaissances sur l’économie nationale.

2 F. Tristram, Une fiscalité pour la croissance…, ouvr. cit. Cette conversion a été étudiée par M. Margairaz, L’État, les finances et l’économie…, ouvr. cit.

3 B. Touchelay, « Le CNPF et l’Insee de 1946 à 1961 : l’histoire d’une alliance modernisatrice », Le Mouvement social, 2000, no 191, p. 25-47.

4 Parmi les nombreuses études du mouvement Poujade voir notamment : Dominique Borne, Petits Bourgeois en révolte ? Le mouvement Poujade, Paris, Flammarion, 1997 ; Herrick Chapman, « Réformateurs et contestataires de l’impôt en France après la Seconde Guerre mondiale », Maurice Lévy-Leboyer, Michel Lescure, Alain Plessis, (dir.), L’impôt en France aux XIXe et XXe siècles, Paris, CHEFF, 2006, p. 319-335 ; Stanley Hoffmann, Le mouvement Poujade, Paris, Armand Colin, 1956.

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