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Conclusion de la troisième partie

p. 245-246


Texte intégral

Les progrès de la comptabilité privée, entre contrainte et modernité

1Les progrès de la comptabilité privée sont conçus par Vichy, pendant l’occupation allemande, dans un objectif de contrôle et d’encadrement des activités économiques nationales. Ils sont rapides et soutenus par les organisations professionnelles qui inculquent à leurs membres des règles et une discipline minimales et les habituent aux enquêtes et à la présence d’un personnel d’encadrement compétent1.

2À la Libération, les reconstructeurs font le choix de conserver ces acquis. L’épuration de Chezleprètre, de l’ordre des experts comptables et des comptables agréés et la caution de résistants notoires comme Caujolle sont nécessaires pour les démarquer de l’emprise allemande et de celle de Vichy. Sur le plan technique, la distinction avec Vichy est réalisée par l’adoption d’un nouveau plan comptable. L’ouverture de la commission de normalisation et celle du Conseil supérieur de comptabilité aux représentants des intérêts concernés, publics ou privés, pose les bases de la concertation caractéristique de « la normalisation à la française2 ». Le refus d’imposer les décisions par la contrainte et l’organisation démocratique du travail des commissions constituent d’autres spécificités. L’aiguillon fiscal n’est plus le moteur dominant du processus. Le jeune CNPF s’y implique tandis que les organisations patronales traditionnelles continuent de voir dans la normalisation comptable une menace pour le secret des affaires. La nébuleuse calculatrice a ainsi trouvé ses institutions et ses permanents. La mise en place d’un appareil statistique de qualité visant à satisfaire les besoins du Plan et ceux de l’encadrement économique et social accompagne l’affirmation de la « France des chiffres ».

3Les progrès sont pourtant inachevés. Le plan comptable n’est pas rendu obligatoire (or, que vaut-il en restant facultatif ?), la définition des règles de la comptabilité analytique est reportée et les obligations imposées aux entreprises bouleversent rarement leurs pratiques habituelles. Les bénéficiaires du forfait, qui représentent une majorité d’entreprises, sont tenus à l’écart des réformes. Ces demi-mesures résultent du freinage exercé par le CNPF et du poids de « la France des mots », celle des chambres de commerce et des syndicats de petits producteurs et commerçants, qui défendent les situations acquises. Les grandes entreprises représentées par le CNPF sont néanmoins plus favorables à la réforme qu’il contribue par ailleurs à définir. Au tournant des années 1950, les relations entre fiscalité, comptabilité, et organisations patronales semblent en mutation. Les conditions nécessaires à la généralisation du plan comptable, guère envisagée avant 1959, sont en train d’être réunies.

Notes de bas de page

1 Henri W. Ehrmann, La politique du patronat français, 1936-1955, Paris, Colin, Sciences politiques, 1959.

2 B. Colasse, P. Standish, « De la réforme 1996-1998… », art. cit., p. 10.

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