Compter pour diriger (juillet 1940-avril 1952)
p. 173-174
Texte intégral
1Entre la formation du gouvernement de Vichy et la nomination d’Antoine Pinay comme président du Conseil, l’État réunit les instruments nécessaires à l’encadrement des activités économiques. Les résistances à la normalisation des comptabilités des entreprises s’effondrent pendant l’Occupation et ne se relèvent pas puisque les changements introduits sont confirmés à la Libération et consolidés avant la fin de la Reconstruction.
2Vichy place les techniciens et les représentants patronaux les plus impliqués dans la nébuleuse calculatrice d’avant-guerre aux postes de responsabilité et valorise les idées novatrices en matière de contrôle fiscal1. Le premier plan comptable général est défini et l’ordre professionnel des experts comptables et des comptables agréés est créé. Il convient d’analyser la portée de ces avancées en tenant compte de la nature liberticide et collaborationniste du régime qui les a fait naître, mais aussi d’évaluer leurs chances de survie face à la volonté de rupture de la Libération illustrée par l’épuration de Chezleprètre. La mise en veilleuse de l’opposition de droite et des représentants des intérêts économiques privés accusés de collaboration, comme l’impulsion décisive des forces politiques de gauche invitant à reconstruire sur des bases nouvelles en instaurant une démocratie économique, placent l’État au cœur de l’économie et incitent à cultiver l’héritage. L’influence du contexte sur les orientations adoptées en matière de réglementation des comptabilités privées, et sur les caractéristiques du second plan comptable français publié en juin 1947, reste à préciser.
3Les fondements du processus conduisant à l’obligation comptable apparaissent avant la nomination de Pinay qui marque le retour à un certain libéralisme. La commission chargée du plan comptable devient un lieu de concertation permanente entre les représentants des organisations patronales, ceux des directions ministérielles intéressées et ceux des professionnels de la comptabilité. La nébuleuse calculatrice dispose ainsi d’un cadre permettant à ses membres d’entretenir des relations continues et de définir un réseau aux frontières mieux établies. La chronologie de la diffusion des pratiques comptables homogènes coïncide avec l’affirmation du système statistique public français et avec les prémices de la comptabilité nationale posées par les travaux de l’institut de conjoncture puis par ceux de l’équipe du Service des études économiques et financières (SEEF)2. Les experts du chiffre, comptables et statisticiens, tissent des liens solides avec les plus grandes entreprises publiques et privées pour améliorer la qualité des renseignements disponibles. Le clivage interne aux organisations patronales apparu avant la guerre se manifeste alors à travers deux nouvelles confédérations. La première, le CNPF, dirigé par des chefs d’entreprises que l’Occupation a habitué à une discipline minimale, est en partie instituée en 1946 pour réagir aux pratiques de la seconde : la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) créée en octobre 1944, qui se méfie des interventions de l’Etat et des procédés de chiffrage et représente des organisations patronales régionales ou sectorielles qui ne parviennent plus à s’imposer comme forces politiques. L’intervention de l’ordre professionnel des experts comptables et des comptables agréés et celle des responsables des grandes entreprises dans les travaux relatifs à la normalisation réduisent le poids des administrations fiscales sur les décisions et incitent le patronat à soutenir les efforts des commissions comptables. L’histoire de la fiscalité, mieux connue que pour les périodes antérieures3, reste un fil conducteur majeur pour expliquer le processus de normalisation, mais elle n’est plus le seul.
4Cette partie vise ainsi à cerner les étapes et à présenter les arguments qui ont permis de concevoir la normalisation à la fois comme un instrument du fisc et comme un outil au service de la direction et des partenaires de l’entreprise privée.
Notes de bas de page
1 M. Margairaz, L’État, les finances et l’économie…, ouvr. cit., t. 1, p. 502.
2 Aude Terray, Des francs-tireurs aux experts : l’organisation de la prévision économique au ministère des finances (1948-1968), Paris, CHEFF, 2002.
3 Voir en particulier : J.-Y. Nizet, Fiscalité, économie et politique…, ouvr. cit.
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L’État et l’entreprise
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