Volontarisme réformateur contre les pesanteurs de l’inertie (1931-juin 1940)
p. 107-108
Texte intégral
1Du déclenchement de la crise économique à la Seconde Guerre mondiale, l’amélioration des relations entre les contribuables et le fisc reste à l’ordre du jour. La faible rentabilité de l’impôt, sa complexité et l’ampleur des fraudes engagent les administrations fiscales à renforcer les capacités du contrôle et les pressions sur les entreprises pour qu’elles améliorent leurs comptabilités. Ces pressions sont rendues encore plus nécessaires par le ralentissement de l’activité économique qui accroît les besoins de l’État tout en réduisant la capacité contributive et en incitant les contribuables à contourner l’impôt. La normalisation des comptabilités des entreprises n’est pourtant pas envisagée. La majorité des responsables politiques et économiques s’accroche à des dogmes libéraux1. Le contexte général encourage peu à harmoniser les pratiques, sauf à deux reprises puis dans les circonstances exceptionnelles du réarmement. Le lendemain du 6 février 1934, Louis Germain-Martin, ministre des Finances du gouvernement Doumergue, fervent partisan de l’efficacité de la réforme pour redresser la situation économique, introduit un système vraiment forfaitaire pour l’imposition des BIC excluant toute référence au chiffre d’affaires et obligeant à définir avec précision le bénéfice fiscal. En concentrant davantage encore le contrôle et les vérifications comptables sur les plus grands contribuables, la réforme oblige à spécialiser des services et des agents du fisc dans les questions comptables. Le même enthousiasme pour la réforme se retrouve chez les dirigeants de gauche vainqueurs aux législatives de mai 1936. Remplaçant la TCA par la taxe à la production, le gouvernement répond alors aux exigences de simplification, facilitant les tâches des assujettis et les rendant capables de mieux se plier aux exigences du fisc et d’améliorer leurs comptabilités. La défense du secret des affaires et de l’autonomie comptable est ensuite dépassée par l’impérieuse obligation d’y voir plus clair dans les comptes des entreprises et dans l’activité économique pour se préparer à la guerre.
2Mêmes si elles sont moins réfléchies qu’imposées par les circonstances et si elles concernent surtout les très grandes firmes impliquées dans le réarmement, ces mutations engagent les organisations patronales à participer aux efforts pour améliorer l’information économique. La plupart d’entre elles y sont préparées puisqu’elles ont réagi à la crise en développant les études et les foyers de recherches sur les pratiques comptables les plus efficaces. Le comité central de l’organisation professionnelle (CCOP)2 ou X-Crise3 qu’elles soutiennent élargissent les domaines d’études de la nébuleuse calculatrice en attirant des comptables, des ingénieurs, des statisticiens, des responsables d’entreprises ou des permanents patronaux. Le gouvernement de Front populaire cherchant à son tour à rationaliser l’organisation économique soutient ces initiatives. Paradoxalement, la crise de la CGPF durant l’été 1936, provoquée par les représentants de plus petites affaires effrayés par l’alternance politique, consolide les rangs des partisans de la négociation avec l’état et de la réglementation au sein du patronat4. La voie de la normalisation concertée est alors ouverte, aiguillonnée par le renforcement de la pression fiscale consécutive au marasme économique et à la préparation de la guerre. L’urgence de la situation sert alors les projets les plus novateurs, même s’ils sont dirigistes, et laisse le champ libre aux desseins des Contributions directes. Les organisations patronales et les grandes entreprises ne s’y opposent plus, seuls manquent à l’appel les comptables qualifiés.
3L’affrontement entre les pesanteurs de l’inertie et les forces du volontarisme qui caractérise la seconde partie de l’entre-deux-guerres se découpe en trois périodes : celle de l’immobilisme entre 1932 et mai 1936, ponctuellement interrompue par les initiatives de Germain-Martin, celle de la rupture du Front populaire qui mène effectivement une autre politique à partir de la formation du gouvernement Blum en juin 19365, et celle du réarmement qui met la comptabilité en première ligne pour servir la course à la guerre6. Une fois encore, la chronologie n’est pas totalement calquée sur les alternances politiques puisque les gouvernements à dominante radicale entre 1932 et 1934 réforment moins que celui de la droite, représenté par Germain-Martin.
Notes de bas de page
1 O. Dard, Le rendez-vous manqué des relèves des années 30, Paris, PUF, Le Nœud gordien, 2002.
2 R. Boulat, « Le CCOP, le fonctionnement syndical et la formation des permanents patronaux (1936-1941) », dans Olivier Dard et Gilles Richard (dir.), Les permanents patronaux : éléments pour l’histoire de l’organisation du patronat en France dans la première moitié du XXe siècle, Metz, Centre de recherche Histoire et civilisation de l’université Paul Verlaine de Metz, 2005, p. 171-198.
3 X-Crise, X-Crise. Centre polytechnicien d’études économiques. De la récurrence des crises économiques. Son cinquantenaire (1931-1981), Paris, Economica, 1982.
4 Michel Lescure, PME et croissance économique : l’expérience française des années 1920, Paris, Economica, 1996.
5 Michel Margairaz, Danielle Tartakowsky, Une histoire du Front populaire. L’avenir nous appartient !, Madrid, Larousse, 2006.
6 Robert Franck, Le prix du réarmement en France 1935-1939, Paris, Presses universitaires de la Sorbonne, 1982.
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L’État et l’entreprise
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