Propédeutique (juillet 1916-décembre 1930)
p. 33-34
Texte intégral
1Plus de dix ans sont nécessaires à l’État et aux contribuables pour qu’ils s’adaptent aux réformes fiscales introduites en France à partir de la Première Guerre mondiale. L’impôt sur le revenu voté par les députés en 1914, la contribution extraordinaire sur les bénéfices de guerre adoptée en 1916, et l’impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux (BIC) introduit en 1917, modifient en profondeur l’ancien système. Les réformes se prolongent bien après le retour de la paix, avec la taxe sur les paiements définie en 1917 et transformée en taxe sur le chiffre d’affaires (TCA) en 1920, puis avec les lois de 1924 et de 1926 qui facilitent l’application du principe déclaratif en codifiant la procédure du forfait. En dix ans, les contribuables et l’administration fiscale doivent à la fois définir un langage commun pour s’accorder sur le montant des prélèvements, mais aussi respecter certains cadres pour calculer l’impôt, alors que la comptabilité des entreprises n’est pas harmonisée, que la majorité des acteurs économiques et politiques la considère comme une affaire strictement privée, que peu maîtrisent ses règles et que la profession comptable est embryonnaire. Mises en échec avant la guerre, quand elles servaient la volonté de protéger l’épargne et d’atténuer les scandales financiers, les pressions en faveur de la réglementation comptable reviennent donc en force. Elles sont soutenues par des dirigeants d’entreprises cherchant à y voir plus clair et par des parlementaires radicaux et socialistes désireux de simplifier l’impôt tout en limitant la fraude, mais l’alliance n’est pas assez puissante pour réussir. Le début de l’entre-deux-guerres est une période d’hésitations. Les comptabilités des entreprises demeurent hétérogènes et leur compréhension par les agents du fisc aléatoire bien qu’elles conditionnent en partie le rendement des nouvelles taxes. Les espoirs de réglementation caressés pendant le conflit et enterrés en 1919, réapparaissent seulement quand il s’agit d’accentuer la lutte contre la fraude. Acculé par les déficits budgétaires en fin de législature, le Bloc national commence à réfléchir aux moyens d’améliorer l’efficacité de l’impôt et d’organiser un véritable contrôle des déclarations des plus grandes affaires les incitant à améliorer la tenue de leurs comptes. Les espoirs de réglementation sont ensuite aiguisés par la victoire électorale du Cartel des gauches, porté par des radicaux et des socialistes peu enclins à défendre l’autonomie des entreprises privées, mais aucune réforme n’aboutit avant le retour au gouvernement du centre droit en 1926.
2Inhérente aux débats sur la fiscalité depuis l’expérience fondatrice de la contribution exceptionnelle sur les bénéfices de guerre et l’introduction du principe déclaratif, la réglementation des comptabilités privées oppose deux camps : celui qui accepte ou tolère une certaine dose de contraintes pour améliorer l’efficacité du système fiscal et celui qui les rejette par principe, par méconnaissance ou par indifférence. Les clivages se dessinent progressivement. Les organisations patronales confédérales, l’UIMM et la CGPF, créée en 1919, s’impliquent dans la définition et l’application des réformes fiscales et des réglementations pour tenter de les influencer tandis que les organisations régionales ou sectorielles sont plus réticentes au changement. Ces équilibres patronaux influencent le jeu politique. Les forces de gauche proposent les réformes les plus novatrices, mais contrairement aux attentes, les gouvernements de gauche sont plus frileux que ceux de la droite et du centre lorsqu’il s’agit de les appliquer. La question de la normalisation comptable balaye donc les clivages politiques traditionnels. Il convient de savoir pourquoi et de montrer comment la fiscalité devient le principal moteur de la réglementation comptable, plus important encore que les créanciers de l’entreprise ou ses associés, entraînant l’intervention des organisations patronales, conscientes des enjeux des débats pour l’avenir de l’autonomie comptable des producteurs et des commerçants, et celle des comptables dont la profession reste à définir.
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L’État et l’entreprise
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