La Russie et les conséquences des déportations1
p. 153-174
Remerciements
Sophie Tournon tient à remercier chaleureusement Aurélie Campana, Grégory Dufaud et Stéphane Lefebvre pour leurs relectures attentives.
Texte intégral
1Ce chapitre porte sur les conséquences politiques des déportations dans la Russie contemporaine ; il examine d’une part les processus de réhabilitation, d’autre part les décisions prises en faveur des principaux acteurs concernés. Nous y montrerons que l’héritage des déportations, loin de conduire à des réparations ou à la mise en place de processus de défense des droits individuels, s’est essentiellement réduit à une lutte pour l’appropriation symbolique d’un territoire.
2Nous éviterons l’écueil méthodologique qui confond l’outil qui décrit et stratifie la réalité sociale et la réalité sociale elle-même2. Ainsi, les groupes ethniques, posés en « victimes » ou militant pour leur « réhabilitation », ne doivent pas être considérés comme des ensembles sociaux homogènes ou comme des « sujets » sociologiques. De plus, nous rejetons par principe toute approche essentialiste, car la division en groupes ethniques relève d’une pure approche méthodologique. Par conséquent, ces groupes seront considérés comme des acteurs symboliques d’un domaine de représentation. Partant du même principe, les termes « territoires historiques », « formations stato-nationales », « développement national », « droit des peuples », « intérêt des peuples » ou encore « responsabilité de l’État », seront tous appréhendés comme des concepts qui évoluent en fonction des interactions sociales. Enfin, étudier une organisation revient à souligner la contradiction entre les décisions effectivement prises et leurs représentations publiques. Il est pour cela nécessaire d’opérer une distinction entre une « politique symbolique » et une « politique instrumentale », entre le discours officiel et l’action publique3. Cette dichotomie entre l’action et le discours est définie comme une « hypocrisie organisationnelle4 ».
3Les diverses mesures répressives et coercitives exercées par le pouvoir soviétique ont parfois été fondées sur des marqueurs ethniques, mais la frontière entre les déportations et les autres répressions reste floue. Ainsi, toute tentative de dresser une liste des « peuples punis » n’est que pure convention. Nikolaj Bugaj a comptabilisé jusqu’à 60 groupes ethniques déportés. Nous considérons pour notre part que treize populations ont été soit totalement déplacées, soit partiellement touchées par des déportations à caractère ethnique : Allemands, Coréens, Finnois, Tchétchènes, Ingouches, Karatchaïs, Balkars, Kalmouks, Tatars de Crimée, Polonais, Grecs, Kurdes, Turcs5.
4Au sens strict, on ne peut qualifier l’héritage des déportations ethniques en Russie de « stalinien ». En effet, la politique soviétique poststalinienne ne se démarque pas foncièrement de celle menée dans les années 1930-1950, étant donné les conséquences induites par les déplacements de frontières. Quant à l’héritage même des déportations, il n’est devenu d’actualité qu’à la fin des années 1980, en pleine Perestroïka, avant l’effondrement de l’URSS.
5Durant cette période de libéralisation, le pouvoir central soviétique perd de sa légitimité. De nombreuses revendications à caractère ethnique dénoncent en effet une URSS « prison des peuples » qui opprime les ethnies. Le thème des déportations devient de fait un levier rhétorique efficace pour dénoncer la politique « impériale » de l’URSS6. Il joue alors un rôle important dans les débats naissant sur l’ethnicité, au moment où de graves événements politiques affectent les « peuples punis ». Un large consensus émerge autour de la question des déportations : les autorités comme pratiquement tous les mouvements d’opposition les considèrent comme un crime injustifiable perpétré par le régime soviétique. C’est dans ce contexte que les dirigeants soviétiques adoptent, le 14 novembre 1989, la Déclaration « Sur la reconnaissance des actes politiques illégaux et criminels contre les peuples ayant subi un déplacement forcé et sur la garantie de leurs droits ». Dans la foulée, le président de l’URSS signe le 13 août 1990 le décret portant sur la « réhabilitation des droits de toutes les victimes des répressions politiques des années 1920 à 1950 ».
6En 1989-1990, des mouvements plus ou moins importants, formés au nom des communautés réprimées et dirigés par des intellectuels, portent leurs revendications devant les plus hautes instances du pouvoir soviétique et russe, constituant ainsi un véritable lobby auprès de la presse et du gouvernement russe. Ce dernier est alors dirigé par Boris Eltsine qui s’oppose ouvertement à la direction de l’URSS et du Parti communiste soviétique. Dès 1990-1991, le gouvernement russe légifère sur cette question indépendamment du centre soviétique.
7L’URSS de la Perestroïka comme les autorités de la Russie s’accordent sur les traitements à apporter aux problèmes ethniques. Pour eux, la société est composée de groupes ethniques dont les revendications doivent être satisfaites pour un meilleur « développement » ; une large indépendance des territoires est acceptable et les répressions staliniennes sont condamnables7. Si les deux pouvoirs cherchent à s’attirer les faveurs des dirigeants des formations autonomes et des organisations ethniques en multipliant promesses et engagements, une différence notable les distingue toutefois : les représentants russes, n’ayant pas à se soucier de l’unité de l’URSS, se risquent à des promesses plus audacieuses8.
8D’un côté, le nouveau pouvoir russe, privé de base sociale solide et politiquement vulnérable, recherche en Russie même des alliés dans sa confrontation avec les autorités soviétiques et l’opposition procommuniste9. Dans cette dynamique, les dirigeants russes accordent alors toutes sortes de promesses dans le but d’obtenir un maximum de soutiens. De l’autre côté, des personnes issues d’horizons forts variés, dont des extrémistes et des nouveaux venus sur la scène politique, s’imposent dans le processus de prise de décisions clés10. En conséquence, les décisions, souvent prises de manière impulsive, dépendent de différents experts, députés et représentants de l’exécutif.
Base juridique de la réhabilitation et application de la loi
9En avril et en octobre 1991, le Soviet suprême de la RSFSR promulgue, sans débat, deux lois sur la « réhabilitation des peuples réprimés » et sur « la réhabilitation des victimes de répressions politiques », qui servent de lois-cadres aux questions concernant les peuples réprimés11.
10La première loi sur la réhabilitation concerne les peuples et considère les groupes ethniques comme des communautés. Cette loi, qui ne définit ni ne précise la notion de répression, prend toutefois en compte le « déplacement forcé », la « liquidation des territoires autonomes à base ethnique », les « nouvelles frontières des territoires nationaux » et « l’instauration d’un régime de terreur et de violence dans les colonies spéciales » (art. 2). Cependant, elle ne donne ni la liste desdits groupes ethniques ni de définition de la notion de peuple réprimé, et ne fait aucune référence à l’URSS. L’article 1 utilise la formule « peuples de la RSFSR » sans jamais l’expliciter. Il est ainsi impossible de savoir s’il concerne les populations victimes des répressions sur le territoire de la RSFSR, celles qui furent expulsées de Russie, ou l’ensemble des groupes touchés par les mesures répressives de l’URSS.
11Fondamentalement, toute réhabilitation suppose le rétablissement de l’« intégrité territoriale » des peuples réprimés. Or cette loi n’entre pas dans le détail des mécanismes de réhabilitations territoriales, ou des « retours volontaires », mais renvoie aux décisions futures des législateurs. Elle évoque les « droits à un libre développement national », au paiement de compensations et à une « réhabilitation culturelle ». Force est de remarquer son caractère essentiellement déclaratif et sa faible portée exécutive pour tout ce qui a trait aux questions ethniques. Cette loi, qui relève d’une certaine manière d’un retour au statu quo ante tant au niveau territorial et administratif, n’est qu’un effet d’annonce et ne contient ni proposition de traitement des conséquences des déportations, ni proposition de compensation des préjudices subis. Il est intéressant de noter que des militants issus des mouvements des peuples réprimés ont participé à sa préparation, ce qui explique la présence de certaines formulations issues de la Déclaration sur la réhabilitation des peuples réprimés, adoptée par la Confédération des peuples réprimés en novembre 199012.
12Cette première loi de réhabilitation comporte des clauses qui rentrent en contradiction avec d’autres législations, en particulier avec la Constitution. En effet, elle s’appuie sur de futures lois ou sur des catégories inconnues du droit russe, telle la « législation sur les relations interethniques ». Elle use également de notions qui n’ont pas de sens juridique précis, comme les « formations territoriales nationales » ou les « lieux de vie traditionnels ». Ainsi, le principe de la restauration inconditionnelle des frontières s’oppose à la Constitution de la RSFSR de 1978, qui interdit tout changement de tracé des frontières des républiques sans leur accord. La Convention fédérale du 31 mars 1992, confirmée ensuite par l’article 67.3 de la Constitution russe de 1993, élargit cette clause à tous les sujets (subdivisions territoriales) de la Fédération de Russie.
13La seconde loi fédérale sur les victimes des répressions politiques, avec ses correctifs et ses addenda adoptés de 1991 à 2005, concerne les individus victimes des répressions sociales, politiques, idéologiques, religieuses et ethniques, et les victimes des déportations de masse orchestrées après le 25 octobre 1917. Cette loi s’applique à toutes les victimes des administrations soviétiques, en Russie, dans l’espace post-soviétique et même au-delà. Dans les faits, la réhabilitation signifie le rétablissement des droits, la restitution du grade, la prise en compte des titres perdus et des distinctions supprimées, et surtout le rétablissement de la citoyenneté russe. La loi se montre moins précise quant à, par exemple, l’allocation d’un logement social, d’une couverture sociale ou encore de prestations de transport en commun. À l’origine, elle ne prenait en charge que l’indemnisation des dommages subis par les victimes de privation de liberté ou d’enfermement psychiatrique, mais pas des victimes de déportation. Le cas des déportés n’est considéré qu’en 1993, après l’ajout de l’article 16.1 qui aborde la question de la compensation des biens confisqués et spoliés. Cependant, un certain nombre de clauses y sont adjointes, qui sont autant d’obstacles à sa mise en application. Au final, le montant des compensations (aujourd’hui à peine plus de 40 dollars) reste purement symbolique.
14Si la loi relative à l’évaluation, à la restitution des biens spoliés ou au paiement de compensations a été promulguée en août 1994, le versement des compensations par les autorités locales s’est révélé problématique pour plusieurs raisons. Premièrement, la loi sur les victimes de répressions, amendée en 1992 et 1993, étend les aides prévues par la Russie aux réprimés dont la réhabilitation a été reconnue par les nouveaux États indépendants. Dans les faits, de nombreux anciens citoyens soviétiques réhabilités par l’Ukraine, la Biélorussie et le Kazakhstan ont pu recevoir une aide de la Fédération de Russie, aussi infime soit-elle. Toutefois, l’absence de cadre géographique précis pour ces deux lois a été un obstacle à la réhabilitation en Russie des déportés de Crimée, pourtant théoriquement éligibles.
15Deuxièmement, dans le Nord Caucase, la radicalisation des revendications territoriales des représentants des peuples réprimés pousse le gouvernement russe à instituer un moratoire sur l’application des articles 3 et 6 portant sur les réhabilitations territoriales jusqu’en juillet 1995. En outre, la question est réglée à partir de l’adoption de la Constitution de 1993, selon laquelle les frontières ne peuvent être modifiées que d’un commun accord entre les sujets de la Fédération. Formellement, les autorités russes ont suivi les exigences de l’article 13 de la loi sur les peuples réprimés : des actes juridiques ont été adoptés approuvant la réhabilitation de chaque grand groupe réprimé sur le territoire actuel de la Russie, excepté les Tchétchènes. Mais les compensations n’ont été versées qu’au compte-goutte, quand elles l’ont été.
16Les actes législatifs qui ont marqué les processus de réhabilitation en Russie au début des années 1990 relèvent de deux catégories. La première rassemble ceux qui ont été adoptés par les plus hautes instances de la Russie, et qui concernent des peuples précis. Le Conseil supérieur de la Fédération a ainsi pris des résolutions concernant les Finnois, les Coréens et les Cosaques, et le président russe a édicté des décrets sur les Allemands, les Karatchaïs, les Kalmouks et les Balkars. Ces actes ont tantôt une valeur symbolique, tantôt un caractère informatif, tantôt font œuvre de référence. Ainsi, elles ont ouvert symboliquement le début des réhabilitations de certains groupes, ou ont rappelé le contenu des lois en vigueur, notamment en termes de rétablissement de la citoyenneté russe.
17Les textes appartenant à la seconde catégorie revêtent un sens pratique : ils définissent des programmes concrets et des mesures particulières qui accompagnent les réhabilitations. Entrent dans cette catégorie les résolutions du gouvernement russe ou des autorités régionales, ainsi que de nombreux textes de la première catégorie. Toutefois, seuls certains de ces derniers ont été suivis de décisions concrètes issues des instances subordonnées, à l’instar des résolutions du gouvernement approuvant les programmes d’aide aux Allemands, aux Balkars, aux Ingouches et aux Kalmouks.
18Cependant, les dirigeants russes refusent catégoriquement d’accéder aux revendications les plus pressantes, comme l’adoption de programmes d’aide aux retours, ou d’installation sur les territoires d’origine, ou encore la création de services d’assistance qui guideraient les victimes de répressions dans leurs démarches de réhabilitation et de restitution des biens spoliés. Malgré cela, on ne peut nier que les actes législatifs appartenant à la première catégorie ont eu une influence certaine sur les services de l’état civil, qui ont accordé la citoyenneté russe à des personnes déplacées en Russie. Le mode d’application de la loi s’apparente alors à un « entonnoir » : aux grandes déclarations faites en début de processus succèdent, au fur et à mesure que l’on s’achemine vers leur mise en application, des textes intermédiaires qui amoindrissent les garanties et les engagements pris initialement par l’État.
19L’étude du processus législatif et de sa mise en application montre que toute décision concernant les peuples réprimés fait l’objet de négociations complexes entre, d’un côté, les autorités fédérales et régionales et, de l’autre côté, les différentes instances du gouvernement13. Ainsi, le ministère de l’Intérieur est en charge des réhabilitations, le volet social revenant aux institutions de la sécurité sociale. Si on ignore le chiffre réel de victimes de déportations ethniques ayant été réhabilitées, on sait en revanche que 64 % des 706 766 réhabilités (chiffre de la Commission à la réhabilitation des victimes de répressions) ont subi une répression par mesures administratives14.
20Dans la pratique, le ministère des Finances détient les clés de tout le processus, mais en cas de conflit, de crise ou de décision politique, c’est le président qui tranche. Le ministère aux Nationalités devait coordonner toutes les politiques liées aux peuples réprimés, mais sans réel pouvoir ni budget propre, ses projets n’ont jamais vu le jour. Il a d’ailleurs été dissout en 2001.
21Des Républiques et régions russes ont également adopté à leur niveau plus de 50 textes et lois portant sur la réhabilitation des peuples réprimés15. Mais à partir de 1991, ce bouillonnement législatif s’apaise ; il est pratiquement éteint aujourd’hui. Seul le programme qui concerne les Allemands de Russie est toujours actif.
22Après la chute de l’URSS, la Russie devient l’instigatrice d’accords sur la réhabilitation des déportés en URSS dans le cadre de la Communauté des États indépendants (CEI). En octobre 1992, dix États signent à Bichkek un accord-cadre. Six États le ratifient, mais pas la Russie. Prévu pour dix ans, cet accord a été vidé de sa substance. Ce cas illustre bien comment la Russie envisage trop souvent la coopération humanitaire internationale comme de la poudre jetée aux yeux de ses interlocuteurs internationaux16.
23De leur côté, les mouvements des réprimés ont accueilli la loi sur la réhabilitation avec enthousiasme. à leurs yeux, il s’agit en effet d’une reconnaissance juridique et d’un soutien officiel à leurs revendications territoriales. à l’inverse, elle suscite le mécontentement des régions et des groupes ethniques opposés aux changements des tracés frontaliers. De fait, au Nord Caucase, cette loi participe à tendre davantage une situation complexe où se mêlent décisions adoptées en haut lieu, gestion bien souvent erratique des autorités locales et réactions des différentes organisations représentant les peuples réprimés.
Sur le terrain : enjeux et solutions
Les Balkars
24Un premier mouvement balkar apparaît en 1987 sous la forme d’un cercle estudiantin du nom de Nyg’yš (Conseil). Puis, en 1988, des intellectuels fondent l’organisation Birlik (Unité). Ces organisations culturelles s’intéressent progressivement à l’histoire et à la « mobilisation de la mémoire » des Balkars. En 1989, elles réclament la levée de l’accusation de collaboration avec les Nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, puis expriment des revendications politiques articulées autour de l’idée de17 « réhabilitation du peuple balkar ».
25Ces organisations balkares demandent la reconnaissance au niveau constitutionnel de la parité entre Kabardes (48,2 % de la population) et Balkars (9,4 % en 1989) 18. Elles réclament un partage égal des responsabilités au sein du gouvernement de la République binationale, une représentation proportionnelle au Parlement et dans les instances dirigeantes, ainsi que le rétablissement des anciens districts balkars19.
26En 1990, ces organisations créent le mouvement politique Tëre (Forum), qui attire l’élite et des députés balkars de la république. D’autres organisations balkares émergent par la suite. La loi sur la réhabilitation des peuples réprimés donne une nouvelle impulsion à leurs revendications de « réhabilitation territoriale ». En août 1990, la Conférence de tous les députés balkars de Russie soutient les aspirations balkares et en mars 1991 se tient un Congrès du peuple balkar20.
27En 1990 et 1991, deux Commissions successives, constituées par le Conseil supérieur de la Kabardino-Balkarie, cherchent à concilier la question de la réhabilitation du peuple balkar avec la loi de réhabilitation.21 Cependant, le 16 novembre 1991, lors de la session du Conseil supérieur, les députés kabardes empêchent la publication des conclusions de ces Commissions, par crainte d’une scission de la République. Les propositions de la seconde Commission sont sévèrement critiquées ; des harangues particulièrement violentes sont lancées contre le peuple et le mouvement nationaliste balkars. Ce dernier se réunit en Congrès le lendemain et déclare, sous le coup de l’émotion, la division de la Kabardino-Balkarie. En décembre, le Conseil national balkar, branche exécutive du Congrès, organise un référendum auprès de la population balkare : 80 % se déclarent en faveur de l’indépendance de la République22.
28En janvier 1992, le Congrès du peuple kabarde dote le mouvement kabarde d’organes exécutifs et promulgue la République kabarde. Les mouvements kabarde et balkar ne partageant pas la même vision du découpage de leur territoire, la menace d’un conflit violent se fait jour.
29Les dirigeants de la République binationale parviennent à détendre la situation de manière inespérée, et le Soviet suprême de la République modère les décisions des deux Congrès. Il convoque une Commission tripartite composée de représentants du pouvoir républicain, du mouvement balkar et du mouvement kabarde. Bien que les discussions achoppent sur la question des frontières, la confrontation n’a pas lieu. En juillet 1994, la division territoriale de la République n’est plus à l’ordre du jour du Parlement kabardino-balkar. Un second référendum proposé la même année aux Balkars par les autorités reçoit un fort soutien en faveur de l’unité de la République binationale. Le mouvement balkar indépendantiste s’affaiblit au fur et à mesure du ralliement des députés et de l’intelligentsia balkare aux autorités républicaines23.
30Les dispositifs fédéraux (résolution gouvernementale no 374 sur « le développement socio-économique et la renaissance nationale et culturelle du peuple balkar en 1996-2000 » et le décret présidentiel no 448 « Sur la réhabilitation du peuple balkar et le soutien gouvernemental à sa renaissance et son développement ») comme les mesures prises par les autorités républicaines permettent à la majorité des réprimés de recevoir des compensations pour leurs biens spoliés, ce qui contribue à stabiliser davantage la situation. Sur 54 467 réprimés recensés en Kabardino-Balkarie, 51 663 sont réhabilités et 12 455 compensations sont versées de 1994 à 200724.
31Le mouvement balkar existe toujours, mais affaibli et divisé en plusieurs organisations, comme Tëre, Mal’kar Auazy (l’Appel Balkar, pro-gouvernement) et le Conseil des Anciens (opposition). Privé des anciens leaders, il se trouve de plus en plus soumis à l’influence des autorités de la République de Kabardino-Balkarie25. Le mouvement réclame toujours la « parité » entre Balkars et Kabardes ainsi que la refonte du maillage administratif, afin de restaurer toutes les entités administratives balkares. Alors que trois districts se disent satisfaits de leur situation actuelle, seul un « district balkar » est rétabli dans ses anciennes frontières et un autre est toujours considéré comme balkar. Mais pour le mouvement balkar, les questions relatives au statut de certaines municipalités et aux territoires expropriés, posées à la suite de l’adoption des lois républicaines de 2005 sur « la division administrative et territoriale ainsi que sur le gouvernement autonome local », priment sur tout le reste26. Comme le montrent les archives des organisations balkares, la question des réhabilitations est, à ce jour, reléguée au second plan27.
Les Ingouches
32Les Ingouches constituent le peuple pour lequel les conséquences de la déportation se font le plus durement sentir. Un conflit territorial sans fin les oppose en effet aux Ossètes du Nord. La région de la rive droite du Terek, où les Ingouches étaient majoritaires avant leur déportation, a été rattachée en 1944 à la République autonome d’Ossétie du Nord. Au retour d’exil, les autorités de la RSSA d’Ossétie du Nord refusent toute restitution de ces territoires aux Ingouches, et les empêchent de s’établir dans leurs villages d’origine. À la fin des années 1980, les Ingouches revendiquent leurs anciens territoires, principalement ceux situés dans le district de Prigorodnij en Ossétie du Nord. Pour légitimer leurs revendications, les leaders nationalistes ingouches affirment leur antériorité dans le district par le biais de « mythico-histories28 » qui entrent en confrontation avec les récits identitaires et l’autochtonéité des Ossètes du Nord sur ces mêmes territoires29. Dans le même temps, l’élite ingouche réclame une Ingouchie indépendante pour mettre fin à la discrimination ressentie par les Ingouches dans la RSSA de Tchétchéno-Ingouchie30.
33La loi sur la réhabilitation donne un nouvel élan au bouillonnant mouvement ingouche. Des milices de défense ingouches sont formées non seulement pour défendre les Ingouches du district revendiqué de Prigorodnij, mais aussi pour y « rétablir » une autorité ingouche « légale ». De leur côté, les Ossètes du Nord s’estimant menacés par ces revendications territoriales et par le conflit qui oppose la Géorgie à l’Ossétie du Sud31, forment à leur tour une milice populaire ossète. Le 4 juin 1992, la loi fédérale no 2927-1 entérine l’autonomie de l’Ingouchie et reconnaît la création de la République ingouche, sujet de la Fédération de Russie. Une Commission spéciale est chargée de définir les nouvelles frontières de la République en conformité avec la loi sur la réhabilitation des peuples réprimés. Un mois plus tard, un moratoire sur les modifications territoriales est édicté, mais les leaders ingouches le rejettent pour ne reconnaître que la précédente loi confirmant le retour du district de Prigorodnij dans la République.
34En 1992, les autorités et les milices d’Ossétie du Nord d’un côté, et les éphémères autorités ingouches à la tête de leurs diverses formations de l’autre, s’accusent mutuellement de vouloir engager un conflit et consolident leurs positions32. Entre le 30 octobre et le 6 novembre 1992, quelques incidents armés éclatent. Tandis que l’offensive ingouche sur la capitale ossète Vladikavkaz s’enlise, les milices nord ossètes, épaulées par l’armée russe, repoussent hors du district de Prigorodnij les combattants ingouches et, dans leur sillage, toute la population ingouche considérée comme une « cinquième colonne ». Cette purge ethnique est un véritable choc pour tous les Ingouches d’Ossétie du Nord. D’après les chiffres de la Procurature générale de Russie, le conflit a fait au total 583 morts, 939 blessés, 261 disparus et a entraîné la prise en otage de 1 093 personnes33. Selon les estimations, de 30 000 à 60 000 Ingouches sont contraints de quitter l’Ossétie du Nord. La plupart se regroupent dans des camps de réfugiés en Ingouchie34. Les autorités centrales déclarent l’état d’urgence dans le district de Prigorodnij et instaurent une autorité provisoire.
35Une situation conflictuelle sans issue voit alors le jour. Les autorités ingouches soutiennent non seulement le retour des déplacés mais aussi, et de manière inconditionnelle, la réintégration du district de Prigorodnij à l’Ingouchie. L’article 11 de la Constitution de la République ingouche, adoptée en février 1994, insiste sur le rattachement indispensable du « territoire illégalement détaché ». Les autorités ingouches et les membres des organisations militantes font tout pour que les déplacés restent dans les camps et ne cherchent pas à s’installer ailleurs dans la République ou en Russie. De leur coté, les autorités d’Ossétie du Nord (devenue République d’Ossétie du Nord– Alanie) et la population ossète du district de Prigorodnij bloquent toute tentative de retour des Ingouches.
36Depuis le milieu des années 1990, en dépit de nombreux obstacles, deux processus sont amorcés pour arriver à un accord. Tout d’abord, les gouvernements d’Ossétie du Nord-Alanie et d’Ingouchie acceptent de s’asseoir à une table ronde commune. Ensuite, quelques personnes ayant fui les zones de conflit regagnent progressivement le territoire contesté. Fin 2007, près de 21 000 déplacés reviennent ainsi dans le district de Prigorodnij. Ils ne retrouvent pas leurs habitations ni même leurs villages, mais se concentrent dans des enclaves à la frontière avec l’Ingouchie. De nombreux autres acceptent de s’installer dans d’autres lieux sans faire valoir leurs droits à compensation.
37Entre 2005 et 2007, un progrès sensible se fait sentir. De nouvelles loiscadres fédérales sont adoptées pour contenir les conséquences du conflit, et de nouvelles structures spéciales sont créées pour faire face aux problèmes liés aux migrations. Ainsi, ceux qui ont perdu leur logement à la suite du conflit reçoivent des aides d’un montant supérieur aux allocations versées aux victimes de la guerre en Tchétchénie. Environ 9 000 déplacés se trouvent toujours en Ingouchie, beaucoup refusent d’être dispersés et souhaitent retourner chez eux35. Cependant, les autorités d’Ossétie du Nord-Alanie sont souvent incapables d’assurer la sécurité et les droits des Ingouches. Ces derniers subissent des discriminations et des violences et il leur est toujours officiellement interdit de s’installer dans certains villages du district de Prigorodnij.
Les Karatchaïs
38Depuis le milieu des années 1990, les Karatchaïs constituent le plus grand groupe ethnique de la République de Karatchaévo-Tcherkessie ;36 d’après le recensement de 2002, ils représentent 38,5 % de la population. Lors de la Perestroïka, l’intelligentsia et la population karatchaïes s’estiment discriminées, insuffisamment représentées dans les structures gouvernementales de ce qui est alors la Région autonome de Karatchaévo-Tcherkessie. Ils pointent en particulier l’absence de moyens accordés aux37 résidents karatchaïs. Les Tcherkesses, les Russes et les Nogaïs émettent à leur tour des revendications similaires. À la fin des années 1980, l’organisation karatchaïe Džamagat (Communauté) exige la création d’une république indépendante, à l’instar d’autres groupes ethniques qui réclament la partition de la Région autonome. Ainsi, de novembre 1990 à août 1991, pas moins de sept déclarations d’autonomie sont proclamées, dont celle des Karatchaïs, des Tcherkesses et des Cosaques. La Région est finalement détachée du territoire de Stavropol sous administration duquel elle a été placée à la suite des déportations et des retours38. Face à l’impossibilité de former un nouveau gouvernement, les autorités centrales de Moscou exercent une administration directe.
39Cette situation bancale perdure plus de deux ans. En novembre 1991, le Soviet suprême de la République demande aux autorités fédérales de reconnaître la partition de la région en républiques ethniques, conformément à la loi sur la réhabilitation des peuples réprimés. Début 1992, le pouvoir fédéral s’apprête à entériner la partition de facto, mais la « nomenklatura » locale parvient à éviter l’éclatement : le référendum du 28 mars 1992 sauve l’unité de la région. La naissance de la République de Karatchaévo-Tcherkessie est ensuite officialisée, ce qui précipite le déclin du mouvement karatchaï39.
40L’élection du premier Président de la République de Karatchaévo-Tcherkessie, prévue à l’été 1999, oppose deux candidats : l’un Karatchaï, l’autre Tcherkesse. Tous deux se présentent comme des rassembleurs et se refusent à exercer un contrôle monoethnique de la petite République. Pourtant, comme la question centrale porte sur le contrôle des ressources par l’« élite ethnique » au pouvoir, chacun des candidats mobilise son électorat en évoquant les mythes du projet d’une « grande Tcherkessie » ou de « l’expansion géographique » des Karatchaïs. Influencée par ces propagandes, la population de la République frôle le conflit ethnique. Les Russes de la République, décontenancés, apparaissent divisés face à cette situation40. La guerre civile est toutefois évitée grâce aux manœuvres du centre fédéral. Finalement, le pouvoir régional passe entièrement aux mains des Karatchaïs, et les questions des conséquences de la déportation et des réparations éventuelles disparaissent complètement du champ politique.
Les Tchétchènes
41Les Tchétchènes constituent le plus grand groupe réprimé de Russie. Tous les processus liés à leur réhabilitation ont été bloqués par la déclaration d’indépendance de 1991, et par les guerres de 1994-1996 et 1999-2009. Les Russes ne contrôlant plus la Tchétchénie, la question de leur réhabilitation est abandonnée. Toutefois, malgré l’état de guerre, certains citoyens sont réhabilités à titre individuel. Ainsi, entre 1994 et la mi-1997, 14 951 Tchétchènes obtiennent leur réhabilitation, sur 17 803 demandes déposées41. Les autorités de Tchétchénie-Itchkérie, qui font ériger un monument à la mémoire des victimes de la déportation, ne versent aucune compensation, ni ne légifèrent sur leur cas. Pourtant, dès le début des années 1990, les partisans de l’indépendance de la Tchétchénie et les autorités autoproclamées de la République tchétchène d’Itchkérie se réfèrent régulièrement aux déportations de 1944. Le 27 novembre 1990, le Congrès tchétchène adopte la Déclaration de souveraineté de la Tchétchénie-Ingouchie, qui qualifie de « génocide » les événements des années 1944-1957. La déportation est donc brandie comme une confirmation de la menace génocidaire, qui justifie leur politique sécessionniste.
42Cette interprétation ne fait toutefois plus l’unanimité depuis le déclenchement du second conflit en 1999. Les séparatistes comme les pro-Russes font certes du 23 février, premier jour de la déportation, un jour de deuil national, mais les premiers considèrent la déportation non comme un acte isolé, mais comme l’un des épisodes de la lutte multiséculaire qui oppose les Tchétchènes à « l’impérialisme russe ». De son côté, le gouvernement tchétchène pro-russe ne s’empare véritablement de ce sujet et de celui des compensations qu’en 2008. En février de cette année, le Conseil de la République, Chambre haute du Parlement tchétchène, étudie l’entrée en vigueur de la loi sur la réhabilitation des victimes des répressions politiques. Les députés invitent le président de Tchétchénie à demander au gouvernement fédéral de simplifier la procédure de réhabilitation et de réclamer des fonds additionnels destinés à payer des compensations financières aux anciens déportés42.
Les Tchétchènes Akkins43
43Les Tchétchènes Akkins ont été déportés de l’ouest du Daghestan en même temps que les Tchétchènes de Tchétchénie. Le district d’Auh, créé fin 1943 pour rassembler les bourgs tchétchènes, voit ses frontières modifiées après la déportation. Renommé district de Novolak, il est repeuplé de Laks et de quelques Avars. Après 1957, les Akkins se voient refuser le droit de regagner leurs villages. Si certains y parviennent grâce à des permissions spéciales, dites « admissions organisées », d’autres y retournent illégalement, mais sont privés de propiska et poursuivis44. À la fin des années 1980, un mouvement tchétchène akkin est créé ; ses dirigeants exigent non seulement la levée de toute restriction au retour, mais aussi le rétablissement du district d’Auh, considéré par les leaders akkins comme une sorte de territoire autonome tchétchène au Daghestan. Les autorités locales et les mouvements des autres peuples du Daghestan s’élèvent contre ces revendications. Pourtant, en 1989 et 1990, des Commissions gouvernementales et parlementaires daghestanaises prennent ces demandes en considération. En juillet 1991, lors du IIIe Congrès des députés du peuple de la République, il est décidé de rétablir le district d’Auh, sans que lui soient rétrocédés les territoires passés sous administration du district voisin de Kazbek. En 1995, 5 760 familles de Tchétchènes Akkins reçoivent une compensation financière et, de 1992 à 2000, 33 maisons de Hasavûrt sont rendues à leurs anciens propriétaires45. Parallèlement, il est décidé de déplacer les Laks du district d’Auh vers d’autres régions du Daghestan46. Toutefois, leur relocalisation est empêchée par des problèmes de financement et par les protestations des Koumyks qui doivent les accueillir. De fait, le village d’Auh et bien d’autres ne sont pas entièrement rétablis.
44Les territoires attribués au district de Kazbek, repeuplés d’Avars, deviennent à leur tour des foyers de tensions. Les habitants de ces régions s’élèvent contre l’éventualité d’un retour des villages appartenant autrefois au district d’Auh et refusent de les quitter. Les leaders tchétchènes, qui ont regagné les terres de leurs parents, les revendiquent également47. À partir de 1991, des spoliations de terres et des rixes entre jeunes se transforment en de graves heurts ; celui d’août 2007 est particulièrement violent48.
Les Turcs Meskhètes
45En 1989, à la suite d’affrontements interethniques en Ouzbékistan, un grand nombre de Turcs Meskhètes fuient en Russie. Nombre d’entre eux s’établissent sur le territoire de Krasnodar. Confrontés au refus des autorités de leur délivrer une propiska, ils se trouvent de fait privés de la majorité de leurs droits civiques, politiques et sociaux et ne sont pas considérés comme des citoyens russes, en dépit de la loi fédérale de 1991 sur la citoyenneté. Les autorités du territoire de Krasnodar, soutenues par le pouvoir fédéral, cherchent à les refouler hors de la région et de Russie et rendent insupportables leurs conditions de vie49. Leur soi-disant « présence illégale » ou « incompatibilité culturelle » avec la population locale servent de prétexte aux autorités pour justifier cette politique de discriminations et d’éloignement. Les pouvoirs régionaux comme fédéral n’hésitent pas à se référer à leur déportation de 1944, considérant les Turcs de Géorgie comme une population en transit vers leur patrie géorgienne et qui, par conséquent, ne relèvent pas de la responsabilité de la Russie. Telle est la position de la Commission interministérielle sur le problème des Turcs Meskhètes en activité de 1994 à 200250. Par ailleurs, l’organisation turque meskhète Vatan dessert la défense des droits des Turcs résidant en Russie, en faisant du retour en Meskhétie, donc en Géorgie, son objectif principal.
Les réhabilitations dans la sphère publique
46En Russie, le thème des réhabilitations a été abondamment traité dans diverses publications. Les autorités centrales n’ont jamais tourné le dos à la reconnaissance des déportations ni à la gestion des réhabilitations. Il n’y a eu aucune négation (umolčanie), mais un affaiblissement progressif de l’intérêt porté, surtout dans les années 2000. De même, dans les Républiques où les peuples réprimés sont reconnus comme les « nations titulaires », les mémoires des déportations ont été entièrement intégrées aux discours officiels sur le passé (commémorations, monument mémoriels, musées ou expositions...). Dans l’ensemble, les textes officiels, y compris ceux qui adoptent une posture radicale, s’apparentent à ce que nous désignons par l’expression : la « formulation du XXe Congrès ». Ces textes postulent en l’occurrence que les déportations sont le résultat d’une anomalie politique et historique, mais que les conséquences de cette déviation sont désormais maîtrisées.
47De manière générale, les organisations ethniques et leurs sympathisants issus de l’élite intellectuelle n’abordent pas ces sujets sous l’angle de la faute, ni n’en rejettent la responsabilité sur les gouvernements soviétique ou russe. On retrouve dans leur approche la « formulation du XXe Congrès » sous une forme légèrement différente : « malgré la tragédie qui a découlé de cette déviation de la ligne politique, notre peuple s’en est sorti dignement. » Parfois, certains accusent les peuples voisins de conspiration contre eux : ainsi des idéologues karatchaïs ou balkars, qui considèrent que les dirigeants tcherkesses et kabardes de l’époque ont joué un rôle majeur dans leur déportation, ou les Ingouches qui soupçonnent les autorités ossètes d’avoir exercé un lobby hostile auprès des hiérarques du Kremlin51.
48Il est intéressant de noter que la majorité des universitaires travaillant sur ces questions sont liés aux régions d’origine des déportés, voire sont des descendants de ces derniers. De plus, la majorité de leurs écrits porte sur les conflits territoriaux apparus après la loi de réhabilitation. Dans l’enseignement, les cours d’histoire sont de plus en plus soumis aux diktats du gouvernement, qui tend à imposer une image positive de la Russie et de son histoire. La place des déportations s’en trouve minimisée dans les manuels scolaires, voire est même passée sous silence.
49Dans les médias, le consensus qui a existé dans les années 1990 autour du thème des déportations commence à se déliter après l’explosion des premiers conflits dits ethniques. Certains analystes considèrent d’ailleurs que la loi sur les réhabilitations a constitué une source de déstabilisation pour la Russie. La couverture médiatique des tensions opposant des Tatars de Crimée aux Russes de la péninsule de Crimée et, bien sûr, des conflits en Tchétchénie, ont influencé l’opinion publique. Tatars et Tchétchènes ont été décrite comme des populations historiquement hostiles à la Russie. Par ricochet, une nouvelle lecture des déportations, présentées comme une nécessité dictée par le contexte de l’époque, s’est imposée52. Dans les années 2000, les médias et les ouvrages dits sérieux se mettent à leur tour à justifier les déportations. Elles sont dès lors définies comme un acte préventif ou comme des représailles, visant principalement à consolider les arrières d’un pays en guerre53. Certains vont même jusqu’à avancer l’idée que les déportations ont épargné aux « collaborateurs » ce qui ce aurait pu être un génocide54 ; dans cette perspective, elles sont décrites comme un geste humanitaire
Pouvoir, société civile et déportation
50Si l’on peut adopter différentes perspectives pour analyser la façon dont la politique russe a traité l’héritage des déportations, l’absence de repères objectifs rend toutefois la question très complexe. Comment évaluer les dimensions légales de la politique russe en l’absence de normes du droit international applicables à cette situation ? Peut-on utiliser des catégories sujettes à caution comme « la justice historique » ou suivre des interprétations généralisées, mais erronées, « du droit de succession » d’un État ?
51Le gouvernement russe en a-t-il fait trop ou pas assez pour les peuples réprimés ? Il a en effet reconnu la question des réhabilitations, et n’a jamais fui ses responsabilités, n’a pas nié les déportations, ni révisé les jugements émis au début des années 1990. Les réhabilitations ont, certes, un caractère essentiellement symbolique mais, avec l’édification d’une base juridique et le versement effectif de subsides, peuvent-elles pour autant être réduites à de simples gesticulations ?
52Ces financements n’ont pas répondu aux attentes des anciens déportés, mais il faut noter qu’ils ont été octroyés alors que la Fédération de Russie traversait une période de profonde crise économique dans les années 1990. Certes, les pouvoirs centraux et régionaux ont tenté de manipuler les organisations de déportés, n’ont pas cherché à tenir à tout prix leurs promesses, et en particulier n’ont procédé à aucune modification notable des frontières. Mais ce comportement n’est pas exclusif à la seule Russie.
53On constate également que les autorités n’ont pas suivi à la lettre les textes adoptés, que certaines décisions ont été prises en contradiction les unes avec les autres, et que l’attention portée à la question des réhabilitations a été inversement proportionnelle aux disponibilités financières de l’État... Pour comprendre ce décalage, nous nous proposons de distinguer entre politique symbolique et politique instrumentale, qui relève de « l’hypocrisie organisationnelle ». Loin d’être un bloc monolithique, l’État est composé de différentes structures aux intérêts divergents et objectifs différents. Le discours public tenu au plus haut niveau diffère de sa mise en pratique localement. Dans sa recherche de soutien des élites régionales ou ethniques, le pouvoir central a multiplié des déclarations sur les « réhabilitations ». La mise en œuvre de sa politique générale, quant à elle, a été confiée à un département spécialisé qui en a précisé le contenu et a alloué les moyens nécessaires à l’atteinte des objectifs fixés. Mais, pour des raisons budgétaires ou pour contenir les violences, d’autres départements ont pris des positions qui se sont révélées être en contradiction avec la politique de « réhabilitation ».
54Il est également nécessaire de prendre en compte le fait que, dans les années 1990, le gouvernement de la Russie se caractérisait par un certain « polycentrisme ». Dans un système sans véritable séparation des pouvoirs ni répartition rationnelle des fonctions entre institutions, plusieurs corporations étatiques et indépendantes concurrentes coexistent55. Dès lors, il convient de s’intéresser davantage aux diverses composantes de la politique de « réhabilitation », et à la perception qu’en ont développé les différents « acteurs ».
55Le thème des « peuples réprimés » se trouve à la frontière entre deux domaines : les répressions de l’ère soviétique et la « politique nationale » ; ce deuxième terme renvoie à l’organisation de la diversité ethnique par les pouvoirs publics. On observe depuis la fin des années 1980 une évolution, voire un changement de perspective, dans l’approche des problèmes liés aux peuples déportés. Au début des années 1990, l’héritage soviétique est envisagé comme un modèle positif devant répondre aux attentes des élites et de l’opinion publique, enclines à une lecture idéalisée de la politique soviétique. Cette propension à l’idéalisation s’exprime de trois manières : par l’éviction de tout débat public sur ces thèmes « dérangeants » qui mettent à mal un passé idéalisé, par leur passage sous silence, ou encore par la diffusion d’une nouvelle interprétation56. Aujourd’hui, le thème des répressions n’est plus tabou et les tentatives de révision de l’approche adoptée à la fin des années 1980 et au début des années 1990 restent anecdotiques, malgré l’influence qu’elles ont pu avoir. La « formulation du XXe Congrès » continue à prévaloir, faisant des répressions une anomalie de la politique soviétique, qui ne se comprend que remise dans son contexte, ponctué de victoires et de difficultés. En somme, cette vision rappelle que les déportations ne résultent pas de la mise en œuvre d’une volonté simpliste et linéaire.
56La « politique nationale » de l’URSS, comme de la Russie actuelle, impose quant à elle une taxonomie symbolique des groupes ethniques. Les Russes, communauté ethnique la plus importante, constituent réellement ou symboliquement la base de la Fédération de Russie. Si certaines communautés ethniques sont perçues comme des « nations » possédant leur propre territoire autonome ou leur République, beaucoup n’ont pas cette chance : seuls les peuples considérés comme « autochtones » ou « vivant depuis toujours » sur un territoire peuvent y prétendre. Les autres communautés, si elles ne sont pas issues de migrations récentes, sont considérées comme des minorités et peuvent prétendre au plus à une autonomie culturelle.
57Pourtant, les expressions telles que structure étatique « ethnique » ou autonomie territoriale « ethnique » n’ont guère de signification du point de vue juridique : la législation est muette quant à la notion de « l’appartenance ethnique » des territoires57. Les structures étatiques « ethniques » mises en place par la Fédération de Russie ne peuvent servir à toutes les républiques de support politique standard pour accorder aux communautés ethniques « titulaires » des droits, des devoirs ou encore un accès privilégié aux ressources. La reconnaissance officielle d’énoncés tels que « structure étatique ethnique » ou « autonomie culturelle » doit être comprise comme une pure « production symbolique58 ». Malgré son utilité contestable, cette organisation symbolique de la diversité ethnique, fondée sur la reconnaissance des « territoires ethniques », est une réalité qui s’impose. Elle est une valeur partagée et défendue aussi bien par l’État que par les citoyens.
58Tous les conflits, tous les débats liés à la « réhabilitation des peuples » tournent d’abord autour de la question de l’« appropriation » symbolique des territoires et de leur mode de gouvernance. L’éventail des revendications comprend l’obtention du contrôle d’une république binationale comme en Karatchaévo-Tcherkessie, la mise en place d’un système de gouvernement paritaire comme en Kabardino-Balkarie, le déplacement des frontières administratives, à l’exemple de la Kabardino-Balkarie, du Daghestan et de l’Ingouchie, voire même le rétablissement entier d’une autonomie, comme l’illustre le cas des Allemands de la Volga. Il est ainsi frappant de constater l’absence de mouvements massifs, de réclamations ou, plus encore, de conflits là où les revendications territoriales ont été inexistantes ou n’ont pas reçu de soutien ou un soutien trop faible.
59En contrepartie de cette attention portée à la territorialisation des groupes ethniques et au « droit des peuples », le pouvoir central et les idéologues des mouvements des « peuples réprimés » affichent un réel mépris envers les intérêts et les droits des individus. L’intérêt des dirigeants des mouvements de déportés pour leur participation symbolique au pouvoir s’est souvent fait aux dépens des causes générales qu’ils prétendaient défendre. Cette situation a laissé le champ libre à l’État, qui a non seulement manipulé les militants de ces mouvements, mais s’est également soustrait de ses obligations de financement et d’intervention. L’État et les leaders des groupes ethniques ont ainsi réussi un véritable tour de passepasse : délaissant les intérêts et les droits des individus, ils débattent plus volontiers des questions non contraignantes relatives à la « préservation de l’identité (samobytnost’) » ou au « développement national et culturel ». Experts et médias ont validé cette approche générale en les reproduisant et les publiant.
Conclusion
60Qui sont les gagnants et les perdants de cette politique de réhabilitation, en termes d’accès à de nouvelles ressources et de pertes, incluant les pertes humaines ? Les dirigeants des républiques sont, sans aucun doute, « gagnants », car ils ont obtenu des moyens conséquents et possèdent un levier de négociations politiques avec Moscou et leurs voisins. Le pouvoir central, largement gagnant aussi, a su éviter la répétition d’explosions de violence. De même, certains leaders d’organisations de réprimés peuvent être considérés comme gagnants, car leur engagement leur a permis d’accéder au pouvoir ou, à tout le moins, de devenir des figures politiques ou des acteurs de la mise en œuvre des projets d’aide aux anciens déportés. Enfin, les réprimés et leurs descendants sont aussi à ranger dans cette catégorie, dans la mesure où ces politiques leur ont été bénéfiques : elles ont permis de limiter le nombre de conflits ethniques et ont abouti au versement de compensations. En outre, certains ont symboliquement joué de leur image de victimes et capitalisé sur ce statut, ce qui leur a ouvert les portes de l’émigration en Allemagne, en Finlande ou en Turquie.
61Qui sont alors les perdants ? Pour répondre à cette question, il convient de laisser de côté le cas de la Tchétchénie. En effet, non seulement l’héritage de la déportation a joué un rôle mineur dans le déclenchement de la guerre, mais surtout, les hostilités armées entamées en 1994 ont clos tout débat sur la réhabilitation. Dès lors, on peut considérer que les perdants sont ceux qui ont pris la loi sur la réhabilitation à la lettre, l’envisageant comme un retour possible un demi-siècle en arrière, ou en un mot, ceux qui ont tenté de sortir du cadre des actions « symboliques ». Les demandes de « réhabilitation territoriale » ont ainsi coûté un conflit à la population ingouche, alors que, par un concours de circonstances, les Karatchaïs et les Balkars ont échappé à une situation similaire. L’horizon des Tchétchènes Akkins semble quant à lui toujours bouché59. Ont aussi « perdu » ceux qui se sont vu imposer par l’État l’idée concrète de territoire « traditionnel » et « ethnique ». Ainsi, les autorités justifient l’expulsion des Turcs Meskhètes de Russie vers la Géorgie au motif de leur appartenance à leur « patrie historique » géorgienne.
62La politique russe concernant l’héritage des déportations et la gestion des nationalités peut être qualifiée de succès complet. Dans les deux cas, les productions symboliques liées à la multiethnicité ou au « multi-nationalisme60 » russe se fondent sur un consensus entre dirigeants et dirigés. L’« hypocrisie organisationnelle » semble satisfaire tout le monde : l’organisation symbolique de la diversité ethnique établie sur la base d’un lien entre ethnie et territoire apparaît suffisamment importante pour que toute lecture déviante entraîne une mobilisation politique. La nature symbolique des objectifs visés, tels l’autonomie territoriale ou le développement culturel, laisse une telle marge de manœuvre aux autorités, que ces dernières peuvent décider d’appliquer ou de rejeter purement et simplement leurs obligations. Ce comportement renvoie à la distinction faite plus haut entre politiques symbolique et instrumentale, mais également au consentement tacite qui existe au sein de la société. En parallèle, les revendications sont géographiquement circonscrites. L’héritage soviétique est en effet morcelé en revendications territoriales exprimées localement : il n’y a en Russie aucun mouvement uni des peuples déportés. La Conférence des peuples déportés fondée en 1990 a disparu deux ans plus tard sans laisser de trace, une fois ses dirigeants intégrés dans les administrations gouvernementales. Enfin, la menace de conflits apparaît comme un instrument de manipulation pour, en cas de besoin, neutraliser ou mettre fin à toute revendication.
63Au final, ce mode de gestion symbolique du passé, qui évite de verser dans la thématique du « rétablissement de la justice », a profité à toute la société russe. En effet, alors que plusieurs conflits auraient pu éclater si le gouvernement russe avait choisi de redessiner les frontières à la faveur des revendications des uns et des autres, la Russie n’a connu qu’un seul conflit violent lié aux « réhabilitations des peuples réprimés », celui opposant les Ingouches aux Ossètes du Nord. D’une manière plus générale, les débats qui ont animé les autres sociétés autour des notions de « faute collective » ou de « responsabilité historique », que ce soit dans un contexte de décolonisation ou dans celui plus spécifique des Palestiniens, ne se distinguent que peu de ce que l’on observe en Russie. Mais, l’expérience russe, aussi peu éclatante soit-elle, rappelle que dans le domaine des « droits de l’homme » et de la « justice historique », peu de progrès sont à espérer. S’il est vrai que l’on ne peut faire table rase du passé, ne serait-ce que symboliquement, toute politique ne peut trouver de réelles perspectives que tournée vers l’avenir.
Notes de bas de page
1 Texte russe traduit par Sophie Tournon qui tient à remercier chaleureusement Aurélie Campana, Grégory Dufaud et Stéphane Lefebvre pour leurs relectures attentives.
2 Bourdieu P., Distinction : A Social Critique of the Judgment of Taste. Trad. de Richard Nice, Cambridge, Mass. Harvard University Press, 1984 (éd. originale : La Distinction : critique sociale du jugement, Paris, Minuit, 1979).
3 Luhmann N., Funktion und Folgen formaller Organisationen, Berlin, Duncker und Humbolt, 1995.
4 Brunsson N., The Organization of Hypocrisy. Talk, Decisions and Actions in Organizations, Chichester, N. Y., John Wiley & Sons, 1989.
5 Bugaj N. F., L. Beriâ – I. Stalinu : « Soglasno Vašemu ukazaniû... », Moscou, AIRO-XX, 1995 ; Polân P., Ne po svoej vole... Istoriâ i geografiâ prinuditel’nyh migracij v SSSR, Moscou, OGI, Memorial, 2001 ; Tkačenko A. A., « Istoriâ deportacii narodov Rossii », Rossijskij demografičeskij žurnal no 1, 2002, p. 58-65.
6 Voir notamment le fameux article de Lacis O., « Počemu SSSR ne dožil do svoego 70-letiâ ? », Izvestiâ, 9 décembre 1992.
7 Szporluk R. (ed.), National Identity and Ethnicity in Russia and the New States of Eurasia, Armonk, N. Y., M. E. Sharpe, 1994 ; Tishkov V., Ethnicity, Nationalism and Conflict in and after the Soviet Union. The Mind Aflame, Londres, Sage Publications, Oslo, International Peace Research Institute, United Nations Research Institute for Social Development, 1997.
8 Golyšev V., « Istoriâ odnoj sdelki. Skromnoe obaânie zakona “O reabilitacii repressirovannyh narodov” », Russkij žurnal, 26 janvier 2005 ; Dzidzoev V. D., Kavkaz konca x x veka : tendencii ètnologičeskogo razvitiâ : Istoriko-politologičeskoe issledovanie, Vladikavkaz, Izdatel’stvo Severo-Osetinskogo naučnogo centra, 2000.
9 Sakwa R., Russian Politics and Society, 2nd edition, London, Routledge, 2002, p. 156-157.
10 Kryštanovskaâ O., Anatomiâ rossijskoj èlity, Moscou, Zaharov, 2005, p. 228-233 ; Sakwa R., op. cit., p. 166-169.
11 Golyšev V., op. cit.; Dzidzoev V. D., op. cit., p. 198-207, www.consultant.ru
12 Polân P., op. cit., 2001, p. 182.
13 Sakwa R., op. cit., p. 116-172, p. 210-228.
14 Bitûckij V. I., Reabilitaciâ, vozmešenie ušerba i predostavlenie l’got žertvam političeskih repressij, Moscou, Fond « Narodnaâ Assambleâ », 2003, p. 23.
15 Gonov A. M. et Bugaj N. F., Severnyj Kavkaz : novye orientiry nacional’noj politiki (90-e g. XX v) Moscou, Novij Hronograf, 2004, p. 175 ; Bugaj N. F. et Mihailov V. A. (red.), Reabilitaciâ narodov Rossii : sbornik dokumentov, Moscou, INSAN, 2000.
16 Malakhov V. et Osipov A., « The Category of Minorities in the Russian Federation : a Reflection on Uses and Misuses », Spiliopoulou Åkermark S. (ed.), International Obligations and National Debates : Minorities around the Baltic Sea, Mariehamn, Åland Islands Peace Institute, 2006, p. 527-528.
17 Akkieva S., Razvitie ètnopolitičeskoj situacii v Kabardino-Balkarskoj Respublike (postsovetskij period), Moscou, IEA RAN CIMO, 2002, p. 269-271.
18 Ibid. p. 78.
19 Ibid. p. 270-279 et Akkieva S., « Lozung nacional’nogo samoopredeleniâ i političeskaâ bor’ba v Kabardino-Balkarii. 1989-1996 », Pravo narodov na samoopredelenie : ideâ i voplošenie, Moscou, Zven’â, 1997, p. 133-135.
20 Akkieva S., Razvitie ètnopolitičeskoj situacii v Kabardino-Balkarskoj Respublike, op. cit., p. 277-278.
21 Akkieva S., « Lozung nacional’nogo samoopredeleniâ i političeskaâ bor’ba v Kabardino-Balkarii. 1989-1996 », op. cit., p. 134-135.
22 Akkieva S., Razvitie ètnopolitičeskoj situacii v Kabardino-Balkarskoj Respublike (postsovetskij period), op. cit., p. 279-281.
23 Ibid. p. 281-285.
24 Orazaeva L. V., « V Kabardino-Balkarii obsudili problemu vyplat kompensacij žertvam repressij », Kavkazskij Uzel. Novosti, 14 décembre 2007.
25 Červonnaâ S., « Tûrkskij mir Severnogo Kavkaza : ètničeskie vyzovy i tupiki federal’noj politiki », Kazanskij Federalist, no 1, 2002.
26 « On the Implementation of the Framework Convention for the Protection of National Minorities by the Russian Federation », ONG Shadow Report, février 2006, http://www.hro.org/actions/nazi/2006/11/FCNM%20-%20Russian%20NGO%20report-eng.doc, page consultée le 1er avril 2008.
27 Voir le portail d’informations balkares : http://www.balkaria.info/public/index.html
28 Malkki L., Purity and Exile : Violence, Memory, and National Cosmology among Hutu Refugees in Tanzania, Chicago, University of Chicago Press, 1995.
29 Cuciev A., Osetino-ingušskij konflikt (1992-...). Ego predystoriâ i faktory razvitiâ, Moscou, ROSSPÈN, 1998, p. 83-95.
30 Dzidzoev V. D., op. cit.
31 Cuciev A., op. cit., p. 91.
32 Ibid., p. 143-163.
33 Centre « Memorial », « Osetino-ingušskij konflikt 1992 g. : istoki i razvitie (po maj 2005 goda) », mai-juin 2005, http://kavkaz-uzel.ru/analyticstext/analytics/id/860361.html
34 Ibid.
35 Informations provenant du Service fédéral des migrations de la Russie et présentées au Centre de défense des droits de l’Homme Memorial, copie disponible chez l’auteur.
36 Vserossijskaâ perepis’naseleniâ 2002 goda. « Naselenie po nacional’nosti i vladeniû russkim âzykom po sub’’ektam Rossijskoj Federacii », 2002, http://www.perepis2002.ru/ct/doc/TOM_04_03.xls
37 Avant 1991, ce territoire avait le statut de région autonome, intégrée au sein du territoire de Stavropol.
38 Botašev, M. D., « Ètničeskij konflikt v Karačaevo-Čerkesskoj Respublike : ot istokov do naših dnej », Central Asia and the Caucasus, no 6 (12), 2000, p. 144-146.
39 Ibid.
40 Orlov O. P, Čerkasov A. V., Zamâtin M. A., « Situaciâ v Karačaevo-Čerkesii posle vyborov », mai 1999, http://www.memo.ru/hr/news/karach3.htm
41 Bugaj N. F., Rossijskie korejcy : novyj povorot istorii : 90-e gody. Moscou, Russkoe Slovo, 2000, p. 92-93.
42 Džabrailova, I., « Čečenskie parlamentarii obsudili temu reabilitacii žertv političeskih repressij », Groznyj Inform, 16 février 2008.
43 Les Tchétchènes Akkins sont considérés soit comme un groupe ethnique rattaché aux Tchétchènes, soit comme une communauté vaïnakh à part. Leur nombre est actuellement estimé à 65 000 (est. basse) ou 90 000 (est. haute). Voir : Markedonov S., « Dagestan : preodelenie “Maloj Ičkerii” », 30.08.2007, Politcom, http://www.politcom.ru/print.php?id=5016.(NDLT)
44 Kul’čik Û. G., Adilsultanov A. A., Čečency-akkincy i ih graždanskie formirovaniâ, Moscou, IGPI, 1993, http://www.igpi.ru/bibl/igpi_publ/dag_akk/chechen.html
45 Markedonov S., « Dagestanskaâ Ičkeriâ », APN. ru, 17 juin 2005, http://www.apn.ru/publications/article1440.htm
46 Muzaev T., Dagestan : Vlast’, Narody, konflikty. Moscou, Panorama, 1999, http://old.polit.ru/documents/108725.html
47 Muzaev T., op. cit.
48 D’après les informations d’O. Orlov et de S. Gannuškina, membres du Conseil du Centre Memorial, février 2008.
49 Osipov A. G., Russian Experience of Ethnic Discrimination : Meskhetians in Krasnodar Region, Moscou, Zven’â, 2000.
50 Osipov A. G., « Falling Between the Cracks : The Legal Status of the Meskhetian Turks in the Russian Federation », Trier T. et Khanzhin A. (ed.), The Meskhetian Turks at a Crossroads. Integration, Repatriation or Resettlement ? Münster-Hamburg-Berlin-Wien-London-Zürich, LIT Verlag, 2007, p. 467-469.
51 Patiev Â., Inguši : deportaciâ, vozvrašenie, reabilitaciâ, 1994-2004. Dokumenty, materialy, Komentarii. Magas, Serdalo, 2004.
52 Pyhalov I., « Deportaciâ krymskih tatar », Specnaz Rossii no 3 (66), mars 2002.
53 Grodnenskij N., Pervaâ čečenskaâ. Istoriâ vooružennogo konflikta, Moscou, FUAinform, 2007.
54 Kara-murza S., « Ponât’prošloe, čtoby ne poterât’budušee, » Rossijskaâ federaciâ segodnâ, no 12, 2007, http://www.russia-today.ru/2007/no_12/12_live&remember.htm
55 Kryštanovskaâ O., Anatomiâ rossijskoj èlity, Moscou, Zaharov, 2005, p. 230-233.
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60 Barry B., Culture and Equality. An Egalitarian Critique of Multiculturalism, Cambridge, Harvard University Press, 2001, p. 314.
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