Le retour des Karatchaïs et Balkars : entre mobilisations et stéréotypes1
p. 117-132
Texte intégral
1Dolinskoe, banlieue verte de Naltchik. De part et d’autre d’un récent édifice, deux dates aux chiffres imposants se distinguent de loin : 8 mars 1944/28 mars 1957. Le mémorial de la déportation du peuple balkar attire inévitablement l’attention. Passée la porte d’entrée, un escalier de quatorze marches figure les quatorze années de déportation. À gauche, une énorme photographie murale intitulée « Mars 1944 » représente le convoi en route vers l’Asie centrale. Dessous, un extrait de la note du NKVD du 17 mars 1944 livre un état des lieux – satisfaisant – du déroulement du convoi. À droite, une photo datée de 1957 montre un important groupe de personnes dont beaucoup d’enfants. Sous la photo figure la mention du décret du 9 janvier 1957 « Sur la transformation de la république soviétique socialiste autonome (RSSA) de Kabarda en RSSA de Kabardino-Balkarie ». Dans le bâtiment en forme de coupole qui culmine en puits de lumière, la narration s’expose : photos, cartes, documents d’archives.
2L’ouverture de ce mémorial en 2002, après bien des vicissitudes, montre à quel point la mémoire de la déportation et son inscription dans le récit identitaire national balkar se posent toujours avec acuité. Comment ces deux peuples, karatchaï et balkar, appartenant à la même famille turcophone kiptchak2, ont-ils géré, intégré, « métabolisé » l’héritage de la déportation dont ils furent frappés respectivement en 1943 et 1944, pour ne rentrer que quelques années après la mort de Staline ? L’expérience de la déportation, les difficultés rencontrées lors du retour et la prégnance du stigmate de la déportation ont-elles eu des conséquences spécifiques sur la vie politique et sociale dans les territoires bi-titulaires de Kabardino-Balkarie et de Karatchaiévo-Tcherkessie dans les années qui ont suivi le retour ?
3Le poids de l’accusation de collaboration massive avec l’ennemi nazi véhiculée par le discours officiel soviétique, conjugué à la disparition de la mention des peuples déportés de tous les textes officiels et des encyclopédies – « il était plus facile à cette époque de trouver une puce qu’un Balkar dans une encyclopédie », a dit le poète balkar Kaisyn Kuliev –, et à l’impossibilité de développer sa langue et sa culture, posent comme enjeu primordial pour les élites nationales balkare et karatchaïe la lutte pour l’effacement du stigmate et le recouvrement de toute une gamme de droits confisqués : droits territoriaux, mémoriels, politiques. En outre, la spécificité des cas balkar et karatchaï tient précisément au fait que chacun de ces peuples cohabite dans un même territoire avec un peuple circassien, respectivement les Kabardes et les Tcherkesses. La position des Balkars, minoritaires sur le plan démographique face aux Kabardes (11 % de la population en 1939, et 8,1 % en 1959 après le retour), joue dans la perception d’une réhabilitation inachevée. Symétriquement, le fait que les Karatchaïs soient nettement plus nombreux que les Tcherkesses dans le territoire qu’ils partagent (région puis, à partir de 1991, République de Karatchaiévo-Tcherkessie), confirme « en creux » l’acuité variable du discours sur la déportation et ses conséquences en fonction des enjeux.
4Il n’en reste pas moins que, concernant l’autorisation au retour ou la réintégration dans la vie politique et économique, les trajectoires de ces deux peuples sont émaillées de mobilisations dont la persistance rappelle l’existence réelle de modes de transaction entre le pouvoir central et les antennes locales du Parti communiste, bien avant l’effervescence de la Perestroïka. Ces itinéraires montrent également la singularité des choix opérés et mettent en lumière la différence des trajectoires, travaillées par des stratégies d’acteurs qui ne font pas forcément la place à une solidarité turcophone balkare-karatchaïe.
Se mobiliser pour le droit au retour : des trajectoires disjointes
5Déportés au Kazakhstan et en Kirghizie, Karatchaïs et Balkars ne font pas partie de la même vague d’autorisations à rentrer sur leurs terres. Les traitements différents de ces deux peuples approfondissent la dissociation des trajectoires et compliquent, voire empêchent l’organisation coordonnée d’une mobilisation commune. C’est donc de façon séparée que des porte-parole émergent.
1956, mobilisations et dialogue
6La période qui suit le XXe Congrès est particulièrement riche en mobilisations3. Les élites nationales balkare et karatchaïe s’appuient, comme les autres peuples déportés, sur les principes léninistes pour construire les argumentaires visant à fonder la légitimité des revendications et à obtenir certains droits. Tandis que des représentants karatchaïs adressent leurs doléances à Moscou dès novembre 19554, des sollicitations sont adressées par les Balkars aux autorités kabardes, dans l’espoir de s’assurer un soutien, voire un relais, auprès de Moscou.
7Karatchaïs, Tchétchènes et Ingouches sont d’abord exclus des libérations qui touchent les autres peuples réprimés. En mai 1956, six Karatchaïs, membres du PCUS, écrivent à Khrouchtchev pour faire part du « travail politique de masse » qu’ils ont mené dans la région de Frounze (capitale kirghize à l’époque) autour des questions soulevées par le XXe Congrès5. Leur lettre se fait l’écho des doléances exprimées lors de ces réunions : sentiment de profonde injustice et d’humiliation quant aux restrictions dans les déplacements ; épidémies et taux de mortalité importants durant les premières années de déportation. Les signataires insistent sur le préjudice moral d’être collectivement perçus comme un peuple traître et bandit. Ils mentionnent « le fait que les gens se réfugient dans les valeurs réactionnaires du passé, dans la bigoterie et le fanatisme religieux ». La lettre se conclut par une demande de restauration de la région autonome karatchaïe, présentée comme seul moyen de résoudre les problèmes « selon les justes préceptes de Lénine sur la question nationale ». Une délégation obtient une première rencontre avec des officiels le 2 juin 1956 à Moscou, puis est reçue par Khrouchtchev lui-même le 4 juillet6. À l’été 1956, une délégation balkare composée de membres du Parti est, quant à elle, reçue par Léonid Brejnev, alors proche de Khrouchtchev et en charge de l’industrie lourde et du programme spatial.
8Bien que les restrictions imposées aux Karatchaïs, Tchétchènes et Ingouches soient levées le 16 juillet 1956, ces derniers restent interdits de retour dans leur république. Le décret du 24 novembre 1956 ouvre alors une étape nouvelle dans la mobilisation : le retour devient officiellement envisageable et son horizon suscite l’organisation de réunions dans différents lieux de déportation. En décembre 1956, par exemple, une réunion de 105 Karatchaïs a lieu au kolkhoze Karl-Marx dans le district Staline de la région de Frounze. Les préoccupations exprimées abordent les questions brûlantes de la cohabitation entre Karatchaïs et Tcherkesses, de la restitution aux Karatchaïs de leurs anciennes maisons ou de l’aide apportée par l’État pour le retour. Cette effervescence témoigne de la façon dont la libéralisation politique insufflée par le XXe Congrès donne une visibilité aux représentants sélectionnés parmi les colons spéciaux durant les années de déportation, qui, de fait, vont constituer les segments d’une nouvelle élite locale.
9Dans l’ensemble, les doléances des Karatchaïs et des Balkars recoupent celles des autres peuples déportés. Parallèlement aux mobilisations en direction de Moscou, une partie des interpellations s’adressent directement aux autorités kabardes, du fait de l’existence avant la déportation du territoire bi-titulaire kabardino-balkar.
La question des Balkars aux prises avec les autorités politiques kabardes
10En mai 1956, le secrétaire du comité central du PCUS Averki Aristov est prévenu qu’un retour de colons balkars a été amorcé au cours des mois précédents. Si le7 8 juin 1956, le bureau du Comité du Parti de Kabarda a affirmé en session spéciale que « la déportation des Balkars en 1944 fut une erreur », le 16 juin, ces mêmes autorités kabardes expriment néanmoins leurs inquiétudes : « Le Comité régional du PCUS et le Conseil des ministres considèrent qu’à l’heure actuelle les conditions de retour ne sont réunies que pour une partie de l’ancienne population de Balkarie. » La République ne serait en mesure d’accueillir que 3 250 famille balkares, soit environ 13 000 personnes. Pour recevoir les Balkars, soit environ 9 000 familles, 163 millions de roubles seraient nécessaires. En juin et juillet 1956, deux lettres envoyées au Comité régional du Parti et au Conseil des ministres de la République Soviétique Socialiste Autonome (RSSA) de Kabarda demandent instamment au bureau du Parti de Kabarda d’interférer auprès du Comité central afin de poser la question du retour. Ces échanges montrent les éléments de tensions possibles et la façon dont les autorités locales kabardes tentent de s’appuyer sur un soutien de la part du pouvoir fédéral à Moscou.
11Selon les plans élaborés à Moscou, le retour doit s’échelonner sur plusieurs années à partir du printemps 1957. Les membres du Comité régional kabarde semblent disposés à accueillir une partie des Balkars, sans restauration de l’autonomie nationale ni du nom double de la Kabardino-Balkarie8. Il est aussi prévu que le retour des Balkars se fasse en deux fois, au printemps puis en septembre 1958. Les autorités de la République prévoient d’installer seulement la moitié des Balkars en Balkarie, et l’autre moitié dans des sovkhozes et kolkhozes où les Balkars n’avaient jamais vécu auparavant. Une telle répartition doit non seulement contribuer à un meilleur développement de la République mais aussi à une meilleure intégration des Balkars9. La répartition de ces derniers de façon « non compacte » est alors vécue par les populations concernées comme un risque de « dilution » de l’ethnie balkare.
12Après la proposition par les autorités kazakhe et kirghize de créer des autonomies karatchaïe et balkare en Asie centrale10, puis le renoncement à ce projet sous la pression conjuguée des mobilisations et du choix de Moscou de la réhabilitation territoriale, le retour s’amplifie et des mesures visant à le réguler et à l’organiser sont adoptées au fur et à mesure.
Un retour massif, mais peu aisé
13Le grand nombre de poèmes écrits en exil ou une fois rentrés montre combien l’attachement à la terre pèse dans les représentations des peuples déportés11. C’est dans un mélange de difficultés inhérentes au retour, malgré une prise en charge certaine sur le plan économique, et de persistance du mythe de la terre d’origine que s’opère le retour.
De la mythologique « terre des ancêtres » au territoire comme pierre angulaire de la réhabilitation
14La région karatchaïe et les districts balkars intégrés dans la République de Kabardino-Balkarie avant 1944 ont été rayés de la carte. Leur mention a disparu des dictionnaires et encyclopédies, et les terres ont été transférées à d’autres entités. Ainsi les districts karatchaïs d’Ust-Džegutinskij, de Malokaračaievskij sont-ils passés en 1943 sous la tutelle du territoire de Stavropol, tandis que le district d’Učkulan a été transféré à la RSS de Géorgie. En 1944, lors de la déportation des Balkars, quatre districts administratifs balkars (Čerek, Čegem, Hulamo-Bezengi, Elbrous) ont été supprimés et distribués à d’autres territoires, comme ce fut le cas pour le district Elbrous transféré à la Géorgie.
15De mai à décembre 1956, plus de 4 500 Balkars rentrent dans leurs terres d’origine. En avril 1958, environ 22 000 Balkars y sont retournés et on estime qu’ils sont 35 274 en 1959. Dans le cas des Karatchaïs, 51 033 personnes rentrent en 1957, 18 039 en 1958, et 4 370 en 1959. Le flux continue dans les années 1960 : si le recensement de 1959 montre que plus de 10 000 Karatchaïs – soit plus de 13 % des Karatchaïs recensés en URSS – se trouvent à l’extérieur de la RSFSR, en 1979, ce nombre n’est que de 4 %12. Face à l’interdiction de retourner dans les villages de montagne et aux difficultés rencontrées, une petite partie d’entre eux préfèrent rester en exil, sur le lieu de déportation, où une activité économique et des éléments d’intégration ont pu améliorer leur situation, sans parler des cas de mariages de femmes karatchaïes avec des hommes kirghizes ou kazakhs. En trois ans, 73 442 Karatchaïs sont rentrés13.
16En 1957, la réhabilitation des peuples déportés ne donne pas lieu à une restauration des territoires et autonomies tels qu’ils existaient avant 1944. La tension entre l’aspiration collective, mémorielle et sociétale à rentrer pour enterrer ses proches sur sa terre natale, et la non restitution de certains territoires se cristallise à ce moment-là.
17En outre, le fait qu’il y ait eu une autonomie karatchaïe en 1926, issue de la dissociation de la région autonome de Karatchaiévo-Tcherkessie qui, elle, avait été créée en 1922, joue également un rôle dans la sacralisation du territoire. La période 1926-1943 est alors perçue comme un « âge d’or » par les élites karatchaïes14. Dans le contexte soviétique de territorialisation des groupes ethniques et après le traumatisme de la déportation et de la suppression territoriale, l’attribution de districts est vue comme la matérialisation de droits politiques et culturels et comme la condition, voire la garantie, de réalisations identitaires.
18Cependant, les terres d’accueil ne sont pas à l’identique celles qu’habitaient les peuples déportés avant la déportation. Le fait que les Balkars, qui vivaient dans près de 100 villages avant la déportation en 1944, ne puissent se réinstaller dans un premier temps que dans 19, puis 26 zones de peuplement dans les districts dont ils étaient originaires (Sovetskij – ancien Čerek –, Elbrous et Čegem), nourrit un ressentiment vis-à-vis du pouvoir et alimente des revendications à intervalles réguliers15.
19Le retour massif accélère l’adoption de mesures à caractère économique : au niveau de la RSFSR, un arrêté est adopté par le Conseil des ministres, le 30 décembre 1958, qui prévoit un budget de 9 millions de roubles pour financer l’installation et la création d’emplois16. Au niveau local, les autorités de la République de Kabardino-Balkarie, rétablie en janvier 1957, prévoient d’organiser 19 kolkhozes balkars pour l’élevage, octroyant 17 000 têtes de bétail à cornes, 30 000 brebis, 1 600 chevaux de trait ; une caisse financière de 11,8 millions de roubles est créée en vue d’acheter du bétail. Côté karatchaï, après l’officialisation de l’autorisation au retour, des programmes d’insertion économique et de relogement des familles sont adoptés en mars 1957 par le bureau du Comité régional du Parti de Karatchaiévo-Tcherkessie, qui établit une comptabilisation précise du nombre de familles karatchaïes par district17. Un plan de création d’emplois est également élaboré.
20Néanmoins, les conditions de retour ne sont pas exemptes de difficultés. La décision officielle de ne pas installer de Balkars dans la moitié des territoires dans lesquels ils vivaient avant 1944, et la mise en place d’une partie substantielle des programmes de construction et de réinstallation dans les plaines et les piémonts provoquent une certaine rancœur parmi les anciens déportés, conjuguée au fait que de très nombreux villages de montagnes ont été détruits pendant la déportation. En outre, les Karatchaïs et les Balkars se heurtent aux mêmes types de difficultés que les Tchétchènes et les Ingouches, et ne peuvent se réinstaller dans leurs maisons laissées en 1944, attribuées à d’autres populations, même si bien souvent les populations installées de force dans leurs anciennes maisons désertées quittent ces logements avant le retour de leurs habitants, craignant des règlements de compte18. Mais si le 25 janvier 1957, le ministère de l’Intérieur autorise officiellement Kalmouks, Balkars, Karatchaïs, Tchétchènes, Ingouches et les membres de leurs familles à vivre dans leurs lieux d’origine, la réalité est différente. Par exemple, les zones de plaine aux environs de Naltchik et les districts du Terek, d’Urožajnenski et Prohladnyj sont énumérés comme zones d’accueil, alors que de nombreux villages de montagnes ont été détruits.
21Dans une note du Conseil aux Kolkhozes auprès du gouvernement de l’Union soviétique, il est fait état dès 1948 de l’occupation des logements et bâtiments et de la destruction de milliers de maisons. L’ensemble des maisons des villages de Verhnââ Zemtala, Tasly-Tala, Nižnij Baksan, Bylym et la moitié des maisons de Verhnij Baksan sont détruites. Les infrastructures et habitations d’une quinzaine de villages sont entièrement détruites. Le Conseil des ministres de la RSSA de Kabarda avait en effet ordonné de démonter certains villages, comme celui de Habaz (300 bâtiments d’habitations), pour réutiliser tout le matériau de construction à d’autres effets19. Toutes les infrastructures agricoles, à l’exception de celles qui furent transmises à des kolkhozes et des sovkhozes, furent ainsi démantelées20. En 1956, seuls 23 % de la surface habitable balkare n’avaient pas été détruits21. Dans d’autres villages préservés, les maisons des Balkars sont occupées. Nombreux sont ceux qui rachètent alors leur habitation, entraînant des conflits et des hausses des prix. Par exemple, dans le village de Gundelen, les maisons sont habitées par des Kabardes. La résolution du conflit passe par l’intervention du pouvoir central : le 15 avril 1958, Polâkov, chef de la Direction générale des Transferts de population et de l’Organisation, saisit le Conseil des ministres de la RSFSR pour lui demander de transférer les 500 familles kabardes du village de Gundelen dans d’autres villages. Le 27 mai 1958, le Conseil des ministres édicte un arrêté dans ce sens, qui prévoit une aide à la reconstruction des maisons et pour l’achat de vaches22.
22Une des raisons invoquées pour justifier le choix des lieux de transfert des Balkars dans la République concerne l’économie. Alors que la Kabardino-Balkarie était réputée pour la qualité de son élevage, la déportation a eu des conséquences néfastes dans ce domaine. La restauration d’une économie de montagne aurait coûté cher en investissement, et la priorité est au développement de la plaine. Dans certains cas, la direction de la République est amenée à faire volte-face par rapport à ses projets initiaux, du fait de la détermination d’anciens déportés à revenir vivre dans leurs villages d’origine. Par exemple, alors que la restauration du village de Bezengi n’est pas considérée comme économiquement justifiée, elle est toutefois menée à terme en signe de concession aux anciens habitants de plusieurs villages ; on observe le même scénario ailleurs23. La désignation d’un nouveau village, Novaâ Balkariâ, créé à destination des Balkars, est symptomatique de la politique mise en œuvre. Parallèlement, sur fond de manque de matériaux de base et de machines et outils de construction, des aides sont accordées aux familles pour construire de nouveaux logements. Une partie des familles est logée dans des appartements communautaires24. Concernant l’élevage et les activités économiques en général, les familles sont encouragées par le Département au Transfert à emporter avec elles de Kirghizie et du Kazakhstan des réserves de grain, de pommes de terre et leur cheptel personnel. Bačaev, chef de ce Département, rapporte même que le bétail à grosses cornes ainsi que le menu bétail du Kazakhstan et de Kirghizie s’adaptent parfaitement au Caucase25. De 1957 à 1959, les Balkars construisent 7 355 maisons, en contractant la plupart du temps un crédit. En avril 1957, le Conseil des ministres de la RSFSR adopte un arrêté sur le versement d’allocations aux peuples déportés, dont les Karatchaïs et les Balkars : crédit à long terme de 10 000 roubles accordé à chaque famille pour la construction d’un logement, jusqu’à 3 000 roubles pour des travaux de réparation de logement, et 1 500 roubles pour l’acquisition de bétail. Cependant, le crédit est accordé aux familles s’engageant à travailler dans un kolkhoze26. Balkars et Karatchaïs sont exemptés du reversement obligatoire à l’État d’une partie de leur production (animale et végétale) l’année du transfert.
23La création de nouveaux kolkhozes et l’assignation de conditions spécifiques ne manquent pas d’engendrer des altercations entre nouveaux et anciens kolkhozes. L’inauguration d’un jour de l’Amitié à l’initiative du Comité du Parti de district de Čegem vise à contrecarrer les altercations entre Kabardes et Balkars. Lors de cette fête, les kolkhoziens kabardes apportent du grain et du matériel agricole. De telles fêtes sont organisées dans les autres districts où sont rentrés des Balkars (districts Sovetskij, Zolskij, Elbrous)27.
24En outre, dans ce contexte de pénurie de logements, un traitement différencié s’exerce en fonction du statut politique et social des anciens déportés. Dans le cas des Karatchaïs, communistes et membres de l’intelligentsia les plus loyaux au pouvoir se voient logés dans des appartements à Tcherkessk et Kluhori (l’ex-Mikoân-Šahar devenue Karačaevsk), tandis que le reste de la population est installé dans des baraquements ici et là. On retrouve également le mode de logement pratiqué dans l’urgence durant les premières années de déportation : de nombreuses familles se logent dans des abris creusés sous la terre.
25Ces politiques d’aides témoignent de la persistance de tensions et montrent toute la portée politique et sociale des réhabilitations.
La réintégration aux prises avec la persistance des stéréotypes
26Entre 1956 et 1959, la question de la restauration des droits du peuple balkar est examinée pas moins de 31 fois. Outre les problèmes de logement et d’emploi, la question de l’éducation, de la langue et de la culture font partie des programmes de réhabilitation. Inévitablement, la question de la réintégration des élites politiques issues des peuples déportés se pose.
27En Kabardino-Balkarie, le poste de président du Présidium du Soviet suprême est attribué à un Balkar, ainsi que celui de vice-président du Soviet suprême. Les formats du bureau local du Parti et du Comité régional sont agrandis et des Balkars y sont intégrés. En 1957-1958, les Balkars qui avaient occupé des fonctions de cadres du Parti avant la déportation sont réintégrés dans leur fonction. En 1959, 100 Balkars occupent alors des postes de la nomenklatura de différents grades, dont certains à la tête de ministères : Finances, Éducation, Intérieur, Gosplan, Distribution ; plusieurs personnes sont envoyées en stage à Moscou ou Rostov, ou pour des formations de 3 ans dans les écoles de cadres du Parti28.
28Alors qu’il n’existe à Naltchik qu’un institut pédagogique, des Balkars sont envoyés dans des universités à Moscou, Leningrad, Rostov, Mahačkala, Ordjonikidze (aujourd’hui Vladikavkaz). Juste après le retour de déportation est créée l’université de Kabardino-Balkarie pour pallier le manque de spécialistes et, entre autres, une chaire de langue et littérature balkares est ouverte qui rencontre un écho très important. En 1962, on compte 241 étudiants balkars à l’Université sur un total de 1 809 étudiants. Le nombre d’étudiants balkars va croissant d’année en année. Progressivement, le corps des enseignants intègre des Balkars : on en compte 11 en 1963-1964.
29À partir de janvier 1957, le journal Kommunizmgue ël ainsi que des revues littéraires paraissent en balkar. Parallèlement, des travaux scientifiques sur la grammaire balkare sont publiés. Les traditionnels supports culturels (théâtres, écoles, journaux, bibliothèques) se développent, œuvrant à l’expression des cultures des peuples déportés, conformément au précepte sur la culture « socialiste dans le contenu, nationale dans la forme » définie lors du Xe Congrès du PCUS. L’envoi des meilleurs artistes dans les institutions prestigieuses de Moscou ou Leningrad est vécu comme une contribution à la réhabilitation.
30La tendance générale est donc à l’intégration progressive d’élites des peuples déportés dans les sphères de décision. Cependant, la prégnance de stéréotypes à leur égard va jusqu’à baliser un comportement parfois d’autodénigrement et de suspicion par certaines d’entre elles vis-à-vis de leur propre peuple.
Populations sous surveillance et méfiance persistante
31Adoption de textes d’autorisation au retour, restauration d’entités autonomes restaurées – même si modifiées par rapport à l’avant 1944 –, réapparition officielle de peuples anciennement proscrits : tout ceci contribue à une réhabilitation certaine. Pourtant, l’étiquette discriminante accolée depuis la déportation ne disparaît pas pour autant, et se trouve véhiculée et pérennisée par les nationaux eux-mêmes occupant des fonctions politiques et administratives de haut niveau.
32En effet, l’engagement de certaines élites nationales, en particulier karatchaïes, dans la reproduction d’un discours sur le « peuple traître » est saisissant. Kazbek Čomaev va même jusqu’à parler d’« anti-réhabilitation » orchestrée par les Karatchaïs eux-mêmes29. De tous ces dénonciateurs zélés, le cas de Kurman Kipkeev, député du Soviet suprême d’URSS, est un des plus emblématiques. Des frictions interethniques se produisant de temps à autre prêtent le flanc à des déclarations tonitruantes, dont la littérature mémorielle se fera l’écho lors de la Perestroïka. En décembre 1974, au IVe plénum du Comité régional du PCUS, Kipkeev déclare que « c’est une mauvaise interprétation de la déportation et du retour du peuple karatchaï qui se trouve à l’origine des phénomènes négatifs observés dans la région ». « Notre parti », ajoute-t-il, « a certes condamné la déportation comme un acte injuste lié au culte de la personnalité, mais il ne faut pas oublier qu’une partie du peuple karatchaï est passée du côté des Allemands et a donc fourni le prétexte d’un tel acte ». Ses propos prennent une tonalité essentialiste : « L’on rencontre plus fréquemment et avec plus d’intensité nationalisme, chauvinisme, égoïsme et mépris chez les Karatchaïs », dit-il. Et d’ajouter que les Karatchaïs devraient être reconnaissants au gouvernement soviétique de les avoir autorisés à rentrer.
33Sept ans plus tard, en 1981, lors du IIIe plénum du Comité régional du PCUS, les apparatchiks karatchaïs sont sommés de donner dans l’autodénigrement et le repentir. S. Semënov, ancien secrétaire du Comité régional à l’Idéologie, V. Hubiev, président du Comité exécutif de la région, et le même K. Kipkeev se livrent à l’exercice. Ce dernier évoque dans son discours un « sentiment national inhérent aux Karatchaïs (...) caractérisés par l’orgueil, l’arrogance, la cupidité, les habitudes petites bourgeoises » et affirme que « le mot karatchaï est de plus en plus associé à la représentation d’un spéculateur, d’un débauché, ou d’un parasite30 ».
34Alors que la déportation commence à appartenir au passé, ce type d’intervention n’en suscite pas moins, en 1981, une vague de rumeurs quant au risque d’une nouvelle déportation parmi la population karatchaïe. La déportation a accru la diffusion de telles rumeurs et de vagues de panique. De fait, lorsque le droit au retour a été annoncé, certaines familles n’y ont pas cru sur le moment, d’autres pensaient que le pouvoir allait peut-être changer d’avis. Un témoin se souvient : « Ma mère a dit à mon père : et s’ils changent d’avis subitement ? Mon père a répondu : raison de plus pour partir immédiatement31. » Du fait d’une panique grandissante dans la population, le Parti intervient pour dissiper les rumeurs et prévenir toute vague d’insurrection. On observe cependant quelques retours vers le lieu de déportation dans les années 1980.
35Le cliché de traître est également entretenu à destination d’observateurs extérieurs : le monument érigé en 1979 sur le bord de la route conduisant à Nižnââ Teberda, village touristique de montagne, qui évoque un massacre d’enfants en 1942 attribué sans aucune preuve à des Karatchaïs, fait l’objet de stationnements systématiques des autocars touristiques. Dans un contexte de crispations et d’accusations mutuelles, le face à face entre turcophones et Circassiens prend une dimension particulière. L’exemple de cette accusation de massacre d’enfants eut un temps sa version symétrique selon laquelle un tel massacre aurait été perpétré par des Tcherkesses à la solde du NKVD, avant d’être reconnue comme étant infondée32.
36Le discours officiel du Parti n’est pas plus apaisant que les propos zélés des nationaux. Face aux altercations à caractère interethnique documentées et recensées dans les rapports, le discours prononcé par Mikhaïl Gorbatchev, alors premier secrétaire du Comité du territoire de Stavropol, lors du IVe plénum du Comité du Parti de Karatchaiévo-Tcherkessie en 1974, fait date : délits et provocations y sont attribués aux Karatchaïs et mention est faite de la nécessité de « mener un travail approfondi sur la question du lien entre déportation et tensions interethniques consécutives au retour33 ». En 1977 s’ouvre une conférence consacrée à « La Karatchaiévo-Tcherkessie durant la Grande Guerre patriotique » au cours de laquelle Magomed Botašev, président de l’exécutif du Comité régional, parallèlement à des louanges portées au peuple karatchaï et aux actes héroïques accomplis au front par certains, fait part d’un soutien insuffisant d’une partie de la population à la lutte contre l’ennemi nazi. Botašev énumère les districts d’Učkulan, Mikoân-Šahar, Zelenčuk et Pregradnenski, ajoutant qu’« une part de la population, même si elle éprouvait de la sympathie pour les partisans, ne put résister à la peur et ne trouva pas le courage de lutter activement contre les occupants34 ». C’est lors de cette conférence qu’est officialisée la thèse des 65 bandes karatchaïes à la solde des nazis, développée par Teplinskij, chef du KGB de la région de Karatchaiévo-Tcherkessie, thèse qu’il est cependant incapable d’étayer en 199035.
37Parallèlement, la politique des cadres et la politique économique menées parmi les Balkars comme les Karatchaïs sont caractérisées par des discriminations : ralentissement pour l’accès au Parti et freinage au recrutement dans les instances administratives. Aliev parle de « politique des cadres anti-karatchaïe » pour caractériser les années 1960, 1970 et 1980, et cite des cas de licenciements de cadres pour avoir revendiqué la recréation de l’autonomie karatchaïe36.
Connaître, commémorer
38Durant les années 1960-1970, l’heure n’est donc pas à une légitimation des revendications sur la vérité historique. Néanmoins, la réintégration des populations déportées dans le système éducatif et institutionnel, même si elle reste limitée – les Balkars rappellent systématiquement qu’il n’y eut aucun premier secrétaire balkar de toute l’histoire de la République –, contribue à la formation de nouvelles élites porteuses des revendications nationales trouvant leur pleine expression lors de la Perestroïka.
Les effets sans précédent de la Perestroïka
39La Perestroïka offre une opportunité sans précédent : prises de parole, dénonciations d’injustice, exigences de réhabilitation morale, et pas seulement matérielle, se multiplient. Le champ du débat public et du témoignage se remplit de la masse de non-dits accumulés pendant des décennies. Cependant, le succès de ces entreprises est à « géométrie variable ». C’est ainsi qu’en octobre 1988, des vétérans karatchaïs de la Deuxième Guerre mondiale envoient une requête au Comité exécutif du Parti de Karatchaïevsk pour demander l’autorisation d’organiser un rassemblement pour commémorer le 45e anniversaire de la déportation. Ils se voient opposer un refus par les autorités locales qui redoutent que l’autorisation d’un rassemblement ne nourrisse la revendication d’érection d’un monument en mémoire des déportés.
40Indissociable de la mémoire, la question de la langue et de l’identité est, quant à elle, investie par les intellectuels. Le rôle des écrivains, de l’intelligentsia, des figures qui forment durant la Perestroïka le noyau des nefor maly, groupes informels travaillant sur la culture, la langue, l’histoire, est central dans le renouveau identitaire. Bilal Lajpanov, spécialiste de langue et littérature karatchaïes, coprésident de l’association karatchaïe Džamagat (Unité) et membre, de 1988 à 1990, de l’Institut scientifique de Karatchaiévo-Tcherkessie, organise une grève pour protester contre l’interdiction de publication d’articles scientifiques en langue karatchaïe37.
41La parution au début des années 1990 de recueils de documents et de témoignages contribue à un renouvellement sans précédent du savoir sur cette période et ses événements38. Dans chaque publication ou presque, il est fait état du caractère salutaire de la Perestroïka et de la possibilité d’aborder la réalité de la déportation et de ses conséquences39. Un grand nombre d’articles commémoratifs est publié à chaque anniversaire des déportations dans de nombreux journaux, brochures, revues, témoignant de la façon dont se construit le ciment communautaire autour de la mémoire et dont il est, parallèlement, fortement investi par les pouvoirs en place.
42Le travail sur les conséquences démographiques de la déportation et le recours à une rhétorique du génocide occupent une place importante dans cette prise de parole. Dans les années 1990, l’organisation Džamagat pousse à une étude des pertes démographiques dues à la déportation. Ainsi l’historien Ibragim Šamanov calcule-t-il la perte nette subie : alors que les Karatchaïs étaient 78 827 en 1943, leur nombre, sans la déportation et ses conséquences, se serait élevé d’après ses calculs à 108 212 en 1959, au lieu des 81 000 comptabilisés lors du recensement40. Les travaux de Dalhat Ediev donnent par la suite des informations très précises sur les bouleversements de la pyramide des âges au sein des populations déportées41. Dans le cas balkar, l’accroissement naturel de la population est soutenu par un fort taux de natalité qui compense les pertes humaines liées à la déportation. Alors qu’en 1959 on compte 34 100 Balkars rentrés en Kabardino-Balkarie sur 42 400 Balkars dans l’ensemble de l’Union soviétique, les recensements de 1970, 1979, 1989, et 2002 font respectivement état de 59 500, 66 300, 85 100 et 106 800 Balkars.
43De surcroît, l’usage du terme de génocide se développe à un rythme soutenu, dans une sorte d’escalade rendue particulièrement saillante dans le contexte des Républiques bi-titulaires. Ainsi, ce terme de génocide est omniprésent lors des commémorations du 21 mai pour les Kabardes et les Tcherkesses, jour de mémoire de l’exil forcé vers l’Empire ottoman en 1864.
44L’articulation entre recherche historique et projet politique se structure ici et là. En 1989, l’historien karatchaï Ismail Aliev avertit que si le processus de réhabilitation complète du peuple karatchaï n’est pas entrepris, et si les pertes dues à la déportation ne font pas l’objet de compensations, le nationalisme karatchaï ne fera que croître, mettant en péril « l’amitié entre les peuples ». Le 29 octobre 1989, un rassemblement a finalement lieu à Karatchaïevsk en hommage aux déportés de 1943. Une résolution est alors adoptée par les organisateurs du rassemblement issus de l’intelligentsia, qui demandent que Staline, Beria, Viatcheslav Molotov, Mikhaïl Souslov ainsi que d’autres dirigeants soient jugés pour leur rôle dans la déportation et que toutes les archives liées à la déportation soient ouvertes.
Conclusion
45Justifié officiellement par des raisons économiques, le retour des Balkars et des Karatchaïs est organisé de façon à permettre le développement de la région. Toutefois, malgré leur réhabilitation, ils restent interdits de retour dans les montagnes. Aux ressentiments que génère cette politique s’ajoutent les relations conflictuelles entre Balkars et Karatchaïs réhabilités et la population locale. De plus, les dirigeants locaux continuent de véhiculer les stéréotypes qui leur avaient été assignés lors de leur déportation et qui se trouvent parfois repris et promus par les élites (notamment karatchaïes). Cette persistance des clichés obère tout développement d’expression mémorielle dans un contexte où les élites balkares et karatchaïes se heurtent à un « plafond de verre ». Si la Pérestroïka permet une libération de la parole, les sentiments d’exclusion persistent.
46Le poids de la déportation des Karatchaïs et des Balkars reste très prégnant encore aujourd’hui dans la vie politique des deux Républiques bi-titulaires de Kabardino-Balkarie et Karatchaiévo-Tcherkessie. Alors qu’une association des peuples déportés présidée par le Karatchaï Ismail Aliev connaît une activité transversale englobant entre autres Karatchaïs et Balkars au début des années 1990, et qu’un éphémère projet de réunification des deux peuples perce à cette même époque, assez rapidement, les42 questions liées à l’héritage de la déportation deviennent des enjeux internes, investis par les élites karatchaïes et balkares au sein de leurs territoires bi-titulaires respectifs. La dissymétrie des rapports démographiques entre peuple turcophone et peuple circassien incite à repenser la place de l’héritage de la déportation dans les mobilisations identitaires et politiques des peuples turcophones des républiques bi-titulaires. En effet, ce recentrement du jeu politique à l’intérieur de chaque territoire provient d’une conjugaison de facteurs. La première guerre de Tchétchénie en 1994-1996 entraîne une révision à la baisse des slogans séparatistes développés en 1990-1991 et les élites actives dans ces mouvements sont « recyclées » au sein du pouvoir, comme ce fut le cas du Balkar Sufân Beppaev devenu conseiller du président aux Affaires balkares. Dans le cas karatchaï, alors que l’essentiel du jeu politique se joue précisément au sein des élites karatchaïes, la question de la déportation est moins invoquée43.
47Il est intéressant de noter que les Balkars font référence à la question de la déportation dans un contexte où le déséquilibre économique et les difficultés d’accès à la sphère politique et économique ne se résorbent pas. De réels efforts et des gestes importants ont été initiés en direction des Balkars et des Karatchaïs par le pouvoir fédéral, donnant lieu en particulier au versement de compensations44. Pourtant, le sentiment de frustration et de ressentiment s’exprime régulièrement dans le cas balkar, entrant en résonance avec des préoccupations économiques et foncières qui redonnent lieu à des revendications séparatistes à intervalles réguliers45. Après deux pics de mobilisation intense en 1990-1991 et 1996-199746, la question balkare ressurgit à intervalles réguliers.
48Toutefois, le passif de la déportation continue à jouer et à irriguer toute une part de la mobilisation sociale, dans un contexte où l’opposition politique se recoupe de plus en plus avec la question nationale. Là se trouve la limite ou, en quelque sorte, l’énoncé d’un facteur discriminant : le passif de la déportation joue d’autant plus que le peuple anciennement déporté continue de subir des formes de mise à l’écart, d’exclusion du jeu politique. Dans le cas inverse, on assiste à une cristallisation moindre.
Notes de bas de page
1 La partie de Svetlana Akkieva a été traduite par Aude Merlin.
2 Tenišev E. R. (red.), Karačaevcy i balkarcy : âzyk, ètnografiâ, arheologiâ, fol’klor, Moscou, RAN, 2001.
3 Merlin A., Mobilisations identitaires et recompositions post soviétiques. Le cas du Caucase du Nord (1988-2003), thèse de doctorat, sous la direction d’Anne de Tinguy, IEP Paris, 2006.
4 Šabaev, D. V., Pravda o vyselenii Balkarcev, Naltchik, Elbrus, 1992, p. 243, 247.
5 Aliev I. I. (red.), Karačaevcy. Vyselenie i vozvrašenie, Tcherkessk, Izd. PUL, 1993, p. 104-109.
6 Ibid., p. 120.
7 Šabaev, D. V., op. cit., p. 259.
8 Sabančiev H.-M., « Vyselenie balkarskogo naroda v gody velikoj otečestvennoj vojny : pričiny i posledstviâ », Central Asia and the Caucasus, 2001, p. 144.
9 Merlin A., op. cit.
10 Gonov A. M. et Bugaj N. F., Kavkaz : narody v ešelonah (20-60-e gody), Moscou, INSAN, 1998, p. 107 ; Hutuev, H. I., Balkarskij narod v gody Velikoj Otečestvennoj vojny i poslevoennyj period (vosstanovlenie avtonomii balkarskogo naroda), Rostov-sur-le-Don, thèse d’histoire, 1965, p. 104.
11 Alieva S. (red.), Tak èto bylo, Nacional’nye repressii v SSSR, 1919-1952, 3 tomes, Moscou, INSAN, 1993.
12 Grannes A., « The Soviet Deportation in 1943 of the Karachays : A Turkic Muslim People of North Caucasus », Journal of Muslim Minority Affairs, vol. 12, no 1, 1991, p. 55-68.
13 Tebuev R. S. (dir.), Deportaciâ karačaevcev, Dokumenty rasskazyvaût, Tcherkessk, RAN, 1997.
14 Tscherwonnaja S., Die Karatschaier und Balkaren im Nordkaukasus. Konflikte und ungelöste Probleme, Köln, Berichte des Bundesinstituts für ostwissentschaftliche und internationale Studien, 1999.
15 Babič I., « Sootnošenie političeskoj, religioznoj i ètničeskoj identičnosti v sovremennom kabardinobalkarskom obšestve », Malašenko A. et Brill Olcott M. (red.), Faktor ètnokonfessional’noj samobytnosti v postsovetskom obšestve, Centre Carnegie, Moscou, 1998, p. 144-145.
16 Dzidzoev V. D., Nacional’naâ politika : uroki opyta, Vladikavkaz, Iriston, 2002, p. 166.
17 Aliev I. I. (red.), Karačaevcy. Vyselenie i vozvrašenie, Izd. PUL, Tcherkessk, 1993, p. 134-136.
18 Témoignage recueilli à Naltchik, Zejtun Zatuev, 6 juin 2008. La famille ossète installée dans sa maison à Tašha-Tau partit dès que les rumeurs commençaient à faire état de possibles retours des déportés.
19 Cga kbr (Archives centrales d’État de la République de Kabardino-Balkarie), R-526/1/8/97-115.
20 Balkarskij Forum, no 10, décembre 1991.
21 Cga kbr, R-526/1/8/48-50 ; Kabardino-Balkarskaâ Pravda, 10 avril 1957 ; Tëre, 8 mars 1993 ; Bugaj N. F. et Gonov A. M., op. cit., p. 112.
22 Gonov A. M. et Bugaj N. F., op. cit., p. 301.
23 Akkieva S., Razvitie ètnopolitičeskoj situacii v Kabardino-Balkarskoj Respublike (postsovetskij period), Moscou, IEA RAN CIMO, 2002, p. 71.
24 Zumakulov B. M., Iz novejšej istorii balkarskogo naroda... 1944-2003, Naltchik, El’-Fa, 2003, p. 36.
25 Ibid., p. 36.
26 Gare (Archives d’État de la Fédération de Russie), A-259/1/910/142-144.
27 Cga kbr, R-714/1/15/181.
28 Hutuev H. I., op. cit., p. 180-182.
29 Čomaev K. I., Nakazannyj narod, Tcherkessk, PUL, 1993, p. 195.
30 Reproduit dans Leninskoe znamâ du 23 juin 1981, cité par Čomaev K., op. cit., p. 75.
31 Entretien avec Zejtun Zotaev, Balkar né en 1927, Naltchik, 5 juin 2008.
32 Alieva S., op. cit.
33 Aliev I. I., op. cit., p. 149.
34 On observe à nouveau ce type de rhétorique le 22 avril 1981, dans le texte de l’arrêté du Comité central du PCUS signé par Mikhaïl Souslov « sur les défauts sérieux dans la mise en place du travail d’organisation et le travail d’éducation idéologique ainsi que les problèmes de maintien de l’ordre dans la région autonome de Karatchaiévo-Tcherkessie ». Leninskoe znamâ, 23 juillet 1981, cité dans Tebuev R. S. (red.), Deportaciâ karačaevcev, Dokumenty rasskazyvaût, Tcherkessk, 1997, p. 15.
35 Aliev I. I., op. cit., p. 27.
36 Ibid., p. 31-32.
37 Lajpanov B., « Vozvrašenie sveta », Duve F. et Tagliavini H., Zašita buduševo. Kavkaz v poiskah mira, Moscou, Glagol, 2000, p. 83-89.
38 Alieva S., op. cit.
39 Šabaev, D. V., op. cit.
40 Aliev I. I., op. cit.
41 Ediev D., Demografičeskie poteri deportirovannyh narodov SSSR, Stavropol, Izd. CGAU, AGRUS, 2003.
42 Červonnaâ S., Tûrkskij mir v centre Severnogo Kavkaza, Paradoksy ètničeskoj mobilizacii, Moscou, RAN, 1999.
43 Merlin A., op. cit., p. 385-392.
44 Gonov A. M. et Bugaj N. F., op. cit., p. 336 ; Tebuev R. S., op. cit., p. 307.
45 Akbashev B., « Balkars Voice Separatist Ambitions », Caucasus Reporting Service, IWPR, no 74, 16 mars 2001.
46 Merlin A., « Nationalisme ethnique et projets de partition au Nord-Caucase », Cahiers d’Études sur la Méditerranée Orientale et le Monde Turco-Iranien, no 34, juillet-décembre, 2002, p. 174-196.
Auteurs
Aude.merlin@ulb.ac.be
Aude.merlin@ulb.ac.be
asisma@yandex.ru
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008