La vie en déportation (1943-1953)
p. 53-75
Texte intégral
1Mémorialistes et historiens ont retenu de la déportation des « peuples punis » avant tout la brutale expulsion de nations entières de leur patrie, les conditions mortifères de transport vers les lieux de déportation et la rigueur des premiers mois de séjour des parias sur des terres inhospitalières. Le débat historiographique s’est ainsi porté sur les origines de la violence de l’État soviétique envers ces populations, sur les motivations et les desseins de Staline et de Beria et sur la qualification historique et juridique à donner à leur politique – génocide, ethnocide ou nettoyage ethnique. Comme le souligne justement Michaela Pohl, la douzaine d’années vécues par les colons caucasiens et criméens en Asie centrale et en Sibérie, une fois passée la période la plus horrible et la plus marquante de leur arrivée et de leur adaptation, a fait l’objet d’une moindre attention analytique1.
2L’accent sera mis dans ce chapitre sur deux aspects de la vie en exil des déportés en provenance de Kalmoukie, du Nord Caucase et de Crimée jusqu’à la mort de Staline. D’une part, on se penchera sur l’inégalité des familles et des peuples entre eux face à la catastrophe qui frappe les « peuples punis » (Aleksandr Nekrich). La stratification sociale des déportés, qui ne sont pas considérés par les autorités comme une masse uniforme, et les inégalités ville-campagne déterminent pour une grande part les conditions de la survie. D’autre part, on interrogera l’ostracisme des Caucasiens et des Criméens comme « colons spéciaux » dans la société du stalinisme finissant. Les mesures officielles d’exclusion suivant les liens de parenté suscitent chez eux la mise en place de stratégies collectives de conservation de leurs traditions sociales et culturelles.

Des populations décimées
3Les premières années de déportation sont marquées par une hécatombe chez les colons du Caucase, de Crimée et de Kalmoukie. Le manque de préparation à l’accueil de 870 000 colons dans les Républiques centre-asiatiques est un premier élément pour comprendre ce désastre. Pour les kolkhozes chargés de les accueillir, les colons représentent un fardeau considérable dans le contexte général d’extrême privation qui caractérise la guerre. Les préparatifs consistent pour les autorités à contraindre les kolkhoziens à rénover les maisons insalubres et à libérer de la place dans leurs domiciles pour y installer des colons, ce qui suscitent leur opposition passive. Souvent, les locaux font front contre les colons, retardant leur entrée au kolkhoze et l’accès à un lopin familial, pour ne pas avoir à partager les récoltes et les terres arables. Le NKVD favorise la confrontation en présentant les déportés comme des traîtres et des bandits et en incitant les locaux à constituer des « groupes d’assistance » pour faire la chasse aux déportés fuyards. Les témoignages concordent sur l’accueil froid, voire hostile, que les populations locales réservent aux colons. Au Kazakhstan, selon la police, « l’attitude envers les colons était malveillante, et parfois franchement hostile, accompagnée d’actes illégaux, d’outrages et de représailles » (passages à tabac, meurtres, négligences entraînant la mort de dizaines de personnes)2. Emil’ Amit se souvient que la population locale de la Steppe de la Faim en Ouzbékistan « reçut les déportés comme des ennemis personnels », étant donné la « propagande anti-Tatars de Crimée ».
4À leur arrivée, les colons, affaiblis par les longues semaines de transport dans des fourgons à bestiaux, sont terrassés par la faim et la maladie. La police juge les vivres insuffisantes pour tenir jusqu’à la récolte de 1944 et constate la multiplication des vols de survie et la consommation d’herbes et de racines3. Au lieu de débloquer une aide alimentaire, le gouvernement entretient la fiction d’un prochain « réglage définitif des comptes avec les colons » selon laquelle chaque famille doit récupérer l’équivalent des biens qu’elle a laissés à l’expulsion – essentiellement du bétail (chameaux, ânes, etc.). Un long décret gouvernemental de mai 1944 établit le calcul compliqué de ces reversements, qui concerne non seulement les familles, mais aussi les kolkhozes expulsés dont le bétail collectif – en particulier les chevaux – a été confisqué4. Les autorités accordent une grande signification aux « quittances » délivrées aux familles à leur expulsion et qui dénombrent les biens confisqués. Cependant, il n’y a ni bétail, ni argent disponibles à remettre aux colons, expliquent les autorités locales, qui désignent ouvertement ces instructions comme « irréelles ». Les Kalmouks, Karatchaïs, Tchétchènes, Ingouches et Balkars ne reçoivent aucun des moutons dont chaque famille doit être pourvue avant l’été 1944, en remplacement des vachettes qu’on leur a promises en contrepartie du gros bétail confisqué5. Au bout du compte, ces peuples d’éleveurs doivent se contenter en 1944 d’une « compensation » en grains, de laquelle on retranche « les retenues pour assurer les obligations de l’État », c’est-à-dire les sommes engagées par le NKVD pour mettre à exécution la déportation6. Certains, comme les Karatchaïs, ne se sont pas vu remettre de « quittances ». Celles-ci sont constituées après coup par les autorités locales des lieux d’expulsion sans participation des familles7.
5À l’hiver 1944-1945, un an après leur déportation, les Kalmouks voient arriver les premières têtes de bétail avec lesquelles les autorités entendent s’acquitter de leur dû. Mais comme ils meurent de faim et qu’ils n’ont de toute façon pas de fourrage, ils l’abattent immédiatement. Pour mettre fin au carnage, le NKVD arrête plusieurs dizaines de personnes et confisque le bétail au profit des fermes collectives. La répression n’aide guère : en Kirghizie, où aux mêmes maux les mêmes remèdes sont appliqués, 90 % du bétail distribué au cours de l’hiver est abattu8. La fiction de la « compensation » est un exemple de ce que Lynn Viola nomme le « gouvernement par l’abstraction », qui fonctionne en tandem avec le « gouvernement par la répression ». Dans ce jeu de balancier, la construction planificatrice de la compensation surimpose « l’ordre et la modernité sur le chaos », mais quand la réalité finit par contredire le plan, la répression des boucs émissaires et des victimes s’enclenche9. Staline et ses hommes considèrent la violence comme le seul moyen efficace de régler les problèmes : à tous les niveaux de l’appareil d’état, les « saboteurs », « fainéants » et « spéculateurs » parmi les colons sont désignés comme la cause directe de la famine. En mai, Beria délègue son adjoint, Sergej Kruglov, pour reprendre les affaires kazakhes des mains des autorités républicaines, qualifiées de incompétentes. Il densifie le réseau des komendatury (voir ci-dessous) au Kirghizstan et Kazakhstan et place sous l’autorité de chaque commandant une unité des troupes du NKVD (de 3 à 5 hommes emmenés par un sous-officier) pour faire la chasse aux déportés. Les résultats ne se font pas attendre : au cours du seul mois de juillet 1944, quelque 2 200 colons sont envoyés au Goulag10.
Tableau 1. Situation démographique en 1950

Patiev Â., Inguši : deportacia, vozvrašenie, reabilitacia, 1994-2004, Dokumenty, Materialy, Kommentarii, Magas, Serdalo, 2004, doc. no 144.
6Dans ce contexte de famine, les maladies – typhus, dystrophie, malaria – font des ravages. Le typhus, contracté lors du transport, se propage chez les Tchétchènes et Ingouches dès leur arrivée en mars 1944. Au 1er avril, on relève dans le seul Kazakhstan quelque 4 600 malades parmi les colons fraîchement débarqués, et autant parmi la population locale. Dans toute la République, il n’y a ni savon pour lutter contre la crasse et les poux, ni désinfectant pour éliminer les rickettsies. L’épidémie prend des proportions menaçantes. En Kirghizie, la situation est comparable (plus de 2 000 malades du typhus)11.
7Les colons manquent de tout. Pour affronter l’hiver, il a été prévu de construire 55 900 maisons au Kazakhstan. 1 638 sont prêtes en septembre (moins de 3 %). 30 000 familles sont sans toit en octobre. Dans la région de Novossibirsk, où ont été déportées 5 818 familles kalmouks, seules 11 % d’entre elles ont un logement de près ou de loin apprêté pour l’hiver au 1er octobre. Un nombre très important de colons vit chez l’habitant, dans la cour, à l’air libre. Faute de chaussures et de vêtement, les adultes ne peuvent travailler ; les enfants sont emportés par des refroidissements. La qualité des peaux et tissus attribués par le gouvernement à la Kirghizie pour confectionner des chaussures et des habits destinés à la vente pour les colons est si faible que les industries locales ne peuvent rien en faire. Du reste, les colons n’ont pas d’argent pour acquérir les biens que le gouvernement affecte aux régions de déportation à titre de « compensation12 ».
8À la veille de l’hiver 1944, les colons, épuisés, sont pris au piège. L’écrasante majorité des kolkhozes kirghizes et kazakhs n’ont pas eu les moyens de régler aux colons kolkhoziens ce qu’ils leur doivent pour leur travail, après une piètre récolte. La plupart n’a obtenu du travail qu’à partir de juin, une fois terminés les travaux de printemps. Les journées travaillées durant l’été ne sont pas en nombre suffisant pour leur garantir un revenu en nature capable de les maintenir en vie, eux et leur famille, jusqu’à la prochaine récolte. De plus, au Kazakhstan, 20 % des colons ne sont pas devenus membres des kolkhozes. Enfin, la moitié des kolkhoziens est arrivée trop tard pour exploiter le fondamental lopin individuel, ou n’a pas de quoi l’ensemencer. La situation est la même chez les Kalmouks de Sibérie et les Criméens d’Ouzbékistan13. La situation démographique des colons rend leur survie encore plus problématique : chez les Karatchaïs, les Balkars et les Vaïnakhs, plus de la moitié de la population a moins de 16 ans, et, à la notable exception des Tchétchènes et Ingouches, qui n’ont pas été mobilisés, elle est presque aux deux tiers féminine (tableau 1).
9Ce n’est qu’en plein hiver 1944 que le gouvernement alloue une aide alimentaire exceptionnelle pour le Kazakhstan et la Kirghizie à la demande de Beria14. À la mi-décembre 1944, 100 g de farine et 25 g de gruau par jour et par personne sont affectés pour quelques mois aux Caucasiens. « [Cette ration] n’est pas suffisante pour assurer l’existence et la survie de personnes épuisées », doivent reconnaître les responsables kazakhs15. En Kirghizie comme au Kazakhstan, même ces rations de famine ne parviennent pas aux intéressés : les autorités régionales et locales détournent la farine destinée aux mourants pour nourrir la population libre ou pour s’enrichir16. Ces pratiques perdurent les années suivantes : le ministère de l’Intérieur de Kirghizie décrit en 1946 comment les matériaux de construction (bois, verre, clous) destinés à rénover ou construire des maisons pour les colons sont filtrés à chaque niveau administratif. Le gouvernement kirghize en détourne la plus grande partie, puis chacun se sert – région, arrondissement et kolkhoze. Parallèlement, le crédit agricole détourne les prêts alloués aux colons précisément pour acheter ces matériaux de construction. Pour les colons, l’obtention d’un prêt est suspendue au versement de pots-de-vin aux employés de la banque. Ces détournements, maintes fois relevés par les services du ministère de l’Intérieur, n’entraînent jamais de mesures globales pour les faire cesser17.
10L’hiver 1945-46 est un peu moins catastrophique que le précédent. Les colons le surmontent essentiellement grâce au produit de leur lopin, qu’ils ont enfin pu mettre en culture. Les distributions de bétail reprennent à l’été 1945, et un an plus tard, la majorité des familles ont quelques moutons et chèvres qu’ils sont en mesure de nourrir18. Beria obtient des mesures pour faciliter le passage de l’hiver, en particulier un moratoire sur l’imposition pour deux ans19. Les Kalmouks, Caucasiens et Criméens se rétablissent lentement : ce n’est qu’à partir de 1949 que les courbes de mortalité et de natalité s’inversent et que l’accroissement naturel devient positif20. Néanmoins, leur survie reste précaire, comme le montrent les ravages de la disette de 1949 dans le nord du Kazakhstan. Ils vivent dans un grand dénuement jusqu’au début des années 1950 au moins. Résultat de l’indifférence et de la corruption des autorités centrales et régionales, ces populations ont été décimées (tableau 2)21.
Tableau 2. Situation démographique des colons kalmouks, caucasiens et criméens*, 1943/44-1948

Pobol’ N. L. et Polân P. M. (red.), Stalinskie deportacii 1928-1953. Dokumenty, Moscou, Materik Fond Demokratiâ, 2005, p. 567.
Des situations diverses
11Dans ce contexte dramatique, les situations sont plus différenciées qu’il n’y paraît. Une première distinction touche le secteur d’activité auquel sont affectés les colons. Presque la moitié des adultes nord-caucasiens sont employés dans les kolkhozes. Au Kazakhstan à l’été 1946, les deux tiers des Caucasiens vivent à la campagne22. En revanche, les Criméens ne sont qu’à 10 % kolkhoziens. C’est là une première cause de la différence dans les taux de mortalité entre Criméens et Caucasiens.
Tableau 3. Occupation professionnelle de la population déportée adulte (mars 1949)
Nord-Caucasiens | Criméens | Kalmouks | |
Total adulte dont : | 252 378 | 12 4449 | 48 648 |
Ouvriers | 69 445 | 69 169 | 22 571 |
Kolkhoziens | 124 299 | 12 687 | 13 851 |
Employés | 5 649 | 10 244 | 2 002 |
étudiants | 2 003 | 2 871 | 573 |
Sans travail | 6 893 | 467 | 10 |
Femmes au foyer | 23 621 | 8 714 | 1 862 |
Vieillards et personnes à charge | 5443 | 12 877 | 2 304 |
Zemskov V. N., Specposelency v SSSR. 1930-1960, Moscou, RAN-IRI, Nauka, 2003, p. 174-175.
12En comparaison avec les conditions au village, la vie est bien meilleure dans l’industrie, qui emploie 55 % des Criméens et 46 % des Kalmouks, mais seulement 27,5 % des Caucasiens. Alors qu’on meurt au village, on survit dans l’industrie. Les entreprises, perpétuellement en manque de bras, disposent de réseaux d’approvisionnement, de logement et de soins médicaux dont bénéficient toutes les personnes à la charge de l’ouvrier. Grant Zahar’ân, Arménien de Crimée, raconte comment sa famille réussit à passer le premier hiver 1944-45 sans perte humaine à Krasnovišersk, sur la rivière Kama. Une pièce de 12 m ² leur a été affectée dès leur arrivée. Ils s’y entassent à huit. Seuls son père et le jeune Grant trouvent du travail au combinat de papier, le grand employeur de la région. Selon les normes de rationnement, la famille touche en tout 3 kg de pain par jour (600 g pour les travailleurs, 200-300 g pour les personnes à charge), que le père répartit strictement. De plus, les colons reçoivent comme aide gouvernementale – en fait en « compensation » des biens confisqués – 8 kg de farine par personne. Les Zahar’ân arrivent fin juin 1944, trop tard pour obtenir et mettre en culture un lopin individuel. Mais parmi leurs voisins, certains leur donnent de vieux vêtements et leur permettent de retourner leur lopin après la récolte de l’automne pour y trouver des patates oubliées. Enfin, Grant pose l’électricité dans un kolkhoze des environs : il reçoit une tonne de pommes de terre en échange de deux semaines de travail. Ainsi, dans une famille nombreuse où il y a peu de travailleurs, la générosité des voisins et la débrouillardise permettent de passer le cap de l’hiver23.
13Les autorités policières prêtent une plus grande attention à l’industrie qu’au village. Alors qu’elles restent indifférentes aux décès des villageois, elles s’offusquent des effroyables conditions de vie et de travail des colons ouvriers : promiscuité des habitants dans les baraquements vétustes et crasseux, absence de drap, poux, typhus, pénurie de vêtements de travail, arbitraire du management (diminution indue des normes d’approvisionnement, retard dans le paiement des salaires)24. Les ouvriers représentent en effet pour le NKVD un argument sérieux dans ses négociations avec les entreprises auxquelles il fournit contractuellement des travailleurs forcés. Ainsi, fin 1946, certaines industries de l’Oural coupent l’approvisionnement des ayants droit de colons ouvriers habitant à la campagne. Les valides sont réduits à fouiller les ordures et les invalides meurent de faim et de maladie. Le ministère de l’Intérieur réagit immédiatement en menaçant les combinats concernés de déplacer les colons vers de nouvelles entreprises si leur approvisionnement n’est pas assuré. En août 1947, il met ces menaces à exécution et transfère 200 familles d’un combinat de papier vers des mines de bauxite25.
14Une autre distinction suit la hiérarchie sociale. Les instructions officielles favorisent les anciennes élites des territoires abolis. Membres du Parti et du Komsomol, officiers du NKVD, responsables administratifs et syndicaux ne sont pas transportés en wagons de marchandises avec le reste des exilés, mais dans des voitures pour voyageurs. Par comparaison avec les conditions mortifères de transport de la majorité des colons, l’élite voyage dans un relatif confort. En particulier, elle peut pratiquer la traditionnelle séparation des hommes et des femmes. Dans les wagons de marchandises, en revanche, femmes, hommes et enfants sont mélangés, promiscuité qui place les femmes dans la nécessité de se soulager dans le même espace que les hommes. Cette violation de la pudeur est source de honte pour les femmes et est ressentie par les colons comme un moment de destruction de la culture nationale26.
15Les représentants de l’élite sont plus libres dans le choix de leur domicile et de leur travail que les autres : ils se voient proposer des emplois correspondant à leur qualification dans les grandes villes des Républiques de colonisation. Dans les limites de leur arrondissement de déportation, les médecins, les agronomes, les ingénieurs et les artistes ne sont pas affectés d’office à un travail, mais peuvent rechercher eux-mêmes un emploi27. Le père et la mère d’Aza Bazorkina appartiennent à ces catégories relativement privilégiées. Le diplôme de zootechnie de sa mère lui permet de trouver une place dans un village. Son père, dépourvu de qualification agricole, a plus de mal à trouver un emploi au kolkhoze. Le premier hiver est dur pour la famille qui connaît la faim et la malaria. Après plusieurs mois de survie au crochet de voisins charitables, une vache à lait, que la mère obtient grâce à son travail, éloigne définitivement le spectre de la famine. Sa carte de membre de l’Union des écrivains ingouches permet au père de s’installer dans la capitale kirghize, Frunze, de trouver du travail dans un institut et de toucher une carte d’approvisionnement dont il fait bénéficier sa fille28. Les raisons qui poussent la direction politique à conserver des privilèges à l’ancienne élite ne peuvent être qu’extrapolées. Il semble premièrement que le régime veuille adoucir le sort de ceux qui l’ont servi (les hommes du NKVD, par exemple) ; deuxièmement qu’il juge nécessaire de conserver une structuration hiérarchique de ces peuples, ne serait-ce qu’à des fins de contrôle (d’où la grande attention apportée aux humeurs des élites, comme révélateur de l’état moral de tout le peuple) ; et troisièmement qu’il veuille ménager les cadres qualifiés nécessaires à l’économie des régions de déportation.
16Si l’exil fut moralement terrible pour tous les « peuples punis » déportés à l’hiver 1943-1944, les Caucasiens semblent avoir souffert plus encore que les Criméens du déracinement. Tous les acteurs relèvent l’état de démoralisation des montagnards : ils sont frappés « d’apathie » et de « désespoir ». Ils « n’ont pas la logique pour déchiffrer les événements qui leur arrivent » et « sont persuadés que cette punition est un châtiment divin »29. Nombreux parmi les Caucasiens et les Kalmouks ne peuvent croire en 1944 qu’on les laissera là pour l’hiver, et donc refusent d’intégrer les kolkhozes et de planter des lopins30. Outre la faim et la maladie, l’adaptation climatique et la disparition de l’élevage bouleversent les montagnards. « Trente personnes sont sur le point de mourir de faim, les autres sont sans force (...), si vous ne nous aidez pas, je vous demande de nous fusiller tous avec nos familles », lit-on dans une pétition collective de 46 familles tchétchènes en Kirghizie en avril 194431. Lorsque, à l’été 1946, la loi de suppression de l’autonomie nationale tchétchène-ingouche est enfin publiée, beaucoup de Tchétchènes y voient le signe qu’ils ont à s’établir fermement sur les lieux de déportation, car les voies du retour vers le Caucase sont coupées. Cette publication ravive également l’antagonisme entre Tchétchènes et Ingouches, ces derniers accusant les premiers d’être à l’origine de leurs malheurs. Enfin, elle incite les Criméens et Caucasiens – Karatchaïs et Kalmouks – dont la suppression de l’autonomie n’a pas encore été rendue publique – à nourrir l’espoir infondé d’un prochain retour32. Pourtant, toutes les autonomies sont déjà supprimées33.
Règlement, surveillance et arbitraire
17La prise en main administrative s’est faite sans grande difficulté pour les services répressifs chargés des colons. En effet, l’OGPU-NKVD depuis le Premier Plan quinquennal (1928-1932) a accumulé une expérience considérable dans le traitement statistique et la gestion policière de grandes masses d’individus et de groupes ethniques entiers. Les colons caucasiens et criméens sont ainsi immédiatement pris dans un filet administratif et policier éprouvé : un réseau de commissariats locaux, les special’nye komendatury, subordonné aux départements des colonies spéciales des ministères de l’Intérieur républicain et central (OSP). C’est l’assignation à résidence sous la surveillance du commandant qui fait le colon, plus que sa condition de déporté et le territoire où il vit. Même la région de Moscou est un lieu de colonisation avec son OSP de niveau régional et municipal, son réseau de komendatury et ses colons. Des Tatars de Crimée y sont assignés à résidence. En 1947, ils peuvent faire venir leurs familles vivant en Asie centrale, ce qui revient à les faire passer d’un registre colonial régional à un autre34. En 1949, l’URSS est ainsi couverte d’un réseau de 2 679 komendatury, chacune ayant la responsabilité de 300 à 1 000 personnes35.
18Parallèle à la hiérarchie administrative « civile », ce réseau assure l’encadrement des colons spéciaux dans tous les aspects de leur vie. La komendatura est compétente pour toutes les questions d’état civil. C’est encore le commandant qui débrouille les plaintes des colons, ainsi livrés pieds et poings liés à l’arbitraire policier. Les colons ne peuvent quitter momentanément le village ou l’arrondissement de colonisation sans l’autorisation du commandant. Toute absence d’une durée supérieure à 24 heures est considérée comme évasion36. Ce système comprend sa propre justice : les colons dans la majorité des cas ne sont pas du ressort des tribunaux locaux, mais de la tristement célèbre Conférence spéciale du NKVD, officine parajudiciaire du ministère de l’Intérieur. « État dans l’État » – cette expression s’applique parfaitement à la structure administrative et judiciaire extérieure au système civil ordinaire mise en place par le NKVD pour surveiller et exploiter les déportés.
19Chaque commandant a sous sa responsabilité plusieurs centaines de foyers, parfois répartis dans des villages très éloignés les uns des autres. Très souvent, il n’est pas motorisé et se déplace à cheval37. Il peut n’apparaître physiquement qu’une fois par mois dans chaque regroupement de colons, parfois bien moins. Enfin, en 1948, il manque 2 500 hommes pour compléter le réseau des komendatury. Pour garantir un contrôle plus régulier, le commandant confie à l’un des colons la responsabilité de s’assurer de la présence de tous. Ce système dit de « la responsabilité collective reposant sur des responsables de groupe de 10 foyers » (krugovaâ poruka po desâtidvornikam) est pensé comme une solution au problème de la sous-administration rurale. Cet atavisme de la culture gouvernementale russe a repris une importance particulière dans les années 1930 étant donné l’insistance stalinienne sur le lien de parenté comme lien social particulièrement signifiant, en particulier pour les associations de malfaiteurs et les entreprises de colonisation intérieure de très vastes espaces38. Le responsable est souvent un chef de famille de quelque autorité – membre du Parti ou du Komsomol, par exemple – qui perçoit des avantages matériels pour ce service. Parlant un peu russe, il pointe à la komendatura tous les dix jours et fait l’intermédiaire entre le commandant et les colons. Sur le papier tout du moins, leur nombre passe de 7 366 en 1944 à 8 934 en 1946, et à 26 254 en 1950 dans le seul Kazakhstan39. Le centre rappelle régulièrement à ses hommes sur place l’importance de la responsabilisation des colons en jouant sur la corde familiale.
20Un dernier algorithme policier doit permettre aux commandants de tenir les colons : la constitution d’un réseau d’agents. Le recrutement, le chantage et la rétribution des mouchards sont considérés comme le fer de lance du « travail tchékiste ». À en croire les rapports triomphateurs, la population des colons est truffée d’informateurs : ils sont 11 699 en 1944 parmi les Caucasiens, les Criméens et les Kalmouks du Kazakhstan et de Kirghizie, chiffre probablement sans rapport avec la réalité40. En 1946, le MVD en compte en tout 22 218, soit 1 % des colons d’URSS. 13 864 personnes sont prises en filature, et 2 703 sont arrêtées pour activités contrerévolutionnaires cette même année41. Mais les directions régionales et républicaines se contentent trop souvent de recruter de larges cohortes d’indics pour faire du chiffre. Les informations récoltées de la sorte sont souvent inutilisables ou anodines, et les informateurs ne sont pas sûrs : « Dans de nombreux endroits, le réseau d’informateurs se trouve profondément engorgé d’agents doubles, de désinformateurs et de véritables traîtres... Les informateurs, en particulier parmi les jeunes, engagés dans des relations constantes avec le milieu antisoviétique, ne sentent pas notre éducation et se laissent influencer, se dégradent et deviennent non seulement inutiles, mais surtout dangereux pour nos services42. »
21Les réseaux d’indics permettent aux services de police de monter des « affaires ». Au lieu d’y voir des bruits incontrôlables, ils attribuent les nombreuses rumeurs défaitistes circulant parmi les colons à des « bandes rebelles », prétendument en pleine préparation d’attentats et de meurtres et répandant de fausses nouvelles pour mobiliser de nouveaux adhérents. Ils détectent et arrêtent ainsi des centaines « d’agents des services secrets étrangers, traîtres à la patrie, membres de groupes rebelles, terroristes et antisoviétiques43 ». Mises à part ces élucubrations, les réseaux d’indicateurs détectent dans l’immédiat après-guerre ceux qui semblent avoir été de véritables collaborateurs avec l’occupant nazi : ainsi de cinq Karatchaïs accusés du meurtre de 60 orphelins et trois éducateurs, évacués de la région de Žitomir vers la région des Karatchaïs en août 194244.
22Parmi les Criméens et les Caucasiens, les services de police redoutent particulièrement l’influence des anciennes élites soviétiques et des chefs claniques et religieux. La perspective de voir les chefs musulmans caucasiens et kazakhs s’allier effraie, de même que celle de voir les chefs traditionnels fédérer la jeunesse45. Au Kazakhstan, des mesures extraordinaires sont prises pour tuer dans l’œuf de tels rapprochements. Le cas de Vahaev Hasi illustre cette paranoïa policière : en se fondant sur la correspondance que l’ancien second secrétaire du Comité régional de Tchétchéno-Ingouchie menait depuis sa prison avec d’anciens collègues, les services kazakhs réussissent à lui faire avouer avoir « exposé dans ses lettres, sous une forme voilée, ses idées antisoviétiques, dans l’objectif de fédérer les clandestins nationalistes46 ». Dans certaines régions en 1946, la police est parvenue à utiliser des leaders religieux pour motiver les colons au travail ou les inciter à voter47. Cependant, de tels exemples sont rares comparés aux cas de mollahs condamnant le pouvoir48. Et trois ans plus tard, en 1949, la police ne se berce plus d’illusions sur ses facultés à retourner les chefs musulmans : « Les mollahs et les chefs de clans manifestent une importante activité antisoviétique », rapporte-t-elle alors49.
23Pointage, responsabilité collective et indics servent à contrôler tout déplacement non sanctionné de colon et à prévenir toute fuite du lieu de déportation. Pour la direction stalinienne, les évasions font l’objet d’une obsession qui atteint un paroxysme en 1948-1949. Le MVD est alors accusé de « pratique antiétatique », marquée par la négligence dans le contrôle des déplacements des colons et le traitement des évasions. Le MGB, qui a engagé cette attaque récupère tout le réseau des colonies spéciales. Le règlement est extraordinairement durci pour les déportés sur critère ethnique : les adultes sont désormais soumis à un pointage mensuel auprès de la komendatura et doivent signer une déclaration dans laquelle ils reconnaissent être déportés pour l’éternité et encourir une peine de 20 ans de travaux forcés en cas d’infraction au règlement. Un arsenal de mesures policières anti-évasion, empruntées au système carcéral, accompagne ce durcissement50.
24Pourtant, les « évasions », malgré quelques cas spectaculaires dont se régalent les rapports de police, sont en fait des créations bureaucratiques et policières51. « La majorité des personnes comptabilisées comme évadées se déplace en fait d’un arrondissement à l’autre » au sein d’une même République, pour rendre visite à des proches ou par nécessité (se rendre à l’hôpital ou chez le médecin, etc.), constate la police en 194852. À Frunze, le commandant use de son droit de veto sur toutes les célébrations collectives nécessitant la réunion temporaire des familles pour pourrir la vie de ses ouailles. Pour enterrer un proche au cimetière musulman situé hors de la ville, les colons ont besoin de son autorisation ; il la refuse même aux veufs. Il organise des rafles de « fuyards » pendant les mariages et les enterrements. Les jours de marché, une descente lui permet d’incarcérer les « évadées » qui s’y rendent sans autorisation depuis les kolkhozes des faubourgs pour vendre les produits de leur jardin53. Raisonnablement, le Parquet ne considère pas les déplacements intrarépublicains comme des évasions, ce qui lui vaut un conflit durable avec le MGB54. De plus, l’éclatement des familles au moment de l’expulsion favorise les tendances au regroupement non sanctionné par-delà les frontières administratives. Enfin, à Karaganda (Kazakhstan) en 1950, la majorité des évasions sont le fait d’étudiants des écoles ouvrières et de jeunes ouvriers fuyant les épouvantables conditions de vie. Or, ce phénomène d’adolescents tentant d’échapper à l’exploitation dans les usines n’est pas propre aux colonies, mais touche toute l’industrie soviétique55.
« Contingent spécial » et principe patriarcal
25Dans la société stalinienne, les membres des « peuples punis » sont des parias dénués de droits et exploitables à merci. Ainsi, les tchékistes, les autorités locales et les managers, dans leur correspondance, opposent systématiquement le « contingent spécial » (« speckontingent »), c’est-à-dire les colons et les détenus, à la « population dotée de droits » (« pravovoe naselenie »)56. Leur statut légal est moins enviable encore que celui des anciens koulaks déportés au début des années 1930 et dont une grosse moitié est encore en déportation à la fin de la guerre. En théorie, il n’y a aucun moyen pour les membres d’une ethnie réprimée d’échapper au châtiment collectif, alors qu’il existe pour les koulaks plusieurs procédures de réhabilitation57. Aucun service à la patrie, même signalé par les plus hautes distinctions, n’ôte la tache infamante assignée à la nationalité persécutée. Les enfants des déportés héritent du statut de colon, alors que les enfants de koulaks sont rayés des listes des komendatury lorsqu’ils atteignent l’âge de 16 ans. Ce principe national et familial ne connaît pas d’exception : même les orphelins hébergés dans des orphelinats en Russie, pour peu qu’ils appartiennent aux peuples persécutés, tombent dans l’orbite des komendatury spéciales à leur majorité58.
26L’inscription sur les listes coloniales est un moment difficile dans la vie des jeunes exilés, une forme d’initiation traumatisante à la vie adulte des nations humiliées, la prise de conscience de l’injustice de leur statut et de la malédiction de leur sort. C’est ainsi qu’Aza Bazorkina a vécu l’obtention de son passeport intérieur dans son exil de Frunze en 1952 : le commandant assigne à la jeune fille de 16 ans la fréquence de ses pointages à la komendatura ; elle ne peut quitter la ville sans son autorisation, même pour aller rendre visite à sa mère qui vit dans un kolkhoze des environs. « Il y avait là quelque chose de blessant, d’humiliant. J’eus du mal à retenir mes larmes », écrit-elle. Son père réagit :
« Oui, Zûka, c’est un jour difficile pour toi aujourd’hui. Tu as quitté l’enfance, tu es devenue comme nous tous. »
27Désormais, le régime dans toute sa dureté s’applique immédiatement à Aza, devenue colon à part entière. Dans ses relations avec le commandant, elle ne bénéficie plus de l’entremise de son père59. Pour les enfants de colons, l’âge adulte était avancé de deux ans par rapport aux autres adolescents et se marquait par la soumission brutale à un univers de violences et d’humiliations.
28Comme pour les koulaks, les liens de mariage avec un citoyen libre ne permettent pas de quitter le statut colonial. Pour décider du statut des couples mixtes, les services de police s’appuient sur le droit patriarcal : la famille a le statut de son chef masculin. S’il est susceptible d’être déporté, son épouse, quelle que soit sa nationalité, et toute sa famille le sont avec lui60. La réciproque n’est pas vraie : un homme libre épousant une déportée ne devient pas colon, mais son épouse, elle, ne perd pas son statut du fait de son mariage61. Taisiâ Čurûmova, d’origine russe, est déportée avec ses trois enfants en Sibérie fin 1943 comme épouse de Kalmouk. Pourtant, son mari est mort au front en 1942. Les soldats venus les expulser le 28 décembre la placent devant un dilemme : soit renoncer en divorçant de son mari mort en héros, et échapper à la déportation ; soit partager le destin du peuple kalmouk collectivement « traître à la patrie » et être transportée avec ses enfants en Sibérie. La veuve choisit la deuxième solution, par amour et respect pour son mari, par solidarité avec le peuple kalmouk, et aussi par crainte de subir, si elle restait, la haine et des brimades de la part de ses voisins non déportés vis-à-vis des « traîtres à la patrie » kalmouks62.
29Svetlana Alieva est d’une famille mixte, Karatchaï par son père et Russe par sa mère. À l’âge de 14 ans, elle est convoquée au commissariat du NKVD de la ville de Frunze, où elle vit avec toute sa famille. On lui signifie qu’elle aura à 16 ans le choix de la nationalité à inscrire sur son passeport intérieur. Si elle choisit d’être Karatchaï comme son père, elle sera sur les « registres spéciaux » jusqu’à la fin de ses jours. Si elle prend la nationalité de sa mère, elle sera Russe et libre : il lui suffit simplement de signifier par écrit sa répudiation de la nationalité karatchaï. L’adolescente cède et signe. « Le reniement de mon père adoré et de son peuple est un déshonneur éternel, ma honte perpétuelle », écrit-elle plus de quarante ans après les événements63.
30Pourtant, des priorités politiques faisaient oublier momentanément la réalité de la discrimination. La préparation des élections parlementaires de février 1946 dans les colonies est un de ces moments d’absurde tragicomique du stalinisme finissant. Pour garantir l’expression d’un large soutien au régime, on se souvient en haut lieu que les Soviétiques détenus ou colons ne sont pas officiellement privés de leurs droits civiques. Bien sûr, une telle politique parfaitement à contre-courant des pratiques d’exclusion des colons de toute forme de vie publique met les autorités locales en porte-à-faux et suscite le chaos. Ainsi en décembre 1945 et janvier 1946, alors que les réunions d’électeurs se multiplient sur les lieux de travail, les officiels hésitent à inviter les colons à y participer. Le syndicaliste en chef d’une usine de farine de la région de Novossibirsk, doutant du droit de vote des colons, chasse les déportés d’un meeting électoral. Jusqu’à la veille des élections, des colonies entières ne sont pas au courant de leur droit de vote64.
31Des colons considèrent les élections comme un signal important de la fin prochaine de la déportation. Ce vain espoir repose sur deux rumeurs extrêmement tenaces et de sens opposé. D’une part, celle d’une intervention anglo-américaine en URSS, à l’occasion des élections, pour venir en aide aux colons. Cette croyance circule dans tout l’archipel des colonies et traverse toutes les nationalités : « Ces élections ne riment à rien, puisque le gouvernement anglais a proposé à l’Union soviétique de rétablir les droits de notre nation... Si le gouvernement soviétique refuse son accord, ce sera la guerre entre l’URSS et l’Angleterre. L’Angleterre l’emportera et nous65 rendra le Caucase », affirme un Tchétchène. La rumeur d’une guerre prochaine entre les anciens Alliés ne quitte pas les colonies de 1945 jusqu’à la mort de Staline, et ne fait que s’amplifier avec l’approfondissement de la Guerre froide et le déclenchement de la guerre de Corée (1950-1953). D’autre part, une rumeur fait croire aux colons que la conservation de leur droit de vote signifie que le pouvoir soviétique les réintègre dans la famille des peuples de l’URSS. Outre ces rumeurs, prévalent chez les colons la désillusion, l’incrédulité, et surtout la déception de ne pas pouvoir proposer leurs candidats. « Nous irons voter au Caucase », « Les élections du gouvernement soviétique ne peuvent pas nous intéresser, nous autres Tchétchènes. Que les Russes votent, c’est leur gouvernement », entend-on. Les autorités mettent en œuvre la double approche de la conviction par l’agitation et de la coercition par la répression pour garantir un succès électoral aux candidats du bloc officiel. Au Kazakhstan, 40 colons mécontents ou simplement sceptiques sont arrêtés et condamnés66.
32Certains environnements cependant étaient propices à l’atténuation des discriminations. Ainsi, dans le récit de Svetlana Alieva, la Frunze d’après-guerre est un havre pour l’intelligentsia marginale : « On vivait, ce me semble, pas si mal que ça. La Kirghizie était accueillante, tolérante et hospitalière ». La capitale kirghize représente pour Alieva un idéal combinant homogénéité sociale et politique et hétérogénéité ethnique et culturelle :
« Dans la Frunze de mes jeunes années était concentrée... l’intelligentsia entretenant quelques relations conflictuelles avec l’administration stalinienne. Il y avait des exilés sur critère social ou ethnique, des politiques, des colons spéciaux, des “cosmopolites”, des médecins, des professeurs... Qui n’y trouvait-on pas67 ! »
33Pour Alieva, dont le père était poète, l’appartenance à l’intelligentsia persécutée par Staline – « l’intelligentsia multiethnique de Frunze » – crée des solidarités plus fortes que les différences ethniques. Ostracisée par ses petites camarades tout au long de ses années d’école, Svetlana ne trouve protection qu’auprès des enseignants et de la directrice, qui la « prend sous son aile » au moment où les parents d’élèves réclament l’exclusion de cette fille de Karatchaï. Cette proximité avec l’encadrement de l’école, Alieva l’explique par une commune oppression sous Staline et par la complicité intellectuelle avec « l’intelligentsia russe à la belle âme ». Ainsi, l’inconvénient d’appartenir à une ethnie persécutée est atténué par la solidarité sociale des victimes du stalinisme membres de l’élite intellectuelle68.
Renouveau culturel ou repli communautaire ?
34Documents d’archives et mémoires s’accordent sur l’affermissement des traditions religieuses, culturelles et sociales dans les lieux de déportation, au moins chez les Caucasiens. Chez Aza Bazorkina, l’interdiction des mariages mixtes par les anciens est une réaction au principe patriarcal d’attribution de l’identité coloniale69. Généralement, le contexte d’ostracisme qui caractérise l’attitude à l’égard des déportés est à l’origine de l’élaboration de stratégies de sauvegarde nationale70. Tous les vecteurs classiques d’intégration au corps social soviétique sont en effet interdits ou inaccessibles aux « peuples punis » : les jeunes hommes ne font pas leur service militaire et les démobilisés ne sont pas réservistes. La scolarisation n’est pas non plus facteur de socialisation soviétique massive. En effet, au moins un cinquième des enfants de Caucasiens et Criméens ne fréquente pas l’école, et cette proportion atteint les trois quarts dans les premières années d’exil. Les causes en sont bien connues des autorités locales et centrales, mais jamais aucune mesure n’est prise pour changer la situation, preuve que le pouvoir ne nourrit aucune velléité intégratrice à l’égard des colons. D’abord, il n’y a pas d’enseignement en langue nationale. Beria l’a interdit dès 1944 : les instituteurs du Caucase et de Crimée, déportés comme tout le monde, sont eux-mêmes des « traîtres à la patrie », privés du droit d’exercer une71 profession pédagogique. Certains parents refusent de mettre leurs enfants72 dans des écoles russes ou kazakhs. Ensuite, les parents sont trop pauvres et les enfants trop affaiblis pour organiser une scolarité dans les premières années. Résultat, une proportion extrêmement importante est analphabète : le grand recensement colonial de 1949 en révèle 151 232 parmi les 480155 Caucasiens (31,5 %) et 27 119 parmi les 185 535 Criméens (14,5 %)73. L’enseignement supérieur technique ou généraliste est hors de portée de la majorité des colons. Aza Bazorkina a la chance de vivre à Frunze, où elle peut fréquenter des cours d’infirmière. Mais les portes de l’institut de médecine lui sont fermées jusqu’en 1955. I. A. Utnasunova se voit refuser l’entrée à l’école de radiotechnique de la capitale régionale : d’une part, l’école n’examine pas les dossiers de colons, et de l’autre la komendatura refuse qu’elle se rende à Novossibirsk pour y passer les examens d’entrée74.
35Formellement, le Parti et le Komsomol n’écartent pas les colons. Mais dans les faits, ces organisations ne regardent pas d’un bon œil leurs candidatures75. Toute la classe de Svetlana Alieva, dont elle est la seule colon, est inscrite d’office au komsomol. Mais son cas crée tout de même des difficultés au bureau local des jeunesses léninistes : elle n’est reçue qu’après que celui-ci a obtenu l’autorisation auprès de sa hiérarchie régionale et centrale. Par ailleurs, les colons caucasiens et criméens refusent d’envoyer les leurs au Parti. Au Parti, les colons se voient en effet confier des tâches obligatoires qui ne peuvent les faire apparaître que comme des traîtres aux yeux des leurs : ils participent aux campagnes de signature forcée des documents officiels reconnaissant la culpabilité des peuples déportés76. Finalement, les membres des organisations officielles sont peu nombreux parmi les colons : en 1949, il n’y a que 2 128 communistes et 1 896 komsomols parmi les Caucasiens, et 776 communistes et 1 580 komsomols parmi les Tatars de Crimée. Le très faible nombre de komsomols parmi les Caucasiens montre à quel point Tchétchènes et Ingouches sont étrangers à ces structures d’ascension sociale.
36Après la phase d’effondrement moral des premières années de déportation, les groupes nationaux se soudent contre l’extérieur. Tchétchènes et Ingouches sont les plus pugnaces aux yeux des services : « Nous sommes convaincus que les plus amers [des colons spéciaux] sont les déportés du Nord Caucase, surtout les Tchétchènes et les Ingouches77. » Ils limitent au minimum le contact avec les autorités en refusant d’enregistrer les naissances ou de porter leurs différends devant les tribunaux78. Même les communistes participent au renforcement des pratiques patriarcales traditionnelles, porté par les « anciens », les chefs de clan, et les leaders religieux : soumission des femmes, arrangement des mariages et interdiction des unions mixtes. Ils s’arc-boutent sur le code de l’honneur appuyé par des instances judiciaires informelles (le « khel » chez les Ingouches). Les danses et chants traditionnels, les réunions familiales et claniques prennent une grande importance dans la sédimentation des relations sociales79. Enfin, des courants religieux, comme le soufisme et le mouvement dit des « Chapeaux blancs » (Belošapočniki) parmi les Tchétchènes, connaissent une forte expansion80. Cette revitalisation culturelle et ethnique suscite l’incompréhension et le dégoût des autorités, alors qu’elle est puissamment incitée par la politique menée à l’égard des déportés. Ce n’est pas un mince paradoxe que la police d’un côté applique avec toute la rigueur possible le principe familial patriarcal dans ses mesures de stigmatisation envers les colons et de l’autre voit dans le renforcement des parentèles et des clans traditionnels une menace pour le régime et l’ordre public.
37Les pogroms révèlent que le racisme dont les Caucasiens sont les victimes est partagé par les policiers. Si les relations avec les habitants ont été difficiles dans les premiers temps, tous les témoignages concordent pour dire qu’elles se sont rapidement réchauffées au Kazakhstan et en Ouzbékistan81. Pour les Caucasiens du Kazakhstan, la situation change dramatiquement à la fin des années 1940 : de la main-d’œuvre supplémentaire, souvent d’anciens détenus, est transférée sur les sites industriels géants où travaillent des Caucasiens en voie d’urbanisation82. Les violences à caractère racial entre les travailleurs temporaires et les déportés « locaux » apparaissent dès cette époque. Elles prennent la forme de bagarres et de pogroms sanglants, dont deux ont une très grande envergure dans l’est du Kazakhstan : le 27 juin 1949 à Ust’-Kamenogorsk, une rixe éclate entre 150 Tchétchènes et 300 ouvriers contractuels fraîchement arrivés. Elle fait 12 blessés. Plus grave, le 17 juillet, des ouvriers récemment débarqués à Leninogorsk massacrent 34 Tchétchènes, femmes et enfants compris83. Les survivants ont trouvé refuge auprès de familles kazakhes. Pourtant, la police républicaine rejette la responsabilité des meurtres sur les victimes, selon un schéma raciste classique : « Le comportement provocant des Tchétchènes et des Ingouches à l’égard des populations locales, qui a dans une grande mesure suscité l’incident notoire qui a eu lieu à Leninogorsk, ne peut donc pas être interprété comme fortuit » (sic). Le contresens réalisé par le MGB du Kazakhstan est total : en effet, à Leninogorsk et à Ust’-Kamenogorsk, les locaux sont les Tchétchènes et les Kazakhs ; les organisateurs du pogrom, eux, viennent d’arriver84.
Conclusion : le sens de l’aliénation
38Il est illusoire de chercher à comprendre la portée de la déportation pour l’histoire soviétique à l’aune des seules décisions d’expulsion dont furent victimes les « peuples punis ». Pour comprendre les intentions du pouvoir, il faut jeter un regard diachronique sur la dizaine d’années passées en exil. On voit que le projet soviétique pour les « peuples punis » évolue vers un ostracisme toujours plus grand, contrairement aux attentes d’un adoucissement du régime après les rigueurs des premières années et la victoire de 1945, comme la réintégration progressive dont avaient bénéficié les anciens koulaks en exil dans les années 1930 pouvait le laisser espérer. Une fois disparu l’espoir de regagner rapidement leur patrie, les colons mettent en place des stratégies de survie du groupe dans les conditions de la déportation qui les constituent en communautés nationales isolées. Cette analyse s’oppose à l’interprétation souvent avancée d’une déportation-assimilation des Caucasiens et Criméens. Ainsi Zemskov : « La déportation d’une série de petits peuples devait visiblement permettre d’accélérer les processus de leur assimilation dans la société soviétique » par leur fusion dans les populations d’Asie centrale85. Naimark avance la même idée quand il parle de politique de « soviétisation des nationalités86 ». Cette exégèse est entièrement contredite par les principes et l’évolution de la politique générale de l’État soviétique à l’égard des déportés et par les stratégies de survie des groupes nationaux.
Notes de bas de page
1 Pohl M., « “It Cannot Be That Our Graves Will Be Here” : The Survival of Chechen and Ingush Deportees in Kazakhstan, 1944-1957 ». Journal of Genocide Research, vol. 4, no 3, 2002 ; Ohayon I., « La Déportation des peuples de l’Asie centrale pendant la Seconde Guerre mondiale », Causarano P. et alii (dir.), Le XXe siècle des guerres, Éditions de l’Atelier, 2004, p. 172-180.
2 Patiev Â., Inguši : deportaciâ, vozvrašenie, reabilitaciâ, 1994-2004, Dokumenty, Materialy, Kommentarii, Magas, Serdalo, 2004, p. 187-188 ; Carevskaâ-Dâkina T., « Specpereselency v SSSR », Afanas’ev Û. (red.), Istoriâ stalinskogo Gulaga : Konec 1920-h – pervaâ polovina 1950-h godov ; Sobranie dokumentov v semi tomah, vol. 5, Moscou, ROSSPÈN, 2004, p. 409-410.
3 Ibid., p. 413, 415.
4 Pobol’N. L. et Polân P. M. (red.), Stalinskie deportacii 1928-1953. Dokumenty, Moscou, Materik Fond Demokratiâ, 2005, p. 543-545.
5 Patiev Â., op. cit., p. 160.
6 Ibid., p. 154.
7 Carevskaâ-Dâkina T., op. cit., p. 398 ; Patiev Â., op. cit., p. 166.
8 Carevskaâ-Dâkina T., op. cit., p. 450, 466-467, 508.
9 Viola L., The Unknown Gulag : The Lost World of Stalin’s Special Settlements, New York, Oxford University Press, 2007, p. 113, 188.
10 Patiev Â., op. cit., p. 125, 141-142 ; Carevskaâ-Dâkina T., op. cit., p. 417.
11 Carevskaâ-Dâkina T., op. cit., p. 411-412 ; Patiev Â., op. cit., 2004, p. 111, 166.
12 Patiev Â., op. cit., p. 163 ; Carevskaâ-Dâkina T., op. cit., p. 450, 451, 466, 509.
13 Patiev Â., op. cit., p. 164, 167-168, 169 ; Carevskaâ-Dâkina T., op. cit., p. 413, 441, 451, 462.
14 Patiev Â., op. cit., p. 164.
15 Ibid., p. 170.
16 Carevskaâ-Dâkina T., op. cit., p. 465-466 ; Patiev Â., op. cit., p. 171, 192-196.
17 Carevskaâ-Dâkina T., op. cit., p. 505-506.
18 Ibid., p. 507-508.
19 Pobol’ N. L. et Polân P. M. (red.), op. cit., p. 565-566.
20 Zemskov V. N., Specposelency v SSSR. 1930-1960, Moscou, RAN-IRI, Nauka, 2003, p. 197.
21 Patiev Â., op. cit., p. 174-5, 192-196, 200-202, 301 ; Pohl M., op. cit., p. 405 ; Carevskaâ-Dâkina T., op. cit., p. 579-581.
22 Patiev Â., op. cit., p. 183.
23 Zahar’ân G., « Tragediâ Kryma – 44 », 1992, p. 151-155 : http://www.sakharov-center.ru/asfcd/auth/auth_book.xtmpl?id=84865&aid=253
24 Patiev Â., op. cit., p. 161-162 ; Carevskaâ-Dâkina T., op. cit., p. 424.
25 Carevskaâ-Dâkina T., op. cit., p. 528-529, 759-760.
26 Bazorkina A., « Terpenie », Alieva S., Tak èto bylo : Nacional’nye repressii v SSSR, 1919-1952 gody v 3 tomah, volume 2, Moscou, INSAN, 1993, p. 110 ; Pohl M., op. cit., p. 403-404.
27 Patiev Â., op. cit., p. 147-149 ; Carevskaâ-Dâkina T., op. cit., p. 411.
28 Bazorkina A., op. cit., p. 113, 115-116.
29 Pohl M., op. cit., p. 406 ; Patiev Â., op. cit., p. 173.
30 Patiev Â., ibid., p. 169 ; Carevskaâ-Dâkina T., op. cit., p. 450.
31 Le NKVD fait taire les « initiateurs » de cette « protestation au caractère antisoviétique fortement exprimé ». Carevskaâ-Dâkina T., op. cit., p. 414-415.
32 Zubkova E., Košeleva L., Kuznecova G. et alii, Sovetskaâ žizn’. 1945-1953, Moscou, ROSSPÈN, 2003, p. 380-383.
33 Pobol’ N. L. et Polân P. M. (red.), op. cit., p. 393, 412, 489.
34 Carevskaâ-Dâkina T., op. cit., p. 445, 472-473, 667-668.
35 Patiev Â., op. cit., p. 215.
36 Carevskaâ-Dâkina T., op. cit., p. 448.
37 Pohl M., op. cit., p. 408.
38 Alexopoulos G., « Stalin and the Politics of Kinship : Practices of Collective Punishment, 1920s – 1940s », Comparative Studies in Society and History, vol. 50, no 1, 2008, p. 93-94.
39 Pohl M., op. cit., p. 409 ; Patiev Â., op. cit., p. 185-189.
40 Patiev Â., op. cit., p. 209.
41 Carevskaâ-Dâkina T., op. cit., p. 544.
42 Ibid., p. 546.
43 Ibid., p. 654.
44 Ibid., p. 544-545.
45 Ibid., p. 547.
46 Ibid., p. 655.
47 Ibid., p. 547 ; Patiev Â., op. cit., p. 175.
48 Patiev Â., ibid., p. 178.
49 Carevskaâ-Dâkina T., op. cit., p. 655.
50 Ibid., p. 605-606, 608, 610.
51 Ibid., p. 697-706.
52 Ibid., p. 578.
53 Bazorkina A., op. cit., p. 121-122.
54 Patiev Â., op. cit., p. 185-189 ; Carevskaâ-Dâkina T., op. cit., p. 657.
55 Carevskaâ-Dâkina T., op. cit., p. 656 ; Filtzer D., Soviet Workers and Late Stalinism. Labour and the Restoration of the Stalinist System after World War II, Cambridge, Cambridge University Press, 2002, p. 139.
56 Zemskov V. N., op. cit., p. 145 ; Carevskaâ-Dâkina T., op. cit., p. 558.
57 Au milieu des années 1930, 147 000 koulaks avaient été réhabilités. Pendant la guerre, les koulaks valides furent envoyés au front et rayés des listes coloniales avec femmes et enfants. Viola L., op. cit., p. 157, 178. Après la guerre, ceux qui restaient furent progressivement libérés. À la mort de Staline, il ne restait que 25 000 koulaks de la première vague en exil. Zemskov V. N., op. cit., p. 211.
58 Ibid., p. 168.
59 Bazorkina A., op. cit., p. 121.
60 Carevskaâ-Dâkina T., op. cit., p. 669-670.
61 Zemskov V. N., op. cit., p. 170.
62 Utnasunova I., « Mama ne mogla izmenit’ pamâti pogibšego muža », Godaev P. O., Bol’pamâti, Elista, Dzangar, 2000, p. 291-296.
63 Alieva S. (red.), op. cit., p. 328-329.
64 Carevskaâ-Dâkina T., op. cit., p. 482-483.
65 Zemskov V. N., op. cit., p. 129.
66 Patiev Â., op. cit., p. 176-178.
67 Alieva S. (red.), op. cit., p. 323.
68 Ibid., p. 322-323.
69 Bazorkina A., op. cit., p. 118.
70 Carevskaâ-Dâkina T., op. cit., p. 656, 702.
71 Pobol’ N. L. et Polân P. M. (red.), op. cit., p. 546-547 ; Carevskaâ-Dâkina T., op. cit., p. 451, 461.
72 Pohl M., op. cit., p. 413.
73 Zemskov V. N., op. cit., p. 178.
74 Utnasunova I., op. cit., p. 295.
75 Amit E., « Nikto ne zabyt, ničto ne zabyto : Vospominaniâ », Alieva S. (red.), op. cit., p. 102.
76 Zemskov V. N., op. cit., p. 172-173.
77 Carevskaâ-dâkina T., op. cit., p. 654-656.
78 Pohl M., op. cit., p. 413.
79 Bazorkina A., op. cit., p. 119.
80 Pohl M., op. cit., p. 415-416.
81 Pohl M., op. cit., p. 405 ; Amit E., op. cit., p. 92-93.
82 Patiev Â., op. cit., p. 199-200.
83 Carevskaâ-Dâkina T., op. cit., p. 648.
84 Ibid., p. 656.
85 Zemskov V. N., op. cit., p. 107.
86 Naimark N. M., Plamâ nenavisti : ètničeskie čistki v Evrope xx veka, Moscou, AIRO – XX, 2005, p. 139, 164.
Notes de fin
* La colonne « libérations » correspond au relâchement de familles appartenant à des ethnies non visées par les décrets d’exil et chargées par erreur dans les wagons au moment des déportations massives des Caucasiens et Criméens. En 1951, il restait encore 25 800 personnes dans ce cas en déportation. Le MGB obtint de les conserver dans un exil éternel, étant donne les « liens claniques étroits » qu’ils entretenaient avec les « peuples punis ». Ibid., p. 670.
Auteur
marc.elie@centre-fr.net
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