Chapitre VIII. Les régions françaises et la littérature nationale
p. 249-265
Texte intégral
1Les agronomes du Siècle des Lumières et de la première moitié du XIXe siècle ont souvent recours aux observations pratiques, aux expériences, à la réalité, dans un secteur qui ne peut seulement se satisfaire de conseils et de calculs théoriques. Le recours à la réalité locale est mis en avant par les théoriciens et par le gouvernement, en particulier depuis les années 1760, quand on aide à la fondation de Sociétés d’agriculture provinciales qui doivent justement dépasser le cadre trop théorique des Académies installées dans les grandes villes du royaume.
Définitions de termes d’usage régional ou local
2Les dictionnaires donnent plusieurs termes d’usage régional. Dans le Dictionnaire de commerce de Savary des Brûlons (1723), dans l’Encyclopédie (1751-65), dans le Dictionnaire œconomique de Chomel (1767), les termes sont généralement d’usage national et contemporain, mais avec quelques termes de « quelques lieux », de « quelques endroits » ou encore de « quelques coutumes ». Orléanais, Mâconnais, Berry, Anjou, Touraine, Auvergne et Marche apparaissent ainsi dans l’Encyclopédie, essentiellement pour des questions de droit, quasi exclusivement au sujet des pâturages.
3Dans le Dictionnaire de Trévoux, par contre, en 1771, on compte déjà 22 termes d’usage ancien, 6 termes qui ne s’utilisent que dans quelques provinces ou « endroits », et 15 termes bien localisés. Pour les provinces, trois entrées concernent la Normandie, dont une le Pays d’Auge et le Livarot, avec la « Caserete [qui] désigne un moule en bois qui sert à faire des fromages ». Il y en a deux pour le Berry, pour la Bresse, pour le Dauphiné, pour l’Orléanais, une pour le Mâconnais, une autre pour le Nivernais, une autre pour le Languedoc, enfin une pour la ville d’Acqs. Dans le Répertoire de jurisprudence de Guyot (1784-85), on compte une vingtaine de termes qui ne s’utilisent que dans certaines provinces de France ou dans certains pays : ce sont l’Auvergne, la Bresse, la Marche, la Normandie et la Provence qui reviennent le plus, avec deux occurrences chacune, en plus de la Lorraine, de la Touraine et « d’autres pays ». Les pays étrangers sont également de mise, avec, dans le Dictionnaire de Trévoux, trois entrées pour la Suisse et ses fromages, deux pour Constantinople et ses peaux de bœufs et de vaches, une pour l’Angleterre, avec le « Stone » qui désigne un poids utilisé par les bouchers anglais pour peser la viande débitée, une pour l’Espagne et ses combats de taureaux, une pour Hambourg. Si certains termes sont directement d’usage local, il peut aussi arriver que l’on donne, pour des termes d’usage national, les expressions utilisées dans certaines régions, le « Regain » devenant par exemple « revoin » en Normandie.
4S’il y a augmentation du nombre d’articles à propos de l’élevage bovin dans le Cours complet, entre la 1re édition de 1781 et la 2e édition de 1793, elle concerne surtout des termes d’usage national. Mais on oublie, dans l’édition de 1809, plusieurs termes de la 2e édition et on ajoute par contre 20 termes d’usage local, en particulier pour désigner les animaux dans certains « pays », l’anouil, jeune bœuf destiné au labourage dans le Médoc, le béon, bœuf dans le Lot-et-Garonne, le buou dans le Var, le domptaire, « bœuf privé qu’on attelle avec un bœuf non encore façonné au joug pour y accoutumer ce dernier » en Camargue, le doublon, veau de deux ans dans certains cantons, le gatina, bœuf brun des Deux-Sèvres, le godin, jeune bœuf d’un an des Ardennes, le vedet, veau de lait de Haute-Garonne. Ce sont aussi des outils, comme la binée, petite auge des Ardennes, la « feicelle », vase percé de trous dans lequel on met le fromage à égoutter, dans les Deux-Sèvres ; ce sont aussi des fourrages, comme le bourgogne, « nom vulgaire du sainfoin dans quelques départemens », la dravie ou dravière, mélange de vesce et de pois dans les environs de Boulogne, l’escapitun, panicule mâle du maïs que l’on coupe après la fécondation pour la donner aux bestiaux dans le département du Lot-et-Garonne, le nougat, « marc de l’huile de noix, dont on se sert pour engraisser les bestiaux et les volailles » dans le même Lot-et-Garonne, la relaisse, herbes que les bœufs rebutent en été et qu’on leur coupe ensuite pour l’hivernage, en Normandie, le « sainfoin », luzerne de Haute-Garonne, ou encore les « savarts », terres incultes des Ardennes. Enfin ce sont des pratiques comme l’embouche du Charolais, le fait de chanter pendant que les bœufs travaillent, tâche de l’érandou dans les Deux-Sèvres, ou la frémogée, action d’enlever les fumiers des étables, également dans les Deux-Sèvres.
5En 1838, le corpus de la nouvelle édition du Cours complet compte 604 articles, dont 128 sur des termes d’usage régional ou local, et trois de Suisse, avec les mêmes mots qu’en 1809 et une centaine d’ajouts, plus de 55 % de ces articles ayant rapport à des fourrages, à des pâtures, à la litière, à des usages particuliers. Par exemple, dans le Maine-et-Loire, on donne le nom de coupage à « un mélange d’effanures de seigle ou de froment, de vesce et de paille, qu’on donne aux bestiaux au commencement du printemps pour les préparer insensiblement au changement de nourriture » ; aux environs de Château-Thierry, le « fourrage » est « la quantité de paille d’avoine nécessaire à la nourriture journalière d’une vache » ; le « trémois » est un « mélange de froment, d’avoine, d’orge, de pois gris et de vesce, qu’on sème dans quelques cantons pour fourrage » ; dans le Cantal, la « pâture » est un mélange de foin, de regain et de paille.
6Puis, après les catégories animales que l’on rencontre déjà dans l’édition de 1809, avec quelques ajouts de termes auvergnats (« bourrette », « terson »), cotentin (« bringé »), le vocabulaire local concerne surtout le secteur laitier, surtout au sujet d’instruments qui portent des noms divers selon les cantons, en Auvergne et au Nord-Est, mais aussi dans le Midi. Ce sont par ailleurs des termes relatifs aux engrais, ou encore au droit, les cabal et cabaux désignant le cheptel dans le Lot-et-Garonne et le Midi, comme le chatteau dans les Deux-Sèvres ; un terme d’architecture, le vedelat, désigne le « nom des étables à veaux qui accompagnent les mazuts ou chalets dans le département du Cantal » ; le « pigeon » est le nom normand d’une tumeur qui apparaît sur le fémur des bœufs. On trouve aussi plusieurs termes locaux sur l’engraissement des bestiaux : le batier est celui qui se livre à l’engrais des bœufs en Auvergne, en particulier dans les « montagnes à graisse » ; les vachers du Cantal « croupent », c’est-à-dire qu’ils mettent « un anneau de paille à la base de la queue des veaux qui viennent de naître, dans le but de faire grossir leur croupe, ce qui augmente la beauté et la valeur des bœufs », Bosc estimant que cette opération n’est pas connue ailleurs en France.
7Regardons, à l’aide d’une carte (figure 2), la répartition géographique des termes locaux désignés dans l’édition de 1838 du Cours complet, avec 100 articles, contre 18 en 1809. On confirme l’intérêt pour les départements des Deux-Sèvres, du Lot-et-Garonne, du Var, mais on s’ouvre aussi à la Normandie, à la Picardie, à la Lorraine, à la Franche-Comté, à l’Auvergne, régions absentes ou quasiment absentes dans l’édition de 1809, avec aussi davantage d’entrées concernant le Sud-Ouest et le Midi. Par contre, on ne trouve rien, dans les deux éditions, sur le Limousin, la Marche, le Dauphiné, quasiment rien sur la Bretagne et les régions du Centre, en tout cas si l’on considère seulement les articles spécifiques aux régions, comme ces dernières peuvent apparaître dans des articles généraux, au sujet des pratiques d’élevage du Limousin par exemple.
8Dans l’Encyclopédie méthodique, la distinction entre termes d’usage national, régional ou local ne s’opère que dans les sections « Agriculture » et « Jurisprudence », tous les articles des sections « Architecture » et « Commerce » étant à usage national. Ainsi, en « Agriculture », pour 675 articles, 592 désignent des termes à usage national. Il en reste 16 pour un usage régional, sans précision géographique, « dans certains cantons », « dans quelques provinces », trois pour des termes qui ont deux sens, l’un national, l’autre régional, et 61 articles qui renvoient à des régions ou localités précises. Regardons de plus près les thèmes traités dans les 80 derniers articles relevés.
9Nous avons une bonne proportion de termes relatifs à des catégories d’animaux, aux labours, pour de très courtes définitions ; notons que très peu de termes de médecine ne sont liés qu’à des usages exclusivement locaux. On compte 5 articles pour le Cantal, 4 pour les Ardennes, pour le Jura, 3 pour l’Auvergne, 3 pour les Deux-Sèvres, pour la Normandie, 2 pour l’Ariège, pour la Camargue, pour la Flandre, pour la Haute-Garonne, pour le Lot-et-Garonne, pour le Midi, pour l’Orléanais, pour les Vosges, un pour Angers, Boulogne, Caen, Cambrai, Châlons-sur-Marne, Foix, Lyon, le Boulonnais, la Bresse, la Bretagne, le Charolais, le Cotentin, le Gers, la Haute-Vienne, le Mâconnais, le Médoc, la Nièvre, la Picardie, le Vexin normand et l’est du royaume. Pour le contenu, seuls 2 articles dépassent 50 lignes : ce sont la « Friche » et l’« Herbage », qui peuvent prendre le sens de pâturages dans certaines régions.
10La figure 3 donne la répartition géographique des articles régionaux et locaux de la section « Agriculture », autour de 12 % du corpus d’articles. Nous distinguons les usages provinciaux, avec trois codes de couleur selon que la province est concernée par un, deux ou trois articles, puis les usages locaux, à savoir d’un pays régional comme la Bresse ou le Vexin normand ou d’un département comme la Haute-Vienne ou le Lot-et-Garonne, avec trois échelles d’un, de deux ou de trois à cinq articles. Enfin, nous indiquons les villes touchées par une entrée qui leur est spécifique.
11Nous voyons ainsi quatre zones se démarquer, au Nord avec la Normandie (6 articles) et les provinces de Flandre et de Picardie (6 articles), au Centre en Auvergne (8 articles) et en particulier dans le Cantal, puis en Bourgogne, avec les pays du Charolais, du Mâconnais, de la Bresse (4 articles), enfin au Sud-Ouest avec les régions de Guyenne et Gascogne (6 articles à usage très localisé).
12Par contre, les provinces du Nord-Est sont peu présentes, avec seulement deux articles pour les Vosges, le Sud-Est est quasiment inexistant, avec deux articles pour la Camargue mais rien pour la Provence ou le Languedoc. Enfin, nous n’avons aucune entrée spécifique au Maine, au Berry, au Bourbonnais, à la Marche, régions presque toutes centrales où l’élevage bovin est une activité majeure de l’agriculture. On retrouve en somme les mêmes creux dans cette section que dans le Cours complet, sur les pays du Maine, de l’Anjou, de la Touraine, de l’Alsace, du Languedoc, du Dauphiné, sans pour autant que ces régions soient absentes des réflexions, comme les termes qui y sont utilisés au sujet de l’élevage peuvent facilement rejoindre les termes d’usage national.
13Dans la section « Jurisprudence », sur 140 articles, 103 désignent des termes à usage national, 3 des termes d’usage ancien. Sept articles sont d’usage local, mais sans détail sur les lieux ou les coutumes concernées. On précise dans les 27 articles restant l’espace et/ou les textes coutumiers dans lesquels on utilise ces termes. On trouve par exemple les « Bêtes aumailles », les « Aumailles […] dans plusieurs coutumes », les « Avers », qui désignent les bêtes à cornes. Ce sont, en Auvergne, les « Borrets et Borrettes », pour les taureaux, génisses et poulains âgés d’un an, et les « Bêtes arans », bêtes propres au labourage. 10 articles d’usage local ont trait à la pâture, soit un quart du corpus pour ce sujet, pour des définitions de 10 à 30 lignes. Il en est de même pour les termes en rapport avec l’agatis. Notons encore d’autres définitions juridiques de termes de coutume. Il y a cinq occurrences pour Acs ou Acqs, quatre pour l’Auvergne, dont la « Vinade », qui désigne une corvée à bœufs, deux occurrences pour Bordeaux et le Bordelais, une pour le Béarn, trois pour la Bretagne, une pour Caen, une autre pour le Hainaut, une pour le Labourd, une autre pour la Lorraine, trois pour la Marche, deux pour la Normandie et la Picardie, avec le « Tor », droit commun aux deux régions d’avoir un taureau pour couvrir les vaches contre une certaine somme. Nous avons encore trois articles pour Paris, un pour les provinces méridionales, une pour Saint-Sever, une pour la Sole et une pour Tours.
Modèles régionaux et pratiques locales : descriptions et promotion
Types bovins et systèmes d’élevage
14Dans la 1re édition de la Nouvelle Maison Rustique, en 1700, le chapitre sur les bêtes à cornes et sur le lait ne contient aucune considération sur des pratiques localisées ; « il y en a qui », mais on ne précise pas les lieux. En 1708, par contre, il est question des vaches flandrines amenées dans le Poitou, l’Aunis, les marais de Charente1, « avec quelques particularitez à remarquer », comme ces femelles donnent du lait toute l’année, si ce n’est 3 ou 4 jours, et sans engraisser, comme leurs petits ne tètent pas mais sont sevrés dès le jour de leur naissance, nourris du lait « ribotté » qui reste après que le beurre soit fait et qu’on appelle « battis » dans quelques pays. L’édition de 1708 observe l’élevage de grandes bêtes chez les Chartreux d’Aurais, en Bretagne, bêtes issues de petites femelles, mais qu’on a laissé téter longtemps, jusqu’à un an dans le Poitou, avec le conseil de faire téter les veaux de vaches flandrines pendant un ou deux mois si l’on veut profiter de la seule vente du lait, près des villes. En 1709, le Dictionnaire de Chomel s’intéresse à l’amélioration par les flandrines, dans l’article « Abondance ».
15On précise, dans la Nouvelle Maison Rustique de 1721, que ces vaches flandrines sont originaires des Indes, et qu’il peut être bon de répandre ce type à partir du Poitou, de l’Aunis et de la Flandre. Au-delà de régions précises, cette nouvelle édition met en avant les bœufs élevés « sur des montagnes, ou autres lieux peu abondans en pâture ». Pour la nourriture, on retrouve la Flandre, pour ses particularités, à nouveau, comme, pour rendre les vaches plus abondantes en lait, « on leur donne du drac, qui est le marc du grain dont on a tiré la bierre. On leur fait aussi chauffer l’eau qu’elles boivent, & on y détrempe des tourteaux, qui sont le marc des colsats & des navettes dont on a tiré l’huile : chaque vache ainsi nourrie rend par jour deux seaux de lait. » Depuis cette 3e édition, on fait plus volontiers référence aux provinces, aux terres pesantes et humides, favorables aux « naveaux » ou navets, en Bretagne et en Bresse, à la culture du jonc marin, également en Bretagne.
16À côté de pays chauds comme l’Italie, la Bresse revient au sujet de la reproduction, comme, dit-on, on n’y fait saillir les vaches qu’aux mois de février et mars, comme on préfère les veaux qui naissent en novembre et en décembre, comme leurs mères sont alors mieux nourries ; l’auteur refuse cette pratique, souhaitant qu’on ait des veaux tout au long de l’année. Pour le sevrage des veaux, après les particularités de la race flandrine, on cite l’usage parisien pour les veaux destinés à la boucherie, qu’on laisse téter 30 ou 40 jours, et l’usage rouennais des « veaux de rivière », très gras, nourris de lait, que l’on retrouve en 1723 dans l’article « Veau » du Dictionnaire de commerce. Le « veau de rivière » apparaît dans la Nouvelle Maison Rustique jusqu’à la dernière édition de 1798, mais on n’en trouve pas mention dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert ou dans l’Encyclopédie méthodique, alors que l’abbé Tessier, dans l’article « Bêtes à cornes », donne la première description du « veau de Pontoise », principal approvisionnement pour la capitale, à 70 % des veaux blancs en 1837, avant de perdre ce rôle, entre 1837 et 1844, au profit du Gâtinais2.
17On estime enfin, depuis la Nouvelle Maison Rustique de 1721, que les meilleurs beurres proviennent, à Paris, de Bretagne, de Normandie, de Flandre ; la Bretagne en envoie beaucoup à La Rochelle et à Bordeaux, en barils, selon le Journal œconomique d’août 1756. La Nouvelle Maison Rustique cite les fromages de Brie, communs à Paris, et ceux des provinces de Languedoc, de Provence, de Bretagne, de Normandie (« Ponts-l’Evesque », « Ponteaux-de-mer », Angelots du pays de Bray), de Bresse (avec des précisions sur la fabrication), de Forez, de Flandre (« Marolles » et « Dauphins »), le Sassenage de Grenoble, le fromage de « Roche », les « Vachelins » de Franche-Comté, les fromages d’Auvergne qui « imitent les fromages d’Hollande », et les « jonchées » de Paris ; le fromage de Limoges apparaît dans l’édition de 1798. En 1723, le Dictionnaire de commerce de Savary des Brûlons met en avant, à l’article éponyme, les beurres que l’on fabrique autour de Paris, à Saint-Germain, dans le Gâtinais, à Vanvres, et les beurres en mottes qui viennent d’Isigny, de Gournay, de la Louppe, vers Paris, seulement l’hiver pour ceux d’Isigny et les plus éloignés, avec en outre des beurres fondus qui viennent surtout d’Isigny et d’autres parties de Normandie, et beaucoup de beurres salés depuis la Bretagne, la Normandie et le Boulonnais, ceux de la Prévalais étant, dit-on, les plus estimés. Le commerce des beurres, vers Paris, peut se faire par Rouen, où l’on reçoit également quantité de cuirs, cette fois-ci de l’étranger, comme à Saint-Malo ou à Nantes, nous dit-on dans l’article « Bœuf ». Dans le même Dictionnaire de commerce, la question des Arts & Métiers rejoint toujours des considérations locales, essentiellement parisiennes, comme dans les ouvrages consacrés à ce domaine, au sujet de la communauté des marchands bouchers, des chandeliers, des corroyeurs, des vendeurs de cuirs, etc. Mais l’ouvrage peut dépasser le cadre francilien, ainsi au sujet des foires de bestiaux, avec des places en Brie, dans le Soissonnais, dans le Maine, en « Haute-Marche d’Auvergne », savoir à Chénérailles, à 30 km au sud-est de Guéret et au sud de Boussac, dans l’actuel département de la Creuse, foire qui se tient les premiers mardis de chaque mois, avec des bestiaux engraissés destinés à la consommation parisienne.
18Mais sur l’engraissement des bœufs et sur les maladies, on ne fait pas encore grand cas des particularités locales. Dans la Nouvelle Maison Rustique de 1749, c’est au sujet d’une épizootie que l’auteur fait appel à l’exemple local, sur une « Maladie qui a attaqué les Bêtes à cornes & les Chevaux dans la Généralité d’Auvergne, & qui s’est introduite sur la fin du mois d’Avril 1731. dans l’Élection de Gannat, Généralité de Moulins », consistant en un ulcère sur la langue, avant la maladie qui a parcouru l’Europe, dont la France, dans les années 1740. En 1798, l’édition de Bastien, quand elle introduit la partie sur les épizooties, fait référence à un remède utilisé dans la généralité de Caen en 1745, remède que l’on dit « souverain » pour l’ensemble des maladies épizootiques3 ; on oublie la précision géographique pour le cas de 1731, s’en tenant à « certains départemens de France ».
19La Nouvelle Maison Rustique, toujours dans la dernière édition de 1798, classe les types bovins en reprenant exactement les termes de l’article « Bœuf & Vache » du Cours complet (1782), à la section II du chapitre II, avec encore les mêmes remarques dans l’article « Bêtes à cornes » : « Les vaches d’Auvergne, des Cévennes et de la Suisse sont les meilleures. Celles de la Flandre, de la Bresse et de la Hollande fournissent une plus grande quantité de lait, dont la nature répond à la qualité des alimens et de l’air qu’elles habitent, c’est-à-dire, qu’il est plus aqueux ; les vaches élevées sur des montagnes fertiles en pâturages ou dans les plaines éloignées des eaux marécageuses, sont préférables. » Et on met en avant les vaches flandrines, en recopiant le texte de 1708, repris dans chacune des éditions, sans grandes modifications.
20Dans la 1re édition du Cours complet (1781-93), on parle beaucoup des bœufs de l’Auvergne et du Limousin, pour leurs qualités, pour les méthodes d’élevage et d’engraissement. La Normandie est tout de même mise en avant au sujet des attelages, par le collier (art. « Accouplement »), au sujet des « Clôtures » ; pour le souci d’amélioration, on s’attache aux bœufs de labour du Morvan et de quelques cantons de Normandie, à l’article « Amélioration ». En 1784, la section « Arts & Métiers mécaniques » de l’Encyclopédie méthodique développe la fabrication des fromages d’Auvergne, en insistant sur les races, sur les pâturages et sur les méthodes d’élevage de cette région, puis sur le commerce important de ces produits, en s’en tenant ensuite seulement aux fromages de Hollande et de Gruyères (t. III, p. 73-96). L’abbé Tessier, en 1791, parle aussi souvent des races d’Auvergne, ainsi que de l’élevage suisse, mais aussi des environs de Paris, d’après madame Cretté de Palluel. En 1809, le même auteur, dans le Cours complet, présente les pâturages abondants des plaines de la Normandie, des marais de la Vendée, des montagnes du Limousin, mais pour dire aux cultivateurs des autres régions qu’ils peuvent aussi avoir « de la luzerne, du sainfoin, du trèfle, des fèves de marais, de l’orge, de l’avoine, des panais, des carottes, des raves, des betteraves, des pommes de terre, des topinambours » et une abondance de bêtes à cornes ; on met aussi en avant les herbages des montagnes, des Alpes, des Pyrénées, du Cantal, du Jura, des Vosges, ce davantage encore dans l’édition de 1838.
21Au début des années 1820, Thiébaut-de-Berneaud affirme que les meilleures vaches proviennent du Cotentin, de l’Eure, du Calvados, surtout de la vallée d’Auge, du val de Corbon, du pays de Bray ; on reproche aux vaches de Flandre d’être très « friandes », donc trop coûteuses (t. ii, p. 209-263).
22En 1828, dans l’ouvrage collectif sur l’Art de faire le beurre et les meilleurs fromages, on étudie la fabrication du fromage du Mont-Cénis (p. 143-155), des beurres du pays de Bray (p. 250-260), du beurre de la « Prévalaye », en Bretagne (p. 261-265), du fromage de Neufchâtel (p. 266-270), à côté de fromages anglais, suisses, hollandais et italiens. Pour ce qui est des produits, la Maison rustique du XIXe siècle (1834-37) s’intéresse aux laiteries françaises du pays de Bray, de la région d’Isigny, de la « Prévalaye », pour le beurre, à celles de Neufchâtel, de Brie, de Langres en Haute-Marne, d’Époisse en Côte-d’Or, de Marolles dans le Nord, de Livarot dans le Calvados, de Gérardmer ou Géromé dans les Vosges, pour les fromages mous et salés, à celles de Sept-Moncel dans le Jura, du Cantal, pour les fromages à pâte ferme, à celles de Bresse pour les fromages cuits à pâte plus ou moins dure et pressée.
23Dès la fin de l’Ancien Régime, et plus encore après 1810, on publie des mémoires et des publications indépendantes sur l’agriculture de certaines provinces, sur des zones plus précises, sur des élections ou des arrondissements, sur des départements, en comprenant les questions de l’élevage, ainsi sur la Bourgogne (1751), la Guyenne (1756), le Languedoc (1762), la Savoie et l’Auvergne (1774), le Boulonnais (1784), la Sologne (1790), le Limousin (1791), les Ardennes (1799), la Normandie et le Loiret (1800), le Jura et le Cantal (1802), le Midi (1803), les Deux-Sèvres (1804), le Lot-et-Garonne (1806), les Hautes-Alpes et le Pas-de-Calais (1810), la Haute-Saône (1811), la Charente et l’Aude (1812), la Haute-Garonne et l’Oise (1814), la Vendée (1818), l’Aube (1819), les Pyrénées, les Vosges et la Beauce (1821), le Centre (1822), la Flandre (1823), le Nivernais (1834), le Poitou (1836), la Dordogne et l’Ille-et-Vilaine (1840), le Maine-et-Loire (1842), le Finistère (1850), toujours avec beaucoup de publications sur l’Auvergne, puis sur le Centre et le Nord. On y présente les bestiaux, parmi les occupations de l’agriculture, et on met en avant les cultures, en particulier fourragères, avec certaines évolutions.
24Par contre, il faut attendre 1815 pour voir les premiers ouvrages consacrés à l’élevage proprement dit au seul niveau local, ainsi avec l’Essai sur l’amélioration des principaux animaux domestiques dans le département de la Charente-Inférieure, applicable, par ses principes, à beaucoup d’autres lieux, du vétérinaire L. Chambert, édité à Saint-Jean-d’Angely et à Paris, avec un extrait dans les Annales de l’agriculture françoise en 1817. C’est ensuite une Statistique bovine du département de l’Ain, par un autre vétérinaire, M.-J. Chanel, membre de la Société d’agriculture de son département (Bourg, 1820, in-8°), puis des observations sur le Puy-de-Dôme par le député Mathieu-Jean Baudet-Lafarge (1825), sur la Haute-Auvergne et la race de Salers par Grognier (1831), sur les laitières de l’Aubrac par Charles Girou de Buzareingues (1833), sur la race du Finistère par Jean-Marie Éléouet (1837), sur les types de Haute-Garonne et du Lot-et-Garonne par Lafore (1838 et 1845), des environs de Nantes par Robineau (1841), sur l’engraissement des veaux du Gâtinais par Delafond et sur les vaches laitières de l’arrondissement d’Avesnes (1844), et encore sur les races comtoises et le secteur laitier de Bretagne (1845), sur le bétail de la Nièvre (1849), sur l’amélioration de la race normande (1850).
25Dans ce recensement, on remarque l’absence des races du Nord-Est, du Sud-Est, la quasi-absence du Nord, et l’importance de l’Auvergne et de ses environs, dès les années 1820, une région déjà bien présente dans les publications généralistes du XVIIIe et du premier XIXe siècle. C’est après 1838 qu’on publie des ouvrages consacrés au commerce des bestiaux dans certaines régions, dans certains départements ou dans certaines villes, surtout avec une quantité importante d’observations ou rapports locaux, en 1841, sur les droits d’octroi et les droits d’entrée, en particulier depuis Paris, Lyon, Nantes, depuis le Limousin, la Meurthe, le Calvados, l’Ain…
Les nouveaux fourrages : la multiplication des exemples locaux
26Pattullo, en 1758, donne des exemples satisfaisants d’herbages artificiels, de luzerne chez M. Girardoz de Mallassise, à Nangis, près de Melun, de luzerne et de sainfoin chez M. Le Clerc, à La Varenne Saint Maur, près la Marne, de trèfle chez M. Quesnay fils, dans le Nivernais (p. 75-79).
27Les exemples locaux de cultures alternatives se multiplient dans la littérature agronomique dès la fin des années 1750, avec des descriptions, des expériences, des modèles, qui viennent soutenir le développement d’une agriculture nouvelle, avec, dans le Journal œconomique, le trèfle et la luzerne du Languedoc (sept. 1757), les turneps ou raves qui réussissent dans le Périgord, en Auvergne, dans le Limousin, que l’on souhaite essayer en Champagne et en Brie, à côté de prairies artificielles (fév. et mars 1761, nov. et déc. 1764). On s’exprime généralement pour l’introduction ou l’amélioration de ce type de prairies, par exemple dans le Valage, où l’on regrette qu’elles soient négligées par les cultivateurs (avril 1766), mais encore, cette fois à l’intérieur des Annales de l’agriculture françoise, dans les Ardennes (1800), dans la Somme (1801-02), dans la Marne (1806), avec également des racines, surtout au début du XIXe siècle, et dans les Landes (1807), dans la Sarthe, dans l’Indre, en Seine-et-Marne, dans la Meuse, dans le Doubs, en Haute-Garonne, de 1807 à 1810.
28On regarde en particulier la Picardie et les environs de Paris, ainsi sur les ouvrages publiés par Gilbert en 1787 et en 1789, avec une diffusion importante, sur l’observation des cultures de Saint-Genis, près de Pantin (Annales, 1798), avec un relais important donné aux expériences et observations diverses par les Annales, dès leur origine, avec beaucoup d’études sur les prairies artificielles, sur divers fourrages. On trouve encore beaucoup d’éléments locaux dans le Manuel du bouvier de Robinet, avec trois éditions en 1789, 1826 et 1837. On publie aussi quelques ouvrages qui s’attachent à des régions particulières, ainsi au sujet de la culture du sainfoin en Haute-Champagne (1764), de la rareté des fourrages dans les Ardennes (1802), des prairies artificielles du Poitou (1811), du Midi (1812), de la Sologne (1813), du trèfle en Corrèze (1821 et 1823), en Franche-Comté (1830 et 1842), de l’amélioration des prairies naturelles des environs de Morlaix (1837 et 1841), de l’Alsace (1839), de la Basse-Bretagne (1845), de l’irrigation des prés des Vosges (1846), de l’établissement de prés d’embouche en Moselle (1850), avec en outre des instructions locales au sujet des châtaignes en Ille-et-Vilaine (1800), au sujet des racines dans les départements de la Seine et du Calvados (1812), dans l’Agenais (1817), en Franche-Comté (1842). On traite de la suppression des droits communaux, du partage des communaux, au niveau national, mais aussi au niveau provincial, surtout dans l’Est, en Lorraine (1763 et 1766), en Franche-Comté (1767), dans le Doubs (1842), mais aussi en Normandie (1791), dans les Landes (1818), en Creuse (1831).
29De même, certains articles de dictionnaire précisent dans quels endroits on profite le mieux de certains fourrages ou de quelques racines, le Cours complet indiquant par exemple, en 1809, que l’on trouve du « Chou » en Bretagne, en Normandie, en Flandre, de la « Rave » en Limousin, un « Sainfoin » supérieur dans le Midi. À partir de 1810, de manière indépendante et dans les Annales de l’agriculture françoise ou la Bibliothèque des propriétaires ruraux, le nombre de mémoires relatifs à des contrées particulières, à des départements, se multiplie, avec à chaque fois beaucoup de considérations sur les cultures fourragères ; ce mouvement éditorial est lancé par la Société d’agriculture du département de la Seine, qui propose un prix sur les améliorations connues localement depuis une cinquantaine d’années, l’augmentation des surfaces cultivées et des cultures fourragères pouvant souvent apparaître comme un progrès, malgré la lenteur de l’extension.
30Entre 1834 et 1837, la Maison rustique du XIXe siècle multiplie le nombre d’exemples locaux et se soucie des pratiques particulières, sur les prairies artificielles, sur leur fauchaison, en Flandre, au Nord-Est, en Champagne, en Bretagne, dans le Midi, sur leur fanage, dans l’Oise, en Picardie (t. i, p. 285-304) ; la Normandie et la Bretagne sont des modèles français pour ce qui est des clôtures, selon M. Labbé (t. i, p. 357-365).
La médecine vétérinaire : un intérêt tardif pour les pratiques locales
31Ponctuellement, au XVIIIe siècle, certains auteurs se penchent sur des exemples locaux, sur des cas particuliers, pour faire avancer la réflexion au niveau national, mais cela reste rare avant la fondation des Écoles vétérinaires en 1762 et 1765. En 1731, on a, imprimées à Lille, les Observations sur une maladie qui attaque les bestes à cornes dans la Généralité d’Auvergne et qui s’est introduite sur la fin du mois d’Avril 1731 dans l’élection de Gannat, Généralité de Moulins, un placard intégré à la Nouvelle Maison Rustique dans l’édition de 1749. En 1744, ce sont deux mémoires sur la maladie épidémique, contagieuse, qui attaque les bovins en Franche-Comté, par les médecins René Charles et Jean-Claude-Adrien Helvétius. Puis, en 1746, on a un Mémoire sur la maladie des bœufs du Vivarais, rédigé par le médecin et naturaliste François Boissier de Sauvages, édité à Montpellier (in-4°, 27 p.).
32Ensuite, il faut attendre 1763, à propos de la région de Sens, et 1771, sur les environs de Montpellier et sur le Laonnais. En octobre 1770, ainsi, on se penche sur un remède proposé dans un canton de Touraine contre l’enflure des bestiaux, dans le Journal œconomique (p. 457). On trouve des brochures sur une épizootie dans le Soissonnais en 1773 et 1774, de nouveau sur les environs de Montpellier en 1775, sur le Midi, quand avance la 4e vague épizootique du siècle.
33Quant à l’approche locale en médecine vétérinaire, elle est très grande, en 1776, au sujet des seules épizooties, dans la synthèse de Félix Vicq d’Azyr, Exposé des moyens curatifs et préservatifs qui peuvent être employés contre les maladies pestilentielles des bêtes à cornes, avec des observations sur les régions du Sud-Ouest, mais aussi sur la Normandie, surtout dans l’actuel département de l’Eure (p. 122-125), avec la reprise de plusieurs instructions publiées à Rouen en février 1775. On observe de même la progression de la maladie dans la Flandre maritime, dans le Comté d’Artois, dans le Soissonnais, en Champagne, en Franche-Comté, dans la généralité d’Orléans et surtout dans les provinces méridionales, avec beaucoup de vétérinaires cités pour les remèdes qu’ils ont pu proposer (p. 234-329).
34C’est le plus souvent au sujet d’épizooties que l’observation est locale, ainsi en Lorraine en 1779, dans la Garonne en 1785 (à propos de l’épizootie de 1774), dans la généralité de Moulins en 1787, dans le Lot-et-Garonne en 1792, en Haute-Vienne en 1793, puis sur le nord et l’est de la France, puis la Haute-Saône, en 1797, en 1802, et dans les Annales de l’agriculture françoise, en 1798, puis à propos d’une épizootie déclarée dans la vallée d’Auge du Calvados, en juillet 1810, depuis les départements de Seine-et-Oise, de Seine-Inférieure, et en allant de l’Eure vers Troarn et vers Caen, avec des ampoules ou tumeurs à la langue des bestiaux qui occasionnent des fièvres funestes (t. xliv, p. 5-16)4. La nouvelle vague épizootique de 1814-15 ouvre la voie à de nouvelles publications consacrées à des zones locales, comme le Rhône, la Marne, le Pas-de-Calais, la Moselle, parmi un nombre important d’éditions d’échelle nationale. Il est ensuite question d’une épizootie dans le Tarn en 1827, d’une affection épizootique dans l’Indre en 1835, d’une péripneumonie contagieuse en vallée de Bray en 1840, étudiée par Delafond, dans le Jura en 1841, décrite par le même auteur, avec des mesures contre les épidémies animales, dans l’Ain en 1845, des notices concernant les épizooties qui ont parcouru le Bessin entre 1841 et 1843 (par le vétérinaire Vigney en 1845), le Perche en 1846 (par le vétérinaire Darreau), le Nord en 1847, et le Cantal en 1848. Outre les épizooties, on étudie les maladies bovines observées en Bretagne, en 1828, celles que l’on connaît dans le canton d’Avesnes, en 1841.
35On a recours à des observations vétérinaires dans certains articles de la section « Agriculture » de l’Encyclopédie méthodique (1787-1821), ainsi quand il est question de l’Avortement, avec le travail des vétérinaires de la région parisienne et de l’Orléanais, mais aussi dans les Annales, sur une éruption au pis des vaches dans les environs de Paris (1800, t. X, p. 86-96), puis ponctuellement avec des rapports de séances des Écoles vétérinaires ou de la Société d’agriculture du département de la Seine.
36Le thème vétérinaire, au niveau local, revient particulièrement dans les Mémoires d’agriculture, d’économie rurale et domestique, publiés par la Société d’agriculture du département de la Seine (1809-50), et dans les Instructions et observations sur les maladies des animaux domestiques, à propos de nombreux mémoires et instructions publiés par les élèves sortis des Écoles vétérinaires de France, avec la reprise d’observations vétérinaires, l’indication des succès provinciaux de certains vétérinaires, et à propos de la distribution géographique des 551 élèves sortis des Écoles depuis leur fondation, donnée dans la 4e édition du 1er tome, en 1809, portée sur la figure 4.
37Sur 523 élèves pour lesquels on connaît la destination professionnelle, 405 exercent en France, et on n’en porte que 360 sur la carte précédente comme on ne prend pas en compte les 22 artistes vétérinaires qui s’installent à Paris, les 13 autres qui restent ou vont à Alfort, les 6 autres qui s’installent à Lyon, et encore 2 dans chaque région du Languedoc et de la Normandie, non pris en compte sur la carte comme ils relèvent de trop nombreux départements. Ensuite, ce sont 68 élèves qui vont dans divers régiments de l’armée, 6 qui vont dans des départements français de l’actuelle Belgique, 2 dans le département du Léman, 2 dans la Sarre, et 51 à l’étranger, dont 24 au nord-est de l’Europe, 11 en Italie, 3 en Suisse, en Espagne, à Saint-Domingue, 2 au Portugal, en Angleterre, et un en Pologne, en Guadeloupe, en Amérique septentrionale. Pour la seule France métropolitaine, on observe que le Nord est mieux pourvu que le Sud, en imaginant une ligne de La Rochelle à Genève : au-dessus de cette ligne, on a au moins 2 ou 3 élèves par département, si ce n’est dans les Côte d’Armor et le Morbihan, dans le Bas-Rhin et les Vosges, avec souvent plus de 6 vétérinaires par département dans une large zone qui va du Nord à la Franche-Comté et qui descend encore jusque dans le Dauphiné. Au Sud, par contre, certains départements semblent souffrir du manque de vétérinaires, en Charente-Maritime, dans le Languedoc, et au Sud-Est, d’autres gardent des effectifs limités, au Sud-Ouest, en Creuse et en Corrèze, avec tout de même de 3 à 6 élèves qui sont arrivés, par département, en Auvergne et en Guyenne.
38C’est sur cette base, sur cette première répartition géographique que se développe ensuite l’art vétérinaire, au cours du XIXe siècle, dans les différentes régions françaises. La corrélation avec la densité de la population chevaline, telle qu’on la perçoit sur les cartes dressées par Michel Demonet d’après l’enquête de 1852, n’est pas évidente, et la comparaison avec d’autres cartes, au sujet des porcins, des ovins, n’est pas plus satisfaisante.
Législation : les coutumes
39Notons que notre corpus recense un seul écrit à l’échelle locale en matière législative, De la Garantie des vices rédhibitoires des animaux domestiques, telle qu’elle est selon la coutume d’Orléans et telle qu’elle devrait être d’après le Code civil, par le vétérinaire orléanais Langlois (Orléans, 1836, in-12, vi-170 p.).
40L’approche locale est nécessaire dans certains cas, quand on a à faire à des coutumes différenciées, sous l’Ancien Régime, avec des survivances au XIXe siècle, au sujet des cas rédhibitoires et surtout de la vaine pâture, des baux à cheptel. L’article consacré à ce dernier sujet dans la section « Jurisprudence » de l’Encyclopédie méthodique précise que ce type de contrat est particulièrement usité dans les coutumes de « Bourbonnois, Nivernois, Berri, Labourd, Solle & Bretagne », avec des différences que l’on développe dans l’article, de même que sur le terme « Exiguer », dans ces mêmes coutumes, « pour exprimer que l’on se départ de cheptel, & que l’on demande exhibition, compte & partage des bestiaux qui avoient été donnés au preneur à titre de cheptel ».
*
41On relève beaucoup plus d’articles, de références, pour l’Île-de-France, la Normandie, le Limousin et l’Auvergne, et plus de détails, tout au long de la période, sur les méthodes normandes, au niveau national, dans les dictionnaires encyclopédiques, mais aussi par le biais de publications périodiques. Si on regarde l’édition locale, la mainmise de ces régions sur l’ensemble français n’est par contre pas du tout évidente, si ce n’est pour les cités franciliennes, avec des travaux certes importants en Normandie, mais aussi le long de la Loire, dans le Nord, et même dans le Midi, en particulier dans le Nord-Est et autour de Lyon au sujet de l’alimentation et de la médecine vétérinaire. Mais l’édition locale ne se focalise pas forcément sur des pratiques locales, et à ce sujet la Normandie semble rester dominante dans l’ensemble de la littérature agronomique, sans doute avec davantage d’écrits spécifiques que dans les autres provinces.
42Les agronomes abordent l’exemple régional ou local de diverses manières, selon qu’il s’agisse de décrire une particularité ou de donner un modèle de réussite. La particularité locale s’avère bénéfique au pays où on l’observe, mais elle peut aussi être décriée par les auteurs. En Auvergne, la spécificité géologique et le type d’élevage, à finalité fromagère, induisent un regard extérieur, avec parfois le souci de rechercher ailleurs, en Hollande, en Suisse, de meilleures méthodes pour confectionner ces fromages. Le cas du Limousin est plus complexe, avec d’abord un regard négatif, assez réducteur, ainsi de la part du baron de Labergerie en 1795, puis une approche plus sérieuse, depuis les années 1820, de la part d’agronomes locaux qui partent de la réalité des terres limousines et marchoises pour trouver des moyens d’augmenter la production.
43La Normandie est souvent présentée comme un modèle. Sans développer l’aspect céréalier, lui-même très observé, on loue les herbages du Pays d’Auge, du Bessin, on regarde les différents types bovins présents, le processus de leur engraissement. On reconnaît certes l’usage des raves en Limousin depuis le XVIIe siècle, mais la spécialisation dans l’engraissement de certains pays passe longtemps inaperçue au niveau national, comme les auteurs ne vont pas au-delà de la haute Marche, d’où viennent les bœufs d’engrais à Paris, sans suivre les étapes en amont. On suppose en Limousin un système archaïque, image rapportée de Paris par Turgot lorsqu’il devient intendant de la généralité de Limoges, en 1761, jusqu’en 1774 ; l’esprit physiocrate de Turgot en est troublé par les usages qu’il observe et la résistance qu’il subit.
44Le Charolais, autre grande région d’élevage, souffre également de l’éloignement de Paris, même si là encore on reconnaît la qualité de l’embouche effectuée pour les marchés de Lyon et de Paris. Le développement continu de cette activité et son extension nivernaise lui donne progressivement plus de place dans l’édition agronomique, mais tardivement.
45La part des régions dans les écrits ne suffit pas à cerner l’influence des théories et les échanges avec la pratique. Une étude plus approfondie du secteur de l’édition, de la librairie, peut apporter des éléments plus concrets, avant de rechercher au mieux la trace d’ouvrages dans les campagnes, au sein des inventaires mobiliers, par exemple, dressés par les notaires, dans ces mêmes trois régions exemplaires.
Notes de bas de page
1 En 1749, dans l’Histoire naturelle de Buffon, les vaches flandrines amenées en Poitou, en Aunis et dans les marais de Charente, sont les seules particularités locales dont on parle à l’article du bœuf.
2 Fanica O., in Histoire & Sociétés rurales, 2001, no 15, p. 105-130.
3 « Prendre soufre en bâton qu’on fera bouillir dix-huit fois dans de l’eau, jetant l’eau chaque fois dès qu’elle commence à bouillir ; faire sécher ensuite les bâtons de soufre jusqu’à ce qu’ils paroissent se réduire en poudre très-fine. Donner une once et demie de cette poudre, matin et soir, dans du son ou de l’avoine. Ce remède ne doit que seconder les saignées, tant de cou que sous la langue. De plus on recommande de faire boire à la bête malade la plus grande quantité de petit lait qu’il sera possible. »
4 C’est aussi une publication indépendante, par Huzard (Précis sur l’épizootie qui s’est déclarée, en juillet 1810, sur les bœufs dans la vallée d’Auge, département du Calvados [imprimé par ordre du Ministre de l’intérieur, comte de l’Empire, M. de Montalivet], Paris, Impr. Impériale, 1810, in-folio) ; on en parle également dans la Bibliothèque des propriétaires ruraux (1810, t. xxxi, p. 258-260).
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