1 J’emprunte ce terme à Jules Henry. Je prends cependant la liberté de lui donner une définition différente et de limiter sa portée (afin d’exclure, par exemple, de la communauté personnelle d’un individu, son employeur, le policier qui fait sa ronde ou d’autres agents des autorités locales, régionales ou gouvernementales auprès desquels il peut trouver une aide). [Cf. « The Personnal Community and Its Invariant Properties ».]
2 « Un réseau est une configuration sociale dans laquelle certaines des unités externes qui le composent, mais pas toutes, entretiennent des relations entre elles. Les unités externes ne composent pas un ensemble social plus large. Aucune frontière commune ne les entoure » (Elizabeth Bott, Family and Social Network, p. 216-217).
3 Voir p. 105 sqq.
4 Une fois, dans sa chambre, Sea Cat se plaignit qu’un vaporisateur de laque lui coûtait plus de 3 $ et qu’avec Arthur à la maison, cela ne durait même pas une semaine. Arthur fit comme s’il n’avait pas entendu. Il se leva lentement du lit, sortit un vaporisateur du buffet, défit ostensiblement sa ceinture, baissa son pantalon et vaporisa délibérément ses parties génitales tout en regardant Sea Cat d’un air totalement innocent. Sea Cat secoua la tête « tu vois ce que je veux dire ? », dit-il, tout en ne parvenant pas à réprimer entièrement un fou rire.
5 Plus tard, lorsque Lucille déménagea, elle continua à parfois rendre visite à Stoopy et aux autres dans les environs du Carry-out (cf. p. 123). Pendant cette période, elle et Stoopy passaient toujours pour cousins.
6 Le fait que le voile de l’inceste enveloppe les relations sexuelles entre cousins (du premier degré) peut expliquer l’épisode suivant. Dans ce cas particulier, même une relation sexuelle avec l’épouse d’un cousin est vécue comme inacceptable. Wee Tom et moi étions rendus chez Nancy. Parmi les autres se trouvaient un homme et une femme que ni lui ni moi ne connaissions. Plus tard dans la soirée, nous les retrouvâmes au coin de la rue. L’homme entra dans le drugstore. La femme tenta de m’embrasser et je la repoussai. « Qu’est-ce que tu lui veux ? Tu as déjà ton homme, dit Wee Tom en indiquant l’homme dans le drugstore. – Lui ? dit-elle outrée. C’est le mari de ma cousine. Comment est-ce qu’il pourrait être mon homme ? »
7 Je ne sais pas pourquoi Tally et Velma ne passaient pas pour cousins. Peut-être ne se voyaient-ils pas assez (Velma vivait de l’autre côté du fleuve, en Virginie) pour que cela justifie qu’ils franchissent le pas. Peut-être n’étaient-ils pas prêts à assumer les obligations engendrées par la formalisation de leur relation. Peut-être ne voulaient-ils pas écarter le fait que leur relation puisse évoluer vers quelque chose de romantique. Ou pour finir, peut-être étaient-ils en train d’entamer le processus qui permet de passer pour cousins.
8 Damon et Pythias, pythagoriciens célèbres par leur amitié, vivaient à Syracuse, 400 ans av. J. -C., sous Denys le Jeune. Damon, condamné à mort par le tyran, obtint la permission d’aller dans sa patrie pour mettre ses affaires en ordre, et Pythias se porta caution de son retour. À l’approche de l’heure dite, Damon ne paraissant pas, on allait conduire Pythias au supplice mais Damon revint à temps et, pour se faire pardonner de son retard, demanda à être supplicié à sa place. Denys fut si touché de ce signe de fidélité qu’il laissa vivre Damon et demanda aux deux amis de lui accorder leur amitié (N. D. T.).
9 Comme la fois où Tally toucha le gros lot (135 $) en ayant misé 25 cents et refusa non seulement de donner 5 ou 10 $ à Wee Tom (ce sur quoi Wee Tom ne comptait pas) mais également de lui prêter plus de 5 $.
10 Wee Tom et moi étions dans la chambre de Tally et attendions que celui-ci ait fini de s’habiller. Alors que Tally retirait son vêtement de corps, il commença à réprimander Wee Tom pour l’avoir laissé et les autres après avoir reçu sa paye. Wee Tom protesta et dit « tu ne peux pas toujours faire ce que tu veux. Parfois, tu fais ce qu’il faut que tu fasses, et il fallait que je rentre chez moi. Ma nana avait besoin de l’argent pour payer le loyer et il y avait plein de choses sur lesquelles il fallait qu’on parle. Ça ne veut pas dire qu’on n’est pas amis. Il fallait juste que je rentre chez moi, c’est tout. » Tally ricana. « Une femme doit répondre aux attentes d’un homme, répondit-il. La femme qui ne répond pas à mes attentes, qu’elle aille se faire voir. Je la fous dehors. » Wee Tom était contrarié et en colère mais ne dit rien.
11 Il se justifia ensuite en disant qu’il n’avait pas assez d’argent pour se faire coiffer.
12 « Ce n’est que lorsque la relation prend fin que l’on peut mettre en lumière les obligations qu’elle sous-tendait » (William Foote Whyte, Street Corner Society, p. 257).
13 Voir p. 118 le contexte dans lequel cette affirmation a été faite.
14 Tally avait emménagé dans le quartier du Carry-out en novembre 1961. Il était resté au chômage durant presque tout l’hiver 1961-1962. À la fin du mois de février il trouva un emploi sur un chantier du centre ville.
15 La connaissance des noms de famille est un indicateur assez commun de distance sociale. Voir note 23, p. 127.
16 Tally et de nombreux autres qui connaissaient l’histoire disaient que le cœur du problème était que la belle-mère de Lonny trouvait que celui-ci avait la peau trop sombre pour sa fille.
17 « Mère », « frère », sœur » etc. sont les termes utilisés par Lonny pour parler des membres de sa famille adoptive. Il ne s’agit pas là d’afficher une pseudo-parenté. Lonny n’a su qu’à l’âge de 18 ans qu’ils n’étaient pas sa vraie famille. Lui et ses « frères » ne « passaient pas pour frères », ils étaient frères par adoption (informelle).
18 Ce fut la dernière fois que je vis Bess.
19 Shirley raconta avec force larmes la manière tragique et nette dont les relations personnelles peuvent structurer les liens de parenté. Richard avait passé une semaine en prison. Shirley se désespérait pour elle et ses enfants et appela sa sœur à Philadelphie dans l’espoir de pouvoir lui emprunter un peu d’argent. Sa sœur, qui s’était définitivement brouillée avec Richard, demanda : « S’agit-il de la Shirley qui se fait appeler Shirley Hawkins ? Mariée à Richard Hawkins ? » Shirley répondit oui. « Alors tu n’es pas ma sœur, lui dit sa sœur. Ma sœur ne vit plus avec Richard Hawkins [ce qui signifiait : je ne te reconnaîtrais comme ma sœur que quand tu auras quitté Richard]. » Et elle raccrocha.
20 « Si [William F.] Whyte revenait aujourd’hui dans les cornerville américaines, il est probable qu’il ne trouverait pas autant de preuves de ce qu’il appelait les formes “hautement organisées et intégrées” de la vie dans les quartiers pauvres » (Richard A. Cloward et Lloyd E. Ohlin, Delinquency and the Opportunity : A Theory of Delinquent Gangs, p. 210). P. 172 du même ouvrage, on associe la mobilité verticale et géographique, les changements dans le logement et dans l’utilisation des terrains aux « nombreuses forces qui déstabilisent l’organisation sociale des zones pauvres […]. De telles forces empêchent qu’une communauté trouve l’équilibre, car les tentatives de construire une organisation sociale sont vite mises en échec. Le provisoire et l’instable deviennent les traits prépondérants de la vie sociale » (les italiques ont été ajoutés). Whyte lui-même indique qu’il importe de faire la différence entre les communautés pauvres relativement stables (comme celle de Street Corner Society) et les quartiers pauvres instables. Il note que Margaret Chandler, dans « The Social Organization of Workers in a Rooming House Area », a trouvé que « les liens changent si rapidement, que l’on peut parler d’une connaissance vieille d’une semaine comme s’il s’agissait d’un vieil ami » (« On Street Corner Society », p. 257).
21 Oscar Lewis a trouvé que « dans certains villages, les paysans peuvent vivre leur vie sans avoir une connaissance approfondie des personnes qu’ils “connaissent” dans leurs relations en face à face ou sans les comprendre » (« Further Observations on the Folk-Urban Continuum and Urbanization with Special Reference to Mexico City », p. 12).
22 Lorsque Leroy, par exemple, est comparu en tant que témoin de moralité au procès pour meurtre dans lequel Richard était inculpé, il affirma qu’il connaissait Richard depuis qu’ils étaient enfants. Leroy dit ensuite qu’il ne s’agissait que d’une exagération mineure et, lorsqu’on lui rappela qu’ils ne s’étaient rencontrés qu’en 1961, il secoua la tête, incrédule et étonné.
23 Même leurs patronymes. Un soir, Richard était assis dans son appartement et se lamentait sur sa situation actuelle. On lui rappela qu’il avait de nombreux amis (il était le concierge de l’immeuble depuis cinq ou six mois). Richard ronchonna et dit que si la police devait l’emmenait et lui autoriser un appel téléphonique, il ne saurait pas quoi faire car, il ne connaissait aucun nom de famille. Cela n’était pas totalement vrai, mais renvoie clairement à la manière méprisante dont il évaluait la profondeur des relations qu’il avait nouées autour du Carry-out. La qualité de ces relations différait grandement de celles nouées dans sa ville natale (population en 1960 : 1 100 habitants), où sa famille connaissait toutes les autres familles noires et était connue d’elles et où ses amis étaient de jeunes hommes et femmes qu’il connaissait depuis l’enfance Voir également p. 119.