1 On trouve également ce type d’exploitation chez les personnes des classes populaires du district de Londres où « il y a une forte dimension d’exploitation dans la “relation amoureuse”, du moins pour ce qui est de l’homme […]. Le garçon peut être ouvertement un exploiteur, pas seulement en ce qui concerne la relation sexuelle qu’il lui est possible d’avoir avec une fille, mais aussi en ce qui concerne ce qu’il peut obtenir d’elle d’un point de vue financier » (Josephine Klein, Samples from English Cultures, vol. I, p. 39).
2 Toutes choses égales par ailleurs, plus une femme ressemblait à une femme blanche, plus elle était jugée attirante à la fois par les hommes et par les femmes. Le critère majeur était une « belle pilosité » (des cheveux à la fois longs et souples) et une peau claire. Normalement, une « belle pilosité » renvoyait aux seuls cheveux, mais de nombreux hommes indiquaient également qu’ils préféraient les femmes qui avaient du duvet sur les côtés du visage et les jambes poilues. Dans un cas, l’un des hommes expliqua qu’il était fortement attiré par une femme, remarquant qu’elle avait « des poils sur tout le buste ». Cependant, bien que considérées comme plus attirantes que leurs sœurs plus sombres de peau, il convenait d’éviter les femmes à la peau claire, sauf en tant que partenaire pour quelques heures ou pour une nuit. À l’exception notable de Sea Cat, les hommes avaient tous peur des femmes dont la couleur de peau était visiblement plus claire que celle des femmes qu’ils avaient l’habitude de croiser dans la rue. La raison qu’ils fournissaient était simple et directe : « Une femme à la peau claire se retournera contre toi. » Sweets s’exprima avec émotion sur le sujet. Parlant de la femme avec laquelle il venait juste de rompre, il dit que, bien qu’ils aient vécu ensemble pendant quelques semaines, il ne l’avait jamais considérée comme sa femme parce qu’elle « était une fille à la peau claire ». Cela l’empêchait même de l’aimer. Un jour, comme il avait prédit qu’elle le ferait, elle s’est retournée contre lui et l’a traité « de tous les noms » (c’est-à-dire « Nègre », « [quelque chose] noir » et autres insultes racistes). « Je lui ai mis mon poing dans la figure. Maintenant, elle vit avec un ami à moi et elle dit que ça va. Il sait pas qu’elle s’est retournée contre moi et m’a traité de tous ces noms. Mais il finira par le savoir. Elles disent toutes ces conneries si elles sont assez énervées. Et elles finissent toutes par s’énerver. Les autres étaient globalement d’accord avec Sweets. La seule différence étant que certains reconnaissaient qu’il pouvait y avoir des exceptions. Tally, Richard et moi-même venions juste de sortir d’un bar à bière et je dis que la fille qui nous avait servis était une belle femme. Tally dit : « Elle est pas mal, mais trop claire pour moi. » Je demandais si toutes les femmes à la peau claire se retournent contre les hommes. « Ben, peut-être pas toutes, mais huit sur dix le feront. Tu te disputes avec elles et elles commencent à dire des conneries, elles te traitent de tous les noms, et tu te retrouves au poste de police sans même t’en rendre compte. Flora [une femme à la peau particulièrement noire], voilà le genre de fille que j’aime. – Ouais, dit Richard, tu te disputes avec une fille comme Flora et elle ne dévie pas du sujet. (C’est-à-dire que parce que Flora à la peau très noire, elle ne peut pas avoir recours à des insultes racistes et doit s’en tenir au cœur du sujet.)
3 Dans de larges mesures, l’âge réel ou relatif d’une femme ne semble pas être un facteur crucial dans l’évaluation de sa capacité à être une partenaire sexuelle. Les partenaires sexuels sont, en gros, de la même génération, mais cela n’est en aucun cas une règle. Un même homme peut être simultanément attiré par une fille d’une quinzaine d’années et une femme âgée de la quarantaine. C’est ce que prouve le fait que la mère d’un des enfants de Tally était une adolescente et que la mère d’un autre de ses enfants avait la quarantaine et était elle-même grand-mère. À l’inverse, on peut également trouver un jeune homme tout juste âgé de 20 ans et un homme âgé de la quarantaine rivalisant pour obtenir les faveurs d’une femme âgée disons de 20 ou 30 ans. Les actes et les attitudes changent grandement d’un individu à l’autre. Tally soutenait que « l’homme préfère en général les plus âgées » (à savoir, une femme plus âgée que lui-même) et il mettait souvent ses dires en pratique. Pour sa part, Richard, nonobstant son « ça ne me gênerait pas qu’elle ait 60 ans », a « laissé tomber » une femme d’environ 30 ans, et a ainsi également renoncé au plaisir de son véhicule parce qu’« elle était trop vieille. Je préfère la chair tendre ».
4 L’exploitation sexuelle des femmes ne renvoie pas aux pratiques sexuelles. Les pratiques hétérosexuelles des hommes du coin de la rue sont totalement compatibles avec l’observation que « les tabous [des classes populaires] rejettent […] tout ce qui se substitue au coït simple et direct […]. [Tout ce qui se substitue à l’acte sexuel] est considéré comme une perversion […] » (Kinsey, Pomeroy et Martin, « Social Level and Sexual Outlet », p. 305). Les relations anales et orales, par exemple, sont considérées comme relevant uniquement de pratiques homosexuelles. Même les étiquettes ou les termes renvoyant à la pratique du cunnilingus – si souvent utilisés par les employés et les ouvriers de sexe masculin comme termes exprimant le mépris ou les plaisanteries entre copains – ne sont que très rarement utilisés. L’une des quelques conversations qui touchaient au sujet suggère nettement que de telles pratiques portent clairement atteinte à la relation hétérosexuelle. Nombre d’entre nous se tenaient dans le hall, en train de boire. Nous pouvions entendre une dispute entre un homme et une femme à l’étage. Le sujet en vint à la violence entre un homme et sa femme. Stanton rapporta une histoire concernant une femme qui était sans cesse maltraitée par son mari. Celui-ci dormait avec un pistolet sous son oreiller. Une nuit, l’homme rentra saoul et obligea sa femme à accomplir un acte « non naturel ». Lorsqu’il s’endormit, elle prit dans la cuisine une hache à double tranchant, la tint au-dessus de sa tête, ferma les yeux et lui enfonça la hache dans le front. Elle quitta la maison en courant et en hurlant et raconta l’histoire aux gens de la ville. « Elle n’a jamais été devant le tribunal, dit Stanton, en conclusion. Ils ne l’ont même pas poursuivie en justice. » Tonk, Boley et tous les autres reconnurent que justice avait été faite.
5 Une référence à la règle d’« un homme à la maison » en vigueur à Washington et qui fait que la présence d’un homme en mesure de travailler dans le foyer exclue les femmes du droit à l’Aid for Dependent Children. Ce paternalisme grotesque était mis en pratique par des enquêteurs spécialisés qui faisaient des visites inopinées – à n’importe quelle heure du jour et de la nuit – à la recherche de preuves de la présence « d’un homme à la maison ». C’est ainsi que l’on se défaisait des « tricheurs » à savoir, les enfants non méritants dont la mère demandait encore de l’amour et du sexe alors même qu’elle venait de recevoir un chèque du Departement of Welfare.
6 Voir p. 117 sqq. pour un compte rendu plus détaillé des relations de Tally et Emma Lou.
7 Les discours sur les pratiques sexuelles ainsi que les pratiques sexuelles elles-mêmes révèlent une réserve et un esprit délicat. Dans les conversations générales ordinaires, les mots courts et brutaux, qui réfèrent couramment au coït et aux parties génitales, sont utilisés facilement et sans retenue. Mais lorsque le sujet est le sexe et que la discussion porte plus précisément sur soi-même ou sur son partenaire sexuel, le langage devient moins direct et les phrases du style « j’ai vraiment bourré un bon coup hier soir » ont tendance à remplacer les qualificatifs plus spécifiques et plus significatifs pour parler de l’acte sexuel. En général, les individus évitent de regarder le sexe de près, un peu comme s’il s’agissait des yeux de la Méduse et que ceci ne pouvait être observé directement. Les techniques standards officiellement reconnues pour regarder le sexe en face, comme le recours à l’humour ou à l’obscénité, sont faibles ou peu usitées. Les blagues salaces sont rares et on remarque l’absence d’images pornographiques.
8 Bien que le fait d’être « bien » soit peut-être la qualité la plus enviable chez une femme, c’est une qualité faiblement définie et qui varie en fonction du point de vue de chaque homme. Dire qu’une femme est bien peut, dans certains contextes, faire directement référence à son aspect sexy ou à un autre attribut particulier, comme le fait qu’elle ait un bon emploi ou d’autres revenus. Le plus souvent, cependant, lorsqu’un homme dit « elle est vraiment bien », il veut dire qu’il apprécie sa personne dans son entier. « Bien » devient alors une sorte un concentré des qualités personnelles, morales, sociales et esthétiques de cette femme. Il n’y a, bien sûr, aucun consensus total sur qui est ou n’est pas bien et même l’opinion d’un homme peut changer avec le temps au fur et à mesure qu’il connaît une femme donnée ou que sa relation avec elle évolue. Il existe, cependant, des normes assez larges et objectives auxquelles les hommes adhèrent. Ils accordent une grande importance à l’apparence physique et vestimentaire d’une femme. Une femme bien ne s’habille pas de « guenilles », et ne se montre pas non plus en public décoiffée et débraillée. Elle garde son corps, ses enfants, si elle en a, et l’endroit où elle vit propres et nets. C’est une femme qui gagne consciencieusement son salaire, une femme d’intérieur ou les deux, une femme qui ne ressemble en aucun cas à ces femmes qui paressent en peignoir toute la journée, le lit défait, les enfants sales et hirsutes, attendant que son homme lui apporte un peu d’argent ou que le postier lui donne son chèque d’allocations. Ses valeurs morales traduisent son honnêteté et sa décence foncières. Elle ne dit pas une chose devant vous et une autre dans votre dos. Elle ne change pas sans arrêt de partenaire sexuel et bien qu’elle ne soit pas toujours totalement fidèle à son mari ou à son petit ami, elle « le trompe discrètement », avec des personnes bien choisies et seulement, en général, si on l’a incitée, comme, par exemple, si elle est maltraitée ou qu’on la « cocufie » régulièrement en public. Honnêteté signifie également simple honnêteté à l’égard des biens personnels. Elle ne vole pas. Dans ses relations sociales, la femme bien fait montre de générosité d’esprit. Elle est amicale, accessible, tolérante, ouverte et a des manières simples. Quel que soit son style ou ses « façons de faire », il est agréable d’être avec elle.
9 Si l’on adopte le point de vue des classes moyennes, on s’attendrait à ce que l’homme protège la fille « bien » de la possibilité d’être enceinte et qu’il laisse la fille qui n’est « pas bien » prendre ce risque. Derrière cette attitude, on trouve le mépris de la classe moyenne pour la fille « pas bien » (appartenant aux classes populaires ?) à qui l’on demande de se débrouiller seule même si elle porte un enfant. L’éthique de Sea Cat est d’une nature assez différente. Reconnaissant la responsabilité qu’il a de devoir « aider » toute femme à qui il fait porter un enfant, il évite de devoir établir une relation continue et de soutien avec la fille qui n’est « pas bien » et utilise pour cela des préservatifs. Nul besoin pressant d’utiliser des méthodes contraceptives avec la fille « bien » puisqu’il ne répugne pas entretenir avec elle le type de relation continue qu’impliquerait une grossesse.