1 Camionnette dont la partie arrière est un plateau découvert, initialement utilisée à la campagne pour le transport de matériel agricole (N. D. T.).
2 Pour certains chercheurs en sciences sociales, qui recourent sans doute à d’autres méthodes, la source du problème se trouve chez les hommes eux-mêmes, dans le fait qu’ils ne veuillent pas ou souhaitent peu travailler : « Afin d’augmenter la participation du travailleur déshérité, on doit lui apprendre à vouloir […] se fixer pour lui-même et pour ses enfants des objectifs sociaux plus élevés. […] La question du changement d’habitudes de travail et de motivation chez les personnes [des classes populaires] […] est celle du changement d’objectifs, d’ambition et de niveau d’aspiration en matière de culture et d’emploi des ouvriers déshértés » (Allison Davis, « The Motivation of the Underprivileged Worker », p. 90, les mots en italiques sont dans le texte original).
3 Nombreux sont ceux qui comparent le fait de rester seul à la maison avec le fait d’être en prison.
4 Cette estimation rejoint exactement celle que Tonk fait lui-même. Au regard de ma connaissance personnelle des habitudes de vol de Tonk, je soupçonne la somme d’être, cependant, bien moindre.
5 Le voleur habile peut bénéficier d’un certain mérite auprès du public mais non de respect.
6 Comme le suggère Howard S. Becker, il peut être utile de comparer les données brutes sur le revenu et les coûts du logement dans cette zone avec ceux recueillis par Herbert Gans et concernant la population ouvrière à faibles revenus du West-End de Boston. En 1958, Gans rapporte que le revenu médian des habitants du West-End était à peine inférieur à 70 $ par semaine ce qui représente un montant bien supérieur à celui perçut par les personnes qui vivaient à proximité du Carry-out, cinq ans plus tard. Gans lui-même a loué un appartement de six pièces dans le West-End pour 46 $ par mois, soit environ 10 $ de plus que le taux pratiqué pour ceux qui habitaient là depuis longtemps. Dans les environs du Carry-out, les appartements dans lesquels on pouvait mettre plus qu’un lit pliant et un buffet minuscule – à savoir des appartements destinés à héberger une famille – se louaient 12 à 22 $ la semaine. Si l’on ne tient pas compte d’éléments que l’on ne peut véritablement ignorer – comme l’intimité et l’indépendance que procure un appartement de plusieurs pièces par opposition à la vie exposée et morcelée d’un meublé dont les toilettes se trouvent toujours à un étage qui n’est pas le vôtre (ce qui importe peu car, de toute façon, elles sont probablement hors d’usage) – et si l’on suppose un état de délabrement identique, les habitants du West-End payaient 6 à 7 $ par mois un appartement qui, pour ceux qui vivaient à proximité du Carry-out, coûtait au moins 50 $ par mois, et souvent plus. Si l’on rapporte le coût du logement aux revenus – et toujours sans tenir compte de ce qui ne peut être ignoré, à savoir que ce que l’on appelle « logement » n’est absolument pas comparable dans les deux zones – un habitant du West-End doté d’un revenu médian consacrait 12 % de son revenu pour un appartement de six pièces alors que, en 1963, pour un habitant des environs du Carry-out un appartement d’une pièce représentait 20 à 30 % d’un revenu de 60 $ par semaine (ce qui représente un salaire élevé dans l’échelle des revenus). Cf. Herbert J. Gans, The Urban Villagers, p. 10-13.
7 La somme la plus élevée est celle de l’échelle syndicale de 1962 pour les ouvriers du bâtiment. Selon l’Accord sur les contrats de rémunération pour les ouvriers du secteur du gros œuvre pour Washington et ses environs (Wage Agreement Contract for Heavy Construction Laborers for Washington and Vicinity) et qui couvrait la période allant du 1 er mai 1963 au 30 avril 1966, le taux horaire minimum devait augmenter régulièrement tous les ans et passer de 2,75 $ (en mai 1963) à 2,92 $ au 1 er novembre 1965.
8 Le travail « à ciel ouvert » comme dans la construction de ponts, d’autoroutes, etc., pour lequel les hommes et le matériel sont directement exposés aux éléments, commence habituellement en mars et se termine le jour de Thanksgiving (dernier jeudi du mois de novembre, N. D. T.). Il en est de même pour la plupart des travaux d’amélioration des infrastructures effectués par les services publics ou municipaux, comme la réparation de routes, l’installation d’égouts, de conduites électriques, de gaz et de téléphone qui, tous, sont de gros employeurs de main-d’œuvre ouvrière. Entre Thanksgiving et le mois de mars, ceux-ci ne gardent que des équipes squelettiques composées d’hommes choisis parmi ceux qui sont les meilleurs et en qui ils ont le plus confiance.
9 Récemment, le taux de criminalité à Washington au mois d’août a augmenté de 18 % par rapport au mois de juillet. Un ancien officier de police a fourni cette explication à David L. Bazelon, président de la cour d’appel du District de Columbia. « C’est assez simple… Vous voyez, le mois d’août a été très pluvieux… Ces gens attendent dans la rue tous les matins entre 6 h 00 et 6 h 30 qu’un camion vienne les prendre et les conduise sur un chantier. S’il pleut, le camion ne vient pas et les hommes n’ont rien à faire ce jour-là. Si le mauvais temps persiste trois jours durant… On sait qu’on aura des problèmes à résoudre – et cela ne manque pas, on a toujours une poussée de vols de sacs à main, d’effractions de domiciles et autres… Vous savez, ces gens ont besoin de manger tout comme nous » (David L. Bazelon, Address to the Federal Bar Association, p. 3).
10 Brouette constituée d’une caisse métallique profonde et dotée de deux roues tout-terrain (N. D. T.).
11 C’est ce qu’estime M. Francis Greenfield, président de l’International Hod Carriers, Building and Common Laborer’s District Council of Washington D. C. and Vicinity (Association internationale des ouvriers non qualifiés des mines de charbon, du bâtiment et des travaux publics pour le conseil municipal de Washington et de ses environs, N. D. T.). Je dois à M. Greenfield bon nombre des éléments mentionnés dans les paragraphes qui traitent de la construction.
12 Ce qui même selon les normes des hommes du coin de la rue n’était pas une sinécure.
13 Le résultat d’ensemble est que, sur le long terme, les revenus d’un manœuvre noir ne sont guère plus élevés – et peuvent même être inférieurs – que ceux d’un commis de restaurant, d’un concierge ou d’un magasinier. Herman P. Miller, par exemple, raconte que, en 1960, 40 % de tous les emplois tenus par des hommes noirs étaient des emplois de manœuvre ou dans le secteur des services. Le salaire annuel moyen pour un manœuvre de couleur ne travaillant pas dans l’agriculture était de 2 400 $. Le salaire annuel moyen d’un employé de service de couleur était de 2 500 $ (Rich Man, Poor Man, p. 90). Francis Greenfield estime que dans les environs de Washington, en 1965, le salaire d’un ouvrier syndiqué qui travaille quand il y a du travail est de 3 200 $. Ce chiffre est, toutefois, élevé pour un homme du coin de la rue. Les individus syndiqués qui travaillent dans le gros œuvre sont l’élite des manœuvres. Le travail journalier et les emplois dans des petites entreprises du bâtiment et des travaux publics ou dans des entreprises d’autres secteurs est nettement moins payé.
14 Pour une excellente discussion sur la supposition (ou prédiction) qui se réalise comme force sociale, voir « The Self-Fulfilling Prophecy », Robert K. Merton, Social Theory and Social Structure, chap. XI.
15 Ceci est totalement à l’opposé des conversations qu’entretiennent, durant leur temps libre, les hommes de la classe ouvrière dotés d’emplois stables. Pour les mineurs (à Ashton en Grande-Bretagne), par exemple, « le sujet [de conversation] qui est le plus fréquent est le travail les difficultés rencontrées lors de la rotation des équipes, la façon dont une tâche spécifique a été menée à bien et ainsi de suite » (Josephine Klein, Samples from English Cultures, vol. I, p. 88).
16 Il ne faut pas oublier que l’employeur n’est pas totalement libre de ses décisions. Il est soumis aux contraintes de la société dans son ensemble et agit pour celle-ci tout autant que pour lui-même. Les lois sur le travail, la sécurité et l’hygiène des enfants, les échelles de revenu minimum dans certains secteurs d’emploi et d’autres contraintes existent déjà.
D’autres mécanismes de contrôle comme le salaire annuel garanti doivent encore faire l’objet d’un vote.
17 Voir, par exemple, la publication du Bureau américain du recensement Methodology and Scores of Socioeconomic Status. L’attribution du plus faible nombre de points de SES (statut socioéconomique) aux hommes qui occupent de tels emplois n’est pas spécifique à notre société. Selon Alex Inkeles dans « Industrial Man » (p. 8), « il semblerait que dans tous les pays [industriels] […]. On attribue au petit cireur de chaussures ou à l’éboueur » un faible nombre de points de SES ».
18 Le fait que l’homme du coin de la rue dévalorise le travail manuel ne devrait étonner personne. Merton souligne que « les résultats ont montré que la stigmatisation américaine du travail manuel […] se retrouvait de façon assez uniforme dans toutes les classes sociales » (Social Theory and Social Structure, p. 145, italiques dans le texte original). On ne doit pas non plus s’étonner qu’il n’éprouve aucune satisfaction à tenir ce genre d’emploi : « [Il existe] un lien positif clair entre le statut général des métiers et la satisfaction que l’on éprouve à les faire » (Inkeles, « Industrial Man », p. 12).
19 « [Dans notre société] le métier d’un homme est l’une des choses par lesquelles il est jugé, et certainement une des choses les plus importantes par le biais desquelles il se juge lui-même […]. Le métier d’un homme est l’une des composantes les plus importantes de son identité sociale, de son moi, et même du destin lié à la seule existence qu’il lui est donnée de vivre » (Everett C. Hughes, Men and Their Work, p. 42-43).
20 Lee Rainwater remarque que les personnes des classes populaires « éprouvent sans cesse la preuve qu’ils sont déplacés » et souligne à quel point les personnes pauvres sont pauvres : « Le problème d’identité des personnes des classes populaires fait passer les introspections des adolescents et des adultes de classe moyenne pour de la consommation ostentatoire de richesses psychiques » (« Work and identity in the Lower Class », p. 3).
21 Sea Cat coupe les jambes de ses pantalons au niveau du mollet et met une frange sur la bordure effilochée. Tonk brise ses lunettes de soleil et porte la monture en corne sans les verres. Richard entretien une façon singulière de parler. Lonny organise une fête pour son anniversaire et ainsi de suite.
22 Il s’agit sans doute ici d’un membre de l’organisation Nation of Islam qui connaît un essor fulgurant depuis le début des années 1950 (on estime que le nombre de membres passe de 500 en 1952 à plus de 30 000 en 1963) tout particulièrement dans les milieux noirs pauvres.
23 Adoptant un point de vue sensiblement différent, S. M. Miller et Frank Riessman suggèrent qu’« il se peut que le concept de satisfaction différée dans son entier soit inadapté pour comprendre la vie des ouvriers dans leur essence » (« The Working Class Subculture : A New View », p. 87).
24 Ceci est une paraphrase de la déclaration faite par Marvin Cline lors du colloque de 1965 qui s’est tenu au Centre d’étude de santé mentale du National Institute of Mental Health.
25 Et si, pour le moment, il a parfois un peu plus d’argent qu’il ne veut en dépenser ou plus de nourriture qu’il ne veut en manger, il est amené à dépenser de toute façon cet argent et cette nourriture car ses amis, voisins, proches ou connaissances lui demanderont ou lui emprunteront toute la quantité supplémentaire dont il dispose. S’il ne le fait pas, il se peut qu’ils lui volent. Dans un cas extrême, l’un des hommes a reconnu avoir pris le dernier supplément de ration alimentaire d’une femme après qu’elle lui a expliqué, qu’avec quatre enfants, elle ne pouvait partager sa nourriture. L’idée que les biens de consommation courante que l’on ne consomme pas le seront par d’autres peut avoir un lien avec le fait que l’on considère parfois des biens de consommation durables comme les montres, les radios, les postes de télévision ou les électrophones comme une forme d’épargne. Lorsque Shirley recevait une aide sociale, elle allait régulièrement récupérer son poste de télévision au mont-de-piété dès qu’elle recevait son chèque de paiement mensuel. Elle expliqua qu’il ne s’agissait pas tant de regarder la télévision que d’avoir quelque chose qu’elle puisse mettre en gage en cas de besoin d’argent à la fin du mois. Pour elle, ainsi que d’autres, le téléviseur ou l’électrophone sont des économies. Le mont-de-piété est là où elle peut déposer ses économies et la reconnaissance de gage est son billet de banque.
26 Il ne s’agit pas de simplement de rationaliser son irresponsabilité. Richard s’était vraiment « usé pendant cinq ans » à essayer de maintenir sa famille. Peu de temps après cet épisode, Richard était encore connu et respecté comme l’un des hommes les plus travailleurs de la rue. Environ deux mois auparavant, Richard avait dit : « Je suppose qu’il faut y aller et essayer. Il faut essayer avant d’avoir quoique ce soit. » Sa femme a confirmé qu’il avait toujours essayé. « Si ça devient dur, moi je me mets à m’inquiéter. Mais Richard s’inquiéter. Il veut pas que j’le vois s’inquiéter… Il va y aller. Il a enlevé la neige à la pelle, ramassé des haricots, il a fait un peu de tout… Il n’a pas honte d’y aller pour nous rapporter quelque chose à manger. » À l’époque de l’incident relaté plus haut, Leroy venait de se marier et de fonder une famille. Lui et Richard n’étaient pas, comme pouvait le penser Richard « complètement différents ». Leroy n’avait pas encore appris, en en faisant l’expérience sur la durée, ce que Richard avait appris. Mais en l’espace de deux ans, le mariage de Leroy s’était brisé et il parlait et se comportait comme Richard. « C’est juste qu’il a vraiment tout laissé tomber », dit l’un des hommes de la rue.
27 Il n’existe pas de lien mystique intrinsèque entre l’inclination « au temps futur » et les membres des classes populaires. À chaque fois qu’une personne de quelque classe sociale que ce soit a exprimé des doutes, son scepticisme ou le pessimisme le plus total au sujet du futur, l’expression « je les veux maintenant » constituait l’une des réponses caractéristiques, bien que souvent mise en termes plus choisis : par exemple, la phrase d’Omar Khayyam « Prenez le liquide et oubliez le crédit » ou celle d’Horace «Carpe Diem ». En temps de guerre, en particulier, toutes les classes sociales ont tendance à se débarrasser des contraintes classiques qui pèsent sur le comportement sexuel ou autre (à savoir qu’elles deviennent moins capables ou moins désireuses de différer la satisfaction). Lorsque l’inflation menace, que l’avenir fiscal s’assombrit, les personnes qui, jusque-là, géraient leurs ressources avec la retenue la plus louable, ont failli se renverser les unes les autres dans leur course effrénée pour dépenser leur argent. De même, il semble que l’inclination au futur laisse place à un penchant pour le présent lorsque les personnes souffrent ou subissent des pressions. Ce qu’il faut souligner ici, sans tenir compte de l’étiquette, c’est que (ce qui passe pour) une inclination au présent semble être un phénomène propre à une situation plutôt qu’un élément du matériau psychique commun dont serait doté l’homme des classes populaires capable de connaissance.
28 C’est exactement ce qu’il fit l’année suivante lorsque les « ennuis » ont commencé. En l’occurrence, une mise en accusation, de nombreuses dettes et une séparation violente d’avec sa femme et ses enfants.
29 Pour une discussion des « ennuis » comme préoccupation principale dans la culture des personnes de classe populaire, voir Walter Miller, « Lower Class Culture as a Generating Milieu of Gang Delinquency », p. 7-8.